Hades et Perséphone

 

Déméter avait une fille unique, Perséphone, la vierge du printemps. Elle la perdit et dans son immense douleur, elle refusa ses bienfaits à la terre. Les champs verdoyants et couverts de fleurs furent changés en étendues stériles parce que Perséphone avait disparu.
Le souverain du sombre monde souterrain, le Roi des morts innombrables l'avait enlevée alors que charmée par la floraison des narcisses, elle s'était attardée pour les cueillir, s'écartant ainsi de ses compagnes. Dans son chariot traîné par des coursiers d'un noir de jais, Pluton surgit d'un gouffre béant et saisissant la jeune fille par le poignet, il la maintint près de lui et l'emporta, sanglotante, sans son empire. Les hautes montagnes et l'abîme de la mer renvoyèrent l'écho du cri déchirant de Perséphone, et sa mère l'entendit. Comme un oiseau elle survola la mer et la terre à la recherche de sa fille, mais personne n'osa lui dire la vérité, "ni homme, ni dieu, ni aucun sûr messager des oiseaux". Déméter erra neuf jours pendant lesquels elle refusa de goûter à l'ambroisie ou d'approcher le doux nectar de ses lèvres. Enfin elle atteignit le soleil et il lui raconta toute l'histoire : Perséphone se trouvait dans le monde souterrain, parmi les ombres des morts.
Alors une douleur plus grande encore envahit le coeur de Déméter. Elle quitta l'Olympe. [...] Sur toute la terre, cette année-là fut terrible et cruelle pour l'humanité. Aucune semence de germa ; le boeuf tira en vain le soc dans le sillon. Il semblait que la race humaine tout entière dût mourir de famine. Zeus s'aperçut enfin qu'il lui fallait prendre l'affaire en main. L'un après l'autre il dépêcha les dieux auprès de Déméter avec mission d'apaiser sa colère, mais elle ne voulut en écouter aucun. Jusqu'à ce qu'elle revoie sa fille, elle refuserait à la terre de porter son fruit. Zeus comprit alors que son frère devait céder. Il dit à Hermès de descendre dans l'empire souterrain et de prier le souverain du lieu de laisser son épouse retourner chez sa mère.
Hermès trouva le couple assis côte à côte, Perséphone bien à contrecoeur et tentant timidement de s'écarter, car elle souhaitait ardemment retrouver sa mère. Quand Hermès parla, elle se leva d'un bond, pressée de s'en aller. Son mari comprit qu'il ne pouvait qu'obéir à l'ordre de Zeus et la renvoyer sur terre ; mais il la pria de penser à lui avec indulgence et de ne pas témoigner tant de répugnance à être la femme d'un dieu si grand parmi les immortels ; il lui fit alors manger un pépin de grenade, sachant bien en son for intérieur qu'elle serait alors forcée de lui revenir.
Il fit préparer son chariot d'or et Hermès, prenant les rênes, mena les chevaux noirs droit au temple où se trouvait Déméter. Celle-ci, avec la rapidité d'une Ménade descendant le flanc d'une montagne, courut au-devant de sa fille et Perséphone se jeta dans les bras tendus, qui se refermèrent sur elle. Tout le jour, elles se racontèrent leurs aventures et Déméter pleura quand elle entendit parler du pépin de grenade, car elle craignait de ne pouvoir garder sa fille auprès d'elle.
Zeus alors lui envoya un nouveau messager, un très grand personnage qui n'était autre que sa mère vénérée, Rhéa, la doyenne des dieux. Celle-ci, descendant en hâte des hauteurs de l'Olympe vers la terre aride et stérile, arriva jusqu'au temple et se tenant debout à la porte, elle s'adressa à Déméter :

Viens, ma fille, car Zeus le clairvoyant t'en prie.
Retourne aux palais des dieux, tu y seras honorée,
Tu y verras l'objet de ton désir, ta fille,
Elle consolera ta peine à chaque année qui s'achève,
Quand se termine l'hiver cruel.
Car le royaume de l'ombre ne la gardera qu'un tiers de ce temps.
Pour le reste, tu la garderas, toi, et les heureux immortels.
Paix à présent. Donne aux hommes la vie qui ne leur vient que de toi.

Déméter ne refusa pas - bien que ce lui fût un piètre encouragement de perdre Perséphone pendant quatre mois l'an et de voir sa jeune beauté s'ensevelir ainsi dans le monde des morts. Mais elle était bienveillante, les hommes l'appelaient toujours la "Bonne Déesse" ; et elle était navrée de la désolation qu'elle avait apportée sur la terre. Elle fit reverdir les champs ; les vergers furent à nouveau garnis de fruits abondants et la terre entière se couvrit de fleurs et de feuillages. [...]

Dans l'histoire de ces deux déesses, Déméter et Perséphone, l'idée de la souffrance prédomine. Déméter, déesse de la richesse des moissons, est plus encore une mère divine et inconsolable qui chaque année voit mourir sa fille. Perséphone est l'adolescente radieuse du printemps et de l'été, dont le pas léger, el effleurant le flanc roussi et desséché d'une colline, suffit à le faire reverdir et fleurir, ainsi que l'a chanté Sapho.

J'entendis le pas de la fleur du printemps...

- le pas de Perséphone. Mais Perséphone savait combien cette beauté était éphémère : feuillages et fruits, toute pousse annuelle sur la terre prend fin quand vint le froid et succombe, comme Perséphone elle-même, au pouvoir de la mort. Après son enlèvement par le souverain du sombre empire souterrain, elle ne fut plus jamais la jeune fille radieuse et gaie, sans trouble ni souci, qui jouait dans le pré fleuri de narcisses. Certes, à chaque printemps, elle revenait d'entre les morts, mais elle emportait avec elle le souvenir du lieu dont elle venait ; malgré son étincelante beauté, il restait en elle quelque chose d'étrange et de terrifiant, et souvent on la désignait comme "celle dont le nom ne doit pas être prononcé".
Les Olympiens étaient les "dieux heureux", les "immortels", fort éloignés des êtres souffrants et promis à la mort. Mais dans leurs chagrins et à l'heure de la mort, les hommes pouvaient se tourner, pour implorer leur compassion, vers les deux déesses dont l'une n'ignorait pas la douleur et l'autre connaissait la mort.

 

Dossier rédigé par Rulae.