Chapitre 02 : Après un long sommeil

 

Quelques jours plus tard

Un homme d’une soixantaine d’années était assis sur une chaise, le dos voûté par le poids des années, penché sur un lit.

Non loin de lui se trouvait un encéphalogramme dont la courbe déformée laissait deviner que sous peu, la personne allongée dans le lit ne tarderait pas à reprendre conscience.

Le vieil homme se pencha au dessus d’une jeune fille au visage pale encadré de longues mèches couleur jais.

Elle plissa légèrement ses paupières avant que celles-ci ne laissent découvrir deux iris d’un bleu aussi clair que le ciel...

Le vieil homme sourit :

« Tu te réveilles enfin.»

La jeune fille ouvrit la bouche tentant de parler sans y parvenir.

-«Attends, je t’apporte un verre d’eau.»

Tandis que le vieil homme disparaissait derrière une porte que la jeune femme n’avait pas remarquée, elle en profita pour se redresser et observer un peu mieux la pièce dans laquelle elle se trouvait.

A en juger par l’encéphalogramme qui se trouvait à ses côtés, l’odeur de chlore qui planait dans l’air et surtout la perfusion qui venait se ficher dans son bras, Génésis arriva à la conclusion qu’elle se trouvait dans une chambre d’hôpital.

Son grand-père revint quelques minutes après et lui tendit un verre d’eau qu’elle avala goulûment. La gorge hydratée, elle put enfin parler.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ?»

Son grand-père la regarda un peu surpris.

« Tu as eu un accident de voiture, tu ne t’en souviens pas ?

- Ha... Si, mentit la jeune fille.»

Enfin, ce n’était pas vraiment un mensonge, elle s’en souvenait parfaitement, elle se rappelait le flash de lumière qui l’avait éblouie avant de perdre connaissance. Et puis venait le grand flou.

Pas un flou vide où rien ne se serait passé, mais un flou où s’entremêlaient un patchwork d’images, de sensations et des fragments de souvenirs. Génésis avait l’étrange impression qu’entre son accident et son réveil énormément de choses s’étaient passées ; mais lorsqu’elle essayait de tout se remémorer un mal de tête cinglant la saisissait.

« Est-ce que ça va ? Veux-tu que j’appelle une infirmière ?

- Non, non ça ira, ne t’inquiète pas... Pour l’accident... Je n’avais pas bu...

- Je sais, lui répondit le vieil homme, une voiture roulait à contresens et vous a percutées.

- Je vois... Et comment vont les autres ?

- Merwinna, Sayuri et Shéhérazade vont bien, elles ont déjà quitté l’hôpital et sont retournée à Lyon... Les médecins disent que c’est un véritable miracle que vous vous en sortiez aussi bien... Pour tes parents...

- Inutile de tenter de me réconforter », le coupa-t-elle, « je ne suis plus une enfant, je n’ai plus besoin de mensonges et d’illusions pour me sentir bien...»

Le vieil homme sembla hésiter un moment évitant le regard perçant que Génésis avait posé sur lui.

Il ôta ses lunettes et se mit à les frotter vigoureusement avec le bord de sa chemise à carreaux.

« Tu sais très bien qu’ils sont occupés par leur fouille en Amérique du Sud... Je les ai prévenus mais ils ne peuvent malheureusement pas venir...

- Comme d’habitude...»

Le vieil homme observa encore un instant sa petite fille...

Génésis avait parlé sur un ton indifférent... Au fil des années elle s’était construit une sorte de carapace derrière laquelle elle cachait sa solitude et son besoin d’affection... Et au fil des années elle s’était rendue à l’évidence : ses parents avaient bien plus brillé par leur absence que leur présence à ses côtés...

Le vieil homme n’approuvait pas vraiment la décision de son fils et de sa belle fille même s’il comprenait leur engouement pour l’archéologie au point que lui-même y ait consacré une grande partie de sa vie avant de finir enfermé dans un musée...

« Grand-père», dit la jeune fille,« je veux rentrer.»

______________

Star Hill, Sanctuaire, Grèce

Comme l’avaient fait ses prédécesseurs bien avant lui, et comme le ferait sans aucun doute son successeur, le Grand Pope scrutait le ciel, tentant de voir dans l’activité des étoiles un signe que leur auraient envoyé les dieux.

Depuis quelques temps, l’une de ces étoiles qui habituellement avait une faible magnitude, brillait plus intensément que ses voisines...

Le Grand Pope porta la main à son visage retirant le masque d’or qui conservait son anonymat. Voilà quasiment un an qu’il était au service de la déesse. C’était elle même qui lui avait confié cette tâche avant de disparaître accompagnée de son chevalier le plus fidèle. Et jamais il ne s’était imaginé que cette tâche se révélerait aussi colossale. Mais il assumait ses responsabilités avec la sérénité et la patience qui lui étaient coutumières.

Peu de personnes au Sanctuaire connaissaient sa véritable identité mis à part ses quelques frères d’armes ; mais nombreux étaient ceux qui ignorait jusqu’à son nom, se contentant de le nommer par le titre qui lui échouait, et le masque d’or qu’il portait le rendait encore plus mystérieux.

Mais à ce moment là, loin du Sanctuaire et de son agitation, il pouvait se laisser aller. Il osa même ôter le masque qu’il portait laissant le vent caresser son visage et faire flotter sa longue chevelure dans l’air.

Il s’assit devant son plan de travail s’apprêtant à passer une longue nuit d’observation. Il posa délicatement les mains sur le télescope qui se trouvait face à lui et qui serait son unique compagnon durant sa nuit de solitude.

Au loin le soleil commençait à peine à se coucher laissant la place aux étoiles, et déjà l’une d’entre elle brillait, brillait intensément...

________________

Le lendemain dans la matinée

Sur une route rocailleuse, seule route menant à Rodario, l’un des quelques petits villages qui se trouvaient autour du Sanctuaire ; deux hommes marchaient d’un pas ferme et assuré, malgré la route accidenté et le soleil de plomb qui tapait déjà à cet heure de la journée.

L’un avait les cheveux aux reflets bleu nuit tandis que l’autre arborait une toison à la couleur plus qu’inhabituelle puisque sa chevelure était mauve.

Ils s’arrêtèrent un moment observant la barque qui les avait mené jusque là retourner vers le continent à la recherche d’autres personnes désireuses de rejoindre le domaine sacré.

« Dimitrios se fait vieux», commenta Mû qui observait encore le vieux passeur lourdement appuyé sur sa rame et qui contre tout attente parvenait malgré tout à manœuvrer sa rame.

« Bientôt on lui trouvera un remplaçant plus jeune mais tout aussi muet que lui», répondit Camus.

C’était la tradition au Sanctuaire : ceux qu’on appelait les passeurs, étaient au nombre de trois, ils faisaient la liaison avec le domaine sacré effectuant d’incessant allers-retours de jour comme de nuit, entre le continent et l’île sacrée ; et pour des raisons mystérieuses qui remontaient à l’Antiquité, tous les passeurs du Sanctuaire étaient muets. Sans doute avait-on jugé que c’était une condition nécessaire pour conserver le mystère qui entourait l’emplacement du Sanctuaire...

Les deux chevaliers arrivèrent enfin à Rodario...

Avec ses étals de marchands aux milles couleurs, ses bars, restaurants où l’on servait la cuisine locale et ses maisons aux toits en tuiles couleur turquoise, Rodario était un village coloré dont la vie quotidienne était particulièrement animée. C’était un mélange étrange mais pourtant harmonieux d’ancien et de nouveau, d’antique et de moderne... A Rodario on pouvait aussi bien croiser des personnes arborant toge et sandalettes que de jeunes gens portant jeans et basket... Rodario vivait comme le Sanctuaire, ils subissaient tous deux, malgré eux l’influence du monde extérieur. Et tout comme le domaine sacré, Rodario était une ville métissée où se croisaient des personnes de tous horizons, principalement des chevaliers ou futurs chevaliers mais aussi toutes sortes de personnes ayant des liens plus ou moins étroits avec le Sanctuaire...

Camus et Mu s’arrêtèrent à l’entrée d’une taverne y sentant des cosmos qui leur étaient familiers.

La taverne avait des allures de temple grec et sur le fronton, gravée dans la pierre une inscription donnait le nom de l’établissement : « le panthéon ».

Les deux chevaliers d’or y pénétrèrent et se dirigèrent aussitôt vers le fond de la salle, non sans avoir attiré les regards de quelques curieux qui s’y trouvaient.

Là dans une sorte d’alcôve à l’écart des autres clients, ils trouvèrent Milo en grande discussion avec son compère du signe du Taureau.

« Hé mais qui voilà, notre glaçon préféré et notre petit mouton, plaisanta le Saint du Scorpion tandis qu’Aldébaran démontait l’épaule du gardien de la première maison avec sa soit disant tape amicale. Milo et Aldébaran s’écartèrent, faisant ainsi de la place aux deux nouveaux venus.

Ils hélèrent le serveur et commandèrent leurs boissons que ce dernier s’empressa d’aller chercher. Il revint quelques instants plus tard déposant sur la table deux chopes de bières remplies jusqu’à ras bord.

Milo observa dépité Mu qui portait le récipient à ses lèvres :

« Je t’avoue qu’à chaque fois que je te vois consommer de l’alcool ça me démoralise... Si j’avais su que ça n’avait aucun effet sur toi, je n’aurais pas parié autant de fois contre toi... Il y a vraiment du bon à être muvien...

- Bof, pas tant que ça, on est beaucoup plus sensible à certaines choses que vous autres, quant à l’alcool, je n’ai jamais prétendu que ça ne me faisait rien... Mais j’avoue que parfois après quelques verres je ressens quelques légers picotements dans le bout des doigts.»

Milo secoua la tête puis se tourna vers son meilleur ami :

« Alors ?

- Rien de bien concluant pour l’instant, mais dès qu’un événement étrange se produira, le Sanctuaire en sera aussitôt informé...

- Encore des combats qui se profilent à l’horizon... Et moi qui pensais me trouver une petite femme adorable et couler des jours heureux à ses côtés tout en formant mon successeur...»

Aldébaran et Mu lui jetèrent des regards sceptiques puis éclatèrent de rire devant son air rêveur.

« Tu es beaucoup trop optimiste», lui rétorqua Camus d’un ton monocorde,« et aucune femme sensée ne voudrait de toi... A force de batifoler à gauche et à droite tu as finis par te construire une réputation de coureur de jupons...»

Milo fit mine de protester mais se ravisa bien vite en se rappelant une situation bien embarrassante dans laquelle Camus l’avait un jour découvert...

« Mais Milo n’a pas tout a fait tort... A chacune des batailles que nous avons livrées nous étions convaincus que ce serait la dernière, mais à chaque fois d’autres ennemis faisaient leur apparition... Et j’avoue que je commence à en ressentir une certaine lassitude…»

La tirade de Mu avait soudain plombé l’ambiance, et chacun se perdit dans ses souvenirs, se remémorant le passé...

_______________

Génésis fit un dernier signe de la main à son grand-père et se dirigea vers l’entrée du petit pavillon appartenant à ses parents et qu’elle partageait avec Merwinna, Sayuri et Shéhérazade.

Elle respira une grosse bouffée d’air frais avant de se mettre à la recherche de ses clefs dans son sac qui avait lui aussi «  miraculeusement »  survécu à l’accident et qu’une infirmière lui avait remis avant son départ...

Enfin elle allait pouvoir reprendre le cours de sa vie après avoir joué les cobayes...

Génésis se massa les tempes essayant de se débarrasser de la désagréable sensation qu’elle ressentait alors qu’elle se rappelait de l’hôpital...

Finalement elle renonça à trouver un jour ses clefs et pressa le bouton de la sonnette...

_______________

Merwinna avait entendu la sonnette retentir à plusieurs reprises... Mais elle n’avait pas le courage de quitter la douce chaleur de son bain, et de toute façon, quelqu’un s’en chargeait à sa place... En attendant elle se laissait gagner par la torpeur dans laquelle son bain la plongeait.

Elle se laissa couler dans sa baignoire, s’immergeant, la tête sous l’eau. Elle essaya de faire le vide dans sa tête et de se détendre sans y parvenir, Sans cesse des images apparaissaient sans qu’elle ne puisse les contrôler.

«Encore ces souvenir», pensa-t-elle.

Elle sortit finalement la tête de l’eau reprenant son souffle... Merwinna se décida finalement à sortir de son bain.

Au passage elle se saisit d’une serviette et commença à se frictionner en s’observant minutieusement dans l’une des grandes glaces accrochées aux murs.

«Mon côté narcissique...»

Ou peut-être quelque chose de typiquement féminin.

Elle emprisonna ses cheveux dans la serviette et se saisit d’une autre avec laquelle elle se couvrit. Au moment où elle allait sortir de la salle de bain ses yeux se posèrent une fois de plus sur son propre reflet ou plutôt une tache qui se trouvait sur son épaule.

Merwinna recula, s’approchant un peu du miroir :

«Qu’est-ce que c’est que ça ?!»

Ce n’était pas une tache qu’elle avait là, dessinée sur l’épaule droite mais un signe.

Fébrilement Merwinna dénoua la serviette, en mouilla le bord avec un peu d’eau et se mit à se frotter vigoureusement la peau se livrant ainsi à un exercice de souplesse que peu de personnes parvenaient à effectuer.

Elle frotta, frotta au point que sa peau la fit souffrir et devint rougeoyante... Et contrairement à ses espérances, les signes ne disparurent pas mais se mirent à luire étrangement d’un éclat doré sous les yeux éberlués de la jeune fille...

_______________

Génésis ne put s’empêcher de sourire lorsque Sayuri vint lui ouvrir la porte.

Elle la serra dans ses bras avant d’observer de plus près l’accoutrement qu’elle portait...

Armée d’un chiffon et d’un plumeau et vêtue d’un tablier Sayuri ressemblait à la parfaite femme de ménage...

« Tu astiques à cette heure-ci ?? Franchement ton envie de propreté frise l’obsession...

- Si tu n’étais pas restée aussi longtemps à l’hôpital je n’aurais pas eu à faire ta part de travail», puis le visage de Sayuri emprunta une expression un peu moins candide, «je suis contente que tu sois rentrée...

- Moi aussi...»

Génésis regarda un instant la jeune japonaise retourner à son ménage. Puis elle gagna sa chambre et referma la porte derrière elle s’y appuyant... De nouveau d’étranges images envahirent son esprit et elle éprouva des sensations qu’elle pensait avoir oublié : l’impression d’être oppressée de ne plus avoir d’air dans les poumons et de sentir le poids de l’eau sur ses épaules... Elle retrouvait les sensations qu’elle avait expérimentées des années auparavant lorsque pour la première fois on avait dit d’elle qu’elle était une miraculée...

_______________

Vivant...

Il était vivant...

Il était revenu à la vie passant de l’ombre à la lumière et même s’il n’appréciait pas vraiment toutes les sensations qui l’assaillaient ; comme cette lumière qui lui brûlait les yeux malgré les lunettes aux verres teintés qu’il portait ; il avait une folle envie de pousser un cri de joie... Mais il se contenta de crisper les mains sur la veste de cuire qu’il portait.

Il avait eu de la chance que le premier individu qu’il eut croisé après son réveil ait eu un certain goût en matière vestimentaire...

Le corps lacéré de ce dernier gisait à présent dans une sombre ruelle.

Il réajusta sa veste et passa la main à l’intérieur et caressa un objet dont il ne se séparait jamais. Il se mit en route et commença à marcher vers son nouveau but laissant son instinct le guider vers les quatre cosmos faibles et pourtant bien présents auxquels sa nouvelle destinée était liée... Ce serait son ultime sacrifice pour son dieu...

 

Fin du chapitre 02