Chapitre 2
« Messieurs, je suis désolé de vous
avoir fait attendre si longtemps mais les résultats d’analyse
ont mis du temps à nous parvenir.
- De quoi sont-ils atteints ? » Demanda Aiors, anxieux.
- Et bien… », le médecin croisa ses mains dans le
dos et le regarda dans les yeux « Nous ne savons pas vraiment.
Ca ressemble au virus de la grippe, les symptômes sont ceux de la grippe,
mais ce n’est pas la grippe, c’est beaucoup plus grave. Nous n’avons
pas de solutions adaptées à ce cas. Pour l’instant, nous
nous sommes employés à faire baisser la fièvre et à
réduire la toux.
- Comment vont-ils ? ». Saga, en retrait, avait pris le médecin
sous l’emprise de son regard. L’homme en blanc sembla brusquement
hypnotisé et, sans chercher de faux-fuyants, répondit de but
en blanc d’une voix monocorde :
« Les 2 garçons semblent stables ; ils s’en sortiront
car nous avons pu nous en charger suffisamment tôt. Par contre, la jeune
fille a plongé dans le coma et elle ne passera pas la journée.»
Un silence lourd tomba. Saga relâcha son étreinte
psychique et se détourna. Aiors demanda d’une voix altérée :
« Est il possible de les voir ?
- Oui, suivez-moi ».
Ils étaient silencieux tandis qu’ils suivaient
le médecin. Ou du moins, ils semblaient l’être.
« Cela confirme mon intuition… Il y a quelque chose de
pas normal. » La voix d’Aiors retentit dans l’esprit
de Saga.
- A priori… » Saga était dubitatif. « mais
comment cela a-t-il pu arriver ? Personne n’a pénétré
au Sanctuaire sans autorisation depuis des lustres. Et je ne vois pas comment
un virus inconnu aurait pu surgir de nulle part et affecter ainsi uniquement
le camp d’entraînement. C’est surréaliste !
- Oui, mais l’évidence est là, tu ne peux pas la nier.
- Je ne la nie pas ! Je dis simplement qu’il convient de prendre
la situation avec précaution. »
Ils pénétrèrent à la suite du médecin
dans une chambre plongée dans une semi-pénombre. Les 3 adolescents
étaient là, chacun relié à toutes sortes de cordons
et de tuyaux. Le seul bruit perceptible était celui des respirateurs.
Ils aperçurent Ethan qui leur tournait le dos, assis près du
lit d’Elena. S’approchant, ils l’entendirent murmurer, ou
plutôt psalmodier une série de mots sans suite : il priait.
Mal à l’aise, les deux hommes s’entre-regardèrent.
Chacun lut dans le regard de l’autre un abattement manifeste contre
lequel ils savaient ne pas pouvoir lutter.
Ethan, qui les avait entendu, se retourna. Son visage était couvert
de larmes mais ses yeux s’éclairèrent en apercevant Saga :
« Grand Pope ! J’avais peur que vous ne veniez pas !
Vous allez la sauver n’est-ce pas ? ». A ces mots, Saga
sursauta et recula d’un pas :
« Je….
- Vous êtes tellement puissant, » continua Ethan, « Vous
pouvez utiliser votre pouvoir pour la faire revenir, j’en suis sûr ! ».
Devant la confiance qui régnait dans les yeux et la voix du jeune garçon,
devant son sourire heureux et naïf, Saga se sentit chanceler. La panique
commença à l’envahir et il chercha mentalement le secours
d’Aiors. Ce dernier, gêné, détourna le regard mais
Saga avait eu le temps de se rendre compte que son compagnon était
aussi abattu que lui et qu’il n’y avait aucune aide à rechercher
de ce côté.
Raffermissant sa voix, il s’approcha d’Ethan et posant sa main
sur son épaule il lui dit doucement :
« Ethan, ton amie est très gravement malade. Personne ne
peut plus rien pour elle maintenant et moi, pas plus que les médecins. ».
Le jeune homme se rembrunit et il s’exclama :
« Vous m’en voulez toujours pour cette nuit ? Je ne
voulais pas vous manquer de respect, je vous assure ! Si vous voulez,
je serai prêt à accepter tous les punitions que vous m’infligerez,
même les plus dures mais, s’il vous plaît, sauvez-la !
- Tu ne comprends pas… Peu m’importe ton attitude. Si je pouvais
la sauver, je le ferai sans hésiter une seconde, mais malheureusement,
je n’en ai pas le pouvoir.
- Vous mentez ! ! Je suis sûr que vous mentez ! Vous
êtes l’homme le plus puissant du Sanctuaire, vous pouvez le faire ! ».
Ethan s’était levé d’un bond, repoussant la main
du Pope. Il le fixait d’un air furieux :
« Vous n’avez pas le droit de la laisser mourir ! pas
comme ça ! ». Saga le regardait, effaré, et
il sentait la fureur d’Ethan tout autour de lui. Il leva la main, en
un geste d’apaisement.
« Ethan… je suis le Grand Pope, c’est vrai, mais je
ne suis pas un dieu. Je n’ai pas le pouvoir de commander à la
Mort, ni au destin. S’il est écrit qu’elle doit mourir
aujourd’hui, personne n’y peut rien, ni toi, ni moi, ne qui que
ce soit d’autre. »
Ethan se redressa. Il détourna les yeux de Saga pour regarder Elena.
Lui adressant un adieu muet, il passa fièrement devant les deux hommes
et la main sur la porte de la chambre, il dit à voix haute :
« Grand Pope… Vous êtes puissant et ça, tout
le monde le sait. Mais « tout le monde » dit aussi que
vous êtes quelqu’un de cruel et de méchant, et que vous
êtes dénué de tout sentiment. Aujourd’hui, je sais,
moi aussi, que c’est vrai. ». Il sortit.
Le silence qui suivit était semblable à un puits
sans fond. Tels des statues, Aiors et Saga étaient debout, devant le
lit d’Elena, mourante. Petit à petit, le respirateur ralentit
sa cadence, puis finit par s’arrêter. Le médecin s’approcha
du lit, débrancha les appareils et tirant le drap sur le visage de
la jeune fille, annonça d’une voix morne :
« C’est terminé ».
Aiors, la gorge serrée, prit le bras de Saga :
« Nous n’avons plus rien à faire ici, partons ».
Il vit alors le visage du Pope. Les yeux écarquillés, il fixait
le drap. Ses traits étaient figés. Puis, tout doucement, une
unique larme coula le long de sa joue, de son menton, pour aller se perdre
dans son cou. Fasciné, Aiors fixa cette larme de longues secondes ;
il se secoua lorsque Saga porta une main tremblante à son visage, et
il l‘entraîna avec lui.
Aiors avait l’impression de tirer un zombie à sa
suite. Arrivé à l’accueil de l’hôpital, il
le lâcha et se plantant devant lui, il le secoua :
« Saga ! Saga ! Tu m’entends ? ! »
Pas de réaction. Aiors hésita, puis le guida vers un siège.
« Ecoute-moi : je dois m’occuper des formalités
et de faire venir des médecins pour la dizaine d’autres malades.
Je n’en ai que pour quelques minutes. Je veux que tu m’attendes
ici, compris ? ». Le regard de Saga restait désespérément
vide. Aiors s’éloigna de quelques pas et finit par marcher rapidement
vers les bureaux.
« Je ne l’ai jamais vu dans cet état… Il
est complètement choqué ! Mon Dieu… Je crois que
je ne l’avais pas vu pleurer depuis…la mort de ses parents, il
y a 20 ans ! Cet homme… est ce que je suis en train de retrouver
le Saga de mon enfance ? ».
Un quart d’heure plus tard, il le retrouva exactement à la même place. Le traînant toujours derrière lui, il s’engouffra dans un taxi, en direction du port de plaisance. Le passeur les y attendait.
Il faisait quasiment nuit. Ils étaient partis au petit matin et rentraient au crépuscule. Aiors et Saga étaient sur le pont et fixaient au loin le banc de brume artificielle qui flottait à la surface de la mer et qui entourait et protégeait le Sanctuaire. Ils allaient bientôt s’y engouffrer et seul le passeur était apte de les mener de l’autre côté, sans les perdre. Même eux seraient incapables de se diriger dans ce brouillard.
Aiors sursauta lors qu’il entendit la voix de Saga dans
son dos, légèrement étouffée par l’humidité :
« Aiors… même si tu ne me crois pas, je voulais te
dire que j’était désolé.
- Désolé pour quoi ?
- Pour ton frère… et pour Marine. ». Il ne se retourna
pas tout de suite mais serra le poing. Puis il comprit. Lorsqu’il voulut
parler, il ne vit qu’une silhouette indistincte et floutée par
le brouillard, de l’autre côté du pont. Il ne put s’empêcher
de sourire ; la dureté de Saga avait beau s’émousser,
les vieilles habitudes avaient la vie dure ; ses excuses étaient
toujours suivies d’une fuite immédiate. « Bah,
c’est déjà un bon début… et je te crois,
Saga ».
La nuit était complètement tombée lorsqu’ils accostèrent.
Saga s’était de nouveau enveloppé dans son manteau noir
et son visage disparaissait dans les plis de l’étoffe. Aiors
hésita un instant sur la berge.
« Tu devrais aller te reposer » dit-il enfin, devant
le silence du Pope « Je me charge d’organiser l’arrivée
de l’équipe médicale. Je pense que tout devrait bien se
dérouler maintenant, l’état des malades étant bien
moins avancé que ceux des 3 autres. Je te préviendrai s’il
se passe quoi que ce soit ».
Saga acquiesça sans un mot puis, tournant les talons, il commença
à gravir le chemin menant au palais. Aiors, en le regardant s’éloigner,
ne put s’empêcher de ressentir une profonde compassion.
« Il a l’air si seul… C’est vrai qu’il
l’a sans aucun doute mérité mais aujourd’hui… ».
Aiors se rendit compte qu’il éprouvait un nouveau sentiment de
respect pour le Pope. Les années avaient passé et il n’avait
jamais cherché à savoir si Saga était enfin guéri
de ses démons ; par contre, il ne pouvait nier que sa gestion
du Sanctuaire était exemplaire à tous points de vue.
Le Pope portait sur ses seules épaules la responsabilité de
plusieurs centaines de chevaliers de tout poil dispersés aux 4 vents,
du plus important centre d’entraînement de la planète,
sans compter l’administration financière du Sanctuaire. Il devait
de plus coordonner ses actions avec Hilda de Polaris et rendre compte de tout
cela à Rachel.
« C’est vrai, il remplit parfaitement
son rôle… il a finalement obtenu ce qu’il voulait mais à
quel prix !… Certains d’entre nous le détestent et
quant aux autres, s’ils respectent le protocole, ils sont complètement
indifférents à son sort. Il n’a pas d’ami, plus
de famille, la seule femme qu’il a jamais aimée a vu son destin
basculer et vit avec un autre… Je le plains, sincèrement. ».
Aiors eut un soupir et tout en se dirigeant vers sa résidence, il se
dit que chacun devait assumer son lot de souffrances. Il avait son propre
fardeau mais l’homme qu’il considérait encore quelques
heures auparavant comme son pire ennemi avait également une croix à
porter, aussi lourde soit-elle.
Saga n’alluma pas et jeta son manteau au sol. Un verre de whisky dans
une main et une cigarette dans l’autre, il se laissa tomber dans le
fauteuil devant la fenêtre. Il laissa errer son regard au-dessus du
domaine, éclairé par la lueur de la Lune : tout paraissait
calme et tranquille.
Il ne put s’empêcher de rire. Un rire discordant, faux, presque
tragique. Il riait de lui-même. Il murmura :
« J’ai fait du bon travail malgré tout… Mais
j’ai terminé. Plus que quelques mois et tout sera fini. J’ai
tellement hâte… » il leva son verre à l’attention
d’un hôte imaginaire « Aiors… je te confie la
maison, à toi et aux autres. Je te fais confiance, je sais que tu ne
me décevras pas. Shaka ou peut être même Aioros pourront-ils
me remplacer… Ah, quelle ironie ! ».
Il termina son verre, jeta sa cigarette par la fenêtre
ouverte puis, fouillant dans un tiroir, il en tira un tube de Lexomil. Bien
qu’insomniaque, il en prenait rarement ; seuls les moments où
il avait vraiment besoin de se réfugier dans le sommeil, comme ce soir-là,
le poussait à utiliser ces cachets.
Nu, il se glissa entre les draps et sombra à peine quelques minutes
plus tard.
« Tout le monde dit que vous être cruel….
Que vous n’avez pas de cœur…
Tu es un monstre !…
Sauvez-la, je vous en supplie ! !
Ta présence ici n’est qu’une obscénité…
Tu as exilé ton propre frère ! Tu as assassiné
Shion !»
Couvert de sueur, il se redressa d’un coup dans son lit.
Haletant, il passa ses mains sur son visage et dans ses cheveux. « Non !
Non… c’est un rêve… ». Il ramena les
draps sur lui et se rallongea. Peu à peu, les battements de son cœur
reprirent un rythme normal et il put enfin réfléchir. Dans son
esprit, tous les événements de la journée s’étaient
mélangés. Il revit le visage d’Ethan, l’incompréhension
et la colère dans son regard. « Je ne pouvais rien faire
d’autre… ». Quant aux propos d’Aiors…
Le mal qu’il avait fait autour de lui, il le payait quasiment toutes
les nuits, dans ses cauchemars. C’était d’ailleurs la cause
majeure de ses insomnies : ne plus dormir était le meilleur moyen
d’y échapper.
Aiors… C’était un type bien. Il ne regrettait pas sa décision
de lui avoir délégué la direction du centre d’entraînement.
Depuis qu’il s’en occupait, il n’y avait pas eu une seule
défection. S’il avait eu un ami, il aurait aimé qu’il
lui ressemble. Malheureusement, il s’était tellement acharné
sur ses proches…
Il se tourna en fermant les yeux. Il avait vraiment besoin de dormir à
présent.