Chapitre 4

 

Quelques semaines plus tard…

C’était la troisième fois que son portable sonnait en quelques minutes et Aiors se mit à cavaler dans les escaliers pour tâcher d’intercepter enfin l’appel. Essoufflé, il répondit :
« Oui ! !… Allo ! ?
- Je te dérange ?
- Non ! Non… j’étais un peu trop loin, c’est tout, » Il venait de reconnaître la voix de Saga, « Qu’est ce qui se passe ?
- Oh, rien de spécial, c’est juste que je me trouve actuellement au Kennedy Airport et que je me demandais si par hasard, il te serait possible de venir me récupérer !
- Mais… ? Qu’est ce que tu fais à New-York ? !
- Tu n’as qu’à venir me chercher, je t’expliquerai. » Aiors n’avait même pas encore ouvert la bouche pour répondre que Saga avait déjà raccroché. Un instant, il fixa stupidement son téléphone, au cas où celui-ci lui fournirait une réponse à ses questions puis, redescendant à la volée l’escalier, il lança au passage :
« Jane ! Je file à l’aéroport ! ». Une voix lui parvint de l’autre bout de l’appartement :
- Qui c’était ?
- Saga ! Je vais le chercher… » Une tête blonde platine surgit de la porte du fond et Jane, tout en fronçant les sourcils demanda à Aiors :
- Mais enfin… Je ne comprends pas ! Je croyais que vous ne pouviez pas vous sentir ! ». Aiors, la main sur la poignée de la porte d’entrée, eut un soupir, chercha une phrase courte susceptible de résumer la situation, n’en trouva pas et finit par répondre « Je t’expliquerai… » et il s’esquiva. Jane resta plantée au milieu du salon et tout en levant les yeux au ciel, elle s’exclama : « Et maintenant ? Je suppose qu’il va dormir ici ! Qu’est ce que je prévois, moi, ce soir ? ! »


Dans le taxi qui les ramenait vers Manhattan, Saga racontait les circonstances de sa présence dans la Grande Pomme :
«… Par la suite, j’ai eu une longue discussion avec Dokhô ; Il a toujours été très sensible aux changements, même les plus imperceptibles. Pour lui, ça ne fait aucun doute : quelque chose est en train de se préparer et a priori… nous devons nous attendre à dire adieu à notre tranquillité. » Aiors gémit :
- Oh, non, juste au moment où je me voyais enfin jeune retraité !… » Saga eut un léger sourire :
- Tu as raison, plaisantons tant qu’il en est encore temps… Toujours est-il que j’ai demandé une réunion du Conseil de Sécurité et que j’ai rendez-vous au siège de l’ONU demain après-midi.
- Quoi ? Tu peux faire ça ? ! ». Aiors était abasourdi ; il n’aurait jamais imaginé que le Grand Pope puisse traiter ainsi directement avec les 5 plus grandes puissances de la planète.
- … Et encore, tu n’as pas la moindre idée de la valeur que nous avons à leurs yeux, » ironisa Saga qui avait surpris les pensées du Lion, « Je crois que s’ils pouvaient nous mettre sous cloche de verre et ainsi nous surveiller 24h/24 et nous utiliser à leur guise, ils le feraient…
- Mais notre mission ici ne les concerne pas directement, que je sache !
- Détrompe-toi. L’équilibre du monde repose sur un savant dosage entre le bien et le mal, ainsi que tu le sais. Tous les gens de notre espèce en général et ceux du Sanctuaire en particulier sont ici pour maintenir ce délicat équilibre mais, d’une simple pichenette, nous somme également susceptibles de le faire basculer. Et ils le savent. C’est pourquoi ils nous bichonnent, ils nous dorlotent et surtout, ils sont prêts à faire n’importe quoi pour nous, tant ils ont peur… Donc, si je leur demande de se réunir, ils paniquent… et obéissent ! ». Un sourire fugace de satisfaction teintée de mépris passa sur ses lèvres.
- Je ne le savais pas… Mais que vas-tu leur dire ?
- Oh, j’attends surtout de voir ce que, eux vont me dire ! Ils possèdent aussi une certaine forme de puissance et il ne faut pas la négliger. Ils ont des yeux et des oreilles partout. S’il se passe réellement quelque chose, je le saurai. »

En arrivant au centre-ville, Saga demanda à Aiors de le déposer devant un hôtel. Ce dernier se récria :
« C’est hors de question ! Tu viens à la maison !
- C’est gentil, mais je ne veux pas vous déranger toi et… Jane, c’est ça ?
- Mais tu ne nous dérangeras pas le moins du monde, et puis… ça me fait plaisir. J’insiste, vraiment.
- Bon, dans ce cas… »


Saga rencontra Jane pour la première fois. Aiors et elle vivaient ensemble depuis 3 ans environ, mais Aiors ne l’avait jamais emmenée au Sanctuaire, bien qu’elle fut parfaitement au courant de la nature particulière du statut de son compagnon. Il en avait cependant beaucoup entendu parler, par Rachel. Il savait qu’elle avait 2 sœurs et que le trio détenait un secret militaire par leur père, qui avait fait tatouer la solution de l’énigme sur le dos de chacune de ses filles, ce qui les obligeait à vivre constamment séparées les unes des autres. Drôle d’histoire, quand même…
Discrètement, il la détailla. C’était une femme magnifique : Grande, un visage d’ange, des cheveux si blonds qu’ils en étaient presque blancs tombant sur les reins, un corps de déesse et un regard vert qui vous transperçait de part en part… Sacré Aiors, il n’était pas tombé sur n’importe qui !
« Ainsi c’est vous ! J’ai beaucoup entendu parler de Saga, le Grand Pope, Maître absolu du Sanctuaire, cependant,… maître contestable à ce que l’on m’a dit… » Elle le regarda avec curiosité et effronterie, en attendant sa réponse.
- Enfin, Jane ! Qu’est ce qui te prends ? » Aiors lui fit les gros yeux tandis qu’il rougissait jusqu’à la racine des cheveux.
« Et toc ! Et bien, en voilà une qui n’a pas froid aux yeux ! » Saga eut un sourire amusé et s’inclina profondément devant elle :
« Pour vous servir… Contestable sans aucun doute, mais Maître avant tout, et c’est ce qui compte. » Termina-t-il en vrillant ses yeux dans les siens. Elle eut un recul, mal à l’aise devant la force qu’il dégagea brusquement.


Un peu plus tard, il posait son sac dans la chambre d’ami du couple. Voyant Jane sur le pas de la porte, il lui dit doucement:
« J’espère ne pas vous avoir heurtée tout à l’heure, … » Elle balaya la remarque d’un geste :
«Ne vous inquiétez pas, j’étais seulement surprise de vous voir. Je pensais qu’Aiors et vous…
- C’est vrai mais les choses ont changé. Vous devriez lui demander de vous expliquer.
- Oui, c’est ce qu’il me dit sans cesse, qu’il va « m’expliquer » et j’attends toujours ! » Répondit-elle en riant. Saga se joignit à son hilarité :
- Aiors est un homme pressé. Il est parfois très difficile à suivre ! »
Ils passèrent une soirée agréable tous les 3 autour d’un dîner. Saga apprit ainsi la profession de Jane qui, ancien tireur d’élite pour le compte du gouvernement américain, avait démissionné pour se consacrer à l’enseignement de ses techniques aux futurs agents de la CIA. Il se rendit compte qu’en plus d’être une femme superbe, elle était particulièrement intelligente. Il se prit à être heureux pour Aiors, qui avait terriblement souffert à la mort de Marine. Il avait bien mérité sa seconde chance…


Il était 3 heures du matin quand Jane, aux prises avec une soif intense consécutive à la quantité non négligeable de vin ingurgitée au cours du repas, quitta son lit avec précaution pour ne pas réveiller Aiors. A pas feutrés, elle s’orienta dans la pénombre vers la porte du salon, qu’elle devait traverser. Elle l’ouvrit en silence et sursauta tout en étouffant un cri ; Saga était là, en train de lire, installé dans un fauteuil, une lampe allumée à ses côtés.
« Tu m’as fait une de ces peurs !… », souffla-t-elle, le cœur battant. Il releva la tête, tout aussi surpris :
- Oh !… Je suis désolé… J’espère que je ne vous ai pas réveillés ! » Elle eut un geste de dénégation et demanda, curieuse :
- Tu sais qu’il est 3 heures du matin ?
- Oui mais je suis insomniaque. A vrai dire, j’ai fini ma nuit ! » Il rit, « Alors, j’en profite généralement pour lire, chose que je n’ai jamais le temps de faire au cours de la journée. D’ailleurs, c’est un peu pour ça que j’avais refusé l’invitation d’Aiors dans un premier temps ; je sais que je n’ai malheureusement pas le même rythme de vie que les gens « normaux » et ça peut être gênant… Comme maintenant !
- Ca ne me gêne pas du tout. J’allais simplement me chercher un verre d’eau. »
Elle se servit au robinet puis, revenant vers Saga, elle se pencha en désignant le paquet de cigarettes :
« Je peux ?
- Bien sûr. » Il le lui tendit, lui alluma sa cigarette et en profita pour en allumer une pour lui. Elle s’installa par devers lui et l’observant quelques instants, elle parla :
« Je suis contente de te connaître, Saga mais tu es un homme étrange.
- Dans quel sens ?
- J’ai entendu tellement de mauvaises choses sur ton compte, que j’en venais à me demander à quel genre de monstre tu pouvais bien ressembler…
- Je me doute bien qu’Aiors ne m’a pas épargné… c’est d’ailleurs ce terme, « monstre », qu’il m’a jeté à la figure, il y a quelques semaines ». Il avait souri en disant ces mots, « Et il n’a pas tort. »
- Je ne comprends pas…
- Je crois qu’il n’y a pas grand-chose à comprendre. J’ai fait beaucoup de mal autour de moi pendant un temps et certains ont d’excellentes raisons de m’en vouloir, comme Aiors par exemple. Mais les années ont passé, et je me suis assagi. Aiors aussi a vieilli. Il est devenu plus indulgent ! Non, je plaisante ; simplement, lui et moi, comment dire… avons décidé de laisser le passé derrière nous.
- Ce soir, il m’a dit que tu étais redevenu son ami. » Saga fut surpris d’entendre ces mots ; il ne savait quoi répondre.
« Tu as l’air étonné…
- Connaissant le sens de ce mot pour Aiors, oui, ça m’étonne.
- Moi non. » Elle se leva tout en écrasant sa cigarette, « Tu as l’air d’un type bien, Saga Antinaïkos. Je comprends maintenant pourquoi Rachel n’a jamais cessé de te défendre bec et ongles, contre le reste du monde !
- Rachel ? » Il leva la tête vers Jane, « Qu’est ce tu veux dire ?
- Simplement que je crois que Rachel se trompe de route depuis 2 ans ! » Lança-t-elle, énigmatique, en s’éloignant vers sa chambre.

Resté seul, il fixa un long moment les lumières de la ville derrière les baies vitrées. Rachel… Il eut un soupir. Cela faisait combien de temps ? 3 mois, 6 mois, qu’il ne l’avait pas revue ? Ô Dieux, comme elle lui manquait ! Il l’avait toujours aimée, depuis qu’ils étaient gamins. Ils avaient été élevés ensemble, avec Kanon, Aiors, Aioros, Jeanie et quelques autres. Leurs parents respectifs se partageaient la direction du Sanctuaire, à une époque où le monde connaissait une paix relative et où les gens avaient décidé de s’amuser plutôt que de faire la guerre. C’était une époque bénie. On les laissait faire tout ce qu’ils voulaient, ils jouissaient d’une liberté totale. En grandissant, ils avaient découvert tous ensemble les premiers flirts, les premières amours, les premières désillusions. Mais Rachel et lui avaient toujours conservé un lien affectif très fort et ils auraient normalement du être unis par leurs parents, du fait de sa charge à elle, et de sa puissance à lui. Et puis, le destin s’en était mêlé, le Dragon était arrivé et plus rien n’avait été pareil. Elle était partie, loin, et ne reparaissait que de temps à autre, en fonction des exigences de sa charge, toujours amicale mais distante… Jusqu’à ce jour où, de nombreuses années plus tard, elle était venue se réfugier chez elle, au Sanctuaire, en proie à une souffrance sans fond, le corps et le cœur au-delà de la mort elle-même. Il serra le poing à ce souvenir. Elle était restée là pendant 2 ans, et au début, il l’avait contemplée, impuissant, en train de se laisser mourir, sans voir ni parler à quiconque. Il avait alors décidé de tout faire pour la sortir de là et peu à peu, leur lien s’était retissé, toujours plus solide, toujours plus fort. Seulement, elle avait décidé de repartir. Il aurait pu lui demander de rester, la supplier, mais il n’avait rien fait de tout cela. Sa fichue fierté. Et maintenant, c’était à son tour. C’était lui qui s’enfonçait, mais cette fois il n’y avait personne pour l’aider. Seul il avait été, seul il crèverait. Il le savait. La verrait-il seulement, avant ? Il se prit à maudire son destin, qui l’avait fait s’élever mais qui l’avait privé de tout ce qui lui était le plus cher au monde, son frère et elle, Rachel. Rageusement, il essuya les larmes qui perlaient au bord de ses cils. Ca ne servait plus à rien de pleurer aujourd’hui.
Plus tôt ce serait terminé, mieux ce serait. Il se prit à se demander ce que Shaka lui dirait en ce moment. Sans doute qu’il ne fallait pas avoir peur de la mort, puisqu’elle n’était qu’une étape de plus vers une future renaissance. Saga n’avait jamais été attiré par le bouddhisme et cette pensée le fit sourire ; cependant, il se sentit peu à peu apaisé et, sentant ses yeux se fermer, il regagna son lit, pour les quelques heures de nuit qui restaient.


« Debout là-dedans ! ! » Les rideaux s’ouvrirent brutalement et aveuglé par la lumière, Saga se tourna vers le mur en maugréant :
- Aiors… mais qu’est ce qui te prends… Et puis, quelle heure est-il ?
- Ben quoi ? Il est 7h et ce n’est pas parce qu’on est à New-York qu’on ne fait pas son footing du matin ! Et je profite que tu sois là pour ne pas aller courir tout seul… Allez, habille-toi, je t’attends en bas. », et Aiors sortit en coup de vent.
Saga se laissa rouler sur le dos tout en regardant le plafond. Il se passa les mains sur le visage puis dans les cheveux et se redressa : « Bon, puisqu’il le faut… ». Il s’habilla, passa en cuisine pour avaler un verre de jus d’orange et rejoignit Aiors :
« Jane n’est pas là ?
- Non, elle se lève vers 5 heures, elle commence très tôt. ».

La résidence d’Aiors n’était qu’à quelques pas de Central Park. Tous les matins, il venait courir ici pendant 2 heures, le parc étant suffisamment grand pour être tranquille.
Ils partirent ensemble en petites foulées. Bien entendu, la petite foulée d’hommes comme Aiors et Saga n’étaient pas loin de l’équivalent du sprint pour les simples mortels et ils eurent tôt fait de dépasser les joggers qui avaient eu la même idée qu’eux au même moment. Tout en courant, ils discutaient.
Au bout d’une heure, ils avaient achevé leur premier tour du parc et entamaient le second. Tout en fixant le chemin devant lui, Aiors demanda :
« Et toi, Saga ? Comment se fait-il que… », il se tourna vers la droite pour regarder son compagnon… qu’il ne vit pas. Il s’arrêta net et se retourna. Saga était assez loin derrière, appuyé contre un arbre. Inquiet, Aiors fit demi-tour et arriva à sa hauteur :
- Et bien ! Qu’est ce qui t’arrive ? » Saga avait les yeux fermés et il fut alors frappé par son teint terreux et ses difficultés pour respirer. Aiors le prit par l’épaule :
« Eh ! Saga ! Ca ne va pas ? Qu’est ce qui se passe ? ». Le Pope se rejeta en arrière tout en ouvrant la bouche. Il avala goulûment une bouffée d’air pour reprendre finalement un rythme de respiration normal. Il ouvrit les yeux ; ils étaient injectés de sang. Avec douceur, il repoussa la main de son ami. Ce dernier recula d’un pas :
« Ca va mieux ? Tu peux marcher ?
- Oui, oui, ça va.
- Ca n’a pas l’air…
- Mais si… ce doit être parce que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, et que je n’ai encore rien mangé. Mais ça va beaucoup mieux maintenant.
- Tu te fiches de moi ? ». Saga se décolla de l’arbre et partit en trottinant : « Mais non ! Regarde, je repars… Allez, viens ! ». Avec un air de doute, Aiors le regardait s’éloigner. « Il est réellement en train de se foutre de moi… Ca, ça ne ressemble pas une crise d’hypoglycémie. Il me cache quelque chose, mais quoi ? ». Il finit par le rejoindre.
A une centaine de mètres de la fin du second tour, Saga se tourna vers Aiors :
« On termine au sprint ?
- Tu es sûr ? » Saga haussa les épaules. Aiors finit par acquiescer, ils se mirent en position et partirent dans le même temps. Ce fut Saga qui termina devant, à un cheveu de son compagnon. Il souriait et tout trace de fatigue avait disparu. Cependant, Aiors n’était pas dupe ; un homme comme Saga avait une faculté de récupération phénoménale et ce retour à la normale n’était pas étonnant en soi. Non, ce qui l’inquiétait, c’était cet accès brutal de fatigue, qu’il n’aurait jamais eu, même en ayant mal dormi et sans avoir mangé. Il se promit de tirer ça au clair, mais Saga ne lui en laissant pas le temps. Tandis qu’ils rentraient, il lui dit :
« J’aimerais que tu m’accompagnes, cet après-midi.
- Pourquoi ?
- Je veux que tu m’assistes. Ils doivent comprendre que le Sanctuaire ne se réduit pas à une seule personne et il vaut mieux que nous soyons deux à être informés.
- Tu sais, moi, les bla-bla et autres manœuvres entre politiques, ce n’est pas vraiment mon truc… Tu es plus doué que moi à ce petit jeu.
- Contente-toi d’écouter et d’observer. Ce sera très… instructif. »
Aiors sentit qu’il ne servait à rien de discuter et que la demande de Saga s’apparentait à un ordre. Il hocha la tête, en signe d’accord.


Aiors n’était jamais entré dans les locaux de l’ONU et il fut impressionné par l’immensité de la bâtisse. Il ressentait par tous les pores de sa peau les vibrations du passé, des grandes décisions qui s’étaient prises en ces lieux. Il suivait Saga qui, pour sa part, semblait particulièrement à son aise. Ils présentèrent leurs papiers d’identité au planton de service qui les introduisit dans le secteur de haute sécurité. Là, on les pria d’attendre.
Une trentaine de minutes plus tard, ils pénétrèrent dans la salle du Conseil de Sécurité. Plusieurs personnes étaient déjà présentes. Vraisemblablement, il s’agissait de militaires, européens, américains, russes et chinois. Saga en salua quelques uns et il prit place, Aiors à ses côtés, qu’il présenta à l’assemblée. Le militaire américain prit la parole :
« M. Antinaïkos, c’est vous qui êtes à l’origine de cette réunion, alors je vous laisse commencer.
- Je vous remercie. » Saga se leva et commença à parler.

Fasciné, Aiors le regarda à l’œuvre. Le Grand Pope choisissait soigneusement ses mots et parlait lentement, tout en les fixant droit dans les yeux, les uns après les autres. Il ne disait que le strict nécessaire, sans jamais leur laisser la moindre ouverture subjective. En contemplant l’assemblée, Aiors se rendit également compte que chacun l’écoutait religieusement, et il comprit ce que Saga voulait dire lorsque il affirmait que ces gens avaient peur. Il exposa les motifs qui l’avaient conduit à organiser cette réunion, en faisant part des derniers événements, et de ses doutes quant à la possible occurrence d’un danger.
Par la suite, il demanda à l’assistance si elle avait connaissance de faits susceptibles d’étayer ses dires, puis se rassit. Croisant les doigts sur la table devant lui, il attendit.

Seuls les américains et les anglais eurent des réponses à fournir, documents à l’appui. Les anglais indiquèrent que leurs alliés australiens leur avaient fait part d’un phénomène astronomique particulier, avec la survenue, quelques semaines plus tôt, d’une pluie d’étoiles filantes, dans l’hémisphère Sud. La particularité du phénomène tenait à la taille anormale de ces étoiles et à la leur fréquence de survenue, très régulière. Les anglais étaient pour l’heure en train de calculer la trajectoire de ces « étoiles » sur la base des données enregistrées.
Les américains, pour leur part, signalèrent une modification anormale du champ électromagnétique terrestre en un point précis des Rocheuses, fait découvert totalement par hasard par un avion de ligne survolant la zone. Depuis, l’armée américaine aménageait une base souterraine à proximité du site. Les premières observations de terrain n’avaient cependant pas été concluantes et il était trop tôt pour se prononcer.
A l’issue des exposés, qui avaient duré près d’une heure, Saga resta songeur quelques minutes puis demanda aux 2 pays concernés de bien vouloir continuer leurs analyses et enquêtes. Il indiqua que le Sanctuaire s’emploierait à leur envoyer des personnes qualifiées pour les aider dans leur tâche et ferait sa propre part de recherche. Il termina en disant :
« Dans tous les cas, je vous demande bien vouloir prévenir le Sanctuaire dans les plus brefs délais. Je suis votre interlocuteur prioritaire ainsi que vous le savez, cependant je vous informe que vous devrez également rendre vos comptes aux personnes suivantes : Aiors Xérakis ici présent et son frère Aioros, mais aussi Mü de Jamir ainsi que Shaka Alkasara et Hilda de Polaris. Vous pourrez vous appuyer sur eux en toute confiance. ». Il se leva de nouveau et Aiors l’imita ; s’inclinant devant l’assemblée, ils prirent congé.

Tout en suivant Le Pope dans les dédales du bâtiment, Aiors ne savait plus quoi penser. Jamais, au grand jamais, Saga n’avait délégué le moindre de ses pouvoirs. Il gérait tout, tout seul, et ne demandait jamais l’aide de quiconque, ou très exceptionnellement de Shaka et de Mü. Qu’est ce qu’il lui prenait tout à coup ? Et puis surtout, pourquoi lui ? Il n’avait que faire de ce genre de responsabilités ! Le Lion sentit l’énervement le gagner et il rattrapa Saga :
« Tu me dois une explication !
- Attends que nous soyons sortis d’ici. »

Installés devant un café, Saga alluma son énième cigarette de la journée et tout regardant Aiors dans les yeux, il expliqua :
« Aiors… Je sais ce que tu penses, mais je n’ai plus le choix. Le Sanctuaire s’affaiblit de jour en jour, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Nous ne sommes plus assez nombreux et je dois répartir les tâches. Je suis persuadé que quelque chose va se produire, même si je ne sais pas quoi. Malheureusement, je dois assumer non seulement la tâche de Pope, qui est de gérer le Sanctuaire, mais aussi celle des Gémeaux, qui est de combattre et de défendre. Dans le cas où une guerre se déclenche, je ne dois pas être le seul à prendre les décisions, ou on court au désastre.
- Mais je ne veux pas de cette tâche !
- Et pourquoi ça ?
- Je suis un combattant, pas un politique. Je n’en ai pas les compétences, et tu le sais aussi bien que moi !
- Tu te sous-estimes, Aiors. Pourquoi crois-tu que je t’ai confié la direction du centre d’entraînement ? Pour tes muscles ? C’était un test, et tu t’en tires parfaitement bien. Je sais que tu es capable de prendre les décisions qui s’imposent, si la situation l’exige.
- Il y a une sacrée différence entre gérer de jeunes adolescents en phase d’apprentissage et prendre la responsabilité de chevaliers aguerris !
- Tu crois que je ne le sais pas ? Mais tu ne seras pas seul, tu l’as entendu.
- Mais enfin, Saga ! Ca fait des années que nous fonctionnons ainsi, et même si nos effectifs se réduisent, je ne comprends décidément pas l’utilité d’un tel changement !
- S’il te plaît, Aiors, cessons cette discussion. C’est la décision que j’ai prise, et il n’y a pas à revenir dessus.
- Mais… » Il stoppa net. Fugitivement, un éclair rouge venait de luire dans les yeux de Saga et Aiors ne savait que trop bien ce que ça signifiait. Un Saga en colère est un homme non maîtrisable, même par le Lion. « Ca fait trop de choses, trop de changements d’un coup… Qu’est ce qu’il cache ? Ce n’est pas normal… » Aiors ne cessait de se poser des questions pendant que le taxi les ramenait au centre ville. Saga n’avait plus soufflé mot depuis qu’ils avaient quitté le café. Aiors savait qu’il n’était plus en colère contre lui mais il aurait donné cher pour savoir ce qui se passait dans son cerveau. Discrètement, il tenta un sondage mental et se heurta à un mur impénétrable. Quand Saga décidait de se couper du monde, il ne faisait pas semblant.
Il était près de 18 heures lorsque le taxi se gara devant l’immeuble. Saga parla :
« Aiors, ne m’attendez pas ce soir, j’ai un truc à faire. Je rentrerai vers 22 heures.
- Dans ce cas… », il farfouilla dans son trousseau de clés, « tiens, prends le double, ça te servira ! ». Ils se sourirent et Aiors regarda le taxi emporter le Pope.


Le lendemain, après leur footing, qui se déroula tout à fait normalement, Aiors proposa à Saga de l’emmener à l’école qu’il dirigeait, le mercredi étant le jour où il devait assumer son cours :
« Comme ça, tu verras comment ça se passe ! ».

Saga pénétra avec curiosité dans le dojo ; celui-ci était entièrement recouvert de parquet et de tapis de sol, et jouxtait une salle de musculation. Une dizaine de jeunes hommes attendaient Aiors, qu’ils saluèrent en s’inclinant profondément.
Le Pope alla s’installer au fond pour assister au cours. Cette fois, c’était à son tour d’observer Aiors, dans son élément. Le Lion les laissa s’échauffer quelques minutes puis en désigna un, qui se mit en garde. L’homme en question maîtrisait parfaitement son art martial et Aiors le laissa venir tranquillement ; brusquement, il le prit de vitesse et le mit à terre. Saga qui connaissait sa technique par cœur admira la prise, qui n’aurait laissé aucune chance à un adversaire de niveau inférieur au cours d’un combat. Et visiblement, l’élève le savait aussi, tout tremblant qu’il était en se relevant.
Aiors profita de ce mouvement pour expliquer les notions de vitesse aux autres, ainsi que lui les appréhendait. Ensuite, il les fit travailler tous, un par un. Saga repéra sans problème les deux éléments dont Aiors lui avait déjà parlé, ceux qui avaient un potentiel pour rejoindre le centre d’entraînement au Sanctuaire.

Alors que le cours touchait à sa fin, l’un des élèves demanda à Aiors de leur présenter l’homme installé au fond. Aiors se tourna vers Saga en lui faisant signe de venir :
« Saga Antinaïkos. Lui et moi nous connaissons depuis l’enfance et nous sommes entraînés ensemble, en Grèce. » Saga inclina la tête à leur adresse :
- Messieurs, sachez que vous disposez sans doute du meilleur professeur qui puisse exister dans ce pays. Soyez conscients de votre chance. » Aiors eut un sourire. A cet instant, le même élève demanda, en hésitant :
« Nous sommes tous conscients de la puissance de M. Xérakis. Je crois… Pourriez-vous nous honorer d’une démonstration de combat avec vos techniques respectives ? C’est la première fois que nous voyons 2 personnes issues de votre centre, et je crois que cela nous serait très profitable. »
Surpris, Aiors et Saga s’entre-regardèrent :
« Et bien, pourquoi pas ? Saga, si tu n’y vois pas d’inconvénient…
- Aucun. Et puis, ça me dérouillera ! ».
Ils ôtèrent leurs pulls respectifs et, torse nu, se firent face. Avant de commencer, Aiors rappela :
« Une démonstration, on est bien d’accord ?
- Sans problème. » Répondit Saga, un sourire en coin. Aiors comprit immédiatement.

Une longue minute passa, durant laquelle l’immobilité des 2 hommes ne faillit pas. Saga, plus grand qu’Aiors, disposait d’une musculature moins trapue, mais toute aussi impressionnante. Le tatouage sacré du Sanctuaire faisait le tour de son biceps gauche, le dessin ayant été enrichi par l’insigne de sa charge de Grand Pope. Aiors arborait le même tatouage sur le haut de l’épaule gauche. Les cicatrices constellaient leurs corps, une des plus impressionnantes étant une entaille d’une vingtaine de centimètres de long et d’un pouce de large sous le sein droit de Saga, vestige d’un combat passé.

Tous deux avaient pris la posture relative à leur signe ; un Lion prêt à bondir pour Aiors, une position d’attaque parfaitement symétrique pour Saga. Sans crier gare, le combat commença. Il n’y avait aucun bruit, à l’exception de la respiration des deux hommes. Les premières minutes ne furent que de l’échauffement, jusqu’au moment où Saga, biaisant le poing d’Aiors, se rejeta en arrière et, en équilibre sur une main, se lança pour passer au-dessus de lui. Aiors, qui avait anticipé, s’était déjà retourné et son coup droit glissa à un cheveu de la gorge de Saga tandis que celui le bloquait de sa cuisse et levait la main au-dessus de son crâne, pour le fracasser. Ils s’immobilisèrent dans cette position :
« Aiors, en l’occurrence, tu devrais avoir déjà traversé le mur du fond, avec un enfoncement de ta boîte crânienne. » expliqua suavement Saga.
- Sans aucun doute, mais tu serais aussi à terre, avec, comme qui dirait, quelques difficultés pour retrouver l’usage de tes membres. » Répondit tout aussi doucereusement Aiors. Saga se rendit alors compte que la main gauche du Lion se trouvait à quelques millimètres de sa colonne vertébrale, prête à la lui broyer.
Ils se rejetèrent en arrière et reprirent leur souffle. Ils se souriaient férocement. Les élèves étaient bouche bée ; la vitesse des mouvements avaient été telle que seuls deux ou trois d’entre eux avaient pu suivre le déroulement des prises.
Quelques minutes encore ils bataillèrent mais avec plus de lenteur pour permettre à tous de suivre. Mais le véritable affrontement avait eu lieu au tout début.

Lorsqu’ils en terminèrent et se saluèrent, les élèves applaudirent à tout rompre. Complètement ébahis, ils entourèrent les 2 hommes, les félicitant. L’un d’entre eux finit par demander :
« Maître, croyez-vous qu’un jour nous pourrons atteindre ne serait-ce que le quart de votre force ?
- Tout est possible. Ce n’est qu’une simple question de volonté.
- C’est vrai. Mais vous devez savoir que ce résultat, et nous ne vous en avons montré que les bases, n’a été obtenu qu’après de longues années d’entraînement et de souffrances. » Saga les regarda tous un par un, « Et nous ne cessons jamais d’apprendre, la preuve : Aiors aurait pu me tuer ce soir, s’il l’avait voulu.
- Arrête ! Tu vas leur faire peur et ils ne voudront plus venir ! » S’esclaffa Aiors.
Les élèves partirent les uns après les autres. Saga remit son pull et demanda à Aiors s’il pouvait se servir de son ordinateur :
« J’ai des mails à envoyer. C’est urgent.
- Je t’en prie. » Pendant que Saga tapait au clavier, Aiors lui demanda :
« Quand repars-tu ?
- Demain matin.
- Tu veux que je t’accompagne ?
- Non, c’est inutile, mon avion est à 6 heures. Je prendrai un taxi. » A cet instant, la porte du dojo s’ouvrit :
« Il y a quelqu’un ? » C’était la voix de Jane.
- Oui, dans le bureau ! ». Elle les rejoignit. Les voyant encore luisants de sueur, elle s’exclama :
« Vous vous êtes défoulés à ce que je vois ! Pas de bobos ?
- Penses-tu ! Nous sommes des gens raisonnables… » Répondit Aiors d’un ton badin, en repensant à la prise de Saga.
- Tant mieux… Saga, tu fais quelque chose cet après-midi ? Non ? Après avoir vu une école d’art martial avec des gens “normaux”, ça te dirait de visiter une école… d’un autre type ? Je t’emmène avec moi, au centre d’entraînement de la CIA. C’est pour le côté « américain » de la chose, c’est très distrayant, tu verras… ». Saga se mit à rire :
- Compte tenu du ton que tu y mets, je sens que ça va effectivement me plaire ! Très bien, je viens avec toi. » Il lui offrit son bras et se tournant vers Aiors : « Ca ne dérange pas au moins ?
- Pas le moins du monde… Fais attention, elle sait se défendre ! »

Aiors, qui commençait à mourir de faim, rentra chez lui. Il s’installa tranquillement devant la télé avec un sandwich et un coca, et s’assoupit une quinzaine de minutes. En se réveillant, il regarda sa montre : « Merde ! J’ai rendez-vous avec un élève, je suis en retard ! ». il bondit sur ses pieds et au moment de sortir, il avisa la neige qui tombait au dehors. En jurant, il se débarrassa de sa veste en cuir et commença à chercher son manteau quand il se rappela que Jane stockait les affaires d’hiver dans le placard de la chambre d’amis. Il fouilla dedans, finit par trouver ce qu’il cherchait et tout en l’enfilant, se dirigea vers la porte de la chambre. Dans sa hâte, il fit valser le pan de son manteau contre le chevet. En se retournant, il vit qu’il avait fait tomber le verre de Saga, son livre et une multitude de papiers. Il eut un soupir « en retard, pour en retard… » et se pencha pour ramasser le tout. Tandis qu’il reposait les affaires sur le chevet, une des feuilles tombées à terre attira son attention : il s’agissait d’un document à en-tête de l’hôpital de New-York, avec le nom de Saga dessus.
Il la saisit, la tripota quelques instants puis, secouant la tête, la reposa « Ca ne me regarde pas ».
Cependant, une fois dans le couloir de son immeuble, devant l’ascenseur, il ne put s’empêcher d’y repenser. Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, il n’était plus là, déjà retourné dans la pièce. Il marqua un temps d’arrêt, puis tout en prenant sa respiration, il reprit le document et l’ouvrit.
Il fut presque désappointé de ce qu’il y vit : il ne s’agissait que d’une vulgaire liste de résultats d’analyses de laboratoire. Cependant, en y regardant de plus près, il lui sembla qu’il ne s’agissait pas de paramètres classiques. Il n’y connaissait pas grand-chose mais il savait quand même à quoi ressemblait une analyse de sang, lorsqu’il en voyait une. Et là, ce n’était pas ça.
Il finit par se demander si Saga n’était pas venu à New-York pour autre chose que cette réunion à l’ONU… En plus, il n’en avait pas soufflé mot, ce qui était d’autant plus étonnant.
Il tournait et retournait la feuille entre ses doigts tandis qu’il réfléchissait. Décidément, quelque chose n’était pas très net ; le malaise du Pope de la veille lui revint en mémoire et puis…cette brusque délégation de pouvoir…. Il devait en avoir le cœur net.
Il scanna la feuille de résultats en occultant le nom de Saga, la reposa soigneusement sur le chevet, puis chercha le numéro de Jeanie. Médecin, elle était la seule personne à pouvoir comprendre ce document. Ce ne fut qu’au bout de 6 sonneries qu’elle décrocha :
« Allô !
- Jeanie ? C’est moi, Aiors. Je te dérange ?
- Aiors ! C’est à dire… j’ai une urgence, là ! Je n’ai pas beaucoup de temps… Qu’est ce que tu veux ?
- Bon, écoute, c’était juste… Je vais t’envoyer un mail avec un document sur lequel j’aimerais que tu jettes un œil. C’est très important.
- Qu’est ce que c’est ?
- Je ne peux pas t’expliquer, c’est trop long. Par contre, je compte sur ta discrétion ; n’en parle à personne, même pas à Hyoga. Surtout pas à lui, d’ailleurs !
- Bon, d’accord. Par contre, je ne pourrai pas m’en occuper avant ce soir, il faut vraiment que je file, là !
- Pas de problème, à plus tard. ». Il raccrocha. Il envoya rapidement le mail puis resta un moment, les yeux fixés sur l’écran de son ordinateur. Il se sentait un peu honteux de ce qu’il venait de faire. Après tout, la vie privée de Saga ne le regardait pas et si ce dernier venait à l’apprendre… surtout si ce n’était rien qui justifiât cette curiosité ! Mais Aiors ne pouvait se défendre d’un profond sentiment de malaise comme s’il venait de mettre le doigt là où ça fait mal… Rien à faire, l’air pitoyable de Saga de la veille dansait devant ses yeux et maintenant il entendait aussi ses propos, ceux qu’il tenait depuis plusieurs semaines déjà, et puis, cette attitude ! Ces épaules de plus en plus voûtées, les cigarettes qui s’enchaînaient, les nuits sans sommeil, les pouvoirs délégués… Aiors frissonna. Il se prit à souhaiter que Jeanie ne l’appelle pas, finalement !


De nouveau, ils passèrent la soirée tous les 3 ensemble. Cette fois, Jane avait réservé un restaurant français, face à la statue de la Liberté. Malgré tous ses efforts, Aiors ne parvenait pas à s’intéresser à la conversation qui se déroulait devant lui. Il ne cessait d’observer Saga à la dérobée : pourtant, il paraissait normal. Agréable et charmeur, il distillait par petites touches cet humour ironique qui le caractérisait et faisait rire Jane aux éclats. Il mangeait normalement, buvait normalement, fumait… plus que de raison, mais Aiors, voyant à quelle allure se vidait le paquet de cigarettes, se demanda dans quelle mesure Jane participait au carnage.
« … C’est à se demander s’il ne dort pas !…
- Et tu crois qu’il va finir par nous entendre ? ! » Ils éclatèrent de rire en regardant Aiors. Celui-ci tiré de ses pensées, se redressa :
- Quoi ?… Pourquoi est ce que vous me regardez comme ça, vous deux ?
- Ce serait plutôt à moi de te poser la question, mon ami. Tu n’as pas cessé de m’observer depuis que nous sommes arrivés ici. Tu as peur que je m’évapore ? » Lui lança Saga, un sourire au coin des lèvres. Aiors se mordit les lèvres, furieux de ne pas avoir été plus vigilant. Il finit par trouver de quoi répondre, d’un air goguenard :
- J’avais fini par m’habituer à ta présence. Ce doit être parce que tu vas me manquer…
- Bien sûr, c’est sûrement ça ! » Répondit le Pope sur le même ton. Pendant que Jane s’esclaffait, ils s’entre-regardèrent. Saga vit les interrogations muettes d’Aiors au fond de ses yeux et eut un haut le corps. Il ouvrit la bouche… mais se tût. Gêné, il détourna la tête. Si Aiors ne savait toujours rien, au moins était-il certain maintenant que Saga lui cachait quelque chose.

Une fois rentrés, Saga se tourna vers Jane et Aiors :
« Je vous remercie du fond du cœur pour votre accueil durant ces trois jours. Cette petite escapade m’a permis d’oublier un peu le Sanctuaire ! Je partirai très tôt demain alors… je pense que nous pouvons nous dire au revoir dès ce soir. » Jane s’approcha de lui et le serrant contre elle, elle lui dit :
« Bon retour. J’espère que nous te reverrons très bientôt !
- Demande donc à ton homme de t’emmener au Sanctuaire la prochaine fois, tu y es la bienvenue, n’est ce pas Aiors ? ». Il lui tendit la main. Aiors la saisit et fut brutalement submergé par la force de Saga. Il perçut des pensées confuses, recouvertes par une ombre, mais son aura était intacte. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’ils se retrouvaient ainsi, mêlant leurs pensées.
« Bon voyage, mon ami. J’ai été très heureux de t’accueillir.
- Merci à toi, pour tout.
- Je te dis à bientôt ?
- … Oui, sans doute. »

Sur un dernier signe, Saga se dirigeait vers sa chambre quand Aiors l’interpella :
« Saga ? ». Il se retourna, Aiors était seul.
- Oui ?
- S’il te plaît… Prends soin de toi. » Sans un mot, Saga hocha la tête puis disparut.