Chapitre 7

 

 

Dans la soirée, toujours au Sanctuaire…

Saga ne savait pas pourquoi il s’était rendu à l’aéroport cette après-midi là. Une fois l’avion réduit à un point infime loin au-dessus de la Méditerranée, il avait traîné de longues heures, désœuvré, dans les rues d’Athènes. Il n’avait pas eu de réelles intentions de la rattraper, il savait que c’était inutile. La violence de leur dispute, les mots durs qu’ils avaient échangés n’étaient pas près de s’effacer entre eux. Une de plus, une de trop. Pourtant, il avait ressenti un besoin oppressant de la voir, juste encore une fois. La dernière fois, très certainement. Juste après qu’elle eut quitté le Sanctuaire, il avait perdu connaissance dans sa chambre, pendant deux heures. En revenant à lui, il avait constaté qu’il saignait du nez. Le plus dur avait été de se remettre debout : ses jambes lui avaient refusé tout service, et il avait du ramper jusqu’à la salle de bains pour étancher le sang.
Puis, il s’était allongé à même le sol et avait contemplé le ciel par la fenêtre au-dessus de lui. Il ne savait pas combien de temps cela avait duré. Tout ce qu’il savait, c’était que les premiers signes annonciateurs de sa fin proche étaient là. Très curieusement, l’apaisement était descendu en lui. Bientôt, il allait enfin pouvoir se reposer. Oublier. C’était là son vœu le plus cher. Il ne laisserait rien derrière lui. Personne pour le pleurer, ni pour le regretter. L’image de Rachel s’était imposée à lui. Même elle, elle l’oublierait sans doute ; il eut un pincement au cœur à cette idée. Jamais elle n’aurait su à quel point il avait pu l’aimer. Le visage se brouilla devant ses yeux : était-ce un mirage, ou simplement ses larmes qui lui ôtaient cette vision ? l’image se recomposa et ce fut son propre visage qu’il vit. Ou plutôt celui de son frère, Kanon. Combien d’années déjà ? Douze, quinze ans ? Qu’était-il devenu ? Où était-il ? Certainement pas mort, il l’aurait senti. Son frère était toujours en vie, quelque part. Peut être reviendrait-il reprendre sa place, lorsqu’il ne serait plus. Puisse-t-il lui pardonner un jour ses fautes…

Peu à peu, il avait senti la force revenir dans son corps. Péniblement, il s’était relevé, habillé et chancelant, s’était dirigé vers le port. A l’aéroport, il s’était installé à l’autre bout du hall, en prenant soin de masquer son aura, pour qu’elle n’eut pas connaissance de sa présence. Il l’avait observé tandis qu’elle téléphonait en buvant son café. Elle était trop loin pour qu’il puisse l’entendre. Mais il l’avait vu s’énerver, et être sur le point de quitter l’aérogare. Il aurait aimé savoir ce qui s’était passé dans sa tête à ce moment là.
Enfin, il s’était posté près de la porte d’embarquement, et l’avait regardé. Une dernière fois, il s’était empli les yeux d’elle, et emporta avec lui l’image d’une femme qu’il avait chéri toute sa vie, et qu’il avait perdu à maintes reprises. Il souhaitait qu’elle soit heureuse. Il le souhaitait du plus profond de son cœur, bien qu’il sut à quel point elle avait pu être brisée dans le passé. Son seul doute à présent, c’était cela : ne laissait-il pas une femme seule en réalité, qui n’avait jamais vraiment retrouvé avec le Dragon la passion qu’elle avait connue jadis avec ce même homme ? Aurait-il pu, lui, la rendre heureuse ? Il s’était complût à le croire. Mais le destin en avait décidé autrement. Si seulement elle n’était pas partie à l’époque ! Non, il n’était plus temps de ressasser les méandres de l’histoire. Si les choses s’étaient passées ainsi, c’était que cela devait être.

La nuit était tombée lorsqu’il était revenu au Sanctuaire. Malgré sa fatigue, les lumières allumées dans le temple du Sagittaire n’échappèrent pas à sa vigilance habituelle. Mais elles s’éteignirent quasi aussitôt. Il resta un instant immobile. C’était bien eux. Il reconnut les auras qui se dispersaient dans l’île. En arrivant au niveau du Palais, il croisa Thétis. Elle faillit lui rentrer dedans.

La retenant par les épaules, il s’exclama avec un sourire en coin :
« Mais où cours-tu si vite ? Je croyais que tu avais un avion ce soir… Tu as été retardée ? » Paniquée devant l’air interrogateur de Saga, elle détourna la tête en tâchant de trouver une excuse :
- Je… je n’ai pas vu l’heure passer. Je discutais avec Aioros et tu sais ce que c’est, » continua-t-elle avec un pauvre sourire, « une femme, ça parle beaucoup… ».
Malgré la pénombre, il distingua ses yeux rougis, grâce à la lueur qui provenait des salons dont les portes vitrées étaient ouvertes. Elle avait pleuré. Il répondit lentement :
- Oui… j’en ai une assez bonne idée… Thétis, tu es sûre que tout va bien ?
- Oh oui ! » Elle renifla un bon coup, « ce doit être mon asthme, c’est rien. De toute façon, j’ai raté mon avion et comme il y a un Conseil demain, ça me permettra d’y assister, c’est toujours ça de gagné… Bon, je suis vannée, il faut vraiment que j’aille me coucher… Bonsoir ?
- Oui, bonne nuit à toi aussi. » Il se détourna et commença à rentrer quand elle l’interpella :
« Saga ?
- Oui ? » Il s’était retourné. Elle s’était un peu éloignée mais elle était toujours dans le champ lumineux.
- Saga, je voulais te dire…
- Oui, quoi ? » Thétis ouvrit la bouche puis se mordit les lèvres. Elle eut un geste de dénégation :
- Non, rien. Rien d’important… Juste te dire que j’étais contente.
- Contente ?
- Oui… Pour tout ce que tu as fait pour le Sanctuaire ces derniers temps, et surtout pour avoir remis en état nos temples. Merci de t’en occuper.
- C’est normal Thétis, c’est mon job.
- Peut être. Mais merci quand même. Cette fois j’y vais ! ». Elle s’échappa dans la nuit.

Interloqué, Saga la regarda s’éloigner « Mais enfin qu’est ce qui lui prend ? ». Il referma les portes derrière lui. « Son asthme ? On est en hiver ! » Se fit-il comme réflexion, tandis qu’il repensait à elle. Il avait du se passer quelque chose, mais quoi ? De toute manière, on ne lui dirait rien, alors… Il haussa les épaules.

Tout en avalant un demi-Lexomil avec un verre de whisky, il consulta ses mails. Il y en avait un de son médecin qu’il ne prit pas la peine d’ouvrir et un d’Aiors, qui donnait de ses nouvelles et regrettait de ne pas pouvoir être présent pour le Conseil. De toute manière, ce n’était pas très grave, puisqu’il était déjà au courant de ce que Saga allait annoncer aux autres. Il vérifia que les notes qu’il allait leur distribuer demain étaient bien sur son bureau.

Aiors lui demandait également de ses nouvelles. Saga en était amusé mais en même temps se demandait jusqu’à quel point Aiors avait compris que quelque chose ne tournait pas rond. Prudemment, il lui répondit qu’il était un peu fatigué mais que tout allait bien. Il resta rêveur devant son écran. C’était étonnant comme les être humains pouvaient changer. Aiors qui le détestait encore il y a peu, lui demandait aujourd’hui de ses nouvelles ! Il se surprit à se remémorer leur enfance : c’était vrai qu’ils constituaient tous une belle bande de galopins. Tant de choses avaient été gâchées de façon si stupide… Il se prit la tête. Il fallait impérativement qu’il arrête de penser à ça !
Son cerveau finit par être embrumé par les effets conjugués du médicament et de l’alcool. Il parvint jusqu’à sa chambre et se laissa tomber sur son lit. « Une journée de plus, encore une… ».


New York…

Tout de suite, Rachel repéra la chevelure blonde de Jeanie au milieu de la foule. S’y dirigeant tout droit, elle atterrit dans les bras d’Aiors. Elle fut saisie par leur air grave à tous les deux. Cependant, ils ne lui laissèrent pas le temps d’ouvrir la bouche, tandis qu’ils l’entraînaient vers la file de taxis.
La neige tombait sans discontinuer sur la ville depuis 3 jours. Bientôt, ils se retrouvèrent au beau milieu d’un embouteillage monstre, sans bouger d’un mètre. Rachel tourna la tête vers Jeanie assise à sa gauche, puis regarda Aiors assis devant elle, sur le siège passager.
Elle explosa :
« J’exige de savoir ce qui se passe ! Je viens de passer 5 heures dans un avion à me torturer l’esprit sans trouver la moindre réponse. Je veux que vous me répondiez à la fin ! »

Le regard d’Aiors croisa celui de Jeanie ; tous deux avait l’air navré. Rachel, à qui cet échange silencieux n’avait pas échappé, dut rassembler les quelques miettes de self-control qui lui restaient pour ne pas leur sauter à la gorge, tant elle avait la sensation d’être prise pour une imbécile.
« J’ai l’impression d’être une gamine de 10 ans à qui personne ne veut avouer que son chat est passé sous une voiture… » Finit-elle par reprendre, sarcastique, en les fixant l’un après l’autre droit dans les yeux, « Ce petit jeu a assez duré, non ? »
Hochant la tête, Aiors sembla prendre son inspiration pour parler mais ce fut finalement Jeanie qui se dévoua :
« Rachel… Je ne sais pas comment te dire ça mais… Saga est malade. Il est atteint d’un cancer, a priori à un stade avancé. Il n’a rien dit à personne, Aiors l’a découvert par hasard. Rachel… Rachel ? »

Jeanie avança une main timide vers son amie, mais laissa son geste en suspens. Le visage de Rachel s’était figé ; une statue de cire n’aurait pas fait montre de plus de signe de vie qu’elle. Jeanie commençait à douter qu’elle l’eut bien entendue lorsqu’elle se tourna lentement vers Aiors. Le regard vide et d’une voix atone, elle murmura : « Tu ne m’as rien dit… » Ce n’était pas une question, mais un simple constat. L’air malheureux, il baissa la tête. Aucune raison valable ne lui venait en tête pour se justifier et de toute manière, il savait que ça ne servirait pas à grand-chose.
Jeanie finit pas poser sa main sur l’épaule de Rachel :
« Ecoute… Tu dois comprendre que… » Le poignet enserré dans un étau cruel, elle ne put terminer sa phrase. Rachel lui tordait le bras et la regardait à présent les yeux flamboyants :
« Depuis quand le sais-tu ? ! Parle ! » Sous l’effet de la douleur, Jeanie ne put rien faire d’autre que balbutier :
« A peine 24 heures ! Je te le jure ! Je ne savais rien… S’il te plaît, lâche-moi !
- Pas avant que tu me dises toute la vérité !
- Rachel, ça suffit, lâche-la ! » Aiors avait plongé derrière le siège et l’avait saisie au cou ; il commençait à faire pression sur un de ses points vitaux, « Arrête maintenant, où je vais être dans l’obligation de te faire vraiment mal… Je comprends ta douleur, mais nous n’y sommes pour rien. »
Elle le regarda fixement. Avec brusquerie, elle libéra le poignet de Jeanie et se rejeta sur le dossier derrière elle. Un bruit s’échappa de sa gorge, entre le rire et le sanglot :
« Tu comprends ma douleur ? Tu dis que tu COMPRENDS ma douleur ? ! Vous m’annoncez que Saga est gravement malade et tu oses… ? » Elle ne termina pas sa phrase.
Se détournant vers la fenêtre, elle leur tourna le dos. Le menton posé sur la main gauche, elle parut s’absorber dans la contemplation des blocs de béton recouverts de neige. Mais bientôt, le tressautement de ses épaules trahit ses larmes. Impuissante, Jeanie interrogea silencieusement Aiors. Celui-ci eut un signe de dénégation résigné « Elle est sous le choc… Ca va passer. Et nous ne lui avons même pas tout dit… »

Peu à peu, les véhicules qui étaient arrêtés tout comme leur taxi, tout autour d’eux, finirent par s’ébranler de nouveau et la circulation retrouva un semblant de fluidité. La nuit était tombée depuis longtemps, lorsque la voiture s’arrêta au bas de l’immeuble d’Aiors. Rachel n’avait pas desserré les dents depuis sa crise de sanglots. Et compte tenu de son attitude fermée, Jeanie avait jugé plus sage de ne rien ajouter.
Les choses se compliquèrent lorsque Jane leur ouvrit la porte. Aiors se rendit alors compte que non seulement, il avait quitté NY la veille sans préavis, en ne lui laissant qu’un mot vaguement explicatif, mais qu’en plus, il ne l’avait pas tenue au courant des événements. Et voilà que maintenant, il revenait, accompagné de Jeanie et surtout de Rachel, qui avait toutes les raisons du monde de ne PAS se trouver là.
Il crut que sa tête allait exploser, tandis qu’il tâchait de trouver un semblant de fil conducteur en expliquant à Jane une histoire qui, vu de l’extérieur, n’avait pas vraiment de queue, ni de tête d’ailleurs.
De fait, elle finit par le couper au beau milieu d’une phrase commencée 2 minutes auparavant :
« Stop ! Je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Tout ce que je vois, moi, c’est Rachel qui a perdu sa langue, et Jeanie plus stressée encore que d’habitude, si tant est que cela puisse être possible ! Oh et puis toi ! » Désinvolte, elle se détourna et se planta devant Jeanie :
« Est ce que tu peux faire simple ?
- Je vais essayer… »

Jeanie finit par tout raconter. Elle regardait Jane mais c’était à Rachel qu’elle parlait en réalité. Mais tandis qu’elle exposait le niveau de gravité de la maladie, qu’elle expliquait les difficultés nombreuses qui se posaient pour sauver Saga, qu’elle résumait les propos d’Aiors concernant l’attitude du Pope, elle se félicitait de ne pas avoir Rachel en face d’elle. De ne pas voir son visage. De ne pas lire son regard. Et tout cela, parce qu’elle n’avait pas besoin de la regarder pour être en totale empathie avec elle et ressentir la profondeur de son désarroi.
Lorsqu’elle arrêta de parler, elle éprouva de nombreuses difficultés à desserrer le lien mental qui s’était créé avec son amie. Ce fut en douceur qu’elle s’éloigna d’elle. Jane sembla suffoquée par la nouvelle et lorsqu’Aiors s’approcha pour s’excuser de son comportement étrange des derniers jours, elle effaça d’un geste ses excuses, pour se réfugier dans ses bras.
Quant à Rachel, elle restait catatonique. Les explications de Jeanie semblaient avoir glisser sur elle comme de l’eau sur la plume d’un canard. Et pourtant, ses propos étaient alarmants. Mais c’était comme si elle n’était pas là.

Avec beaucoup de douceur, Jeanie la saisit par les épaules. Elle ne rencontra aucune résistance ; alors elle l’allongea sur le canapé, la tête sur un coussin. Ce fut à cet instant que Rachel s’anima quelque peu : les fils d’or dans son regard semblèrent scintiller sous ses larmes quand elle murmura :
« Je n’ai rien vu… je n’aurais pas du partir…
- Tu ne pouvais pas deviner, » répondit Aiors, en lui prenant la main, « personne ne le pouvait.
- Moi, j’aurais du le voir… » Comme épuisée, elle ferma les yeux sur ces derniers mots. Quelques secondes plus tard, la main de Rachel s’échappa de celle d’Aiors et glissa vers le sol. A voix basse, Jane souffla :
- Elle s’est réfugiée dans le sommeil… Nous devrions la laisser. » Opinant du chef, Aiors les entraîna toutes les deux dans la cuisine. Là, tandis qu’il s’affairait à préparer du café, Jane s’adressa à Jeanie :
«  Qu’est ce qui va se passer maintenant ?
- Et bien, je suppose que la maladie ne va pas tarder à prendre le pas. Ce n’est plus qu’une question de jours maintenant. A partir du moment où il sera rapatrié ici, la course contre la montre va commencer… » Les épaules de la jeune femme se creusèrent et ce fut d’une voix morne qu’elle reprit : « … D’autant plus qu’il est loin d’être prioritaire pour une greffe… A priori, il est à peine dans les 100 premiers de la liste, si j’en crois son médecin. Et pourtant… » Elle eut un soupir. Ce fut Aiors qui continua :
- Le nom “Antinaïkos” ouvre beaucoup de portes sur cette planète. Saga n’aurait eu aucun mal à exercer le passe-droit que lui confère son nom pour se retrouver en tête de la liste. Visiblement, il ne l’a pas souhaité. »

Jane resta songeuse un instant. Elle finit par dire :
« Je ne le connais pour ainsi dire pas : je ne l’ai côtoyé que 3 jours. Mais il m’a fait l’effet d’un homme avec la tête sur les épaules. A mon avis, il sait ce qu’il fait. Il a sans doute ses raisons d’avoir agir ainsi. Pourquoi ne lui parlez-vous pas ? Pourquoi ne pas lui dire que vous savez ? » Les 2 autres s’entre-regardèrent et malgré la situation, Jeanie ne put se défendre d’un rire ironique :
- En effet, tu ne le connais pas beaucoup !… Saga n’apprécierait pas d’apprendre qu’Aiors a fouillé dans ses affaires, même s’il ne l’a pas fait intentionnellement, et encore moins de se trouver pris en position de faiblesse par sa garde rapprochée. Les colères de Saga sont légendaires, Jane, tant elles sont extrêmes et… meurtrières. Pour ma part, je n’ai pas honte d’avouer que je préférerai être à cent lieux de là, si demain il venait à savoir que nous savons. Même malade, il reste un homme dangereux.
- Dans ce cas, pourquoi vous en mêlez-vous ? » Riposta Jane sur un ton acide, « Si vous avez peur de lui à ce point…
- Il a le droit d’avoir une chance de s’en sortir, » Jeanie répondit franchement, « Je n’en étais pas vraiment convaincue, mais Aiors s’est montré particulièrement persuasif. Tout ce que j’espère, c’est que son frère le sera tout autant de son côté… » Aiors eut un sourire confiant en lui servant un café. Dédaignant le sucre que lui proposait Jeanie, Jane prit une gorgée du breuvage brûlant et finit par dire :
- Finalement, il semblerait qu’il n’y ait que Rachel qui ait jamais soutenu cet homme… Tous, vous donnez l’impression de l’avoir détesté pendant des années. Je comprends sa réaction. Elle l’aime à un tel point que…
- Comment ? » Jeanie s’était redressée, mi-furieuse, mi-étonnée, « Que veux-tu dire ? ! Rachel n’a jamais…
- Et alors, qu’est ce ça prouve ? Jeanie, je croyais pourtant que tu étais sa meilleure amie… » Jeanie, abasourdie, se tourna alternativement vers Aiors puis de nouveau vers Jane : « Qu’est ce que tu veux dire ?
- Jeanie, il suffit de la regarder lorsqu’elle parle de Saga. Tu ne t’es donc jamais rendue compte à quel point son visage s’illuminait dans ces moments-là ? Et depuis 2 ans, à chaque fois que j’ai pu discuter avec elle, le sujet revenait invariablement sur le tapis… Je ne sais pas ce qui s’est passé pendant les 2 années au cours desquelles elle est restée au Sanctuaire, mais… Et puis n’oublie pas que c’est elle qui l’a conforté à la place de Pope lorsqu’il a pris le pouvoir. Et ça, c’était… quoi… il y a 15 ans ? »
Jane contemplait la jeune médecin en souriant avec commisération. Jeanie se tourna alors vers Aiors :
- Tu… tu penses comme elle ? » Le Lion haussa les épaules :
- Bah… Ca remonte à tellement loin tout ça… Mais je pense qu’elle n’a pas tort. Moi non plus, je ne sais pas ce qui s’est passé quand Rachel est venue se réfugier au Sanctuaire après… enfin, tu sais quoi. Nous savions tous qu’elle était sur place, mais aucun d’entre nous n’a pu ne serait-ce que l’apercevoir au cours des 12 premiers mois. L’ambiance était étrange. Saga était peu disponible mais on ne savait pas vraiment si cela avait un rapport avec sa présence à elle ou pas. Shaka doit en savoir un peu plus, mais je n’en suis même pas sûr. Hormis ces 2 années là… Jeanie, je m’étonne que tu sois aussi surprise. Après tout, lorsque nous étions enfants puis adolescents, Saga et elle étaient très liés. C’est vrai que Rachel a choisi le Dragon, que de nombreuses années se sont écoulées et nous ont tous éloignés les uns des autres, mais tu ne peux pas nier qu’elle et lui ont toujours été là l’un pour l’autre, dans n’importe quelle circonstance. Et puis aujourd’hui… Rachel n’a pas spécialement l’air très épanouie. Elle a sans doute été très heureuse pendant des années avec Schyrius, mais depuis que leur couple s’est reformé, on ne peut pas vraiment dire qu’ils nagent dans le bonheur. L’un comme l’autre d’ailleurs… »

A cet instant, la sonnerie d’un portable retentit. Ce fut Jeanie qui réagit la première ; elle revint du salon où Rachel dormait, le mobile de cette dernière dans la main. Elle laissa la dernière sonnerie s’éteindre puis regarda les autres, l’air embarrassé :
« C’est Schyrius… Rachel a du omettre de le prévenir qu’elle ne rentrait pas sur L.A., il s’inquiète certainement… Qu’est ce qu’on fait ?
- Tu n’as qu’à éteindre cette maudite machine », lui jeta Jane, « Rachel fera ce qu’elle a à faire quand elle se réveillera.
- Tiens, en parlant de ça, quelle excuse as tu sorti à Hyoga pour justifier ta présence ici ? » Demanda Aiors avec curiosité.
- Un congrès, que j’avais complètement oublié mais super important, » Jeanie haussa les épaules, « il n’aurait pas aimé la vérité de toute façon. Il n’a jamais pu supporter Saga, c’est viscéral chez lui.
- Décidément… » Jane eut un soupir, « qu’est ce qu’on fait maintenant ?
- On attend, » trancha Aiors, l’air sombre. « On n’a pas grand-chose d’autre à faire. Rachel va se réveiller, et pas de la meilleure humeur, je le crains… Pour ma part, je ne sais pas ce qui va se passer maintenant, mais je ne suis pas sûr d’avoir vraiment envie de le savoir… »


Le lendemain, au Sanctuaire…

«  Il fait frisquet ce matin… » Pensa Angelo, en resserrant son manteau autour de lui. Il leva les yeux vers le palais, mais il ne put que distinguer la silhouette grise du bâtiment, tant la brume était épaisse ce jour-là. En bon sicilien qu’il était, il ne supportait pas l’hiver. Il pestait encore intérieurement contre Saga qui avait eu la mauvaise idée de programmer un conseil de si bon heure, quand il se heurta à Camus, au détour du temple de la Balance. De concert, ils firent un bond en arrière. Le reconnaissant, Angelo eut une exclamation :
« Bons Dieux ! T’as l’air réchauffé, toi au moins ! » Camus ne portait aucune veste, et il n’était vêtu que d’un tee-shirt en coton à manches longues. En souriant, il haussa les épaules :
- Tu trouves qu’il fait froid ? Moi non… Pour une fois que je suis au Sanctuaire et que je ne souffre pas de la chaleur…
- C’est vrai, j’ai tendance à oublier que t’es un gars du froid, toi… » Grommela Angelo, tout en tapant du pied pour se réchauffer, « et si on y allait, avant que je ne me congèle sur place ? »
Camus le suivit d’un pas tranquille. Cependant, en apercevant la maison du Scorpion, Angelo s’étonna d’avoir rencontré Camus si bas et aussi tôt le matin.
Après quelques instants de réflexion, il fit par lui demander :
« D’où est ce que tu viens ? Tu as quitté le Sanctuaire cette nuit ? » Camus eut un imperceptible temps d’arrêt, puis il reprit sa montée des marches, passant devant Angelo sans répondre. Celui-ci le regarda, interloqué :
« Ben quoi ? Pourquoi tu ne dis rien ?
- Je t’en pose des questions ? ! » Lui répondit Camus d’un ton acide, sans se retourner. Angelo leva les yeux au ciel :
- Oh là là… Si on ne peut plus discuter… J’avais aussi oublié à quel point monsieur pouvait être susceptible !
- Je ne suis pas susceptible ! » Camus le regarda, d’un air furieux.
- Si, tu l’es. » Lui assena Angelo, d’un ton péremptoire, « D’ailleurs, on ne peut jamais rien te dire sans que tu te braques. Tout le monde le sait.
- Qui ça, tout le monde ? Tu dis n’importe quoi !
- Ah, tu vois bien ? Tu recommences ! »

Ils se chamaillaient toujours lorsqu’ils pénétrèrent dans la salle du Conseil. Située au rez-de-chaussée, sa forme était ovale, tout comme l’immense table de chêne qui l’occupait en son centre. Le plafond, haut de plusieurs mètres, était constitué de nombreuses poutres entrecroisées et noircies par les siècles. Au dessus de la table, il était orné d’une rosace de 3 mètres de diamètre, sur laquelle étaient figurés les douze signes du zodiaque.
Ce même dessin était reproduit au centre de la table. Il y avait 14 sièges autour d’elle ; un pour chacun des représentants des XII, un pour le Pope à une des deux extrémités et le dernier qui lui faisait face à l’autre bout, réservé à l’héritier Dothrakis, Rachel en l’occurrence.

Le premier mouvement d’Angelo en entrant fut de se diriger vers la monumentale cheminée qui ornait le mur du fond. Il s’approcha du feu du mieux qu’il put, et ne bougea plus d’un centimètre, attendant que tous fussent présents. Pour sa part, Camus rejoignit Milo, qui achevait son café. Ce dernier lui fit même remarque que le Cancer, mais rajouta :
« Tu as l’air crevé… Pas assez dormi ?
- Oui,… ça doit être ça…, » lui répondit Camus en regardant ailleurs, « … Mais je peux te retourner la question, vu ta tête ! » Milo eut un rire nerveux :
- Je n’ai pas fermé l’œil tu veux dire… Ce qui s’est passé hier soir n’a pas arrêté de tourner dans ma pauvre cervelle ; impossible de dormir !
- Est ce que les mots d’Aioros t’auraient convaincu finalement ? »
Milo et Camus se retournèrent pour voir qui venait de parler. Shaka se tenait derrière eux, en souriant. Ils se saluèrent et Milo finit par répondre :
« Je ne sais pas, mais ils au moins eu le mérite de me faire me poser des questions… et de m’empêcher de dormir ! » termina-t-il d’un air désolé. Shaka lui posa une main amicale sur l’épaule :
- C’est déjà un début !
- Pour quoi ? Devenir insomniaque comme Saga, justement ? ! » Ils éclatèrent tout trois de rire.

Les autres arrivaient au fur et à mesure. Et au vu de leurs visages respectifs, aucun d’entre eux n’avait connu une nuit sereine. Thétis, de par sa jeunesse, était celle qui masquait le plus mal ses sentiments. Ses yeux gonflés témoignaient des larmes qu’elle avait versées depuis la veille. Elle avait noué ses longs cheveux blonds en un semblant de chignon, et parut un instant égarée, au milieu d’eux. Aldébaran s’approcha d’elle, plein de sollicitude, pour lui offrir une tasse de thé, et resta avec elle. Shura alla également lui tenir compagnie.
Tout en l’observant, Milo s’interrogea tout haut :
« Je ne pensais pas qu’elle réagirait aussi violemment… c’est vrai qu’elle ne connaît pas Saga comme nous, nous qui avons pu le côtoyer dans sa “grande époque”…
- je ne pense pas que ce soit là la raison de ses larmes… » Shaka murmurait, « Thétis est jeune, et elle a le cœur pur. Elle ne supporte pas que quelqu’un souffre, cette personne fut-elle Saga lui-même… Contrairement à nous, elle croit encore aux belles choses, et elle trouve injuste qu’il doive supporter cette souffrance. Elle aimerait sans doute l’aider, mais elle ne sait pas quoi faire… » Camus jeta à la Vierge un regard aigu :
- Je ne sais pas comme prendre ça, Shaka… Aurais-tu perdu la foi ? » Milo se retourna également vers lui, l’air interrogateur.
Shaka eut un instant d’hésitation, devant ses 2 amis. Il finit par rire, un peu gêné, et hocha le menton vers les portes de la salle :
« L’heure n’est pas à la philosophie… Regardez, Saga vient d’arriver ! »