J'erre comme une ombre,
On me dit sombre,
Moi ou mon coeur?
Suis-je dans l'erreur?
Mon âme se lasse,
La vie s'efface
L'hiver ne passe
Je reste de glace.
Les souvenirs se fondent
Dans ce monde de rondes,
Ou tout n'est que répétitions
Et faux-jeu de séduction.
Les reliques de ma mémoire
Sont autant de bribes d'espoir
Quand l'existence se fait noir.
Je parle des éclairs de joie,
Si rares chez moi,
Qui sont un héritage,
Sorte de dernière hommage
A une enfance révolue,
Que j'ai bien peu connu.
Le vie ne doit pas être prise à l'envers,
Car coupante comme du verre,
Cette fugace fleur de serre,
Fragile aile d'éphémère,
Toujours teintée d'amer.
Incapable d'accorder émotions et esprit,
Tout se termine en larmes et cris.
Mais tout vaut mieux que le silence,
Qui laisse trop de temps pour que je pense.
Et je constate,
Sans trop de hâte,
Que j'ai froid en moi,
Mais je sais pourquoi.
Ou est donc cette nature d'été,
Qui viendra me réchauffer?
AQUARIUS CAMUS
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Mémoires de Camus, chevalier d'Or du signe du Verseau.
La neige martelait doucement la vitre du train dans lequel on m'avait placé.
J'avais toujours su que je devais y monter, sans en avoir jamais vraiment pris
conscience. Je l'avais déjà compris du haut de mes trois ans.
Comme cela, ils seraient débarassés de moi. C'était ce
qu'ils avaient toujours souhaités de toute manière et j'allais
ainsi les exaucer de leur prière muette.
Je n'étais pas idiot et surtout, quand la nuit tombait et qu'ils me croyaient
couché, ils ne se méfiaient plus. Alors, et seulement alors, je
m'aventurais dans les escaliers de bois patiné du plus silencieusement
que je le pouvais et je tendais l'oreille. J'étais généralement
assis sur les marches, la tête à moitié passée entre
les barreaux qui composaient la rampe ou l'on pouvait s'accrocher. J'écoutais
le son de leur voix qui ne me berçait pas, au contraire, mais qui me
maintenait éveillé.
J'avais déjà failli me faire prendre à plusieurs reprises
mais j'avais toujours été plus rapide. J'allais tellement vite
parfois que je m'en étonnais moins même. Ils m'auraient fait mal
s'ils m'avaient trouvé là, c'est certain. Pourtant, ils ne me
frappaient jamais, ou bien rarement, car ils avaient trouvé un autre
moyen, tout aussi radical de me blesser.
Je me souviens encore exactement du jour ou je suis arrivé chez eux.
Ils n'étaient pas enchantés et c'était bien la seule raison
pour laquelle il déplorait la mort de ma mère. Celle-ci avait
été emportée au coeur d'un hiver froid et rigoureux par
une pneumonie qui n'avait pas été soigné à temps,
manque d'argent obligeant. Je l'avais vu dépérir à petit
feu, lentement, sans que je ne puisse rien faire pour que son calvaire cesse.
Je l'avais vu, le dernier soir, se glisser dans son lit, alors que son visage
et ses yeux du même bleu saphir que les miens étaient fièvreux.
Ses cheveux bruns étaient retenus en arrière par un chignon sobre
et elle m'avait sourit, comme si de rien était. Elle pouvait à
peine marcher les derniers jour de son existence. Elle se levait pour me préparer
mes repas, m'habiller et me lire une histoire. J'aimais tellement le son de
sa voix, elle était si tendre, douce et chaude.
Nous vivions tous les deux dans une seule pièce, mais cela ne nous dérangeait
pas. Dormir sous les combles n'avait rien de particulièrement désagréable,
c'était toujours mieux que de dormir sous les ponts. C'était ce
que je lui répondais invariablement lorsqu'elle regrettait à voix
haute de ne pas pouvoir m'offrir quelque chose de mieux.
Ou était mon père? Elle n'avait jamais voulu répondre à
cette interrogation et restait très évasive sur le sujet. Alors,
le soir, dans son lit, car il n'y en avait qu'un seul pour nous deux mais c'était
suffisant; je me prêtais au jeu de la rêverie.
Je m'imaginais parfois fils d'un noble hoberreau de l'Angleterre, d'un prince,
d'un riche bourgeois, ou, lorsque j'étais furieux de son abscence, je
me sentais généralement plus enclin à lui découvrir
l'identité d'un bohémien pauvre comme Job ou tout simplement d'un
homme lâche incapable d'assumer ses responsabilités. Cet homme,
le mystère, le point d'interrogation de mon enfance, savait-il qu'il
avait un fils? Ma mère évitait cette conversation avec habileté
et réussissait à chaque fois que je m'enhardissais à la
questionner à me détourner de mes préoccupations. J'en
avais déduis qu'il l'avait fait souffrir et par conséquent, je
le haïssais.
Ma vie n'avait donc pas commencé sous les meilleurs auspices, mais ma
mère était le réconfort permanent dont j'avais besoin pour
me sentir rassurer. Elle avait des mains douces, une voix en permanence rieuse
et elle plaisantait toujours gaiement des malheurs qui pouvaient nous arriver.
Elle travaillait en tant qu'aide chez une couturière, si ma mémoire
est bonne. Je la voyais partir le matin vers six heures et revenir le soir vers
dix-neuf heures. Ses journées étaient longues et elle me laissait
seule à la maison durant tout ce temps. Elle avait de la famille, j'allais
le découvrir plus tard, mais nous ne les voyions jamais. Cela ne nous
manquait pas car la présence de l'autre nous comblait.
Ce fut la seule période de mon existence ou je me sentais en totale harmonie
avec quelqu'un. Je n'ai jamais retrouvé depuis, cet amour absolu et je
me demande même parfois si je le recherche réellement.
Cette brève et lumineuse période de mon existence prit soudainement
fin au cours de l'hiver de mes trois ans. Nous étions fin février,
et la neige avait envahi la Bretagne, rendant certaines routes impraticables,
les communications difficiles, les courses impossible à réaliser
car l'approvisionnement des magasins se faisait de plus en plus rare. Cependant,
ce ne fut pas le plus grave pour la ville de Brest dans laquelle nous habitions.
L'épidémie de pneumonie se répandit comme une trainée
de poudre dans toutes les familles et pauvres ou riches furent touchés
en même temps. Seulement, à la différence des familles aisées,
les gens vivants dans notre quartier en mourraient. Ma mère revint un
soir de son travail les chevilles enflées, la tête lourde, le nez
et les yeux rougies par le vent et elle me déclara sans ménagement,
comme s'il ne s'agissait de rien:
-Gabriel, je crois bien que j'ai attrappé une pneumonie.
En entendant sa voix rassurante, je m'étais glissé sur ses genoux
et je l'avais serré dans mes petits bas, comme si ce maigre réconfort
pouvait l'amener sur la voie de la guérison. Elle me rendit mon étreinte
avec sa désinvolture coutumière et je ne me rendis pas compte
que ce fut le commencement de la fin.
Elle devenait chaque jour de plus en plus malade et affaiblie, ce qui ne l'empêchait
pas, exceptée la dernière semaine, de se lever comme à
son habitude pour se rendre à son travail ou elle se faisait exploiter
par une femme que je n'avais recontré qu'une seule fois et qui ressemblait
à une vieille sorcière, du moins, à mes yeux d'enfant.
Ma mère, Flora, ce nom lui allait tellement bien, était une femme
courageuse et je savais que c'était pour moi qu'elle travaillait avec
tant d'acharnement, pour pouvoir continuer au payer ce maigre loyer qui lui
paraissait si cher, à me vêtir décemment, à me nourrir
correctement. Mais elle ne me faisait jamais remarquer ses constants effort,
car elle n'avait pas besoin que je lui montre de la gratitude ou quelque sentiment
de ce genre qui aurait terni nos rapports et la pureté de notre amour.
J'étais son fils et elle m'adorait.
Elle était ma mère et je la chérissais.
Six jours avant sa mort, elle m'avait envoyé au magasin ou elle travaillait
si durement, pour que je prévienne sa patronne qu'elle ne pourrait sûrement
plus venir. Celle-ci m'avait dévisagé en me demandant combien
de temps cela durerait. J'avais répondu d'une voix blanche et tremblante
que je n'en savais rien. Alors, la vieille femme avait répliqué
que cela ne faisait rien et qu'elle trouverait facilement une autre aide, que
cela courrait les rues et que de toute manière, ma mère n'était
pas très douée, mais quoi de plus normale pour une bourgeoise
habituée au salon. Et elle m'avait claqué la porte au nez.
J'avais eu du mal à contenir mes larmes sur le chemin du retour alors
que j'évoluais dans les rues familières de Brest.
En pénétrant dans notre petite mansarde, j'avais pris la décision
de cacher cette histoire à maman et j'avais résolumement posé
mon écharpe qu'elle m'avait tricotée sur le lit, comme pour me
donner du courage et du poids à mes pensées. Je lui avais menti,
comme si j'avais déjà su que cela apaiserait son départ
que de savoir qu'elle avait toujours un moyen de me nourrir.
Ces six jours, dans l'innocence des mes trois ans, je ne me rendis compte de
rien. Je voyais seulement que ma mère était tout le temps à
la maison et que je n'étais plus seul durant de longues heures. Elle
dormait beaucoup, bien-sûr, mais je n'avais qu'à tourner les yeux
de mes coloriages, j'avais eu une merveilleuse boîte de crayons de couleurs
à Noël, pour voir son visage paisible.
Le dernier soir, nous avions mangé, je m'en rappelle comme si c'était
hier, du jambon et de petites pommes de terre et nous avions terminé
une mousse au chocolat préparée la veille. Elle avait des cernes
immenses et noirs sous ses grands yeux bleus bordées de longs et épais
cils sombres. Elle était belle, même à cet instant. Elle
l'avait toujours été et c'est sans doute pour cela qu'elle s'était
retrouvée avec un enfant de trois ans, seule, dans une chambre sous les
toits. Mais elle aimait sa vie, cela j'en suis certain, et elle n'en aurait
changé pour rien au monde car cela aurait signifié me perdre et
j'étais pour elle. Comme elle était tout pour moi.
Elle s'est mise au lit et je l'ai rejoint, me glissant doucement à ses
côtés, la frôlant à peine, alors qu'elle me prenait
dans ses bras une dernière fois.
Au début, elle avait eu peur de me contaminer, mais depuis ma naissance,
j'avais toujours montré une résistance incroyablement forte contre
la maladie et la pneumonie ne m'avait pas touché et même ne serait-ce
qu'effleurer.
Ma mère m'avait serré contre elle avec force, comme un dernier
adieu à la seule personne qui méritait ses aurevoirs. Je m'étais
assoupi pendant un long moment et vers deux heures du matin, je m'étais
réveillé en sursaut, m'asseyant d'un bond sur le lit. Peut-être
était-ce l'arrêt des battements de son coeur qui m'avaient jusqu'alors
bercé dans mon inconscient qui avait provoqué mon éveil?
J'avais fait un cauchemar mais je ne me rappelais plus lequel. Tout ce que je
savais c'était que j'avais besoin de maman. Je secouais alors son bras
pour qu'elle revienne à elle.
Rien. Il ne se produisit strictement rien.
J'entends encore le propre son de ma voix qui l'appelait et qui résonnait
si durement dans le silence qui suit la mort. Mais elle n'avait pas esquissé
un mouvement. Je m'étais précipité hors du lit, tremblant
de la tête aux pieds et avait couru de son côté.
-Maman...maman...pourquoi tu veux pas répondre? Maman...maman?
Je l'avais secoué avec toutes les forces dont j'étais capable
mais il était déjà trop tard. On m'avait déjà
privé de la seule personne que j'avais connu. Mes yeux s'emplirent alors
de larmes, même si je ne comprenais pas ce qui se produisait. Pourquoi
maman refusait-elle de se lever? En quelques secondes, mon visage fut maculé
de pleurs, transformé par la douleur et le chagrin que j'éprouvais.
Je dus l'appeler durant près d'un quart d'heure encore, sans qu'elle
ne réponde jamais. J'étais alors bouleversé, effrayé
et terriblement seul. Comprenant trop tard qu'elle avait sûrement besoin
d'aide, je suis descendu en courant, les cheveux hisurtes et la mine hagarde
chez le propriétaire de la toute petite résidence ou nous vivions
depuis ma naissance.
-Qu'est-ce qu'il y a Gabriel? m'avait-il demandé de sa voix bourru.
J'avais la gorge trop serrée pour prononcer un mot et je m'étais
contenté de le tirer par sa manche pour qu'il vienne voir. Il m'avait
suivi en grommelant qu'on avait pas idée de réveiller les gens
à pareilles heures dans la nuit et en pénétrant dans la
minsucule pièce qui nous servait d'appartement, il dut immédiatement
comprendre.
Je ne me rappelle plus très distinctement de la suite. C'est comme si
tout s'était produit comme dans un rêve et je n'en garde plus que
quelques images floues et décousues. Le vieux gardien me dit seulement,
froidement, qu'elle était morte. Il n'avait pas de peine. Nous n'étions
que de mauvais payeurs d'après lui, car maman n'avait pas toujours l'argent
nécessaire à la fin de chaque mois et donnait généralement
ce qu'elle devait au début du suivant. Nous étions donc coupables
du crime, inexpiable à ses yeux, de pauvreté.
-Elle est morte.
Tel fut cette phrase qu'il prononça sans souciller à un petit
garçon de trois ans devenu orphelin par la force des choses.
Je crois que je me suis évanoui à cet instant, sur le pas de notre
porte, de cette maison ou le bonheur avait règné durant trois
merveilleuses années. Cette inconscience me permit d'échapper
pendant plusieurs heures à la dureté de la réalité.
Et quand je me réveillais, habillé et emmitouflé de mon
maigre manteau et de mon écharppe, je n'eus pas besoin que l'on me reprécise
ce qui s'était passé. Je n'étais plus le même. A
jamais, je venais d'être transformé et de manière irrémédiable.
Ma mère avait emmené avec elle, dans cet au-delà que je
ne connaissais pas, encore devrais-je préciser, Gabriel.
Gabriel était mort en même temps qu'elle. Son coeur avait cessé
de battre, il n'était plus moi et je n'étais plus lui.
Mais alors qui étais-je? Personne.
J'avais perdu mon identité en même temps qu'elle. Je savais que
tout ce qui avait formé ma vie jusqu'à présent avait été
brisé à jamais par sa perte et je ne voulais plus être l'enfant
doux et calin que j'avais jusqu'alors été.
Durant la dernière semaine de sa vie, je m'étais éveillé
à l'hostilité des gens. A sa patronne, au gardien de l'immeuble.
J'avais vu des visages durs, froids, fermés, me regarder comme si j'étais
un moins que rien, une personne infréquentable. J'avais vu leur sourire
ironique et la lueur de joie mauvaise en comprenant que la jeune Flora, elle
ne devait pas être âgée de plus d'une vingtaine d'années,
allait enfin cesser de les ennuyer. Est-ce que tous les hommes étaient
aussi durs? Est-ce que tout le monde allait se comporter ainsi avec moi dorénavant?
Toutes ces interrogations, je me les posais alors que j'étais debout,
sur le pas de la petite résidence ou j'avais grandi et peut-être
même vu le jour. La porte était ouverte et je voyais derrière
ma toute nouvelle lucidité, les gens passés dans la rue, le visage
sévère, sans jamais sourire à ce qui se passait autour
d'eux. Ma mère souriait toujours quand elle marchait. Mais elle n'était
pas de la même race qu'eux, elle était une fleur de soie, odorante
et délicate parmi ces épines et ces mauvaises herbes, coupantes
et blessantes comme du verre cassé. Un frisson me parcourut, extrérieurement,
comme en moi. Tout s'était brisé et un froid glacial m'envahissait,
venant me geler l'âme et tous ces sentiments que je venais de décider
de ne plus jamais éprouver. Je ne voulais plus d'émotions, cela
faisait trop mal. Je voulais devenir indifférent à ma propre souffrance
et garder l'amour que j'éprouvais pour ma mère, comme autant de
vestiges de ce que j'étais avant. Je voulais me protéger de tous
ces gens, qui ne m'adressaient pas même un regard et qui me faisaient
peur. Je ne souhaitais pas qu'il puisse me faire du mal et pour cela, il fallait
que je dresse autour de moi un bouclier d'impassibilité. Maintenant,
je n'avais plus le choix. Ou j'étais loup et on me laissait tranquille,
ou j'étais agneau et je me faisais mangé.
C'était cela que je pensais, durant ce froid matin de février.
Je me sentais vide, las et les larmes ne coulaient plus sur mon visage comme
la veille au soir. Je sanglotais, mais en moi, car je ne devais pas me montrer
faible, je devais me montrer digne face à l'épreuve, comme ma
mère l'avait sûrement toujours été. Elle me manquait
déjà. J'étais désemparé face à l'existence,
qu'allais-je devenir, ou allais-je aller? En orphelinat sans doute. De toute
manière, cela non plus n'avait plus d'importance.
Mais maman avait de la famille. C'est la gardien de la résidence qui
me l'apprit sans même me jeter un regard. Il avait fouillé dans
les affaires de ma mère et avait retrouvé l'adresse de sa seule
parente, sa soeur aînée de plus d'une quizaine d'années.
Il était entré en contact avec elle et elle viendrait avec son
mari et ses enfants assister à l'enterrement et passer me prendre. Elle
habitait en Bretagne elle aussi, mais dans le village de la baie de Marsan.
C'était ainsi qu'on le surnommait.
Le gardien avait ostensiblement hâte de se débarasser de ma présence.
Car c'était lui qui me gardait jusqu'au jour dit du service funéraire
de ma mère. Durant ce laps de temps, il ne me donna à manger que
des tartines de pains et de beurre ainsi que du café à moitié
froid. Jamais plus de ma vie je n'ai mangé de cela. Et la simple vision
d'un bolant fumant et de tartines me répulse.
Il n'échangeait pas un mot avec moi et vaquait à ses occupations
comme si de rien était. Comme si j'étais transparent et insignifiant.
Je venais déranger ses petits habitudes et cela ne lui plaisait pas.
Mais je n'y pouvais rien.
La nuit avant que ma tante n'arrive, je me suis rendu une dernière fois
dans notre appartement, tout seul, secrètement, silencieusement, comme
l'enfant introverti que je tâchais de devenir. Je devais dire une dernière
fois adieu au lieu des mes émois et de mes sentiments.
Maintenant, mon coeur était aussi glacé que le verglas qu'engendrait
la neige dehors. Je n'ai pas pleuré en parcourant des yeux la pièce
ou j'avais ris et aimé. Maman ne reposait plus dans le lit et je comprenais
sans peine qu'elle avait toujours été l'âme de cet endroit.
Sans elle, il n'avait plus aucun sens, il était vide. Je me suis avancé
dans la pièce, j'ai caressé du bout des doigts chaque meuble,
chacune de ses affaires qui allaient être vendues pour payer les quelques
dettes qu'elle avait contractées en ville pour me nourrir.
Que me resterait-il d'elle, hormis le souvenir et une écharppe qu'elle
m'avait tricoté? Je saisis sur la petite sur laquelle nous mangeions
d'habitude son livre préféré. Jamais je ne l'avais vu sans.
Dès qu'elle avait un peu de temps libre, elle s'en emparait, se mettait
à le feuilleter, à le parcourir longuement. Alors, quand elle
faisait cela, je savais que je ne devais pas la déranger. Je n'arrivais
pas à déchiffrer le titre ni le nom de l'auteur car je ne savais
pas encore lire, mais elle me l'avait dit plusieurs fois et je m'en rappelais.
"L'Etranger", d'Albert Camus.
Une merveille, elle le disait sans cesse. Je le pris dans ma main et le fourrais
rapidement dans la poche de mon manteau. C'est ce que j'avais choisi de garder
d'elle. Dès que je serais en âge de lire, c'est par cette ouvrage
que je commencerais. En souvenir d'elle, et de nous. J'allais l'aimer, c'était
certain, nous avions les mêmes goûts.
J'entrepris ensuite d'ouvrir la petite commode bancale dans laquelle elle rangeait
ses vêtements. J'observais quelques instants ses deux pulls de couleurs
sombres qu'elle portait depuis toujours, me semblait-il. Elle n'avait pas de
quoi s'en tricoter d'autre, encore moins s'en acheter. Elle avait aussi un pantalon,
une jupe et une robe fleurie pour l'été, que j'aimais particulièrement.
Avec une petite bague sur laquelle reposait un simple brillant d'assez mauvaise
qualité, c'était tout ce qu'elle possèdait. Les meubles
n'étaient même pas à nous, et c'était l'ancien propriétaire
de la mansarde qui les avaient laissé. Je resortis presque tout de suite
après car mon pélerinage ne devait pas s'éterniser trop
longtemps car, sinon, je risquais de faire fondre la glace avec laquelle j'essayais
d'endurcir mon coeur et mon esprit. Et le gardien aurait peut-être remarquer
mon abscence, bien que...
Cette nuit là, je l'ai passé dans les escaliers menant à
notre mansarde. Seul, physiquement comme moralement. Pour toujours.
Le lendemain matin, le gardien m'a retrouvé, avec ma nouvelle apparence
de calme et de distance coutumière et que je ne devais plus jamais quitter.
Il m'avait préparé un petit sac dans lequel il avait jeté
en vrac quelques affaires qui n'auraient pas besoin d'être vendu et qui
m'iraient à peu près.
Je le detestais. Je m'en rendis compte alors que je le regardais foidement ouvrir
la porte de la résidence et me faire signe de venir avec lui. J'étais
bien contraint d'obéir si je voulais retrouver cette tante que je ne
connaissais pas et qui avait charitablement accepté de me prendre chez
elle.
-Une femme courageuse que ta tante Gaëlle...me disait le gardien avec une
moue approbatrice. Je sais que moi, je n'aurais pas le courage de prendre un
enfant qui ne m'appartient pas dans ma maison. Eh, tu entends ce que je te dis
Gabriel?
Malheureusement oui, j'entendais. Mais je n'en avais que faire de toutes ces
balivernes. Dans mon monde, cet homme n'existait pas. Dans mon esprit, j'entendais
encore le rire cascandant de ma mère teinté à mes oreilles,
faire battre plus vite mon coeur, donné à mes yeux l'éclat
de la joie que j'avais perdu et que je ne retrouverais plus. C'est en me rendant
vers l'église pour donner un dernière adieu à celle qui
m'avait tenté aimé, que je compris que je n'avais maintenant plus
rien en commun avec Gabriel. Il appartenait au passé, je devais m'élever
au-dessus de cela, m'endurcir rapidement avant que l'on essaye de me blesser.
Et, tout en marchant, je pris de nombreuses résolutions, je devenais
quelqu'un d'autre et finalement, je trouvais que cette personnalité me
convenait parfaitement.
Ma rencontre avec ma tante et toute sa famille reste aussi floue que la nuit
de la mort de ma mère. Je ne me rappelle que de leurs visages pincés
en me voyant apparaître dans la nef et m'avancer dignement, la tête
haute vers eux, comme ma mère aurait voulu que je le fasse. Je ressentais
très bien leur hostilité car pour eux, je n'allais être
qu'une pièce rajoutée, un enfant indigne d'amour car j'étais
le fils de ma mère. Ils ne m'aimeraient pas j'en avais la certitude.
Et j'en eus largement la confirmation plus tard lorsque je surprenais, au coeur
dans la nuit, leur conversation.
Le soir de mon arrivée chez eux, je les entendis parler de ma mère,
caché dans les escaliers qui allaient devenir mon perchoir, mon endroit
de la maison favori.
-Flora n'a toujours été qu'une propre à rien, une trainée,
disait ma tante alors que j'entendais résonné le bruit de ses
pas sur le carrelage de la cuisine. Et elle nous laisse dans l'ennuie. Elle
ne nous lègue rien - il faut dire qu'elle vivait véritablement
comme une misérable! C'est était presque indescent.
"Par contre, elle a réussi à nous donner son fils. Cet enfant
n'est pas normal François, je te le garantis. Ce petit Gabriel a quelque
chose qui ne tourne pas rond. J'ai toujours dis que ma soeur était à
moitié folle de toute façon, ce n'est donc pas étonnant
qu'il en aille de même pour son enfant, tu ne crois pas? Il ne dit rien,
ne bouge pas...il est vraiment étrange! Et quel surcharge cela va nous
faire.
"Il faudrait peut-être trouvé d'autre parent dans notre famille
qui voudrait bien de lui, qu'en penses-tu? Je savais bien que tu serais enthousiaste.
Je m'attèlerais à cette tâche dès demain car il ne
faut pas perdre de temps. Ce serait mauvais qu'il s'habitue à nous alors
qu'il a bientôt repartir.
C'est donc cela qu'ils pensaient de moi. Ils voulaient se décharger du
poids que je représentais. Si seulement j'avais été plus
âgé, que j'avais eu un autre endroit ou aller, j'aurais prestemment
saisi ma maigre valise et je serai parti.
Cependant, ce projet, je ne pouvais pas le mettre à éxecution.
Je n'avais que trois ans, je n'allais même pas encore à l'école
et j'étais sans personne. Durant les mois qui suivirent la mort de ma
mère, je restais seule dans la chambre dans laquelle on m'avait relégué,
à regarder par la fenêtre, rêvant d'en briser la vitre et
de m'envoler comme un oiseau épris d'une liberté qu'il n'arrive
pas à acquérir.
Je ne faisais rien d'autre que de rester assis sur un coussin, à observer
la neige tomber, les bourgeons pousser, l'herbe jaunir sous l'effet du soleil
et les feuilles tomber.
Mes trois cousines ne s'intéressaient pas à moi, il fallait dire
qu'elles avaient toutes une dizaine d'années de plus que moi, mon oncle
simulait l'indifférence alors que je l'irritais en réalité
au plus haut point et ma tante affirmait ouvertement ne pas me souffrir. J'étais
trop renfermé, trop mystérieux pour elle, qui aimait à
lire sans difficulté dans la caractère des gens. Comme dans celui
de ces trois frivoles et légères filles.
Mais je ne changerais jamais, je l'avais décidé. Ni pour elle,
ni pour personne. Elle n'avait qu'à m'accepter tel que j'étais
si elle désirait vraiment m'aimer comme elle le prétendait à
qui voulait m'entendre. Mais ce n'était pas senser être sa faute
si je ne me montrais jamais affectueux, jamais tendre, ni doux, encore moi docile...Un
poids. Un boulet. C'est ce que j'étais et elle se disait fatiguée
de me traîner. Sa recherche d'un parent proche dura plusieurs mois, mais
jamais elle n'abandonna l'idée de se débarasser de mon encombrante
personne.
Ce passage de ma vie fut comme une sorte de période de transition ou
je recherchais la véritable essence de mon âme et ou je commençais
à comprendre la nature de l'homme. Je n'avais que trois ans et j'étais
pourtant étonnement mature, j'arrivais à saisir la complexité
de nuances de l'être. Les hommes, tous autant qu'ils soient, sont semblables
à de statuettes de cristal, élegantes d'aspect, agréables
à regarder, à manier mais si fragile, entre des mains mal habiles
et inexpertes que l'on peut les briser en quelques secondes. Alors, les fameuses
statuettes deviennent coupantes, tranchantes, dangeureuses, comme du verre cassé.
Telle était la philosophie que je tirais de la vie. Il est si facile
de sembler ce que l'on est pas aux yeux des autres et la nature profonde et
en réalité tout autre, mais personne ne la soupçonne, ni
ne l'envisage même. La plupart des gens s'arrêtent aux apparences,
qui sont plus que trompeuses.
Il me suffisait de regarder ma tante Gaëlle pour avoir confirmation de
mes pensées. Elle jouait devant les autres une formidable comédie,
elle s'était composée sur mesure une rôle de bonne chrétienne,
recueillant un enfant difficile qui n'était autre que moi. Et, une fois
que son public, ses spectateurs la quittaient, elle cherchait de plus bel un
parent à qui me donner, à qui m'abandonner de nouveau.
Pour ma part, je ne voulais pas être briser comme l'une des statuettes
dont j'avais parlé. C'est pourquoi, au fur et à mesure que le
temps passait, je tentais de raffermir mon caractère, mon bouclier de
protection ou plutôt de survie. Je devais me transformer en véritable
mur de granite si je ne voulais pas que l'on me fasse mal. Je ne voulais plus
souffrir comme à la mort de ma mère. J'aspirais à la paix
de l'esprit. Le bonheur n'était plus quelque chose qui était à
ma portée, c'est pourquoi je ne désirais que le calme intérieur,
semblable à la douceur du vent au printemps. Et c'est ce que j'essayais
de retrouver, impérturbablement assis devant cette grande fenêtre
qui laissait si bien filtrer la lumière à l'intérieur de
cette chambre ou l'on m'avait placé, comme un bagage en consigne attendant
que l'on vienne le chercher. Je pensais souvent à maman, surtout les
trois premiers mois. Je rêvais d'elle chaque nuit, elle me tendait les
bras, m'appelait.
-C'est trop tard, répondais-je invariablement, c'est trop tard maman.
Je ne suis plus celui que tu crois. Mais ne t'inquiète pas, j'ai laissé
Gabriel avec toi. Pour que tu ne sois jamais seul et que vous ne soyez jamais
séparés.
Et je me réveillais toujours en sursaut à cet instant. Mais, au
bout de quelques temps, mes rêves agités cessèrent. Lorsque
je dormais, je n'étais plus que dans le noir, le silence bien faisant
du noir et du néant alors que dans la journée, je me tenais dans
la lumière de cette fenêtre que je connaissais si bien. J'étais
fait d'ombres pour les autres, mais je savais qu'au fond de moi et malgré
tout mes effort, une petite parcelle de lumière était sauvegardée.
C'était nécessaire à ma survie peut-être, alors,
je ne tentais pas de la détruire et la conservais.
Jusqu'en décembre, durant donc dix mois, j'ai vécu chez ma tante
et sa famille, comme l'intrus indésirable que j'étais. J'aurais
aimé leur dire que moi aussi, je souhaitais m'en aller mais c'était
trop fatiguant et je n'avais pas envie de leur adresser la parole. J'avais d'autres
choses à penser, à découvrir.
J'étais comme un papillon enfermé dans sa chrysalide et qui attend
le bon moment pour pouvoir en sortir. Je ne devais pas m'aventurer, m'exposer
trop rapidement au monde extérieur, avant d'être certain que j'étais
bien préparé, que le halo froid dont j'étais maintenant
environné n'allait pas fondre. Cela devait être solide et résister,
pas seulement quelques heures ou quelques jours, mais toute une vie. En fait,
il ne me reste que ces impressions de cette période, rien de plus, rien
de moins. Je ne revois que vaguement les sempiternelles repas, toujours indentiques
auquels j'assisstais, tout commes les messes de chaque dimanche, les disputes
de mes trois cousines et moi...dans ce carré de lumière provoqué
par la fenêtre.
Et un soir, une nuit précisement, je sus qu'il était tant pour
moi, de partir. Je pouvais jeter au loin ce qui m'avait servi à me préparer,
mon cocon dans lequel j'avais évolué. Il m'avait fallu dix longs
mois pour arriver à ce résultat. Et j'en étais content.
Je ne craignais plus rien, même si bien souvent, tout au fond de moi,
je ressentais la cruelle douleur de la solitude. Mais ne pas avoir d'attache
représentait au moins un avantage, il n'y avait pas d'entraves aux choix
que je pouvais éventuellement faire dans l'avenir. Il n'impliquerait
jamais que moi, puisque j'étais seul. Et qu'il soit bon ou mauvais, je
serai le seul à en payer les conséquences.
C'était le vingt décembre. Bientôt, les fêtes de fin
d'année allaient avoir lieu mais personne ne m'avait proposé de
participer aux festivités. Mes cousines et mon oncle avaient préparé
ensemble l'arbre de Noël, me maintenant soigneusement à l'écart
de cette période de joie familiale. Ma tante avait préparé
des sablés, des chocolats, des gâteaux en pâtes d'amande,
des bûches et mon dessert préféré, même si
elle ne le savait pas, du pain d'épice. Elle avait tout disposé
sur la table, ce souvenir est encore très vivace dans mon esprit, mais
j'étais trop petit pour attendre tout cela et je n'avais pas pu me servir,
personne ne remarquant ma présence ne m'en avait donné. Mais ce
n'était pas grave, après tout. Il fallait que je fasse abstraction
de tout cela. J'étais en glace dorénavant, et je n'avais pas à
me peiner pour si peu. Cependant, durant cette fameuse nuit du vingt décembre,
je ne pouvais pas empêcher mon esprit de vagabonder de temps à
autre vers mon passé. Il y avait encore un an, je me trouvais à
Brest, auprès de ma mère. Nous n'avions pas tous les délicieux
mets que ma tante avait confectionnés mais maman avait cuisiné
du pain d'épices et elle avait sorti encore tout fumant du four avant
de le couper en tranches et de me le donner généreusement beurré.
C'est peut-être pour cela que j'aime tant cette sucrerie d'ailleurs. Mais
c'était un autre temps, un autre lieu, un autre moi...
Ce fut cette dernière pensée qui me poussa à me lever,
à quitter mon lit bien chaud en plein milieu de la nuit. La chambre était
plongée dans le noir et il ne devait pas être plus d'une heure
du matin. Toute la maison dormait et je devais prendre garde à être
silencieux. Je n'allais rien en emmener. Je n'avais pas le temps et cela m'aurait
ralenti de toute manière.
J'enfilais rapidement mes vêtement, que j'avais moi-même disposé
sur une chaise basse la veille. J'avais même déjà songé
à sortir mon vieux manteau et ma vieille écharpe car je ne voulais
pas partir avec des affaires que ma tante avait achetées ou récupérées
au près de je ne sais qui. Je n'avais pas besoin de sa charité.
Je balayais du regard la pièce sombre ou j'avais passé mon temps
à essayer de me retrouver. Je tâcherais de l'oublier, de l'oblitérer
de ma mémoire, pas comme la mansarde que j'avais occupé avec ma
mère. Mais cette pièce qui appartenait à ma tante, je ne
devais plus y penser, l'enlever de mon passé, feindre de l'ignorer si
toutefois je n'y arrivais pas. Je hochais résolument la tête pour
m'encourager et me décider.
Tout ceci, c'était bien fini.
Je me tenais sur le pas de la porte de ma chambre quand je me figeais brusquement
et retournais sur mes pas vivement, mais toujours aussi silencieusement qu'un
chat. J'avais appris à me déplacer de cette manière à
force d'épier mon oncle et ma tante. Je me penchais sur ma table de chevet
et en ouvrit le tiroir. Je saisis un libre à la couvertue cornée
et le glissait dans ma poche, comme je l'avais fait il y avait ce qui me semblait
une éternité. C'était la seule chose que je voulais emmener
avec moi. Je quittais ensuite la pièce sans même lancer un dernier
regard derrière mois et descendit doucement les escaliers avant de m'engager
dans l'entrée. Là, était disposé mes bottes, rapportées
un soir par mon oncle sur l'ordre de ma tante et à côté,
mes vieilles bottines de cuir bleu gris, que ma mère avait mis plusieurs
mois à acheter en se privant d'un certain nombre d'objets qui lui étaient
pourtant parfois nécessaires. Je n'hésitais pas une seule seconde
et choisi le fruit du dur labeur de maman. Je les enfilais tout en respirant
profondément. Mon coeur battait la chamade dans ma poitrine mais je ne
savais pas pourquoi. Mon pouls s'accèlerait alors que je tournais lentement
la clé dans la serrure et que j'ouvrais la porte.
Le vent soufflait dehors et le ciel était noir et triste. Cependant,
je devinais sans peine qu'il risquait de neiger d'un instant à l'autre.
Je me mis en marche, laissant entrouverte la porte de cette maison dans laquelle
je ne reviendrais plus jamais.
Je n'avais aucune idée de vers ou je me dirigeais. Probablement vers
Brest. Là-bas, j'aviserai. J'avais l'impression d'aller à la rencontre
de quelque chose d'important, que je ne pouvais pas manquer. C'était
comme...Ma destinée. Il fallait que je sorte en cette nuit, que je marche,
que je tourne à gauche, puis à droite. Ce n'était pas par
choix, c'était ainsi. Je ressentais au plus profond de mon être
comme un appel étrange et mystérieux. Vers ou et vers qui me guidait-il?
Je n'en avais pas la moindre idée, mais je devais le faire, c'était
la seule chose dont j'avais conscience.
Il faisait froid et mon vieux manteau n'était pas très épais.
La neige commença soudainement à tomber en flacons légers
et moutonneux comme l'écume des vagues. C'était agréable,
et tellement beau à voir. J'aimais la glace, la neige j'étais
attiré par ces différentes formes de l'eau, pour une obscure raison,
cela me faisait penser, à moi, à mon caractère...
J'étais sorti du village de la Baie de Marsan, qui n'était pas
très grand et je marchais à présent dans la nature, reposante
et silencieuse. J'entendis le huhulement d'une chouette mais je ne sursautais
pas. J'étais persuadé que je ne craignais rien. Je me sentais
protégé par une force que je ne savais pas encore être la
mienne. Le vent fit tourbilloné les flocons partout autour de moi et
je me perdais dans mes pensées. Le verglas craquait sous mes pas et je
me laissais bercer par ce son agréable. Je fixais à présent
fermement des yeux le sol et...
Je me cognais à quelque chose.
Je fis instinctivement un bond en arrière en cherchait des yeux ce qui
s'était trouvé juste devant moi. Une silhouette sombre se découpa
alors un peu dans la nuit.
-Qui est là? demandais-je d'une voix que j'aurais voulu ferme mais en
transparessait clairement mon inquiètude.
-Excuse-moi de t'avoir fais peur...
Cette voix n'avait rien d'hostile et m'était étrangement familière.
Etait-ce celle-ci que j'avais entendu en rêve et qui m'avait dis de partir
ce soir, qui m'avait guidé jusque là?
-Tu devines déjà qui je suis?
Je hochai la tête. Je n'avais plus peur. C'était pour cela que
j'étais sorti. C'était pour cela que je m'étais endurcie
à la vie et aux gens durant tant de mois. J'avais comme eu une préconcience
du destin qui était le mien et qui était entrain de s'accomplir.
La personne qui était devant moi, devait être âgé
d'environ une dizaine d'années, mais paraissait plus âgée
à cause de son impostante stature.
-Je suis venu pour te chercher mon garçon. J'espère que je ne
t'effraye pas trop en te disant cela car je ne compte nullement te faire de
mal. Simplement, j'ai été envoyé pour venir te prendre.
Je m'appelle Fomalhaut.
J'acquiesçais par un signe de tête. Je comprenais que le destin
m'avait tendu la main et que je venais de la saisir.
J'entendis le sifflement du train. J'allais partir pour la Sibérie
Orientale. Là-bas on m'expliquerait tout. Fomalhaut était sur
le quai de la gare et me faisait signe alors que la locomotive s'embranlait.
Nous avions longuement parlé lui et moi. De tant de choses que je n'avais
jamais osé formulé à voix haute et que je connaissais pourtant
depuis toujours, au fond de moi. Le Sanctuaire, les chevaliers, le cosmos, l'entrainement,
les guerres saintes, Athéna...mes oreilles bourdonnaient encore de tout
ce qu'il m'avait expliqué. Et puis, il était très gentil.
Nous étions restés une nuit et une journée ensemble et
maintenant, la lune paraissait de nouveau dans le ciel. Il m'avait acheté
du pain d'épice avec sa petite monnaie pour mon voyage et pour mon Noël,
disait-il. J'avais été touché par ce geste.
Il m'avait raconté qu'il était le chevalier du Poisson Austral,
qu'il était dans la caste de l'Argent mais que moi, j'allais conquérir
dans celle de l'Or. Il m'avait précisé que j'avais un potentiel
hors du commun, que mon destin était écrit dans les étoiles.
J'avais été suspendu à ses lèvres durant les heures
ou nous nous étions promenés dans la nature et ou il ne faisait
que me raconter les destinées des chevaliers et la mienne, de part la
même occasion. Il m'avait ensuite dit que je devais rejoindre le camp
d'entrainement de la Sibérie Orientale. Nous nous étions alors
téléportés dans un pays très lointain, la Russie.
J'étais en ce moment dans le Transibérien, un train mal famé
mais je n'avais rien à craindre, la constellation du Verseau veillait
sur moi.
Je regardais Fomalhaut s'approcher du compartiment alors que le train commençait
à avancer tout doucement. Il marchait à côté de ma
vitre. Je songeais qu'il avait tout de suite cerné mon caractère.
J'étais devenu aussi froid que la neige qui tombait drument et avec violence
dans cette nuit qui scellait mon destin.
Fomalhaut me fit signe de baisser ma vitre. Une veille femme m'aida car je n'étais
pas assez haut pour atteindre le poignet des vitres.
-Petit, cria-t-il alors que le train s'éloignait peu à peu, je
ne t'ai pas demandé mais...comment t'appelles-tu?
J'hésitais quelques secondes. Je n'étais pas Gabriel, je ne pouvais
donc pas lui répondre cela. Je sentis la forme du livre dans la poche
de mon manteau.
-Camus, criai-je pour couvrir le bruit du train qui s'enfonçait déjà
dans la nuit. Je m'appelle Camus.
Aquarius Camus
"L'appel des Etoiles"