Mémoires d'Aioros, chevalier d'Or du signe du Sagittaire.
J'avais exactement sept ans quand mes parents sont morts, alors qu'Aiolia venait
juste de naître. Je me retrouvais seul et sans plus personne sur qui compter,
car ils n'étaient malheureusement pourvus ni l'un ni l'autre, de parents
proches suceptibles de nous élever. Jamais je n'avais envisagé
que mon enfance tournerait de cette façon. Et jamais je n'avais cru possible
ce qui allait m'arriver par la suite.
Je me souviens qu'ils m'avaient laissé à la maison avec mon petit
frère afin que je puisse m'en occuper pendant qu'ils sortaient s'amuser
un peu, ce qui ne leur arrivait pas très souvent, notre pauvreté
nous en empêchant.
Ma mère m'avait embrassé sur le front avec toute la tendresse
et la douceur qu'elle me prodiguait depuis toujours et mon père s'était
contenté de poser sa main sur ma tête en me recommandant d'être
bien sage. Et puis, ils étaient partis. Seulement, à aucun instant
je n'avais jamais envisagé ne plus les revoir après ce moment.
Je m'étais imaginé qu'ils rentreraient un peu tard, que je leur
raconterai rapidement comment ma soirée s'était passée
avec Aiolia et que j'aurais ensuite été me coucher. Cela aurait
d'ailleurs dû se passer ainsi...mais pas cette fois-ci puisque le destin
avait décidé d'agir et de laisser son empreinte dans mon existence.
Je me rapelle comme j'avais les yeux rivés sur la pendule du salon alors
que le temps s'égrenait et que mon estomac se nouait pendant que les
aiguilles ne cessaient de se déplacer sur le cadran, comme pour se moquer
de moi et me dire que quelque chose de grave était arrivé.
Etrangement, j'en avais eu le présentiment depuis que mes parents étaient
montés dans leur voiture pour aller au restaurant. J'avais comme reçu
un appel de ce sixième sens que je ne connaissais guère mais dont
je me servai malgré tout. Je leur avais fait signe par la fenêtre,
alors que le véhicule s'éloignait et que je n'avais pas l'esprit
tranquille de les savoir parti par cette nuit étoilée.
J'ai d'ailleurs levé les yeux vers toutes les constellations qui mouchetaient
la voûte célèste en me disant qu'il était bien reconnu
que nulle part ailleurs qu'en Grèce, les cieux sont aussi beaux.
Et puis, j'étais retourné m'asseoir sur le canapé, en installant
le berceau ou Aiolia reposait silencieusement près de moi, et j'avais
attendu. Tout d'abord, je n'avais senti qu'un curieux malaise, mais peu à
peu, je m'étais mis à éprouver une peur latente puis une
véritable angoisse. J'avais passé ma soirée à regarder
des livres d'images que j'avais dans ma bibliothèque et que ma mère
adorait m'acheter dès qu'elle avait un peu d'argent de côté.
Quand j'y repense, je ne peux m'empêcher de me dire qu'ils étaient
de bons parents et qu'Aiolia aurait vraiment mérité de les connaître.
Il les aurait aimé, c'est certain, car comment un enfant pourrait-il
ne pas apprécier ses parents, du moins quand ils sont comme les miens?
Nous vivions dans une maison vétuste et éloignée de la
ville d'Athènes, et je pense que c'est pour cette raison que l'on mit
tant de temps à me prévenir du drame qui me touchait soudainement,
sans prévenir.
Je me rappelle que lorsque je vis des policiers arriver, je n'ai pas eu peur,
pas plus que je n'ai été surpris car je m'attendais à une
visite de ce genre depuis le départ. Ou plutôt depuis leur départ.
Malgré tout, je n'ai pas pu empêcher mon coeur de se mettre à
battre plus vite et ma respiration de devenir plus courte, plus difficile.
En allant ouvrir la porte, j'ai jeté un coup d'oeil à Aiolia pour
me donner de la force car ce petit frère, que je ne connaissais que depuis
quelques semaines, allait devenir mon meilleur soutien et l'était déjà
d'une certaine façon. J'ai inspiré profondément en tournant
la poignet, et je les ai vu, le visage grave, la mine sévère et
pourtant, avec cette lueur de compassion au fond des yeux qui me prouvaient
qu'ils regrettaient plus que tout ce qu'ils avaient à faire.
Ils me l'ont annoncé très doucement, prenant le temps de me faire
asseoir, de me ménager, mais sans faire de détour, pour ne pas
me faire souffrir inutilement et trop longtemps.
De toute manière j'avais déjà compris, je n'étais
pas idiot et je l'avais senti depuis l'instant ou j'avais posé le pied
par terre ce matin-là. La mort est l'une de ces choses que l'on ressent
avant même de s'y trouver confronté car sa présence est
là, stagnante, bien avant qu'elle ne nous frappe de sa faux et nous emmène
avec elle.
J'ai des frissons rien qu'en songeant à cela, car je n'aime pas y penser,
cela me met mal à l'aise et je crois que les vivants doivent uniquement
songer au présent et laisser les ombres du passé en paix.
C'est du moins mon avis, et ce depuis ce fameux jour ou j'ai perdu tout ce qui
avait constitué mon existence jusqu'alors.
Ils étaient morts dans un accident de voiture, pour une mystérieuse
raison leur véhicule avait soudainement quitté la route et était
tombé dans l'un de ces immenses ravins qui échellonnent tout le
territoire de cette partie de la Grèce. Ils avaient dû perdre le
contrôle du véhicule sans s'en appercevoir et avaient perdu la
vie sur le coup, c'est du moins ce que les policiers me racontèrent pour
apaiser ma souffrance. Mais cela n'y faisait rien car je voyais peu à
peu mon avenir se peindre sous mes yeux. Les assistantes sociales, les orphelinats,
encore tout cela, j'aurais aisément pu le supporter car j'étais
déjà doté d'un caractère très fort, mais
je comprenais que l'on allait essayer de me séparer d'Aiolia et cela,
je ne le voulais pas. Il était encore mon seul lien avec mes parents,
ma seule attache avec cette existence que je venais juste de voir se briser
sous mes yeux.
Mais si j'avais déjà compris cela, si j'avais déjà
assimilé le fait que l'on ne nous laisserait jamais continuer à
vivre ensemble, je ne savais par contre pas comment faire pour me sortir de
pareille situation.
Mes parents n'avaient jamais envisagé de mourir, car, comme tous les
êtes humains, ils se croyaient pratiquement intouchables, ce qui est somme
toute naturelle car nul ne peut s'imaginer ce qui existe dans ce monde de l'au-délà
que seuls très peu d'hommes connaissent. Ils ne m'avaient donc jamais
donné de consignes, d'ordres sur la manière dont je devrais me
comporter s'ils venaient à disparaître.
Dans ma vie, je n'avais jusqu'alors jamais pris aucune décision importante.
Mais ce jour-là, je me retrouvais face à un choix que je devais
faire rapidement, avant que les policiers ne m'emmènent. Je n'avais que
six ans, et ce n'est guère un âge ou l'on n'est sensé être
capable de choisir son avenir et son destin, sauf en cas d'extrême urgence,
comme celui ou je me trouvais.
Je me suis levé doucement du canapé et je leur ai demandé
de me laisser un peu de temps pour préparer une valise avant de les suivre
afin prendre les affaires d'Aiolia. Ils ont acquiescé sans rien dire,
sans doute étonné de ne pas voir de larmes maculées mon
visage. J'aurais aimé pouvoir leur dire combien j'étais peiné,
attéré par ce que se passait, mais je n'avais pas encore le droit
de m'épancher librement sur mon chagrin. Avant je devais emmener mon
frère, très loin de là, dans un endroit ou nous pourrions
grandir l'un près de l'autre sans risque d'être séparé
par un nouveau coup du sort. Je n'avais pas la moindre idée d'ou ce lieu
se trouvait, s'il était proche ou loin mais je devinais que quelque part
sur terre, quelque chose nous attendait et que nous serions reconnaitre ce mystérieux
coin lorsque nous le verrions.
C'était comme une certitude qui était ancrée au fond de
moi, peut-être même plus, c'était comme un appel. Oui, c'était
le mot qui convenait le mieux à ce que j'étais entrain de vivre.
Mes parents étaient morts et cela me laissait traumatisé, j'avais
la tête qui me tournait et j'entendais de curieux bourdonnements à
mes oreilles car je ne réalisais pas encore vraiment à quoi allait
ressembler mon existence sans eux. Mais malgré le chagrin qui écrasait
mon coeur, j'éprouvais autre chose, comme une incontrôlable exhaltation.
Je ne savais d'ou elle provenait mais elle était bien présente
et me rendait encore plus fébrile que je ne l'étais déjà.
J'avais emmené Aiolia dans la pièce ou je préparais un
maigre bâluchon, unique souvenir que nous aurions de cette maison ou nous
aurions dû grandir comme deux petits garçons normaux, auprès
de parents aimants et auquel j'étais si attaché. Mais l'ordre
des choses, de la vie, venait soudainement d'être bouleversé et
je devais tout faire pour retrouver un semblant de normalité.
Je venais de perdre ma mère et mon père. Cette phrase, je ne cessais
plus de ma la répéter, tout le temps, comme pour essayer de la
retenir, de comprendre ce qu'elle signifiait. Mais je n'arrivais pas à
assimiler le fait que je ne verrais plus jamais ma génitrice passée
le pas de la porte de ma petite chambre en me souriant. Que je ne verrais plus
jamais mon père rire le matin, au petit déjeuner, d'une plaisanterie
de sa femme. Que je ne verrais finalement plus jamais ce foyer qui avait constitué
pendant six années, ma famille, mon univers, tout ce que j'aimais.
Cette terrible nuit, non seulement je perdais mes parents, ce qui était
le coup le plus terrible que l'on pouvait m'asséner, mais en plus, je
me retrouvais dans l'obligation de quitter mon foyer, de tout abandonner derrière
moi.
Je balayais alors du regard la pièce dans laquelle je me trouvais. De
toute manière, il n'y avait plus d'âme dans cette maison. Le changement
qui s'était produit était incroyable.
Le matin encore, la demeure respirait la joie, les éclats de rire, la
bonne humeur, et maintenant elle ne ressemblait plus qu'à une maison
fantôme que tous ses habitants auraient déserté. Ce qui
prouve bien que les lieux ne sont jamais que de vulgaires tas de pierres et
que se sont les hommes qui les animent et leur insufflent la vie. Je soupirais
bruyamment en pensant à cela alors que je jetais mon petit sac sur mon
épaule et époignais le couffin d'Aiolia avec force.
Je n'avais pas le choix. Je devais partir.
Evidemment, j'aurais pu docilement suivre les policiers, les laisser me conduire
dans un orphelinat ou je n'aurais pas été à ma place, et
regarder des inconnus emporter mon petit frère. Mais c'était cette
dernière pensée qui me poussait à prendre la fuite. Entre
Aiolia et moi, il y avait quelque chose de bien plus fort qu'un simple amour
fraternel. Nous étions réunis par quelque chose dont je n'avais
pas encore conscience, mais qui n'avait rien avoir avec nos liens du sang, pourtant
déjà très solides.
Je ne voulais pas qu'il grandisse loin de moi, je ne voulais pas qu'il n'ait
jamais la chance de connaître l'amour d'une famille. Je désirais
lui offrir un foyer ou nous aurions été tous les deux, ou je lui
aurais appris ce que mes parents m'avaient enseigné, comme la foi en
ses proches, en soi-même, tant de valeurs en lesquelles je croyais si
fermement.
J'ai ouvert la fenêtre et j'ai préféré ne pas me
retourner. Cela m'aurait fait trop mal, je le sentais. Je ne voulais pas voir
ce qui avait été réduit à l'état de ruines
en quelques heures. Ce qui m'arrivait était inconcevable, et je le vivais
comme si j'avais été dans un rêve. Le monde, les gens, tout
autour de moi me semblait floue, éloigné, les voix me parvenaient
comme déformées et je n'arrivais plus qu'à distinguer correctement
les étoiles.
La maison que j'habitais depuis ma naissance se situait entre de grandes collines
rocheuses ou il était facile de se perdre, et c'est pourquoi mes parents
m'avaient toujours interdits d'aller me promener trop loin seuls.
Mais maintenant c'était différent.
Etrangement, je réalisais vraiment qu'ils avaient disparus au moment
ou j'empruntais la petite route que je n'avais jamais eu le droit de prendre.
Cela me prouvait bien qu'ils n'étaient plus là. Jamais ils ne
m'auraient laissé faire cela.
-C'est pour Aiolia, murmurai-je à leur adresse, comme s'ils pouvaient
m'entendre de l'endroit ou ils se trouvaient à présent.
Un curieux frémissement me parcourut. Tout allait si vite, trop vite,
j'avais l'impression de perdre le contrôle, de ne plus pouvoir diriger
mon existence, de ne plus avoir de prise sur rien. C'était comme si j'avais
été entrain de me noyer et que je n'arrivais pas à remonter
à la surface. Je me débattais sans parvenir à sortir ma
tête hors de l'eau et pourtant j'avais un aspect de calme et de sérénité
absolu, comme si je devinais que c'était mon seul moyen de rester encore
raccroché à cette vie sur laquelle je n'avais plus aucun contrôle.
Je savais que je n'avais pas beaucoup de temps devant moi, que bientôt
les policiers entreraient dans ma chambre pour voir ce que j'y faisais car j'étais
trop long, qu'ils se mettraient à me chercher et qu'alors, il vaudrait
mieux que je me trouve déjà loin. Mais je possédais un
avantage sur eux, je connaissais, grâce aux nombreuses promenades que
m'avait fait faire mon père, extrêmement bien l'endroit et je pouvais
donc utiliser un bon nombre de racourcis dont ils n'imaginaient pas même
l'existence.
J'essayais de faire le vide dans mon esprit alors que j'avançais dans
cette nature déserte dont je me sentais si proche. Au-dessus de ma tête,
je ressentais la présence de l'astre de la nuit, et plus encore des étoiles.
Grâce à elles, j'avais moins peur de me diriger dans le noir et
avec un nourrisson à charge. J'avais l'impression qu'elles me rassuraient,
qu'elles me prêtaient de leur force et de leur courage.
Je n'avais encore jamais fait preuve d'une témérité hors
du commun et ce que j'accomplissais cette nuit me laissait sans voix. J'osais
comettre quelque chose que je n'avais encore jamais envisagé. Mais il
fallait reconnaître que la situation l'exigeait. Je m'étais acculé
contre un mur qui n'était pas pourvu de porte, et il fallait bien que
je m'en sorte d'une façon ou d'une autre. Et j'avais employé le
seul moyen qui m'avait traversé l'esprit: la fuite.
Je ne réalisais pas encore vraiment ce que cela impliquait, mais j'entrevoyais
déjà que cela n'allait pas être très facile. De toute
manière, tout ce que j'espérais était que personne ne me
rattrappe.
Je regardais le couffin que je portais serré contre moi et observais
mon petit frère quelques secondes, lui promettant intérieurement
de ne jamais le laisser et de toujours m'occuper de lui. Je ne voulais pas qu'il
connaisse ce que je vivais à cet instant, la douleur de l'abandon, la
plus cruelle existante.
J'aurais pu m'absorber plus longtemps dans la contemplation d'Aiolia, mais un
bruit me fit soudainement relever la tête.
Je venais de percevoir un son très puissant, comme si quelque chose d'énorme
venait de tomber par terre et de briser le sol de pierre. Je sentis les battements
de mon coeur s'accélérer. Depuis combien de temps évoluais-je
dans le sombre manteau de la nuit? Trop longtemps, et je n'avais pas assez fait
attention à ma route, car je me rendis compte que j'étais perdu.
Je ne reconnaissais absolument pas l'endroit ou je me trouvais et je sentais
la panique me gagner. Je serrai alors avec plus de force contre moi Aiolia,
cherchant à le protéger de dangers dont il n'avait pas même
conscience.
Des bruits de pas réssonèrent puis un cri, qui, loin de me glacer
le sang, me rassura un peu. C'est une exclamation victorieuse qui s'élevait
dans l'air, et non pas quelques hurlements barbarres qui m'auraient fait perdre
tous mes moyens.
-Oui! Il était temps, j'ai cru que je n'y arriverais jamais! Et puis,
bien-sûr, il n'y a personne pour voir ça, comme cela, quand je
le raconterais demain, il n'y aura pas une seule bonne âme pour le croire.
Bah tiens... ça m'aurait étonné que j'ai un peu de chance
durant cet entraînement de fou!
-C'est gentil de ne pas me considérer comme une personne, merci! Cela
fait toujours plaisir d'être ton ami.
Des rires retentirent contres les immenses parois des rocheuses qui nous entouraient.
Deux personnes s'approchaient de moi, et je me demandais si je devais me cacher
ou non. Quelque chose m'intriguait dans ces deux voix qui m'étaient déjà
si familières.
C'est à cet instant précis qu'ils me remarquèrent et se
figèrent sur place. Je ne m'apperçus qu'à ce moment que
les deux garçons qui se tenaient en face de moi avaient mon âge.
-Eh! Qui es-tu? demanda l'un d'entre eux, celui qui s'était plaint que
personne ne saurait ce qu'il avait réussi à accomplir. Tu ne sais
donc pas qu'il est interdit de venir par ici? N'est-ce pas Saga?
-Ce n'est rien, Fomalhaut, c'est peut-être un des nouveaux disciples qui
sont arrivés ce matin.
Ils échangèrent un regard plein de complicité et je les
regardais, la mine hagarde et sans doute l'air franchement hébété.
Tout s'enchaînait trop rapidement, j'avais du mal à suivre ce qui
se passait.
-Je me nomme Saga, je suis en ce moment un entraînement pour devenir chevalier.
Et lui, c'est Fomalhaut, un autre disciple. Tu sais, c'est interdit d'être
dans ce coin à une heure aussi avancée de la nuit. Franchement,
je te déconseille de rester ici, car si ton maître te surprenait...
-Bah... il ferait sûrement comme les nôtres! termina Fomalhaut avant
d'éclater de rire avec une bonne humeur presque rafraîchissante.
Saga unit bientôt son rire au sien alors que je laissais errer mon regard
de l'un à l'autre. Des disciples? Des maîtres? Ou étais-je
tombé? De quoi me parlait-on? Je n'avais encore jamais rien entendu de
tel.
Je parcourus l'obscure paysage du regard pour essayer de comprendre quelque
chose à ce qui m'arrivait et trouver une réponse dans les ruines
qui nous entouraient.
C'est à cet instant que Saga se rendit compte que je ne faisais pas partie
du Sanctuaire, sans doute à cause du couffin que je portais serrer contre
ma poitrine.
Il fronça les sourcils et donna un coup de coude au garçon qu'il
avait précedemment nommé Fomalhaut.
-Qu'est-ce que tu tiens comme cela? demanda-t-il avec douceur, alors que ses
yeux s'attendrissaient en devinant ce que je gardais dans mes bras.
-Mon petit frère, murmurais-je de façon presque inaudible.
-Tu n'es donc pas du Sanctuaire, enchaîna Saga en se rapprochant de moi
pour venir voir le bébé.
Fomalhaut le suivait de près et je reculais un peu craintivement d'un
pas. Mais leur regard à tous deux étaient si doux, et ils avaient
l'air de si bien s'entendre que je ne me sentais pas vraiment menacé
par leur présence.
Saga passa une main dans le couffin et écarta doucement la couverture
qui recouvrait mon frère avant d'effleurer son visage en une fugace caresse
comme celle que ma mère avait à mon égard. Il releva ensuite
la tête et me fixa des yeux. Je crois que je n'avais jamais recontré
de pareil regard avant, si pur, si intense... j'en restais sans voix pendant
quelques instants, jusqu'à ce qu'il m'adresse la parole de nouveau en
fait.
-Comment s'appelle-t-il? interrogea-t-il, alors que Fomalhaut regardait le poupon,
comme s'il était intrigué par ce curieuse animal.
-Aiolia.
Saga eut une moue approbatrice et me sourit ensuite avec gentillesse. Quelque
chose de rassurant se dégageait de lui et je remerciais intérieurement
le ciel que quelqu'un est mis ce garçon sur ma route. L'autre aussi d'ailleurs,
car il semblait aussi agréable à fréquenter.
-Moi aussi j'ai un frère. Il se nomme Kanon, c'est mon jumeau, mais il
ne vient pratiquement jamais ici, tu sais...
Il chassa ces dernières phrases d'un geste de la main alors que Fomalhaut
croisait ses bras sur sa poitrine en me déclarant:
-Je suppose que tu es perdu. Ou bien, alors, tu ne dois plus avoir nulle part
ou aller. Quoi qu'il en soit, tu es au bon endroit et il se peut bien que tu
restes plus longtemps que tu ne l'avais prévu.
Le Sanctuaire. J'y ai été introduit de cette façon, par
une nuit ou j'étais totalement déboussolé, désorienté
par l'enchaînement des évènements sur lequel je n'avais
plus aucun contrôle. Mais je n'allais jamais regretter, plus tard, que
cette errance m'est conduit jusque dans le domaine sacré, ou ma vie allait
prendre tout son sens, toute sa justification.
Tout au long de mon enfance, j'avais toujours su qu'un destin particulier m'attendait,
comme si j'avais déjà conscience que je finirais par devenir l'un
des chevaliers d'Athéna et que je devrais consacrer chacun de mes jours,
et ce jusqu'au dernier, à servir cette déesse de compassion et
le genre humain.
J'avais parfois évoqué à mes parents le fait que je ressentais
comme un curieux frisson quand je songeais à mon avenir, et, ils avaient
vite compris que quelque chose de spécial m'attendait, sans vraiment
en savoir plus que moi. Mon père comme ma mère étaient
des personnes très mystiques, et ils n'auraient jamais remis en doute
ma parole, surtout lorsqu'il était question de ce qu'accomplissait les
trois Moires. Et la cruauté du sort, car sans le décès
de mes parents rien n'aurait jamais été possible, me montra que
j'avais raison.
Je n'ai pas mis très longtemps à me faire à ma nouvelle
existence dans le Sanctuaire d'Athéna. Evidemment, la présence
de mes parents me faisait cruellement défaut, et pendant les premiers
mois, je n'ai jamais passé une seule nuit sans rêver d'eux, sans
imaginer que peut-être, ils n'étaient pas morts et qu'un jour,
ils reviendraient me chercher, vivre avec moi pour me voir grandir et devenir
un guerrier mythologique. Je savais que c'était impossible, mais je ne
pouvais pas m'empêcher d'en rêver.
Mon entraînement était difficile, voire même invivable certains
jours, mais on m'avait appris la tenacité, et enseigné qu'il fallait
toujours s'accrocher pour mener à bien ce que l'on avait commencé.
Je n'étais pas de la race de ceux qui abandonnent et c'est bien pour
cela que j'avais le droit de concourir pour obtenir une armure d'or.
Je me rappelle encore parfaitement du jour ou l'on m'a présenté
au Grand Pope. J'étais terriblement impressioné, et j'avais Aiolia
dans mes bras. Cet homme me terrifiait, autant par les vêtements qu'il
portait, sa haute stature, que par le rôle qu'il occupait dans la hiérarchie
du domaine sacré ou je devais à présent vivre. J'avais
affaire au représentant terrestre de la déesse Athéna,
et ce n'était pas rien. Il se trouvait sans doute être l'un des
hommes les plus proches des dieux, et je me sentais petit, aussi bien en taille
qu'en savoir, à côté de lui.
Pourtant, à aucun moment il ne m'a mis mal à l'aise, il n'a essayé
de m'humilier ou de m'écraser sous son autorité, et bien au contraire,
il s'est tout de suite intéressé à mon histoire. Il était
la bonté incarnée, je m'en rendis compte lorsqu'il commença
à me poser des questions à propos d'Aiolia et de mon passé.
Il me traitait d'égale à égale, et non pas comme si je
n'étais qu'un simple enfant que l'on ne doit pas prendre en considération.
Il connaissait la valeur de chaque personne, et c'est sans doute en partie pour
cela qu'il avait été choisi pour tenir le rôle de Grand
Pope.
A un instant, il m'a toisé de la tête aux pieds, je ne voyais pas
son visage à cause du casque qu'il portait, mais j'avais involontairement
deviné son expression. Il évaluait mes capacités de combattant,
et cherchait probablement ce qu'il pourrait bien faire de moi... et apparement,
à mon plus grand soulagement, je ne l'ai pas déçu.
Il m'a expliqué qu'il voyait un très grand potentiel en ma personne,
que je pouvais facilement devenir un chevalier d'exception, et qu'il me suffisait
d'ouvrir mon coeur à la justice et mon âme au cosmos. Et c'est
bien évidemment ce que j'ai fait, en le prenant pour modèle.
J'aimais le voir passer dans les ruines qui composaient les alentours du Sanctuaire
et ou je venais souvent observer les étoiles la nuit, avec Saga et Fomalhaut.
J'aurais aimé lui ressembler, avoir cet amour des hommes, cette même
gentillesse à l'égard de tous, et je m'évertuais à
devenir ce qu'il souhaitait me voir être. Je jetais toutes mes forces
dans mon entraînement, sans commis mesure, et ne cherchais jamais à
m'épargner lorsqu'il était question de travail.
Et je n'étais pas le seul à penser ainsi.
Fomalhaut faisait tout ce qui était en son pouvoir pour devenir un guerrier
brave, et on lui avait découvert une redoutable intelligence lorsqu'il
était question d'apprendre des langues, anciennes ou modernes. Il étudiait
donc aussi bien les guerres saintes, que l'anglais, le français, l'espagnol
ou le suédois. Il désirait devenir le chevalier du Poisson Austral,
et j'étais persuadé qu'il y arriverait étant donné
tout le mal qu'il se donnait pour cela. Personne d'autre que lui ne méritait
autant cette armure, je n'avais de cesse de lui dire, tout comme il me répétait
à l'envie que j'étais assurément le chevalier du Sagittaire.
Mais le meilleur d'entre nous était, à n'en pas douter une seule
seconde, et nous étions, Fomalhaut et moi, d'accord sur ce point, Saga.
Non seulement, il était pourvu d'une force physique supérieure
à la nôtre car il avait un potentiel encore plus étendu,
mais en plus, il était la personne la plus pure que l'on pouvait rencontrer
dans tout le Sanctuaire. Autant je voulais devenir semblable au Grand Pope,
autant Saga était né semblable. Il avait un coeur en or, une façon
d'être avec les gens douce et aimante et des yeux si innocents que nulle
n'aurait été capable de mettre sa parole en doute, surtout qu'il
ne mentait jamais.
Mais je ne l'enviais pas, non, au contraire, je l'admirais. Il était
l'un de mes meilleurs amis, au même titre que Fomalhaut et je les appréciais
sans vouloir ternir les liens qui nous unissaient par de quelconques sentiments
de jalousie ou d'envie.
Si je me sentais très proches d'eux, il y avait pourtant bien une autre
personne, qui retenait encore plus mon attention, avec qui je marchais encore
plus souvent lorsque j'avais du temps libre, avec qui je discutais jusqu'à
ne plus avoir de voix.
Il s'appelait Shura et il était arrivé d'Espagne. C'était
un chevalier du nom de Orphée qui l'avait ramené au Sanctuaire
et j'avais tout de suite compris que ce garçon de quatre ans plus jeune
que moi était lui aussi destiné à devenir un chevalier
à la puissance hors du commun. Evidemment, j'étais plus âgé,
mais cela ne nous empêchait pas d'avoir d'interminables conversations
sur Athéna et des débats philosophiques encore plus passionants
sur notre vision des choses.
Je voyais le monde qui nous entourait comme la promesse d'un avenir meilleur,
l'espoir que l'humanité ne formerait plus qu'un ne cessait de m'habiter.
Shura, pour sa part, songeait aux mêmes utopies, mais ne cessait de me
répéter qu'avant que l'on ne puisse voir cela se produire, il
nous faudrait débarasser le monde de tous les personnages vils qui le
saccageaient.
En ce sens, il n'avait pas tort, et je devais avouer, malgré ma nature
idéaliste, que beaucoup d'hommes n'ont pas le coeur pur, mais je ne pouvais
me résoudre, comme il le faisait, à pouvoir les juger ou à
vouloir les châtier.
Pourtant, malgré nos différentes façons de voir, jamais
notre amitié n'a été remis en cause, bien au contraire,
elle devenait de plus en plus solide au fil des semaines, des mois et des années
qui passaient sans même que nous nous en rendions compte.
Shura était comme mon frère, au même titre qu'Aiolia, que
je voyais grandir avec émerveillement au fur et à mesure que le
temps s'écoulait. Il allait devenir le chevalier du Capricorne, sa tenacité
et sa foi en lui-même était trop absolue pour qu'il échouât.
Il était né pour être l"un des plus fidèles
serviteurs d'Athéna, titre qu'il revendiquait d'ailleurs dès que
cela lui était possible, et que je m'amusais à lui châmailler.
Je me rappelle des nuits, lorsque nous n'avions pas à nous entraîner,
que nous passions à nous disputer en jouant à répondre
à des questions telles que : qui est le plus apte à servir Athéna?
Qui aime le plus la déesse?
Et nous étions, durant ces moments, bien près de ressembler à
des gamins comme les autres qui se disputaient pour un rien.
Shura était l'ami dont j'avais toujours rêvé, le compagnon
dont je ne me séparais jamais, même après que nous ayons
reçu notre armure. J'avais obtenu celle du Sagittaire à peine
deux ans après mon arrivée au Sanctuaire, à l'âge
de huit ans, car j'avais été extrêmement travailleur.
Shura, qui était arrivé plus jeune, n'avait mis que quatre années
à revêtir le vêtement de protection du signe du Capricorne.
Cela avait été pour nous une véritable consécration,
une manière de nous prouver que nous étions bel et bien des chevaliers
d'Athéna, ses fidèles serviteurs, et ses combattants les plus
acharnés.
Saga reçut la même année que moi son armure des Gémeaux,
tout comme Fomalhaut celle du Poisson Austral. Et nous formions, à nous
quatre, un groupe indissociable dans la petite société qu'était
le Sanctuaire.
Je me souviens qu'après avoir reçu mon armure en récompense
des incessants efforts que j'avais accompli, j'avais été demandé
la permission au Grand Pope de devenir le maître de mon petit frère,
Aiolia, car je sentais en lui cette force latente qui m'avait autrefois habité
sans que je sache quoi en faire.
Il m'avait immédiatement donné son accord, me faisant entière
confiance, et j'étais ainsi devenu le maître de mon cadet. Cela
lui avait fait très plaisir, car il avait toujours été
élevé, contrairement à moi, dans le milieu de la chevalerie,
et brûlait d'envie de m'imiter. Bien-sûr, il m'arrivait parfois
de lui parler de nos parents, mais il ne pouvait malheureusement que s'imaginer.
Il ne connaissait que l'amour fraternel, et comme me le faisait remarquer Shura,
ce n'était déjà pas si mal.
Mon ami Shura... ou plutôt mon frère. Toujours en désaccord
avec moi ou l'opinion publique, à clamer des idées d'égalité
et de justice expéditive tout en restant le plus parfait des chevaliers...
les gens n'avaient de cesse de nous faire remarquer combien nous étions
différents. C'était on ne peut plus exact, mais cela n'empêchait
pas notre incroyable amitié d'être bel et bien présente.
Je ne pouvais pas envisager mes jours sans lui et sans son humour ironique,
tout comme il était sans doute incapable d'imaginer son existence sans
moi et mon habituelle gentillesse avec tout le monde. Dans les esprits de tous,
nous étions devenus deux personnes inséparables.
Lorsqu'un jeune chevalier me cherchait pour un conseil, il allait toujours demander
ou me trouver auprès de Shura, s'il en avait le courage évidemment,
car mon ami était très impressionant et difficilement abordable,
et vis et versa.
Jamais nous ne nous sommes éloignés l'un de l'autre, comme cela
arrivait pour certaine amitié superficielle comme il en existait parmi
les chevaliers d'argent, mais nous étions aussi sérieux dans notre
fonction de combattant luttant pour la justice que dans nos rapports personnels.
Même encore maintenant, et à mon plus grand soulagement, surtout
en ce moment, rien a changé, et j'espère que rien ne changera
jamais. Cela fait précisément huit ans que nous nous connaissons,
que nous allons partout accompagnés de l'autre. Et je sais que je peux
lui parler de tout, lui expliquer tout ce qui me pose problème ou me
passe par la tête exactement de la même façon qu'il n'hésite
pas à me livrer confidences et secrets.
Je dois justement aller lui parler ce soir, car quelque chose m'inquiète.
Mais je ne crois pas qu'il s'en soit rendu compte, c'est pourquoi, je dois lui
ouvrir les yeux. J'ai toujours été pourvu d'une nature lucide
et je me rends bien compte qu'il se trame un mystère dont je n'ai pas
la clé.
Récemment, le Grand Pope a décidé de se retirer, suite
à la renaissance d'Athéna sur terre, car notre grande déesse
vient de se réincarner, et de confier sa place à quelqu'un d'autre
car il se sent trop âgé, et il hésitait entre Saga et moi-même,
Shura étant encore un peu trop jeune pour assumer ce rôle, tout
comme les autres chevaliers d'Or.
Contre toute attente, et à ma plus vive surprise, c'est moi qui ait été
choisi. J'ai évidemment accepté, mais depuis, je n'entends plus
parler de ce projet, pourtant primordiale pour l'avenir du domaine sacré.
Je vois de moins en moins Saga, comme s'il était en colère de
la décision de Sion. Je reconnais qu'elle est étonnante, car le
chevalier des Gémeaux me semble bien plus juste et bon que moi-même,
mais il n'y a pas de quoi froisser Saga, qui est d'ordinnaire d'un naturel toujours
doux et à se réjouir pour les autres.
Et puis, il y a comme une pulsation dans l'air, oui, je ne peux pas décrire
autrement ce que je ressens. C'est invisible, comme un frémissement,
un frisson qui agiterait le domaine sacré et c'est pourtant bien là.
Cela tremble, cela s'entend, s'étend au-dessus de nos têtes mais
on n'arrive rien à distinguer de précis. C'est quelque chose de
latent et que j'ai peur de voir éclore. L'air devient pesant, électrique,
comme avant qu'un orage ne vienne à éclater, je crains le pire...
Il faut que j'en parle à Shura, même si cela doit remettre en cause
certaine chose.
Je sais le prix qu'il accorde à notre amitié. Je sais qu'il me
croira.
Mais avant de le retrouver, il faut que je me rende dans la chambre sacrée,
voir Athéna. Je ne saisis par pourquoi j'ai besoin de faire cela, mais
c'est instinctif. Il faut que je m'y rende, car je sens que ce tremblement du
Sanctuaire, que cette lézarde invisible qui fissure le domaine sacré
la concerne.
Ce soir, encore plus que d'habitude, je sens le malaise qui règne autour
de moi, et c'est peut-être pour cela que j'ai eu envie d'écrire
tous ces mots. Comme... comment dire? Comme pour laisser quelque chose derrière
moi. Cela semble stupide mais ce frémissement m'inquiète.
Il m'inquiète d'ailleurs tellement que je vais me rendre de ce pas au
palais, car dehors, il fait déjà nuit.
Je vais y aller.
Juste pour vérifier que tout va bien.
Sagittarius Aioros
"L'Appel des Etoiles"