Mémoires d'Aphrodite, chevalier d'Or du signe des Poissons.
Faible. C'est le mot qui me convenait incontestablement le mieux et que les
autres n'hésitaient pas à employer pour me qualifier. Je le détestais
mais je constatais, non sans amertume, que ce n'était que la vérité.
J'étais faible et j'avais beau y faire, cela ne changeait rien. Il semblait
que j'étais né ainsi et que j'étais destiné à
le rester jusqu'au dernier de mes jours. Cela me désolait et plus encore
me terrifiait car j'avais peur de devoir affronter éternellement la mechanceté
et l'animosité des autres. Mais plus encore que leur regard, ce qui m'affectait
en tout premier lieu était la propre opinion que je me faisais de moi-même.
Le tableau que je me dépeignais n'avait rien de brillant, bien au contraire
et je finissais par me détester, alors que les jours passaient et que
j'étais contraint de rester coucher, dans ce lit de malade ou l'on m'avait
déposé, de plus en plus souvent.
La faiblesse, je la haïssais, elle me répulsait et je finissais
par ne plus supporter la propre vue de mon reflet dans la glace puisque j'étais
représentatif de ce terme. Non pas que j'ai possédé un
visage à faire peur, mais tout en moi, mes cheveux collés à
mes tempes par la fièvre, mon teint blâfare, ma voix hésitante,
mes cernes sous les yeux, dénotait un être incapable de faire face
à la vie, et aux gens.
Je m'en étais rendu compte très tôt, à cause des
autres. J'aurais voulu pouvoir m'en sortir, m'endurcir, quitter ce personnage
que je mésestimais pour une autre peau que j'aurais su apprécier,
qui m'aurait mieux convenu, mais je ne le pouvais pas. J'avais un désir,
mais je ne pouvais nullement le satisfaire. Cela aussi, les autres avaient réussi
à me le faire comprendre. Pourtant, je n'étais pas d'un naturel
à abandonner facilement, et je gardais malgré tout un secret espoir
dans les tréfonds de mon âme de parvenir un jour à me sortir
de ma condition.
J'étais né en Suède, en plein milieu d'un rigoureux hiver
qui ne prenait jamais fin dans ce pays. J'avais été abandonné
la nuit même de ma naissance, sans explication, sans un mot et surtout
sans tarder, l'on m'avait déposé sur les marches d'une église,
à la va-vite, pour que personne ne s'aperçoive de ce qui se produisait.
J'imagine sans peine une silhouette fuyante me déposant sur les marches
de ce lieu saint et partir ensuite à vive allure, s'esquivant dans la
nuit, se fondant dans les ombres. La neige tombait avec violence alors, et le
couffin d'osier, d'assez médiocre qualité, en avait été
recouvert, moi y compris.
Les médecins disaient souvent que c'était à cause de cela
que j'avais les poumons si fragiles, que j'avais parfois tant de mal à
respirer. Je n'avais que quelques heures, et j'étais déjà
confronté à l'hostilité des éléments.
Dans pareils cas, beaucoup d'enfants se seraient laissés aller dans le
repos éternel, mais je n'étais pas de la race de ceux qui abandonnent,
malgré ma faiblesse de constitution. Je me suis accroché, alors
que je n'étais encore qu'un être minuscule, à l'existence
de façon désesperée et insensée et contre toute
attente, ma lutte aboutit, puisque l'on me retrouva le lendemain matin, le coeur
toujours battant mais grelotant de froid. Je me suis souvent demandé,
par la suite, comme j'avais pu être si fort et ou était donc passé
ce caractère volontaire et courageux dont j'avais disposé durant
les premières heures de mon existence.
L'église devant laquelle on m'avait déposé était
depuis longtemps inoccupée et désaffectée et on peut donc
en déduire que mes parents n'étaient pas de la région puisqu'ils
ne le savaient pas et qu'ils m'y avaient laissé. Personne ne passait
dans ce quartier et surtout pas dans ce pays ou la nuit semble parfois éternelle.
Pourtant, un homme, que le destin m'avait sans doute envoyé, s'aventura
jusqu'au lieu sensé être celui de mon dernier repos et m'y trouva.
Il m'a avoué qu'à quelques heures près, j'aurais probablement
dépéri et par moment, alors que j'étais si malade ou en
proie à une crise de diabète, je souhaitais qu'il ne se soit jamais
avancé jusqu'à moi et qu'il ne m'ait jamais recueilli.
La vie, on ne s'y accroche que lorsque l'on possède des raisons de le
faire, et je n'en avais à l'époque malheureusement aucune. Je
ne me rendais pas compte qu'il fallait du tempérament pour lutter contre
la maladie, pour tromper ses journées de l'oisiveté... je ne voyais
que la force à son état le plus brute autour de moi, la puissance
physique et c'était celle-ci que j'avais envie de pratiquer.
Je rêvais souvent de courir dans les étendues eneigées,
de rejoindre les autres, de pouvoir me lever le matin sans ressentir quelque
trouble ou quelque vertige. Je ne voulais pas être comme les autres, j'étais
né différent car malade, mais ce que je désirais, c'était
devenir plus fort que tous, montrer ainsi à ceux qui n'avaient pas cru
en moi que j'étais quelqu'un de tout aussi valable qu'eux. Cependant,
je croyais que tous ces rêves étaient condamnés à
rester à jamais à l'état d'utopies.
Cet homme qui ramassa le couffin de lequel je reposais, était un chevalier
du Sanctuaire, Vivian d'Orion, la personne qui devait guider mon destin et diriger
ma vie sans même s'en rendre compte. C'était une personne juste
et au coeur profondément bon et généreux mais malheureusement,
il se trouvait être trop indulgent sur bien des points et avec beaucoup
de personnes, y compris moi.
Il m'a souvent dit que c'est à cause de ma remarquable beauté
qu'il a choisi de me garder et de ne pas me confier à un hospice. Il
ne se doutait alors pas que c'était les trois Moires qui se tenaient
derrière lui alors qu'il me prenait pour la première fois dans
ses bras et que je représentais une personne très importante pour
le monde dans lequel il évoluait. Vivian ne devait pas être âgé
de plus de quinze ans alors qu'il décidait de me ramener dans le pays
ou le Grand Pope l'avait affecté, le Groenland.
Il était venu en Suède à la recherche de nouveaux disciples
mais ne pensait pas trouver un enfant aussi jeune que je l'étais. C'est
pourquoi, il me ramena dans sa patrie plus à titre de son propre fils
qu'à celui de simple élève. Et c'est peut-être ce
qui explique entre nous les liens d'attachement profond qui nous reliaient et
tout le temps qu'il passait auprès de moi à me distraire et à
me faire oublier la maladie.
Il n'a d'ailleurs pas mis longtemps à se rendre compte que j'étais
un nourrisson en mauvaise santé et m'a fait examiner avant même
de repartir vers ce qui allait être notre nation à tous deux. On
lui expliqua que j'avais le poumons particulièrement fragiles, que je
pourrais être victime de crises d'asthme à tout moment et que j'étais
malheureusement touché par un autre mal que l'on appelle le diabète.
Cela compromettait malheureusement grandement les projets qu'il avait batti
pour moi, car il m'imaginait sans doute comme un chevalier. Son instinct lui
avait sans doute fait comprendre que je pouvais devenir quelqu'un d'exceptionnel
mais il se laissa convaincre par la science humaine que c'était impossible
et il réussit même à m'en persuader. Pourtant, au plus profond
de moi et de mes moments de désespoir, et malgré l'image peu flatteuse
que je me revoyais de moi-même, j'avais toujours su qu'une destinée
m'appelait et m'attendait et qu'il suffisait d'un rien pour que je la prenne
à bras le corps.
Malgré les maladies dont je souffrais, Vivian décida de me garder
et de prendre lui-même soin de ma personne, comme s'il nourrissait déjà
à mon égard des sentiments parternels.
C'est sur le chemin du retour qu'il me trouva mon prénom. Il était
lui aussi d'origine nordique, il avait vu le jour en Finlande, et connaissait
particulièrement bien les prénoms de ces nations du froid. Mais
il voulait quelque chose qui sorte de l'ordinnaire. C'est ainsi que je fus prénommé
Nordhal, en hommage à mon teint de porcelaine et à mes grands
yeux d'un doux bleu pâle. J'aimais et aime toujours ce nom, même
si les gens ne m'appellent plus ainsi et que très peu connaissent ma
véritable identité.
On pense généralement qu'Aphrodite est mon nom de baptême,
mais tout comme Masque de Mort, il ne s'agit que d'un surnom, que l'on m'a donné
il y a de cela bien longtemps...
Les premières années de ma vie furent bercées par la tranquillité
d'esprit dans lequel je baignais en permance. Malgré les douleurs que
je ressentais presque en permanence à la poitrine, je connaissais un
bonheur sans nuage et sans ombre, comme seule l'enfance permet aux plus chanceux
d'en ressentir.
Je vivais dans l'insoucience aux côtés de mon maître, je
l'appelais ainsi car il n'avait pas totalement perdu l'espoir de me voir un
jour croître et guérir de façon assez miraculeuse pour devenir
un guerrier d'Athéna, dans cette maison modeste et vétuste mais
que j'avais appris à aimer. J'en sortais d'ailleurs rarement, la dureté
du temps m'en empêchant et provoquant chez moi des étourdissements
inquiètants.
Je me souviens qu'une fois, j'ai voulu suivre Vivian dans la tempête.
Il avait reçu une lettre du Grand Pope lui demandant de revenir rapidement
au Sanctuaire parce qu'il devait lui parler de sujets importants. Mon maître
m'avait alors expliqué qu'il devait me laisser, même si je n'étais
âgé que de trois ans. J'avais été particulièrement
anxieux à l'annonce de cette nouvelle et j'avais pris sur moi en décidant
de le suivre secrètement.
Je l'aimais énormement et j'aurais aimé qu'il ne me cache rien
et j'avais l'impression qu'il me tenait à l'écart de sa vie en
ne me racontant pas le but de son abscence.
Je me suis donc aventuré, en plein milieu du mois de janvier, à
l'extérieur, vêtu d'un simple manteau doublé de fourrure
que Vivian m'avait acheté en octobre et des bottes faites de la même
peau, ce qui était loin d'être suffisant pour un enfant aussi fragile
que je l'étais alors. Mais je n'avais plus le temps de réfléchir,
je craignais, au fond, d'être abandonné de nouveau et braver le
froid ne me faisait pas peur, tant l'idée de le perdre m'accaparait l'esprit.
Je me rappelle que dès les premiers mètres, je me suis rendu compte
que cela ne pourrait pas aller, que l'air me manquait, que je ne pouvais pas
même garder les yeux ouverts malgré l'épaisse capuche qui
me protégeait. Est-ce à cet instant de mon existence que je pris
conscience de ce que j'étais?
Je me trouvais pourtant être extrêmement jeune, mais doté
d'un esprit très vif et rationnel et j'avais pour habitude, l'influence
de mon maitre obligeant, de ne pas me fermer les yeux ou d'essayer de me leurrer.
J'étais un faible, un incapable, un être à la merci de tous
et terrorisé à l'idée qu'un jour, on puisse le délaisser.
Je suis rentré sur mes pas rapidement ensuite, et je suis resté
debout longtemps, sur le pas de la porte, à regarder le traineau de Vivian
s'éloigner et à me demander s'il reviendrait un jour ou non. Je
ne n'avais alors pas encore dans l'idée de ce qui m'attendait, mais déjà,
je venais de faire un premier pas vers l'opinion que je me ferai de moi-même
dans les années qui allaient suivre.
Le chevalier d'Orion est revenu évidemment, au bout de quelques jours,
et je ne lui ai jamais raconté le sentiment de froid qui m'avait envahi
à l'instant ou j'avais compris que je n'étais que faiblesse et
que j'étais visiblement condamné à le rester durant toute
mon existence.
Le Grand Pope avait appelé mon maître auprès de lui pour
une raison bien simple et qui marquait la fin de mon agréable cohabitation
avec Vivan. Sion, s'était encore lui à l'époque, avait
décidé d'attribuer à celui que je considèrais comme
un père et qui me faisait si facilement oublier que je n'étais
qu'un garçon sans origines, deux disciples. C'était logique et
je n'y vis, du moins au début, aucun inconvénient. Je n'étais
pas de ceux qui recherchent un amour exclusif et sans concession et malgré
ma nature fragile, j'étais une personne très sociable et éprise
de compagnie.
Otto et Ortwin étaient deux frères qui avaient été
abandonnés, tout comme moi, dès leur naissance et qui avaient
été recueillis peu de temps après par un chevalier du Sanctuaire,
dont j'ai malheureusement oublié le nom. Ils étaient très
solidaires l'un de l'autre, j'allais d'ailleurs le découvrir à
mes dépends et étaient déjà âgés de
huit et sept ans à leur arrivée dans notre camp d'entraînement.
Ils n'avaient rien d'avenants dès le départ, avec leurs longs
corps et leurs yeux d'un noir si profond que l'on en distinguait à peine
la pupille, mais j'avais décidé de ne pas les juger sur les apparences.
Cependant, j'étais déjà pourvu d'un caractère assez
fin et perspicace, il fallait bien que je possède quelques qualités
pour combler les manques que laissaient les maladies dont j'étais affligé,
et je sus immédiatement de quelle nature serait nos rapports. Mon instinct
me soufflait qu'ils ne seraient qu'affrontements permanents, et je ne me trompais
en effet pas.
Pendant près de quatre années, je vécus un véritable
enfer, sans jamais proférer un mot pour appeler à l'aide. J'avais
beau ne pas être puissant comme mes deux compagnons, j'avais mon orgueil.
Mais j'aurais mieux fait de parler de ce qu'on me faisait subir plutôt
que de me draper dans un manteau de dignité dont je ne me dépareillais
jamais et qui était par trop encombrant.
Vivian avait décidé, contre toute attente, de me donner en même
temps que les deux frères, les leçons nécessaires pour
devenir un chevalier. J'étais âgé de quatre ans de moins
qu'eux mais mon maître n'arrivait pas à se sortir l'idée
de la tête que j'avais un potentiel hors du commun et qui ferait de moi
un guerrier exemplaire.
J'avais personnellement du mal à y croire et il avait de plus eu la maladresse
d'en parler devant Otto et son cadet, qui y avaient décellé comme
une marque de préference. Je ne peux nier que ce qui nous unissait avec
mon père d'esprit était largement supérieur avec les liens
qu'ils ne réussiraient jamais à nouer avec lui, mais, plutôt
que de tenter de trouver une place entre nous, ils me firent payer très
chèrement ces marques d'affection qu'il n'hésitait pas à
me prodiguer.
Quatre années durant, j'ai appris à mes dépends ce que
signifiait être handicapé par sa santé. Je me souviens que
devant Vivian, et ce, dès les premiers cours, Otto et Ortwin avaient
l'air des élèves les plus studieux et les plus attentifs que l'on
puisse trouver et dont ton maître rêvait. Ils étaient suspendus
à ses lèvres, se donnaient beaucoup de mal et cherchaient toujours
à approfondir, à aller plus loin que ce qu'on leur disait.
Pour ma part, j'avais déjà du mal à réussir ce qu'il
proposait et j'étais souvent arrêté en plein milieu d'un
travail car je n'arrivais plus à respirer dans l'air glacial ou il nous
emmenait nous entrainer.
Je surprenais alors le regard de mes deux compagnons, leur rires étouffés,
leurs poignets de mains qui me faisaient clairement comprendre qu'ils allaient
m'exclure de leurs vies la plupart du temps, excepté les journées,
et elles allaient devenir de plus en plus fréquentes, ou ils décidaient
de me punir de ma faiblesse et de l'affection qu'éprouvait à mon
égard notre maître.
Mais qu'y pouvais-je? Je n'étais fautif ni de mes incessantes crises
d'asthme ou de diabète, ni de l'amour que me portait le chevalier d'Orion.
Je n'étais qu'un petit garçon de trois ans, qui avait encore tout
à découvrir de la vie. Cependant, avec une cruauté toujours
grandissante, les deux enfants me le faisaient payer chaque jour et me châtiaient
de choses sur lesquelles je n'avais aucun contrôle.
Je me souviens que la première fois ou ils ont portés la main
sur moi, il s'agissait du troisième jour après leur arrivée.
Ils avaient pretexté un premier entraînement, et innocement, voire
même naïvement, je les avais crus et suivis.
Là, ils ne m'avaient pas ouvertement avoué qu'ils se vengeaient
de ce qu'ils avaient remarqué. Ils m'avaient battu, mais sans oser s'aventurer
trop loin, juste assez pour que cela passe pour un accident, pour des coups
non contrôlés ou, à la rigueur, pour une querelle de gamins.
J'avais été dans un tel état, c'était la première
fois que l'on me frappait ainsi, que j'avais été incapable de
contredire les histoires qu'ils avaient inventés, avec tant de brio d'ailleurs,
que je finissais moi-même par me demander ou s'arrêtait la vérité
du mensonge. Vivian n'y avait vu que du feu, et je le comprends et le pardonne
car, avec un caractère aussi bon et généreux que le sien,
je saisis parfaitement qu'il se soit laissé berner. Il n'était
malheureusement pas pourvu de mon sens aigue de la perception des gens et n'avait
donc aucune raison de douter de l'intégrité de ses élèves.
Cette première agression déclencha chez moi, tout comme celles
qui allaient suivre et qui s'avéreraient être de plus en plus violentes
à chaque fois, des quintes de toux telles, que l'on crut à plusieurs
reprises que j'allais y laisser la vie. C'est sans doute aussi à cause
d'eux, que mes guérisons étaient si lentes, si difficiles.
Ils venaient me voir dans ma chambre, alors que j'étais alité
et que nous nous trouvions être tous les trois seuls dans la maison. Ils
éteignaient le feu, ouvraient la fenêtre en grand, me battaient
sans ménagement parfois, m'empêchant ainsi de regagner les entraînements
que mon maître proposait. Car tel était le but de ces deux esprits
mal formés : m'éloigner le plus possible de celui qui m'aimait
comme un père. Ils désiraient que nos relations se désagrègent
peu à peu, lentement, comme si ces liens qui nous avions si soigneusement
tissés s'effilochaient lentement et si imperceptiblement que l'on ne
s'en appercevrait que dans les derniers instants, quand il serait trop tard.
Comment avais-je, à l'âge de trois ans, deviné tout cela?
J'étais, je suppose que cela devait remplacer ma force physique inexistante,
remarquablement intelligent et très attentif aux comportements des autres.
Cela n'avait d'ailleurs pas échappé aux deux frères, qui
se méfiaient chaque heure un peu plus de moi, ni même à
Vivian qui avait remarqué, à sa plus grand surprise, que j'avais
appris à lire seul, et en tendant simplement une oreille distraite aux
cours qu'il donnait à Otto et son cadet.
Je me souviens de sa voix me disant :
"-Nordhal, je suis fier de toi. Tu es remarquable."
Et des regards que cela avait engendré chez les disciples alors présent
dans la salle ou je me trouvais. Ce soir-là, ils m'avaient trainé
dans la neige de force, alors que j'aurais eu besoin d'être alité
durant encore deux bonnes semaines et ils m'avaient jeté à terre,
me rouant de coup de poings, de pieds et des lanières de cuir avec lequelles
ont attachaient les chiens au traineau. Ils m'avaient dis à ce moment
combien j'étais sans force.
"-Tu n'es qu'un faible, Nordhal et si le maître est si gentil avec
toi, c'est parce que tu lui fais pitié.. mais tout ce qu'il souhaite,
c'est que tu meurs, espèce de petit faiblard!"
Ces paroles, je ne les ai jamais oubliées et elles resteront à
jamais gravées en moins, douloureuses, mais réelles.
Ce fut la première fois qu'ils me tinrent ce discours, mais certainement
pas la dernière. Ils me le disaient à la moindre occasion, finissant
par m'en convaincre moi-même car je n'avais que quelques années
et j'avais un esprit encore très influençable.
Leurs menaces me faisaient peur et ils étaient véritablement terrifiants.
En fait, avec le recul, je pense sincèrement qu'ils étaient fous.
Ces deux enfants n'étaient pas normaux et on me les avait envoyés
un peu comme une épreuve du destin, imposée par les dieux eux-mêmes
pour que je prouve ma valeur et ma force de caractère.
La faiblesse, je finis par la mépriser, et de par la même, à
me haïr moi-même.
Je rêvais, alors que je les regardais par la fenêtre de cette chambre
que je songeais un jour être mon tombeau, de ressembler à mes deux
tyrans, de ne plus avoir rien à craindre de personne.
J'aimais la journée, lorsqu'ils s'entrainaient, car, même si je
ne profitais pas de la présence de Vivian à mes côtés,
je connaissais la paix de corps et d'esprit et pouvais me reposer autant que
je le désirais. Je regrettais souvent, alors que j'avais les yeux fixés
sur le plafond de bois de ma chambre, l'époque où je vivais encore
seul avec mon maître. Je finissais même par me demander si elle
avait un jour existé ou si c'était moi qui l'avait inventé.
Pourtant, dans les recoins de ma mémoire, je ne me rappelais pas qu'à
ce moment, mon père adoptif me détestait comme Ortwin le prétendait.
Cela, j'avais du mal à y croire. Je ne remettais pas en doute le fait
que je n'étais qu'un faible et un lâche, car c'était pour
moi comme un acquis : j'étais un être sans aucune valeur. Mais
la pensée que le chevalier d'Orion ne m'aimait pas était comme
impossible. Ce ne pouvait pas être vrai, je m'en rendais bien compte,
lorsque, chaque soir après qu'il ait entrainé durant toute la
journée mes bourreaux, il rentrait silencieusement dans ma chambre de
peur me réveiller.
Mais il me trouvait généralement toujours les yeux ouverts, l'attendant
impatiemment. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire de tendresse
lorsque je repense à ces scènes. Il venait s'assoir au bord de
mon lit, ou sur un chaise près de moi, posait une main inquiète
sur mon front pour vérifier que je n'étais pas trop fièvreux
et me racontait ce dont il parlait avec les deux frères. Il ne pouvait
pas imaginer que je ne devienne pas chevalier car cela l'aurait sans doute terriblement
déçu et je comprenais que de part ma faiblesse, j'étais
pour lui la seule personne qui comptait et que j'aimais dans mon monde restreint,
une source de chagrin et de déception.
C'était pour cette raison que j'aiguisais sans cesse mon esprit, que
je devenais plus intelligent, que je lisais tant durant la journée, pour
le rendre au moins fier et heureux du seul don que j'avais, mon incroyable intelligence.
J'aimais tellement voir son sourire illuminé son visage parfois rembruni
par ses journées, lorsqu'il découvrait que j'avais à présent
des notions de grecques, que j'étais capable de traduire quelques lignes
de latin ou que certaines opérations de mathématiques n'avaient
plus de secrets pour moi. Il restait ébloui par mes progrès et
ma culture sans cesse grandissante, sans se douter que cela impliquait de ma
part un travail incroyable et terriblement fatiguant pour un enfant aussi jeune
et malade que je l'étais alors.
Mais je n'avais que faire des souffrances que provoquaient mes longues heures
de veille, alors que j'aurais du dormir pour pouvoir me ressourcer et gagner
de nouvelles forces, à apprendre les légendes nordiques, l'histoire
de l'Europe ou je ne sais quoi d'autre... Je devais le faire, pour lui. Et pour
moi aussi, car cela m'évitait de penser au fait que je n'étais
rien de plus qu'un faible, un alité permanent qui aurait mieux fait de
vivre en hôpital que dans un camp d'entrainement.
"-Tu sais, Nordhal, dans un combat, lorsque l'on a plus de forces ou que
notre cosmos n'est pas assez puissant pour vaincre son adversaire, il ne reste
qu'une seule solution : l'intelligence, la ruse. Un plan bien conçu vaut
tous les coups que tu pourrais porter. Et lorsqu'il est question d'astuces ou
de génie, Nordhal, tu es le meilleur.
"Malgré tes problèmes de santé, je suis sûr
qu'un jour, tu seras à la hauteur. Je suis certain que tu porteras une
armure car comment Athéna, déesse de la guerre mais aussi de l'intelligence,
pourrait-elle laisser un élément tel que toi se perdre?"
Ces discours, il me les faisait souvent et cela me rassurait, me réconfortait
et me prouvait qu'il avait encore un peu d'estime pour moi. Mais j'appréhendais
aussi ces compliments qu'il me décernait si généreusement,
car je savais que, de l'autre côté de la porte, les frères
les entendait aussi. Et ils me punissaient toujours.
Parfois la nuit, dans mon lit, je pleurais, marque de faiblesse, une nouvelle
fois mais je ne pouvais pas m'en empêcher, car je craignais le moment
ou j'entendrais la porte de ma chambre grincer et le bruit de leurs pas sur
le parquet de bois.
J'aurais voulu faire comme si je dormais, mais je tremblais de peur et cela
me trahissait. Je n'avais donc pas d'autre choix que de subir leurs mauvais
traitements, sans rien dire et en eésperant m'en sortir à chaque
fois. Que pouvais-je faire de plus?
Ce calvaire, je le vécus durant quatre années, jusqu'à
l'âge de mes sept ans, ou durant une nuit, tout bascula.
Nous étions en plein milieu du moins de septembre, et la neige s'abattait
en rafales depuis déjà prêt d'une semaine. Il était
donc impossible pour moi de mettre même ne serait-ce que le bout du nez
dehors. Mais cela n'empêchait pas Vivian d'entraîner les deux autres
à l'extérieur car ils étaient tous habitués au froid.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'eus un mauvais présentiment ce soir-là,
alors que l'on m'avait laissé le soin de faire la vaiselle. Je savais
que depuis quelques temps, Otto et Ortwin redoublaient de messes-basses et qu'ils
devenaient de plus en plus étranges et aussi de plus en plus forts. Même
mon maître s'en était apperçu. Il avait réalisé
que quelque chose ne tournait pas rond et que la situation n'était plus
normale, et tout cela sans rien soupçonner des sévices que j'endurais.
Pendant le dîner, alors que ses élèves s'apprêtaient
à rentrer, il m'avait confié qu'il comptait leur parler ce soir.
J'eus immédiatement un pincement au coeur à cet instant, comme
si j'avais déjà conscience de ce que l'avenir réservait.
Alors que j'essuyais tranquillement les couverts avant de les ranger, je sentais
mon souffle s'accélerer tout en sachant parfaitement qu'il ne s'agissait
pas d'une simple crise d'asthme. Je sentis tout à coup comme un éclair
me traverser le front et je faisais tomber au sol dans un violent bruit de fracas
tout ce que je tenais entre mes mains. Mon sixième était, sans
que je m'en rende alors compte, à son paroxysme.
J'entendais comme un appel au secours et je me précipitais vers le porte
manteau pour prendre mon manteau, enfilais à toute allure mes bottes
et me ruais dehors avec la force du désespoir. Je savais, alors que je
courrais, que je m'élançais au travers des immensités enneigées,
qu'il était déjà trop tard et que je ne pouvais plus rien.
Vivian m'avait emmené à plusieurs reprises à l'endroit
ou ils s'entrainaient de nuit. C'était à quelques kilomètres
de la maison, mais ce soir-là, il me sembla que j'atteignis l'endroit
voulu en quelques enjambées, comme si ma vitesse avait été
démultipliée à l'infini. Je n'avais aucune conscience qu'en
moi, explosait ce cosmos surpuissant que Vivian avait toujours su latent. La
peur était entrain de réveiller ce que j'étais réellement
et je ressentis toutes les ondes de la force que je découvrais au fur
et à mesure de ma course.
Le corps de mon maître, de mon père adoptif, gisait aux pieds de
Otto et Ortwin qui avaient des regards hallucinés et brillants, comme
seuls les fous en possèdent. Je ne pensais alors plus un seul instant
que j'étais faible car je ne l'étais plus. Je réalisais
immédiatement que je leur étais et leur avait toujours été
supérieur.
Ma fureur m'aveuglait car je comprenais immédiatement ce qu'ils avaient
fait. Ils l'avaient tué. Vivian était mort. Jamais plus je ne
le reverrai et c'était leur faute, à tous deux. Il m'avait fait
tellement souffrir, Vivian aussi. Et je le saisissais seulement maintenant.
Mon maître avait toujours nourri de la peur vis à vis d'eux. Il
craignait qu'il ne me fasse du mal et de par mes cachoteries il n'avait jamais
pu que supposer que tel était le cas.
Des larmes de rages roulèrent le long de mes joues alors qu'un filet
de sang s'échappait de la bouche du courageux chevalier d'Orion.
"-Il nous a supplié de ne pas te toucher, de te laisser tranquille."
C'est ce que me précisa Otto avant de se jeter sur moi avec un rire de
dément. Là, je compris que pour la première fois de mon
existence, j'allais devoir tuer. Non pas par envie, mais par necessité.
Je devais me venger ainsi que Vivian et plus encore me libérer. Prouver
à mon père que j'étais la personne qu'il rêvait de
me voir devenir, que j'étais bel et bien un guerrier de cette déesse
qu'il vénerait et que je servirais moi aussi.
Tout est plus floue ensuite dans ma mémoire et je n'en garde que des
bribes d'images succintes.
Les deux frères se jettant sur moi, l'énergie dorée entourant
mon corps et l'explosion d'énergie qui les balaya commes des fêtus
de paille... Cependant, ce dont je me souviens parfaitement, c'est du sentiment
de ne pas être appaisé, même après que mes deux bourreaux
mais aussi ceux de Vivian aient poussé leur dernier soupir.
Etrangement, je me rappelle aussi de détails stupides et sans importance,
comme de la texture de la neige dans les cheveux de celui qui m'avait recueilli
et aimé comme un fils, de la couleur plus foncée que prenait mon
manteau, à cause de l'eau contenue dans la neige alors que je courrais
vers l'infiniment blanc, vers ce paysage d'éternité.
Très haut dans le ciel nocturne et malgré le ciel moutonneux,
perçaient quelques étoiles, qui toutes réunis formaient
un dessin que le chevalier d'Orion m'avait désigné comme étant
la constellation des Poissons. Ma constellation autrement dit.
Je dus courir durant plus de deux ou trois heures, vers mon destin, vers ce
qui m'appartenait. Mes maladies avaient complètement disparu à
l'instant même ou mon cosmos avait explosé et fait vibrer tout
mon être.
Je me souviens du peu d'étonnement que j'émis alors que je brisais
le sol de glace épais de plusieurs mètres d'un coup de poings
et que je plongeais sous l'eau à des profondeurs hallucinantes pour récupérer
mon armure d'Or du signe des Poissons, celle que Vivian rêvait de me voir
rêvetir un jour. C'était pour lui que je faisais tout cela et je
me rendais parfaitement compte que je n'avais jamais été faible,
et que, au contraire, une force hallucinante avait toujours sommeillé
en moi.
Je déplorais simplement qu'elle ne se soit pas reveillée avant,
car ainsi, j'aurais pu défendre mon maître et le sauver. Ce fut
la seule pensée que j'eus alors que je revêtissais le vêtement
de protection doré que je venais de faire mien pour la première
fois.
Cette nuit reste à jamais gravée dans ma mémoire.
Je me souviens qu'ensuite, les jours qui ont suivi, j'ai erré dans les
étendues glacées en songeant à la nature de l'homme. J'avais
envie d'être isolé pour pouvoir nourrir des pensées philosophiques
et je n'éprouvais pas encore le désir de rejoindre le Sanctuaire
ou j'étais sans doute attendu. J'avais besoin de prendre ou plutôt
de garder, quelques jours de deuil.
Pour moi, la plupart des personnes étaient à l'image de Otto et
Ortwin. En apparence, les hommes semblent doux et beaux, lisses et purs, et
on leur accorde trop facilement notre confiance, nous contentant de la première
impression, qui est toujours la mauvaise. Hors, si l'on gratte sous le vernis
de la surface, on découvre généralement des êtres
laids et égoïstes à la nature aussi froide que mauvaise.
Telle était l'humanité, une meute de chiens enragés parmi
qui seuls les plus forts pouvaient survivre.
Cela me faisait penser à autres choses, aux roses. Ces fleurs semblent
délicates car elles sont belles à regarder et délicieusement
parfumées alors qu'elle ne sont en réalité que poison et
épines. Commes les êtres humains à qui l'on ne pouvait jamais
accorder sa confiance.
Se méfier des gens aussi bien que des choses, être plus intelligent
et plus rapide qu'eux, c'était ainsi que je voulais être et que
j'allais devenir.
Cependant, je n'oublais pas qu'il existait des hommes comme Vivian, mon père,
mais je constatais avec effroi que c'était eux qui mourraient car ils
étaient victimes de leur propre générosité qui les
rendait faible.
Le chevalier d'Orion, je l'aimais, je l'admirais, mais je ne voulais pas devenir
comme cela. C'était Nordhal qui ressemblait à cela, pas moi. Moi,
j'étais quelqu'un d'autre, de bien différent, de bien plus dur.
Je me souviens, alors que je sortais de la ville d'Athènes, après
plusieurs jours d'errance dans l'Europe, pour pénétrer dans le
village de Rodorio, que j'ai croisé un homme qui se figea sur place en
m'appercevant. Il m'interpella et me dit :
-Ce n'est pas possible, vous êtes si beau que vous ressemblez à
une divinité.
-Ah bon? repondis-je.
-Et si vous êtes une divinité, cela signifie que vous ne pouvez
être qu'Aphrodite.
-Tiens donc... Aphrodite? Et pourquoi pas?
Pisces Aphrodite
"L'Appel des Etoiles"