Chapitre I : Un simple village grec

 

L’Hellade

Les chemins d’Anatolie étaient étrangement paisibles. Plus aucune trace de Sinanthropes, un ciel clément, un soleil radieux dont les rayons chaleureux caressaient le visage au petit matin … le voyage débuta sous les meilleurs auspices. Pour autant, le moral des nouveaux serviteurs d’Athéna n’était pas vraiment au beau fixe. Pallas était inquiet, ayant toute sa vie honoré Poséidon à Argos, il se voyait mal servir une divinité hostile à son dieu protecteur. Mâa ne parvenait pas à comprendre pourquoi Râ semblait l’avoir abandonné, lui fidèle serviteur du culte solaire en Égypte. Séléné et Macubex étaient encore chamboulés par l’épisode de l’oracle, rejoignant une divinité qui n’avait pas su les choisir de prime abord. D’ailleurs l’Etranger ressassait sans fin les paroles du représentant d’Eris : « Servir Eris c'est servir la liberté, la liberté des hommes, la liberté de choix, d'action. Je ne vois ici qu'un troupeau ». Gaudamonos menait bon train, seul, détaché du groupe. « Vous voici éphèbes, suivez ce que je commande de faire et tout se passera bien. Cybèle ne veille plus sur vous, votre vie repose entre mes mains maintenant, puis en celles d’Athéna, mais pour cela il nous faudra rejoindre le Sanctuaire ». Le premier soir, le guerrier grec ne parla quasiment pas, insistant sur le repos nécessaire à chacun. Il voulait visiblement quitter l’Anatolie au plus vite. Après neuf journées de marche forcée, à peine entrecoupées de quelques plages de repos, les éphèbes arrivèrent enfin en vue d’une petite communauté de pêcheurs. Le village ne payait pas de mine, quelques bâtisses de bois, quelques petites barques de pêche … une douzaine de familles tout au plus y vivait.


- Nous voici à Phocée . C’est dans ce petit village que nous allons prendre un navire pour rejoindre l’Hellade.
- Encore un navire … j’espère que nous n’allons pas devoir ramer ! Et que la traversée sera bien plus tranquille cette fois-ci, grommela Séléné en posant ses affaires au sol.
- Vous devrez ramer, bien entendu. Athéna protégera notre voyage, nous ne courrons aucun danger. Le navire a été fait au moyen d’arbres du Sanctuaire, consacrés par notre déesse. Elle saura veiller sur nous.
- Excuse-moi, s’inquiéta Pallas, où allons-nous accoster ? Quelle est notre destination ? Allons-nous à Argos ?
- Nous rejoignons le petit port côtier d’Araphen . De là, nous cheminerons sur les terres du domaine d’Athéna. Nous rejoindrons alors le village du Sanctuaire où vous séjournerez.

Un homme en armes s'était joint au groupe. Le voyant, Gaudamonos le prit dans ses bras, visiblement soulagé. Ils échangèrent quelques mots à voix basse et le guerrier repartit vers le navire qui attendait les nouveaux serviteurs d'Athéna. « Nous ne devons pas tarder, l'équipage nous attend. Nous discuterons plus avant de tout ceci lorsque nous serons en pleine mer. Si tout se passe bien, dans trois jours, nous serons à bon port. Prenez vos affaires et suivez-moi. »

Personne ne dit mot lorsque le navire quitta doucement son ponton. La mer était calme, tous voyaient cette terre d'Anatolie s'éloigner petit à petit. Asturias brisa doucement le silence lâchant d’un ton mélancolique « J'espère revoir un jour Hattousa, sa fantastique bibliothèque .... Et Cybèle !», mais personne ne lui répondit. Au contraire, les mines étaient graves. La dernière traversée commune avait failli tuer les élus alors protégés par le talisman de Cybèle. Ils devaient cette fois-ci s'en remettre à une divinité inconnue, une divinité qui les avait choisis pour quelqu’obscure raison. Le navire mit le cap au sud, les voiles suffisant pour le moment à le mener au large. A la nuit tombante Gaudamonos regroupa les aventuriers à la poupe du navire. Il s'allongea et regarda les étoiles, les regards convergeant en silence vers la voûte étoilée.

« Vous allez découvrir un monde nouveau. Il fut un temps où moi aussi je fis le même voyage. Athéna est une déesse extraordinaire, elle saura vous guider dans la voie qu'elle a tracée pour vous. Vous en apprendrez bien plus dans le village du sanctuaire ... » Gaudamonos marqua un silence en fermant les yeux. Il les rouvrit et pointa du doigt une étoile rougeâtre.
- Cette étoile se nomme Antarès. Si vous parvenez à vous dépasser, à découvrir la véritable force qui est en vous, vous tiendrez dans vos poings, dans vos cœurs le pouvoir des étoiles. Vous serez telle Antarès, brillant de mille feux, éclairant les hommes de votre sagesse ... serviteurs de notre Déesse, Athéna.
- Que veux-tu dire par là, Gaudamonos, s'enquit Mâa en le toisant d'un regard perplexe. « Nous ne sommes que des hommes, tu évoques là les pouvoirs de divinités ! »
- Non, j'évoque le pouvoir de demi-dieux. Si telle est votre destinée, vous comprendrez un jour mes paroles.

Le navire filait à bonne allure profitant d'une mer calme et d'un vent continu qui poussait l'embarcation vers les côtes grecques. Après trois jours de navigation, Araphen fut enfin en vue. Le petit port grouillait de vie. Sur le ponton principal, des marins rejoignaient leur petite barque de pêche, leur navire plus important de commerce .... Ici se côtoyaient des bateaux de tous horizons. Seth fit remarquer à Mâa la présence d'un navire égyptien chargé d'amphores d'huile d'olive et de vin. « Ce port doit être important, du moins très riche, l'activité économique me rappelle celle d'Argos et de Tanis », commenta Mâa en embrassant du regard l'ensemble du port chargé de navires. Comme chacun descendait du bateau et vérifiait ses affaires, Gaudamonos regroupa les éphèbes face à lui.

- Bien ! Ma mission s'achève ici. Je suis heureux de vous avoir rencontrés. Qui sait, peut-être le destin nous fera nous revoir. Je pars pour Chios , une affaire urgente pour le Sanctuaire. Vous pouvez rejoindre maintenant le village du Sanctuaire en suivant le chemin, vers l'ouest. Le commun des Mortels ne peut le voir, le Souffle Divin d'Athéna le protège. Vous, vous le verrez, à travers les montagnes, la voie s'offrira à vous. Vous saurez.

Shiro se détacha du groupe ne cachant point sa surprise mêlée d'inquiétude ; « Gaudamonos, voici que tu nous conduis dans un endroit inconnu. Voici que tu nous y abandonnes .... Tu nous parles de choses que nous ne comprenons pas. Qu'est-ce que ce Souffle Divin ? Pourquoi ta déesse ne t'a pas convié à nous guider dans son sanctuaire ? Pourquoi te ferions-nous confiance ? »

Gaudamonos sourit et remonta dans le navire. Les élus se regardèrent et commencèrent à discuter entre eux pour savoir quelle attitude adopter. Personne ne vit le navire jeter les amarres et, lorsque Darkhan se retourna pour s'adresser au représentant d'Athéna, il était trop tard, le bateau s'éloignait lentement du ponton.

- Nous voilà bien ! Je n'aime pas du tout la tournure des événements. Moi je quitte cet endroit. Je suis libre !
- Bien parlé Nekkar, je pars aussi de mon côté ! Je vais retrouver Khonan, le village de Kröm. Toute cette histoire ne m'intéresse pas !
- Calmez-vous. Essayez de partir pour voir, vous verrez ce qui va se passer. Nous n'avons pas le choix, seul ce village peut nous accueillir.

Nekkar et Séléné regardèrent l'Etranger, l'air surpris. Ce dernier ne parlait pas souvent et, d'habitude, il se faisait le chantre d'une certaine liberté. Les deux compagnons comprirent vite le sens des paroles de l'Hindou. Une force les conduisait irrémédiablement à rejoindre la route indiquée par Gaudamonos. Cette force n'était pas hostile ... Mais aucun esprit ne pouvait lutter. « Venez à moi, vos Souffles Divins vont se réveiller ».

- Pallas, pourrais-tu m'aider à faire quelques emplettes ? J'ai faim, et je sens que nous allons encore devoir marcher pendant des jours. Mon grec n'est pas assuré, je t'en serai reconnaissant.
- Bien entendu Frank, tu as raison. Faisons quelques provisions avant de partir !

Les élus approuvèrent l'initiative et remplirent leurs sacs de divers produits. Poissons séchés, vin, pain, huile d'olive, quelques vêtements grecs pour se fondre dans la population, chacun prit le temps de remplir son sac.

Le chemin devant mener la petite troupe au village du Sanctuaire était particulièrement caillouteux. Les chausses les moins solides souffraient beaucoup. Darkhan expliqua comment renforcer ces dernières au moyen de cordage de bambous tressés qu'il avait en abondance. « C'est ainsi que nous faisons dans les hautes montagnes du Wullao Fang ». C'est ainsi que le voyage ne tourna pas au supplice pour les élus d'Athéna, du moins pour leurs pieds. Le temps était très sec et la chaleur ne cessa de monter toute la journée. Au soir, le paysage de plaine asséché par le soleil céda le pas aux premières pierres, puis aux premiers rochers. Le groupe avançait en file indienne, Asturias et Pallas ouvrant la voie.

- Étrange, ne trouvez-vous pas ? Le chemin a disparu devant des rochers, la brume s'est levée alors que le temps reste sec et chaud, même en cette heure où le soleil va se coucher.
- Tu as raison Asturias, répliqua Pallas en sondant le ciel, je n'aime pas cela. « Dans ma région, la brume ne se lève jamais ainsi. Argos n'est pas si éloignée que cela, je n'ai jamais entendu que le territoire d'Athéna était si différent du domaine de Poséidon ... »
- Dis-moi Pallas, que ressens-tu à l'idée de servir une déesse ennemie de ton dieu ?

Le Grec ne répondit pas tout de suite, feignant de ne pas avoir entendu. Croisant le regard insistant du Dalmate, il se résolut à répondre : « J'ai peur, peur que Poséidon ne me le pardonne jamais ». Pallas baissa les yeux comme si le Maître des Océans en personne portait à ce moment-même un regard inquisiteur sur lui. Asturias posa sa main droite sur l'épaule gauche de son compagnon, sentant ce dernier très troublé par la tournure des événements. Ils continuèrent à marcher ainsi en silence quelques instants avant que Pallas ne relève les yeux vers le Dalmate.

- Et toi ? Quel dieu sers-tu ? N'as-tu pas peur que ton dieu soit courroucé par ton abandon ?
- Je sers ma famille. Suvidsastr , le Dragon d’Airain, le maître de la sagesse est celui que je vénère avec les miens. Si Athéna m'a choisi, elle doit savoir que je ne sers que la justice, les Hommes ... je ne sais pas quoi te répondre d'autre en vérité. Je n'abandonnerai pas mes idéaux et mes convictions pour servir une divinité, fusse-t-elle la plus puissante de toutes, conclut-il avec détermination.

Nekkar sauta brusquement sur un rocher de la taille d'un homme et regarda au loin dans la pénombre. Tous furent surpris par tant d'agilité.
- Impressionnant ! Comment tu as fait cela ? interrogea Pallas.
- J'ai sauté. Et moi, je ne passe pas mon temps à bavarder comme tu le fais avec Asturias. Je regarde mon environnement ... Si vous en faisiez autant, vous deux qui êtes devant, vous auriez pu voir les lumières au loin, répondit-il en pointant du doigt l'horizon.

Harald se rapprocha doucement d'Artholos et lui posa une main sur l'épaule en murmurant « Nous y sommes ».

 

Le village du Sanctuaire





Il fallut près de deux heures de marche à travers la montagne pour rejoindre les abords du village. La brume persistante n'avait pas aidé les compagnons mais elle disparut comme par enchantement une fois devant une imposante muraille de pierre. Ces dernières étaient de la taille de Séléné, rappelant celles formant la muraille d'Argos. La voûte céleste brillait comme jamais, comme si toutes les étoiles ne brillaient réellement qu'en cet endroit. Le village était entouré de hautes montagnes, de sorte que l'on avait l'impression qu'il y avait deux murailles, l'une construite, l'autre naturelle. Une seule voie d'accès menait visiblement au village .... Aucun signe de vie en dehors des lumières ne laissait percevoir une activité humaine réelle.

- Méfions-nous, il n'y a pas âme qui vive ici. C'est peut-être un piège, comme à Didymes. Ce village a peut-être subit le même funeste sort ... Râ, guide-nous vers la voie de la lumière, montre-nous nos ennemis s'ils sont là.
- Ce village vit, Mâa, c'est une certitude. Et on nous attend.

Darkhan venait de voir le premier la silhouette d'un homme arborant une longue toge blanche, ne portant aucune arme ou armure apparente. Une torche à la main droite éclairait un visage fin et paisible, visiblement peu surpris de voir treize jeunes hommes en arme surgir de la pénombre.

« Kalispera ! Athéna vous a guidés ici et vous êtes tous sains et saufs. Nous attendions avec impatience votre arrivée. Je suis le héraut du Sanctuaire, chargé de vous accueillir en cette soirée comme j'accueille tout étranger. Je vais vous conduire dans l'enceinte du village. Je sers comme vous Athéna, je ne porte cependant plus de nom. Appelez-moi Héraut, tel est mon titre. Je ne suis pas voué au combat, je suis un humble serviteur ... seules les personnes les plus dignes peuvent arborer un nom, ce qui est votre cas, comme futurs Guerriers Sacrés. Suivez-moi je vous prie. »

Le héraut tourna les talons et longea le mur guidant les compagnons vers une porte de bois assez imposante, mais bien moins que celle d'Hattousa. Un long grincement accompagna son ouverture, laissant apparaître un village modeste composé de quelques bâtisses de pierre, d'un temple et d'un grand édifice de marbre blanc reflétant la lumière des multiples torches éclairant l'ensemble.

- Halte-là. Laumnès, chef de la garde du village du Sanctuaire. Donnez-moi toutes vos armes.
- Baisse d'un ton le chef de la garde. Nous arrivons dans un village inconnu, et tu penses nous désarmer comme ça, sur une simple injonction ? Je ne quitte pas mes armes, c'est mon assurance vie, dit Nekkar d’une voix calme et assurée, celle d'un homme sûr de sa force.
- Vous allez devenir des Guerriers Sacrés, du moins ceux qui survivront à la formation. Vous comprendrez bientôt ce que cela signifie. Mais sachez que les armes sont interdites. Un Guerrier Sacré se bat sans armes, sa puissance est celle d'un demi-dieu. Désirez-vous devenir de simples guerriers comme moi ou devenir des demi-dieux ? s'exclama Laumnès d'un ton martial.
- Comment le savoir ? Nous ne savons même pas réellement ce que nous faisons ici. Quoiqu'il en soit, je te donne les miennes et si par malheur c'est un piège ma fureur te conduira en enfer.

Seth laissa tomber ses armes au sol, bientôt suivi par l'ensemble de ses compagnons. Nekkar répugnait à lâcher toutes ses armes et garda sur lui deux dagues bien cachées autour de ses mollets. Le moment de tension passé, Laumnès fit signe au héraut de poursuivre son discours.

- Vous allez vivre ici pendant quelques mois, ou années. Vous trouverez de quoi vous nourrir et vous loger. Dans deux jours, vous en apprendrez un peu plus sur votre destin ici-même. Vous rencontrerez un personnage très important ! En attendant je vous conseille d'aller voir Gardohou, notre marchand. Il vous donnera tout ce dont vous avez besoin, gratuitement bien entendu. Il se trouve là-bas, à côté du puits, vous ne pouvez manquer son échoppe, c'est le bâtiment le plus haut après le temple de marbre blanc dédié à notre déesse Athéna.
- Pouvons-nous quitter ce village ? demanda Harald en fermant les yeux, comme s'il connaissait par avance la réponse.

- Non, bien entendu, le Souffle Divin d'Athéna protecteur vous a permis de rentrer ... Mais seuls des Guerriers Sacrés peuvent quitter ce village et ses montagnes.
- C'est bien ce que je pensais Héraut, nous revoilà prisonniers.

Séléné s'était tenu jusque-là en retrait, écoutant attentivement les paroles de chacun, contrôlant sa colère intérieure. Mais les derniers mots d'Harald suffirent à réveiller son tumulte intérieur.

- Je commence à en avoir assez, moi ! Je suis mon seul MAITRE ! rugit le fier guerrier en donnant un violent coup de poing contre la muraille tandis que le Héraut s'éloignait tranquillement.
- Calme-toi mon ami, calme-toi. Nous trouverons la faille, nous nous échapperons d'ici, soyons patients, dit Nevali en se rapprochant de son compagnon.
- Tu parles, Nevali ! Facile à dire pour toi tu es toujours calme ! Dans deux jours, un personnage très important vient ? Très bien, lui va m'entendre ! On ne joue pas avec moi comme ça ! répondit le Cimmérien en tournant son regard emplit de colère vers son ami.
- Jouer avec les Mortels est le privilège des Dieux, Séléné, suis donc les conseils avisés de Nevali, murmura Darkhan en regardant Antarès. « Je crois que nous avons beaucoup à apprendre ici avant de quitter cet endroit. Notre destin s'écrit, il n'est pas figé, nous saurons nous libérer de son étreinte. »

Un moment de silence suivit. Le vent mugissait doucement dans la vallée abritant le petit village, un vent frais, piquant, réveillant les douleurs articulaires accumulées par de longues journées de marche ininterrompues.

« Trêve de bavardages : qui me suit chez le marchand gratuit ? Les deux autres ne nous ont même pas dit où nous allions dormir et je suis éreinté. »

Artholos se rapprocha de Pallas, suivi par Frank qui souffla à son compagnon : « Nous te suivons, moi aussi je suis fatigué, Artholos aussi ». « Oui », compléta le Germain, « il est temps que nous nous reposions enfin ».

La pièce était assez vaste, mais ceci ne se voyait pas vraiment tant le capharnaüm de marchandises l'emplissait de toutes parts. Au beau milieu trônait une grande table de bois rectangulaire qui semblait devoir céder d'un moment à l'autre. Seth, Mâa et Shiro avaient rejoint le petit trio. Tous se regardaient, inquiets. « Ça ne tiendra jamais, elle va lui tomber dessus », insista Frank l'air inquiet. La table de chêne se remplissait d'un dernier sac. Le marchand transpirait à grosses gouttes mais arborait un large sourire.

- Et voilà ! C'est fini ! Couverture de laine d'Arcadie, sacs, toges, sandales, nécessaire de toilette, lampe à huile, drap de lin ... Oui c'est ça, tout est là, du moins pour ce soir. Vos chambres individuelles vous attendent dans le long bâtiment qui se trouve à côté du magasin. Dites aux autres de passer, il leur faut leurs affaires.
- Dis-moi Gardohou, c'est vrai que nous ne devons rien payer ? demanda Artholos peu convaincu par les dires du héraut.
- Oui oui, tout à fait. Vous êtes des éphèbes , tout est gratuit pour vous, c'est normal.

Comme il prenait un sac et en vérifiait le contenu, Shiro s'adressa au vendeur sans porter le regard sur lui : « Excuse notre ignorance, mais depuis que nous sommes arrivés on nous parle de Guerrier Sacré, enfin d'apprenti Guerrier Sacré, d’éphèbe ... » Il marqua un temps de réflexion, sondant le visage de son interlocuteur qui arborait un large sourire. Il poursuivit. « Que seuls les premiers peuvent quitter le village et ce Sanctuaire, pourrais-tu nous en apprendre davantage ? »

Gardohou apparut quelque peu gêné par cette question, ne sachant pas s'il devait satisfaire la curiosité du jeune homme. Voyant les regards converger vers lui, il se décida enfin à émettre une réponse évasive.

- Un des Guerriers Sacrés est en chemin pour vous rencontrer. Vous comprendrez bientôt. En attendant reposez-vous, allez visiter le bois voisin demain, nos champs ... Profitez de ces moments de quiétude. Et n'oubliez pas de prévenir les autres, leurs sacs sont prêts !
- Une dernière chose, Gardohou. Le héraut nous a dit que seules quelques personnes pouvaient avoir ou conserver leur nom .... Tu sembles en faire partie, pourquoi ? demanda Seth en regardant le marchand droit dans les yeux.
- Je suis un ancien éphèbe, j'ai tenté de devenir un Guerrier Sacré ... J’ai échoué, mais j'ai gardé le droit de porter mon nom. Vous comprendrez vite que rien n'est assuré ici, si ce n'est la sagesse d'Athéna.
- Je jugerai sur pièce si tu le permets, répondit Seth d'un ton sec.

Les six élus firent un signe d'au-revoir au marchand et rejoignirent le bâtiment indiqué par Gardohou. En chemin, ils expliquèrent à Nekkar la démarche à suivre alors que ce dernier finissait le tour du village, tel un tigre en cage. Les petites chambres qui attendaient les éphèbes étaient fort modestes : un lit de bois, une table, un tabouret, un meuble de petite taille ... une petite ouverture vers l'extérieur était la seule indication rappelant qu'il s'agissait d'une chambre et non d'une geôle.

La fatigue aidant, le sommeil ne fut pas difficile à trouver. Ce soir-là, aucune question ne pouvait trouver de réponse satisfaisante. Du moins avaient-ils été bien accueillis, pour le moment ...

 

La vallée du Sanctuaire

 

Ce furent les premiers rayons de soleil qui réveillèrent Harald. Ayant quitté Asgard qui l'avait vu grandir pour retrouver sa terre natale, il avait montré une certaine excitation à l'idée de découvrir enfin le Sanctuaire et son village. La nuit fut longue, entrecoupée de réveils multiples qui n'avaient pas permis au jeune homme de réellement se reposer. Peu importait, le jour apparaissait enfin, et avec lui la perspective de découvrir enfin cette vallée entourant le village qui les avait accueillis. Sans attendre ses compagnons, Harald s'habilla prestement avec l'une des tenues offertes par Gardohou et rejoignit l'extérieur. Il jeta un regard circulaire autour de lui et fut surpris du spectacle qui s'offrait à lui. De hautes montagnes entouraient l'ensemble du village, mais contrairement à ce qu'il avait cru avec ses amis ces dernières étaient bien plus imposantes et éloignées. La vallée du Sanctuaire était réellement vaste, le village se situant à son extrémité sud, fermant la seule sortie apparente de ce paysage majestueux.

« Puis-je vous aider ? »
Harald se retourna vers la voix qui l'avait apostrophé et reconnut le héraut qui les avait hébergés le soir précédent.
- Je me suis levé plus tôt que les autres on dirait. Je me promène et découvre le village au grand jour. Je ne pensais pas que la vallée était aussi vaste, conclut-il en embrassant les montagnes d'un regard admiratif.
- La vallée est effectivement très vaste. Si vous sortez du village et que vous poursuivez vers le nord ouest, vous trouverez nos champs et notre grande ferme. Vous verrez, l'endroit est magique. Plus au nord encore, vous atteindrez une vaste forêt ... méfiez-vous, de nombreuses bêtes sauvages y vivent. Vers l'est, vous pourrez rejoindre la carrière qui nous alimente en pierres et en marbre. Deux de vos compagnons sont déjà partis à la découverte de ces lieux, vous pouvez les rejoindre si vous le désirez.

Harald fut surpris par cette dernière remarque « Je croyais être le premier, je n'ai pourtant entendu personne se lever avant moi ... », pensa-t-il.
- Savez-vous qui sont ces deux personnes ? questionna-t-il d’une voix amicale.

- Et bien messire Harald, ce sont messires Frank et Darkhan qui ont dormi à la belle étoile.
- Vous connaissez déjà mon nom ? fit Harald interloqué par l'assurance du Héraut.
- Mais tel est mon devoir. Je suis ici pour vous guider et répondre à vos désirs matériels. C'est moi qui suis en charge de votre séjour, telle est la mission que le Maître m'a confié et que je me fais une joie de remplir.

Harald se gratta le menton et ferma les yeux quelques secondes, plongé dans ses pensées. Il se reprit et interrogea son interlocuteur avec une voix plus grave : « Quel Maître ? Est-ce ce Guerrier Sacré qui doit venir à notre rencontre dans les jours prochains ? »

Tout en gardant son calme olympien, le Héraut laissa entrevoir une envie de couper court à la conversation en regardant rapidement la porte de la petite habitation par-dessus l'épaule d'Harald.
- Messire est perspicace. Veuillez m'excusez, mais je dois encore préparer vos repas de la journée. Si vous n'avez rien d'autre à me demander, je vous encourage à découvrir la vallée qui va vous servir de cadre de vie pour les mois à venir.
- Ce sera tout. Je vais rejoindre mes compagnons.
- Bonne journée à vous, vous pourrez venir manger lorsque vous le voudrez, ici même. Vos amis sont partis vers nos champs, vous devriez les trouver sans difficulté.


Harald décida de faire le tour du village avant de rejoindre Frank et Darkhan. La muraille qui ceignait le village était encore plus impressionnante de jour. Chose extraordinaire, contrairement à Argos il n'y avait aucun garde sur les remparts. D'ailleurs toutes les personnes croisées étaient sans armes. Ici quelques enfants jouaient autour du majestueux olivier qui trônait fièrement au fond du village. Là des femmes conversaient en sortant de chez le marchand, ici des hommes quittaient le village chargés d'outils agricoles. Les murs des édifices étaient tous recouverts d'un mélange inconnu leur donnant une couleur immaculée sur laquelle le soleil venait faire resplendir ses rayons. Il était d'ailleurs difficile de les regarder avec insistance tant les murs réfléchissaient la lumière. Le temple de marbre d'Athéna était à la fois dépouillé et majestueux. Hattousa était extraordinaire de par les couleurs chatoyantes des édifices et surtout de par le rouge écarlate des colonnes du temple de Cybèle. Ici le marbre était à nu, simplement blanc, un blanc qui rappelait à celui qui avait connu Asgard l'immensité de la glace, la majesté des paysages enneigés.

- Tiens, Harald, tu es matinal toi aussi ?
- Oh ! répondit ce dernier après un moment de surprise, Nekkar ! Je fais un petit tour, j'allais rejoindre Darkhan et Frank qui sont sortis. Et toi, bien dormi ? Tu te balades également ?

Nekkar s'étira en bâillant et essuya une larme générée par la lumière réfléchissante du temple immaculé. « Oui ça va, pas trop mal. Le soleil m'a réveillé, ses rayons pénètrent au niveau de mon visage par la fenêtre, ce soir je mettrais un voile. Je te suis si tu veux bien, j'ai besoin de me dégourdir les jambes et ce village est trop éclairé à mon goût, on n’a pas idée de faire des murs réfléchissant ainsi le soleil ! »

Harald sourit en opinant de la tête et les deux compagnons sortirent tranquillement du village par la grande porte de bois qui était totalement ouverte et non gardée. Suivant les recommandations du Héraut, Harald mena Nekkar vers le nord en longeant un petit chemin de terre bordé de chênes lièges offrant une ombre bienvenue. Le vent soufflait doucement dans l'herbe et quelques papillons accompagnaient nos amis dans une danse virevoltante. Le soleil avait réveillé les premières cigales qui commençaient leur chant entêtant, totalement nouveau pour Nekkar et Harald. Le thym et la lavande mêlaient leurs parfums, ravissant les narines d'Harald, ému de découvrir sa terre natale, plus belle et envoûtante qu'il ne l'avait imaginée.


« Ça nous change de l'Anatolie en tout cas, ce coin me plaît bien, c'est tranquille. »
« Oui », rétorqua Harald en se tournant vers son compagnon, « cet endroit est merveilleux. »

Après quelques minutes de marche soutenue, les deux amis arrivèrent en vue d'une ferme, établie sur une petite butte, dominant un paysage extraordinaire. Devant eux, se dressaient un champ de blé dorant sous le soleil matinal, des oliviers aux feuilles argentées que le léger vent faisait miroiter. Quelques chèvres broutaient de la lande en regardant les nouveaux venus, un champ de fleurs multicolores voyait papillons et abeilles se disputer la meilleure place pour butiner le pollen ...

- EH OH ! Par ici ! OH OH ! ICI ! s'exclama une voix familière étouffée par les chants de grillons et de cigales.
- Là-bas, regarde, on dirait Frank et Darkhan. Allez viens, courons les rejoindre, ça nous réveillera ! lança Nekkar en se retournant vers son compagnon et entamant dans la foulée une course folle à travers les hautes herbes.

Effectivement, Darkhan et Frank étaient bien là et c'est ce dernier qui avait guidé de la voix les deux nouveaux venus. Frank et Darkhan portaient un simple linge en guise de culotte à la grande surprise de Nekkar qui éclata de rire en les voyant ainsi accoutrés.

- Et bien les gars ! Je ne voudrais pas faire courir de rumeurs ... mais là, votre accoutrement ne plaide pas en votre faveur ! commenta le chasseur émérite d'un air narquois.

Frank sourit et se retourna, indiquant du doigt un petit étang alimenté par une puissante cascade.
- Vous devriez faire comme nous, cette eau est divine, et se sécher au soleil est le plus merveilleux des moments que j'ai vécus depuis des mois !
- Frank a raison, compléta Darkhan l'air tout aussi joyeux. D'ailleurs ....

Darkhan jeta regard complice à Frank et tous deux se jetèrent sur Nekkar avant que ce dernier ne puisse réagir.
« Mais que faites-vous, bande de fous ! A NON, PAS AVEC MES VETEMENTS ! » Nekkar n'eut pas le temps de finir sa phrase, il venait de rejoindre l'étang avec ses deux amis hilares. Harald se laissa aller à un grand éclat de rire, et comprenant qu'il n'aurait de toute façon pas le choix rejoignit rapidement les trois éphèbes, non sans avoir pris le temps de retirer ses vêtements.

- Je n'oublierai pas cette attaque mes petits, croyez-moi ! Enfin, vous avez raison, cette eau est merveilleuse ...
- Profitons de ces instants de paix mes amis, je crois que notre avenir sera bien plus tourmenté, dit Darkhan avant de nager paisiblement vers la cascade.

Le soleil poursuivait inlassablement sa course céleste, les éphèbes profitant au mieux de ces jours de quiétude retrouvée.

 

Cité grecque se trouvant sur la façade ouest de la Turquie actuelle, dans le golfe de Smyrne.

Petit port de l’Attique, au nord d’Athènes, à proximité de Marathon.

Ile des Sporades, archipel de la Mer Egée.

Construction personnelle autour deux mots germanique et indoeuropéen signifiant « sage », « très sage ».

Bonsoir, en grec.

A comprendre ici comme jeunes apprentis.