Chapitre II – Un long périple vers le Grand Nord

 

Mimir

 

La flamme de la bougie vacilla une nouvelle fois sous le souffle glacial du vent pénétrant dans la pièce de toile. Assis en tailleur sur une étoffe rembourrée tenant lieu de coussin, un jeune homme s'assurait qu'elle ne s'éteindrait pas et reprit l'activité qui le tenait si souvent éloigné de ses compagnons depuis plusieurs semaines.

« Voilà maintenant plus de trois mois que nous sommes partis. Je serai bientôt à cours de parchemin, aussi je fais attention à ne pas gaspiller la moindre place. Le capitaine m'a certifié que nous étions proches, mais il m'avait tenu le même discours il y a un mois ....

Je ne pensais pas que le monde était si vaste. Nous avons longé jours après jours les rivages de terres inconnues à bord de notre navire. Les côtes dentelées et montagneuses de la Grande Mer de l'Ouest ont cédé la place à des côtes plus accueillantes en apparence. Nous avons abordé de temps à autres ces terres nouvelles et nous pouvions en visiter les rivages, à condition de rester à proximité du navire. La terre était riche, d'immenses plaines verdoyantes à perte de vue ... il faut dire que le temps est bien différent ! Si par chez nous la pluie se fait rare, plus nous remontons vers le nord plus l'humidité s'installe. Je ne me souviens presque même plus du désert où j'allais écrire et lire il n'y a pas si longtemps. Ici le sable ne se retrouve que sur les rivages, je suis toujours heureux de le revoir, cela me rappelle ma terre natale. Pourquoi mon destin me conduit si loin d'elle ? L'avenir sera porteur de réponses. Je me suis rapproché de Rahotep, tout aussi perdu que moi dans ce nouvel environnement. Son Égypte lui manque tout autant que me manquent les senteurs épicées d'Uruk et le tumulte salvateur des eaux du Tigre.

Certains de nos amis connaissent la terre que nous rejoignons, et la description qu'ils ont pu en faire m'a laissé penser dans un premier temps qu'ils narraient un de leurs rêves plus qu'ils ne disaient la vérité. Et pourtant .... Le choc fut intense pour moi lorsque Hanz et Thrall vinrent me sortir de mon sommeil pour me montrer ce qu'ils avaient raconté avec force de conviction. Ce que je prenais pour des songes était là, sous mes yeux, extraordinaire spectacle. La mer laissait flotter quelques bouts de petites îles blanches aux bords anguleux. Les cordages du navire étaient durs comme le meilleur des métaux, de longues formes coniques d'eau s'étant figées au moment de rejoindre le pont du navire. Et quel pont ! Il fallait se tenir au bastingage, tout en supportant la morsure du froid embrasant les mains pour ne pas tomber ! Le pont était si glissant, sensation nouvelle appelée à devenir familière. Nos premières chutes détendirent l'atmosphère au sein de l'équipage, nous découvrions pour certain la glace et la neige. Quel spectacle saisissant que ces flocons tombant lentement du ciel gris, presque noir. Au contact de la main, le flocon disparaît en une goutte d'eau, le froid agirait donc sur les liquides.

La surprise passée, le spectacle du blanc immaculé fut plus difficile à supporter. Le froid est devenu de plus en plus intense, tout comme Shamash peut faire monter la chaleur dans nos déserts. Odin serait donc une divinité du froid, et moi je serais perdu dans ce monde si différent du mien. Le froid mord, brûle, étouffe le bruit, endort, annihile force et volonté, et pourtant c'est toujours plus vers lui que nous voguons. Le capitaine nous conduit vers l'entrée maritime la plus septentrionale du Royaume d'Asgard appelé à être notre nouvelle terre. Il ne nous en a pas dit plus, mais notre navire nous y conduit chaque jour un peu plus, à travers ces îles blanches s'écartant comme par magie sur notre passage, se refermant derrière nous. Mis à part les plus courageux d'entre nous, plus personne ne quitte maintenant la grande tente dressée au milieu de notre navire, il fait beaucoup trop froid. Lorsque nous désirons braver ce climat hostile, nous portons de lourds manteaux de peaux et de fourrure distribués par les marins de notre expédition. Nos visages sont tout aussi protégés par un tissu de laine que nous enroulons autour de notre tête de sorte que l'air froid ne pénètre pas dans nos bouches et nos narines. En somme, c'est un peu comme lorsque je devais affronter une tempête de sable protégé par mon foulard de tissu ... 

Nous ne voyons plus de terres. Nous ne voyons plus le soleil, au mieux un ciel nuageux oscillant entre le gris et le noir, mais la plupart du temps il fait simplement nuit. Le navire ne cesse de tanguer sous les coups de butoir d'une mer de plus en plus hostile, le vent accentue davantage la sensation de froid, la neige n'est plus si belle, elle devient redoutable.

Journal de bord d'Akurgal, quatorzième semaine de navigation »

Le Mésopotamien posa son stylet et enroula son parchemin soigneusement dans un étui de bois acheté à Hattousa. Concentré à son affaire, il ne s'était pas rendu compte qu'une personne l'observait depuis plusieurs minutes.

« Tu as fini ? » Sursautant, Akurgal reconnut son ami Rahotep et Inyan. Ce dernier avait mis beaucoup de temps à parler avec ses amis depuis le départ d'Hattousa. Séparé de son frère Frank par un destin capricieux, il s'était renfermé sur lui-même. Depuis quelques temps cependant, il recouvrait une certaine joie de vivre, du moins essayait-il.

- J'ai fini oui, heureux de vous voir. Des nouvelles ?
- Tu devrais venir avec nous, nous avons résolu le mystère des îles qui s'écartent sur notre chemin, un marin a parlé, dit l'Egyptien l'air enjoué.
- C'est Odin, c'est ça ? questionna Akurgal avec excitation.
- Tu verras Akurgal, viens, répondit Inyan en ouvrant davantage la toile qui servait de pièce d'écriture au jeune Mésopotamien.

Tous trois rejoignirent le pont après s'être recouverts des vêtements destinés à les protéger du froid. Le premier réflexe d'Akurgal fut de regarder le ciel, à la recherche d'un improbable signe de l'astre solaire ou de l'astre lunaire qui lui manquaient tant. Son regard se figea devant le spectacle qu'il découvrit.

- Mais c'est extraordinaire ! s'exclama-t-il après quelques secondes. C'est incroyable ! Que c'est beau!
- Allons, tu ne désires pas en savoir plus sur ces terres glacées qui s'écartent devant nous ? lança Rahotep en souriant devant la joie non dissimulée de son ami.

Inyan se positionna devant Akurgal et commença à apporter une première réponse au mystère qui enveloppait la course du navire à travers la banquise qui se formait chaque jour davantage.
- Notre navire se nomme le Mimir. Ce nom vient d'un esprit, d'une divinité, tout n'est pas très clair, lié aux eaux. Notre navire aurait repris le pouvoir de ce Mimir et contrôlerait les éléments aquatiques. Ainsi aucune tempête, aucun obstacle ne peuvent nous contrarier.
- Quant à ce ciel, laisse-nous te conduire aux autres, ils ont la réponse, le capitaine la leur a apportée tout à l'heure pendant que tu écrivais ton texte.

Akurgal se retourna vers Rahotep et opina. Tous trois se dirigèrent vers la poupe du navire, où trônait une superbe sculpture de bois représentant un dragon cracheur de flammes. Là se trouvaient réunis tous les élus dont Odin avait choisi de faire des serviteurs dévoués.

- Tiens, tiens, voilà l'ermite, dit Dimitre en souriant.
- Alors, on a plus peur du froid ? Tu sais, tu as raté un grand moment ! Ce ciel s'est formé petit à petit, ce fut un instant magique, crois-moi. Nibel a composé sa meilleure chanson en voyant ce spectacle.
- Je veux bien te croire Memnoch, je veux bien te croire. Ce ciel est extraordinaire.

Akurgal se tourna vers Thrall et Hanz qui se trouvaient l'un à côté de l'autre, détachés du groupe.
- Alors vous pouvez nous expliquer ce phénomène, vous qui vivez dans ces terres ?
- Germanie, je suis un Germain, répondit Thrall en resserrant sa laine autour de son visage.

Machinalement les yeux convergèrent vers Hanz qui eut un petit sourire. Il toussota doucement et s'adressa, les yeux dans les yeux, au Mésopotamien.
- C'est une aurore boréale, j'en ai déjà vu quelques-unes. C'est la manifestation de la volonté d'Odin de protéger Asgard, nous en sommes donc tout proches.

Hanz se retourna vers le ciel et pointa du doigt une étoile qui brillait plus que les autres.
- Cette étoile est la mère des étoiles célestes, celle qui ne disparaît jamais du ciel, jour et nuit. On ne peut la voir qu'en terre d'Asgard.

Hanz se retourna alors vers ses amis en souriant de plus belle. « Le capitaine ne nous l'a pas dit clairement, mais moi je puis vous le certifier : nous sommes arrivés ! Nous sommes en Asgard ! »

 

Le promontoire d'Odin

 

Meijuk fut le dernier à rejoindre la petite barque. Les élus d'Odin se serraient les uns contre les autres, la chaloupe n'offrant que peu de place. Le capitaine du navire leur fit descendre douze rames et dut crier afin de passer outre le bruit des rafales mugissantes qui portaient avec elles des bourrasques de neige fraîche.

- Rejoignez la banquise, souquez ferme ! Ne laissez pas le courant vous conduire au large, vous seriez perdus et personne ne viendra à votre secours ! Une fois sur la banquise, rejoignez la statue, un émissaire d'Odin vous y attend ! Bonne chance à vous tous, soyez dignes d'Asgard !

Les rames en main, les six paires se mirent en action. L'effort à fournir était important tant la houle jouait avec le frêle esquif. Pour ne rien arranger les duos s'étaient formés sans réelle concertation et l'efficacité des coups de rames s'en ressentait grandement, la barque ayant tendance à tourner du côté des plus costauds, Meijuk en tête.

- Tu parles ! Mais quelle galère ! Nous voilà au beau milieu d'une mer gelée, dans une barque grande comme une table de banquet, à ramer tels des fous que nous sommes vers une terre blanche et sans vie ! Et le capitaine n'a même pas eu à nous forcer, nous sommes descendus dans ce traquenard sans sourciller !
- Tais-toi donc et cesse de bougonner Dimitre, cela ne changera rien à l'affaire. Le capitaine nous a dit qu'on nous attendait à côté de cette statue, faisons-lui confiance et surtout rejoignons au plus vite la terre ferme, nous ne sommes pas en sécurité ici.

Le regard approbateur porté par ses compagnons envers Memnoch suffit à faire taire le Caucasien qui reprit son effort sans dire un mot de plus. Meijuk jetait des coups d'œil à droite et à gauche, sentant que la barque n'allait pas tout droit. Il se leva brusquement se dirigeant tant bien que mal vers Liu.
- Tu es complètement fou ! Tu vas nous faire chavirer ! Je ne sais pas bien nager, je n'ai pas fait tout ce chemin pour mourir ici ! hurla Yshba de colère en sentant la chaloupe tanguer dangereusement.
- Liu, prends ma place, dépêche-toi. Les plus forts sont tous à gauche, nous sommes moins efficaces ainsi. Je vais contrebalancer en me mettant à ta place.

- Il a raison, ajouta Ryusei d'une voix plus assurée qu'à son habitude, nous dérivons dangereusement de notre but !

Liu se poussa sans dire un mot et prit la place de Meijuk. Ainsi rééquilibré, le petit équipage reprit de plus belle et finit par rejoindre la banquise après de longues minutes de lutte contre la forte houle. Inyan sauta brillamment sur la banquise tenant une corde entre ses mains. La réception fut assez chaotique, le sol glacé n'aidant pas véritablement à conserver un équilibre solide. Parvenant à attacher la corde autour d'un épais bloc de glace, Inyan fut acclamé par les hourras de ses compagnons. Laissant apparaître un petit rictus de satisfaction, ce dernier tira de toutes ses forces sur la corde tenue par Thrall dans la chaloupe afin que celle-ci soit solidement collée au rivage glacé. Ceci fait, les compagnons rejoignirent les uns après les autres la terre ferme, emportant avec eux leurs effets personnels.

« Bien joué Inyan. Ta dextérité nous a sauvés. »

Inyan regarda quelques instants Liu avant de se retourner vers la statue.
- Sauvés ... Je ne sais pas si je nous ai sauvés, du moins je nous ai rapprochés de cette épée, point de départ de notre nouvelle vie, murmura celui qui avait dû laisser son frère à une autre vie.
- Bon, mettons-nous en route, le ciel se couvre, ici le blizzard a tôt fait de boucher l'horizon. Il serait dommage de ne pas avoir rejoint notre point de rendez-vous si proches du but ! Allez, en avant !
- Tu as raison Hanz, nous te suivons, tu es chez toi ici, répondit Nibel en lui emboîtant le pas, bientôt suivi de l'ensemble de ses compagnons.

Au loin se détachait la silhouette de la statue indiquée par le capitaine du navire. Il s'agissait bien d'une épée, comme Inyan l'avait remarqué. L'arme était figée dans la glace d'une petite butte, la garde s'élançant majestueusement vers le ciel de plus en plus couvert. Deux lumières bleutées l'entouraient, lumières improbables, aucune source ne paraissant les alimenter. « C'est de la magie », insista longuement Ryusei au fur et à mesure que la petite troupe s'en rapprochait. Arrivés à quelques dizaines de mètres, deux silhouettes humaines de bonne taille firent leur apparition. Il était clair que les deux individus portaient de lourdes armures, l'un portant une grande hache sur l'épaule gauche. Imperturbables, ils semblaient attendre les compagnons de Dimitre qui avait sorti son arme de son fourreau, tandis qu'Yshba avait d'ores et déjà prit un peu de recul et armé son arc. Celui qui portait la grande hache s'avança lorsque le groupe ne fut plus qu'à quelques mètres. L'homme mesurait plus de deux mètres, portait une magnifique armure dorée couverte pour partie de fourrure. Son visage était noble, sa peau blanche et sa barbe blonde contrastant avec ses yeux d'un bleu profond.

- Je suis Jogonstok de la famille de Vigensten, Gardien des Tours de la Forteresse d'Asgard. Vous pénétrez ici dans un endroit sacré. Montrez-vous dignes de la confiance qu'Odin a placée en vous. L'homme qui se trouve derrière moi est l'un de nos grands sages. Rangez vos armes et approchez-vous de lui. Ne l'interrompez pas lorsqu'il s'adressera à vous. Tout se passera bien. Montrez-vous hostiles, alors je vous châtierai de mes mains.

Le fier guerrier se retourna vers le sage et lui fit un signe de la tête. Posant un genou à terre, il ficha la tête de sa hache dans la glace et baissa son visage en signe de respect. Les compagnons se regardèrent longuement, ne sachant quoi penser. Ne voyant pas de danger proche, les armes regagnèrent leurs fourreaux et les compagnons avancèrent lentement en direction du sage. Ce dernier portait aussi une armure, mais aucune arme apparente. Son visage était recouvert par la capuche de son manteau blanc, de sorte que personne ne pouvait croiser son regard. Alignés les uns à côté des autres, les élus attendirent que le sage s'adressât à eux. S'ils n'avaient pas peur, tous ressentaient une sorte de malaise naissant. La voix ténébreuse du sage brisa la monotonie du mugissement du vent sur la banquise. Bientôt plus personne ne fit attention aux craquements répétés de la glace. Cette voix avait quelque chose d'hypnotique.

- Je vous salue. Vous avez dû braver mille dangers pour venir jusqu'à moi. Je vois que vous avez juré fidélité à notre seigneur Odin en acceptant de rejoindre Asgard ... Nous avons besoin d'hommes comme vous, les temps sont difficiles. Depuis que Loki œuvre dans l'ombre, certaines forces se sont réveillées ... En outre, d'autres puissances envoient des hommes ici, ce qui vraiment n'arrange pas les choses.

Le sage se tut un instant laissant chacun à ses interrogations. Il reprit doucement. « Pour servir réellement Odin et le Royaume d'Asgard, pour défendre ses habitants, il faudra que vous vous montriez à la hauteur. Dans un premier temps, voyagez le plus possible en Asgard. Parcourez les moindres recoins de votre nouvelle terre. Vous pourrez gagner de l'expérience à travers des combats. Servez au mieux le peuple d'Asgard. Par exemple, ramenez des objets précieux et inconnus, ramenez des peaux de tigres des neiges pour les habitants de notre royaume, devenez pêcheurs, devenez artisans, trouvez les portes du royaume de Loki pour prouver votre valeur ... Mais n'y pénétrez surtout pas ! »

Le mystérieux homme se tut une nouvelle fois, laissant volontairement les jeunes hommes se perdre en conjectures. S'avançant d'un pas, il poursuivit.

« Vous pourrez donner tout ce que vous trouverez au village fortifié le plus au sud de notre royaume, Troudheim. Trouvez les personnes qu'il faut, elles sauront quoi en faire et nous ferons parvenir les plus belles trouvailles. Je vais quant à moi user de mes pouvoirs pour que vous puissiez entamer votre formation initiatique. Les nains sont vos ennemis à présent : fouillez leurs grottes et n'hésitez pas à les défaire ! Les Elfes Noirs, habitants de Nibelung , sont également nos ennemis ... évitez de les rencontrer ... vous n'êtes pas assez puissants. Dernière chose : quand vous vous sentirez vraiment prêts recherchez le palais d'Odin. Il se trouve au nord ouest du royaume, entouré de montagnes et de forêts. Voici enfin quelques armes pour vous ainsi qu'une combinaison... Ainsi vous pourrez poursuivre sereinement votre formation. »

Prononçant un simple mot, l'homme fit apparaître douze sacs aux pieds des élus. Chacun sentit dans le même temps une intense chaleur les parcourir. Rahotep porta intuitivement la main à son cou et découvrit un pendentif frappé de runes.

- Vous voici porteurs du sceau protecteur d'Odin : vous êtes maintenant des guerriers d'Asgard, au service de ce peuple, au service d'Odin. Cette rune vous apportera le réconfort d'Odin lors des combats que vous devrez mener. Ne la perdez pas, il en va de votre survie. Maintenant vous n'êtes plus des étrangers. Vous êtes des Asgardiens, il est temps que votre nouvelle vie commence !

D'un geste lent, le sage leva les bras vers le ciel. Les deux lumières bleutées convergèrent vers ses mains ouvertes. L'homme prononça quelques mots d'une voix à peine audible. D'un geste brusque, il ferma ses deux mains absorbant du même coup les deux lumières qui disparurent à la grande stupeur des jeunes hommes, pris d'une peur soudaine. Sans réellement comprendre ce qui se passait, ils virent une intense lumière apparaître à leurs pieds avant d'être projetés dans les airs et de disparaître. Jogonstok se releva et se rapprocha du sage.

« Le destin est en marche, Seigneur, » dit-il d'une voix emprunte de respect.

Posant son regard sur l'épée géante fichée dans la glace, le sage se tut. Une rafale plus forte que les autres obligea le guerrier à courber l'échine. Le sage se retourna vers lui dans un lent mouvement et fit apparaître à leurs pieds la même lumière scintillante qui avait vu disparaître les douze compagnons.

- Il est en marche, c’est maintenant inéluctable. Puisse ces hommes trouver la voie. Nous attendons depuis trop longtemps que l'on puisse réveiller l'âme des frères d'Odin. Le temps nous manquera bientôt. Tu garderas un œil sur eux, tu me tiendras au courant de leur évolution. La prêtresse veut savoir si parmi eux se trouvent enfin les élus que nous attendons depuis si longtemps. L’Oracle des terres du Sud l’a certifié, mais tant que les âmes de nos protecteurs ne seront pas réveillées, nous ne pourrons réellement savoir.
- Vous pouvez compter sur moi Seigneur, s’inclina respectueusement le fier guerrier, mes hommes ne les quitteront pas des yeux, où qu'ils aillent en Asgard vous serez tenus au courant.
- Tu as toute ma confiance. Il est temps de rejoindre la Forteresse maintenant, nous allons devoir payer notre dette à la Déesse-Oracle, conclut le mystérieux sage en prononçant une nouvelle formule étrange.

La lumière se fit plus intense, embrassant les deux individus qui disparurent dans une lueur éblouissante. L'épée restait maintenant seule, fichée dans la glace, affrontant fièrement le blizzard qui se levait.

 

Les glaces éternelles

 

Les cris cessèrent lorsque les corps rejoignirent le sol gelé avec fracas. Instinctivement, chacun prit le temps de voir s'il était en un morceau.

- Ça va vous ? lança Nibel d'une voix inquiète.
- Ça va, ça va, vite dit ! Quel cirque ! Nous nous sommes faits bernés par ce magicien de malheur ! MAUDIT JE TE TUERAIS ! cria Dimitre de toutes ses forces en tendant ses poings vers le ciel.
- Calme-toi, coupa Akurgal, cela ne sert à rien. Je crois que tout le monde va bien et, tout aussi important, que nous sommes tous là.

Liu compta tout le monde et, effectivement, les douze compagnons étaient là, sains et saufs.

- Bon, et maintenant ? questionna Hanz en regardant ses amis.

Personne ne savait ce qu'il fallait penser. Rahotep se mit à genoux et ouvrit le sac créé par le mage à l'attention de chacun. Déballant le matériel, il leva les yeux vers ses compagnons et les apostropha d'une voix assurée.

- S'ils avaient voulu nous tuer, nous serions morts. Nous avons tous un pendentif protecteur. Voici un peu de nourriture, des vêtements coupe froid, fit-il remarquer en montrant une armure recouverte de peaux de bêtes à fourrure, et des armes : une grande épée, un glaive court, une hache, un arc et des flèches. Bref de quoi survivre !
- Et pas n'importe quelles armes, coupa Meijuk. Je ne m'y connais pas spécialement, mais je n'ai jamais vu une telle hache : si légère, et dégageant une telle ...

Meijuk cherchait le meilleur qualificatif, Yshba vint à son secours : « Puissance », fit-il en inspectant son arc. « Ce sont des armes magiques ! »

Comme Yshba le signalait les armes n'étaient pas « naturelles ». L'arc qu'il tenait entre ses mains dégageait un froid intense qui, chose étrange, ne contrariait aucunement le jeune homme. Bandant son arc, Yshba décocha une flèche vers un bloc de glace. La flèche se ficha dans sa cible avec la vitesse de l'éclair, laissant derrière elle une traînée de flocons de neige. Le bloc de glace se fissura rapidement sous l'impact de la pointe acérée du trait et explosa en mille morceaux.

- Extraordinaire, c'est merveilleux ! Quelle arme !

Tout à sa joie, Yshba ne vit pas ses amis fendre l'air avec le reste de l'arsenal. Meijuk faisait tournoyer la hache en provoquant de courts souffles d’air froid autour de la lame. Ryusei semblait se battre contre un ennemi imaginaire avec son glaive parcouru d'arcs électriques, Rahotep tenant entre ses deux mains une épée vibrant tel un être vivant.

- C'est effectivement de la magie ! s'exclama Nibel en regardant dans le vide. « Nous sommes dans un endroit inconnu après qu'un mage nous a transportés dans les airs, nous disposons d'armes magiques ... perdus au milieu de nulle part, nous sommes pris dans la tourmente d'une guerre .... Qui sommes-nous à la fin », conclut-il en regardant tour à tour ses compagnons.

Le silence se fit plus intense. Le vent avait quasiment disparu, seuls restaient les craquements de la glace et le ressac de la mer toute proche. Aucun des jeunes hommes n'avaient réellement fait attention à l'endroit où ils étaient arrivés en tombant des cieux. Il s'agissait d'un petit édifice à ciel ouvert, au sol couvert de runes inconnues, bordé de quatre piliers de pierres anguleuses mais irrégulières. Inyan se leva et s'adressa à ses amis d'une voix posée.

- Nous sommes dans l'inconnu. Ce mage nous a délivré une somme d'informations sans sens. Nous devrions en parler pour tâcher de comprendre ce qui nous arrive. Hanz, tu es d'ici, que sais-tu ?
Hanz prit un air étonné.
- Et bien j'en sais rien moi ! Que voulez-vous que je vous dise, je découvre, comme vous !
- Voyons, s'énerva Thrall, tu es Asgardien, tu dois bien savoir des choses ! Moi, Loki, je ne le connais que de nom par exemple.
- Et c'est quoi un Nain ? poursuivit Liu. Et un Elfe Noir ? Et pourquoi ils nous voudraient du mal ??

« Voilà ce que je sais ». Hanz inspira profondément et ferma les yeux, se concentrant au maximum pour être certain de ne rien occulter.

- Loki est une divinité sournoise, de la famille d'Odin. On dit qu'il voudrait prendre sa place à la tête d'Asgard et qu'il aurait réveillé des races endormies depuis la nuit des temps : les Fils de Fjalar, nains de petite taille à peau grisâtre et dévoreurs d'humains, et les Elfes Noirs, sorte d'hommes très fins, très intelligents, portant de oreilles pointues et ayant des pouvoirs magiques. Ces races viennent du plus profond des souterrains. Je sais qu'Asgard subit de nombreuses attaques d'animaux fous et que des choses étranges arrivent. Voilà, c'est tout !

Rahotep et Akurgal se regardèrent. L'Egyptien prit la parole.
- Nous sommes donc ici pour servir Odin, divinité dont le royaume, Asgard, est menacé. Nous avons été choisis pour mener une guerre par ce dieu. Les ennemis sont puissants, aussi je pense qu'Odin désire nous éprouver.

Akurgal opina et poursuivit à son tour.
- Il est clair que nous allons devoir prouver notre valeur, une épreuve de passage, un rite. En servant le peuple d'Asgard nous serons récompensés par Odin je suppose. Chasser, lutter contre les forces obscures, aider les gens, autant d'épreuves !
- Et, au final, nous devrons trouver la forteresse de ce dieu pour faire valoir notre valeur, conclut Inyan en fixant du regard la glace qui s'étendait sans fin autour d'eux. C’est assez logique, mais je ne comprends toujours pas le lien entre ce que nous avons vécu à Hattousa et cette nouvelle vie. Pourquoi m’avoir séparé de mon frère ?
- Je pense, rétorqua Akurgal en soufflant dans ses mains transies par le froid, que Cybèle dispose d’un pouvoir unique qui lui permet de déceler chez les mortels comme nous des capacités, des pouvoirs utiles aux dieux. Odin, Athéna, peut être que tous les dieux qui désirent engager des mortels doivent passer par elle. Cybèle est connue pour être l’une des plus anciennes déesses de notre monde, peut-être maîtrise-t-elle des choses que les autres dieux ne peuvent percevoir.
- En attendant il va falloir nous sortir d'ici ! C'est bien beau de vouloir sauver la veuve et l'orphelin et de palabrer sur les dieux, mais là, nous sommes au milieu de nulle part ! pesta Dimitre l’air furibond.

De nouveau, le silence se fit. Chacun restait plongé dans une intense réflexion, tentant de démêler les fils d'une intrigue qui les dépassait pour le moment. Hanz secoua sa tête de gauche à droite faisant craquer sa nuque. Il jeta un regard sur ses amis. Liu soufflait sur ses mains frigorifiées, Nibel disparaissait petit à petit sous sa peau de bête même s’il connaissait cette terre qui l’avait vu naître. Croisant le regard approbateur de Meijuk, Hanz s'adressa à tous en serrant ses poings pour asseoir son discours.

- Écoutez. Si nous restons ici nous allons périr. Nous sommes sur la banquise des glaces éternelles, il nous faut trouver un abri pour la nuit. Portons les vêtements fournis dans les sacs. Prenons ces armes magiques. Marchons vers l'étoile qui ne se couche jamais. Lorsque nous serons épuisés, si nous n'avons pas trouvé de grotte, je vous montrerai comment créer un abri de glace pour nous reposer. La banquise est vaste, mais pas sans vie : ours, manchots, phoques, autant d'animaux que nous pourrons chasser pour survivre.
- Pourquoi suivre cette étoile ? s'enquit Yshba l'air méfiant.

Hanz se retourna vers lui et répondit avec force de conviction.
- Car cette étoile brille au-dessus de la Forteresse d'Asgard ! De la Forteresse d'Odin ! Nous croiserons donc sûrement un chemin nous conduisant à la civilisation, à Troudheim par exemple.

« Troudheim, le village fortifié du sud », murmura Akurgal.
- Oui, c'est ça, dit Hanz en se retournant vers le Mésopotamien. Je connais mon pays, la banquise cesse si l'on suit la grande étoile.
- Je te fais confiance, dit Nibel qui s'était levé soudainement et qui tendait sa main droite. Allez, donnez vos mains. Jurons de nous entraider. Nous saurons vaincre cette épreuve. Nous saurons nous montrer dignes de la confiance que ce dieu, Odin, a placée en nous. Je ne le connais pas, mais je porte sa rune maintenant. Nos destins sont liés. Nous réussirons !

Un par un les onze autres compagnons tendirent leur main en formant un cercle. Le vent recommençait à souffler, la température allait encore baisser ... du moins ils avaient une force commune maintenant, celle d'une amitié forgée dans la quête d'un destin hors du commun.

 

 

 

Identifiée ici à l’océan Atlantique.

Divinité solaire de la Mésopotamie.

En germanique ceci signifie « Fils du brouillard », par extension ce terme désigne le monde souterrain. Les Elfes Noirs sont sensés y vivre et n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Tolkien comme la suite le montrera.