Chapitre III : Un dur apprentissage




La communauté du Sanctuaire



Les deux premières journées étaient très vite passées pour les élus ayant rejoint le Sanctuaire. Les balades avaient été privilégiées par l'ensemble des compagnons, désireux de découvrir les limites de la vallée. Si les montagnes étaient plutôt désertes et très austères, la forêt grouillait de vie .... D’une vie sauvage qui pouvait être hostile. Quelques sangliers avaient chargé Nekkar et Nevali qui s'étaient approchés d'un peu trop près de leur gîte, tandis que Séléné affirmait avoir entendu des hurlements de loups. Peu enclins à risquer quoi que ce soit en attendant l'arrivée du fameux « maître », tous avaient décidé d'un commun accord de ne pas retourner dans cette forêt hostile. Une semaine s'écoula sans que les compagnons fussent convoqués pour rencontrer l'homme monopolisant toutes les attentions. Le village se préparait à sa venue, tout le monde semblait très heureux à l'idée de le voir, pour autant nul à présent ne pouvait réellement dire quand il arriverait. C'est Shiro qui le premier prit l'initiative d'aller questionner le héraut du village le matin du neuvième jour d'attente. En fait, Shiro avait eu de la chance. Jusqu'ici, ses amis n'avaient pas pu croiser ce personnage sympathique et avenant mais au final peu loquace. Le « sans nom » comme Nevali aimait à l'appeler s'était absenté plusieurs jours sans donner de nouvelles aux aventuriers et personne dans le village n'avait voulu ou pu donner d'explication convenable. Shiro profita donc de son retour matinal pour l'interpeler à peine eût-il franchi la porte du village.

- Bonjour héraut ! Nous vous attendions depuis un moment maintenant, dit-il d'une voix posée en jetant un coup d'œil par-dessus l'épaule de son interlocuteur. Mais dites-moi, vous êtes seuls ? Le haut dignitaire que nous attendons n'est pas avec vous ?
Essuyant la transpiration qui perlait sur son front, le héraut arbora son sourire devenu légendaire pour les élus.
- Vous êtes impatients, mais vous avez le temps, tout le temps du monde !
- Impatients ... on le serait à moins. Nous voilà « prisonniers » dans un village inconnu, loin des nôtres, une personne est sensée nous en apprendre davantage sur notre destin deux jours après notre arrivée et voilà maintenant que nous entamons le neuvième jour d'attente ... avouez que nous avons été forts patients jusque-là !  signifia Shiro sans cacher son exaspération montante.

Le héraut récita alors une phrase qu'il avait mûrement préparée lors de son périple de retour, sachant ce qu'il l'attendait dès qu'il aurait croisé la route d'un des élus : « Le seigneur Yolos est en route, mais il a dû traiter en chemin une affaire très urgente pour le Sanctuaire. Vous comprendrez plus tard que ce genre d'affaire ne peut attendre. En attendant, il m'a confié une mission pour vous, mission qui vous fera patienter. Il serait bon de réunir tous vos compagnons, messire Shiro, cette mission s'adresse à vous tous ! »

Shiro tenta en vain d'en savoir davantage et se résolut bientôt à regrouper ses amis qui sortaient à peine du lit. Depuis quelques jours déjà, les jeunes hommes avaient pris l'habitude de prendre un petit déjeuner ensemble avant de vaquer en groupe ou seuls à leur occupations, réduites à quelques exercices physiques ou quelques promenades aux alentours la plupart du temps. Le petit déjeuner était chose nouvelle pour quasiment tout le monde. Une cuisinière du village avait été chargée de la nourriture des élus et ces derniers ne pouvaient que s'incliner devant ses talents culinaires. Cette femme préparait ses mets avec toute sa famille et avait initié les éphèbes au petit déjeuner. « Ce premier repas vous offrira les forces pour toute la journée, c'est excellent vous verrez ! » insista-t-elle longuement la première fois sans réellement convaincre tout le monde. Le troisième jour, ne voyant pas Yolos arriver, tout le monde décida de prendre cette fameuse collation .... Qui fut pour tous une révélation ! Des oranges et des citrons pressés fournissaient un breuvage réveillant les plus endormis. Une infusion de plantes diverses accompagnait le repas. Du pain que l'on trempait dans des œufs frais, du miel, du lait de chèvre, du fromage de brebis, des fruits, quelques olives .... Plus personne ne put se passer de ce moment de convivialité. Ce matin-là, Shiro avait été désigné pour aller chercher les œufs frais, croisant ainsi la route du héraut.

- Je suis heureux de vous revoir. J'apporte des nouvelles du seigneur Yolos qui se rapproche chaque jour du Sanctuaire.
- Yolos, coupa Séléné d'un ton dédaigneux. C'est celui qui devait nous rencontrer au bout de deux jours pour nous apprendre enfin ce que nous faisions ici ... et qui te dit que nous l'attendons maintenant ? Moi en tout cas je ne suis pas aux ordres d'un inconnu incapable de tenir parole.

Macubex regarda furtivement Séléné en arborant un rictus approbateur. Mâa s'essuya la bouche avec une petite étoffe de tissu et prit à son tour la parole.
- Il est vrai que nous attendons avec impatience la venue de ce Yolos, car il n'est qu'un simple nom pour nous ... quand aurons l'honneur de le rencontrer ?
- L'honneur, tu parles ! Je ne vois pas pourquoi nous devrions nous abaisser à honorer ce type, pesta le Caucasien ivre de rage.
- C'est de la politesse, lui répondit Seth, poursuis héraut nous sommes juste « impatients » de rencontrer ce Yolos, conclut-il avant de reprendre un verre de jus de citron et d'orange mêlés.

Conscient du trouble causé par le retard de Yolos le héraut tenta de calmer l'atmosphère en arborant un large sourire et en parlant d'une voix contenue.
- Le seigneur Yolos est en route mais il a été retardé par une importante mission, ce que j'ai expliqué à messire Shiro. Il m'envoie vous dire qu'il sera bientôt là et qu'en attendant vous pouvez participer à la vie du village, comme tout apprenti Guerrier Sacré. Le village a besoin de main d'œuvre et …
- Nous ne sommes pas des esclaves, s'emporta soudainement Nevali en se levant de son tabouret. Il ne faut pas croire que nous resterons dociles éternellement ! Je ne suis pas un mouton suivant sans poser de question un berger imaginaire, même si ce berger est une déesse nommée Athéna !
- Je comprends votre trouble. Toutefois, il ne s'agit pas d'être des esclaves, bien au contraire. Il s'agit de commencer votre formation, qui fera de vous des demi-dieux !
- Si nous réussissons, si nous réussissons, répondit Nekkar en se levant à son tour pour rejoindre la fenêtre et regarder le ciel d'un air pensif.
- Vous réussirez. Je n'en doute pas. Voici les activités auxquelles vous pouvez postuler : bûcheron dans les champs voisins, soldat, apprenant des formes de combat et chassant des animaux sauvages, copiste pour le compte de notre scribe, tailleur de pierres votives pour le culte d'Athéna et enfin paysan au plus proche de la nature. Il vous suffira de rejoindre ce matin les responsables qui vous attendront devant la boutique du marchand Gardohou pour vous fournir l'équipement. Maintenant veuillez m'excusez, je dois me retirer.

Le héraut se retourna et quitta la pièce tranquillement, laissant les éphèbes perplexes et seuls avec leurs doutes.

- Dites-moi, nous sommes sensés devenir des demi-dieux .... Très bien. En étant bûcheron ou paysan ? s'enquit Harald l'air perplexe.
- Cela nous occupera. Pour ma part, je vais devenir bûcheron. J'aime les arbres, la nature. Cela me fera travailler un peu mes muscles, ce sera parfait ! dit Artholos en étirant ses bras vers le plafond.
- Je me laisserai bien tenter par l'activité de copiste. Il y aura sûrement des apprentissages qui compléteront ma formation d'érudit entamée à Hattousa. D'un regard circulaire Asturias chercha un compagnon.
- Je viens avec toi, dit simplement Macubex, imité quelques instants plus tard par Shiro.

Mâa ferma les yeux pendant un long moment, se plongeant dans une intense réflexion. Darkhan signifia son intérêt pour le service du culte et l'Egyptien finit par rouvrir les yeux et suivre son jeune compagnon dans cette voie. Seth, Pallas et Frank se rapprochèrent.
- Nous, précisa Pallas en souriant, ce sera travail au grand air, dans les champs !
- Et bien moi je te rejoins Artholos, je suis rouillé, j'ai besoin d'exercices physiques ! Le Germain accueillit Harald avec joie, ayant eu peur de se retrouver seul.

- La chasse, des combats ... ça devrait nous aller non, Nevali et Séléné ?
- Le reste n'est pas intéressant, je suis un guerrier, on vient avec toi, je pourrais me défouler ! rétorqua le géant en opinant furtivement.

C'est ainsi que les futurs Guerriers Sacrés entrèrent au service de la communauté du village du Sanctuaire. Les semaines passèrent, les activités firent presque oublier à quelques-uns que Yolos, le mystérieux seigneur et maître, devait les rencontrer.

 

L'arrivée de Yolos

 

« Kraaaak ! ». Le bruit fut sourd au moment où Artholos porta le coup décisif au robuste chêne, accompagnant la chute du fier arbre centenaire. Artholos s'essuya le front et posa sa hache à ses pieds.
- Sacré chêne ! Il va falloir que nous le traitions ici, il est bien trop grand, affirma Harald en relisant un bout de parchemin. Le maître bûcheron a été clair : il faut du bois pour le feu, des planches, des bouts de bois pour les artisans .... Je crois que notre choix a été judicieux, ce chêne est tellement important que nous pourrons tout en tirer !
- Tu as raison Harald. Nous aurions dû couper de tels arbres plus tôt, c'est plus dur, mais cela respecte plus la nature. Je prierai les esprits des forêts pour apaiser la souffrance des jeunes arbres que nous avons mis à terre par manque de jugement.

Harald regarda longuement Artholos, mesurant combien chacun était différent. Le Germain servait maintenant Athéna, tout comme lui, et, pourtant, ils avaient gardé leurs rites, leurs croyances. « J'espère que notre nouvelle déesse nous permettra de garder nos différences », pensa-t-il en regardant dans le vide. Reprenant sa proche hache pour poursuivre son labeur, le jeune homme porta un regard vers sa gauche en entendant un refrain devenu familier au fil des jours.

- Et bien messieurs, je n'ose plus chanter avec vous tellement vous faites pâlir d'envie les meilleurs chanteurs à plume !

Frank et Pallas se regardèrent en éclatant de rire. L'humeur était au beau fixe dans les champs d'oliviers. De grands draps avaient été tendus au sol au pied des oliviers tortueux. Seth était devenu un expert dans l'art de secouer les branches gorgées d'olives au moyen un long bâton de frêne. Frank et Pallas se chargeaient de regrouper les olives en tas au milieu des draps. La journée se poursuivait dans la petite hutte qui jouxtait le champ, les trois compagnons triant les olives, noires ou vertes, mettant les feuilles de côté. L'étape suivante consistait à mener ces olives triées vers le pressoir d'où se dégageait une odeur âcre et, sous certains aspects, nauséabonde. Les olives étaient disposées sur un socle de marbre incliné vers une vaine guidant le jus obtenu par la pression vers des amphores. Seth se chargeait de remplacer ces dernières et de les comptabiliser, Pallas et Frank poussaient la lourde meule de pierre circulaire qui broyait les olives pour en extraire un premier jus. Le soir venu, les amphores étaient menées au village pour y produire de l'huile.

- Et bien Seth, devons-nous comprendre que tu ne désires plus chanter avec nous ?
L'Egyptien prit un air accablé masquant à peine un petit rictus moqueur.
- Vous êtes si extraordinaires, j'ai honte de chanter avec vous, je suis bien trop mauvais !
- Moqueur, tu n'es qu'un moqueur Seth, rétorqua Frank en lui donnant un léger coup de coude. Bon, ne traînons, pas il nous reste encore à remplir cinq paniers en osier d'olive pour Gardohou !
- Alors les paysans, ça bûche ?

Les trois amis se retournèrent. Nekkar, Nevali et Séléné étaient sortis de la forêt et empruntaient maintenant tranquillement le chemin conduisant au village qui passait à quelques mètres du champ d'oliviers. Séléné portait un sanglier sur les épaules, Nekkar et Nevali tiraient une petite charrette chargée de gibier.

- Tiens, murmura Pallas à ses deux voisins, voilà nos terreurs. Alors ? Bonne chasse ? reprit-il d'une voix plus forte.
- Pas mal, pas mal. Avec des armes, nous serions plus efficaces, mais bon, on s'y fait, lança Nekkar. Nevali n'a pas son pareil pour tendre des pièges au gibier. Je me charge des plus petits, Séléné fracasse tout ce qui devient trop imposant.
- Et oui ! Heureusement que je suis là, renchérit le Caucasien. Grâce à ma force, aux apprentissages de Choun Lee Jacq, je suis imbattable ! Tenez, ce sanglier, poursuivit-il en brandissant l'animal au dessus de sa tête par la seule force de ses bras, deux prises de combat et l'affaire était entendue !
- On se retrouve ce soir, bonne cueillette, conclut Nekkar en faisant signe à ses deux compères de poursuivre leur route.

En arrivant au village, les trois soldats croisèrent Asturias, l'Etranger et Shiro qui portaient chacun une importante pile de parchemins en suivant le scribe qui les initiait à la copie pour le compte de la bibliothèque du Sanctuaire. Les trois copistes passèrent devant le temple d'Athéna d'où émanait des senteurs étranges. Darkhan et Mâa étaient assis en tailleur au milieu du temple sous le regard inquisiteur d'une prêtresse.

- Concentrez-vous ! Vous devez ressentir la sérénité, profiter de chaque instant. La fumée ne doit pas vous empêcher de travailler. Elle provient d'herbes sacrées brûlant pour Athéna. Vos statuettes doivent être le reflet de votre dévotion, concentrez-vous !

Une nouvelle journée s'achevait. Regroupés autour de la grande table de repas, les éphèbes conversaient bruyamment en attendant l'arrivée du repas. « On mange quoi ce soir ? » Nevali se retourna vers Harald, l'air assuré.

- La chasse a été bonne. Je pense que nous aurons un festin composé autour du sanglier que nous avons tué.
Séléné qui se trouvait juste à côté de son ami intervint avec fracas.
- Que J'AI TUE ! Dis donc ! Quand la bête féroce aux yeux rouges s'est jetée sur vous deux, vous avez couru vers moi, pris de terreur. Vous vous êtes écartés au dernier moment et là, prise de combat, coup de genoux dans la tête de la bête, et nouvelle prise de combat, je me décale sur le côté ....

Voyant que tout le monde le regardait en silence, Séléné se leva. Très heureux de monopoliser l'attention, il mima la scène. « Un grand coup de genou dans la tête. La bête perd à moitié conscience, elle souffre, elle a perdu une défense. Je me décale sur le côté, je passe mon bras droit autour de son cou et là CRAC ! Je lui broie le cou », fit-il en arborant un large sourire et en se penchant vers la table le bras droit simulant l'action.

Nevali lui fit un léger signe de tête vers la droite.
- Quoi ? demanda Séléné. Ah oui ! Bien entendu je me suis retourné pour passer le bras ! Le Caucasien effectua un demi-tour complet et resta muet en regardant la porte qui était ouverte derrière lui depuis un long moment.

La porte se referma doucement derrière le nouvel arrivant. Personne ne l'avait encore vu, personne ne le connaissait. Pour autant tous savaient. Yolos se tenait là, devant eux. L'homme portait une chlamyde de couleur rouge et blanche, parcourue de bas en haut pas des motifs géométriques dorés. Ses bras dénudés n'étaient pas particulièrement puissants mais quelques cicatrices indiquaient que l'homme connaissait les combats. Le visage de celui qu'ils avaient tant attendu et fini par presque oublier dégageait un charisme extraordinaire. Le maître arborait un air très sérieux, dur. Aucune émotion positive ne transparaissait, ses yeux étaient perçants, comme s'ils sondaient l'âme de tous ceux qui croisaient leur regard.

- Impressionnante histoire, Séléné. Je suis le seigneur Yolos. Vous m'appellerez « maître » jusqu'à que vous deveniez des Guerriers Sacrés, comme moi. Alors vous serez mes égaux. Je suis le Guerrier Sacré d'Argent du Triangle, l'un des plus puissants de notre ordre. Profitez de votre repas qui arrive. Profitez de cette nuit. Demain matin, une nouvelle vie commencera pour vous.

La voix tranchait avec le personnage, elle était douce, assurée, aucune pointe de méchanceté n'était décelable. Le Guerrier Sacré se retourna et rouvrit la porte, laissant entrer la cuisinière et sa famille qui portaient les plats. En quittant la pièce, Yolos rectifia ses dires.

« Non, demain vous ne commencerez pas une nouvelle vie. « La Vie » commencera pour vous ».

 

 

L'enseignement du Maître





Personne ne trouva le sommeil. L'attente avait été grande, « il» était enfin là. Yolos était apparu très mystérieux, plus mystérieux encore que lorsqu'il n'était pas là. A vrai dire, peu de personnes parmi les compagnons avaient réellement apprécié cette arrivée fracassante, ponctuée d'une injonction de nommer le Guerrier Sacré « Maître ». Et d'ailleurs, qu'était-ce réellement qu'un Guerrier Sacré ? Était-il réellement un demi-dieu ? Et eux, qui étaient-ils ? Pourquoi étaient-ils là ? L'insouciance avait disparu des visages lorsque tout le monde se retrouva pour le premier repas du jour. Personne ne parla réellement en dehors de demandes de la vie courante telles que « Puis-je avoir de l'eau ? », « Il reste des olives ? » ... Le héraut avait laissé un mot sur la table que Darkhan lut à voix haute. S'il était le plus jeune, tout le monde respectait sa sagesse et sa tranquillité, tranchantes attitudes pour ce jeune adolescent qui avait tant souffert. « Maître Yolos vous attendra au pied de l'olivier sacré ».

Les treize compagnons convergèrent vers l'arbre sacré dont les petites feuilles argentées luisaient en réfléchissant le soleil levant. Yolos était là, assis sur un tabouret. A ses pieds, un large tapis avait été posé sur l'herbe humide de rosée matinale. Le Guerrier Sacré fit signe au groupe de s'asseoir, ce que tout le monde fit, à l'exception de Séléné.

- Séléné, assieds-toi je te prie.
- Non. Yolos je reste debout que ça te plaise ou non.

Yolos ne montra aucune expression sur son visage. Sa voix restait étonnamment calme face au défi lancé par le fier Caucasien.
- Je vois. La première leçon .... Écoutez-moi bien. Vous m'appellerez Maître et vous m'obéirez dans tout ce que je commanderai. Le cas échéant, je vous châtierai.
- Et bien moi j'aimerais voir ça, coupa le Caucasien en serrant ses poings avec rage. « Tu te prends pour qui, Yolos ? Tu t'es regardé ? Je fais deux têtes de plus que toi, tes bras sont plus fragiles que le cou du sanglier que j'ai brisé hier de mes mains. Tu crois que je vais obéir à une personne aussi faible que toi ? »

Yolos garda son calme et regarda l'attitude de chacun. Il était évident que quelques-uns étaient agacés par l'attitude de Séléné, mais il était tout aussi évident que certains partageaient son point de vue.

- Vous êtes ici pour apprendre les rudiments d'une formation qui vous mènera jusqu'au seuil de votre mort. Vous ne cesserez d'apprendre. Voici la première chose que vous allez apprendre. La force physique n'est rien. Être apprenti Guerrier Sacré, c'est espérer servir un jour Athéna au péril de votre vie. Vous serez des combattants, des guerriers. Pour les guerriers que vous serez, que je suis, la force physique ne sera rien. Séléné est costaud, puissant. Pour un simple mortel c'est un colosse, assurément.

Yolos se leva et regarda Séléné droit dans les yeux : « Et, malgré toute ta force, Séléné, tu vas t'écraser contre le mur du bâtiment se trouvant derrière toi avant que tu ne comprennes ce qui t'arrive. J'irai alors te relever, je te soignerai devant tout le monde et plus jamais tu n'oseras ma parler ainsi, du moins tant que tu ne seras pas un Guerrier Sacré ».

Comme ses compagnons, Nevali regarda avec horreur la scène qui se déroula sous ses yeux. Le visage de Séléné se déforma de douleur pendant qu'il se pliait en deux comme si son ventre était brusquement attiré vers l'arrière. Le silence se fit, total, assourdissant presque, puis Séléné décolla littéralement en arrière. En moins de deux secondes le corps désarticulé du fier Caucasien s'était fiché dans le mur de la demeure de Gardohou, les pierres s'amoncelant sur son corps meurtri. « Allez le chercher et ramenez-le moi ici, à mes pieds ».

D'un seul homme, Frank et Artholos se levèrent et allèrent chercher Séléné qui était au bord de tomber dans un profond coma. Ses vêtements étaient couverts de sang, son tibia était fracturé et l'os sortait de la jambe. Nevali aurait tant voulu hurler sa colère. La vue de leur ami avait provoqué un tel choc chez tous les éphèbes que personne n'osa dire mot. Une fois que Séléné fut délicatement posé à ses pieds, Yolos se pencha et passa doucement sa main sur les blessures du Caucasien.

« Mais c'est extraordinaire », murmura Mâa en regardant la scène. « Les blessures se referment, même la fracture disparaît ! »

Le visage de Séléné se détendit au fur et à mesure que Yolos irradiait ses blessures d'une onde bénéfique. En quelques instants, le géant était debout, au bord des larmes, des larmes de rage. Il regarda longuement Yolos et s'assit en baissant la tête. « Tu viens de trouver une motivation Séléné, me dépasser un jour, avoir ta revanche. Sers-t’en ; Quant à vous, écoutez bien. Je suis à présent la seule chose qui compte pour vous. Il est dans mon pouvoir de vous ôter la vie quand bon me semblera. Je sers Athéna, je suis là pour vous former. Vous êtes tous mes apprentis, je suis votre Maître. Apprenez, voilà votre seul droit. Servez Athéna, voilà votre devoir ».

Yolos se rassit dans un silence total, sans que son visage ou son timbre de voix ne trahisse la moindre émotion. Dorénavant sa seule présence suffisait à remplir l'espace tout entier de la vallée du Sanctuaire. Oui, cet homme était bien un demi-dieu, tous en étaient convaincus.

« Vous êtes ici pour apprendre à devenir des Guerriers Sacrés. Un Guerrier Sacré est un serviteur d'Athéna qui se bat pour elle, pour ses idéaux. Mesurez bien le sens de mes mots. Servir c'est tout faire dans le sens de notre déesse. L'initiative, le jugement personnel, la morale n'existent que dans ce cadre très strict. Les serviteurs d'Athéna se battent à main nue, je vous expliquerai pourquoi plus tard. Fermez les yeux ». Les paupières se refermèrent délicatement. En dépit de la lumière ambiante, le noir était total. La respiration se fit plus lente, les battements de cœur moins audibles, disparaissant presque. Était-ce la mort qui s'approchait ?

« Gardez les yeux fermés. Maintenant ... Ouvrez-les ».
Les paupières s'ouvrirent. Il faisait toujours noir, il faisait froid. Yolos était là, mais .... Il n'y avait plus rien, plus rien du tout, le néant total. Un regard sur la gauche, un autre sur la droite, rien, le vide. Ils tous étaient dans le vide.

« Voici ma constellation protectrice, en grec la constellation du Triangle. Lorsque vous serez Guerrier Sacré à votre tour, une constellation sera votre lien avec Athéna. Les étoiles renferment une partie de la source de notre pouvoir. Ma constellation veille sur moi. Elle m'a permis de porter l'armure d'argent du Triangle, l'armure qui me protège au combat. Vous en porterez une aussi un jour. Renfermant des poussières d'étoile, vos armures et vous ne ferez qu'un. Vous en serez les premiers porteurs. Lorsque vous mourrez, si vous vous en êtes montré digne, vos âmes rejoindront les étoiles et vous protégerez les futurs porteurs de votre armure ».

Le sentiment de plénitude. Voilà. C'était exactement ça. Une plénitude totale, un calme irréel. Les élus allaient bien devenir des hommes extraordinaires. Leurs amis ayant rejoint Odin connaissaient-ils cette vérité ? Atteignaient-ils eux aussi cet état de sérénité ?

« L'armure protège, le Kosmos permet de frapper. Tout être humain dispose du Kosmos, il suffit de le réveiller. Vous deviendrez des Guerriers Sacrés le jour où vous enflammerez votre Kosmos, encore appelé Souffle Divin car il permet de créer des choses extraordinaires. Vous ne ferez alors plus qu'un avec la nature, avec vos armures. Il m'a suffi d'enflammer mon Souffle Divin pour frapper Séléné, regardez ».

Yolos ouvrit sa main gauche et une sphère grandit soudainement. Séléné se tenait au centre. Yolos se rapprochait tranquillement. Sa main gauche vint effleurer le ventre de Séléné qui ne semblait pas réagir. Le corps de ce dernier se déformait et finissait sa course dans le mur. « Voilà. Grâce à mon Souffle Divin, j'ai atteint une vitesse telle que vous ne m'avez pas vu bouger. L'énergie dégagée par ce mouvement a été canalisée dans ma main gauche qui a propulsé Séléné contre le mur. Plus la vitesse est grande, plus l'énergie est importante. De ce fait, la force physique ne sert à rien. Séléné n'a pas vu le coup venir, la vitesse a suffi à le propulser en arrière ».

Yolos fit disparaître la sphère et dans un éclat de lumière, tous se retrouvèrent face à lui, au beau milieu du village, comme avant que le noir ne se fît. « Vous allez apprendre à maîtriser vos corps. Corps et esprits sont liés. Mon premier enseignement part de là. Lorsque vous maîtriserez vos corps, je vous enseignerai à maîtriser les flux d'énergie vous parcourant. Alors vous serez prêts à apprendre ce qu'est le Souffle Divin. Levez-vous, suivez-moi dans la montagne. Nous allons commencer à appréhender les limites de vos corps ».

La Vie commençait. Treize jeunes hommes venaient de naître. Treize compagnons sur lesquels Athéna portait dorénavant un regard constant.

 

L'Oracle






« Allons, allons, plus que 32 ! Vous venez d'en faire 1468, il serait dommage de devoir tout recommencer parce que l'un d'entre vous montre des signes de faiblesse ! »
« Tiens bon Mâa, ne lâche pas », murmura Frank en voyant son voisin au bord de la rupture en achevant une nouvelle traction dans le vide.

Une année avait passé. L'entraînement de Yolos était très dur. Il n'avait plus parlé du Kosmos. Pendant quatre jours, les éphèbes suivaient son enseignement. Suivaient trois jours au service du village dans les activités que chacun avait choisi. Et reprenait le cycle .... Le corps humain pouvait endurer des choses extraordinaires. Le temps n'avait plus de prise sur eux, ni le froid, ni le vent, ni la pluie, ni la chaleur de l'été. La douleur pouvait disparaître pour les plus doués comme Seth qui semblait se détacher de plus en plus des événements. L'Egyptien parvenait à faire abstraction de presque tout, entrant dans une phase de concentration proche d'un état second. Son ami Mâa souffrait beaucoup plus physiquement mais il était soutenu par Frank et Darkhan, deux amis devenus très proches. Yolos insistait beaucoup sur les exercices physiques, reculant chaque jour les limites des efforts qu'un mortel pourrait endurer. La course dans les montagnes, les tractions, le tirage de tronc d'arbre dans la forêt, des exercices de concentration, de vitesse, des combats les yeux bandés contre des compagnons ou des bêtes sauvages .... Rien n'était assez dur.

- 1500 ! Bravo. Allez chercher vos affaires nous partons.
- Nous partons où, Maître, demanda Shiro en se relevant péniblement. Doit-on prendre des affaires spéciales pour la montagne ? Nos gants pour les exercices de matraquage de pierre ?
- Nous quittons la vallée. Nous partons pour le nord ouest ...

Pallas écarquilla ses yeux de stupeur. Il ne put éviter de lâcher dans un cri mêlant peur et admiration « Delphes ! »
- Oui, Delphes, renchérit Yolos en portant son regard au-delà de l’horizon. Nous rejoignons cette terre sacrée. En route, je vais vous en apprendre davantage sur votre futur proche et sur le Souffle Divin. Vous êtes prêts maintenant à en apprendre davantage. Oh, bien entendu, vous ne le savez pas encore, mais vous maîtrisez vos corps. Certains sont même au bord de réveiller leur Kosmos, ce qui est assez impressionnant. La route est encore bien longue cependant. Passez chez Gardohou, j'ai fait préparer le nécessaire, tout est là bas.
- Maître, questionna Asturias en inclinant respectueusement la tête, reviendrons-nous dans ce village ?
- Bien entendu. Vous avez encore une dernière épreuve à y passer avant de rejoindre le Sanctuaire, répondit Yolos d'une voix mystérieuse.

Gardohou avait effectivement soigneusement préparé quatorze sacs. Vêtements, manteaux, nécessaire de couchage, de feu, un peu de nourriture et de vin, un peu d'huile, des onguents et nécessaires de soins, rien n'avait été oublié. Gardohou était très ému en remettant les sacs, revivant par procuration un passé enfoui au plus profond de ses souvenirs, mais qui restait vivace. La troupe quitta le village par la montagne nord. Yolos portait lui aussi un sac et profita de l'instant pour prodiguer un nouveau cours, d'adresse et de souplesse. Il n'y avait pas de passage, il fallait escalader à main nue plusieurs falaises abruptes. Pour le Guerrier Sacré, ce fut un jeu d'enfant, son agilité lui permettant de sauter d'un rocher à l'autre sans jamais sembler forcer ou perdre son équilibre. A ce petit exercice, Nekkar excellait, rivalisant presque avec son maître pour le plus grand plaisir de ce dernier. La solidarité de groupe permit à chacun de passer cette épreuve sans trop de difficultés.

- Nous avons changé, c'est merveilleux de voir ce que nous arrivons à faire maintenant, tu ne trouves pas l'Etranger ? demanda Asturias qui avait apprécié les longs moments passés en compagnie de l'Hindou chez le scribe du village. Même s'il était peu dissert, Macubex restait ouvert à la discussion en petit comité.
- Oui, répondit-il poliment, nous changeons chaque jour et je crois que nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises.

Le voyage dura onze jours. Yolos prit le temps d'expliquer les bases du Souffle Divin. Le réveil de ce dernier était quelque chose de très personnel. Pour autants les principes qui le régissaient s'appliquaient à tous : le Souffle Divin ne pouvait s'enflammer que dans un corps parfaitement maîtrisé. Il fallait puiser au fond de son esprit une volonté sans faille. L'énergie vitale devait se focaliser en un point désigné par la volonté. Yolos prenait souvent l'exemple de la pierre.

« Un bloc de marbre semble invulnérable. Si on le frappe de toutes ses force, on se brise la main. Maintenant prenons le problème à l'envers. Ce marbre n'est rien qui puisse vous arrêter. C'est simplement un élément qui se trouve devant vous. En canalisant votre énergie dans votre poing, en faisant le vide dans votre esprit, en chassant le doute, projetez votre volonté sur ce bloc. Tel un trait de lumière votre poing filera vers le marbre et le pulvérisera. Le marbre ne connaît pas le Souffle Divin, comment pourrait-il vous résister ? »

Delphes fut enfin en vue. Le paysage était divin, irréel. Le petit chemin qui guidait les serviteurs d'Athéna était ceint de deux spectacles. Sur la droite se dressait fièrement le mont Parnasse, au bord duquel apparaissait le Sanctuaire de Delphes dédié à Apollon. Sur la gauche une vallée plongeait vers la mer scintillant au gré des rayons du soleil. Ce paysage respirait la tranquillité, la paix. Pallas avait expliqué à ses amis que Delphes renfermaient mille secrets. L'un des mystères de ce sanctuaire était celui de la Pythie. Une prêtresse connue dans toute la Grèce pour ses oracles. Yolos avait signifié à ses élèves que c'est là qu'ils se rendaient. La Pythie devait leur en apprendre davantage sur leur personnalité.

Le sanctuaire était gardé par des soldats lourdement armés. Hoplons, casques grecs couvrant l’ensemble du visage, lances dorées, glaives menaçants, le lieu semblait sûr. Une divinité nommée Hélios était en charge directe de la sécurité du lieu, et même si on ne la voyait pas, la tradition voulait qu'elle vive dans le temple le plus reculé du sanctuaire, surplombant le cirque naturel de la montagne. Les éphèbes furent conduits dans une grande salle circulaire extérieure, aux colonnes de marbre rosé. « On dirait un temple de menhirs de druide », affirma Frank lorsqu'il vit l'édifice. Yolos fit vite comprendre que le silence devait être observé. Il posa un genou à terre et attendit. Deux femmes vinrent chercher Shiro et le conduisirent derrière un voile dressé entre deux colonnes. Sans opposer de résistance, Shiro les suivit et découvrit stupéfait une femme à demi-nue dans un bain. Elle se tenait debout, son visage était voilé et ne laissait rien transparaître. Le reste du corps était beaucoup plus visible, le voile étant transparent, ce qui gêna profondément le jeune Hindou peu habitué à voir un tel spectacle, surtout en considérant que se tenait devant lui la Pythie, grande prêtresse d'Apollon ! Shiro fut conduit au centre du bassin, face à cette femme presque irréelle. Sans dire un mot, elle posa sa main sur le front du jeune apprenti, entrant dans une transe inquiétante.

Tous connurent la même expérience. Personne ne dit mot. Yolos alla parler avec une des deux prêtresses lorsque Nekkar, le dernier, fut passé derrière le voile. Après quelques instants, il rejoignit ses élèves et fit signe de quitter les lieux. Ce n'est qu'au-dehors qu'il prit la parole.

« Votre destin est scellé. Vous ne saurez jamais ce que la Pythie a découvert en vous. En tant qu'Homme, vous venez de dépasser un stade : des constellations viennent de vous choisir, votre vie a été révélée. Rejoignons maintenant le Sanctuaire, du moins le village. Vous allez devoir préparer la dernière épreuve avant de rejoindre réellement le Sanctuaire d'Athéna ».

Les élus se regardèrent, circonspects, ne comprenant pas vraiment ce qui s'était passé en cette belle journée d'automne. Ce n'est que bien plus tard, au seuil de la mort, que certains purent comprendre.

 

 

Manteau grec antique attaché sur l’épaule.

Il n’y a pas de faute, la sémantique grecque a été préférée. On peut assimiler ce mot à l’ordre universel.