Chapitre V : Un nouveau destin

 

Les Ombres

 

Le retour vers le village du Sanctuaire se passa calmement. La Grèce centrale n'était pas très dangereuse. Confinée entre les domaines d'Apollon et d'Athéna, cette région ne connaissait pas les turbulences de l'Anatolie ayant accueilli les élus. Le paysage montagneux défilait paisiblement le long des petits chemins menant au domaine du Sanctuaire, Yolos agrémentant le voyage de retour de quelques cours sur l'hygiène de vie et le contrôle de ses émotions. Comme à son habitude, ce fut le héraut qui reçut la troupe sur le pas de la porte du village. Après les salutations d'usage il se rapprocha de Yolos et lui souffla quelques mots. Ce dernier ne laissa transparaître aucune émotion spéciale, tout juste fit-il comprendre d'un geste de la tête qu'il avait compris.

- Je vais devoir quitter le village, dit-il en se retournant vers ses élèves qui s'étaient regroupés autour de lui. Ce fut une joie de vous guider vers la voie de la découverte du Souffle Divin. Le chemin qu'il vous reste à parcourir, vous l'accomplirez seuls.
- Maître, nous direz-vous ce que nous devons faire avant de partir ? Devons-nous poursuivre notre entraînement ? Vous aviez parlé d'une dernière épreuve ..., interrogea Mâa au nom de ses compagnons.

Yolos se tourna vers le héraut.
- Asham est-il arrivé ?
- Oui Maître, il est « là-bas ».

Yolos se retourna vers les éphèbes, fronçant les sourcils, ce qui lui donnait un air plus grave encore qu'à l'habitude.

- Asham, Guerrier Sacré de Bronze de Pégase vous conduira vers la dernière épreuve. D'elle dépend tout le reste. Pour certains ce sera le premier pas vers le titre de Guerriers Sacrés, pour d'autres le dernier menant vers une vie modeste au service du village, ou pire, le premier dans le Royaume des Ombres d'Hadès.
- Ainsi donc, rien n'est tracé ? L'échec est possible, Athéna ne nous protège pas ...

Le Guerrier Sacré se tourna vers Seth qui semblait perdu dans ses pensés, parlant à voix haute sans même s'en apercevoir. Il le reprit au vol.
- C'est exact. Athéna ne vous protégera pas. Vous êtes face à vous-mêmes, à vos peurs. Franchissez cette étape et vous connaîtrez alors la chaleur du Souffle Divin d'Athéna.
- Merci pour tout ce que vous nous avez apporté, Maître Yolos. Je parle en mon propre nom mais je crois pourvoir le faire pour tous mes amis. Votre enseignement nous a ouvert sur un autre monde, nous serons à la hauteur de vos espérances. Nous enflammerons notre Souffle Divin.

Même s'il avait voulu rester complètement impassible, Yolos laissa entrevoir pour la première fois une pointe d'émotion dans son regard en entendant les paroles d'Asturias. Il ne dit mot et quitta le village. Le héraut conduisit les élus vers l'échoppe de Gardohou afin de les débarrasser de leurs paquetages devenus inutiles. Tous se retrouvèrent finalement à table pour partager un repas bienvenu après des journées de marche soutenue. Bien entendu, le fil de la conversation tourna autour de cette fameuse dernière épreuve et du mystérieux Asham.

- Un Guerrier Sacré de Bronze .... il doit être inférieur à Yolos qui est un Guerrier Sacré d'Argent, affirma Nevali en s'adressant à Frank qui avait pris place en face de lui.

Finissant son morceau de pain couvert de miel, ce dernier semblait tout à fait d'accord.
- Bien vu Nevali. Je me demande ce qu'est ce Pégase. Yolos a pour signe le Triangle .... Pégase est aussi un objet, tu penses ?
- C'est un cheval ailé, répondit Pallas qui se trouvait juste à côté de Nevali. C'est l'une des créatures mythologiques les plus fameuses.
- Ainsi donc, ces constellations grecques peuvent être des objets ou des animaux fabuleux, compléta Shiro en reposant son verre de terre cuite.

Chacun exposa son point de vue quant à l'épreuve qui les attendait. Deux théories s'affrontaient amicalement. Shiro, Mâa et Asturias en tête pensaient qu'il s'agissait d'éveiller le Souffle Divin, donc d'une épreuve physique ou mentale. Les tenants d'un combat étaient plus nombreux, à l'instar de Séléné qui affirmait qu'étant destinés à être des guerriers, il était normal que l'épreuve fût un duel. Seul Darkhan ne s'était pas encore exprimé.

- Je pense pour ma part que cette épreuve tourne autour de nos peurs. La peur est le sentiment qui peut le plus nous desservir si elle n'est pas maîtrisée.
Seth se tourna vers le jeune Asiatique l'air convaincu.
- Tu as raison. La peur est puissante. Il suffit de nous rappeler l'épisode de Didymes ou de la Forêt des Morts.

La phrase de l'Egyptien rappela à tous la disparition de Cléops, d'autant plus que les mots de Yolos avaient été sans ambiguïté quant au possible échec fatal « ou pire, le premier dans le Royaume des Ombres d'Hadès. ». Le chef de la garde du village entra dans la pièce, brisant le lourd silence qui s'était installé. Sans prendre le temps de s'excuser le guerrier prit la parole.

- Voici les ordres d'Asham. Reposez vous tout ce jour. Demain matin, aux aurores, rejoignez le petit étang. Vous y attendrez le signe. N'apportez aucune affaire spéciale. Le chef de la garde quitta la pièce sans un mot de plus.
- Difficile d'imaginer plus aimable, dit Nevali d'un ton ironique.
- Bon, nous n'aurons pas longtemps à attendre, c'est tout ce qui importe. Finissons ce repas tranquillement et profitons de cette journée pour nous reposer. Je suis certain que demain, ce qui nous attend ne sera pas de tout repos.
- Bien parlé Nekkar, rétorqua Artholos en levant son verre. Dans mon village, il est d'usage de lever son verre pour fêter quelque chose. Je lève mon verre à notre réussite !

Un par un ses compagnons levèrent leur verre, certains souriant, les autres gardant un air grave en imaginant ce qui les attendait.

Les premiers rayons de soleil vinrent arracher Artholos à son sommeil. Le Germain se leva rapidement, enfilant son armure de cuir qu'il avait gagnée dans son lointain village. « On ne sait jamais », pensa-t-il, « en cas de combat je serai prêt ». Poussant la porte de sa chambre, Artholos s'engouffra dans le couloir et s'aperçut avec étonnement que les autres chambres étaient vides. Alors qu'il allait rejoindre la salle principale, Nevali se présenta devant lui.

- Ah, te voilà. Tu es le dernier, dépêche-toi. Pas le temps de prendre quelque chose, nous devons rejoindre l'étang au plus tôt. Il serait dommage de rater le rendez-vous, conclut-il en souriant.

Nevali semblait totalement détendu, il faut dire que depuis le début de l'aventure, l'ami de Séléné se distinguait par son optimisme, sa joie de vivre, son insouciance et ses régulières moqueries à l'égard de chacun. Nevali formait un drôle de duo avec Séléné, mais finalement tout le monde l'appréciait, apportant une touche de second degré permettant d'adoucir la gravité de certains moments. Les deux éphèbes retrouvèrent leurs compagnons devant la porte principale du village. La troupe s'élança tranquillement vers les champs du Sanctuaire, Frank et Mâa ouvrant la voie. Après une petite demi-heure de marche paisible, l'étang fut en vue. Une légère brume recouvrait l'eau, la froideur matinale obligeant les plus frileux à se blottir dans leurs manteaux de laine de mouton. Gardohou avait insisté pour que chacun en prenne un, affirmant que le lendemain le temps resterait couvert.

- Gardohou est réellement surprenant, il ne s'était pas trompé hier, le temps est maussade, dit Pallas en regardant le ciel couvert de nuages sombres.
Asturias se rapprocha du jeune Grec.
- Tu as déjà vu pareil temps en cette saison Pallas ?
- A vrai dire non. On dirait qu'un orage se prépare. En cette saison, c'est très étrange. Zeus doit être courroucé.
- Cette croyance est réellement surprenante, Pallas. Je ne pense pas que les dieux expriment leur mécontentement par des orages. Râ envoie des calamités pour punir les mauvais hommes, mais son mécontentement, c'est aux prêtres qu'il le fait savoir, affirma Mâa qui s'était rapproché de ses deux compagnons en suivant le fil de leur conversation.
- Nos cultures sont différentes, c'est un bonheur de pouvoir les partager en tout cas, répondit Asturias en souriant.

Plusieurs minutes passèrent. Les treize éphèbes s'étaient maintenant installés sur l'herbe humide, de petits groupes se formant par affinités. Nekkar, Séléné, Nevali et Artholos échangeaient leurs points de vue sur le combat qui semblait pour eux inéluctable. Les érudits s'étaient retrouvés autour d'une conversation traitant du Souffle Divin. Mâa et Darkhan les avait rejoints semblant très intéressés par cette idée de Souffle Divin .... Idée qui rappelait au jeune Chinois chaque jour davantage les dernières paroles de son père. Un dernier groupe s'était formé autour de Frank qui prodiguait quelques conseils à propos de plantes qu'il avait accumulées au cours du séjour.

- Celle-ci enfin, conclut-il, « permet de dormir d'un sommeil profond et réparateur. Il faut la faire infuser dans une eau très chaude pour qu'elle soit efficace ».
- Tu es une vraie mine de savoir médicinal, Frank, répondit Pallas admiratif. « Merci pour ces conseils en tout cas ! »

La brume se faisait plus dense mais rien ne se passait. Le Guerrier Sacré de Bronze qui devait les attendre n'était pas là. Pallas se détacha du groupe en observant que la brume s'accumulait entre deux rochers, comme si elle venait de là.

- EH ! Venez voir, il y a un passage !
Les compagnons accoururent auprès du jeune Grec.
- C'est peut-être par là qu'il faut aller, nous aurions mal compris, proposa-t-il.
- De toute façon autant y aller, ici il n'y a rien, affirma Nekkar en s'avançant dans l'étroit passage, rapidement suivi de ses amis. Après quelques minutes de marche le groupe se retrouva à l'entrée d'un cimetière. De nombreuses tombes reposaient là. Pallas lut quelques inscriptions à ses amis « Des guerriers du Sanctuaire, tous » affirma-t-il. La brume se fit plus dense encore, ne cachant pas encore une statue d'Athéna et un olivier sacré sur lequel un homme était à demi allongé, surplombant les élus du haut de sa branche tortueuse.

- Bienvenus au cimetière du Sanctuaire. Je suis Asham, je vous attendais. Que la fête commence !

Les élus furent pris par surprise, mais leur entraînement reprit très vite le dessus. Une année aux côtés de Yolos avait porté ses fruits. Lorsque les éphèbes virent fondre sur eux les silhouettes squelettiques, tombant du ciel dans un vol fulgurant et une odeur âcre, ils se mirent en garde, et leurs cris donnèrent l'hallali tandis qu'ils commençaient à se battre pour sauver leurs vies et empêcher leurs adversaires de prendre un avantage décisif. Asham ne bougeait pas, observant attentivement les mouvements de chacun.

Mâa entama une prière à Râ, tandis que Séléné faisait un rempart de son corps, brandissant ses poings rageurs avec détermination pour bloquer le passage du guerrier décharné qui fonçait sur lui. Le géant, concentré sur son adversaire ne vit pas le squelette qui invoqua une sphère de lumière dorée, puis une seconde, éclairant brillamment le cimetière transformé en champ de bataille.

- Séléné fais attention à toi, hurla Nevali, un sorcier ! Sur ta gauche !

Au même moment, Nevali ne put éviter la charge d'un des squelettes le frappant violemment au visage, projetant le jeune apprenti contre une tombe située à plusieurs mètres, les deux boules de lumières venant exploser contre lui. Alors qu'un guerrier porteur d'une armure à demi détruite aux couleurs noires allait l'achever, un pied apparut devant ce dernier, le frappant de plein fouet et l'obligeant à reculer. Darkhan enchaîna par plusieurs coups de poing dans une rage indescriptible, un ultime coup arrachant le crâne du guerrier qui s'effondra tel un pantin désarticulé. Darkhan enjamba son cadavre pour se jeter à nouveau dans le tumulte des combats.

Les défenseurs du sanctuaire se battaient vaillamment, mais ils furent débordés par le nombre. Mâa acheva sa prière, et une aura lumineuse s'étendit sur tous les combattants, comme si Râ jetait un œil protecteur sur ces hommes affrontant la mort. Mais quatre assaillants, trois portant une armure fantômatique aux formes étranges et un revêtant la panoplie d'un hoplite du sanctuaire, fonçaient vers l'entrée du cimetière pour couper tout espoir de retraite aux élus. Un démon apparut dans un nuage de poussière grisâtre et froide plantant son regard de braise dans les yeux de Darkhan, qui hurla de terreur et se mit à genoux en levant les mains aux cieux, implorant l'aide de son père. Les quatre guerriers passèrent près de lui sans s'arrêter et se ruèrent au cœur de la bataille.

Adossés à une statue représentant leur déesse protectrice, Shiro, l'Etranger et Seth les attendaient. Les guerriers fantômatiques marquèrent un temps d'arrêt devant les trois hommes. Le démon se dirigea vers Artholos qui se portait au secours de ses trois amis.

Les deux premiers guerriers se jetèrent sur Shiro, qui portait seulement sa toge, mais dégageait le plus de sérénité. Une aura bleu intense entourait l'Hindou, lui donnant l'apparence d'une torche vivante. Sans s'en rendre véritablement compte, Shiro venait de réveiller le premier son Souffle Divin. Les deux guerriers approchèrent, et des traits de lumières jaillirent de leurs doigts quand ils frappèrent Shiro. Ce dernier esquiva l'une des attaques, mais les doigts griffus de l'autre adversaire entaillèrent profondément son épaule droite. Invoquant le nom d'Athéna, il abattit son poing sur la tête du squelette qui l'avait blessé. L'aura bleutée flamboya, irradiant le long de ses bras et se concentrant sur son poing qui parut chauffé à blanc. Le coup porta, brisant le crâne de la créature qui poussa un hurlement d'agonie. Mais déjà, l'autre revenait à l'assaut. Seth de son côté parait tous les coups portés par son adversaire, s'appuyant sur la statue d'Athéna. La pluie de coups ne lui laissait pas le temps de riposter. « Ça suffit ! » hurla-t-il en serrant soudainement ses deux poings. Son regard devant noir, sans vie, au moment où il serra sa main droite sur le visage du squelette et propulsa son autre poing dans les côtes de l'être d'autre monde. Le poing de l'Egyptien traversa les côtes et pulvérisa la colonne vertébrale du guerrier revenu d'entre les morts. Seth tenait à bout de bras un demi squelette prit de convulsions et poussant des cris de rage. L'Etranger éprouvait beaucoup plus de difficultés devant le hoplite qui avait fait apparaître un hoplon parant tous les coups et un kopis qui entaillaient les chairs du jeune apprenti.

- Tes jambes, brise-lui les genoux avec tes pieds ! Leurs os sont friables, attaque l'Etranger, admonesta Seth avant de se ruer sur le démon qui semblait invoquer de nouvelles créatures au-devant d'Artholos.
Macubex suivit le conseil de son compagnon mais au moment où il porta un violent coup de pied au niveau des genoux du hoplite, ce dernier sauta en arrière et fut pris d'un rire glaçant.
- Pauvre mortel, tu crois que nous n'entendons pas ? Tu vas me rejoindre dans l'oubli, tu ne seras jamais un Guerrier Sacré, tu vas devenir l'un des gardiens de ce cimetière ! dit-il d'une voix lugubre.

Tout à sa surprise, Macubex se sentit pâlir. « Ils entendent, ils vivent, c'est impossible ... », pensa-t-il en se remettant en garde, le front dégoulinant de sueur. Le guerrier d’outre tombe chargea Macubex pour lui porter le coup fatal lorsqu'il se volatilisa en centaines de morceaux et de poussière sous le coup d'un trait de lumière bleue. Shiro s'avança dans le nuage de poussière et regarda Macubex droit dans les yeux.

« Sers-toi de ton Kosmos, Étranger, concentre-toi, puise au plus profond de toi. Nous devons réussir. Allez viens, Artholos et Seth vont avoir besoin de nous », dit-il en se retournant vers le démon qui achevait son invocation à quelques mètres de là.

Le démon faisant face à Artholos et Seth portait un long manteau blanc vieilli par le temps, un temps ancestral qui achevait de le réduire en lambeaux. Son visage était celui d'un homme d'âge mûr, translucide et marqué de traits extrêmement durs. Ses yeux étaient rouges un instant, noirs, puis jaunes ... Les croiser ne pouvait que remplir de cœur des élus d'une peur incontrôlable,  instinctive. « C’est un prêtre », murmura Seth en se rapprochant doucement d'Artholos. « Prêtre ou magicien il ne résistera pas à mon courroux » assura Artholos qui se préparait à bondir sur son adversaire lorsqu'il se retint en voyant le démon achever une phrase incompréhensible. Autour des doigts du prêtre naquit une sphère d'énergie, qui s'enfla et s'éleva, puis une autre. Bientôt, huit boules de feu ardent dessinèrent un motif régulier au-dessus de la tête du démon. Ses yeux brillaient d'un feu surnaturel tandis qu'il guidait de sa volonté les sphères au dessus des tombes, encerclant du même coup les deux amis. « Seigneur des Ombres, que ton feu sacré dévore ces mortels ! » cria le prêtre. Suivant le mouvement de ses bras tendus, les sphères s'envolèrent en une nuée de météores, traçant dans la brume un sillon d'étincelles avant d'exploser au milieu des deux éphèbes. Seth avait eu le temps de pousser Artholos à terre et d'effectuer une roulade mais l'explosion les avait littéralement propulsés en l'air, les deux corps retombant inconscients sur les débris de tombes entrouvertes. Ricanant en voyant le résultat de son attaque, le démon se préparait à une seconde offensive.

Pallas venait de se débarrasser d'un squelette lorsqu'il vit la scène et accourut auprès de ses deux amis plus morts que vifs.
- Seth ! Artholos ! Commet allez-vous ? Réveillez vous, hurla-t-il de toutes ses forces en tâchant de les sortir de leurs comas par des secousses répétées, quasi frénétiques.
- Tu devrais te concentrer sur ton prochain adversaire, avertit Asham qui restait tranquillement assis sur la plus grosse branche de l'olivier sacré. « Grâce à la présence d'esprit de Seth ils vivent tous deux. Tâche de les imiter, ce démon, s'il te tue, les tuera immanquablement ».
Pallas se retourna un instant vers le Guerrier Sacré de Bronze. « Il ne bougera pas pour nous aider. Maudit ! » dit-il en serrant ses dents. Nekkar bondit à ses côtés, suivit de Shiro et de Macubex. Ils faisaient face maintenant au prêtre.

Darkhan, Séléné et Harald combattaient côte à côte depuis de longues minutes, minutes qui paraissaient des heures interminables tant la tension du combat les prenait au cœur. Darkhan se montrait très habile, esquivant, frappant rarement de ses poings mais justement à chaque fois. Nevali ne bougeait plus, Frank le protégeait de son mieux et tentait de lui administrer quelques soins entre deux coups échangés contre les squelettes qui revenaient à la charge malgré ses échecs répétés. Séléné avait vu son ami se retrouver au seuil de la mort et sa rage en avait été décuplée. Il avait littéralement broyé entre ses mains un de ses adversaires et il se servait des restes des ossements comme d'une massue, chargeant au milieu d'un groupe de neuf hoplites squelettiques et faisant tournoyer son arme de fortune au gré de son ire. Déjà trois hoplites avaient vu leurs crânes réduits en morceaux, Harald secondant le géant en s'occupant d'un être décharné, squelette à demi recouvert de chairs mortes, capable de faire jaillir des traits de lumières qu'il évitait avec de plus en plus d'aisance. C'était comme si le temps ralentissait, Harald voyait les gestes de son ennemi devenir de plus en plus lent, distinguant même le moment où les éclairs jaillissaient des doigts crochus de son adversaire. L'apprenti Guerrier Sacré finit par passer à l'attaque au moment où l'être baissa sa garde. Harald n'en crut pas ses yeux lorsqu'il sentit cette force incroyable jaillir de son poing, pulvérisant le squelette en un cri de rage qui stupéfia l'ensemble de ses amis.

Dans l'allée principale du cimetière, tandis que Mâa se débarrassait de ses adversaires sans trop de difficulté, avec une sérénité presque divine, Asturias affrontait un démon noir tout droit sorti des enfers. A plusieurs reprises, le Dalmate avait réussi à esquiver le dard mortel de la queue empoisonnée, et avait frappé le démon noir de ses poings, mais les puissantes griffes et les redoutables mâchoires du monstre avaient réussi à déchirer son armure de cuir clouté, lui infligeant plusieurs blessures. La longue queue barbelée du démon avait laissé sur son corps des sillons sanglants qui l'affaiblissaient. « Un Daimonos, ce n'est pas pensable que cet être soit ici », pensa-t-il en esquivant tant bien que mal un nouveau coup.

Galvanisé par les voix de ses compagnons qui s'encourageaient mutuellement derrière lui, et par la vision fugitive de son père lui enseignant l'art du combat lorsqu'il était plus jeune au sein de son monastère, Asturias surmonta l'engourdissement causé par le fouet magique du Daimonos, évita les deux mains griffues du démon noir et plongea sur le côté, contournant son adversaire et lui assénant un coup terrible sur la colonne vertébrale. La créature hurla, et se retourna d'un mouvement vicieux, sa queue flexible empalant la jambe de son adversaire. La douleur fulgura dans le corps d'Asturias, suivie par la brûlure intense du poison. Le démon cria de triomphe, puis de douleur quand la main de Mâa s'abattit sur ses reins, aggravant une blessure précédente et paralysant le monstre, qui s'écroula. Incapable de se redresser, il fouettait l'air de sa queue empoisonnée et cherchait à lacérer de ses griffes tout ce qui passait à portée. Asturias l'acheva de colère, puis se tourna vers Mâa.

- Tu m'as sauvé, je ne l'oublierai jamais mon ami.
- Tout est devenu si limpide Asturias. J'ai vu des étoiles, j'ai su où le frapper. Je ne me l'explique pas, mais je savais.

Frank avait fini par administrer un lourd coup de pied à son adversaire, le projetant contre une tombe. Le squelette semblait vaincu, Frank put s'occuper de Nevali. Ce dernier reprit péniblement connaissance, juste à temps pour hurler qu'un nouvel adversaire se présentait face à eux.

« Frank !!!! Derrière toi ! »

Frank fit volte face et blêmit en voyant une femme grisâtre, hideuse et défigurée par le mal les regarder. La femme était en fait un vampire, reconnaissable à des canines apparentes. D'hideux son visage devint angélique, d'une douce voix elle s'adressa au jeune médecin.

- Je ne te veux pas de mal, je puis être une femme pour toi, viens à moi.
- Sorcière, tu essaies de me troubler mais tu n'y arriveras pas. Tu es une de ces monstres essayant de nous tuer !
- Pour vous éviter des souffrances, reprit-elle en souriant, être Guerrier Sacré c'est souffrir mille maux. Venez avec nous, dans le Royaume des Ombres .... Si nous avons échoué, vous ne pourrez y parvenir, vous ne serez jamais des Guerriers Sacrés.

Frank se retourna vers Nevali qui lui tirait la manche.

« Tue-la, c'est un test tout ce cirque. Regarde Asham, il ne bouge même pas. Explose-la ! »

Frank se mit debout et en garde, montrant à son adversaire toute sa détermination à lutter jusqu'au bout. Voyant que le combat devenait inéluctable, le vampire reprit son visage terrifiant, décidée à utiliser tous ses pouvoirs. L'adversaire était plus fort que Frank ne l'avait pensé au départ. Un éclair jaillit des griffes du vampire, frappant le jeune apprenti de plein fouet avant de se répercuter dans tout le cimetière, dispersant les encouragements de ses compagnons dans des cris de douleur. Frank fut projeté à plusieurs mètres, mais il encaissa le choc. Il se mit péniblement à genoux, puis releva la tête pour regarder la femme qui s'avançait lentement vers lui, un fouet barbelé en main, un rictus vicieux sur son visage grisâtre. Ses cheveux hérissés par la décharge encadraient comme une auréole le visage déterminé du médecin, et malgré les brûlures, il se prépara à l'assaut. Une lumière jaune se matérialisa au milieu de sa main, déchiquetant le vampire qui fut bientôt réduit à l'état de bouillie sanguinolente.

« Qu'ai-je fait ? » murmura Frank étonné en regardant ses mains.

« Tu viens de libérer ton Kosmos, Frank, comme moi », répondit Mâa qui s'approchait doucement en aidant Asturias à marcher.

Le regard de Seth croisa celui du démon, et le voile de peur qui abusait son esprit se déchira brutalement. En un éclair, il vit la créature sous sa véritable apparence, et une rage froide l'envahit. D'un geste rapide, il se jeta sur elle et frappa de toutes ses forces. Le démon sentit le danger, mais trop tard. La poing enragé broyait les côtes délicates du prêtre qui hurla de douleur et de fureur, et recula en grondant jusqu'à une pierre tombale toute proche.

- Tu as osé profaner ce sanctuaire de ta présence, et offenser ma déesse en prenant l'apparence d'un prêtre. Je vais te détruire, démon !
- Je vois, tu ne connais pas la peur. Du moins tu ne la connais plus, dans ce cas je vais donner toute l'essence de mon pouvoir pour vous réduire en cendres ! hurla le démon qui venait de prendre l'apparence d'un spectre blanchâtre.

Le spectre se mit en garde, et ses doigts tracèrent un symbole dans l'air devant lui. Une étoile dorée apparut, brillant d'un éclat aveuglant. Seth ne pouvait en détacher son regard, et la lumière le brûlait horriblement. Hurlant de rage et de souffrance, il porta ses mains sur son visage, le spectre en profitant pour lui asséner un violent coup de pied dans le visage. Pendant ce temps Pallas et l'Etranger se battaient vaillamment contre quatre squelettes qui venaient de faire leur apparition.

« Il faut aider Seth », lança Nekkar à Shiro et Artholos qui se tenaient à ses côtés.

Ils se regardèrent et d'un commun accord se jetèrent sur le spectre en poussant un cri de guerre. Nekkar balaya l'espace de ses poings, et le spectre évita le choc de justesse, ripostant d'un coup de pied qui déchira le flanc de son ennemi. Sa main bloqua un second coup porté par Artholos, et les  adversaires se retrouvèrent proches à se toucher. Le spectre plongea son regard livide dans les yeux clairs de Seth, cherchant à lui imposer sa volonté. Mais c'était peine perdue, l'Egyptien ayant appris depuis l'épisode de Didymes et de la Forêt des Morts à contrôler son esprit, du moins à davantage maîtriser ses émotions.... De sa main libre le spectre empoigna l'épaule de Nekkar, drainant sa force vitale pour se régénérer, se grisant d'énergie volée pour voler la vie du pauvre chasseur. Le visage de Nekkar se crispa de souffrance, mais au lieu de se dégager, il porta brusquement son poids vers l'avant, poussant le spectre par-dessus la pierre tombale et lui assénant en même temps un coup de genoux dans les jambes. Le spectre se sentant tomber activa son pouvoir de téléportation, et Artholos, Nekkar et Seth le virent disparaître alors que son corps allait toucher le sol.

Shiro avait suivi l'action et se retrouva nez à nez avec le spectre. Apposant sa main au niveau du cœur de son adversaire, l'Hindou murmura quelques mots.

« Je sais qui tu es, tu as échoué, nous allons réussir. Je ressens le Souffle Divin parcourir mes entrailles, ressens sa puissance ».

Le spectre porta son regard sans vie sur la main de Shiro qui disparut dans un flot de lumière. La lumière grandit, embrasant tout le cimetière et dissipant la brume qui s'était levée depuis le matin même. Lorsqu'il rouvrit les yeux, Shiro vit que le spectre avait disparu, tout comme tous les autres adversaires. Asham sauta de son arbre et s'avança vers les élus qui se remettaient à peine de leurs émotions.

« C'est assez impressionnant. Vous avez passé l'épreuve avec succès, il n'y a pas eu de mort .... Maître Yolos avait donc raison de croire en vous. Certains ont même découvert le Souffle Divin ! Oh, bien entendu, vous ne le maîtrisez pas encore, mais c'est un bon début. Allez, relevez-vous, aidez les blessés et suivez-moi, nous allons pouvoir rejoindre le Domaine Sacré. Vous voilà de véritables guerriers du Sanctuaire ! »

Péniblement, les treize compagnons se regroupèrent derrière Asham sans dire un mot. Le combat avait été rude, certains étaient blessés, tous étaient encore sous le choc. Le Guerrier Sacré de Pégase emprunta un escalier qui était apparu comme le brouillard s'était levé. Les marches s'engouffraient dans la montagne, rejoignant en son sommet lointain un ensemble de temples et de bâtiments de marbre. Le Sanctuaire d'Athéna était là, devant eux, enfin !

 

La découverte du Sanctuaire

 

Après une heure de marche, qui acheva de puiser dans les forces des éphèbes, Asham pointa du doigt une double porte de bronze qui complétait une muraille de pierres taillées de plusieurs mètres de hauteur.

- Voici la porte d'entrée du Sanctuaire d'Athéna. Voilà plusieurs années, j'ai moi aussi connu l'épreuve du cimetière, avec mes compagnons. Nous étions alors dix-huit, seuls onze d'entre nous ont pu rejoindre cette porte conduits par Yolos en personne. Aujourd'hui, nous sommes quatre à avoir pu devenir des Guerriers Sacrés, les autres ont échoué et sont morts, à l'exception de Gardohou que vous avez rencontré au village. Vous allez découvrir un monde extraordinaire, mais surtout vous reposer dans un premier temps, car je sens bien que vous n'en pouvez plus, finit-il en éclatant de rire.
- Je te trouve bien désagréable, objecta Nekkar en regardant froidement le Guerrier Sacré de Pégase. Tu as beau être un Guerrier Sacré, tu pourrais montrer un peu plus de respect envers nous. Nous venons de subir une épreuve terrible, je ne vois pas ce qu'il y a de marrant !
- Je sais très bien ce que vous venez de vivre pour l'avoir vécu, comme je vous l'ai dit. Vos têtes portent les séquelles de votre fatigue et d'une grande lassitude. Il me semble que vous devriez vous détendre maintenant, vous reposer. Garde, cria-t-il en se retournant vers la porte de bronze. Ouvrez, c'est Asham de Pégase. Je suis avec les apprentis de  Maître Yolos, ils sont fourbus, hâtez-vous !

La porte s'ouvrit lentement, deux gardes poussant les lourdes portes de métal dans un grincement désagréable. Treize hommes en chlamyde beige apparurent, se rapprochant en colonne du groupe. Asham se porta à leur rencontre.

« Conduisez-les dans leurs appartements. Prenez leurs affaires, faites ce qu'il faut pour qu'ils se reposent, mangent, se lavent. Qu'ils profitent de ces moments de tranquillité, demain je viendrai les revoir pour faire le tour du Sanctuaire. En attendant qu'ils ne quittent pas le bâtiment de vie. Je compte sur vous ! »

Un nouvel arrivant fit son apparition. De grande stature, les cheveux ramassés en arrière, il portait une toge blanche contrastant avec sa peau noire. Lorsqu'Asham le vit, ce dernier posa un genou à terre, se relevant en suivant le signe auguste de l'inconnu. Ce dernier portait une chlamyde blanche qui lui donnait une certaine noblesse. Son visage dur contrastait avec sa chevelure brune bouclée, finement parée de fils dorés, l’empêchant de tomber en cascade sur ses larges épaules.

- Maître Graal, je ne savais pas que vous étiez ici, je disais simplement que ...
- Je sais, coupa son interlocuteur. Dévisageant les élus les uns après les autres, il poursuivit. « Alors les voilà donc. Je suis Graal, Guerrier Sacré d'Argent de la Coupe. Je suis en charge du bâtiment de vie dans lequel vous vivrez en attendant que votre destin soit connu. Dans quelques temps, Yolos viendra et vous conduira vers notre prêtresse qui vous révélera votre constellation de tutelle : alors vous rejoindrez votre centre d'entraînement pour tenter de gagner votre armure, de devenir des Guerriers Sacrés. En attendant, je serai votre hôte. Asham que vous connaissez déjà se chargera de vous guider ces prochains jours ».

Graal frappa deux fois dans ses mains et les treize serviteurs prirent les affaires que les élus avaient posées sur le sol en arrivant. Ces derniers suivirent sans un mot leurs nouveaux guides, trop épuisés pour objecter quoi que ce soit. Pour tous, la journée s'acheva dans une modeste chambre de pierre, dans un lit de bois, seul meuble disponible avec une petite table et un petit tabouret. Avant de fermer les yeux pour dormir, Macubex eut une pensé fugace « nous quittons une prison pour une autre, nous ne connaîtrons donc plus la liberté ? ».

Le lendemain matin, les éphèbes se retrouvèrent dans une salle d'assez grande taille pour prendre un premier repas. Ce dernier fut bien moins bon que ceux servis dans le village du Sanctuaire, ce qui fit regretter à quelques-uns de l'avoir quitté. Asham vint chercher le groupe pour mener tambour battant une visite approfondie du Sanctuaire. Concentrés sur les explications de leur guide, les compagnons découvrirent leur nouvel univers.

- La grande bibliothèque satisfera aisément les érudits qui sommeillent en vous. Vous pourrez y aller bientôt, à partir de demain. Le silence doit y être observé. Le scribe du Sanctuaire vous en dira plus lorsque vous rejoindrez ce fabuleux endroit. Toujours dans ce bâtiment, que l'on nomme le Naos, le cœur intellectuel du Sanctuaire, se trouve la salle de réception de la prêtresse d'Athéna, poursuivit-il en indiquant une porte de bois barrant le passage d'un couloir encadré de colonnes de marbre noir. C'est là que vous connaîtrez votre destin.
- Excuse-moi Asham, coupa Mâa en s'avançant, mais nous connaissons déjà notre destin : servir une déesse inconnue, Athéna ... au mépris de notre précédente vie, de nos croyances les plus profondes.
- Tu ne peux parler ainsi Mâa. Tu es bien celui qui servait Râ. Une déesse t'a choisi, ton dieu ne t'a pas retenu il me semble ... Garde ta rancœur, Athéna est une grande déesse. Quant à votre destin, je voulais dire vos constellations, vos ordres. Vous saurez bientôt qui deviendra hypothétiquement un Guerrier Sacré d'Argent ou de Bronze.
- Quelle est la différence ? demanda Pallas, devançant de peu Asturias qui se tût écoutant attentivement la réponse du Guerrier Sacré de Pégase.
- Et bien, c'est assez simple en réalité. Les Guerriers Sacrés de Bronze sont destinés à défendre les intérêts des Hommes partout dans le monde, ce sont des guerriers. Les Guerriers Sacrés d'Argent sont les défenseurs du Sanctuaire et du dogme d'Athéna, ce sont en quelque sorte les sages.
Séléné apostropha Asham d'une voix lourde de sous-entendus : « Qui sont les plus forts ? Bronze ou Argent ? Moi seule l'idée d'être le plus fort m'intéresse. Réponds-moi, es-tu plus fort que Yolos ? »

Asham sourit, comme s'il avait préparé cette question bien à l'avance.

- Ce qui caractérise la puissance d'un Guerrier Sacré, c'est son Kosmos. Les Armures de bronze sont un peu moins résistantes que les Armures d'argent .... Asham marqua un temps d'arrêt en baissant les yeux, plongé dans une intense réflexion, cherchant les meilleurs mots. Il reprit d'une voix assurée : « Yolos est plus puissant que moi car il maîtrise le Souffle Divin depuis bien longtemps. Mais s'il est un Guerrier Sacré d'Argent, c'est uniquement parce qu'il est plus sage que moi, plus enclin à réfléchir à nos rites, nos missions ... C’est un état d'esprit en fait, plus qu'une différence de puissance. »

- Et qui décidera de notre appartenance à tel ou tel rang de Guerrier Sacré ? s'enquit Asturias de plus en plus intéressé par ces révélations, au même titre que Shiro qui s'avança à son tour comme pour mieux écouter Asham.
- Le sort est déjà scellé, depuis votre naissance. La Pythie a révélé votre personnalité secrète, notre prêtresse vous en dira davantage très bientôt. En attendant suivez-moi, il nous reste quelques bâtiments à visiter.
- Il reste une dernière question, si tu le permets Asham.

Le Guerrier Sacré de Bronze cacha maladroitement son énervement par un soupir prolongé et se rapprocha de Macubex qui venait de l'apostropher.

- Oui, que voulez-vous savoir encore ?
- Qui étaient ces êtres qui nous ont attaqués dans le cimetière ? Pourquoi certains d'entre nous ont su réveiller leur Souffle Divin quand d'autres, dont moi, éprouvions les plus grandes difficultés à nous battre ..., demanda-t-il d'une voix grave, soutenu par quelques murmures de ses compagnons, Nevali en tête qui avait le plus souffert du dernier combat.

- Graal vous expliquera tout ceci en temps voulu. Mon devoir est de vous faire découvrir le Sanctuaire, ce genre de questions trouvera réponse plus tard.

Bien qu'agacés par le manque de réponses les élus poursuivirent leur visite sans poser davantage de questions. Les mines étaient graves et finalement ils suivirent Asham sans véritablement profiter des lieux. Le Sanctuaire s'étalait à flanc de montagne en de multiples bâtiments plus majestueux les uns que les autres. Les temples étaient assez rares, tous dédiés à Athéna de par un qualificatif spécial : Athéna Invincible, Athéna Victorieuse, Athéna Miséricordieuse, Athéna la Sage ... Au sein même du Sanctuaire vivaient des enfants, des femmes, des guerriers et des marchands. Tous déambulaient entre les édifices de pierre et de marbre. Quelques jardins d'oliviers apportaient un peu de verdure, quelques bassins de la fraîcheur aux plus chaudes heures de la journée. Asham acheva sa tournée par la visite d'une arène où luttaient deux adolescents sous les cris d'une foule encourageant les champions. Il s'agissait de lutte à main nue, les deux combattants rivalisant de technique de mettre leur adversaire au sol. Le vainqueur était celui qui parviendrait à maintenir les deux épaules de son opposant pendant un temps donné contre la terre rougeâtre de l'arène. Séléné se montra très intéressé par le combat,  montrant par ses commentaires qu'il avait beaucoup appris auprès de son maître en arts martiaux à Hattousa. Il fini par poser la question qui brûlait les lèvres de chacun.

- Et le vainqueur, il aura quoi ?
- Ces deux jeunes garçons de treize et quatorze ans luttent pour pourvoir devenir des Guerriers Sacrés de Bronze. Ils vivent ici depuis leur naissance et ont préparé ce moment toute leur vie. Tous deux sont sous la protection de la constellation de la Licorne. Le vainqueur partira en quête de cette armure de Bronze, le vaincu entrera au service du Sanctuaire, comme guerrier.

Le combat faisait rage et c'est le plus jeune, un adolescent assez fluet, brun aux cheveux longs, qui avait maintenant l'avantage, esquivant chaque attaque et harcelant son adversaire de petits coups dans les côtes flottantes, travail de sape qui semblait devoir payer au regard de l'épuisement du plus costaud des deux.

- Nous devrons nous aussi passer par cette arène ? questionna Pallas sans quitter du regard le combat.
- Non, vous êtes déjà désignés. Une constellation pour chacun d'entre vous. Vous n'êtes pas du Sanctuaire, et vous êtes ... Asham marqua une pose ... « Différents. Ça y est, c'est fini », conclut-il en observant l’un des combattants mordre la poussière.

Dans une dernière vaine tentative, le jeune garçon blond se jeta en avant vers son adversaire qui fit un pas de côté et lui assena un coup de poing au plexus solaire. « Ploutos debout ! Relève-toi ! » hurla une partie de la foule. Las, le combat était fini. Vincoron fut déclaré vainqueur. Le plus fluet avait gagné le droit de tenter de devenir un Guerrier Sacré, honneur suprême du Sanctuaire. Treize éphèbes le regardaient du haut d'une tribune, espérant le suivre bientôt dans cette nouvelle vie.

 

 

De Bronze et d'Argent

 

- Ce que j'aime ici, c'est la tranquillité. Inutile de nous inquiéter, on ne nous prévient qu'au dernier moment. D'ailleurs c'est assez simple, le schéma est toujours le même : on nous convoque, on nous emprisonne, nous avons le droit d'avoir une occupation, nous faisons un petit tour, un gros combat arrive, on nous dit « voilà vous allez commencer une nouvelle vie » et tout recommence.

- Tu es bien cynique Seth, mais tu as raison, soupira Harald en regardant le soleil se refléter dans l'eau du bassin.
- Nous sommes ici depuis dix-huit jours et rien, plus de nouvelles. Asham ne sait que répondre « bientôt », Graal a disparu, tout comme Yolos ... Le temps devient long ! Au moins au village, nous avions la nature, les champs ... là du marbre, des cailloux, quelques oliviers certes, mais que la nature me manque, dit Frank d'une voix mélancolique.

Seth se leva et s'étira.
- Bon, nos érudits sont à la bibliothèque, je suppose. Shiro, Asturias, Mâa, Darkhan et l'Etranger ne quittent pas cet endroit. Les autres passent leur temps dans le centre d'entraînement, à faire des exercices physiques, soulever des poids, simuler des combats ...
Frank se leva à son tour, regardant la silhouette qui s'avançait au loin.
- Séléné, répondit-il sans quitter le nouvel arrivant du regard, « passe son temps seul, à frapper la roche ». Frank se tut et regarda au loin. « Lui », reprit-il, « je ne sais pas ce qu'il nous veut mais il vient vers nous ».
Harald se pencha et reconnut le premier l'homme portant une chlamyde blanche et dégageant une grande prestance, accentuée par le décor de temples majestueux reflétant le soleil qui régnait dans le ciel azur.
« C'est Graal ! On dirait que les choses vont enfin bouger ! »

Effectivement Graal s'avançait d'un pas soutenu vers les trois éphèbes. En quelques mots, il leur demanda de convier tout le monde dans le bâtiment central, la prêtresse d'Athéna devait les recevoir. Graal expliqua qu'ils allaient enfin comprendre ce qui s'était passé dans le cimetière et surtout ce qui les attendait dans les jours à venir. Il fallut une bonne heure, le temps de trouver tout le monde et surtout Séléné dans les montagnes toutes proches mais labyrinthiques du Sanctuaire. Graal accueillit les éphèbes sur le pas de la porte menant à la salle de la prêtresse.

« Voici un grand jour pour vous », commença-t-il. « Vous allez enfin savoir qui vous êtes, ce qui vous attend. Voilà plusieurs jours, vous avez quitté le village du sanctuaire en franchissant l'épreuve du cimetière. Vous avez su résister aux morts, résister à la peur, et pour certains découvrir une partie infime, mais réelle, du Souffle Divin. Je subodore que vous aimeriez savoir qui étaient vos adversaires. C'est normal, il est temps que le voile se lève. »

Graal se mit à marcher de gauche à droite, expliquant avec force gestes ce qui s'était passé. Le Guerrier Sacré de la Coupe n'avait rien à voir avec Yolos. Alors que ce dernier était très posé, quasi hiératique, Graal avait un visage enjoué, le crâne chauve à l'exception d'une petite tresse de cheveux bleutés. Sa musculature apparente ne laissait aucun doute quant à ses capacités de combat, mais tous savaient maintenant qu'en tant que Guerrier Sacré, son réel pouvoir résidait dans son Souffle Divin.

« Lorsque qu'un mortel entre au service d'Athéna et obtient le droit de devenir un Guerrier Sacré, c'est un immense honneur. Mais qui dit droit ne dit pas dû. Pour devenir un Guerrier Sacré, il faut trouver son armure de tutelle et réveiller le Souffle Divin qui vit en elle. Rejoignant celui de son porteur les deux ne forment alors plus qu'un, un Guerrier Sacré. Entrer en quête de cette armure, c'est enclencher un destin qui n'a que deux conclusions possibles : la réussite ou l'échec. L'échec est généralement sanctionné de mort, mais parfois l'échec, c'est l'acte de trahison envers Athéna. Je dirais même que la quête ne cesse jamais. Devenu un Guerrier Sacré, on peut toujours faillir, trahir ... »

Graal se tut un instant pour que tous puissent saisir l'importance des mots qu'il prononçait avec de plus en plus de gravité : « Ceux que vous avez combattus sont ceux qui, par le passé, ont trahi Athéna ou sont morts à son service. Pour les premiers ce sont d'autres Guerriers Sacrés qui ont exécuté la sentence divine. Entrer au Sanctuaire, c'est appartenir pour l'éternité à Athéna. Ceux qui sont morts par vaillance, défendant leur déesse jusqu'au bout, sont assurés de la miséricorde d'Athéna, leur esprit sera à jamais honoré. Pour ceux qui ont failli par faute, ceux qui ont trahi, notre déesse impose pour l'éternité de sonder l'âme des éphèbes dans un combat à mort. L'apprenti qui est faible d'esprit et de conviction mourra, il remplacera alors celui qui trahit jadis. Ce dernier pourra se reposer dans les limbes du Sanctuaire. Quant aux autres, le Royaume d'Hadès les accueillera de nouveau, au milieu des pires criminels et monstres qui soient. »

Une nouvelle fois, Graal marqua un temps de silence, dévisageant les éphèbes qui ne masquaient pas leur effroi. Leur vie était visiblement scellée, sur Terre, mais aussi dans l'au-delà ...

- Pardonnez-moi, Maître Graal, mais je crois que tout n'est pas si aisé, objecta Asturias en baissant son regard pour ne pas offenser plus avant le Guerrier Sacré qui lui jeta un regard sombre. « Il n'y avait pas que des morts parmi nos adversaires, il y avait aussi un Daimonos, horreur infernale s'il en est ... »
- Et aussi un démon magicien, et un vampire, poursuivit Frank.
Graal ferma les yeux.
« Le Royaume d'Hadès est trouble ... Je suppose que ces êtres ont du suivre nos morts vers la lumière du Sanctuaire ... l'important est que vous les ayez vaincu, avec un certain brio d'ailleurs, ce qui m'amène au second point ».

Graal recula d'un pas et cessa de marcher. Il se ficha devant ses auditeurs, prenant une voix plus douce.
- Vous allez bientôt connaître vos constellations de tutelle. Vous partirez alors vers des terres inconnues, chacun de votre côté, en quête de vos armures. Cela prendra pour certain des mois, des années ... Cela prendra le temps que vous réveilliez vos Souffles Divins et surtout que vous les maîtrisiez. Shiro, Mâa ou Frank ont su réveiller leur Souffle Divin dans le tumulte de la bataille. Vous y parviendrez tous, c'est une certitude. Mais le maîtriser sera une longue route ... longue mais nécessaire pour réveiller vos armures. Personne ne vous aidera, vous serez seuls, seuls face à vous-mêmes. Derrière moi se trouve notre Grande Prêtresse. C'est elle qui va désigner en sondant vos âmes ceux qui tenteront de devenir des Guerriers Sacrés de Bronze ou d'Argent. Il est temps que la vérité voit le jour ! conclut-il en se retournant et en ouvrant la grande porte de bois. Il fit un pas sur le côté et d'un signe de la main indiqua aux éphèbes de pénétrer dans la salle.

La salle était entièrement de marbre blanc. De grands voiles de tissu rouge pendaient entre des colonnes soutenant un plafond représentant une nuit étoilée. Debout sur une estrade, apparaissant petit à petit derrière un écran de fumée se tenait une femme d'une grande prestance. Elle portait une tunique rouge et noire, de longs cheveux blonds tenus par des bijoux en or et dans sa main droite un sceptre dont les extrémités scintillaient d'une lueur jaune pale. Machinalement les élus se mirent en rang, faisant face à cette femme qui leur rappelait par certain traits la prêtresse d'Hattousa.

« Vous voici devant moi pour connaître la vérité révélée par la Pythie. Vos âmes ne peuvent mentir, je sais qui vous êtes à présent. Dans quelques instants, certains atteindront le rang d'éphèbes  de Bronze. A eux la charge de remporter leurs armures pour défendre les hommes partout dans le vaste monde. Aux autres de remporter leurs armures d'Argent. A ces derniers la charge de défendre le sanctuaire et le dogme de notre déesse, mère de sagesse et mère des guerriers les plus farouches, Athéna ... »

Le visage de la prêtresse demeurait en partie caché par le voile de fumée et la pénombre qui s'amplifiait maintenant. Seules scintillaient les deux extrémités de son sceptre. Elle tendit ce dernier en avant, visant Darkhan qui se trouvait à l'extrémité gauche du groupe. Un trait de lumière vint le frapper, bientôt suivi de douze autres frappant chacun des éphèbes. Comme ces derniers étaient encore sous le choc et se préparait comme Nevali à bondir sur la prêtresse cette dernière leva son spectre vers les étoiles peintes au plafond. Treize constellations brillèrent, chacune éclairant l'un des élus. 

- C'est fantastique, murmura Darkhan en retenant le bras gauche de Nevali. Regardez, les constellations nous ont choisies !
- Harald, Artholos, Nekkar, Nevali, Séléné, Darkhan, Seth, et Pallas, avancez d'un pas et posez un genou à terre à présent.

Sans objection, les compagnons obéirent. Darkhan admirait la voûte céleste comme s'il découvrait pour la première fois une nuit étoilée.

- Vous rejoindrez dans un mois vos armures de bronze dans des contrées souvent hostiles. Nul doute que vous triompherez. Vous reviendrez comme Guerrier Sacré de Bronze, défenseurs de l'Humanité au service d'Athéna. Vous autres, faites à votre tour deux pas en avant, posez un genou à terre.

Asturias, Macubex, Shiro, Mâa, et Frank s'exécutèrent, comprenant ce qui les attendait.

« Vous serez vous cinq des Guerriers Sacrés d'Argent, défenseurs du Sanctuaire et du dogme. Avant de rejoindre à votre tour vos armures, vous devrez encore démontrer votre courage en servant Yolos lorsqu'il reviendra. »

La prêtresse fit signe aux treize éphèbes de se relever. Conservant son ton mystérieux et presque irréel, elle conclut.

« Dans un mois, vous connaîtrez vos lieux de quête. Dans un mois vous saurez quelles constellations vous ont choisis. En attendant, profitez de ces longues semaines pour parachever votre formation, compléter votre entraînement. Vous serez bientôt seuls, dans des endroits hostiles. La mort rôdera à chaque instant. Préparez-vous au pire, préparez-vous à affronter votre pire ennemi : vous ! Ce n'est qu'en acceptant ce que vous êtes, qu'en dépassant vos limites, que vous réussirez dans la voie qu'Athéna a tracée pour vous. »

Ils étaient ensemble depuis le début. Voici que le destin voulait les séparer une nouvelle fois. Du moins savaient-ils maintenant qu'ils allaient reprendre les rênes de leur vie, seuls face à leur destin.

 

 

 

Bouclier grec concave de forme circulaire, généralement de bronze.

Glaive grec à un seul tranchant, légèrement courbé vers l’intérieur.