Chapitre VI : Les serviteurs de Loki
A la recherche de Troudheim
« Ce casque est une vraie merveille, Siegard ! Bon évidemment, on ne voit pas grand chose sur les côtés, on entend un peu moins bien, mais notre tête est au chaud et nous devons faire peur avec nos dragons ! »
Dimitre n'avait pas dissimulé son ironie mais l'ensemble de la troupe appréciait le cadeau de Siegard. Le casque qu'il avait offert, « Vous me remercierez, vous verrez », avait-il insisté, était tout de métal, un métal cependant très léger et finement ciselé. De forme plutôt conique, il portait en son sommet un dragon, symbole d'Asgard, censé impressionner les éventuels adversaires. Surtout, le casque était doublé en son intérieur d'une laine gardant la tête au chaud, ce qui n'était pas un luxe au vue des rafales de blizzard accompagnant les guerriers sur la route menant vers Troudheim. Siegard avait également distribué des armures de cuir tressé qu'ils mirent sous leur coupe-froid de peau de bête. Le cuir était d'une rare qualité, résistant sans problème aux coups les plus tranchants, « de la peau d'une bête féroce vivant sous les montagnes » assura le jeune Asgardien à ses nouveaux compagnons. Ils avaient quitté le petit village de pêcheurs depuis maintenant quatre bonnes heures. Le paysage était monochrome, d'un blanc immaculé jusqu'aux limites du regard où que portât ce dernier. Une épaisse brume semblait accompagner les élus d'Odin, ne leur permettant pas de distinguer autre chose que les collines de neige et le chemin qui se dessinait sous leurs pieds. Les treize compagnons marchaient en colonne de deux suivant les injonctions de Siegard qui menait l'ensemble d'un bon pas.
- Ce casque pourrait bien nous sauver la vie, gardez-le bien vissé sur vos têtes. Hâtons-nous, j'aimerais rejoindre le Passage des Collines avant la nuit, s'exclama Siegard en baissant la tête pour mieux supporter le froid piquant qui s'attaquait aux moindres parcelles de peau de son visage.
Inyan se trouvait derrière Siegard et Dimitre en compagnie de Nibel. Il prit la parole après un long moment de silence observé par l'ensemble du groupe.
- Dis-moi, Siegard, tu sembles inquiet. Tu regardes toujours à gauche et à droite, te retournant parfois longuement. Tu nous as bien dit de rester sur nos gardes, mais tu ne nous as pas expliqué ce qui risquait de nous arriver.
- Je vous l'ai dit, objecta l'Asgardien, les forces de Loki rôdent.
- J'entends bien, mais quelles forces ? Des soldats ? Des monstres ? Il serait peut-être bon de savoir ce qui nous attend pour que nous puissions préparer des ripostes appropriées. Chacun ici a son talent. Tiens, Yshba et Thrall, ils causent peu mais son d'excellents archers. Meijuk a la force d'une montagne. Liu quant à lui dispose de poisons capables de tuer n'importe qui !
Siegard s'arrêta et se retourna. Il toisa ses compagnons comme s'il sondait leur peur. « Inyan a raison », pensa-t-il.
- Venez autour de moi. Inyan a soulevé une question importante, je dois vous prévenir de ce qui va nous arriver, du moins de ce qui risque de nous arriver en chemin.
- Je savais bien que tout était trop tranquille, murmura Hanz. Je te l'avais bien dit Thrall, je suis certain qu'on nous observe, et depuis notre départ. Il se trame quelque chose ...
Le Germain montra son approbation mais ne dit mot, attendant comme ses amis les explications de Siegard.
- Hier soir, je vous ai dit que nous devions nous méfier des serviteurs de Loki qui sont nos ennemis. Ils errent à loisir dans nos campagnes, nos forêts, nos montagnes, attaquant les civils, apportant la mort et le malheur partout où ils passent. Comprenez-moi bien, ces êtres sont d'une rare violence, la mort est une sorte de culte pour eux. Nous devons les combattre, de toutes nos forces, mais nous ne sommes pas encore prêts. Il est possible que nous croisions en chemin des serviteurs de Loki. Je me dois de vous dire ce qui nous attend.
Siegard prit un air beaucoup plus sombre et respira un grand coup avant de se lancer dans ses explications. Chacun percevait l'importance des mots, des détails ... il en allait de leur vie.
- Voilà ce que je sais. Depuis des mois maintenant, les serviteurs de Loki se font plus pressants, plus incisifs ... J'ai déjà combattu ces serviteurs démoniaques, croyez-moi on n'en ressort pas indemne. Il arrive que l'on rencontre des morts : squelettes ou zombies ayant repris vie grâce à la magie de nécromanciens au service du Fléau d'Asgard. Ces êtres sont lents mais ne ressentent ni peur ni douleur, la seule chance face à eux, c'est de les détruire au sens propre du terme. Plus rares, mais plus redoutables, des « femmes berserkers », farouches guerrières, souvent accompagnées d'animaux sauvages rendu complètement fous de rage par la folie de Loki. Ces ennemis sont redoutables, ces femmes sont de véritables prédatrices très douées au corps à corps, ne connaissant pas la pitié. Il arrive que les animaux soient seuls, ils n’en sont pas moins redoutables : loups, tigres des neiges, ours sanguinaires ..... Autant de portes vers la mort. Les pires adversaires, je ne les ai pas rencontrés, ce qui explique certainement que je sois encore en vie : les Fils de Fjalar sont de ceux-là. Ce sont des nains gris, revenus d'entre les morts, vivant dans des grottes, ne sortant que rarement de leur antre. Ils sont les mineurs de Loki, à la recherche de Mithrill, métal très léger et très résistant .... Dont vos casques sont faits ! Ces Fils de Fjalar sont connus pour leur rage au combat, ils se battent en usant de leur robustesse, de leurs haches redoutables. Pire encore, sont les Elfes Noirs qui vivent dans les forêts depuis plusieurs mois maintenant, les rendant extrêmement dangereuses. Archers, épéistes, magiciens ... Ces êtres sont d'une rare intelligence, je ne connais personne qui ait réchappé à leur rencontre. Les derniers adversaires ressortent de l'imaginaire, des pires cauchemars. On dit que Loki les aurait réveillés, ce que je me refuse à croire. Si tel est le cas les Odjurwigs, créatures mi-humaines, mi-araignées, sont plus puissants que les Elfes Noirs eux-même.
Siegard débita son discours d'une traite sans reprendre son souffle. Les visages de ses compagnons avaient pris des traits graves, personne ne prenant ces explications à la légère. Rahotep retira son casque lentement et posa son regard sur ses amis.
- Tu as bien fait de nous prévenir Siegard. Nous devrions nous organiser. D'après ce que tu nous as dit, le chemin sera encore long, il est certain que les serviteurs de Loki ne nous laisseront pas rejoindre Troudheim tranquillement.
Akurgal retira son casque à son tour, laissant tomber ses cheveux noirs sur ses épaules.
- Tu parles sagement mon ami. Nos talents sont complémentaires. Préparons des plans de bataille, des tactiques de combat.
- On ne part pas à la chasse sans préparation, vos paroles sont justes, renchérit Meijuk.
La discussion fut intense, les échanges fusant de toute part. Tout le monde s'exprima, même les plus renfermés comme Ryusei ou Nibel. Finalement un plan de bataille équilibré fut adopté. Thrall et Yshba étaient deux archers désignés, chacun devant couvrir une aile. Dimitre, Meijuk et Hanz, armés de leurs haches formaient un trio placé au centre du dispositif de bataille, chargé de fixer le gros d'éventuels ennemis. Les haches tournoyantes et la force des trois hommes devaient représenter une vision terrible, engageant le gros des troupes adverses face à ce danger immédiat. Deux quatuors armés de glaives ou d'épées longues devaient enfin intervenir par des mouvements tournants, attaquant les flancs des ennemis concentrés sur le trio de tête. Rahotep, Akurgal, Nibel et Siegard devaient tenir le flanc gauche, Inyan, Liu et ses dards empoisonnés, Ryusei et Memnoch tenant le flanc droit. L'ensemble était équilibré et tout le monde semblait satisfait.
La marche reprit sous une neige continue. Le Passage des Collines fut atteint plus tard que Siegard ne l'avait voulu, le groupe ayant du mal à progresser dans la neige épaisse qui atteignait par endroit la ceinture des guerriers. Le spectacle qu'ils découvrirent rajouta à la peur qui s'était petit à petit installée après les avertissements de Siegard. Trois charrettes achevaient de se consumer lentement, reconnaissables à leurs débris de roues en appui sur quelques morceaux de bois déformés par le souffle d'une explosion. Si les attelages avaient disparu, les corps de vingt-trois guerriers jonchaient le sol, gisant ici dans une tache de sang noirâtre, là appuyés contre un tronc d'arbre, ici encore écrasés contre un rocher. La neige avait totalement fondu, le sol noir et l'odeur âcre ne laissant aucun doute quant à la cause du sinistre.
- Ces corps à demi calcinés, ces charrettes ... Ils ont été attaqués avec des flèches enflammées, glissa Hanz en s'accroupissant pour sentir une flèche à peine consumée.
- Ce n'est pas tout, rétorqua Meijuk en se rapprochant d'un corps traversé par de multiples impacts qui avaient lacéré son dos. De simples flèches n'auraient pas suffi, il y avait autre chose, ou alors les ennemis étaient très nombreux.
Inyan prit la parole à son tour en retirant son casque.
- Des mages, des boules de feu. J'ai déjà entendu dans ma contrée des histoires de druides étant capable de lancer des boules de feu. Je suis certain qu'il y a eu des boules de feu ici, il suffit de voir ces charrettes, elles ont été volatilisées. Ce n’est pas là le résultat de projectiles enflammés classiques.
- Il y a des traces ici, elles filent dans le brouillard. Ils étaient cinq ou six, accompagnés de quelques animaux, des loups je dirais. Ils les ont attendus longtemps, ce fut une embuscade soigneusement préparée. Non, ce n'était pas une embuscade, c'était une traque.
Hanz se rapprocha d'Yshba qui montrait une nouvelle fois ses talents de chasseur et de pisteur.
- Je suis certain qu'on nous suit depuis le départ du village, ils ont peut-être été suivis eux aussi, attaqués au meilleur moment. Siegard avait raison, les serviteurs de Loki sont implacables, rusés ...
- ... et ils nous attendent, quelque part là-bas, dans l'immensité de ce paysage enneigé. Il va falloir que nous redoublions de vigilance, coupa Memnoch en plissant les yeux, plongeant son regard dans l’horizon de glace.
Sur proposition d'Akurgal, ses compagnons regroupèrent les corps des fiers guerriers d'Odin. Siegard avait expliqué que des convois ralliaient les quatre coins d'Asgard accompagnés de guerriers lourdement armés pour ravitailler les villages et communautés isolées. Les routes étaient de moins en moins sûres et au final certains endroits d'Asgard étaient coupés du reste du monde depuis des semaines, dans les pires des cas depuis des mois. Les malheureux furent enterrés et Nibel entonna un chant empli d'une grande tristesse, accompagnant l'esprit des guerriers vers leur repos éternel.
Les mercenaires de Loki
« La salope ! Cette sorcière va finir par me tuer ! Il faut que je mette un terme à ce duel, ce n'est pas une femme qui aura raison de moi ! »
Au plus profond de son cœur, la résolution de Dimitre se raffermit et il tourna un ultime regard en direction de ses compagnons combattant eux aussi pour leur survie. La tactique mise au point le jour précédent avait fait long feu face à l'attaque surprise. Les loups et tigres des neiges étaient sortis de nulle part prenant le groupe à défaut, mais ce sont bien les cinq femmes berserkers qui étaient les plus dangereuses. Dimitre s'était retrouvé en tête à tête avec l'une d'entre elles depuis plusieurs minutes à présent. Elle jouait avec lui, parant tous ses coups de hache, assenant de temps à autre un coup de rapière qui déchirait les chairs du guerrier. Elle visait juste, entre les plaques de cuir de l'armure, le sang coulait maintenant abondamment des plaies béantes, arrachant chaque seconde un peu plus d'énergie à Dimitre. Il n’était plus temps pour le doute à présent : ce dernier se propulsa de toute la puissance de ses muscles élancés, et bondit sur la berserker en poussant un cri de rage. Il pirouetta avec agilité dans les airs avant d’atterrir dans la neige sur la gauche de son adversaire surprise par la manœuvre : se saisissant de sa hache en l’espace d’un battement de cœur, il embrocha brutalement la guerrière avant que celle-ci n’ait pu esquisser le moindre geste.
- Tu fais moins la maline, garce ! vitupéra-t-il dans un cri d'excitation. Sa victime n'était pas tout à fait morte et avant de rendre son dernier souffle le regarda droit dans les yeux, prononçant dans un dernier râle quelques mots incompréhensibles, comme si elle était satisfaite de son sort. « Ma parole, mais vous êtes des folles furieuses, t'es heureuse de crever on dirait ! Attends un peu, laisse-moi t'arranger le portrait, tu ne vas pas m'insulter longtemps ! »
Dimitre arracha sa hache de l'abdomen de la berserker, laissant couler à flot le sang mêlé aux entrailles apparentes de sa victime. Comme il brandissait son arme pour porter le coup fatal, Dimitre remarqua un liquide vert dégoulinant de sa jambe. Ce fut la dernière chose qu'il vit avant de tomber en arrière, sombrant dans un coma profond.
La confusion la plus totale s’était emparée du champ de bataille : partout où les serviteurs de Loki avaient réussi à prendre pied, une féroce mêlée s’était rapidement engagée où les coups pleuvaient sans discernement. Les guerrières effectuaient un ballet de mort complexe, leurs corps frêles couverts d'une armure de cuir légère et de peaux de tigres des neiges ondulant plus vite que l’œil ne pouvait les suivre. D’un ample revers de sa hache, Meijuk tint à distance d'eux d'entre elles, attendant le moment opportun pour passer à l'attaque. Trois loups jaugeaient le groupe de Siegard en poussant des grognements sourds, leurs gueules déformées par d’effroyables rictus de haine.
« Venez, maintenant... Oui, approchez sales bêtes, et recevez la mort pour laquelle vous avez parcouru tant de lieues. En garde, monstres de Loki, et recommandez vos âmes à Hel, rejoignez les enfers de glace ! »
Au signal de Siegard, Rahotep, Nibel et Akurgal se jetèrent avec leur compagnon sur les trois animaux sauvages qui s'écartèrent au dernier moment. L'un d'entre eux prit la parole, provocant la stupeur chez les quatre guerriers d'Odin. Sa voix était fantômatique, porteuse d'une peur à même de glacer le sang des plus courageux.
« Pauvres Mortels, vous vous permettez de nous insulter ! Recevez notre courroux en guise de réponse, nous allons vous tuer et vous dévorer, vous ne connaîtrez jamais le repos du paradis des guerriers, nous souillerons vos âmes ! »
Les trois loups ouvrirent leur gueule d'où sortit une nuée blanchâtre, tel un blizzard magique gelant tout sur son passage. Siegard fut le premier atteint, ses jambes étant prise dans deux blocs de glace. Rahotep, Akurgal et Nibel avaient machinalement mis leurs armes en avant en guise de protection, armes qu'ils lâchèrent tant le froid parcourant le métal était intense. Thrall banda son arc vers le loup le plus proche et décocha une flèche dans le cou de ce dernier, le tuant sur le coup. Voyant ce nouvel adversaire, les deux loups encore en vie hurlèrent de rage mais ne passèrent pas à l'attaque. C'était inutile, Thrall s'effondrait lourdement, un ours noir porteur d’yeux écarlates lui ayant porté un coup fatal au niveau de la tête.
« C'est le moment ! » hurla Akurgal qui se saisit de son glaive et bondit avec Nibel sur les deux loups qui ne purent éviter les coups mortels, portés avec une violence et une rage à la limite de la frénésie. Nibel ne retenait plus ses coups, lacérant l'animal mort de sa lame électrifiée jusqu'à ce qu’Akurgal le retienne enfin en se jetant à ses côtés.
« Il est mort, c'est fini. Arrête Nibel, ça ne sert plus à rien. »
Rahotep se porta au-devant de l'ours afin de porter secours à Thrall qui gisait dans une flaque de sang s'étalant sur la neige. L'Egyptien tenait fermement sa hache de ses deux mains. Deux flèches s'abattirent sur l'Ours qui s'était mis debout sur ses pattes antérieures, offrant ainsi une cible de choix du haut de ses deux mètres cinquante pour Yshba qui suivait de près Thrall. L'ours se détourna de Rahotep, erreur fatale mise à profit par Rahotep qui porta un coup au niveau de la poitrine de l'animal, le tranchant de la lame s'enfonçant jusqu'au cœur et lui arrachant la vie. Rahotep roula sur le côté pour éviter la chute de l'animal, le petit groupe se penchant vers Thrall.
Memnoch tournoya soudainement pour éviter l’estoc d’une guerrière, puis, dans un même mouvement, la décapita d’un large coup de taille ; un tigre des neiges déjà attaquait avec fureur et il dut parer frénétiquement pour échapper aux assauts de son nouvel adversaire : de sa main libre, il bloqua la gueule d’un coup de poing violent avant de le transpercer de son épée. Il se fendit brusquement, évitant un nouveau tigre. Hanz serra une main sur une pierre, la projeta en direction de l'animal qui, atteint en pleine tête, bascula contre un rocher sous la violence de l’impact avec un ultime grognement haineux. D'un bond, l'Asgardien sauta sur sa victime, sa hache venant découper la tête de l'animal.
- Je l'aurais eu, pesta Memnoch, pas la peine de t'occuper de moi !
- Ne dis pas de conneries et bats-toi, allez viens ! Les autres ont des soucis !
Non loin des deux hommes, les trois dernières guerrières tenaient tête sans difficultés apparentes aux assauts répétés d'Inyan, Liu et Ryusei. L'une d'elles prit son envol au-dessus de la mêlée fonçant par bonds successifs vers Memnoch et Hanz. Aussitôt, le premier s’élança en sa direction. Presque immédiatement, la guerrière volante le prit en chasse et bientôt les deux ennemis furent côte à côte, échangeant des coups plus rapides que le regard, la longue rapière de la berserker contrant tant et plus le glaive électrifié de Memnoch avec des gerbes d’étincelles éclatantes dans les ténèbres de la nuit. D'un coup la guerrière désarma ce dernier, lui lacérant les bras dans les secondes suivantes dans un ricanement terrifiant. Enfin, Hanz se porta au secours de son ami voyant que la situation lui échappait. D’un puissant revers de hache, il éventra son adversaire qui tout à son assaut ne l'avait pas vu venir. Hanz se pencha vers Memnoch, en sang, adossé à un arbre et gémissant la bouche fermée, serrant les dents de toutes ses forces. « Elles sont rapides, fortes, il faut être deux, la prochaine fois attends-moi. Laisse-moi voir ça, elle t'a salement amoché », glissa-t-il en retirant ses gants maculés du sang de son dernier adversaire.
Une brume laiteuse enveloppait le champ de bataille de son épais manteau, dont les effluves glacés s’infiltraient à travers les armures et les vêtements ; loin à l’est pointait une lune spectrale et dépourvue d’espoir, toute en nuances de gris opalins et de blancs atones, tel un œil divin portant un regard livide sur ce combat. Odin était-il là, observait-il ses guerriers luttant farouchement pour leur survie ?
Inyan, dont la majeure partie de la tête disparaissait sous son casque de dragon, brandissait toujours avec hargne son épée à deux mains, dont la lame était rougie par le sang du tigre qu'il avait éventré. Avec un hurlement bestial, il s’élança à travers la neige vers les deux dernières adversaires, et, à sa suite, Ryusei et Liu se ruèrent au cœur de la mêlée, leurs regards emplis d’une même détermination farouche. Une lutte féroce et chaotique s’engagea presque instantanément, résonnant du fracas des épées et des cris de douleur, les deux guerrières touchant tour à tour les trois hommes. Soudain, l’une d'elles s’élança, l’épée au clair : la lame d'Inyan suffit pour bloquer net le puissant coup de taille qui visait sa tête ; puis il éviscéra promptement son adversaire du bassin jusqu’au sternum, avant que celle-ci ne s’écroule avec un gémissement pathétique. Prolongeant son mouvement, le guerrier fendit la gueule d’un tigre blanc qui venait de bondir sur lui du revers de son arme ; un nouveau geyser vermillon s’éleva, dont la puissante senteur cuivrée se répandait, dans l’air glacial. A quelques mètres de là, Liu et Ryusei s'apprêtaient à porter le dernier assaut contre celle qui apparaissait être la chef.
- Je vais la charger, toi suis moi et essaie de l'atteindre avec un de tes dards empoisonnés, fit Ryusei de sa voix rocailleuse.
- Bonne idée, mais il va falloir que tu l'occupes assez pour qu'elle ne puisse éviter mon dard empoisonné, elle en a déjà dévié quatre !
- Je vais lui montrer ce dont je suis capable, je vais tout donner, répliqua Ryusei, qui, de rage, asséna un violent coup de poing sur sa poitrine.
Aussitôt, les deux guerriers lancèrent une attaque simultanée : Ryusei se porta en avant, faisant reculer la guerrière surprise par l'aplomb de son adversaire le plus pressant. Toutefois elle se ressaisit et ouvrit la jambe de l'élu d'Odin d’un rapide moulinet de son glaive. Ce dernier contempla un instant la blessure, une expression de stupéfaction se dessinant brièvement sur son visage ; et aussi soudainement, il enfonça glaive sanglant dans l’orbite de son ennemi, la lame crevant l’œil de la berserker avec un léger bruit de succion. Il retira son glaive et le jeta à terre, portant de violents coups de poings fracassant le visage de la femme que la vie avait quitté.
« Arrête ! C'est fini », dit Liu en retenant son ami qui s'acharnait de rage contre le corps mutilé de la mercenaire de Loki.
Le calme se fit, la lune laiteuse poursuivant paisiblement sa course dans le ciel. Le froid était de plus en plus mordant mais aucun des élus ne s'en rendait vraiment compte. Le combat avait fait rage pendant de longues minutes, deux tigres fuyaient en compagnie d'un loup blanc dans le brouillard. Les guerriers s'asseyaient maintenant dans la neige, soufflant, permettant à leur cœur de trouver un peu de calme. Inyan s'activait autour de Thrall qui avait repris connaissance, Liu bandait la jambe de Ryusei dont les nerfs lâchaient en des larmes de rage. Le sort de Dimitre était plus inquiétant, le jeune serviteur d'Odin semblant définitivement plongé dans un coma profond, un liquide verdâtre puant suintant de sa plaie.
Sur une petite butte deux êtres au regard fin se retournaient vers l'orée d'un bois. Ils étaient bien trop loin pour que les élus ne puissent les voir, mais eux avaient tout vu.
- Ils se battent bien. Il faudra faire attention, certains sont sur la voie.
- Ne dis pas de sottises. J'ai ressenti la peur dans leur cœur. Il sera aisé d'utiliser cette peur contre eux, ils sont loin de mesurer ce qui les sépare de nous.
- Nous devrions peut-être les tuer maintenant, ce serait aisé, je ne vois pas pourquoi nous les laissons poursuivre tranquillement.
- C’est moi qui commande. Ils vont nous servir, d’ici à quelques mois. De toute façon, ils n'arriveront pas tous en vie à Troudheim, ils ont fait ce qu'il faut. S'ils meurent, ce sera une bonne chose, s'il y a des survivants nous utiliserons leur peur le moment venu.
Tandis que le tumulte du combat avait cessé, un cercle de chamans commençait une étrange cérémonie dans le cœur d'une forêt lointaine, au milieu d'un ensemble de pierres mégalithiques : d’étranges glyphes étaient peints sur le sol, dont certains luisaient ainsi que de pâles étoiles, alors que l’envoûtante psalmodie couvrait à présent le mugissement du vent du nord qui s'engouffrait entre les pierres millénaires et couvertes de runes. Dans des montagnes lointaines, une ombre apparut, ombre d'apparence humaine, couverte d'un casque de corne. L'ombre leva les bras aux cieux, faisant tournoyer de plus en plus vite une gigantesque hache de glace d'où naquirent deux colonnes d'air glacial, montant vers la voûte céleste à une vitesse vertigineuse dans un mugissement qui retentit dans tout Asgard. Le ciel s'assombrit soudainement sous l'horizon des guerriers d'Odin, la lune disparaissant progressivement, la température chutant à une vitesse vertigineuse. Siegard qui avait réussi à dégager ses jambes du carcan de glace regarda le ciel avec inquiétude. « Il faut trouver un abri, vite. Thrym va déclencher sa fureur ».
La colère de Thrym
La journée avait commencé par une matinée humide et froide. Le combat que venait de livrer les nouveaux serviteurs d’Asgard s'était déroulé sous le regard d'une lune refusant de quitter les cieux, au cœur d'un paysage de collines sans fin, l'hiver perpétuel d'Asgard étendant ses doigts fins et glacés sur ces terres boréales. Une brise froide balayait le chemin qui serpentait au milieu des collines, le ciel bas était rempli de cumulus noirs, laissant peu de place à l'astre de la nuit. Depuis la fin du combat, tout avait brusquement changé. Le plus gros de ces nuages se dirigeait droit vers le champ de bataille, des éclairs scintillaient le long de ses flancs gris-noir, en émettant des sifflements funestes. Le vent semblait prendre de plus en plus de vitesse et hurlait, sous l'effet de l'air déplacé. En quelques instants la tempête était sur la petite troupe, confirmant les craintes de Siegard. Dans un fracas effrayant, deux tornades de glace et de neige prirent forme dans l'horizon lointain, se rapprochant de plus en plus vite des guerriers d'Odin qui récupéraient à grand peine du combat livré contre les sbires de Loki. La force des éléments était telle que la visibilité se réduisait bientôt à un mètre au plus. Quasiment aveugles, les élus devaient faire face à la morsure du vent et des grêlons qui venaient de remplacer les flocons de neige.
- Il faut fuir, et vite ! Cette tempête va bientôt former des congères, nous allons périr ! Il faut trouver un abri ! hurla Siegard de toutes ses forces en tentant de prendre le dessus sur les hurlements du vent.
- Nous pourrions faire un igloo, comme sur la banquise, comme Hanz nous l'a appris, proposa Ryusei en se masquant le visage avec une étoffe de laine pour ne pas que l'air froid lui gèle les poumons.
- Ce n'est pas la peine, c'est trop tard, nous n'aurons pas le temps ! Il faut courir vers cette grosse colline, avec un peu de chance nous y trouverons un refuge naturel !
Siegard n'eut pas de mal à convaincre ses amis tant les éléments semblaient devoir tout balayer sur leur passage. Les deux colonnes d'air glacial arrivaient à une vitesse vertigineuse, ne laissant aucune chance à tout être vivant se trouvant sur leur passage. Se traînant dans la fureur du vent et des grêlons qui s'acharnaient sur eux, les treize compagnons jetèrent leurs dernières forces dans cette course éperdue. La chance, ou la volonté divine, fit qu'ils trouvèrent une petite ouverture dans la roche de la plus grande des collines.
« Une grotte ! On a trouvé une grotte ! Venez ! » invectiva Yshba qui semblait de plus en plus proche de la folie, la terreur de cette tempête extraordinaire réveillant ses instincts les plus insondables. Siegard pénétra le dernier dans l'anfractuosité, y étant littéralement projeté par un trait de foudre s'abattant derrière lui à l'orée de la grotte. Inyan se porta tout de suite à son secours. « Il est assommé, ça devrait aller mais il faut nous éloigner de cette maudite entrée, nous devons nous mettre à l'abri et nous mettre au chaud, sinon nous le rejoindrons dans le trépas ! Le froid tue assurément, sournois mais implacable ... nous avons été affaiblis par le combat, faisons attention ! »
Le groupe pénétra plus avant dans la caverne, le vent violent et glacial pénétrant de plus en plus dans l’auvent naturel de l'édifice de pierre humide et glacé. Le couloir descendait sous le niveau du sol, l'air devenant de plus en plus tiède. Le sol était maintenant moins glissant, des brindilles et des branches mêlées à du poil le rendant tout de même instable pour les guerriers qui marchaient dans la pénombre. Yshba marchait en tête et fut le premier à percevoir les lueurs de torches scintillant au gré des souffles de vent glacé qui suivait son chemin le long du couloir de pierre. Ce dernier ne vit pas le coup venir et fut projeté contre la paroi rocheuse, perdant connaissance sur le coup. Meijuk qui le suivait de près avait pu éviter le coup d'une roulade instinctive, contrairement à ceux qui le suivaient qui tombèrent sous les coups d'un ennemi invisible lâchant une pluie de pierres atteignant les casques dans un fracas terrifiant. Le choc était violent, l'ennemi impalpable, le résultat assuré, le KO. Déjà les visages de Memnoch et de Ryusei se remplissaient de sang lorsque Liu se porta en avant aux côtés de Meijuk, les ennemis ayant décidé de se montrer et de passer à l'assaut frontal.
Meijuk se battait seul contre deux Fils de Fjalar aux yeux fous. Ils étaient trapus, portaient une armure sombre et visiblement sans faille, faisaient tournoyer devant eux deux haches chargées d'un pouvoir maléfique que les traits de lumière rouge parcourant les lames laissaient entrevoir. Leurs tranchants avaient labouré profondément l'une de ses épaules et le devant de sa cotte de maille était arraché, du sang collant sa fourrure sombre. Mais il ne faiblissait pas. La rage du combat l'envahissait, l'exaltait. Il ne savait pas où il était, il n'avait pas oublié ses compagnons dans la frénésie du sang. Dehors, la tempête faisait rage. Thrall, Dimitre, Ryusei, Siegard, Yshba, Memnoch, Hanz étaient hors de combat, il fallait tenir, tenir et vaincre. Sa hache était légère dans ses mains puissantes, et elle fauchait les ennemis comme des blés mûrs sous la lame du moissonneur. L'un des Fils de Fjalar tenta de lui porter l'estoc. Il esquiva, et il lui heurta l'épaule. Dans un demi-tour foudroyant, il abattit sa hache, qui ouvrit le corps du nain de l'épaule à la taille. Le sang jaillit, et les intestins se déroulèrent lourdement tandis que le nain sombre poussait un râle d'agonie. L'odeur du sang chaud était intense, le sang du nain avait inondé Meijuk, qui se retournait déjà vers l'autre adversaire...
Un peu plus loin, Liu menait un combat similaire. Il affrontait une ourse noire, bien plus grande que lui, et qui avait manqué à deux reprises de lui briser l'échine. Liu cherchait depuis un moment un point faible, une ouverture. Son intelligence s'était mise au service de ses instincts de combattant, et sa logique était implacable. Il suffisait d'une entaille pour inoculer un puissant et fatal poison. Soudain, il sauta à la gorge de l'énorme animal, qui s'était retourné vers Yshba qui se relevait péniblement et tentait de reprendre son arc. Ce dernier s'était avancé dans la grotte sans prendre gare en compagnie de Hanz et de Memnoch et tous trois avaient été propulsés contre les parois rocheuses dès le premier assaut de l'ourse, les entraînant dans un demi-coma. L'animal se débattit de toutes ses forces en sentant le dard empoisonné pénétrer sa gorge, mais Liu tenait bon. Il avait refermé son piège sur la gorge du monstre. Sentir le sang de son ennemi sur son visage, c'était connaître le goût de la victoire. Une immense exaltation l'envahit, tandis que ses yeux et son esprit ne voyaient plus que de l'écarlate ... Dans un sursaut de lucidité, il se dégagea, laissant l'ourse s'effondrer, prise de convulsions tandis que le poison achevait son œuvre.
« Meijuk, écarte-toi ! » hurla Akurgal dans un cri de rage.
Le montagnard bascula instinctivement sur le côté et vit le Mésopotamien charger le nain. Ce dernier poussa un cri de rage et leva sa hache pour fendre le pauvre érudit qui avait baissé sa garde. Un bruit sinistre d'os brisés se mêla à celui du grincement d'une lame sur le métal de l'armure du Nain. Le choc fut rude et le Nain Sombre bascula en avant, avant de repartir tout aussi rapidement en arrière lorsqu’une épée se ficha au niveau de son bassin. Rahotep était sorti de l'ombre sans un bruit, profitant de la ruse orchestrée avec brio par Akurgal. Nibel avait achevé le travail en surgissant de derrière le Mésopotamien.
- C'est fini, ils n'étaient que deux, enfin trois avec cette ourse. On dirait que les serviteurs de Loki sont systématiquement accompagnés d'animaux enragés.
- Akurgal, balbutia Meijuk, j'ai cru que tu allais te faire éventrer !
- C'était bien là le but, rétorqua l'érudit en souriant, nous formons un bon trio complémentaire avec Rahotep et Nibel. Je suis moins performant au combat, alors nous profitons de nos facultés respectives.
La tempête se poursuivit plusieurs heures. Elles furent mises à profit par les serviteurs d'Odin pour panser les plaies, se reposer, et trouver des réponses. Il était certain que Loki, du moins ses forces, étaient sur leurs traces. Troudheim était encore loin, le voyage promettait d'être tendu. Il était tout aussi évident que certains guerriers ne pourraient repartir avant plusieurs jours. De ce côté, la situation était moins inquiétante, Meijuk ayant trouvé le repère des deux nains, repère disposant de nourriture, d'un bon feu, de couches, en somme du nécessaire pour reprendre des forces. Dimitre semblait aller un peu mieux, le poison injecté par un petit aiguillon de berserker ayant trouvé remède auprès de Liu, fin connaisseur en la matière et traînant avec lui tout un attirail de dangereux poisons mais aussi de remèdes salvateurs.
Siegard ne reprit connaissance que plusieurs heures après le nouveau combat. Il était désolé de ne pas avoir pu porter main forte à ses amis, à deux reprises déjà. Du moins eut-il une réponse à apporter concernant la tempête qui s'était levée, tempête qu'il nomma fureur de Thrym.
« Thrym est le seigneur des Géants de Glace. C'est le « Géant à la double hache », le « Porteur de la couronne aux larges cornes » .... Thrym est un adversaire d'Odin. Surtout, si on en croit la légende, il hait Thor qui le tua selon un plan machiavélique de Loki, du temps où se dernier séjournait auprès du maître d'Asgard. On dit que Thrym aurait trouvé refuge auprès de Hel, dans les enfers où la déesse de la mort règne sans partage. Thrym serait parfois invoqué par des prêtres obscurs, revenant en Asgard, faisant tournoyer sa grande hache de glace dans les airs, provoquant les pires tempêtes de glace qui soient ... »