Chapitre IX : Le Courroux Divin

 

Sur les traces de Maiegeiam

 

Les yeux se refermèrent lentement tandis que les mains repliaient délicatement le parchemin. Mâa récita mentalement les lignes qu'il venait de lire, afin de s'en imprégner davantage.

« Lettre de mission : sur les traces de Maiegeiam !

1 - Retrouvez Maiegeiam coûte que coûte.
2 - Le ramener au Sanctuaire ou lui ôter la vie.
3 - Danger : les serviteurs de Poséidon sont également sur ses traces, il faut le retrouver avant eux pour que Maiegeiam ne tombe pas sous la coupe du Seigneur des Océans, il en va de l’honneur du Sanctuaire. C’est à Athéna et non à son oncle de le juger. »

- Vous dites, Maître Yolos, que si nous menons à bien cette mission nous deviendrons les « porteurs du Courroux Divin ». Vous affirmez que pour rejoindre nos compagnons dans la quête de nos Armures, nous devons à tout prix porter ce titre ... Mais vous ne nous dites pas en quoi consiste ce fameux titre ...
- Shiro, je ne vous apporte que l'essentiel. Celui qui doit retenir toutes vos attentions à présent, c'est Maiegeiam. Retrouvez-le, alors je vous expliquerai de quoi il retourne précisément quant à ce titre.

Graal se leva et se mit à marcher entre les éphèbes, lentement. Il sembla chercher ses mots avant de compléter les paroles de Yolos.

- Rien ne vous empêche de rechercher ce qu'est ce titre mais, j'insiste, comme Yolos, Maiegeiam doit obnubiler vos pensées, le temps presse, ce personnage représente un très grand danger pour le Sanctuaire.
- Sans compter que les serviteurs de Poséidon ne vous attendront pas ! Il vous faudra partir au plus vite, être efficaces, discrets ... une tâche ardue s'il en est, mais ô combien cruciale. Athéna a mis sa confiance en vous, prouvez-lui que vous en êtes dignes, compléta Yolos.

Un léger souffle de Meltem accompagna le silence de Yolos. Graal conclut qu'il était temps pour les éphèbes de se prendre en main et quitta la pièce en compagnie de son compagnon. Chacun demeurait dans ses pensées. Tant de choses s'étaient passées, en si peu de temps, qu'il était difficile de penser rationnellement. Le premier, Frank brisa le silence devenu oppressant.

- Vous croyez que nos amis vont bien ?
- Je l'espère de tout cœur en tout cas. Tout s'est passé si vite ... On aurait dit que les étoiles venaient les chercher les uns après les autres, je n'avais jamais vu un tel spectacle. C'était si beau, et si effrayant à la fois, conclut Asturias. « En tout état de cause, nos adversaires du tournoi ont, eux aussi, rejoint leurs camps d'entraînement, si l’on se fie aux dire de quelques gardes : Xantipolapoulos pour « Grue »,  Bamos pour « Cassiopée » et  Minosandre pour «Lionnet ».
- Décidément, intervint Macubex avec un sourire narquois, « les murs ont des oreilles ici. Je pensais que ces informations étaient pour le moins secrètes ... Enfin, trêves de palabres inutiles, je crois que Graal et Yolos ont été assez clairs, nous avons du pain sur la planche. Le temps joue contre nous, il va nous falloir optimiser nos recherches. Je pense que nous devrions nous séparer. »
- C'est aussi ainsi que je vois la chose, convint Shiro. « J'aimerais beaucoup pour ma part passer du temps dans la grande bibliothèque. Je pense que nous pourrions trouver des indices sur ce Maiegeiam, des textes révélant son pouvoir, nous donnant de précieuses indications. »

- Dans ce cas, j'aimerais beaucoup t'accompagner Shiro. Je suis un véritable rat de bibliothèque et je pense comme toi que notre expédition réussira d'autant mieux que nous connaissions notre adversaire désigné.
- Et bien soit. Shiro et Asturias ont choisi de rester ici. Et vous deux ? L'un de vous serait prêt à me suivre en dehors du Sanctuaire ? Je pense aller chez un vieil ami qui pourrait nous donner des renseignements précieux.
- Tu penses à ce Bombadilos, coupa Frank en se grattant le menton. « C'est une bonne idée l'Etranger, je viens avec toi. »
- Moi aussi. Si comme Maîtres Yolos et Graal nous l'ont indiqué, les serviteurs de Poséidon sont aussi sur les traces de Maiegeiam, nous ne serons pas trop de trois pour parer à toute éventualité.
- Qu'il en soit ainsi, conclut Shiro d'une voix ferme. « Je propose que nous nous donnions rendez vous à Hattousa, dans une lune au plus tard. Notre entraînement nous permet de parcourir maintenant des distances surprenantes, je pense ainsi que ce délai est raisonnable. Asturias et moi mènerons nos recherches ici avant de rejoindre la bibliothèque d'Hattousa. Ce Bombadilos n'est pas très éloigné de la cité de Cybèle aussi ... »
- ... aussi tu as raison. Hattousa est le point de rendez-vous tout désigné Shiro, il sera bon de s'y retrouver, compléta Mâa en souriant.

Après s'être encouragés, les élus se séparèrent comme convenus. Macubex, Frank et Mâa eurent tôt fait de préparer leurs paquetages et quittèrent le Sanctuaire le soir même pour le Caucase. Ils prirent la décision de rejoindre le port  d’Araphen et d'y rechercher un navire pouvant les conduire directement en Caucase. Quant à Asturias et Shiro, ils discutèrent beaucoup avant de rejoindre la bibliothèque. Finalement, les deux hommes ne se connaissaient pas tant que ça et chacun était désireux de combler cette lacune. Leurs esprits curieux de tout purent se satisfaire des récits décrivant pour l'un la Dalmatie, pour l'autre la mystérieuse Inde, chacun se promettant à son tour d'y conduire son compagnon lorsque les temps seraient moins agités. Après une nuit de conversation ininterrompue, les deux amis se décidèrent enfin à rejoindre la grande bibliothèque.

« Ne fais pas attention au caractère de Ménandre, le grand copiste et scribe. Il est un peu bougon mais il a un bon fond, je suis certain qu'il saura nous aider », insista Asturias en conduisant son ami au devant de la grande porte qui menait à l'un des principaux centres de savoir de toute la Grèce.

La porte s'ouvrit sans un bruit, laissant une atmosphère bien étrange sortir du lieu. Les odeurs mêlées de bougies, de parchemins et de papyri ajoutaient une part de mystère à un lieu totalement silencieux et en apparence vide de toute vie. Les deux compagnons s'avancèrent sans un bruit, presque religieusement, lorsqu'une voix les stoppa net dans leur course.

« Eh là ! Je vous tiens chenapans ! C'est encore deux de ces rustres guerriers qui viennent troubler le sommeil du savoir ancestral accumulé dans MES murs ! »

Shiro regarda Asturias d'un air complice et lui souffla doucement en coin « Je comprends mieux le terme de bougon, c'est Ménandre je suppose ». Avant que le Dalmate eut pu répondre, le scribe se rapprocha en hâte et reconnaissant Asturias parut plus détendu.
- Ah, c'est toi, fit Ménandre d’un air soulagé. « Tu viens encore chercher des recueils improbables sur Eluontios ou je ne sais quelle divinité étrangère ? »
- Et bien, pour ne rien vous cacher, il y a un peu de cela. Nous aimerions savoir si vous avez des ouvrages sur Maiegeiam.

Ménandre prit un air sombre et sembla marmonner quelques mots inintelligibles. Il finit par soupirer un simple « oui » et fit signe aux deux élus de le suivre dans les dédales des étagères de la bibliothèque. Le trio rejoignit un espace reculé de la pièce qui ouvrait sur une petite salle d’étude circulaire.

« Voilà, rentrez ici et installez-vous. Maître Graal m'avait prévenu que vous viendriez certainement ici, enfin il pensait que vous seriez plus nombreux. J'ai fait mener tous les écrits sur Maiegeiam : 473 papyri, 765 parchemins, 1293 tablettes en argile. Bon courage. »

Ménandre s'éloigna sans un mot, laissant Shiro et Asturias sans voix devant l'ampleur de la tâche qui les attendait. « Je crois que nous n'allons pas beaucoup dormir », finit par lancer ce dernier avec un sourire forcé. « J'espère simplement que tout est en grec relativement simple », rétorqua le second, « je ne pense pas que nous soyions encore capables de nous frotter à du grec trop évolué ». Las, Shiro n'avait pas tort. Non seulement la langue utilisée était complexe, un grec archaïque très évolué et peu accessible au tout venant, mais en plus de nombreux textes étaient en écriture cunéiforme de Mésopotamie, en hiéroglyphes sacrés d'Egypte et autres écritures runiques inconnues ...

Installés dans un bienheureux capharnaüm de tablettes, papyri et de parchemins, les deux hommes ne cessaient de retourner et d'agiter les documents qui s'offraient à eux. Le regard concentré, Asturias prenait des notes sur son petit calepin de voyage, à la reliure de cuir craquelé et bruni par le temps.

Aidés et assistés par Ménandre, le scribe en chef du Sanctuaire, ils ne cessaient de chercher des traces du moindre indice intéressant, devant en même temps traduire des textes dans des langues nouvelles pour eux … L'ordre était venu de maître Yolos en personne, tous les moyens étaient donc bon pour progresser dans cette mystérieuse course contre la montre.  Les tenants et les aboutissants leur échappaient encore, mais pour l'heure, l'objectif était la recherche d'indices, la recherche d'écrits susceptibles de lui en apprendre le plus possible.

La bibliothèque sacrée offrait des perspectives ahurissantes. Hélas, par manque de temps, tout ne pouvait être étudié, tout ne pouvait être analysé. Poussant un soupir, Asturias se leva, une pile de documents sous le bras, Shiro achevant de son côté de compulser ses propres notes.

« Messire Ménandre, nous avons bien travaillé, mais beaucoup d'éléments restent pour l'instant en suspens. Pourriez-vous nous rendre un service ? Certaines pistes méritent que l'on s'y arrête. »

Voyant qu'il avait l'attention du scribe, Asturias poursuivit.
- Voilà, il pourrait être particulièrement intéressant que nous trouvions trace du grand maître Erudit Anaximandre. J'aurais bien aimé le faire moi-même, mais nous devons pour l'heure rejoindre de toute urgence nos compagnons dans la ville sacrée d'Hattousa, les semaines ont passé, le temps joue contre nous. Pourriez-vous voir si cette auguste personne est encore en vie, s'il a des disciples, ou peut être qu'il a écrit ou fait écrire d'autres œuvres majeures ? Puis-je comptez sur vous ?
- Pourquoi vous intéressez-vous à cet auteur ?
- C'est simple, répondit Shiro en se levant à son tour, « son nom revient souvent dans les divers écrits que nous avons rassemblés. Il semble parfaitement connaître Maiegeiam. »

- Je vois ... Anaximandre ... ce vieil Anaximandre, marmonna Ménandre en se grattant le menton. « Oui, je le connais bien ce vieux bougon. Il vit toujours à ce que je sais. Il est parti voilà des années en quête de nouveaux savoirs dans la riche et prospère Mésopotamie. Cette contrée est aujourd'hui terriblement dangereuse depuis qu'Enlil, le dieu suprême de ce pays a commencé à déchaîner les éléments contre tous les visiteurs traversant son domaine ... Pour revenir à Anaximandre, j'ai eu des nouvelles de son périple, l'année dernière. Il avait quitté la Mésopotamie pour s'installer en Egypte afin de mener de nouvelles recherches. Il résiderait désormais seul à Tanis. C'est la principale cité d'Egypte qu'il soit possible d'atteindre pour un étranger, les dieux égyptiens barrant par un sortilège l'entrée de toutes les autres cités. Voilà tout ce que je sais ! »
- Merci Ménandre, ces informations sont très intéressantes. Nous reviendrons sûrement vous voir bientôt, en attendant, veillez comme vous savez le faire sur ces richesses.

Le scribe ne put retenir un rictus de satisfaction devant la reconnaissance de son travail et conduisit les deux compagnons vers le couloir principal menant à leurs chambres. Asturias et Shiro étaient exténués après des nuits sans sommeil, il fallait qu'ils dorment avant de prendre la route pour Hattousa. Une fois seuls, ils échangèrent quelques mots avant un repos bien mérité.

« Les informations concordent toutes, ce Maiegeiam est dangereux Asturias. Regarde par exemple ce que j'ai découvert dans un recueil traitant de l'Occident. »

L'Hindou tendit un parchemin griffonné de multiples notes et indiqua quelques lignes qu'il avait surlignées :

« Les Terres d'Occident

*Région riche et verdoyante, l'Occident comporte toutes les formes de Déesse-Mère : vastes plaines, riches vallées, montagnes ardues, forêts innombrables. Les cours d'eau sont légions, nulle doute que ces contrées ont été choyées par Déesse-Mère notre mère.

*La population est clairsemée, ce qui pourrait surprendre aux vues des possibilités offertes par la nature. Pourtant tout a une explication. En effet l'Occident se distingue des autres contrées connues par une absence de réelle divinité dominante. De ce fait, de nombreux hommes ayant découvert la voie de la Divinité se sont intéressés à ces terres, générant de nombreux conflits. Ce sont ces derniers, nombreux et récurrents, qui expliquent à eux seuls la faiblesse de la population. D'ailleurs cette dernière est particulièrement farouche, hostile, belliqueuse. Une des particularités de l'Occident est la persistance de nombreux druides et magiciens. Sous l'influence du dernier des grands magiciens, Maiegeiam, ces druides sont parvenus à maîtriser un pouvoir qui échappe aux dieux, un pouvoir autre que le Souffle Divin, celui de la magie, noire ou blanche. La première représente le mal, la seconde est associée au bien-être des hommes.

*Aucune cité n'est connue en Occident. Tout au plus de nombreux fortifications, sanctuaires, villages ... Les peuples sont très divers, des simples peuples de bergers des montagnes aux farouches guerriers barbares des forêts sombres, en passant par les maîtres forgerons, les Nains qui ont survécu à la Grande Guerre de l’Âge d’Or.

Anaximandre - rapport de voyage - »

- Tu as vu, insista Shiro, le premier paragraphe : Déesse-Mère, comme lors de notre périple à Hattousa ... quant au second, Maiegeiam y est représenté comme un être vraiment puissant.
- Je vois oui, s'inquiéta Asturias en fronçant les sourcils. Regarde ce que j'ai pu trouver, entre autres textes, cela recoupe tes découvertes.

A son tour Asturias ouvrit son précieux calepin qu'il tendit à son ami à une page marquée par une minuscule étoffe de lin.

« Le Magicien de Thira

Maiegeiam
 
*Maiegeiam fut un des premiers hommes à découvrir les arcanes de la grande magie. Au départ cet être servait le dieu Thot en Égypte, avant qu'il ne décide de se retirer sur l’île de Thira, seul, afin de perfectionner son savoir. Chose extraordinaire, Maiegeiam a découvert un moyen d'accéder au statut de divinité sans maîtriser le Sens Ultime ! Et pourtant c'est bien un dieu, Hermès l'a certifié pour les dieux de l'Olympe, Thot pour ceux de l'Égypte.

*Maiegeiam ne se soucie d'aucune cause. Le respect des dieux, la morale sont des concepts tout à fait accessoires à ses yeux. Seule la maîtrise de la magie compte. En ce sens, Maiegeiam est réellement étrange, et il serait difficile de lui faire confiance. Il prodigue beaucoup de conseils à ses visiteurs, allant jusqu'à accepter des disciples. Un de ses disciples les plus célèbres demeure le Mésopotamien Ahrîma, ancien prêtre au service du dieu Nergal. Il est toujours possible de rencontrer de par le monde des disciples, des prêtres même de Maiegeiam. Ces derniers sont d'une aide précieuse dans l'utilisation ou l'identification d'éléments extraordinaires. On raconte que Maiegeiam fut appelé en aide par Cybèle afin de sceller le labyrinthe magique d'Hattousa, que Poséidon le consulta pour la création des écailles recouvrant ses serviteurs.

*Depuis quelques années et la destruction par une force inconnue de son île, Maiegeiam n'est plus réapparu.

Anaximandre de Thira »

- Nous avons, je crois, découvert de sérieuses pistes. Reposons-nous du mieux possible et rejoignons Hattousa au plus vite, nos amis doivent être prévenus, insista Shiro.
- Tu as raison. J'espère qu'eux aussi ont trouvé des pistes intéressantes ! Je me demande tout de même à quoi peut correspondre ce fameux Sens Ultime, s’interrogea à voix haute le Dalmate en cherchant, en vain, des indications supplémentaires dans les textes qu’il parcourait.

***

 

Après un dernier salut, les trois compagnons se couchèrent, le sommeil ne tardant pas à les prendre. Dès le lendemain matin, alors que le soleil tentait désespérément de transpercer l’épais manteau nuageux qui couvrait la vaste plaine, les trois compagnons se mirent en route. « Nous voilà bien avancés ! » pesta Mâa en sortant de l'humble demeure à demi-enterrée de Bombadilos.

Macubex ne pouvait cacher sa gêne. C'était lui qui avait mené ses compagnons en Caucase, certain que son vieil ami Bombadilos, « le fou du Caucase » comme il aimait à se faire appeler, pourrait les aider. Le voyage depuis le Sanctuaire avait été paisible. Un bateau les avait conduits d'Araphen jusqu'aux côtes caucasiennes. Quelques jours de marche avaient suffi pour rejoindre la demeure du vieil érudit. Frank avait été le premier à remarquer que la campagne était vide de toute vie, même le ciel azur était vide. Pas la moindre trace d'un quelconque oiseau ou du moindre animal. Bombadilos avait été très accueillant, comme à son habitude. Il fut ravi par les présents culinaires apportés par le trio, suivant en ce sens les recommandations de Macubex qui savait qu'il fallait mettre le vieil homme dans de bonnes dispositions pour qu'il parle.

- Je pensais vraiment qu'il pouvait nous aider. Il ne nous reste plus qu'à retourner à Hattousa, avança Macubex en scrutant l'horizon sans conviction.
- Ne t'en fais pas l'Etranger, ce n'est pas de ta faute. Ce vieux fou nous a au moins confirmé qu'Hattousa nous apporterait des réponses.
- Soit, reprit Mâa qui ne pouvait cacher son mécontentement, mais nous avons perdu un temps précieux en venant ici ! Je ne t'en veux pas Etranger, mais ce vieux fou a une réputation exagérée ! Au moins, nous le savons maintenant, nous ne nous ferons plus avoir !

Sans tarder, le trio se mit en route vers Hattousa, en filant plein sud vers les montagnes du Caucase qu'ils avaient franchie voilà plusieurs mois maintenant lors de leur quête initiatique. Les premiers jours de marche passèrent comme les suivants, paisiblement, sans qu'aucune trace de vie n'apparût. Finalement Macubex fut le premier à remarquer des traces de pas au bord d'un ruisseau. « Des voyageurs sans doute, peut être pourraient-ils nous apprendre quelque chose, cette absence de vie n'est pas normale ». C'est par ces mots que Mâa convainquit ses deux amis de suivre les traces qui les menèrent à un campement en plein cœur des sinistres montagnes grises du Caucase. Frank avait proposé de ne pas se dévoiler tout de suite, sentant un possible danger, et les faits lui donnèrent raison. Le campement était tenu par trois guerriers aux armures bleutées, portant des casques semblables à ceux que portaient les gardes d’Argos, mais aucune arme apparente. « Ces hommes sont des guerriers sacrés. Comme nous, ils n'ont pas d'arme, mais je ressens quelque chose, mon intuition, enfin, je ne sais pas comment l'expliquer, mais je sens un pouvoir en eux », murmura Frank à ses amis qui comme lui se tenaient cachés derrière un gros rocher. Macubex et Mâa s'avancèrent doucement pour mieux les observer.

« Je pense que ce sont des guerriers de Poséidon, la couleur de leurs armures rappelle la mer, ils n'ont pas d'armes, comme Frank je ressens une sorte de pouvoir étrange, un peu comme le Kosmos qui émane de Yolos ou de Graal. »

Macubex se retourna vers Mâa.
« Tu as sans doute raison ... que proposes-tu ? »

Mâa le regardait, tapi dans l'ombre.
« Nous allons attendre le bon moment et fondre sur eux. Mais essayons d'en capturer un afin qu'il parle. »

Macubex était sceptique, mais lui accorda sa confiance, d'autant que Frank montra son approbation. Les trois élus sautèrent sur les guerriers, découvrant une nouvelle fois que leur entraînement leur avait donné des facultés extraordinaires, se mettant dos à dos pour n'offrir que peu de brèches face aux attaques répétées des guerriers qui avaient esquivé cet assaut et ripostaient maintenant de toutes leurs forces. Très rapidement les guerriers de Poséidon mordirent la poussière, semblant très handicapés par des armures certes solides mais beaucoup trop lourdes pour eux. Au final, deux d'entre eux gisaient face contre terre et le troisième, sous l'effet de la peur, négocia sa liberté contre des informations. Mâa sut en effet se montrer persuasif et le serviteur de Poséidon avoua que lui et les siens étaient sur les traces de Maiegeiam depuis des semaines : « Nous l'avons suivi jusque dans le Nord de la Grèce puis nous avons perdu sa trace après un puissant orage. La Dalmatie, la Germanie... je ne sais plus exactement où nous étions alors arrivés. Il existe des livres qui nous avaient renseignés à Hattousa. C’était notre épreuve et nous avons échoué. Je ne pourrais jamais devenir un Néréide au service de Poséidon, il ne me reste que la fuite … »

Mâa relâcha comme convenu le garde qui détala la peur au ventre. Les trois compagnons repartirent donc à Hattousa chercher d'éventuels ouvrages parlant de Maiegeiam ou de magiciens accomplis, espérant y retrouver leurs amis Asturias et Shiro.

 

Les érudits d'Hattousa

 

 

« Courroux divin

Il fut un temps où les dieux vivaient en harmonie avec les Hommes.
Il fut un temps où la nature était aussi pure qu'une neige à peine tombée sur le sol d'hiver.
Il est un temps désormais où les dieux se querellent.
Il est un temps où des hommes ont reçu le droit de faire disparaître les dieux.
Voici le temps des porteurs du Courroux Divin.
Voici le temps des hommes qui protégés par leurs divinités peuvent commettre le crime absolu.
Voici le temps des déicides initiés par les dieux.
Viendra le temps de la fin des dieux.
Viendra alors le temps du désespoir ou de l’espoir.

Poème attribué à Maiegeiam »

Shiro replia le manuscrit qu'il venait de lire à haute voix à ses amis. Asturias, Frank, Macubex et Mâa étaient assis à ses côtés dans une petite salle de la bibliothèque du sanctuaire d'Hattousa. Ce retour dans la cité sacrée les avait tous émus ; c'est ici que tout avait commencé. Shiro et Asturias étaient arrivés les premiers, ils avaient été accueillis par Youbdino qui leur avait permis de séjourner dans leurs anciens appartements. La bibliothèque était ouverte à tous les anciens pèlerins et les deux éphèbes mirent donc cet honneur à profit pour poursuivre leurs recherches avant le retour de leurs trois compagnons.

- Ce poème est très beau, mais il est triste ! Ce « Courroux Divin », c'est bien ce titre que nous convoitons ? questionna Frank.
- Je n'en sais rien, rétorqua Macubex, « mais, si je sais lire entre les lignes, ceux qui portent le Courroux Divin peuvent tuer des dieux.
- Blasphème ! s’emporta Mâa d’un revers de la main. « On ne touche pas aux divinités, c'est une hérésie! »
- Je comprends ton trouble Mâa, et je le partage, reprit doucement Shiro, « mais je dois dire que je comprends la même chose que notre ami. Allons, nous verrons ça plus tard, nous vous avons expliqué que nous avons trouvé plusieurs textes sur Maiegeiam, des indices très intéressants. Et vous ? »

Macubex prit la parole après avoir cherché ses deux compagnons du regard, qui lui firent signe de parler en leur nom.
- Nous n'avons rien appris de Bombadilos. En venant ici nous avons croisé le chemin de serviteurs de Poséidon à la recherche de Maiegeiam et nous avons découvert que ce dernier avait été aperçu dans le nord de la Grèce. Enfin il y a eu ... le songe.
- Le songe ? s’enquit Asturias intrigué.
- Oui, reprit son compagnon. Hier au soir, nous nous sommes endormis dans L'Auberge des Voyageurs Anatoliens, nous voulions arriver ici en plein jour. Nous avons fait le même rêve : nous étions tous les trois face à Cybèle : elle nous livrait un oracle qui disait « Il est dans un monde froid et sombre peuplés de morts. Un fou détient la clé des marches».
- Vous avez tous fait ce même rêve ?
- Oui Shiro, tous ! répondit Frank qui ne cachait pas une certaine gêne face à cette étrange expérience.
- Nous pensons que le « il » est Maiegeiam, car dans nos rêves nous entendions son nom être murmuré par une voix presque imperceptible. Maiegeiam doit être au milieu des morts. Quant au fou je ne vois que Bombadilos, même si notre dernière rencontre ne fut pas couronnée de succès.

Les élus se turent, plongeant chacun dans leurs pensées. Sortant de sa réflexion, Asturias prit la parole après les explications de Macubex.

« Ce sont des pistes sérieuses et extrêmement intéressantes, l'Etranger. Les spectres des morts planent ainsi une fois de plus sur nous. Je n'ai aucune certitude mais la description qui est faite du lieu où Maiegeiam séjournerait d'après l'oracle me fait penser à la Dalmatie. Car c'est effectivement un pays sombre et froid, balayé par un vent glacial, menacé par des ombres constantes et incertaines. Les secrètes forêts sont encadrées par de hautes montagnes acérées, comme si les dieux eux-mêmes avaient décidé d'isoler ce royaume. Si ce pays connut un jour la quiétude ou la prospérité, nul écrit n'en a jamais fait mention. Les modestes villages d'homme qui ont pu survivre et s'installer ressembleraient partout ailleurs à des fortifications. Les adolescents, dès leur plus jeune âge, sont entraînés au combat. »

Asturias reprit son souffle un instant, avant de reprendre, une lueur dangereuse brillant dans les yeux du jeune homme d'ordinaire si posé. Ses compagnons le regardaient et l'écoutaient attentivement, ne perdant pas un mot de sa démonstration.

- Mais comme tu l'indiques, les …, il montra un signe de nervosité, « morts vivants, ces maudits deux fois nés, font régner la terreur dans cette région. Il ne fait pas bon courir la lande seul ou, pire encore, la nuit tombée. Un puissant monastère dont on ne connaît pas les origines a cependant permis de créer un semblant de havre de paix, permettant ainsi aux hommes de s'établir durablement dans cette région inhospitalière. Ce monastère est un lieu d'érudition où nous pourrions trouver grande connaissance, je m'en porte garant, c'est de là que je viens. »
- Tes remarques sont judicieuses Asturias, je pense que nous devrions en effet mener nos recherches dans ce pays, Maiegeiam a été aperçu par les sbires de Poséidon dans le nord de la Grèce, donc non loin, si je ne m'abuse, de ta Dalmatie natale, compléta Mâa.
- Certes Mâa, mais permets-moi de poursuivre. Asturias sortit son calepin de cuir craquelé et l’ouvrit sur une page noircie de notes diverses et à peine lisibles pour un regard non exercé. « Je crois que nous avons trouvé une autre piste plus intéressante encore peut-être en compagnie de Shiro lors de nos recherches. Pour ce qui est l'autre segment de la prophétie de l'oracle, un fou détient la clé des marches, la piste que tu émets à propos de Bombadilos me parait judicieuse l'Etranger. Restera aussi à déterminer ce que signifient ces Marches. »
- J'ai peut-être une idée, dit Frank d'une voix timide. Dans mon pays, les Marches sont les espaces frontières avec d'autres mondes ou d'autres pays ... peut-être que ...
- Excellent Frank ! Je crois que les pistes deviennent de plus en plus sérieuses !
- Tout à fait Shiro, et tu as raison d'intervenir Frank, tous les savoirs sont utiles. Voici ma dernière idée. Si la finalité de notre expédition est réellement de ramener Maiegeiam mort ou vif, en savoir le plus possible sur lui ne serait pas superflu. Car il n'est rien de moins que le mage le plus puissant connu sur cette terre, mortel ayant percé le secret des Grandes Arcanes. Être pragmatique dirigé par son seul intérêt personnel, on dit de lui qu'il ne distingue ni mal, ni bien, seuls la magie et le savoir comptent à ses yeux. Dans les temps anciens, il formait des apprentis, ses laquais, dont la puissance était telle que nul ne put leur résister. Ahrîma était loin d'être le plus talentueux, mais le plus ambitieux peut-être... l'histoire aura permis de voir le résultat. Au retour de l'Indicible je n'ai pu qu'être effrayé de la signification de tout ceci, mais les événements personnels de notre appel auprès d'Hattousa me détournèrent de ces sujets bien plus préoccupants... Des forces d'une puissance sans pareille sont en train de se mettre en branle, lentement et une à une. Des ordres anciens se réveillent dont on ne peut que craindre le retour. Mais pour rebondir sur le sujet plus précis de notre mission, Maiegeiam, j'aurais une question à te poser Mâa. Toi qui viens de la mystérieuse et prospère Egypte, que sais-tu sur le Dieu Thôt ?

« Toi qui viens de la mystérieuse et prospère Égypte que sais tu sur le Dieu Thôt ? » A ces mots, les images de sa terre natale affluèrent en lui... l'Égypte lui manquait... son tuteur était-il toujours vivant... son peuple souffrait il ?... Puis il se reprit :
« Hum, oui Asturias je puis te conter tout ce que je sais de lui. En Egypte voici comment il est représenté. »
Il prit un morceau de papyrus et y traça à l'aide d'un petit stylet, qui ne le quittait jamais, une ébauche de portrait...
« Dieu égyptien ; à Hermopolis il est la divinité suprême ; il possède le corps d’un homme et la tête d’un ibis. Vénéré comme le dieu de la parole créatrice, de l’écriture et du calcul, et considéré comme le scribe des dieux et la mesure du temps, il est le protecteur des scribes ; en outre, dans l’au-delà il est préposé à la psychostasie, pesée de l'âme. Il joue un rôle important lors du jugement dernier, durant la cérémonie de la pesée du cœur. »

Il fit une courte pause et repris
- Il est chargé de l’écriture, de la lecture, des mathématiques et de toutes les occupations ayant trait à la culture et à la profession de scribe. A travers sa connaissance des hiéroglyphes, il contrôle également la magie et les magiciens. Selon la légende, celui qui est capable de déchiffrer les formules magiques du livre de Thôt peut espérer surpasser même les Dieux. Asturias, dis-moi d'où tu connais ce nom ? Et qu'est-ce qui te fait penser que ce Dieu égyptien soit mêlé à tout ceci ... et non l'Indicible ?

Mâa était intrigué, Asturias avait plus d'une fois prouvé sa clairvoyance et il le considérait comme un brillant érudit, raison pour laquelle ils s'appréciaient ... Parcourant son petit calepin de voyage, Asturias entreprit de reproduire aussi bien que faire se put le dessin effectué par Mâa. Fronçant les sourcils du fait de la concentration, il s'efforça de n'omettre aucune des arabesques et subtilités du dessin que son compagnon improvisait.

- Pour répondre à ta question mon ami, il semblerait que Maiegeiam, lorsqu'il était encore un homme « ordinaire », servait Thôt. Était-il égyptien lui-même ? Ou était-il un voyageur attiré par les préceptes de ce dieu ? Nul ne le sait désormais. Sauf, peut-être, un homme, un grand homme devrais-je dire, du nom d'Anaximandre. C’est un maître érudit passionné aussi bien des conflits politiques, que de choses plus simples de la vie comme la botanique. Mais l'un de ses domaines de prédilection, qui lui attira renommée et respect auprès de ses pairs, furent ses importants travaux et recherches effectués sur le sujet qui nous anime en cet instant : Maiegeiam. S'il y a bien une personne à ma connaissance qui pourrait nous en dire plus à ce sujet c'est bien lui, il réside actuellement à ma connaissance à Tanis, une ville d'Egypte. Peut-être la connais-tu d'ailleurs, Mâa ? Car je ne vous cache pas que de se frotter à un être désormais plus proche du mythe que de l'homme n'est pas pour me réjouir.
- Je dois dire que je partage l'analyse d'Asturias, compléta Shiro. Toutes nos lectures ont mené à cet Anaximandre, point de doute qu'il détienne un savoir susceptible de nous aider !

Asturias referma son calepin et se leva. Ses yeux de braise en amande se mirent à scintiller comme les étoiles. Il posa une main chaleureuse sur son compagnon et s’adressa à l’ensemble de ses amis d’une voix emprunte d’excitation.
« Tout à fait Shiro. On peut appeler ceci de la peur si vous voulez, mais c'est au minimum du réalisme. Maiegeiam a su résister à la pression d'une multitude de Dieux dans les siècles précédents et ses apprentis ont changé une partie de la face du monde. Tu évoquais à très juste titre, Mâa, le spectre de l'Indicible. L'élève a peut-être dépassé le maître, c'est peut-être lui qui tire les ficelles désormais, ou alors ils sont éventuellement rivaux depuis des temps immémoriaux. Je ne cherche pas à médire sur nos capacités, mais il faut se rendre à l'évidence notre mission n'est pas moins que de ramener de gré ou de force l'égal d'un dieu. S'il avait suffi d'un coup d'épée comme notre ordre de mission nous le suggère pour nous rassurer, je suis bien étonné que tout ceci n'ait pas été fait avant. J'imagine mal que l'on puisse surprendre le mage ultime d'un coup de marteau sur la tête et le traîner par une jambe jusqu'en Grèce. Pire que ça, personnellement je n'ai pas encore établi de jugement définitif à son encontre, faute d'informations sur cet être mystérieux et légendaire. Je ne sais pas quelle responsabilité il peut avoir dans le malheur du monde, car nul doute qu'un être de sa force peut changer le cours de nombreuses choses. Tuer sans savoir ce que je fais ne m'exalte que fort peu. Le dogme d'Athéna n'est-il pas de protéger les hommes et non de les tuer ? Ainsi notre mission est claire, le ramener mort ou vif avant que les serviteurs de Poséidon ne le rejoignent. Car, pour l'instant, nous nous focalisons à juste titre sur comment localiser Maiegeiam, mais n'oublions pas de voir par avance ce que nous ferons lorsque nous serons sur place. Avant de l'atteindre, nous devons donc être capables de répondre même imparfaitement à ces deux questions : Comment combattre l'égal d'un dieu ? Comment convaincre par des mots un être vieux de plusieurs siècles dont le seul maître mot de sa vie connue fut la magie ? Bombadilos l'Ermite, le vieux monastère sacré de Dalmatie, ainsi que de futures recherches dans les bibliothèques à notre disposition pourront vraisemblablement nous donner des pistes à suivre. Mais, si nous estimons que dans la course folle lancée avec les suivants de Poséidon il nous reste un peu de marge, alors je pense qu'un petit séjour en Égypte serait fort utile. »

A bout de souffle, Asturias se tut. Son discours avait fait son effet, ses compagnons avaient été emportés par sa force de conviction.

- Je pense que nous ne devrions pas nous séparer maintenant : allons ensemble le plus tôt possible pour l'Égypte. Argos regorge de navires assurant la liaison entre la Grèce et l'Egypte si mes souvenirs sont exacts. Accordons-nous une journée de repos ici même puis partons.
- Oui, l'Etranger a raison. Je suis arrivé de Tanis à Argos, nous y trouverons certainement des navires, acquiesça Mâa.
- Dans ce cas ... je suggère que nous partagions un bon repas ensemble, dit Frank en se levant. « Allons mes amis, je crois que nous l'avons bien mérité non ? »

C'est avec un large sourire que ses compagnons lui répondirent. Au même moment, à des milliers de kilomètres de là, une ombre s'avançait dans la pénombre d'une grotte sinistre, d'où émanait un souffle irréel. « Te voilà : la Mort t'attend, viens ».

 

Périples marins

 

Ce fut sans encombre que les éphèbes retrouvèrent le chemin d'Argos. La cité de Poséidon était en pleine effervescence depuis que des guerriers sacrés du dieu des océans avaient été retrouvés morts aux quatre coins de la Grèce, victimes de meurtriers inconnus. Tout juste savait-on que les corps avaient souvent été atrocement mutilés et que les blessures infligées n'avaient rien de connues. Les cinq compagnons déambulaient le long des quais de Nauplion à la recherche d'un navire pouvant les conduire en Égypte. Suivant les conseils de Macubex, les serviteurs d'Athéna s'étaient enroulés dans des manteaux poisseux, tels de simples voyageurs à la recherche de quelque travail pour survivre. C'est en usant de cette ruse que les cinq hommes purent se faire engager sur un modeste bateau de pêche reliant Nauplion à Tanis.

- Pêcheurs ... et bien, nous en aurons fait des choses pour Athéna !
- C'est gratuit et cela n'attirera pas l'attention sur nous. Les gardes de Poséidon sont assez nerveux, autant passer inaperçu Shiro.
- L'Etranger a raison, dit Asturias en prenant soin de bien fermer son sac et de ranger précieusement son calepin. « Cette histoire de guerriers sacrés assassinés aux quatre coins de la Grèce est tout de même étrange ... Vous avez déjà réussi à venir à bout de trois d'entre eux sans grosse difficultés selon votre récit ... je me demande si Poséidon dispose de réels guerriers à la hauteur de sa stature de grande divinité olympienne. »
- Je ne m'en fais pas pour lui, rétorqua Macubex en faisant signe que le capitaine du navire les attendait. « Je suppose que, tout comme Athéna, Poséidon envoie de simples éclaireurs ou apprentis dans un premier temps. Je ne doute pas qu'il dispose de réels guerriers capables de rivaliser avec Yolos ou Graal. »
- C'est aussi ce que je crois. Enfin, ne tardons plus, la pêche nous attend !

Frank était le plus enthousiaste de tous. Il aimait par-dessus tout la nature et être avec ses amis. Découvrir une nouvelle activité le remplissait d'impatience et il fut le seul à trouver son compte dans la traversée les menant vers Tanis. S'il n'y eut pas de tempête à déplorer, la houle constante ralentit la course du navire, générant des troubles digestifs que Mâa et Frank eurent le plus grand mal à résoudre. C'est par une fin de journée plus calme que Tanis fut en vue. Le port égyptien dessinait sa silhouette imposante au milieu d'un littoral totalement plat, la vallée du Nil s'engouffrant au plus profond des terres de l'antique Égypte. Mâa était très heureux de retrouver sa terre natale, joie qu'il ne tarda pas à partager avec ses amis. En guise de salaire, les cinq compagnons eurent quelques poissons séchés et quelques pièces qui leur permirent de s'installer dans l'auberge où Mâa et Seth avaient passé leur dernière nuit avant de partir pour Argos, il y avait de longs mois maintenant. D'ailleurs, le temps n'avait plus vraiment d'importance,  la nouvelle vie qu'ils vivaient semblait en dehors de la réalité quotidienne des gens, de cet aubergiste par exemple, qui leur amenait maintenant un repas frugal mais bienvenu.

- Voilà, j'espère que vous aimerez, mais à cette heure nos réserves de nourriture sont épuisées. Vous n'êtes pas tous d'ici je vois, vous cherchez du travail ?
- Non, merci, répondit Mâa en souriant. « Mes amis et moi sommes à la recherche d'un homme connu pour sa sagesse et son savoir. Un grec qui se serait installé ici même, à Tanis. Nous sommes négociants en écrits divers et nous aimerions lui vendre quelques écrits venant d'Hattousa. »
- Ah, je vois. Et bien je ne connais qu'une personne pouvant ressembler à votre description, Anaximandre le Grec. Il vit dans le quartier du temple, à côté de l'école des scribes. On en entend parler de temps à autre les jours de marchés, il n'est jamais content des marchandises. En plus un Grec, ça ne passe pas inaperçu, leur accent est infect. Le tien est bien meilleur pour quelqu'un qui vient d'Hattousa !
- Vous connaissez cette cité ? questionna Shiro en saisissant une datte.
- Mais qui ne connaît pas le Grand Sanctuaire de Cybèle ! C'est un centre religieux très réputé ! Ce n'est pas parce que je suis aubergiste que je suis ignare ! grommela l’homme en posant brutalement le pichet d’eau qu’il menait à ses convives.
- Je ne voulais pas dire ça, excusez-moi si c'est ce que mes propos ont laissé entendre.
- Ce n'est rien. Bon repas, et passez payer avant de rejoindre vos chambres, c'est la règle ici.

L'aubergiste laissa les aventuriers à leur repas. Même si leur condition physique était devenue supérieure à la moyenne, cette collation fut appréciée par leurs organismes, comme le fut la nuit passée dans un lit frais. Le temps étant précieux, ce fut aux aurores que Mâa réveilla ses amis, comme convenu le soir précédant. L'Egyptien avait le sommeil léger et il fut le seul à entendre le chant du coq du marché. Déambulant dans les ruelles aux odeurs épicées de Tanis, les cinq amis ne tardèrent pas à trouver le quartier du temple et l'école des scribes. Asturias et Shiro ne cessaient de questionner Mâa sur les détails qu'ils voyaient, sur la vie quotidienne des Egyptiens, sur les coutumes, sur ces temples majestueux qui cachaient le soleil naissant. Le temps n'était cependant pas à la découverte paisible et lorsque la demeure d'Anaximandre fut trouvée, Macubex invita ses amis à y pénétrer sans attendre.

- C'est là, regardez, il y a son nom écrit en toutes lettres. La porte est ouverte, entrons.
- Étrange coutume que de laisser son nom sur une porte, et plus étrange encore que de la laisser ouverte.
- Peu importe Shiro, profitons de cette aubaine.

Macubex pénétra le premier en restant sur ses gardes, comme si le danger pouvait surgir au détour du couloir sombre qui s'enfonçait dans la pénombre de l'humble demeure. Ce dernier finit par conduire les serviteurs d'Athéna vers une pièce centrale, éclairée par un puits de lumière. Le soleil se frayait un chemin à travers les colonnades du temple voisin, les lampes à huile en nombre conséquent assurant le complément de lumière. Un homme se trouvait là, debout sur une chaise, rangeant une pile de papyri. Lorsqu'il se rendit compte qu'il n'était pas seul il se retourna lentement, toisant ses invités d'un air acerbe.

« Vous auriez pu frapper ! »

Mâa s'inclina respectueusement et prit la parole.

- Excusez-nous mais la porte était ouverte. Nous cherchons un très grand sage, connu sous le nom d'Anaximandre ...  le connaîtriez-vous ?
Le vieil homme garda sa posture et se crispa. Son visage éructait de colère, ses mains se crispaient sur les deux rouleaux qu'il tenait dans chacune d'entre elles.

- Vous avez en face de vous, non pas un très grand sage, mais LE PLUS GRAND DES SAGES, Anaximandre ! Pauvres sots, vous ne savez donc pas lire ce qui est inscrit sur ma porte !
- Si messire, répondit calmement Asturias, mais nous n'étions pas sûrs que ...
- Pff, encore des ignorants. Que me voulez-vous ? fit Anaximandre avec dédain tout en descendant péniblement de sa chaise.

Mâa se fit le porte-parole de ses compagnons en compagnie d'Asturias, Shiro restant un peu en retrait. Frank et Macubex se tenaient quant à eux un bon mètre derrière leurs amis, le premier regardant avec attention les multiples plantes inconnues qui jouxtaient les piles de papyrus entassés sur des étagères usées par le temps, le second fermant les yeux mais ne perdant pas une miette de la conversation en cours. Mâa ayant brossé l'essentiel de leurs recherches sur Maiegeiam, prétextant la volonté d'écrire un recueil sur cet être devenu mythique pour le compte de la bibliothèque d'Hattousa, Asturias posa l'énigme que Cybèle avait livrée en songe. Perplexe quant à l'histoire narrée avec pourtant force de conviction par l'Egyptien Anaximandre ne put cacher la moue naissante sur son visage.

- Et vous pensez que je vais vous croire ? Je vois bien que vous êtes plus des aventuriers qu'autre chose, en quête de je ne sais quel trésor je présume. Je n'ai aucun intérêt à vous aider.
- Peut-être pourrions-nous vous rendre service messire, proposa Asturias en prenant garde de ne pas en dire trop sur les réelles intentions qui les avaient menés ici. « Nous pourrions vous aider dans vos recherches, vous livrer des ouvrages d'Hattousa ou … »
- Auriez-vous du mal à me comprendre ? Mon grec n'est pas à votre portée ? Je n'ai rien à apprendre à de simples soudards ! Allez du balai, hors de ma demeure !

Macubex s'avança alors comme s'il suivait effectivement l'injonction de l'érudit. Lui tournant le dos il souffla quelques mots qui mirent Anaximandre hors de lui, « De toute façon, ce vieux fou ne sait rien, il cache son ignorance avec de grands gestes, la vérité est qu'il n'a rien compris à l'énigme voilà tout, allez venez, nous perdons notre temps ici ». Ses amis le regardèrent pétrifiés, ne sachant quelle mouche avait bien pu le piquer. Anaximandre quant à lui poussa la chaise au loin et hurla sa rage.

- Comment osez-vous me traiter de la sorte, moi, Anaximandre ! Mais bien entendu que j'ai compris votre énigme ridicule ! « Il est dans un monde froid et sombre peuplés de morts. Un fou détient la clé des marches » ! Quoi de plus simple pour moi ! Ce songe, lié à Maiegeiam, ne pouvait trouver écho dans vos esprits étriqués ! Maiegeiam est tout simplement à la recherche d'un pouvoir lui permettant d'éradiquer les dieux, rien que ça !
- C'est impossible voyons, objecta Mâa sûr de son fait. « Un Mortel ne peut être capable de détruire les dieux … et de toute façon un monde sans divinités ne pourrait exister ! »

Anaximandre, tout à sa colère, lui jeta un regard noir.
« Mais Maiegeiam est bien plus qu'un Mortel, c'est le Mage des mages. Et il est tout à fait possible de détruire les dieux ... il suffit de réveiller certaines forces enfouies dans les entrailles de la Terre. Lors de la grande guerre de l'Âge d'Or , nombreuses furent les divinités qui périrent sous les coups d'autres dieux. Par exemple nos divinités grecques, les Olympiens, tuèrent ou enfermèrent les forces de Chronos au plus profond du Tartare. Les Enfers recèlent des pouvoirs incommensurables, Maiegeiam veut y accéder, telle a toujours été sa volonté la plus profonde ... »

Anaximandre marqua un temps d'arrêt. Il reprit sa chaise et se plongea dans ses souvenirs les plus anciens. D'une voix plus posée, il poursuivit son récit.

- Il y a deux moyens de pénétrer dans les Enfers, dans les Mondes souterrains, dans les abîmes de la vie. La première est la plus simple, il suffit de mourir ; c’est accessible à tout le monde, même à de pauvres ignorants de votre trempe, c'est aussi une façon définitive. La seconde est d'y pénétrer vivant, en empruntant l'un des passages cachés. Il y en a quelques uns, peu nombreux, souvent inaccessibles, cachés et défendus par des divinités. L'un se trouve en Mésopotamie, sous la garde d'Ereshkigal, la grande déesse noire. Un autre se trouve au cœur de la province du Wullao Fang, sous la garde des forces de Tien Mou en personne. Un autre passage se trouve en Canaan, sous la protection ancestrale de Bhaal . Tout a disparu après la grande guerre divine de l'Âge d'Or, il est probable qu'il s'agisse de simples contes mythiques ... Pourtant, pourtant votre songe est étrange, votre énigme, si elle est réelle, démontre que Maiegeiam aurait trouvé une autre voie, la seule qui ne soit pas directement défendue par un dieu, la Grotte d'Astragoth. On sait peu de chose sur cet endroit. Cette grotte mythique se trouverait quelque part en Asgard. Elle mènerait au cœur du Royaume d'une terrible divinité, Hel. Je ne sais rien de plus sur Astragoth, mais si Maiegeiam a trouvé l'entrée de cette antre, il est certain qu'il y pénétrera pour assouvir sa soif de pouvoir !
« Merci vieux sage, nous savons maintenant ce que nous voulions. »

Anaximandre ne réagit pas tout de suite à la remarque de Macubex. Il finit cependant par croiser son regard.
« Vous vous êtes joués de moi. Je ne doute pas que vous partiez à la recherche de Maiegeiam. S'il a rejoint Astragoth, ne le suivez pas. Nul ne pénètre aux Enfers impunément. Nul ne vient à Anaximandre par hasard. »

C'est le visage sombre que les serviteurs d'Athéna quittèrent le vieil érudit. Sans un mot, ils rejoignirent le port et s'assirent, contemplant la mer calme et laissant le soleil les inonder de ses rayons.

- Vous y croyez ?
- Comment ça Mâa ? se retourna Frank.
- Je veux dire, qu'un homme puisse vouloir la mort des dieux. Qu'il puisse envisager d'aller au Royaume des Morts pour y chercher un pouvoir incalculable.
- Nous avons une mission, nous savons où se trouve Maiegeiam, nous aurons tout le temps d'y réfléchir en route.
- Étranger, tu es bien rapide, tu as toute confiance en Anaximandre ? Il s'est peut-être également joué de nous, proposa Shiro en lançant un petit caillou dans la mer, « tout comme tu as su te jouer de lui et user de son arrogance, avec brio je le reconnais volontiers. Sa dernière phrase donne à réfléchir. »
- Je pense qu'Anaximandre nous a dit la vérité, et que le temps joue contre nous. Nous semblons avoir un temps d'avance sur les serviteurs de Poséidon, il faut en profiter.
- Effectivement, opina Asturias, « il faut que nous trouvions un moyen de rejoindre Asgard au plus vite, Anaximandre semblait trop bouleversé pour avoir pu mentir. »
- Asgard, murmura Frank en levant les yeux au ciel. « Mon frère, vais-je enfin te revoir ? »

Mâa se leva subitement en entendant son compagnon.
- Mais oui, nos amis ! Les autres élus ! Nous trouverons en Asgard des personnes sur qui nous pourrons nous appuyer dans nos recherches ! Après tout, Maiegeiam semble bien représenter un danger pour l'équilibre du monde !
- Alors en route pour Asgard mes amis, allons chercher nos affaires et cherchons un navire qui pourra nous y conduire, avec un peu de chance le port de Tanis nous comblera !

Les espoirs de Frank ne furent pas déçus. Il ne fallut que deux jours pour qu'un navire à destination d'Asgard parte de Tanis, chargé de bière et d'épices dont les gens du nord étaient très friands. Les cinq serviteurs d'Athéna durent donner l'ensemble de leur argent pour payer le voyage, mais c'est avec enthousiasme qu'ils prirent la mer pour un périple de plusieurs mois à destination du Royaume d'Odin.

 

L’Âge d’Or précède de quelques siècles l’époque de cette histoire. Certains développements ultérieurs permettront d’en savoir davantage.

Bhaal, aussi écrit Baal ou Ba’al, signifie Seigneur dans les langues ouest-sémitiques. Cette divinité tient une place fondamentale en Canaan, recouvrant des attributs divers, dieu de la Montagne, de l’Orage, de la Pluie. Il est aussi, parfois, défini comme une divinité mauvaise par les peuples voisins. Dans cette histoire, sa vision sera toute personnelle, mêlant ces diverses facettes.