Chapitre VII : Les héros d'Asgard

 

Sous la colère des cieux

 

Le nuage gris virait petit à petit au noir le plus sombre. Des réactions en chaîne conduisaient à la formation de flocons et de gouttelettes glaciales qui s'apprêtaient à rejoindre le sol lorsque le nuage ne pourrait plus retenir ses projectiles. L'éclair qui zébra le ciel obscurci résonna comme un signal. Un premier trait de glace quitta le nuage, et plongea en direction du sol. Sa vitesse vertigineuse profila peu à peu sa forme, la chute générant un petit frottement de chaleur qui aiguisait le projectile fondant vers sa cible. Suivi de milliers, de millions de ses semblables, il se fraya un chemin entre les branches éparses des arbres qui tentaient de s'opposer à leur assaut. Le trait glacial arriva bientôt en vue du sol, lorsqu'une bourrasque le fit dévier de sa trajectoire ; il tombait à présent dans une crevasse, vers les entrailles de la terre, traversant les décombres de la crypte de la Dame-Araignée. La colère d'Odin avait littéralement pulvérisé le temple sombre, offrant une voie dégagée pour l'averse de neige et de grêle qui fonçait vers les défenseurs d’Asgard. La flèche glaciale se ficha devant Memnoch, sans qu'il réagisse. En un instant, des milliers de ses semblables s'écrasèrent sur le sol de pierre, dans un fracas sourd et froid. Memnoch leva la tête et ferma les yeux, appréciant la douceur des flocons qui caressait son visage, oubliant la dureté des grêlons qui claquaient sur son casque déformé par les combats précédents.
« Ne reste pas là, viens avec nous sous la dalle de pierre, tu seras à l'abri ».
Memnoch regarda Meijuk sans dire un mot. Son compagnon portait Liu, visiblement assommé, le visage ensanglanté sous les coups de la faux noire d'Allani-Ettitu.
- Regarde-nous Meijuk. Hanz, Liu, Ryusei sont blessés, nous sommes tous sous le choc des attaques de cette maudite déesse, Yshba est mort ... laisse-moi profiter de cette quiétude passagère, je doute qu'elle dure encore longtemps.
- A ta guise. Mais ne tarde pas sous cette averse glaciale, il nous faut reprendre des forces avant l'assaut final. Dimitre a fait un feu, tu seras mieux avec nous, au chaud.
- Tout à l'heure, je vous rejoindrais dans un moment.

Les guerriers d'Odin s'étaient réunis au milieu des décombres de la pièce des gardes. Dimitre avait pris l'initiative de rassembler des morceaux de bois pour faire un feu, utilisant certaines poutres se consumant doucement après l'attaque de la Déesse-Araignée. Meijuk déposa délicatement son compagnon auprès de ses amis, Inyan s'assurant de sa santé après s'être occupé du bandage de Ryusei. « Il est juste inconscient, il reviendra à lui dans quelques instants. Il a perdu la moitié de son oreille droite, je vais devoir lui bander la tête ».
- Il vit encore, il a eu plus de chance qu'Yshba. Nous avons eu plus de chance ... c'est le second, après Siegard, encore une fois sous les coups d'une divinité.
« Nous servons une divinité, nous connaissons les risques. Nous pleurerons plus tard ; Yshba restera dans nos mémoires, comme Siegard avant lui. Odin en personne est venu à notre secours, nous ne pouvons le décevoir. Il nous faut battre notre dernier adversaire, libérer Asgard du mal qui le ronge. Le roi des Elfes Noirs doit disparaître. C'est ce qu'Yshba aurait voulu ». Rahotep avait martelé ses mots avec force, tels des coups destinés à pourfendre un adversaire. Plus que jamais, il était déterminé à en finir. Plus que jamais, il s'imposait comme le leader des guerriers d'Odin en cet instant tragique qui avait vu la disparition d'un des leurs.

La brume s'était à présent engouffrée dans l'ensemble du corridor. Elle était par endroit moins dense, mais elle adhérait partout comme un linceul frigorifiant.
- Les Elfes Noirs ne redoutent pas ce froid, leur Roi doit préparer le terrain à son avantage avant notre assaut, avança Nibel en se mouchant dans un grand morceau de tissu qu'il avait sortit des lambeaux de son manteaux de peau. « J'ai bien peur que cette atmosphère ne nous affaiblisse davantage encore », poursuivit-il le visage bleu de froid.
- Nous devrions attaquer sans tarder. Il faut profiter de l'effet de surprise. Nous devrions égorger ces chiens dans leur sommeil et nous vautrer dans leurs entrailles !
- Dimitre, quel effet de surprise ? Crois-tu que le Roi n'est rien entendu dans sa pièce ? Tu as vu ce qu'il reste de cette crypte ? Il doit bien savoir que son alliée est morte ! Peut-être même a-t-il fui.
- Non Bjarnulf, il est bien là. Il se prépare, comme nous. L'ultime pièce renferme la source de son pouvoir, les ultimes connaissances d'Allani-Ettitu, il ne les laissera jamais, sinon il perdrait tout.
- Tu as sans doute raison Akurgal.
- Et bien moi j'ai hâte qu'on en finisse. Ce froid me ronge les entrailles. Il n'est pas normal, chaque inspiration nous rapproche d'une mort lente. Ma terre de Germanie est pourtant connue pour ses hivers rigoureux : là ce n'est pas la même chose. Regardez Ulv, même le loup d'Yshba semble succomber au froid.
- Ou à la tristesse d'avoir perdu son maître, Thrall.

Memnoch se rapprocha enfin, armes à la main. Il ne s'assit pas, considérant ses compagnons avec regard pensif. « Ils se préparent, affirma-t-il enfin, ils sont nombreux, la salle est vaste. Je pense qu'il doit y avoir des dizaines d'Elfes Noirs et d'Odjurwigs».
- Qu'est-ce que tu racontes Memnoch ?
- La porte s'est ouverte au moment où je m'en rapprochais. La salle est plongée dans une clarté étrange, nos ennemis nous attendent en rangs serrés. Ils ne viendront pas à nous, c'est certain. Le Roi des Elfes Noirs semble se tenir sur une estrade, au loin, protégé par une muraille de ses meilleurs guerriers. Ils ne fuiront pas, ils attendent le dénouement, comme nous. Oui, Bjarnulf, je sais ce que je raconte ; le moment que nous attendions depuis notre entrée dans cette crypte maudite nous tend les bras, l'ultime combat qui décidera de la sauvegarde d'Asgard !
« Ne les faisons pas trop attendre dans ce cas. Hanz, Liu, Ryusei, vous tiendrez le coup ? »
Les trois hommes se levèrent et fixèrent Inyan, se contentant de hocher la tête en guise de réponse. Ce dernier fouilla dans sa sacoche et sortit une fiole noire qu'il fit passer à chacun de ses compagnons. « Ce n'est pas très bon, c'est un peu fort mais ça nous aidera un peu. C'est un alcool qui atténue la douleur. Nos sens seront un peu moins incisifs, mais je crois que ce qui nous attend ressemblera plus à une boucherie qu'à un combat nécessitant une réflexion débordante ».
- Nous devrions justement préparer un plan, rétorqua Meijuk en s'essuyant la bouche après avoir ingurgité sans broncher la potion de son compagnon.
- Tu as une idée derrière la tête ?
- Oui Nibel, j'y réfléchis depuis tout à l'heure. Je me doutais bien que le Roi avait gardé quelques gardes auprès de lui. Notre mission principale est de nous occuper du Roi, il nous faudra l'atteindre au plus vite. Ses guerriers ne nous laisseront pas faire, alors voici ce que je propose : que les plus forts d'entre nous, je parle de force physique, charge la masse des gardiens. Dès qu'une brèche sera créée, les autres devront se charger du Roi.
Akurgal prit un morceau de bois à demi consumé et traça sur le sol grisâtre la scène de la bataille. « C'est certainement un grand sorcier, ses pouvoirs risquent de nous rendre la tâche particulièrement difficile. Nous devrions nous diviser en trois groupes.  Le premier, comme tu l'as proposé Meijuk, se chargera d'occuper la masse des guerriers. Un second se tiendra en retrait et utilisera nos dernières flèches enchantées pour fixer le Roi. Le dernier groupe ira au contact de ce dernier. Je pense également que nous devrions garder en dernier recours les pouvoirs que certains d'entre nous maîtrisent : nos décharges énergétiques nous serviront en ultime recours et serons d'autant plus efficaces que nous aurons l'effet de surprise».

Le plan fut approuvé par l'ensemble des serviteurs d'Odin.  Dimitre, Ryusei, Meijuk, Bjarnulf et Memnoch, accompagnés de Ulv, s'avancèrent les premiers : ils allaient affronter seuls une masse de guerriers déterminés à défendre de toutes leurs forces leur Roi. Les Guerriers d’Odin avaient pris le temps de resserrer leurs armures et choisi avec soins leurs armes : ils allaient combattre à un contre dix, grande hache et épées à deux mains s'imposèrent naturellement pour un combat où la rage allait supplanter la technique. La partie semblait désespérée, mais ils n'avaient pas le choix : il leur faudrait tout faire pour couper le souverain de ses troupes. Liu fut désigné pour compléter cette première vague d'attaque, assurant de ses dards empoisonnés un soutien décisif. Il avait décidé de laisser son casque de côté, laissant son crâne nu à la portée des coups de ses adversaires ; peu lui importait, il comptait sur son agilité naturelle pour éviter les coups, et ce même si Allani-Ettitu lui avait arraché un bout d'oreille lors du précédent combat. Thrall et Hanz s'étaient partagé les flèches enchantées de givre, de foudre et d'essences magiques : une fois leur carquois vidé sur le Roi sombre, ils aideraient au corps à corps ceux qui en auraient le plus besoin. Les derniers s'apprêtaient à affronter l'inconnu d'une lutte contre un être d'essence quasi divine. Ils avaient cependant un avantage certains par rapport au reste de leurs compagnons. Petit à petit, Inyan, Nibel, Akurgal et Rahotep ressentaient les choses différemment, voyaient plus vite, analysaient plus vite, sentaient au plus profond d'eux naître une énergie qui, canalisée dans leurs mains, se transformait en trait de lumière irradiant leurs adversaires. Cet atout, le Roi des Elfes Noirs allait le découvrir au dernier moment. Sans un mot, les hommes s'avancèrent dans le couloir. Les derniers serviteurs du Roi des Elfes Noirs les regardèrent se mettre en position de combat. Un dernier mugissement de vent glacial sembla indiquer que tout Asgard concentrait ses pensées vers cette crypte maudite. Pendant quelques instants, le silence retomba, une dernière fois. Bientôt les cris de rage et de fureur allaient faire vibrer dans cet antique sanctuaire.

 

Le châtiment divin

 

Dimitre et Memnoch chargèrent les premiers, avec un cri de rage qui inquiéta la première ligne de combattants adverses. Ils semblaient assistés par la colère d'Odin et une aura étrange scintillait autour des cinq guerriers suivis de Ulv, animal assoiffé de vengeance après la perte de son maître. Le choc initial fut d'une extrême violence et six premiers Elfes noirs périrent avant d'avoir pu esquisser le moindre mouvement. Les guerriers d'Odin sautèrent au milieu de la horde noire, faisant mine de vouloir foncer sur le Roi. Ils se retrouvèrent ainsi encerclés, mais ils avaient réussi la première phase du plan : accaparer les regards de ses gardiens. Les combattants avaient déjà passé par le fil de leurs lames plusieurs créatures adverses, dans une orgie de violence rare. Les corps étaient tranchés, martyrisés, les membres gisaient pèle mêle à même le sol, le sang recouvrait à présent l'ensemble des guerriers d'Odin, comme s'ils s'en abreuvaient pour reprendre des forces. Ulv sautait au cou de ses victimes, cherchant la carotide, l'arrachant, puis passant à une autre victime, le pelage rougi par sa propre fureur. Ryusei avait subi plusieurs vilaines blessures, et Meijuk se tenait à ses côtés pour le seconder malgré ses protestations. Liu multipliait ses traits empoisonnés, plongeant ses victimes dans d'atroces douleurs. Ces corps pris de convulsions rendaient le combat plus cauchemardesque encore.
Certains Odjurwigs lançaient des attaques magiques au milieu de la mêlée, mais à leur plus grand désarroi, les guerriers d'Odin paraient tous les coups, les attaques allant s'écraser sur leurs propres congénères. Soudain, une gigantesque main griffue et écailleuse traversa le champ de bataille et balaya deux Elfes Noirs d'un geste ample, fauchant au passage les jambes de Bjarnulf qui s'était un peu trop avancé. Memnoch se pencha prestement, et retint son compagnon d'une main tandis que sa hache décrivait un arc de cercle pour trancher la serre agrippée au guerrier qui cherchait à l'entraîner dans un vortex qui s'était déchaîné à leurs pieds. Le bras coupé se retira, laissant une traînée d'humeurs verdâtres et nauséabondes, mais déjà une forme indistincte de plus grande taille se dessinait au travers de la barrière. Quelque chose de beaucoup plus gros que les assaillants précédents se préparaient à la franchir ... Le Roi des Elfes Noirs, qui se battait à l'autre bout de la pièce, venait de convoquer une créature directement sortie des enfers.

Lorsque la forme brumeuse émergeant du gouffre devint plus nette et gagna de la consistance, les serviteurs d'Odin ne purent s'empêcher de reculer, à l'exception de Dimitre et Ulv trop absorbés par leurs duels. Le démon était tellement haut qu'il devait se courber pour ne pas heurter la voûte de sa tête hérissée d'une multitude de cornes ensanglantées, jaillissant du cuir noir et épais de la créature à des angles étranges, présentes également le long de l'épine dorsale et des bras. Les interminables griffes adamantines de l'une des espèces de serres qui lui servaient de main sifflèrent à quelques centimètres du visage de Memnoch, tandis que les yeux de la créature allaient des uns aux autres, emprisonnant chaque combattant une fraction de seconde dans leur lueur rouge intense. Les Elfes Noirs avaient reculés, certains fuyaient. Les Odjurwigs encore en vie entouraient la créature et regardaient avec délectation le visage des guerriers d'Odin, empreints de surprise et de peur.
Ces insectes prétendaient-ils s'opposer au Roi de Nibelung ? Désiraient-ils s'emparer de la sagesse millénaire d'Allani-Ettitu enfermée dans cette pièce ? Qu'importait leur but, ils périraient tous, cette crypte serait leur tombeau. Quant aux autres qui osaient mettre le Roi en difficulté, ils subiraient un sort plus effroyable encore. Presque joueuses, les griffes d'adamantine sifflèrent à nouveau en direction des guerriers, qui cette fois durent se jeter de côté pour ne pas être frappé de plein fouet.
Meijuk riposta et sentit son arme rebondir sur le cuir dur comme de l'os. Remis de leur stupeur, les autres se répartirent autour de leur adversaire, Dimitre rejoignant ses compagnons, Ulv déchargeant sa haine sur un Odjurwig. Amèrement, Meijuk réalisa que la créature devait se jouer d'eux. Aucun des coups qu'ils lui avaient portés n'avait beaucoup d'effet apparent ... même la hache de Memnoch ... et le démon semblait retenir ses coups comme pour faire durer le plaisir. Bjarnulf avait une tempe en sang, son bras gauche  pendait inerte, mais il continuait à manier son arme de l'autre main en serrant les dents, son armure avait été lacérée comme du papier mouillé sur sa jambe gauche, entamant à peine les chairs mais provoquant de douloureux et brûlants élancements...
A deux doigts de baisser son épée, en proie à une nausée fiévreuse, Ryusei se rappela que pour le moment ils remplissaient leur objectif. Ils avaient gardé la monstruosité à l'écart du Roi, il fallait tenir.
« Ne lâchons rien, cette créature ne doit pas rejoindre les autres ! »
A peine s'était-il retourner pour haranguer ses camarades qu'il s'effondra : le démon venait de lui briser les deux jambes d'un coup rasant, laissant le malheureux tomber en arrière, inconscient. Memnoch hurla de rage tandis que Dimitre se jetait en avant sur le bras de la créature, le lacérant de mille coups sans obtenir le moindre résultat apparent. Memnoch semblait littéralement entrer en transe lorsque, au bout de quelques instants, sa rage céda la place à une lucidité étrange, tandis qu'une énergie qui n'était pas la sienne coulait dans ses membres. Il courut à la rencontre du démon, qui pour la première fois sembla avoir une lueur d'inquiétude dans le regard. Des rais de brillance partaient du halo blanchâtre qui nimbait le guerrier, enveloppant à leur tour ses alliés et leurs armes d'un éclat éminemment brillant. Les Guerriers d'Odin disposaient en cet instant d'une vitesse accrue et d'un regain de vigueur et de combativité.
« La fureur d'Odin nous accompagne à présent, tu ne pourras plus te jouer longtemps de nous », songea Meijuk en sentant pour la première fois son arme mordre dans le cuir épais avant d'esquisser quelques pas de côté. Rugissant, le démon virevolta pour lui faire face ainsi qu'à Dimitre, ne pouvant éviter de se prendre un coup de hache dans un mollet de la part d'un Bjarnulf redevenu aussi vindicatif que jamais malgré la large blessure qui s'ouvrait dans son poitrail, mais lui flanquant tout de même au passage un coup de genou hérissé de barbillons.

Fini de jouer. Il n'était pas sérieusement blessé encore, mais si ces insectes continuaient ainsi, ils allaient le mettre hors d'état, il ne pourrait porter secours à son maître qui semblait, lui aussi, en mauvaise posture face à ses adversaires ... La créature sentit soudain un fluide chaud couler sur ses lèvres et sa bouche ... son propre sang. Impossible ! Ces misérables insectes le transperçaient maintenant de toutes parts ! Le monde à l'envers. Le vortex lumineux avait disparu, il ne pouvait échapper à son funeste destin. Dimitre porta le dernier coup, décapitant la créature convoquée par le Roi de Nibelung. Ce dernier ne pouvait plus compter que sur ses derniers Odjurwigs qui se ruaient à présent sur Memnoch et ses compagnons. Non, il restait un espoir, un nouvel avatar du chaos arrivait par-delà une nouvelle porte dimensionnelle, tout espoir n'était pas perdu.

En un instant, le chaos total régna dans la pièce, tandis qu'un autre démon plus petit que celui qui avait été vaincu et disparaissait dans un magma de chair bouillonnante, s'extirpait du seuil, provoquant un tel remou d'énergie chaotique qu'il envoya Meijuk et Dimitre, sonnés, contre la paroi. Déployant avec un cri perçant ses ailes faites de plaques de métal sombre tranchantes comme des rasoirs, l'être à l'apparence vaguement odjurwigienne se jeta sur Bjarnulf qui lui faisait maintenant face, Memnoch retenant seul l'attaque simultanée de cinq Odjurwigs déchaînés.
Le fier guerrier réalisa que cet Odjurwig était différent. Ses ailes et sa tête hérissées de cornes tendaient à montrer que le Roi de Nibelung pouvait créer des créatures plus improbables les unes que les autres. Le démon qui portait de nombreuses cicatrices semblait aguerri aux joutes les plus violentes. Il était  apparemment bien décidé à réduire son adversaire en charpie puis à en faire de même avec ses compagnons. Il n'y eut pas de combat ; Bjarnulf ne put entrevoir l'attaque du démon qui lui brisa les côtes et les membres inférieurs en déployant une onde de choc d'un simple battement d'aile, attaque qui eut également raison de Liu, projeté contre le plafond de pierre et disparaissant sous un tas de décombres. Seul son sang qui se répandait à grande vitesse rappelait sa présence. Toute à sa joie, la créature fut surprise de voir une lance finement gravée lui transpercer l'abdomen au moment même où, à l'autre bout de la pièce, l'acte final se jouait.

***

Thrall et Hanz protégeaient le folle course de leur quatre compagnons à travers la masse des Elfes Noirs qui voulaient se mettre en travers de leur chemin. Les traits pleuvaient avec une efficacité redoutable et Inyan, Nibel, Akurgal suivis de Rahotep, qui courait moins vite, furent bientôt à quelques pas du Roi de Nibelung. Assis sur un trône d'ébène et d'ivoire, les mains jointes autour d'un sceptre de mage, il avait observé avec attention les mouvements de la bataille et n'avait pas mis longtemps à comprendre la manœuvre des guerriers. Le Roi sombre portait tout son harnachement royal, sa fine cotte de maille de Mithrill, son casque conique et sa robe noire aux broderies écarlates ; il se leva tranquillement et s'attarda sur chaque visage. «Je crois que ces guerriers viennent me livrer un combat singulier», lâcha-t-il d'une voix froide.
« Nous venons sauver Asgard, vos méfaits touchent à leur fin ! Tout comme Allani-Ettitu a succombé au courroux d'Odin, nous allons vous faire payer vos crimes ! » gronda Rahotep en s'avançant d'un pas.
Le Roi éclata de rire et fixa moqueusement l’Egyptien.
- Voyons donc ! Pensez-vous réellement pouvoir vous débarrasser de moi aussi simplement ?
- Nous réussirons car notre cause est juste Roi de Nibelung.
- Je n'ai pas de temps à perdre avec vous. Vous êtes venus piller le savoir d'Allani-Ettitu. Vous avez osé répandre le sang dans un sanctuaire sacré. Pour vos crimes, vous allez disparaître de ce monde.

Les quatre guerriers poussèrent un cri de guerre et chargèrent, Inyan faisant signe à Hanz et Thrall que le moment était venu d'arroser de flèches magiques le Roi de Nibelung. Derrière cette scène, le combat faisait rage entre  Odjurwigs, Elfes Noirs et les autres guerriers d'Odin. Le Roi prononça une phrase rituelle, transformant son sceptre en épée noire, irradiée de lueurs violettes. D'une main il déviait chaque flèche qui le menaçait. De l'autre, il s'apprêtait à attaquer de front les quatre compagnons. Inyan fut le premier à porter l'estoc avec sa hache. Avec un mouvement fulgurant, son adversaire avait évité l'attaque et pointa son épée vers le visage du malheureux, transperçant sa rondache et venant terminer sa course à quelques centimètres de son œil droit. Nibel attaqua à son tour. L'épée sombre siffla pour rencontrer son bouclier. Le métal sombre mordit le petit bouclier à travers les couches de bois, de cuir et de métal mais fut arrêtée par le fer enchanté de l'épée de Rahotep. D'un bond, le Roi bascula en arrière et se mit en garde.
« Vous vous battez bien tous les trois. On dirait cependant que votre ami est terrassé par la peur et attend le moment de fuir », dit-il en ricanant tandis qu'il déviait la course de deux nouveaux projectiles de Thrall.
Akurgal n'intervenait toujours pas. Il observait le combat, semblait l'analyser, mais ne bougeait pas. Au fond de la pièce, certains Odjurwigs regardaient le combat avec inquiétude, ne comprenant pas pourquoi leur souverain n'en avait pas encore fini avec ces insectes. Voyant leur désarroi, ce dernier dessina un symbole dans les airs de sa main libre.
« Vos amis se battent bien derrière vous, il est temps de leur montrer la véritable nature de mon pouvoir, vous allez regretter d’avoir pénétré MA TERRE ! » cria-t-il au moment où un vortex multicolore se dessinait au loin, appelant au milieu de la mêlée un démon inconnu.

Hanz et Thrall restaient fixés sur leur objectif. S'ils étaient éloignés des cris et de la fureur des combats, leur rôle était capital dans le plan choisi. L'arrivée du démon changeait cependant la donne. « Hanz, il va falloir que nous changions de tactique. Ce roi de malheur ne craint pas nos flèches et nos compagnons sont en difficultés face à ce monstre sorti de nulle par ! »
- Il nous reste une dizaine de flèches. Gardons-les pour le Roi. Je vais arroser les Odjurwigs et les Elfes Noirs pour soulager ceux qui sont face au démon. Toi, attends le bon moment et distille tes flèches enchantées. Une finira bien par passer !
- Tu as raison, répondit simplement Thrall.

« JE SAIS MAINTENANT ! » hurla Akurgal. Une aura blanche l'entoura, se diffusant dans toute la pièce, enveloppant ses amis d'une chaleur bienfaisante et régénératrice.
Instinctivement, Inyan et ses deux amis se jetèrent sur le côté, laissant le Roi de Nibelung totalement désemparé face au trait de lumière qui fonçait sur lui. Akurgal avait analysé chacun de ses mouvements et venait de laisser exploser son énergie accumulée tout au long de son attente. Le choc propulsa le Roi contre le mur, le désarmant. Thrall s'en aperçut et lança deux flèches en même temps. La première fut déviée par le souverain sombre, mais la seconde se ficha dans sa jambe gauche, libérant une énergie glaciale qui plongea ses membres inférieurs dans un carcan de glace indestructible. Son premier démon venait d'être vaincu à son tour et, en une fraction de seconde, il en appela un autre, plus petit, mais bien plus puissant. 
- Ton sort est scellé Roi de Nibelung, nous avons découvert, enfouis en nous, des pouvoirs qui dépassent ta propre science. Je ne comprends pas encore comment ceci est possible, mais les faits sont là : nous ne sommes plus de simples guerriers. Nous sommes habités par l'ire de notre dieu, Odin. Tu vas rejoindre Allani-Ettitu.
- Qu'est-ce que tu racontes ! Tu crois me faire peur avec ta magie de bas étage ! Je vais vous montrez ce que sont de réels sortilèges !
Joignant ses deux mains dans un geste frénétique, il fit naître deux immenses éclairs qui explosèrent dans toute la pièce. A sa grande surprise, Rahotep et Inyan dévièrent les rayons électriques en se déplaçant si vite qu'il ne pouvait suivre leurs mouvements. Emprisonné dans son carcan de glace, Eljoudilhen, dernier roi de Nibelung, ne put rien face aux attaques conjuguées d'Akurgal et de Nibel, irradiant de leurs énergies blanches le corps désarticulé du roi. Alors que ce dernier tentait, dans un geste désespéré, de convoquer une dernière attaque, Rahotep et Inyan fichèrent leurs armes dans son cadavre, que seul un dernier souffle retenait encore debout. « Pauvres fous, vous n'avez rien compris à ce qui se trame, vous venez de sceller votre propre fin», expira-t-il dans un ultime souffle.

***

Décapitant un premier adversaire, Memnoch vit les quatre autres tomber en avant, quatre lances fichées dans leurs dos.
- Des Gardiens de la Tour ? Que faites-vous si loin de la Forteresse ?
- Ils sont venus avec moi, rétorqua une voix familière. Nous sommes venus vous aider, mais je vois que tout est terminé. Vous avez accompli un prodige par la grâce d’Odin.

Thenséric retira sa lance du dernier démon convoqué par le Roi de Nibelung. Aidé des gardes qui l'accompagnaient, il s'occupa des blessés, leur distillant des ondes bénéfiques que ses mains dégageaient par simple contact. «Mes amis. Prenons tout ce que nous pouvons de cet endroit maudit et rejoignons au plus vite la Forteresse. Les choses ont évolué dans un sens inattendu».

 

Glorieux guerriers d'Asgard

 

Le blizzard redoublait d'intensité et formait des tourbillons de neige. Toutes les créatures d'Asgard avaient rejoint un abri pour attendre la fin de la tempête, tant les humains que les animaux. Pourtant, on pouvait deviner des silhouettes qui gardaient l'entrée d'une forteresse, courbées sous les rafales, mais dont la prestance n'avait d'égale que la force qui se dégageait des éléments. L'homme s'arrêta un instant, le regard perdu à travers la vitre à demi embuée. Tout était calme dans la Forteresse d'Odin. Dans le salon des appartements privés du guerrier, le feu crépitait, apportant sa douce chaleur. Thenséric regardait toujours par la fenêtre, semblant chercher une réponse qui ne venait pas. « La tempête ne se calmera pas ce soir », murmura une voix féminine dans son dos. Il se tourna et reconnut avec surprise la Grande Prêtresse. Celle-ci s'était assise dans un fauteuil face à la cheminée, les yeux perdus dans les flammes, comme hypnotisée par leur envoûtante danse. « Je ne vous avais pas entendue, veuillez m'excuser, Madame ». Elle répondit par un sourire.

« Ce n'est pas grave, Thenséric. Nos guerriers se sont bien battus. Ils ont réussi à mettre fin à un grand danger, le Roi de Nibelung n'est plus de ce monde, Allani-Ettitu... »
Elle marqua une pause, comme si ce nom l'inquiétait encore.
- Les astres sont formels, il n'est pas certain qu'elle soit morte. Il semble que son âme rôde encore en nos terres sacrées. Il faudra en avoir le cœur net.
- Nos guerriers se sont reposés ces dernières semaines, ils ont été durement éprouvés. Yshba n'a pas survécu, Bjarnulf a beaucoup souffert, tout comme Ryusei d'ailleurs. Ils seront bientôt prêts à remplir les missions que nous leur confierons. Certains ont fait des progrès extraordinaires et se sont éveillés à des pouvoirs insoupçonnés. Je crois, Madame, que vous aviez raison : ces hommes parviendront à réveiller les armures de nos ancêtres divins.
- Il n'est pas encore temps Thenséric, mais cela viendra, rétorqua-t-elle en se levant. « Fais venir nos héros dans la salle des batailles. Je leur dois quelques explications ».

***

La salle des batailles était assez grande pour accueillir des dizaines d'invités. Devant un trône de pierre blanche, un tapis avait été disposé pour que chaque guerrier puisse poser un genou à terre sans devoir affronter le froid du basalte. Les élus d'Odin s'alignèrent sans un mot, s'inclinant respectueusement au moment où la Grande Prêtresse prit place. Elle était belle, mais personne n'osait affronter son regard. Inyan ne résista pas longtemps à l'envie et releva discrètement son visage, la suivit du regard. Merveilleuse jeune femme, se dit-il. Ses vêtements blancs, très seyants, dessinaient une silhouette attirante. Ses hanches bien dessinées contrastaient avec sa petite poitrine à peine apparente mais visiblement ferme. Son visage ciselé parlait en faveur d’une ascendance asgardienne, ses longs cheveux blonds rappelant ceux des nombreuses femmes qu'il avait pu voir à Troudheim. Mais elle avait quelque chose d’autre... Quelque chose d’indéfinissable, à la fois attirant et inquiétant, comme si cette femme était bien plus qu'une mortelle.

« Prenez place valeureux guerriers. J'ai à vous parler. Vous avez accompli un exploit retentissant. Il est de mon devoir de vous permettre d'en savoir un peu plus sur les dangers qui nous menacent. Vous avez accompli un exploit en terrassant le Roi de Nibelung et en concourant à la perte de la Dame-Araignée. Odin lui même se réjouit de vous compter parmi ses fiers guerriers. Vous voilà désormais porteurs du courroux divin, porteurs du droit de tuer les dieux qui s'opposeront à la paix de notre Royaume, par la volonté d'Odin. Vous avez payé un lourd tribu pour obtenir ce titre précieux : hélas, Yshba, l’enfant sauvage des forêts n’a pas survécu à ses blessures. Vous êtes désormais dignes d’appartenir à la caste des Ases d’Asgard. Vous allez pour ce faire devoir affronter, chacun, un des assassins des Ases, frères d’Odin. Vous libérerez les âmes emprisonnées de nos chers Ases et vous pourrez porter leurs armes pour défendre Asgard. Vous accéderez ainsi à la noblesse ! Le tombeau des Ases se trouve dans la Forêt des Elfes Noirs : même si le roi de ces derniers est mort, nul doute que ses serviteurs tenteront de se venger en faisant tout pour vous empêcher de pénétrer ce tombeau. Le moment venu, je vous indiquerai le moyen de rejoindre cet endroit. Seuls les plus éclairés pourront espérer venger nos dieux. Nibel, Inyan, Akurgal, Rahotep, Memnoch, Meijuk : vous êtes sur cette voie. »

La prêtresse se tourna vers Bjarnulf, Dimitre, Thrall, Ryusei, Liu et Hanz, les fixant chacun un bref instant. Ils relevaient maintenant leurs visages avec un respect teinté de crainte. « Vous devez encore vous éveiller à cette connaissance du feu qui brûle en vous. Je ne doute pas que vous réussirez. Pour ce faire je vous demande, selon la volonté d’Odin, de retrouver celui qui a mis fin à la vie de notre Grand Guerrier, Sotar. Défenseur d’Yggdrasil, il a perdu la vie dans une contrée nommée Dalmatie. Son assassin est une divinité mineure, mais redoutable, Kratourn. Nous voulons que la vengeance d’Asgard soit terrible et reconnue de tous. Nul ne peut s’attaquer à nous sans en subir un courroux immense ! Retrouvez cet être et terrassez-le. Sotar avait un grand rôle à jouer dans la défense de notre Royaume et, de plus, Kratourn mène des razzias avec ses guerriers jusqu'à nos frontières, menaçant certaines de nos voies de ravitaillement.

Le silence se fit. Il semblait que ces paroles provoquaient chez toutes les personnes présentes un sentiment étrange ... ils pensaient avoir fait le plus dur en éliminant le Roi de Nibelung et Allani-Ettitu : il n'en était rien, de nouvelles menaces pesaient sur Asgard, ils n'étaient pas encore au bout de leur chemin.   Thenséric leur fit finalement signe de se relever et, sur l'indication de la Grande Prêtresse qui, stoïque, embrassait du regard ses fiers guerriers, prit la parole.

« Il y a autre chose. Des druides d’une île lointaine, sans doute à la solde de Loki, ont réussi à s'emparer d'un artefact très ancien, nommé  Corne d'Abondance. Nous ne pouvons laisser ces fous avec un objet si puissant. Quant à Allani-Ettitu, si sa perte est effective, certains de ses sbires semblent nous avoir échappé. Inyan, tu te chargeras d'en savoir plus. Avec Memnoch, vous rejoindrez le Col des Tempêtes. Nibel, Meijuk, Akurgal et Rahotep : à vous la charge de retrouver la Corne d'Abondance, vous partirez pour l'Occident. Quant à vous, Bjarnulf, Dimitre, Thrall, Ryusei, Liu et Hanz,  vous savez ce qu'il vous reste à faire : trouver le repaire de Kratourn et venger Sotar. Préparez vos périples avec minutie. Lorsque vous reviendrez, vous serez à même d'espérer devenir des Âmes d'Ase, la plus haute distinction des guerriers d'Asgard ! »

***

« Hel, déesse de la Mort

Hel est la déesse qui régente le royaume des Morts. Elle reçoit les esprits des Morts par la maladie ou la vieillesse, les gardant derrière les murs et les portes imprenables de Niflheim. Il s'agit d'une terre de froid, de brume et de ténèbres éternelles. La déesse Hel est la plus jeune fille de Loki et de la géante Angrboda. Elle fut bannie par Odin dans le royaume de Niflheim. On raconte qu'elle peut provoquer des épidémies de peste sur Asgard d'un simple revers de la main. Elle est d'un caractère féroce et sinistre, frappant sans pitié ceux qui l'offensent. Tout mortel la regardant tombe malade et meurt en quelques minutes ... même si la victime parvient à résister à ce regard, elle ne guérira jamais vraiment et gardera d'éternels problèmes de santé. Sous sa véritable forme, elle apparaît comme une femme superbe, complètement blanche du côté gauche, et complètement noire du côté droit. La face blanche de son visage n'a pas de trait. Mais elle prend l'apparence d'une vieille sorcière, moitié vivante, moitié morte, avec une expression sombre et lugubre. Son visage et son tronc sont ceux d'une femme vivante, mais ses jambes sont celles d'un cadavre, marbrées et pourries. »

« Niflheim

Niflheim est la seconde couche du royaume des Morts, celle qui échoie aux simples mortels coupables d'actes impurs. Ce domaine contient l'essence du mal dans ce qu'il a de pire. Il est traversé par les racines de l'Yggdrasil. L'endroit est sans joie ni émotion, dépourvu d'espoir et de paix. C'est un pays grisâtre, avec un ciel gris et dont toutes les couleurs sont transformées en variation de noir et de blanc. Il n'y a ni soleil, ni lune, ni étoile, ni passage de saison. L'endroit vit sous une langueur perpétuelle qui n'a ni début ni fin et ne donne aucun espoir. Dans le royaume de Niflheim, la végétation se résume à quelques arbres rabougris qui survivent sur le sol rocailleux et gelé. L'atmosphère est morne et ennuyeuse et la température glaciale. Le plan est parcouru de brumes et de brouillards givrants qui tourbillonnent et occultent la vision à plus de 30 mètres. Les maléfices de cet endroit sont si forts que ceux qui l'explorent ressentent des sentiments de tristesse et de défaitisme. Les couleurs qu'ils portent sur eux deviennent fades, et disparaissent en quelques jours. Ceci est un moindre mal car le voyageur qui reste trop longtemps sur ce plan perd la volonté de quitter cet endroit et se transforme en larve. Tel est le royaume de Hel, déesse de la maladie, de la vieillesse et de la Mort. Son palais est un vaste château en bois dont le plafond exsude des poisons et dont le sol disparaît sous les serpents. Tel est en vérité  l'emprise de la fille de Loki ! »

 

Akurgal replia ses deux parchemins. Rahotep, l'air songeur, jouait nerveusement avec son verre.
- Ces textes démontrent que le fameux Maiegeiam n'a pas choisi sa cachette par hasard. Le pire endroit au monde ! Il doit cacher des maléfices capables de mener les dieux à leur perte, rétorqua Nibel en portant nerveusement sa main sur son front. Il était en vérité plongé dans la désolation, comme ses deux compagnons. « Cela n'a pas de sens, poursuivit-il, le monde serait-il devenu fou ? »
- Je crois que l'ouverture d'Astragoth a bouleversé tant de choses que nous découvrirons des horreurs encore plus terrifiantes. Gardons la tête froide, la Grande Prêtresse nous a donné des missions claires. Préparons-nous au mieux, il nous reste encore quelques jours. Akurgal, il serait peut-être intéressant d'enquêter sur les Ases avant de partir. J'aimerai en savoir un peu plus sur ces personnages, ou ces titres de noblesse, je ne sais comment les appeler.
- Tu as raison Rahotep, nous avons eu la même idée avec Nibel.
- D'ailleurs, intervint ce dernier un sourire aux lèvres, je crois que je pourrais vous apprendre certaines choses à même de satisfaire votre curiosité. Les légendes d'Asgard sont pleines de mystères et de richesses ...

***

La lune disparaissait derrière un épais voile laiteux, que striaient çà et là des écorchures blafardes ; si bien qu’il était impossible même de distinguer la moindre étoile. De loin en loin, de formidables tourbillons aux reflets immaculés se mouvaient comme au ralenti dans la pénombre clair obscure du firmament, zébré d'éclairs irréels.

- Ce spectacle n'est pas naturel.
- En effet, Thenséric. Odin fait tonner sa colère, nos Ases défunts se réveillent petit à petit, nos ennemis tentent d'asseoir leurs pouvoirs. Rien de tout ce qui se passe au dehors n'est naturel, souffla la Grande Prêtresse, presque mystique. « Ont-ils tenté d'en savoir plus ? »
Thenséric se retourna vers celle qui représentait le pouvoir suprême en l'absence d'Odin. Il plongea son regard dans ses yeux quelques instants, mais ne put cacher une certaine gêne et les baissa aussitôt.
- Ils ne poseront pas de questions, ce sont de bons guerriers. Ils sont fidèles. Rahotep, Nibel et Akurgal passent leur temps dans la salle du savoir, ils chercheront peut-être à en apprendre davantage. Peu importe. Le plus important, pour le moment, est qu'ils quittent Asgard.
Le Seigneur de guerre se rapprocha de la vitre, l'essuyant pour faire disparaître la buée naissante. Il reprit, l'air grave.
« Ils sont toujours là, quelque part. Ils sont trois. Puissants, déterminés, inconnus. Ils portent des armures sombres. On dit que l'un d'entre eux a détruit seul, en quelques instants, une armée d'Odjurwigs. Un autre était là, dans la crypte, pendant le combat contre le Roi de Nibelung. Il est intervenu, son pouvoir a été suffisant pour immobiliser le Roi sombre ... Thrall et les siens ont cru qu'il s'agissait de leurs flèches enchantées de glace, il n'en était rien.  Cette glace est le fait d'un de ces guerriers noirs. Je ne sais pourquoi ils suivent les élus, mais tant que les Âmes de nos Ases n'auront pas été ramenées du Royaume de l'Oubli, nous ne pouvons les laisser traverser notre royaume impunément ».

La Prêtresse se rapprocha du guerrier, posant délicatement sa main sur son épaule. « Lorsque les Ases seront de retour, nous ne craindrons plus rien. Personne ne pourra s'opposer à leurs pouvoirs. Les élus éloigneront ces étrangers loin de nos terres. Le tumulte des derniers événements est venu à notre secours : il nous a fourni des missions importantes et lointaines. Nous avons acheté du temps ».