Chapitre XI : A la poursuite de Gygès

 

Enquête à Argos

 

« Où sont-ils ? demanda Pallas en pénétrant dans la pièce à peine éclairée par deux lampes à huile usées par les âges.
- Je ne sais pas. Je descends, ils doivent être au bar.
Harald jeta un regard circonspect sur Seth qui quittait la pièce.
- Ils sont incroyables ces deux-là, c’est à se demander s’ils se sentent concernés par la mission ! Artholos se rapprocha de son compagnon et scruta son visage. Il partageait sa perplexité, mais tenta de rassurer Harald, assez maladroitement d’ailleurs.
- Séléné et Nevali doivent certainement enquêter de leur côté, ils ont peut-être trouvé de nouveaux indices.
Nekkar, qui était jusque-là allongé sur l’un des deux lits de la chambre, s’assit en riant.
- Artholos, ne sois pas naïf, Névali s’est inscrit hier soir au concours de boisson qui devait avoir lieu pour cette après-midi. Il doit être rond comme un ivrogne en ce moment. Je me demande comment le Sanctuaire a pu choisir deux loques comme ces deux-là ; un arsouille et une brute sans cervelle. Nous devrions les laisser ici et partir à la poursuite de Gygès, en Crête, maintenant que nous savons où il se trouve.
- Nous savons uniquement où il est parti, coupa Darkhan. Faisons confiance à nos deux amis, je suis du même avis qu’Artholos, Nevali sait ce qu’il fait, il est bien moins sot qu’il n’en a l’air ».

Les torches éclairaient d’une clarté diffuse les couloirs qui menaient au rez-de-chaussée. Des fêtards ivres rugissaient et titubaient dans les escaliers encrassés d’alcool et d’immondices, Seth se frayant un passage en faisant mine d’être aussi atteint que ces pauvres diables. Il ouvrit finalement la porte qui menait à la pièce principale de l’auberge. Des relents de vin et de sueur âcre, des bruits de chopes, de poings martelant les tables grossières, des bribes de chansons et d’encouragements plantèrent le décor. Le grand concours mensuel du Cratère Sans Fond battait son plein. Tous les mois, des concours de boisson, de jeux d’adresse et de force, permettaient de gagner des sommes rondelettes et l’estime des plus grands voleurs de l’Argolide, voire même de la Grèce toute entière. Sous le plafond bas et noirci par la fumée du grand foyer étaient rassemblées diverses canailles dont les vêtements allaient de la guenille à la quasi nudité. Voleurs, guerriers, mercenaires, pères, pirates, putains, rien ne manquait à ce tableau qui donnait des nausées à l’Egyptien.
« Ton haleine est infecte ! Regarde bien ton bras, je vais te faire payer ces vapeurs puantes ! Tu t’es trompé de concours mon vieux, t’es plein comme une barrique, comment espères-tu tenir plus d’une seconde face à moi, Séléné, le grand Cimmérien !
- Toi aussi tu pues ! T’es à moitié nu espèce de barbare, la sueur dégouline entre tes poils. D’ailleurs, t’as pas un cheveu et t’es poilu comme un ours : tu ne serais pas le fils d’une putain et d’un Sinanthrope par hasard ?
Dans un mouvement lent, Séléné serra de plus belle la main de son adversaire et se rapprocha doucement de son visage.
- Je suis Séléné, l’Etrangleur d’Ours, le Cimmérien, le fils de Kröm. Personne ne peut se mesurer à moi au bras de fer. Je t’ai dit de regarder ton bras. » Les yeux du pirate se plissèrent soudainement sous la douleur. Séléné ne relâcha prise qu’une fois la main broyée, les doigts cassés, l’avant bras brisé. L’alcool aidant, le pirate se releva et hurla de rage, pour sa défaite et non de douleur. Les vapeurs d’alcool disparues sauraient, le lendemain, lui rappeler les blessures de son corps.
« OUAIS ! GLOIRE A SELENE ! VIVE LE CHAMPION ! »

Le vainqueur sauta sur la table, qui se brisa sous l’impact, le Cimmérien tombant lourdement et ridiculement en arrière sous l’hilarité générale. Comme il s’apprêtait à se relever pour frapper les deux marins ivres les plus proches qui riaient aux éclats, une main le releva.

« Laisse-les, champion. Tu peux me dire ce que vous faites là ? Est-ce un endroit pour mener une enquête ? Notre ami serait-il champion de bras de fer ?
- Nevali a un plan, souffla le géant en se relevant. Alors, fit-il en se retournant vers l’un des marins, je crois que je t’ai prouvé que je pouvais t’être utile ! Je suis un grand guerrier, d’une force incomparable. Prends-moi avec mes compagnons dans ton navire, nous pourrons vous défendre des pirates et des monstres de la mer !
Le plus âgé des deux marins le regarda, bouche bée, stupéfait de tant de naïveté, puis éclata d’un rire moqueur, bientôt rejoint par l’assemblée qui s’était pressée autour de ce concours de force.
- Ecoutez donc ce sauvage ! Il pense pouvoir affronter les monstres de la mer, il crie ceci ici, dans la cité de Poséidon. Tu dois être fou, mais oui, je te prends ! Toi et les tiens, il me manque une dizaine d’homme depuis ma dernière traversée. Vous embarquerez avec nous dès demain, direction la Crête !
- Bien joué, souffla Nevali qui venait de se rapprocher de ses deux compagnons, remettant discrètement ses vêtements en bon ordre. Gygès est parti dans la cité de Tylissos, pour y vendre les fruits de ses derniers larcins. Il est accompagné de trois amis. Ils sont partis voilà une semaine. Avec un peu de chance, ils sont encore là-bas en train de profiter de la manne qu’ils ont accumulée.
Seth regarda Nevali en arborant un léger sourire.
- Je suppose que tu tiens cette information de cette prostituée qui te fait des clins d’œil, là-bas.
- J’ai toujours su que tu étais quelqu’un d’intelligent Seth. De diablement coincé, mais d’intelligent. Cette beauté parle facilement quand on sait la contenter, répondit son compagnon l’air satisfait.
- Comment …
- Ai-je deviné pour elle ? coupa Nevali en finissant de s’habiller. Simple. Gygès est un voleur, il a donc de l’argent. C’est la plus chère de l’auberge. J’ai gagné mon concours de boisson et j’ai investi. De votre côté, rien de nouveau depuis hier soir ?
- Rien non, rien de neuf depuis que nous avons appris qu’il était parti pour la Crête. En fait, nous vous attendions pour partir.
- Dans ce cas, laisse-nous nous laver un peu et nous serons prêts.
- Bien entendu, bien entendu », rétorqua Seth en regardant les deux guerriers rejoindre l’escalier menant à l’étage, tandis que les chants et les beuveries reprenaient de plus belle.

***

Artholos marchait le long du quai de Nauplion, port d’Argos, sans prêter attention aux vagues qui éclaboussaient par moment ses jambes dénudées. Il ne quittait pas des yeux l’alignement désordonné d’algues et de coquillages accrochés au ponton de bois. En cet instant, ses pensées allaient vers sa sœur disparue. Il désirait plus que tout partir à sa recherche une fois son Armure acquise. Il était à présent Guerrier Sacré de Bronze, il lui serait aisé de la retrouver et de la sauver du danger qu’elle devait courir, quelque part. Le vieux sage de son village ne lui avait pas tout dit, il devait savoir. Ses sens aiguisés, son Kosmos naissant, tout indiquait qu’elle vivait, quelque part. Peut-être était-elle comme ses algues, prisonnière de leur carcan de bois, incarcérée quelque part ? Pourquoi sinon serait-elle partie du village de ses ancêtres ?
« Artholos, il est temps d’embarquer ! »
Le Germain plissa les yeux en regardant Darkhan qui s’avançait vers lui, le soleil dans le dos. Il caressa sa barbe, ferma les yeux, avant de les rouvrir et de décrisper son visage. Il lui fallait laisser Alesia derrière lui, pour le moment. Il avait juré de servir Athéna, cette dernière saurait certainement se montrer généreuse le moment venu.
« Me voici, lança-t-il.
- Les autres sont déjà à bord. Comme convenu, nous sommes un groupe de mercenaires qui se rend en Crête pour y louer nos services. Séléné est déjà en place pour ramer avec Harald et Nekkar. Je vais prendre le poste de vigie, quant à vous autres, vous pourrez prendre le relai aux rames lorsqu’on vous le demandera. Le capitaine a dit qu’il y aurait assez de vent en pleine mer, nous aurons donc nos moments de repos ».
Artholos porta son regard sur le navire, constatant en voyant la voile bouger que le vent se levait effectivement. « Combien de jours de navigation ? questionna-t-il en se retournant vers Darkhan.
- Hum, fit ce dernier d’un air pensif, le capitaine a dit que cela dépendait du vent, mais il me semble avoir compris quatre jours tout au plus.
- Dans ce cas ce sera rapide. Allons, nous avons assez fait attendre nos amis, en route pour la Crête ».

 

Confidences

 

La mer qu’ils traversaient était semée de petites îles escarpées et parfois riches en végétation, dont les compagnons ne profitèrent pas, le navire filant bon train vers la Crête. Ils avançaient assez rapidement au cours de cette matinée ensoleillée, troisième jour de leur périple. Le capitaine avait prévenu qu’ils entraient à présent dans la mer de Crête, passage maritime fréquenté par de nombreux pirates. Seth s’était porté volontaire pour remplacer Darkhan en tant que vigie et scrutait l’horizon à la recherche de dangers potentiels. Le meltem soufflait avec assez de force pour laisser les rameurs au repos. Ces moments de quiétude furent mis à profit par Nevali, Harald, Nekkar et Séléné pour s’adonner aux joies de la pêche, Artholos dormant au soleil sur la proue du navire. Darkhan et Pallas avaient longuement parlé avec le capitaine, désirant apprendre un maximum de choses sur leur destination. Bien que grec de naissance, Pallas savait finalement peu de choses sur cette île mystérieuse. Le maître du navire décrivit avec force détails l'architecture crétoise de Tylissos et de ses palais, cité à demi-déserte, envahie par la végétation, fascinants indices de la splendeur de l'époque de l’Âge d’Or ... Bien que Pallas eût entendu de nombreux conteurs vanter la légendaire beauté de cette île, lieu de naissance du Maître de l’Olympe en personne, cela était presque devenu un lieu commun et il commençait en fait tout juste à comprendre à quel point ces cités avaient dû être exceptionnelles. Sans doute, Gygès espérait trouver refuge parmi les voleurs et pillards qui avaient pris possession de cette île, abandonnée des dieux suite à un mystérieux cataclysme. On disait qu’un homme vêtu d’or avait en effet détruit cette île en y affrontant un dieu étranger. C’est du moins ce qui se disait à Argos.
Le soleil atteignait son zénith et Pallas et Darkhan prirent congé du capitaine. Darkhan contempla la mer paisible, qui miroitait au soleil.
« Si nous mangions un morceau? » proposa le plus jeune des Guerriers Sacrés.
Pallas s'était assis, indiquant par un sourire son approbation. Il sortit de sa besace du pain et une petite fiole d’huile d’olive. Il était pâle et semblait fatigué, mais il ne se plaignait pas. La maîtrise du Kosmos l’obsédait et son mentor Nain lui manquait.
Darkhan le considéra avec un mélange de pitié et d’admiration. Il cherchait quelqu’un pour le guider dans cette nouvelle vie et n’était pas assuré d’être à la hauteur de la tâche qu’Athéna lui avait confiée. Pallas était un exemple pour lui. Il sursauta quand quelqu'un se laissa tomber sur le pont près de lui.
Harald lui sourit, et lui tendit un morceau de pain et de poisson fraîchement pêché.
« Tiens, bon appétit ! ... Le poisson cru, c’est excellent pour la santé ! Vous permettez que je reste près de vous ?
- Bien entendu, reste, rétorqua Pallas en souriant.
- Merci. Je voudrais parler d’Athéna. J'ai écouté des chants et des récits au Sanctuaire. Ils parlent d’une déesse admirable et grande, protectrice des hommes. Ce sont là de fort belles choses, mais je sais par expérience que la réalité est souvent très différente des rêves. Mon entraînement fut terrible, comme les vôtres je suppose. Nous sommes devenus des guerriers puissants. Nous devrons tuer pour elle … Vous n’êtes pas gênés ?
- Ce ne sont pas des rêves, mais le reflet d'un idéal que nous autres, serviteurs d’Athéna, nous efforçons de vivre et de faire partager à ceux qui nous entourent. Athéna est bonne pour le peuple de Grèce et pour les innocents, ainsi que Yolos nous l’a enseigné. Sa sagesse nous guide et nous éclaire pour la servir au mieux, répliqua le Grec en fermant les yeux. Je ne doute pas d’elle ni de notre mission.
Harald fixa la mer qui défilait lentement devant ses yeux.
- Moi non plus je ne doute pas, je me demande simplement si je pourrais ôter la vie de sang froid, si je serais à la hauteur.
- Mon père me disait que les dieux ne nous jugent pas. Ils ne nous condamnent pas. Toute personne a droit au pardon des Dieux ainsi qu’à un nouveau départ si son repentir pour ses fautes est sincère. Si Athéna a été jugée digne d’être une déesse, je crois que nous pouvons nous reposer sur sa sagesse. Athéna nous a choisis d’après nos âmes, j’en suis convaincu. Nous ne devons douter de la parole des dieux.
- Mais certains dieux sont mauvais et veulent du mal aux innocents Darkhan. La sagesse de ton père était réelle, mais tu nous l’as toi-même dit, ton père fut assassiné. Nous devons donc nous préparer à tuer pour Athéna ».
Pallas se tut, regardant attentivement Harald. Il y avait en lui quelque chose d'indéfinissable, une impression d'étrangeté qu'il ne parvenait pas à saisir, mais qui persistait. Il lisait dans ses yeux un besoin de se confier, et aussi une profonde hésitation. Quelles souffrances cachait-il ?
Le Grec murmura : « Pourquoi ces questions, Harald? »
Ce dernier prit une inspiration, puis parla comme il se serait jeté à l'eau, très vite.
« Quand j’ai passé mon épreuve finale, j'ai bien cru que j’allais mourir. Et j'ai prié pour une aide, pour que je m'en sorte, pour vous qui deviez affronter tous seuls les mêmes épreuves, quelque part ... Je n'ai jamais beaucoup prié dans ma vie, Pallas. Là d'où je viens, il n'y avait pas de temples, il fallait tuer ou survivre ... Athéna s’est adressée à moi ce jour terrible et m’a guidé vers la victoire. Je suis devenu quelqu’un de puissant, capable d’ôter la vie. Je me demande si j’ai bien fait de demander à Athéna de me sauver pour que je puisse la servir et, au final, tuer à nouveau. Je ne tuerai plus pour survivre, mais pour elle.
Darkhan posa sa main sur l’épaule de son compagnon qui était au bord des larmes. A ses yeux il n'y avait aucun doute.
 - Je te comprends. Mais la foi est une affaire personnelle, Harald. Il nous est permis de douter, et cela arrive plus souvent qu'on ne le pense. Mais si au fond de toi-même, tu crois qu’Athéna a entendu ta prière, alors c'est sûrement ce qui est arrivé. J'en serais très heureux pour toi. Mais je suis aussi certain qu’Athéna est une déesse digne : nous ne tuerons pas pour rien si nous devons le faire. D’ailleurs, nous ne tuerons pas, nous servirons notre déesse et nous sauverons des innocents. Voilà ce que je pense.
- Tu as sans doute raison, Darkhan. Malgré ton jeune âge, tu es déjà sage ».
Darkhan resta pensif. Il tourna son regard émerveillé vers le ciel embrasé de lumière, et une fervente prière envahit ses pensées, chassant toutes les ombres de son esprit apaisé. « Non, lâcha-t-il enfin, je doute, comme toi, mais je me raccroche à vous, mes frères. Je respecte ce que mon père m’a appris et j’essaie de suivre mon destin. Je suis certain que tu trouveras la paix intérieure, Harald. »

Il fallut encore trois jours de traversée avant de rejoindre, enfin, les côtes crétoises. La voile du navire claquait sous les assauts de la brise qui soufflait en provenance des terres, porteuse des senteurs de terre séchée par le soleil ardent, d’oliveraies et de pins. Nekkar, qui n’appréciait pas particulièrement les joies des périples marins, était heureux de revoir la terre ferme. Accoudé au bastingage, le jeune guerrier semblait maintenant absorbé par le spectacle du port de Malia chargé de navires de pêche et de commerce. Nekkar n’entendit pas Seth arriver à ses côtés et sursauta lorsque sa voix incisive le tira de sa contemplation.

- Le voyage a l’air de te plaire, je croyais pourtant que tu n’aimais pas les navires, commença l’Egyptien.
- Je suis heureux de reposer pied à terre pour tout t’avouer, répliqua Nekkar en passant sa main dans ses cheveux durcis par l‘iode marin.
- Moi aussi, je dois avouer. J’espère que Gygès se trouve bien à l’endroit indiqué par Nevali.
- Nous serons bientôt fixés, le capitaine a dit que Tylissos se trouvait à une bonne journée de marche de Malia. Ce soir, Gygès sera trouvé ou Nevali nous devra des comptes.
- Nous verrons, nous verrons, conclut Seth en suivant du regard le ponton de bois qui se rapprochait, comme si c’était lui qui venait à la rencontre du navire.

Quelques minutes plus tard, le navire accosta. Malia, petit port, accueillait huit Guerriers Sacrés bien décidés à trouver celui qui avait osé profaner et voler le Sanctuaire.

 

Tylissos, cité fantôme

 

« Par la corne des boucs en rut ! Sale putain ! Elle nous a roulés !
- Calme-toi Séléné, elle ne nous a pas roulés. Il y a eu du passage ici, Gygès est certainement venu ici. Il doit avoir fait affaire dans ces ruines, à l’abri des regards, et profite maintenant de son argent, quelque part dans une des auberges de l’île. C’est certain.
- Ta confiance est admirable Nevali, mais nous sommes néanmoins dans une impasse : Tylissos était notre dernière piste, coupa Seth en fixant l’horizon, sa voix s’atténuant à chaque mots, devenant de plus en plus grave ... Séparons-nous et fouillons cette île », glissa-t-il enfin.

Ses compagnons se regardèrent. La tâche risquait d’être ardue ; la Crête semblait être de grande taille, ils ne connaissaient pas l’île. Gygès était peut-être déjà très loin … C’était sans doute une idée complètement folle mais les guerriers d’Athéna choisirent cette solution faute de mieux. Ils convinrent de se séparer en trois groupes. Séléné, Artholos et Nevali partirent vers l’ouest. Autour de Pallas, Harald et Darkhan filèrent vers Malia afin de mener une enquête pointilleuse. Si Gygès avait quitté l’île, il avait dû prendre un navire. Peut-être qu’un marin pourrait les renseigner ? Nekkar et Seth restèrent seuls dans les ruines de Tylissos.
« Nous allons attendre ici. Il y a des vivres pour quelques jours soigneusement empaquetés, ils ne sont pas là par hasard.
- Oui Seth, je l’ai remarqué. Ils vont revenir ».

Les deux guerriers attendirent. A l’ombre d’un olivier séculaire, ils scrutèrent. Nekkar était grimpé pour observer l’horizon et le chemin pierreux qui disparaissait au loin. Seth se concentrait, les yeux fermés, écoutant la nature, cherchant une variation de Kosmos qui l’avertirait de la présence d’un adversaire.
« Seth ! Derrière toi ! »
Les cris de Nekkar firent reprendre ses esprits à Seth alors qu’une onde argentée fondait sur lui. En un instant, le Guerrier Sacré enflamma son Kosmos et son pendentif se mit à vibrer. Son Armure le recouvrit dans une lueur chaude et enflammée, rejoignant dans un premier temps le ciel et déployant la majesté du légendaire Phénix dans un embrasement extraordinaire. En une fraction de seconde, Nekkar, qui avait lui aussi revêtu son Armure, se jeta sur son compagnon et le poussa en dehors de la trajectoire de l’onde argentée qui pulvérisa le vieil arbre en une pluie de fragments à demi-calcinés.
Des traits de lumière se matérialisèrent alors, prenant des formes étranges, chargèrent et sautèrent sur les guerriers d’Athéna comme s’ils vivaient. D’un revers de la main, Seth déploya un mur de feu sur lequel ils rebondirent avant de disparaître.
Constatant que son attaque était inefficace, l’assaillant se mit à rire à gorge déployée.
« Félicitations, Guerriers Sacrés d’Athéna … » dit-il en apparaissant enfin au grand jour. « Landros, Guerrier Noir de Talos, pour vous occire », ajouta-t-il d’une voix calme et assurée. « Je connais la valeur des représentants du Sanctuaire. Gygès savait que son acte ne resterait pas impuni, il a bien fait de faire appel à mes services. Je suis désolé pour vous, mais c’est fini ».
Les deux Guerriers de Bronze regardèrent leur adversaire avec stupéfaction. Comme eux, il portait une armure. De couleur sombre, elle couvrait l’ensemble de son corps. Celle-ci était constituée d’un plastron imposant qui couvrait tout le torse et la taille. Des muscles proéminents lui donnaient un aspect farouche, tandis que les deux épaulières concaves portant chacune un pic acéré en leur extrémité et lui donnait une largeur peu commune. Les deux protections d’avant-bras, toutes deux similaires, étaient totalement recouvertes d’écrits et d’arabesques, telles celles de certains frontons du temple principal du Sanctuaire. On aurait dit une masse découpée en deux. La jupe, d’un seul tenant, s’arrêtait à mi-cuisse, et était elle totalement lisse, simplement relevée par une étoile bleue à quatre branches en son centre. Les protections de tibias étaient similaires à celles des avant-bras et les mains et les pieds étaient similairement protégés par des prolongements de l’armure. De casque il n’était question : une simple couronne à cinq pics protégeait le guerrier.
« Tu sembles bien sûr de toi, Landros. Nous sommes deux et …
- Je ne veux même pas savoir qui vous êtes, parler avec des morts m’ennuie », coupa Landros.
Sans laisser le temps de répondre à ses adversaires, il les chargea. Surpris, Seth et Nekkar eurent à peine le temps de parer les coups de poing qu’il leur assénait. Il enchaînait avec une rapidité et une agilité qui surprenait les deux Guerriers de Bronze. C’était leur premier réel combat et ils ne s’attendaient pas à recevoir une telle leçon. Pris de court, ils reculèrent de plusieurs bonds en arrière.
« Où se trouve Gygès ?
- Pourquoi vous répondre, je n’ai pas de temps à perdre à me justifier vis-à-vis de cadavres en puissance. Je pourrai vous abattre simplement avec mes poings, mais vous méritez de recevoir un châtiment exemplaire : je tiens à ce que vos compagnons vous retrouvent dans un état tel qu’ils quitteront sans attendre cette île, pris de terreur. Je dois aussi dire que je suis curieux de tester la solidité de vos armures. Phénix et Hydre, n’est-ce pas ?
- Qu’en sais-tu, s’inquiéta presque ouvertement Nekkar.
- J’ai déjà vu vos doubles. Allons, en garde ! Mourez dignement ! »
Le Guerrier Noir se mit en posture de combat, joignant ses deux mains et dégageant un Kosmos considérable, comparable à celui de Yolos.
« Nous n’avons pas le choix Nekkar, il semble plus puissant que nous. J’ai besoin de me concentrer, peux-tu l’occuper un moment ?
- Sans problème, je vais lui faire goûter mes griffes empoisonnées. Il va cesser de faire le fanfaron ».
Nekkar enflamma à son tour son Kosmos. Pour la première fois, son armure vibrait à l’unisson de son Kosmos. Il ne maîtrisait pas encore la totalité de son pouvoir, mais il savait que sa botte secrète pouvait être dévastatrice. Et, simultanément, les deux adversaires lancèrent leur assaut. « Par la Masse de Talos ! » Landros projeta sur Nekkar une vague d’énergie argentée avec ses mains jointes. L’énergie créée prit l’aspect d’une masse qui fondit vers le Guerrier de Bronze. Cette dernière frappa Nekkar de plein fouet. Nekkar eut l’impression que si son corps n’avait pas été revêtu par l’Armure de Bronze de l’Hydre, il aurait été pulvérisé. Mais il portait une Armure Sacrée et son but était atteint : Landros avait suivi son assaut et s’apprêtait à achever Nekkar à  bout portant lorsque Nekkar, d’un geste vif, ficha huit griffes acérées dans les genoux de son adversaire. Totalement surpris, Landros sentit une violente douleur s’emparer de lui.
« Du poison ! Maudite vermine ! Tu vas me le payer ! »
Landros écrasa Nekkar sous une pluie de coups, sans que ce dernier ne pût les parer. Il allait voir ses os se disloquer lorsque tout fut fini. Il sentit le Kosmos de son adversaire être littéralement foudroyé et déchiqueté par une soudaine décharge d’énergie, tandis que son corps était secoué par des spasmes violents entretenus par de minuscules éclairs enflammés et que ses yeux se révulsaient. Landros s’effondra en arrière comme une masse, laissant Nekkar stupéfait.
« Comment as-tu fait cela ?
- Disons que j’ai appris à déchirer les âmes, mais qu’il me faut un peu de temps, répondit dans un sourire l’Egyptien en se penchant vers son compagnon en partie couvert de sang. Tu vas bien ? Rien de cassé ? Je dois dire que le coup des griffes cachées, c’était assez inattendu. 
- J’ai, moi aussi, mes petits tours de passe-passe. Il ne m’a pas touché à chaque fois et son attaque était plus impressionnante que véritablement rapide, j’ai eu le temps de m’y préparer.
- Il était trop sûr de lui. Dommage que nous n’ayions pas pu le faire parler un peu plus. Gageons que les autres auront des pistes à suivre. Rejoignons Malia, je ne pense pas qu’il y ait autre chose que des ruines et la mort ici ».

***

Artholos et ses deux compagnons ne rejoignirent leurs amis à Malia que trois semaines plus tard. La Crête avait été fouillée de fond en comble. Gygès semblait s’être volatilisé. Aucune trace de navire l’ayant embarqué, aucune piste menant à une cachette sur l’île. Il avait été vu pour la dernière fois aux abords de Tylissos, en compagnie de trois hommes aux armures sombres, « Des guerriers maudits, des monstres des enfers » murmurait-on au détour de conversations gênées dans les tavernes de Malia. Séléné avait été furieux d’avoir  manqué le combat contre Talos et jurait « Que le prochain sera pour moi ». C’est bien là la seule certitude du groupe. Cette première mission commune se soldait par un échec. Les Guerriers Sacrés décidèrent de rejoindre la Grèce et de reprendre leur enquête à zéro. Peut-être avaient-ils manqué un élément déterminant à Argos ?