Chapitre I : La Croix du Sud

 

Pôle Sud. Alors que le froid intense recouvrait d'une fine couche de givre un corps sans vie, une petite silhouette s'en approchait péniblement en tentant de résister aux bourrasques de neige.
« Oh ! Réveille-toi ! OH ! Tu m'entends ? Si tu restes là, tu vas crever de froid. Allez, secoue-toi un peu ! »
L'individu avait beau secouer le corps de toutes ses forces, il ne parvenait pas à le sortir de sa léthargie.
« Bon », pesta-t-il en empoignant le corps inerte, « Je vais encore devoir porter une de tes loques, Athéna. Et tu espères sincèrement qu'un de tes malheureux candidats pourra gagner l'armure ? Enfin, pour ce que j'en dis moi ... » L'homme, de petite taille regarda longuement l'apprenti en bougonnant de plus belle. Il le souleva brusquement, le portant sur son épaule sans sembler éprouver trop de difficultés autres que celles du vent glacial. « Accroche-toi gamin, on y va ! »

Pallas venait d'arriver bien loin de chez lui. Il lui fallut plusieurs jours pour recouvrer ses forces dans une petite grotte aménagée avec soin par son hôte, un Nain qui se trouvait être son instructeur. Les premières semaines passèrent rapidement. L’éphèbe comprit très vite que s'il voulait quitter cette contrée hostile, il lui faudrait gagner l'Armure Sacrée de la Croix du Sud ... mais, pour ce faire, fallait-il encore survivre à l'entraînement du Nain ! Ce dernier était bien rude pour Pallas qui, depuis son enfance, était plus habitué aux brûlures du soleil grec qu’aux morsures du froid. Pallas se sentait abandonné mais tint bon.
La neige tombait sans cesse, comme si le ciel déchargeait en ces terres abandonnées des dieux tous les flocons du Monde. Le pire survenait lorsqu’elle se combinait aux rafales de vent, et que de terribles tempêtes s'en suivaient. N’importe quelle partie de la peau se trouvant exposée à l’air libre était automatiquement cinglée par cette fine neige coupante comme des lames de rasoir. Outre le climat toujours détestable, il y avait de féroces animaux qui n’avaient jamais vu d’hommes de leur existence. Tout ce qu’ils voyaient en Pallas était une proie potentielle, si rare en ces lieux. Deux années passèrent, longues, dures, semblant aussi éternelles que cette neige qui ne fondait jamais.

Ces derniers temps, il avait croisé des animaux désorientés, qui ne lui prêtèrent même pas attention. Cette réaction intrigua le jeune homme, même s'il savait que les animaux avaient parfois des comportements qui dépassaient la compréhension humaine. Finalement le plus étrange était que la végétation se faisait changeante. Elle se transformait et était de plus en plus rare. Bien sûr elle était tout sauf luxuriante mais à ce point. Un an auparavant, à la même époque, elle était deux à trois fois plus abondante. Il n’était pas impossible de trouver des plantes, qui parfois étaient comestibles, en creusant sous la neige et la couche de glace qui les protégeaient.
Le seul contact de Pallas demeurait ce nain. Même s’il n’avait rien en commun avec lui, même s'il n'était jamais de bonne humeur, même si ses exigences étaient terribles .... Ainsi ces interminables séances de course à demi nu dans la neige, de natation dans l'eau glaciale, de concentration sous la tempête, sous le blizzard le plus terrible ... enfin, le voir lui faisait tout de même un bien fou. Une nouvelle année s'écoula. Son instructeur semblait étonné de le voir encore en vie, il décida de pousser encore plus loin l'entraînement. « Maintenant tu dois trouver l'armure, tu dois trouver l'antre où sommeille ton destin ».

Pallas se mit donc en quête de cette « antre » mystérieuse à travers l'immensité de la banquise. Pour se repérer dans ce labyrinthe de glace, Pallas avait trouvé une astuce. Impossible de laisser des traces sur le sol car en quelques minutes la neige les avait recouvertes. Sur des parois de falaises verticales, il gravait des symboles. Ce travail était certes efficace, mais il lui prenait beaucoup de temps parce que ce n’était pas chose aisée que d’entamer un matériau aussi dur que la roche, d’autant plus que sa dureté semblait augmenter avec la faible température ambiante.
Après plusieurs jours de marche, il arriva enfin au seuil d'une vaste caverne. Au loin, une silhouette tournait le dos à Pallas. Il avança sans faire de bruit pour essayer de tromper la vigilance de l'inconnu.
« Que comptes-tu faire ? M’égorger par surprise ? »
Une fois de plus, le jeune apprenti avait loupé son approche furtive.
« Tu fais dans l’humour macabre aujourd’hui ! lui rétorqua Pallas, vexé.
- Hum peut-être … J’ai mes humeurs, comme tout le monde ».
Il se retourna et même sa longue et épaisse barbe ne pouvait pas cacher son sourire. Il poursuivit.
« Bah, tu ne discernes toujours pas quand je plaisante. Allez, entre dans la caverne avec moi, tu vas me raconter ce qui t’amène en buvant une bonne bière naine de ma confection, au coin d’un bon feu. Nous partagerons le fruit de ma dernière chasse ».
Ils échangèrent pour la première fois un sourire complice.

- Je cherche cette fameuse antre, celle où je dois trouver l’Armure. Depuis des jours je marche ... Je viens de me rendre compte que je tourne en rond. Peut-être pourras-tu répondre à une question, ainsi je n'aurai pas totalement perdu mon temps. La végétation ne te semble pas encore plus disparate qu’à l’accoutumée ? Les animaux que tu as rencontrés dernièrement n’ont pas adopté un comportement bizarre ?
- Tu sais, je ne sors pas très souvent, que lorsque j’y suis obligé, pour aller chasser par exemple. Je n’ai pas besoin d’explorer toute la région comme tu le fais. Je peux juste te dire que la fréquence d’animaux piégés n’a pas chuté et en ce qui concerne les plantes, ce n’est pas demain la veille que tu verras un nain en manger. J'ai cependant observé que certains animaux sont particulièrement tendus, la saison sans doute ... »
Après un court silence, Pallas enchaîna.
« Je dois me faire des idées…
- Je vais quand même ouvrir l’œil et la prochaine fois que tu viendras, on fera le point sur cette histoire. Il est déjà tard et une tempête s’est levée juste après ton arrivée. Tu vas me faire le plaisir de passer la nuit ici.
- Au départ, je comptais repartir plus tôt mais tu as raison, je vais rester pour la nuit et cette fois-ci j’aurai ma revanche au jeu que tu m’as appris la dernière fois.
- Quand tu partiras, demain, tu fileras toujours au sud, en direction du soleil lorsqu'il est  son zénith. Tu marcheras, longtemps, sans rien trouver. Ta quête prendra alors un nouveau sens. Je vais t'apprendre des choses décisives ce soir. Voilà quatre ans que tu es à mes côtés, tu as survécu à mon entraînement et à cette terre, peut-être es-tu finalement celui que j‘attendais.
- Que veux-tu dire, demanda Pallas surpris par la sollicitude soudaine de son mentor.
- Pourquoi es-tu ici ?
- Pour l’Armure Sacrée ! Pour Athéna !
- Que sais-tu seulement de cette Armure et d’Athéna ? »

Pallas tendit ses mains vers le feu qui crépitait de plus belle après que le Nain eût rajouté un morceau de bois de sa réserve. Son regard se perdit dans les flammes, sa voix prit des airs hésitants.

« Tu as raison, finalement je ne sais pas grand-chose. Je subis mon destin depuis ce moment où Cybèle me guida vers elle.
- Ce que je vais te révéler, peu de personnes en ont connaissance. Tu es bon, généreux. Tu devras t’endurcir un peu, je fais confiance à Athéna pour cela, je sais de quoi je parle ».

Le Nain plissa le front quelques instants. Un lourd passif semblait exister entre lui et la déesse. Il reprit ses esprits et, tout en servant son élève, révéla une part des lourds secrets qu’il conservait depuis des temps reculés au fond de son âme.
« Jadis, après la Grande Guerre de l’Âge d’Or, les dieux de l’Olympe ont décidé de se doter de guerriers sacrés. Cette guerre avait failli leur coûter la vie et mener le Monde à sa perte. A cette époque, seul une grande île était restée intacte, l’île de Mü. Pour des raisons obscures, Poséidon en eut la sauvegarde. Cette île était très importante car c’était le seul endroit du Monde où l’on pouvait trouver de l’Orichalque, métal sacré surpassant tous les autres métaux connus. Le Maître des Océans eût la responsabilité de sauvegarder cette terre et fut chargé d’exploiter les gisements de ce minerai pour confectionner les armures et les armes qui devaient servir aux dieux de l’Olympe pour lever leurs armées de guerriers sacrés.
- Tu veux dire que tous les dieux de l’Olympe ont un ordre qui, comme Athéna, dispose d’Armures Sacrées ? Et les autres dieux, ceux des autres terres ?
- Tout n’est pas si simple, répliqua le Nain en se servant une nouvelle chope. « Eris fut rejetée de l’Olympe par Zeus lui-même, le Maître incontesté des dieux grecs. Mis à part elle, toutes les autres divinités disposent en effet d’un ordre sacré : le plus puissant est sans conteste celui de Poséidon et de ses sept Généraux des Mers. Hadès et ses Spectres, Arès et ses Berserkers, chaque divinité créa un ordre à la puissance redoutable. Les autres dieux ne furent pas tenus au courant et, à ma connaissance, aucune divinité étrangère ne dispose de tel ordre de combattants ».
- Comment sais-tu tout cela ? questionna Pallas avec une point d’excitation devant ces révélations extraordinaires.
- Laisse-moi finir et tu comprendras, répondit fermement son maître.
Il reprit un ton plus serein et poursuivit son récit.
- Athéna consulta des devins pour créer son propre ordre. Suivant leurs conseils, elle décida de créer ses Guerriers Sacrés en se basant sur les étoiles. Elle dessina des constellations pour que les Hommes se remémorent ses hauts faits ainsi que ceux de ses proches et demanda aux forgerons de Mü, dont je faisais partie, de concevoir un certain nombre d’Armures. Elle désirait créer un ordre reposant sur deux piliers : des Armures de Bronze et des Armures d’Argent. Plus tard, elle rajouta des Armures d’origines diverses rapportées par ses Guerriers, la plupart du temps à l’issue de la mort de divinités secondaires comme Borée par exemple qui lui légua son Armure du Crystal. J’ai créé l’armure que tu convoites : la Croix du Sud rappelle le signe que fit Athéna pour se protéger de l’attaque qu’une puissante divinité lui porta sur ces terres lors de la Grande Guerre de l’Âge d’Or. En croisant ses bras, elle para le coup et remporta finalement le combat, c’est ce que dit la légende ... Elle est faite d’Orichalque, de bronze des forges d’Héphaïstos, de poussière d’étoile et de quelques autres éléments que je garde secrets. Sache que nul froid ne peut la détruire et que, au moment où je l’achevais, elle fut frappée par la foudre divine : l’alliance du froid et des éclairs, ton armure te rendra invincible si tu sais la dompter. Une dernière chose : ces armures vivent. Le jour de la mort de leur premier porteur, l’âme de ce dernier rejoindra son Armure pour l’éternité. Si tu gagnes ton titre de Guerrier Sacré, ton destin sera à jamais lié à cette Armure, Pallas ».

Le jeune Grec ne savait quoi dire. Cette vérité le fascinait autant qu’elle le dérangeait. Reprenant ses esprits, il décida d’en apprendre davantage, profitant de cette soirée pour se nourrir du savoir de son maître.
« Combien y-a-t-il d’Armures Sacrées ? Pourquoi de Bronze et d’Argent ? Ces Armures sont-elles indestructibles ? Sont-elles liées au Kosmos ?
- Doucement, sourit le Nain devant l’enthousiasme de son apprenti.  Si je sais certaines vérités, je ne sais point tout ! Leur nombre n’est connu de personne, mis à part Athéna et le Maître de son Ordre. D’argent ou de bronze, elles ne sont pas indestructibles, surtout face à la furie d’une divinité. Leur pouvoir est avant tout protecteur, le pouvoir des Guerriers Sacrés résidant dans leur Kosmos. Je peux cependant t’apprendre un lourd secret, que tu garderas pour toi. Certains forgerons trahirent Athéna et travaillèrent pour leur compte, créant des Armures Noires, copies conformes ou presque des Armures Sacrées. Ces Armures appartiennent aujourd’hui à des Guerriers qui servent toutes sortes de causes. Quant à Eris, qui fut rejetée de l’Olympe, on dit qu’elle désire créer son propre ordre en dérobant les Armures des autres dieux … Ce que tu convoites, d’autres le convoitent tout autant. Tu devras apprendre à vivre avec ce danger ».

 

Sans le savoir, Pallas quitta le lendemain celui qui était devenu son ami pour ne plus le revoir avant plus d'une année. Il traversa seul l'immensité de la banquise, se nourrissant du maigre produit de sa chasse, apprenant à contrôler son corps, ses envies, ses faiblesses. Petit à petit, il n'était plus le même homme, ses sens étaient en éveil, d'un éveil surnaturel ... Pallas était au bout de son chemin initiatique : il avait sans le savoir découvert la voie du Kosmos.

Ce fut lors d’une nouvelle journée de tempête qu’il découvrit enfin la Crypte qu’il avait tant cherchée. Lorsque deux adversaires lui sautèrent dessus sans coup férir,  il n'eut aucun mal à les éviter. Mieux, il ne lui fallut que deux coups de poing pour les mettre à terre. Les deux inconnus étaient morts en quelques instants, à la plus grande surprise de Pallas. La scène avait à peine duré quelques secondes. Tout à sa surprise, il ne vit pas tout de suite un troisième homme qui courut vers une petite montagne de glace.
« Qu'est-ce qu'ils me voulaient ?» pensa-t-il en sondant à travers le tumulte des éléments. Son regard se porta fut soudain attiré par une forme, étrange, visiblement humaine. On l’observait ... Pallas se mit à courir dans sa direction lorsque l’ombre disparut. Il hurla de toute ses forces, tentant désespérément de percer le mugissement du vent glacial : « Toi là-bas, tu ne vas pas t'échapper ainsi, crois-moi ! »
Pallas suivit de loin, le perdant aussi vite qu’il le retrouvait au rythme des bourrasques de neige. A sa grande surprise, l'inconnu disparut dans une anfractuosité qui dégageait un halo de lumière blanchâtre. Le serviteur d'Athéna s'engagea prudemment dans les couloirs glacés. Pallas s'arrêta un moment devant des gravures qui couraient le long des murs éclairés par des torches fraîchement allumées. Diverses scènes de duels étaient représentées, opposant à chaque fois un jeune homme en armure du Sanctuaire, semblable à celle qu'il portait, avec un homme au long manteau, faisant jaillir des traits de lumière ou d'énergie de ses doigts.

« Vingt-deux. Tu es le suivant sur la liste, mon jeune ami ».
Pallas se retourna brusquement vers la voix, se mettant instinctivement en garde.
« Qui es-tu ... »
Inutile que l'inconnu réponde. L'être qui venait d'apparaître, à la peau grise, était sans doute possible celui de la fresque !
« Ton destin t'attend. Suis-moi. Après des années, j'ai enfin trouvé l'Armure Sacrée de la Croix du Sud. J'allais rejoindre ma déesse quand mes hommes t'ont repéré. Il faudra finalement que je te supprime avant de pouvoir m'en retourner.
- Mais qui es-tu ? Tu es aussi un apprenti d'Athéna ?
- Pas vraiment, répondit-il en ricanant, je suis Vozavnu, serviteur d'Eris. Je suis venu m'emparer de cette armure pour qu'elle serve les intérêts de ma déesse et non ceux de ta pauvre et pathétique Athéna. Pour la revêtir, il faut néanmoins satisfaire au rite de sang. Tu feras l'affaire, je vais te tuer, et gagner le droit de revêtir l'Armure Sacrée ! »

Pallas ne dit mot. Il ne savait quoi répondre. Machinalement, il suivait Vozavnu qui l'emmena dans une grande salle totalement dégagée. Au fond de ce palais de glace se dressait un autel de glace qui portait en son sommet une étrange urne à peine plus grande que la paume d’une main, mais qui dégageait une lueur hypnotique. Pour le moment, Pallas n'avait pas vraiment le temps de s'y attarder, le serviteur d'Eris s'était mis en garde.
« Je te laisse porter le premier coup, comme ce sera le seul. Je ne vais pas l'éviter, ainsi tu partiras en enfer fier d'avoir pu honorer ta déesse, t'étant bien battu, n'ayant pas été ridicule.
- Ne crois pas que ce sera si aisé. J'ai tué tes sbires, j'en ferai de même avec toi ! Tu ne voleras pas ce qui appartient à Athéna et qui me revient de droit ! Depuis des années j'attends ce moment ! »

Petit à petit Pallas sentait un nouveau pouvoir s'emparer de ses sens, ses poings se refermaient, prêts à délivrer l'énergie accumulée depuis ses dures années d'entraînement. Le combat commença dans un silence total. Les deux premiers coups furent portés, le son résonna avec un temps de retard dans la cathédrale de glace : ce n'étaient pas des hommes qui se battaient. Il s'agissait de deux demi-dieux, échangeant des coups à la vitesse du son.
Pallas chargea le premier son adversaire, le poing droit en avant tandis que son avant-bras gauche lui servait de bouclier au niveau du torse. Tandis qu'il se rapprochait de son adversaire, il serra son poing droit en même temps qu'il le ramenait un peu plus en arrière et le propulsa au dernier moment vers le visage de Vozavnu. Le coup frappa juste, le visage du serviteur d'Eris n'esquivant aucunement cette violente charge. Ce dernier vacilla légèrement puis rit en se retournant vers Pallas qui l'avait dépassé en raison de sa vitesse vertigineuse pour un simple mortel. Le rire joyeux de Vozavnu accompagna bientôt sa fulgurante riposte. De ses doigts jaillirent dix éclairs qui pénétrèrent les chairs du serviteur d'Athéna après avoir traversé sans encombre l'armure de cuir renforcé qu'il portait sous ses vêtements polaires. Le coup expédia Pallas au sol. Tandis qu'il essayait de se relever Pallas évita au dernier moment le tranchant de la main de son adversaire qui finit sa course dans le sol de glace, le fissurant  sur près de deux mètres.
« Tu te bats bien, apprenti, mais tu demeures un Mortel ... pas moi ! »
Les deux hommes se mirent à tourner l'un autour de l'autre, tandis que dehors une tempête de neige s'abattait sur la banquise, recouvrant d'un linceul immaculé les corps des deux adversaires terrassés par Pallas.
Tout comme ceux qu’il avait terrassés devant la crypte, son adversaire portait une armure très légère, recouverte d’un manteau soigneusement tissé de lin et de peaux, qui protégeait peu son corps presque chétif, à la musculature à peine apparente. Un large casque en airain sur lequel était incrusté un crâne occultait son épaisse chevelure brune. De longues mèches bouclées encadraient son visage émacié, dont les yeux noirs, sans vie, fixaient le jeune éphèbe. Sa peau grise n’avait rien de naturel ; cet être semblait jailli d’entre les morts.
Il ne laissa pas à Pallas le temps de continuer à le détailler, et se prépara à repasser à l’attaque. Pallas réagit immédiatement et tenta de lui porter un violent uppercut, qu’il para d’un revers de bras en serrant les dents. Le Grec reprit ses enchaînements de coups de poing, mais le spectre, car nul homme ne pouvait avoir une telle peau à moins d’être mort, évita chaque assaut avec une déconcertante facilité. Le combat allait être serré, les deux adversaires semblaient à ce moment précis de même niveau. Non seulement ils parvenaient à parer les coups portés, mais en plus chacun répliquait avec de plus en plus de vigueur. De chaque côté, certains coups faisaient mouche, et à ce petit jeu Pallas semblait être le seul à en souffrir. Il se décida à passer à l’étape suivante, sous le regard incrédule du serviteur d’Eris.
Pallas ôta son manteau déchiqueté et se mit en garde après avoir reculé de quelques mètres. Il tendit sa main gauche en avant, tout en baissant sa main droite qui restait ouverte et positionnée au niveau de sa hanche. Il avait un plan ; il espérait que son ennemi ne devinerait pas ses intentions. Il leva brusquement son bras gauche ouvrant la main qui lâcha une boule d'énergie bleutée en direction de Vozavnu ... qui la para d'un revers de la main. Toutefois, ce dernier chancela sous la violence du choc et sa main pendante se mit à saigner. Surpris par l'aplomb du jeune Grec, le guerrier d'Eris fondit  à toute vitesse de son ennemi, décidé à en finir.

Pallas évita le premier coup, para les second et troisième coups, cédant peu à peu du terrain devant la férocité de cet assaut. Il fit un saut de côté et fit pénétrer son index droit dans la cuisse  gauche de son adversaire.
« Tu n'es peut-être pas mortel, mais tu as perdu ».
Haletant Vozavnu regarda avec horreur sa cuisse. Son armure de cuir était brûlée tout autour de l'impact du doigt de Pallas, sa jambe s'engourdissait petit à petit.
« Que m'as-tu fait ?
- J'ai passé de nombreuses années dans cette contrée sauvage, je ne saurais pas dire combien. J'ai reçu un enseignement extraordinaire, même s'il fut ardu. Toutes ces années de souffrance m'ont permis de découvrir le Kosmos dont Yolos nous avait parlé ... j'ai peu à peu réussi à le maîtriser et à développer cette attaque, comme mon maître Nain me l'avait enseignée. Selon son enseignement, elle se nomme « Toucher Glacial ». En vérité, cette attaque repose autant sur le feu que la glace. Je concentre toute mon énergie en un doigt et, au moment opportun, je passe à l'assaut. Mon Kosmos a brûlé ton armure et m'a permis de pénétrer tes chairs. Maintenant, tu reçois de plein fouet mon froid glacial qui va t'ôter la vie, tout immortel que tu sois. Tu vas disparaître, pour Athéna ! Jamais Eris ne s'emparera de cette armure qui me revient !
- Je t'ai sous-estimé. Tu as gagné. Je vais disparaître sous tes coups, mais sache qu'Eris saura sauver mon âme, nous nous retrouverons un jour prochain.
- Avec plaisir ! TOUCHER GLACIAL ! hurla Pallas, à peine surpris par l’apparente capitulation de son adversaire ».
Une onde de froid parcourut toute la galerie tandis que le bras droit de Pallas guida un fluide glacial jusqu'aux entrailles de son adversaire qui vit avec horreur son corps se changer peu à peu en glace jusqu'à imploser en milliers de morceaux. A cet instant précis l'autel du fond de la salle se mit à vibrer. L'urne lumineuse qui se tenait dressée venait de s'ouvrir, libérant l'Armure de Bronze de la Croix du Sud. Cette dernière vint recouvrir le corps de Pallas qui n'en croyait pas ses yeux.
« Bravo, tu as réussi.
Pallas se retourna et reconnut avec joie son instructeur nain.
- Ne sois pas étonné de me voir. Je suis ici depuis si longtemps ... J'attendais ce jour avec impatience, tu viens d'achever ton parcours initiatique vers ta constellation, tu entres maintenant au service d'Athéna pour de bon. Quant à moi, me voilà délivré.
- Que dis-tu ? Je ne comprends pas ! Et cet homme, Eris, que signifie ...
- Tu comprendras un jour. Je suis Xizex, pauvre Nain d’une terre oubliée, qui a profané voilà des siècles un temple d'Athéna après avoir créé cette armure qui te revient. Ma punition fut de garder cet endroit jusqu'au jour où un homme viendrait la réveiller. J'ai attendu si longtemps que j’ai perdu toute réelle notion du temps. ... Je suis fatigué, mais heureux que ce soit toi. Je vais pouvoir rejoindre les miens dans l'au-delà. Tu seras digne de ton armure, j'en suis certain. Il te reste beaucoup à apprendre, tu devras encore perfectionner ta technique, mais je t'ai appris tout ce que ma vie de mage et d'ermite m'avait enseigné. Je t’ai aussi instruit dans les secrets de ma terre, Mü, que je ne reverrai jamais. Elle doit avoir disparu de toute façon, victime de la folie des dieux Grecs qui s’en sont emparés pour notre plus grand malheur et qui l’ont peuplé de monstres horribles pour assouvir leurs instincts de violence.
- Je ne comprends pas, répéta Pallas les yeux incrédules.
- Il est juste temps pour toi de rejoindre les tiens. Adieu, Guerrier Sacré de la Croix du Sud ! Prie ta déesse, elle saura te faire revenir à elle. Là où je vais, je garderais un œil sur toi ».

Xizex disparut comme dans un mirage du désert au moment où Pallas voulut le serrer dans ses bras. Il resta longtemps à genoux sans comprendre ce qui lui arrivait. Krateros de la Coupe vint enfin briser sa solitude.
« Allons Pallas de la Croix du Sud, il n'est pas temps de pleurer », lui dit-il en le relevant. « Nous avons une longue route à parcourir, ta déesse t'attend ! »