Dans l’épisode précédent …

 

De longues négociations se sont engagées entre les représentants d’Asgard, menés par Thenséric, et ceux du Sanctuaire, conduits par Asturias. Alors que les différents semblaient devoir l’emporter, les deux puissances parviennent à sceller un accord décisif : Ases et Guerriers Sacrés joindront leurs forces afin de retrouver les reliques d’Osiris. Ce faisant, ils chercheront ensemble le chemin menant en Mü, après avoir refermé Astragoth et libéré les mortels du courroux des dieux ancestraux.
Réunis pour la première fois depuis le sinistre épisode du Gouffre des Tempêtes les voilà à présent voilà sur le départ vers Hattousa. C’est là que commença leur destin extraordinaire, sous le regard protecteur de Cybèle. Encore une fois, c’est là que semble s’inscrire leur avenir …

 

Chapitre XV – L’Oracle du Vieux Fou

***

Le silence de Cybèle

 

Jardins d’Hattousa

« Isacivi dis-tu ?
- Oui Asturias, Isacivi est comme nous un Ase, porteur de l’Armure et des armes d’Hoenir. C’est un sage, un érudit comme je n’en ai que rarement rencontré. Les nombreuses discussions que nous avons pu avoir avec lui m’ont convaincu que les Dieux ne sont pas ce que nous avons toujours cru, des Êtres à la puissance phénoménale.
- Mais enfin, souffla Mâa, les Dieux sont des entités capables de faire des choses que nous, Mortels, sommes incapables de percevoir, de comprendre. Ils sont éternels !
L’Egyptien se tourna vers Aâmet qui restait silencieuse depuis le début de la conversation.
- Mais enfin, répéta-t-il, Aâmet, dis-leur ! Tu connais Isis, tu l’as rencontrée ! Parle, dis quelque chose ! »
La Magicienne se pencha en avant et son regard se perdit dans les rides du bassin qui jouxtait le chemin de promenade. Sa voix se fit grave, contrastant avec la beauté radieuse de ses traits.
« Je sais que les dieux d’Egypte se meurent. Je sais qu’Osiris, le Seigneur du Silence, n’est plus.
- Tout comme Artholos et les siens triomphèrent de la Horde d’Eluontios. Tout comme Thrall, Dimitre et Bjarnulf ont terrassé voilà des années Kratourn, compléta Asturias ».
Rahotep songea immédiatement à la disparition d’Odin et de Loki, mais ne souffla mot.
« Quelque chose ne va pas, mon ami ?
- Non, rien de grave Shiro, répliqua l’Egyptien. Je songe simplement que nous allons bientôt devoir affronter une autre divinité en la personne de Shamash et que, jusqu’ici, je n’avais pris la mesure de cet acte insensé.
Akurgal sonda le ciel.
- Isacivi a été très clair ; les textes parlent de l’Indicible comme d’un Être capable de tuer les Dieux, bien qu’il n’en soit pas tout à fait un. Il a découvert quelque chose, un pouvoir, qui lui permet de rendre les dieux vulnérables. C’est ce que craint le Maître des Tumultes. Voilà pourquoi il mène en ce moment une guerre totale à son encontre. Toutes ses pensées sont tournées vers cet Être. Lui, Caturix, le Fléau des Hommes, craint plus que tout Soleil Noir. Sa sagesse antique lui permet de savoir ce que les Dieux risquent. Les autres, Enlil en tête, ne semblent pas voir pris la mesure de cette menace.
- A moins que cette menace soit illusoire, coupa Mâa. Enfin, cela n’a pas de sens ! Comment affaiblir les Dieux au point que nous puissions nous, simples Mortels, les tuer ? Il doit y avoir une autre explication.
- Laquelle Mâa, laquelle ?
L’Egyptien se tourna vers Shiro, l’air dépité.
- Je ne sais pas, mais si le pouvoir de l’Indicible était si grand, pourquoi n’aurait-il pas tué les dieux lui-même ? Pourquoi les Dieux ne se seraient pas ligués pour faire face à cette menace ? Non, selon moi seule la Grâce de nos protecteurs, Odin et Athéna, explique nos victoires plus que ce mystérieux pouvoir que vous attribuez à l’Indicible.
- Tu te berces d’illusions, fit durement Rahotep. Les Dieux sont vulnérables comme jamais ils ne l’ont été. Il se passe quelque chose qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. L’Indicible joue un rôle, mais il n’est pas la clé.
- Allani-Ettitu ?
- Oui Asturias. Les textes que nous avons découverts, cette histoire de Gullveig ; quelque chose nous échappe, mais je suis certain que la clé se trouve là. Je suis aussi certain que nous pouvons à présent triompher des Dieux car nous sommes les agents de forces nous dépassant.
Mâa se crispa. Il y avait chez le Lotus d’Argent un conflit permanent entre son respect immodéré pour l’Ordre établi dont les Dieux étaient les garants et une colère grandissante vis-à-vis de ceux qui semblaient, les uns après les autres, trahir la confiance que les Hommes portaient en eux.
- On nous utiliserait ? Allani-Ettitu est enfermée dans sa prison de Crystal, alors qui ?
- Allani-Ettitu semblait morte, nous l’avons pourtant retrouvée sur notre route. Elle ou quelqu’un d’autre, on nous utilise. Nous sommes les « Elus », c’est ce qu’Immungus a encore répété après toutes ces années. Notre destin semble lié à celui des Dieux, il nous faudra comprendre en quoi. Nous devons reprendre la main.
- Je te rejoins totalement, fit Asturias. Le Sanctuaire, par l’entremise d’Anaximandre, a mis la main sur des Savoirs qui nous sont volontairement occultés. Je crois qu’Hantacore sait des choses, bien plus qu’il n’a voulu nous le dire, tout comme je suis convaincu que cette Terre de Mü n’est pas celle qu’on voudra nous présenter. Il existe une réalité que nous ne pouvons voir pour le moment. De même, je pense que le silence de Cybèle n’est pas innocent ; nous devrons découvrir ce qui se trame. La première étape sera celle qui consistera à contenter Isis. Lorsque nous aurons réuni les morceaux de son frère, nous disposerons d’un moyen de pression pour en apprendre davantage.
Aâmet fulmina.
- Vous n’avez pas le droit ! Pour qui vous prenez-vous pour faire du chantage à ma déesse ! »
Mâa se rapprocha de sa compagne et prit doucement sa tête entre ses mains. Ses yeux s’obscurcirent, comme si la nuit s’était emparée de leur substance et, pourtant, Mâa conservait un caractère lumineux, incroyablement lumineux. C’était cette lumière qui éblouissait à présent la Magicienne ; c’était cet être lumineux qu’elle considérait à présent avec effroi.
« Je suis tout aussi désolé que toi, mais ils ont raison. On nous utilise. N’oublie pas notre rêve, celui d’un Monde meilleur et vertueux, débarrassé des monstres qui le détruisent, un Monde où les peuples pourront vivre ensemble et où ceux qui s’opposeront à l’Ordre des choses seront terrassés par les Gardiens que nous serons. Nous allons construire ce nouvel Ordre des choses, nous allons nettoyer cette fange dans laquelle les Dieux semblent se complaire, eux qui ne songent qu’à détruire ce qu’ils ont créé ou à fuir. Athéna nous guidera et, j’en suis certain, Isis sera de notre côté. Il en va de sa survie ».

***

Hattousa, auberge des Hôtes

« Alors, ça avance ? »
Frank s’assit et se servit un verre de vin sans un regard pour son frère.
« Alors, reprit ce dernier, qu’est-ce qui se passe ? Nous sommes là depuis cinq jours et rien. Même pas un début d’amorce de réponse à ce silence. Cybèle a une dent contre nous ou quoi ?
- Elle ne veut plus parler, à personne. Elle s’est enfermée dans son temple et semble attendre un événement très grave. Immungus n’en dit pas plus.
Inyan se balança en arrière, les bras croisés.
- Ça c’est Le pompon. Après tout ce qu’on a fait pour elle ! On retrouve ses foutues filles, on se laisse faire gentiment quand elle nous envoie aux quatre coins du monde et là, au moindre service elle se défile.
- Inyan, tu parles d’une déesse.
- Je suis un Ase.
- Et bien je doute que Bragi accepterait que tu parles ainsi à une divinité.
- Rabat-joie, Nibel. Décoince-toi un peu. Tu devrais aller trouver une femme. Hier soir, j’ai passé un peu de temps avec une des servantes qui s’occupe de nous. Bon, elle ne vaut pas la belle Nefzena, mais elle est plus coopérative.
- Nefzena est très coopérative avec Nevali.
Dans un mouvement de surprise, Inyan bondit sur sa chaise et tomba à la renverse.
- Nekkar, tu te moques de moi, rugit-il en se relevant. Comme ce petit loup aurait fait pour approcher une telle beauté, là où je me suis cassé les dents ! Et, tu m’as bien regardé ou quoi ?
- Toujours est-il qu’elle a terminé la soirée dans sa chambre, avec Nevali. Il est sorti très heureux et détendu ce matin.
- Garce ! Elle ne sait pas ce qu’elle a perdu !
Séléné, jusque-là placide, éclata de rire.
- AHAHAH ! Sacrés Asgardiens ! Toujours à la traîne derrière le Sanctuaire ! Nous sommes les meilleurs, rien à redire là-dessus.
- Parle pour toi, gros sac à poil chauve. Tu crois que tu m’impressionnes avec ton armure de Bronze ? Regarde-nous autres, les Ases.
Inyan pointa du doigt le coffre miniature où l’Armure de Bragi était enfermée. Il reprit avec assurance.
- Nos Armures et nos Armes sont bien supérieures aux vôtres. Il suffit de voir ce qui s’est passé dans votre Sanctuaire : malgré votre nombre, vous avez été incapables de résister victorieusement aux assauts de Caturix. Nous sommes peu nombreux, mais Asgard ne craint rien !
Séléné se leva et frappa du poing sur la table, renversant la cruche de vin par terre.
- JE n’étais pas là pendant cette bataille ! Sinon, Cutarix ne serait plus un problème, crois-moi.
- Caturix, coquille d’huitre vide !
- Vous n’avez pas fini vous deux ? Allez, Séléné, rassis-toi. Mettre un si bon vin à terre pour des questions d’égo, c’est ridicule.
- Frank a raison, calmons-nous.
- Le très gentil Nibel a parlé, je me calme donc, répliqua Inyan d’un air moqueur. Bon, mon cher frère, tu n’as rien appris d’autre ?
- Et bien pour le moment Mâa, Asturias, Shiro, Rahotep et Akurgal discutent toujours avec Immungus et l’érudit Joriams (1). Les autres sont pour certains dehors, avec Kamènes, mon Maître. Quelques-uns se baladent aux alentours et je crois savoir que Canagan, Hanz et Artholos sont dans l’échoppe principale, à la recherche de quelques trésors.
Nekkar, qui venait de se saisir d’une nouvelle cruche de vin, se rapprocha de la table.
- C’est exact, dit-il en servant ses compagnons, je les ai vus tout à l’heure. Pour le reste Kamènes fait faire le tour des fortifications. Il semble qu’un groupe de Sinanthropes a été vu à une demi-journée de marche d’ici par Callista, Aspasia et Poena.
L’œil d’Inyan brilla de gourmandise.
- Ce sont vos nouvelles recrues, n’est-ce pas ? J’en ai entendu parler mais elles n’ont pas encore eu la chance de me voir. Depuis quand le Sanctuaire utilise-t-il des femmes ?
- Ce sont d’anciennes Amazones qui ont rejoint Athéna. Elles ont été découvertes par Seth, Pallas, Harald et Darkhan, lors d’une précédente mission.
- Hum, des Amazones, Nekkar ? Ce sont donc des femmes farouches ; à coup sûr des furies au lit ! Et bien messieurs, veuillez m’excuser ; ce vin est excellent, votre compagnie tout à fait amicale, mais je dois travailler au rapprochement de nos deux puissances. Tu ne saurais pas où je puis les trouver Frank ? Tu te dois d’aider ton jeune frère …
- Je doute que tu puisses espérer grand-chose de ces femmes, crois-moi.
- J’ai fait fondre la roche la plus dure, mon frère, je suis capable de tous les exploits ! Les femmes d’Asgard qui ne m’ont pas connu rêvent de moi ! Allons, lâche le morceau.
- Je suis ton frère aîné, je dois te protéger, répliqua le Lézard d’Argent en saisissant fermement les épaules de son frère.
- Merde Frank, je suis tendu comme l’arc d’Ull, arrête de me faire lambiner !
- A ta guise, je t’aurais prévenu. Elles doivent être avec le groupe mené par Kamènes. Il me semble avoir entendu qu’elles devaient veiller ce soir sur la tour nord.
- La tour nord ? Tu savais donc que des femmes n’attendaient que moi, ici, quelque part, et tu ne m’as rien dit ? »
Le regard d’Inyan fit le tour de la table en voyant les visages exprimer une moquerie non feinte. Frank laissa à son tour échapper un sourire moqueur.
« Je te croyais plus porté sur les servantes à vrai dire. Méfie-toi, ce sont des Guerrières de Bronze, elles ne se laisseront pas faire.
- De Bronze ? Leurs Armures …
- Callista d’Andromède, Poena de Danaé et Aspasia du Cygne, lança Nekkar en frottant son visage aux traits rudes.
L’Ase de Bragi compta sur ses doigts tout en lâchant une moue dubitative.
- Cygne, Andromède et Danaé. Bon, je ne connais pas les deux derniers animaux, mais je trouverai bien un angle d’attaque. Merci ! »
A peine Inyan sorti de la pièce, ses compagnons ne purent contenir plus longtemps leurs rires. Les quatre hommes poursuivirent leurs échanges quelques temps, le vin aidant à détendre l’atmosphère. Chacun énonçait ses doutes et ses espoirs, sans retenues. Les souvenirs de leur arrivée à Hattousa occupèrent une bonne partie de leur conversation jusqu’à ce que, alors que le soleil se couchait au dehors, Rahotep n’entrât dans la pièce.
« Venez avec moi, nous vous attendons ; on a une piste ! Cybèle ne pouvant nous apporter son aide, Immungus nous a donné la solution. Il existe une autre personne capable de nous aider ; c’est une vieille connaissance de l’Etranger : Bombadilos, le Fou du Caucase ! »

 

Réveils douloureux

 

Seuil des Enfers, quelque patr le long des berges de l’Achéron, hors du temps

Ulka hurla durant toute la descente. Wanda et Gudrun devaient en faire autant, mais elle n’entendait que ses propres cris. Peu à peu, elle prenait conscience des forces qui l’étreignaient et menaçaient de la faire exploser : l’accélération vertigineuse, qui déformait ses traits fins et cette pression constante, embrasant l’ensemble de son corps. C’était comme si on lui écrasait chaque membre, comme si ses entrailles ne demandaient qu’à imploser. Et elle criait, de plus en plus fort. Le spectacle autour d’elle était saisissant ; il semblait qu’elle quittait la Terre pour un autre monde, une autre dimension, quelque chose qui n’avait rien à voir avec le monde des Hommes, un espace fait de couleurs, de lumières extraordinaires. Le champ de force qui l’entourait l’oppressait de plus en plus. Douleur ? Elle venait de mourir sous les coups de ces deux Roi des Mers ! Cela n’avait aucun sens ! Comment pouvait-elle ressentir une douleur alors que son enveloppe charnelle avait cessé de vivre. Pourtant sa gorge enflammée la faisait hurler de plus en plus, de rage et de douleur. La plupart des objets étincelants vers lesquels elle fonçait à toute vitesse, chevauchant un fluide électrique agité de convulsions, semblaient se fondre dans une matière noire à mesure qu’ils percutaient le champ de force. La surface terrestre avait disparu ; ainsi la Terre contenait en son sein un abîme sans fond ? Petit à petit, la chute ralentit. Ulka leva la tête et tendit le cou ; à ses côtés, Gudrun et Wanda partageaient le même regard horrifié. Cette dernière avait meilleure allure qu’un peu plus tôt, lorsque ses assassins l’avaient découpée en deux et jetée aux pieds de Kragden. La Guerrière du Paon Noir cessa de hurler ; la présence de ses deux sœurs la rassurait, si tant est qu’on pouvait l’être. Soudain, elle se crispa : le sol ! Il y avait bien un sol, ce n’était pas un trou sans fin. Et ce sol, même si la vitesse avait décru, elle le rejoignait si vite qu’elle allait immanquablement s’écraser contre ses roches hérissées qui n’attendaient que cela. Deux morts en une seule journée, c’était beaucoup ! Ulka hurla, une dernière fois, au bord de la crise de nerf. Elle ne pouvait pas bouger. Il n’y eut ni impact, ni bris de pierre, ni collision fatale, ni sang. Il n’y avait que le noir.

***

« Ulka ! Ulka ! »
Les yeux s’ouvrirent péniblement. Gudrun et Wanda se tenaient penchées au-dessus de leur sœur aînée. Wanda était en un morceau et, comme sa cadette, portait son Armure.
« Où sommes-nous ? maugréa Ulka la voix pâteuse.
- Dans l’Outremonde !
- Que dis-tu ?
- Nous sommes dans le Royaume des Morts. Regarde autour de nous : il n’y a pas de ciel que cette brume nauséabonde. Il n’y pas d’horizon que ces pierres noires acérées. Il n’y a pas de silence que ces cris de déments. C’est tel que Mère nous l’a appris !
Ulka fixa Wanda dans les yeux.
- Ton corps …
- Il va mieux, merci. Cet enfoiré me le paiera, un jour où l’autre, mais il le paiera.
Gudrun se leva et attacha ses cheveux en arrière.
- Lève-toi. Des créatures se rapprochent de nous, je ne tiens pas à moisir ici. Il nous attend.
- Il nous attend ? Mais qui ?
- Oh, grande sœur, atterris un peu ! Notre frère nous attend. Mère nous a protégés pour que nous le retrouvions, n’oublie pas. Bon, bien entendu, tout ne devait pas se passer ainsi et ces deux Rois des Mers ont quelque peu changé la donne, mais au final rien n’a changé : le Livre est entre de bonnes mains et nous devons rejoindre Tenhoulen, notre souverain ».
Tenhoulen. Ce nom tira Ulka de sa torpeur. Une vie à attendre. Il avait fallu qu’elle meure avec ses sœurs pour que s’enclenche le dernier acte. Une vie aux Enfers. Une éternité de souffrance à venir et après …

***
Champ de bataille de la Montagne de l’Indicible, au même moment

« Stupéfiant ! commenta Argéthuse.
- Terrible, putain ! C’est démentiel, lâcha de concert Ichiuton.
- Ton sens du vocabulaire me fera toujours rire mon ami.
- Et alors, que veux-tu que je dise à ça ? Réfléchis, Argéthuse ! C’est de la folie de les affronter en duel. Nous ne sommes pas de la même espèce, humain. Jamais nous ne l’avons été. Jamais nous ne le serons ! Regarde donc cet enfoiré d’Arès pulvériser les zombis et Golems du Maître ! Merde, il se bat avec ses enfants, tous aussi fous de sang les uns que les autres ! On ne tiendra pas ! Tiralon a complètement perdu la raison !
- Il est certain que les choses vont être compliquées pour la suite de la journée, mais je suis assuré de notre victoire.
- COMPLIQUEES ??? Mais tu te fous de moi ! s’emporta le Cerbère Noir.
Il tira son compagnon par l’épaule et tendit le bras.
- Mais regarde ! Our-Kagina, notre belle Coupe Noire : il vient de se faire découper en deux par l’un des fils d’Arès ! Et que dire de Fougan du Lézard Noir ! Il n’en reste que des miettes que nos propres zombis dévorent.
- Pour se refaire une santé, objecta Argéthuse. Ne sois pas si négatif. Et n’oublie pas, qu’en dehors des créatures du Maître, il nous reste encore Thrasamund pour titiller les rejetons d’Arès. Je crois que la Baleine Noire peut nous surprendre ».

Alors qu’Ichiuton allait s’emporter davantage, Argéthuse le calma d’un revers de la main et guida son regard vers le Guerrier Noir de la Baleine. Après un duel épique, Thrasamund venait de se relever. Petit à petit, une brume noire se dissipait autour de lui, laissant apparaître le cadavre démembré d’Oenamos, fils d’Arès et chef de sa horde de Géants. Caturix, qui se trouvait à quelques distances de son allié, l’interpella.
« Arès, fléau des hommes, Maître des Carnages. Vas-tu laisser ce crime impuni ? Ce mortel vient de prendre la vie de ta chair !
- Impuni ? Cet enfoiré va bientôt bouffer ses tripes, oui !
- Des paroles, mon ami. Ce mortel vient de taillader ton fils. Il vient de te ridiculiser, Arès Buveur de Sang. Regarde-le exulter. »
Arès se tourna vers Thrasamund qui éructait sa rage et massacrait de ses pieds le corps de sa victime. Son regard vira à la pure démence.
« Il se moque de moi ? Ce ver de terre ose se foutre de moi ? Il ose souiller le corps de mon fils !
Caturix croisa deux paires de bras sur sa poitrine.
- Tue-le ! Tue-le donc, dévore son cœur et fais-le empaler pour que ce crime ne reste pas impuni ! »
Jamais les deux compagnons d’armes n’avaient vu combat aussi farouche dans une vie pourtant pleine de combats épiques. Finalement, comme aimait à le répéter l’Indicible, l’être humain n’était bien qu’une outre de chair, de sang et de tripes qui ne demandait qu’à être éventrée. Pour l’heure, cette outre se nommait Thrasamund de la Baleine Noire et elle faisait grand carnage à travers les rangs des Géants d’Oenamos, rendus fous par la mort de leur prince. Arès, pris d’une fureur absolue, se jeta enfin à sa rencontre ; dans sa fougue, deux Géants furent terrassés pour avoir osé le ralentir. Fier, solidement planté au sol, Thrasamund se frappa la poitrine avant, lui aussi, de fondre sur le dieu carnassier. Le combat était trop inégal, mais Arès avait décidé de le faire durer ; pour que son fils soit vengé par une mort terrible, mais surtout pour profiter des tourments du champ de bataille qui gonflaient son cœur d’allégresse. Et le duel dura. Argéthuse et Ichiuton n’en revenaient pas de voir leur propre compagnon tenir tête à ce colosse de muscles divin. Galvanisé par la peur de mourir autant que par la joie de connaître un tel combat, Thrasamund tenait bon, déversant ses arcanes à chaque fois qu’Arès baissait sa garde. Et alors l’improbable se produisit : dans un mouvement primitif de survie, le Germain parvint à arracher le casque au panache écarlate porté par le Fléau des hommes. Ivre de jubilation devant cette résistance inespérée, Arès fit exploser son énergie et jusqu’aux tréfonds de l’Antre de l’Indicible, on put ressentir l’onde de choc dévastatrice de sa furie, tandis qu’Argéthuse et Ichiuton volèrent dans les airs pour aller s’écraser contre les parois voisines.
« MISERABLE VER ! TU M’AS TOUCHE ! JE VAIS TE BOUFFER CRU, A L’INSTANT ! JE VAIS FAIRE EN SORTE QUE TU VIVES LORSQUE TU ME VERRAS T’ARRACHER TES PARTIES POUR LES DONNER EN PATURE AUX ZOMBIS DE TON TARE DE MAITRE ! JE VAIS TE CONDUIRE MOI-MEME AUX ENFERS ! »
A quelques distances de là, Caturix portait un regard sombre sur le sommet d’une des fortifications qui entourait la Montagne du Soleil Noir. Là, perché, Tiralon croisait les bras et distillait ses ordres à un Guerrier Noir qui n’attendait qu’un signe pour bondir dans la mêlée.
« Lorsqu’il attaquera, je foncerai sur lui. Je devrais pouvoir le distraire une fraction de seconde. A cet instant, tu déclencheras ton arcane. Ton brouillard doit envelopper la scène. Argéthuse et Ichiuton pourront alors passer à l’assaut. Notre seul objectif est de gagner du temps. Du temps ; voilà tout ce dont a besoin le Maître pour tirer le Nécromancien de sa torpeur. Bientôt, Fauchevie sera des nôtres …  ».

Arès n’entendit jamais les cris de Caturix. Obnubilé par sa vengeance, il abrutit Thrasamund de coups avant de lever son corps d’une main, prêt à lui arracher les parties génitales avec ses dents. L’attaque de Tiralon ne le prit pas vraiment au dépourvu et il para sans problème les colonnes de feu qui l’assaillaient. Ce faisant, Goar, Guerrier Noir d’Acrisios, passa à l’action. Comme convenu, ce dernier plongea ses mains dans le sol, lequel se mit à émettre des particules d’eau qui formèrent en quelques instants un brouillard opaque. Pas plus Caturix qu’Arès ne pouvait voir quelque chose ni discerner leurs adversaires. Nourrie d’un pouvoir obscur, cette nappe reflétait le pouvoir démentiel des deux divinités, s’en nourrissait presque. Plus ils se concentraient, plus le brouillard grandissait.  Contrairement à eux, Argéthuse et Ichiuton eurent tout le temps de préparer leur assaut. Ils connaissaient chaque parcelle de terrain et leur course ne rencontra aucun obstacle ; les cadavres qu’ils rencontraient avaient tôt fait d’être écartés ou écrasés. La Chimère Noire fut la première en action. Elle profita de ce qu’Arès fût sans casque pour déverser dans son esprit des illusions qui, pendant quelques instants, le transportèrent dans un monde de cauchemar où le Grand Arès était terrassé par des femmes le lacérant de coups de fouets sous les yeux hilares de ses sœurs. Dans sa confusion, le dieu ne vit pas les centaines de boules acérées fondre sur lui et, telles des prédateurs carnassiers, s’acharner sur son corps endolori. Car Arès souffrait autant qu’il jouissait face à cette résistance de vulgaires mortels. Il n’était pas gravement blessé et pouvait se battre, emporter la décision très rapidement ; mais le Maître des Tumultes mesurait aussi que son adversaire n’attendait qu’une faille pour l’affaiblir pour de bon. Il ordonna la retraite sous l’œil brillant de l’Indicible. Drapé dans son manteau sombre,  il savait qu’il venait de gagner quelques jours de répit.  La Cérémonie de Réveil allait pouvoir reprendre …

***

Ugarit, palais de Baal, quelques heures plus tôt

« SILENCE ! »
Les deux mercenaires n’en menaient pas large. L’avant-garde à laquelle ils appartenaient était tombée dans un traquenard pensé et exécuté par les troupes de Seth. Cachés sur les hauteurs d’une passe de l’Anti-Liban (2), les Guerriers aux Armures enchantées du nouveau maître de l’Egypte étaient tombés sur eux sans coup férir. Face au courage et à la magie d’Anat, celle des Prêtres de Seth avait été terrifiante. En quelques instants, la passe s’était peuplée de monstres terrifiants qui s’étaient jetés sur leurs proies avec une rage indescriptible, éventrant et dévorant l’ensemble des troupes cananéennes. Le combat, vite inégal, avait marqué la supériorité des armées de Seth et d’Anubis sur celles de Baal. Ce dernier n’était pas encore prêt à affronter ses ennemis héréditaires, or le temps jouait contre lui.
« Déesse, je suis désolé, nous avons fait tout ce que nous avons pu. Ces hommes n’avaient d’homme que le nom : leurs armures enchantées à tête de crocodile et de monstre terrifiant résistaient à tous nos coups, tandis que leurs bâtons de magie faisaient naître des momies avides de notre sang. Je ne parle même pas des sortilèges qui …
- PAS UN MOT DE PLUS !
- Je m’excuse de t’avoir offensée, Ô ma déesse ! fit l’homme, tête baissée, tandis que son partenaire urinait de peur dans ses vêtements tachés de sang.
- Comment, reprit plus calmement Anat, comment des fourmis poisseuses telles que vous pourraient offenser une déesse de mon rang ? Le plus minable des mercenaires peut-il offenser un être aussi parfait que moi ?
- Mais nous ne sommes pas des fourmis, juste des …
- LA FERME ! METAPHORE, ESPECE D’IGNARD ! POUR DES DIEUX COMME MOI, LES MORTELS NE SONT QUE DES INSECTES QUE NOUS PRENONS PLAISIR A ECRASER A NOTRE GUISE !
Anat redoubla de vigueur en voyant le second cacher maladroitement son malaise.
- JE M’AMUSE DE VOIR TON IDIOT DE COMPAGNON URINER SUR SES PIEDS CRASSEUX ; J’EXULTE LORSQUE JE CROISE LE REGARD TERRIFIE D’UNE VIE QUE JE VAIS PRENDRE !
- Mais, Ô Déesse, nous nous sommes battus et …
- SILENCE, COUARD ECERVELE ! VOTRE SORT M’INDIFFERE ! IL FALLAIT MOURIR, PAS REVENIR ICI ».
Les deux hommes se jetèrent à terre lorsqu’Anat fit apparaître une immense épée, arme certainement capable de couper le plus grand des dragons en un seul passage. La lame semblait vibrer et se réjouissait ainsi de son repas à venir.
« Pitié ma déesse ! Nous mourrons pour toi, au combat !
Anat posa la pointe de l’épée entre les deux hommes.
- Léchez-moi les pieds ».
Les deux guerriers s’exécutèrent sans réfléchir.
« Ainsi, reprit-elle plus calmement, ainsi Seth ose envoyer ses troupes jusqu’aux frontières de notre terre. Il ne perd rien pour attendre. Mon frère réveille en ce moment l’armée qui nous permettra de nous venger de ces traîtres. Bientôt, Outoukous et démons de Niflheim que nous avons ramenés avec nous, dragons, hordes terrifiantes se déverseront sur l’Egypte et la Mésopotamie. Il y en aura pour tout le monde ».
La déesse se tut un instant et regarda les deux hommes s’affairer à leur besogne.
« Suffit. Mercenaires, je vais faire de vous des bêtes de guerre. Je vous nomme généraux de ma garde spéciale : recrutez autant d’hommes que vous pourrez. Promettez richesse et luxure, au nom d’Anat, la Vierge Guerrière. Lorsqu’ils seront ici, nous organiserons une soirée de débauche démentielle ; nous danserons, nous boirons, nous mangerons et nous mêlerons nos corps. Alors, j’en tuerai la moitié. Je féconderai ce sang et l’autre moitié le boira. Réjouissez-vous, bientôt vous serez bien plus proches des dieux que ces misérables serviteurs de Seth qui vous ont tant fait souffrir. Bientôt, grâce aux Eclats de Lune que j’ai dérobés à Sin, nous forgerons des Armes terribles. Bientôt, grâce aux Pommes de Vie, Baal saura lever une armée telle que le Monde actuel disparaîtra à jamais ».

 

Bombadilos, la clé du mystère

 

Canagan se leva silencieusement. Autour de lui, tous dormaient paisiblement. Le feu n'était plus que braises rougeâtres. Combien de temps s'était passé depuis qu'il s’était endormi, il ne pouvait le dire. La pleine lune éclairait le sous-bois et le Celte y trouvait un certain réconfort. Sa terre et les siens lui manquaient. Il avait décidé de servir Odin dans ce conflit, mais le prix était bien lourd. Chaque fois qu’il revêtait l’Armure Noire de Calydon, il pouvait ressentir la douleur de Vivian. Il avait tué, devrait encore le faire, mais n’y trouvait aucune gloire, encore moins de plaisir. Il regarda un moment ses compagnons. Hanz était celui dont il se sentait le plus proche, un homme juste, bon et courageux. Bien qu’éloigné de sa jeune femme, il ne se plaignait jamais et avait toujours un mot pour réconforter ses amis. A ses côtés, Liu et Ryusei dormaient l’un contre l’autre. Personnages en retrait, le second prenait soin du premier comme s’il s’agissait de son petit frère. Dimitre était celui qu’il comprenait le moins ; fou sanguinaire, il ne voyait pas comment Tyr, Maître de la justice, avait pu lui léguer son Armure. A moins qu’il jugeât que l’heure grave nécessitait les pires sentences. Il s'enfonça seul dans la forêt, désireux de marcher un peu et de profiter du calme ambiant. Après avoir fait quelques pas, il croisa Rahotep qui avait sorti la superbe épée de Forseti. Il la levait devant lui comme s'il désirait qu'elle lui indique la direction à suivre. Il balaya lentement l'espace autour de lui. La lumière de la nuit se reflétait doucement sur la magnifique lame. Une arme divine baignée par la lumière de l'astre nocturne. « Alors Canagan, tu as du mal à dormir ? » L’Egyptien replaça respectueusement l'épée dans son fourreau.
« Je crois que je ne suis pas le seul.
- Séléné, qui dort à côté de moi, ronfle beaucoup trop.
Canagan lâcha un sourire.
- Ce n’est pas lui, fit-il, c’est Harald. Pour une fois, notre géant n’est pas la source de nos remontrances.
- C’est vrai, pour une fois. Alors, que viens-tu faire ici ?
- Prendre l’air, retrouver la nature et les esprits de mes ancêtres.
- Ici ? s’étonna Rahotep.
- Ils sont partout où la Nature prospère. Cet endroit n’a rien à voir avec l’Anatolie que nous avons traversée. Tout n’était que ruines, silence et mort. Il n’y a plus âme qui vive, cette terre est devenue un cimetière à ciel ouvert. Même les saisons n’ont plus de sens dans ce monde ; nous sommes en hiver et, pourtant, la neige succède à une journée accablante de chaleur, lorsque ce n’est pas un torrent diluvien d’eau jaunâtre qui salit toutes ces terres.
- Pourtant ce ne fut pas toujours le cas. Lorsque je suis arrivé avec les autres à Hattousa, voilà des années à présent, il y avait de la vie. Des félins redoutables, des Sinanthropes. Il est vrai que tout a disparu. Tout a été annihilé, jusqu’aux règles de la Nature. Même les fils de Tarunda semblent se terrer dans leurs montagnes, eux qui jadis régnaient sur les alentours d’Hattousa.
- C’est là le lot de toutes les contrées que nous traversons depuis notre départ. Retrouver Asgard me tarde, mon ami. Nous venons à peine de quitter cette terre et, déjà, elle me manque.
- Nous la retrouverons certainement dans quelques mois, si ce n’est quelques années. Nous avons beaucoup à faire pour elle avant de pouvoir la revoir.
- Je ne le sais que trop bien, soupira le Celte en s’asseyant sur une souche. Aider cette Isis avec nos amis grecs, en finir avec ce Shamash, trouver la porte de Mü et ramener les Pommes de Vie. Nous réussirons certainement …
Canagan se tut et prit un air mélancolique, tandis que Rahotep se rapprochait.
- Au prix de nombreuses souffrances et, peut-être de la mort de certains d’entre nous. Oui Canagan, le prix sera lourd. Le destin que les dieux nous ont choisi est fait de tourments nombreux, mais aussi de joie. Tu dois croire en notre cause.
- Mais j’y crois … Le Celte se retourna. Tout comme je crois que nous ne sommes pas seuls ! »
Il n'avait entendu aucun bruit, n'avait perçu aucune odeur et n'avait rien vu. Mais il savait que quelqu'un ou quelque chose le regardait. Dans son fourreau, l’épée de Forseti s'excitait déjà tandis que l’Egyptien sondait à son tour l’obscurité. Mais les vibrations de l'épée étaient différentes de tout ce que Rahotep avait ressenti jusqu'à ce jour. L'épée ne détectait aucune menace, aucun danger. Au contraire, elle semblait ressentir une joie profonde. À tout instant, les deux guerriers s'attendaient à ce que l'entité se révèle à eux. Mais rien. Sinon cette présence qui se voulait rassurante et apaisante. Une présence que Macubex, tapi dans l’ombre, connaissait mieux que quiconque ...

***

« Vous êtes ceux qui recevrez ma parole ! Mais attention à ce que vous en ferez ! »
Bombadilos éclata de rire. Tandis que le reste des compagnons attendaient dehors autour d’un feu préparé par ceux que le Fou du Caucase nommait « ses fils », Macubex, Mâa, Aâmet, Rahotep, Dimitre, Seth, Akurgal et Asturias avaient été désignés par le maître des lieux pour satisfaire au rituel qu’il avait organisé. Nus, recouverts d’une boue étrange et allongés dans un bassin divinatoire, les huit compagnons regardaient le plafond d’une sombre pièce, tandis que Bombadilos commençait des incantations entre deux verres de bière que sa femme lui servait au fur et à mesure qu’il les descendait.
« Bien, fit-il d’un ton goguenard,  vous allez regarder attentivement la voûte. Et on n’en profite pas pour admirer les formes de la belle, hein messieurs ! Un peu de tenue !
- De grâce, Bombadilos, épargnez-nous votre humour. Passons aux actes ou je vais finir par croire que vous n’êtes qu’un mystificateur !
- Fils de Râ je ne saurai tolérer une telle offense ! Pas un mystificateur, s’emporta Bombadilos en essuyant sa barbe pleine de mousse, LE Mystificateur ! Allons, que la fête commence ! »
Soudain, la voix du sage se fit plus profonde. A dire vrai, elle n’avait plus rien … d’humain. Elle ressemblait plus à celle d’un être supérieur, parlant à chacun non pas en actionnant ses cordes vocales, mais en pénétrant chaque esprits.
« Mü, terre de mystères. Mü, terre que vous recherchez. Mü, terre des origines. Laissez-moi vous montrer ce que vous convoitez ».
Le petit dôme de pierre qui formait le plafond de la pièce s’illumina petit à petit, dévoilant les traits d’un paysage marin embrumé, battu par les océans.
« En vérité Mü est La Terre. C’est là que tout commença. Ce que vous nommez Mü ne représente que les restes d’un vaste continent aujourd’hui disparu. Ce cher Poséidon en revendique la garde mais, sachez-le bien, il n’est que le gardien d’une porte et d’une île. Les autres îles sont voilées de mystères et n’appartiennent à personne, si ce n’est aux monstres que Poséidon enfanta, comme à son habitude – il faut savoir choisir ses femmes, comme moi -, et dont il dut se débarrasser devant leur turbulence. Ce que vous convoitez en Mü, je le sais. Vous désirez entrer en contact avec les Ancêtres, ceux-là mêmes qui durent forger les Armes et Armures des Dieux, qui durent leur donner les secrets de la vie. Sachez-le, nul dieu ne peut pénétrer en Mü, car il est impossible d’en partir lorsque le sang divin coule dans les veines, telle est la dure loi des Ancêtres. Mais vous n’êtes pas de sang divin, alors vous pourrez en partir, ça c’est une certitude. Encore faut-il y pénétrer ! »
Bombadilos émit quelques phrases incompréhensibles et la voûte se recouvrit d’un immense voile qui, petit à petit, laissa entrevoir trois endroits. Le premier représentait un immense trou noir. Le second un ensemble de temples, noyés de coraux. Le dernier, une grotte où se tenait des représentations d’Osiris. Les yeux des compagnons s’attardèrent immédiatement sur ce dernier endroit.
« La première Porte reste cachée aux yeux de tous, même des dieux. Peut-être que quelqu’un sait, mais ce mystère dépasse mon pouvoir et il est probable qu’elle n’existe plus depuis la fin de la Guerre de l’Âge d’Or. La seconde se trouve aux confins du Domaine de Poséidon, sous les Océans. Périple difficile : il faut pénétrer le Royaume de l’Ebranleur des Terres. Il n’existe à ce jour qu’une seule porte : elle se trouve au Cap Sounion (3). De là, on pénètre un Monde gardé par les Armées des Rois des Mers, demi-dieux aux pouvoirs qui vous dépassent. Ces derniers sont accompagnés d’une horde de Néréides et de Tritons rendant toute intrusion impossible. La porte elle-même se trouve dans la salle du trône de Poséidon. Reste donc la troisième Porte, celle que vous convoitez et que, grâce à Seth et Anubis, vous pouvez espérer rejoindre ».
Une nouvelle fois, Bombadilos modifia les images. A présent, sept personnages drapés dans des parures visiblement égyptiennes marchaient, l’un sur une colline verdoyante, un autre à travers le désert, un autre dans la jungle, un autre encore à travers des montagnes majestueuses. Assez nettement, les compagnons reconnurent au paysage que le cinquième traversait une plaine anatolienne, tandis que les deux derniers marchaient le long de chemins poussiéreux inconnus.
« Car tel est mon oracle ! Seth désigna sept de ses serviteurs pour éparpiller à travers le monde les quatorze morceaux d’Osiris. A chacun des Elus, je vais donner un Ankh, symbole de vie. Celui-ci brillera lorsque vous vous rapprocherez de votre but. Vous devrez suivre les signes si vous voulez mener à bien votre quête et mettre cette réussite entre les mains du Destin. Alors, vous triompherez et Isis comblera vos attentes ».
Les Elus avaient écouté religieusement leur hôte, Aâmet et Mâa serrant leurs mains à l’annonce de l’oracle. Bombadilos tapa des mains et sa femme, qui avait assisté à la cérémonie depuis le début sur une petite chaise, se leva et apporta deux seaux d’eau chaude.
« Allons, debout ! Décrassez-vous, un festin nous attend ! » se réjouit Bombadilos tout en passant une main experte sur le postérieur de sa femme, laquelle ne fut pas en reste et l’imita dans la foulée en clignant de l’œil.

***

Le repas se poursuivait depuis des heures. Bombadilos avait accueilli dans sa demeure tous les réfugiés de la région, si bien qu’il avait dû faire aménager de nouveaux espaces dans son antre troglodytique. A force de bière, de vin et de nourriture en tout genre, les compagnons s’étaient tous laissés aller à l’ivresse du moment. Chacun des Elus présents lors de l’oracle rendu par Bombadilos avait reçu un petit Ankh gris et l’avait attaché à son cou. Accomplissant ainsi les recommandations du Fou du Caucase, les compagnons avaient décidé de tirer au sort les groupes qui devaient partir en quête des différents morceaux. Dimitre, dont l’Ankh brillait déjà faiblement, devait fouiller l’Anatolie en compagnie de Pallas et de Nekkar. Bombadilos avait fourni, contre quelques bières supplémentaires, quelques indices de plus quant aux régions à inspecter. Macubex devait conduire Bjarnulf, Thrall, Darkhan et Harald dans le Wullao-Fang. Pour ces derniers, le destin avait été clément car il ne les avait pas séparés et, surtout, ils allaient pouvoir retrouver la route qui avait fait d’eux des Guerriers de Bronze. Un troisième groupe devait rejoindre l’Egypte ; là encore, menés par Rahotep, Nibel et Inyan étaient entre de bonnes mains. Mâa, qu’Aâmet ne quittait pas d’une semelle, devait lui aussi rejoindre un lieu qu’il avait découvert lors de sa formation : la Vallée du Sindhu. Selon Bombadilos, la cité envoûtante de Mohenjo-Daro devait pouvoir les mettre sur la trace des restes d’Osiris. Pour Frank, Liu et Ryusei, ce serait une découverte. Quant à Shiro, se rapprocher ainsi de son lieu de naissance réveillait des souvenirs chaleureux. Ce groupe allait dans un premier temps suivre Akurgal jusqu’au port d’Ur. Le Mésopotamien, connaissant parfaitement les lieux, avait suggéré de gagner du temps en embarquant dans un navire qui ralliait le delta du Sindhu et la grande cité mésopotamienne. De là, il comptait mener Memnoch, Meijuk et Hanz au cœur de son pays afin de conquérir deux autres morceaux que Bombadilos disait avoir vus en vision. Seth quant à lui devait mener Séléné, Nevali et Artholos en Canaan. L’Egyptien était content de compter sur le duo de choc formé par les inséparables Guerriers de l’Ours et du Loup et sur le plus renfermé Artholos pour fouler une terre dont il savait qu’elle était à présent sous la domination de Baal. Le dernier groupe, mené par Asturias, devait rejoindre l’Occident. Canagan, Yshba et Ulv complétaient ce quatuor.

Ainsi, en cette soirée, l’heure était aux chants et aux danses endiablées. Inyan et Nevali se disputaient une jolie Caucasienne tandis que Nibel, totalement libéré par l’alcool, s’était lancé comme défi de vaincre Séléné dans un jeu de force. Hattousa devait être le lieu de rendez-vous. Le destin facétieux remettait ces hommes sur les traces d’une quête, comme jadis il l’avait fait pour le compte de Cybèle. Mais avant le temps des séparations, ils avaient décidé de profiter de ce moment d’insouciance orchestré par Bombadilos, hôte heureux de la tournure prise par les événements …

***

FIN DE L’ACTE SECOND – LE CHEMIN DE LA CONNAISSANCE

 

(1) Voir le livre I, Prélude.
(2) Limite entre la Syrie et le Liban actuel, traversé à l’ouest par la vallée de la Bekaa.
(3) Pointe de l’Attique, célèbre pour son temple dédié à Poséidon.