Prélude I : L'appel

 

Le Soleil Noir

 

Tiralon fixait la lumière noire, essayant de se rappeler la présence qu'il avait ressentie dans le couloir, tentant de contrôler ses sens. Mais son âme était trop tourmentée pour que cela puisse durer. Les récents événements l'avaient ébranlé. L'affrontement avec les deux démons avait réveillé des souvenirs douloureux. Il avait pris conscience de la futilité de sa fuite devant la réalité. Il ne pouvait échapper à l'emprise du dieu, il devait mener cette mission à bien ... Bientôt il arriva devant quatre portes : l'une était en feu, la seconde était parcourue d'énergie rouge, sa voisine de chocs électriques, la dernière entourée d'un halo de lumière verte. Tiralon les considéra avec stupéfaction. Il ne ressentait pas l'énergie familière de sa divinité protectrice dans cet endroit mystérieux ; ces portes ressemblaient à des portes menant au Monde des Morts. Certainement ce qu'il y avait de plus dangereux à affronter si on n'y était pas bien préparé et il allait devoir affronter de nouvelles épreuves seul, simplement secondé de ses compagnons. Lui-même ne craignait pas le feu, mais il en allait tout autrement pour ses amis...
Théoléon semblait hésiter mais ne voulait pas trop s'approcher de la porte enflammée qui dégageait une chaleur insupportable pour de simples mortels ; son armure commençait à le brûler et il fit un pas en arrière en maugréant : « Maudit endroit ensorcelé, même mon Armure ne peut me protéger contre cette porte infernale ». Ichiuton tendait à partager cette opinion et ne s'approcha pas davantage de la fournaise. Argéthuse était prêt à suivre ses amis où qu'ils aillent. Tiralon s'avança d'un pas vers la porte de feu, et posa une main prudente sur le panneau de cristal qui se trouvait en son centre. Il était ardent et aurait pu faire fondre le meilleur des métaux. Il se retourna vers le groupe
- Je vais aller jeter un coup d'œil. Seul, ajouta-t-il en voyant Argéthuse et Théoléon faire mine d'approcher.
Le premier protesta. Le second la considéra d'un regard à nouveau méfiant, qui trahissait ses réflexions et ses doutes. En quête d'un conseil, Théoléon et Argéthuse se tournèrent d'un seul mouvement vers celui qui était devenu le sage du groupe depuis la disparition de Cléandros lors du combat contre le Guerrier Sacré d'Argent du Corbeau lors de leur précédente mission.
- Nous devons absolument rester ensemble, assura Ichiuton.
Tiralon se contenta de pousser la porte de la main. Le panneau s'écarta, dévoilant un couloir aux murs de feu dansant. Une rafale d'air brûlant aux odeurs de roussi en sortit, faisant reculer tout le monde, sauf le Guerrier Noir du Centaure.
Théoléon fit un bond en arrière, puis son expression horrifiée se figea tandis que son regard devenait fixe. « Je crois que ce n'est pas le meilleur chemin... » dit Ichiuton d'une voix étranglée. Ce feu semblait le terrifier. Le Guerrier Noir du Cerbère s'approcha de la porte verte, et la poussa. Elle s'ouvrit sur un tunnel d'environ deux mètres de diamètre qui paraissait creusé dans une terre noire. Des racines sortaient du plafond du boyau, et il en émanait une forte odeur d'humus. Ichiuton prit une profonde inspiration, et parut satisfait. Théoléon était venu se placer près de lui.
Argéthuse avait hésité un instant, puis les rejoignit, en leur disant « Au moins, cet environnement-là ressemble à ce que nous connaissons, et il paraît moins hostile. »

Tiralon restait seul devant le brasier. Il considéra ses amis, puis le boyau étroit et sombre où ils voulaient s'engager. Cela n'avait rien de commun avec les souterrains du temple perdu. Non, ce boyau avait quelque chose de... vivant, de repoussant, comme s'il avait été le tube digestif d'un animal monstrueux prêt à les engloutir. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque, et il comprit qu'il était hors de question pour lui d'entrer dans ce tunnel. Tous ses instincts s'y opposaient.
- Très bien, dit-il calmement. « Alors on se retrouve à la sortie! L'essentiel est de le réveiller » Puis il plongea dans l'incendie.
Théoléon et Argéthuse hurlèrent en même temps, et se précipitèrent, s'attendant à voir le guerrier brûler dans les flammes. Puis ils s'arrêtèrent net.
Tiralon ne brûlait pas. Mais son apparence avait changé. De son armure émanait une énergie qui semblait se nourrir des flammes. « Qu'est-ce que ça veut dire ? » murmura Argéthuse, stupéfait. « C'est le pouvoir de son armure je suppose, c'est vrai que Tiralon a pour habitude de calciner ses adversaires... » répondit Théoléon.

Tiralon avait su que le feu ne le blesserait pas. Même s'il était réel, son Souffle Divin le protégerait. Mais celui qui menait le jeu avait saisi l'opportunité qu'il lui offrait. À présent, Tiralon devait affronter la vérité. Ou mourir. Ou pire, devenir l'esclave de cet être, qui s'il n'était pas un dieu infernal en avait la malignité. «Ainsi, pathétique mortel, tu désirais me réveiller ? En pénétrant ici vous avez prouvé votre courage, mais aussi votre stupidité. Vous m'avez sorti de mon sommeil millénaire, pour votre perte ! » La voix était glaciale.
Une silhouette apparut devant lui. Il avait vaguement l'allure d'un être humain, mais en partie décomposé, certains os étant visibles de même que certains tendons. Son visage restait dans l'ombre d'une couronne noire qui, fait étrange, brillait.
Tiralon s'inclina, et répondit sur le même ton. « Je te salue, Soleil Noir." »
- Ta révérence ne sera pas suffisante pour sauver ta vie. Tu resteras ici, prisonnier des entrailles de mon antre.
- C'est ce que nous verrons, rétorqua-t-il dans un sourire carnassier.

Dans le tunnel de feu, le démon disparut. Tiralon se retourna, fixant tour à tour Argéthuse et Théoléon, qui le fixaient avec stupeur.
- Tiralon, ce que nous avons vu... peux-tu nous expliquer ? s'enquit le second.
- Nous avons mené notre mission à bien. Il est réveillé. A nous de sortir d'ici maintenant.
  
Le maître des lieux observait l'avancement des compagnons dans son immense domaine. Il prenait de plus en plus de plaisir à s'amuser avec eux. Théoléon ne tarda pas à succomber à un piège, finissant sa vie empalé dans un couloir obscur d'une étrange ziggourat. Son petit rire sardonique résonna un instant dans la petite salle où il s'était installé ... il était enfin sorti de sa longue léthargie.

 

Une visite inattendue

 

Quelque part en Asie. Une femme lavait son linge le long d'un ruisseau, tandis qu'un jeune enfant aidait son père à porter du bois vers un petit monticule de branches pourries. Non loin de ces personnages, quelques hommes partaient, lourdement chargés de sacs et d'armes diverses. En quelques instants, ils disparurent dans une vaste jungle, laissant derrière eux les leurs et le village d'Imapacuit. Imapacuit rassemblait une petite communauté de quelques familles hindoues, vivant humblement des fruits de leurs récoltes et de la chasse. Un seul chemin menait au village en provenance de l'ouest, et c'est de là qu'arriva un personnage portant un long manteau gris couvrant l'ensemble de son corps. Alors que les rayons du soleil transperçaient la couverture nuageuse la pluie cessa peu à peu de tomber. L'inconnu traversa un petit pont de bois qui enjambait une rivière bordée de majestueux roseaux. Après quelques minutes de marche le voici qui arriva aux portes du village.
- Qui va là étranger ? Te serais-tu égaré ? Comprends-tu simplement ce que je dis ?

L'homme, qui rangeait du bois avec son jeune fils n'avait pas tardé à se porter au devant de l'inconnu. Ses compagnons étant partis à la chasse, il lui revient de défendre les femmes et enfants restés avec lui.
- Conduis-moi à la  mère qui s'occupe du jeune enfant que l'on nomme « Yshba ».
Le guerrier en charge de la garde blêmit. Comment cet étranger pouvait connaître un si jeune enfant ... il n'avait même pas un an ... lui et ses parents étaient arrivés il y avait quelques mois maintenant, mais jamais ils n'avaient eu de visite ... de toute façon, personne ne venait dans le village reculé d’Imapacuit... les seuls qui venaient étaient ceux de la tribu voisine, les Nhirvous, les coupeurs de têtes de la jungle profonde, toujours en quête de nouvelles victimes ... mais ils ne venaient plus depuis des mois, depuis que ... oui, depuis que la lune s'était cachée, annonçant selon le Chaman l'arrivée prochaine d'un grand voyageur !
- Je ne comprends pas ce que vous voulez, je ne connais pas cet « Yshba » et ...
- Ne te fatigue pas, il est dans la hutte qui est proche de cet arbre, lui répondit l'inconnu avec assurance. Je ne suis pas ici pour porter le malheur, simplement pour donner un présent à cet enfant .... L’astre de lune n'est jamais porteur de malheur, tu ne le savais pas ? Cet enfant est appelé à jouer un rôle important dans quelques années ..... D’ailleurs ton fils aussi, ton petit Shiro va recevoir de mes mains un présent qui va changer sa vie.
- Ne touche pas à mon fils ! Je n'aime pas ton intonation menaçante, étranger ! Tu n'es pas ici chez toi tu vas partir avant que ....

Le fier guerrier n'en pouvait plus, sa respiration devenait de plus en plus saccadée, sa main se crispait sur sa dague cachée dans son dos. Il était sur le point de bondir sur l'étranger. Ce dernier venait de se pencher sur son jeune fils, Shiro. Il lui avait juste distillé quelques mots et remit un pendentif circulaire portant quelques étranges inscriptions. Puis l'homme s'en était allé vers la hutte du petit Yshba, y avait accompli le même rituel. Le temps s'était comme arrêté pour le guerrier. Il n'avait pas bougé malgré son envie. Il n'avait pas pu ....
- Retourne à tes occupations, ton village vivra en paix pendant des années. Un jour viendra ou les deux enfants que je suis venu voir partiront vers leur destin. Ils sauront quand. En attendant tu ne diras rien, à personne ... tout comme la mère de cet « Yshba ». Car tu sais que je ne suis pas venu en ennemi, mais que je pourrais disposer de la vie de tout ton village si vous trahissiez ce secret. Ne t'en fais pas, de part le monde nombreux sont les enfants que j'ai déjà vu. Je vois dans tes yeux que tu comprends. Tu viens d'assurer la paix de ton village pour les années à venir, les  Nhirvous ne viendront plus.

Le serviteur acheva ainsi un périple qui l'avait conduit aux quatre coins du monde. Le destin était en marche. Au loin un homme en armure sombre avait observé la scène. Il remit son casque conique hérissé de trois pics acérés. Réajustant son manteau de lin sur ses épaules, il se mit en route à la rencontre de l'envoyé et ne tarda pas à le rejoindre au détour d'un chemin. « Souffle de Nin-Ourta ! » Des deux mains jointes du guerrier jailli un vent d’énergie étincelant. L'attaque ne put être évitée par le fidèle serviteur. Son corps fut littéralement découpé en deux. Alors que son âme rejoignait celle de ses ancêtres, il eut une dernière pensée pour sa déesse « Pardonnez moi Ô ma déesse, je succombe trop tôt pour vous protéger des dangers qui vous guettent. Mais le destin est en marche, j'ai accompli votre volonté ».

Les années s'écoulèrent paisiblement à  Imapacuit. Le chef du village tint le secret bien gardé, tout comme la jeune mère d'Yshba. Ce dernier ne noua jamais de réels liens avec Shiro, mais tous deux grandirent dans la paix de leur hameau.

 

Une nuit agitée

 

Montagnes de Dalmatie. Un ensemble de bâtiments fortifiés découpait une lourde brume. Une semaine sans réel sommeil. Un jeune homme laissait apparaître maintenant de réels signes de fatigue quand il décida enfin d'en parler avec son père. Alors que la pluie ne cessait de tomber, il s'engouffra dans les escaliers étroits de la plus haute des tours d'une petite forteresse. Après quelques instants, il arriva enfin devant la porte menant à la chambre de son père.
- Entre mon fils, entre, je t'ai entendu.
Écoutant la voix rauque le jeune Dalmate pénétra dans la pièce où son père l'attendait devant sa bibliothèque personnelle.
- Bonjour père. Excusez-moi de vous déranger de si bonne heure, mais il faut que je vous parle.
- Tu partiras demain. Ne t'inquiète pas, notre ordre peut se passer de toi quelques temps. Nous maîtrisons la situation ici, et même si quelques signes montrent que des choses obscures se préparent, nous ferons face, comme depuis toujours.
- Père ! Je ne comprends pas ... j'étais venu vous parler d'un rêve, d'un rêve que je fais depuis quelques jours maintenant. Une voix me parle, une voix me dit de partir pour la Grèce ... et vous aussi me dites de partir ?
- Asturias, assieds-toi.

Le feu crépitait dans la cheminée et, tandis que le seigneur de Dagorlad rajoutait du bois dans le feu son fils s'assit, interloqué.
- Il est temps pour toi de savoir. Alors que tu n'avais qu'un an, un homme est venu ici. Il s'est entretenu avec moi et ta mère. Il nous a expliqué que tu étais voué à un destin extraordinaire, en dehors de notre douce contré dalmate. Ce fut un choc terrible. Pourtant tout a été très clair .... Comme il nous l'a promis notre domaine n'a jamais succombé aux assauts des forces de l'ombre. Nous sommes courageux, tu le sais. Mais si nous n'avons jamais été réellement inquiétés c'est parce que tu étais là, Asturias. L'homme nous avait promis que ta présence assurerait la sauvegarde de la forteresse. En fait durant toutes ces années j'ai préparé ton départ, car je savais que dès lors nous serions seuls face à notre destin. Le pendentif que tu portes t'a été donné par cet inconnu. Tu le garderas jusqu'à qu'on te le retire. Tu porteras hauts nos valeurs. Quand viendra le jour où tu seras de retour parmi nous, c'est avec joie que je te retrouverai, mon fils. Je sais que tu seras digne des Dagorlads.

Asturias ne pouvait parler en cet instant. S'il était trop fier pour pleurer, ses yeux s'embuaient tout de même. Son père se rapprocha de lui et, lui essuyant ces larmes naissantes, lui souffla ces derniers mots ...
- Ton destin t'attend, ne sois pas triste. Les dieux t'ont choisi pour servir une cause qui nous transcende. J'ai préparé moi-même ton sac, il est dans la bibliothèque que tu aimes tant. Choisis quelques ouvrages et demain matin pars aux aurores. Tu dois te rendre à Argos, dans le pays des Hellènes. Tu y parviendras. Ne reviens pas me voir, c'est inutile, je pars avec nos meilleurs guerriers dans les montagnes de la rivière noire ... C'est de là que viendra le danger maintenant, ton départ brisera le sceau qui nous protégeait depuis si longtemps. Adieu mon fils, n'oublie pas nos valeurs, celles que ta tendre mère et moi avons tenté de t'enseigner.

 

 

    La Dalmatie correspond à l'ex-Yougoslavie actuelle. Il faut considérer que l'endroit décrit se trouve quelque part dans les montagnes croates.