Prélude III : Argos, le commencement


La cité de Poséidon

Argos. La cité se réveillait doucement sous les premiers rayons de soleil. Argos .... Un nom que tout le monde connaissait en Grèce. Poséidon était la divinité protectrice de ce riche port du Péloponnèse, ce que confirmaient les nombreuses statues du maître des mers qui ceignaient les portes de la cité. Une seule route menait à Argos, mais quelle route ! En venant du nord, le voyageur arrivait dans la riche Argolide, terre aux multiples orangeraies et forêts d'oliviers, terre aux odeurs enivrantes, aux fleurs multicolores, aux rivières grossies par la fonte des neiges. Sur les hauteurs bordant la cité de Poséidon, on découvrait deux forteresses : Mycènes dominant l'ensemble de la plaine du haut de son rocher fortifié, Tyrinthe qui commandait l'accès au port d'Argos, Nauplion . Ce dernier était très connu des marins de la mer Egée. Sous la protection du frère de Zeus, les marins se savaient en sécurité ... pour peu qu'ils satisfassent aux usages en offrant un cheval au roi d'Argos ! Seul ce cadeau garantissait la sécurité du port de Nauplion. Les navires de passage ne pouvaient pas séjourner plus d'une journée s'ils ne s'acquittaient de l'offrande. Bien entendu, certains marins avaient refusé de donner un cheval au roi d'Argos ... Personne ne les avait jamais revu, mais tout le monde savait que la colère du dieu était terrible. Le peuple conserva longtemps en mémoire le tumulte marin qui s'abattit sur un fier navire égyptien. Son capitaine avait refusé de rendre hommage au maître d'Argos et resta trois jours dans le port sans s'acquitter de sa dette. Il prit la mer par beau temps, profitant du brouillard matinal pour rejoindre la riche Égypte, chargé d'huile et de vin. Au large de Nauplion, le calme se fit brusquement sur la mer, le brouillard disparut en quelques instants sous l'effet du vent, les eaux demeurant étrangement calme ; un tourbillon se forma autour du navire, qui fut expulsé jusqu'aux cieux. La chute fut terrible, on ne retrouva rien, ni personne.

Dans le prolongement de Nauplion se trouvait donc Argos. Entourée de pierres de la taille de deux hommes,  la muraille était recouverte d'airain ... ce qui signifiait qu'en plein soleil, ces murs brillaient de mille feux. L'intérieur de la cité était encore plus resplendissant. Ici des pavés de marbre blanc, là des murs ornés de fresques narrant les exploits du maître des mers face aux Titans de Chronos ... là encore, des mosaïques de pierres précieuses. Dominant l'acropole de la cité, l'éclatant temple de Poséidon affrontait fièrement depuis des temps immémoriaux les assauts de la brise marine sans qu'il en fût pour autant marqué. La foule déambulait nombreuse dans cet endroit monumental, les gardes veillant à la sécurité des sanctuaires.

Trois raisons conduisaient les gens dans ce merveilleux endroit : la première était la ferveur religieuse, lorsque la fête des mers accueillait tous les marins de Grèce. Le culte rendu à Poséidon atteignait alors son paroxysme. La seconde raison était bien entendu le commerce généré autour du port de Nauplion. Toutes les denrées du monde transitaient ici. Enfin, la renommée de la grande taverne du « Cratère sans fond » attirait de nombreux amateurs ! Poséidon faisant montre d'une grande bienveillance avec tous ceux qui pénétraient dans cet endroit connu dans toute la Grèce pour ses vins, ses bières, ses liqueurs, ses repas, ses femmes .... Il se murmurait qu'Arès lui-même se mêlait avec ses guerriers favoris aux rixes qui émaillaient certaines soirées. Poséidon laissait toute liberté à cette taverne, tant que les troubles ne dépassaient pas ses portes.

Sortant de la plus fameuse taverne de Grèce, deux hommes rejoignaient les ruelles tortueuses, mais impeccables d'Argos. Le soleil était maintenant clairement levé, la chaleur commençait son travail de sape. Sur le marché, l'odeur du marché aux poissons se mêlait à celle des olives, et pour tout dire ceci n'était pas très ragoûtant. Les gens se pressaient vers l'agora,  place centrale de la cité. Un homme était conduit dans une cage rouillée. Il ne se débattait aucunement, semblant résigné ou trop faible pour esquisser le moindre geste. Il put tout juste porter un regard sur deux autres cages suspendues à côté de celle qui l'attendait : deux corps finissaient de s'y décomposer. Un jeune homme à la peau sombre, petit et trapu, portant une tunique égyptienne regardait la scène avec dégoût.
- Qu'a-t-il pu bien faire pour mériter un tel sort ?
- C'est un brigand, un Anatolien. Depuis quelques mois, ils pullulent. Venant en bateau, ils pillent les campagnes, sûrs de leur force, lui répondit son compagnon qui portait la tunique usuelle des Argiens, un himation bleu.
- Mais Pallas, tu ne m'avais pas signifié que cette cité était sous la tutelle de Poséidon ?
- Si, effectivement, répondit Pallas en ajustant son paquetage sur ses épaules, mais les temps changent, certains hommes ne craignent plus nos dieux.
- Ne plus craindre les dieux ? Des fous ! s'emporta l'Egyptien.
- Je n'en suis pas certain Cléops, et c'est bien ça qui me tracasse. Viens, regarde ces quatre personnes là bas : des étrangers. Ils portent chacun un lourd paquetage, le premier portant notre médaillon .... L’aventure commence !
- Pallas, ta vue est digne des dieux ! s'exclama Cléops, émerveillé.
- Le soleil s'est juste reflété sur son médaillon, ne te laisse pas gagner par l'enchantement des sens quand la logique explique simplement les choses ....

La porte de la cage claqua. C'était ici, au soleil, devant des passants indifférents, que le brigand allait finir sa vie. Dans quelques jours, de la même manière que ses deux compagnons d'infortune il allait rejoindre le monde des Morts sous les yeux des badauds. Encore quelques jours, personne ne lui viendrait en aide.  C'est ainsi que s'exprimait la colère du maître d'Argos. Les deux hommes s'éloignèrent d'un bon pas, rejoignant les quatre voyageurs.
- Excusez-moi de vous déranger, vous semblez perdus, lança Pallas en arrivant à proximité du petit groupe.
- Et bien, pour ne rien vous cacher, nous cherchons quelques renseignements ; nous avons rendez-vous à Argos mais...
- FRANK ! vociféra Inyan, agrippant son frère par les épaules. Mais quand vas-tu être plus méfiant ? Deux inconnus s'avancent, portant un drap et un sac, et toi tu déballes ta vie ?
- Inyan, tu devrais te maîtriser et apprendre à observer, répondit calmement Frank .... Tu aurais ainsi vu que ces deux hommes portent le même médaillon que nous, je crois donc qu'ils peuvent nous être d'une aide précieuse.
- Surtout qu'ils ne sont pas armés. Du moins pas visiblement, renchérit le troisième personnage après avoir pris la mesure de ses interlocuteurs. Je suis Asturias de Dagorlad, heureux de vous rencontrer ....
- Pallas Asklepios, et voici Cléops. Je suis un habitant de cette cité. Mon compagnon est arrivé voilà un mois, en provenance de la lointaine Nubie . Nous portons tous le même pendentif, je crois que nos destins sont liés. Suivez nous, nous allons rejoindre le port de Nauplion ; on nous y attend. Rangez aussi vos armes ... enfin cachez-les plus discrètement car les gardes sont nerveux.
- Heureux de faire votre connaissance. Vous connaissez maintenant Inyan et Frank, deux amis rencontrés en route, voici Artholos, de Germanie. Je suis moi même de Dalmatie.

S'avançant à son tour, Artholos salua Pallas et Cléops d'une ferme poignée de main, arrachant un petit râle au Nubien : « Quelle force ! Et quel drôle d'usage ! Pourquoi m'avoir pris la main ? » demanda Cléops en remettant ses doigts en place.
- En Germanie, c'est l'usage.
Pallas ajusta sa tunique et se mit en marche. Il se retourna vers ses nouveaux compagnons : « Ne tardons pas, vous êtes les derniers. »
- Les derniers ? Pas d'arme ? On nous attend ? Par l'esprit du grand chêne de la Forêt des druides je suis impatient de savoir pourquoi je suis ici, pourquoi j'ai marché des mois, pourquoi je me retrouve dans un pays où on doit cacher ses armes et porter des draps, dans un pays où tout le monde m'attend et ..
« Inyan, tu me fatigues, viens et arrête de râler ! »  coupa Frank en levant les yeux au ciel.

 

Le présage

 

Après quelques minutes, les six hommes arrivèrent à Nauplion. Le port était plein de navires déchargeant ou embarquant leurs marchandises. Un ingénieux système de panneau, éclairés par des lumières irréelles, aiguillait les travailleurs. Il y avait foule et, le vent aidant, il était difficile de s'entendre. Après s'être renseigné auprès d'un garde et d'une commerçante, Pallas guida tout le monde vers un endroit plus calme. Un groupe d'homme discutait face à un imposant navire typiquement grec ; un rang de rameur, un mât central assez élevé, entièrement orné de motifs géométriques. En fait, la notion de groupe disparaissait au fur et à mesure que les six nouveaux compagnons se rapprochaient de la scène. Ce n'était pas un simple attroupement de quelques personnes, mais un ensemble de groupes disparates, réunis par deux, trois ou cinq.  L'Etranger, Shiro et Yshba étaient assis sur leurs sacs, personne ne parlait. A proximité, Seth et Mâa discutaient avec deux grands gaillards.

- Ainsi, vous venez aussi d'Égypte, Rahotep ? C'est vraiment extraordinaire ! Vous êtes parti une journée avant nous, n'est-ce pas ? demanda Mâa à celui qui se trouvait à sa droite et qui arborait un bandeau noir sur son œil gauche.
- C'est exact, je viens d'Égypte Je croyais être le seul à partir, aussi ai-je quitté Tanis au plus vite. Si j'avais su que vous arriveriez dans la même journée, je vous aurais attendu.
- Et si tu savais ce que tu as manqué ! répondit Seth coupant la parole à Mâa qui voulait répondre. Mâa est un compagnon de voyage hors du commun. Quand il ne parle pas, il dort, et quand il dort il ronfle. Bien entendu, arrive le moment où il mange, mais comme il a un estomac fragile, il est malade.
- Tu es bien cynique Seth, aurais-tu mal dormi en ma compagnie ? Un peu fatigué peut-être ?
- Mal dormi ? Mais je n'ai pas du tout dormi !
- Et voilà Seth, soupira Mâa, l'Egyptien le plus sombre après Anubis et ...... Seth ! conclut-il  en souriant.

Les deux compagnons aimaient se taquiner. Ils ne se connaissaient pas encore très bien certes, mais le voyage les avait quelque peu rapprochés ... leurs différences étaient finalement telles, que chacun appréciait la compagnie de l'autre ... même si Seth était moins enclin à l'avouer.
- Il y a deux Seth ?? demanda le quatrième homme. Il était imposant et tenait un gros manteau de fourrure dans sa main droite, tout en essuyant la sueur naissante de son front dénudé. L'homme, en effet, ne portait aucun cheveu, son crâne rasé laissant apparaître des tatouages complexes, composés d'arabesques noires et grisâtres.
- C'est cela, reprit Seth en souriant doucement, il y a Seth, moi, et Seth, l'autre. Et toi,  Meijuk Leirus, tu sembles souffrir de la chaleur ... le soleil ne se lève donc pas dans ton pays ?
- Si, bien entendu. Mais la Bactriane , mon pays, est haut perché. Je vis avec les miens dans les nuages, dans la neige et les vents. Je connais bien la chaleur depuis que j'ai traversé maints déserts pour venir ici .... Je ne m'y fais pas.
Alors que chacun poursuivait sa discussion, une silhouette apparut. L'homme en question était vêtu d'un long manteau noir, le recouvrant des pieds à la tête .... « Une ombre », comme devait le qualifier plus tard Mâa tant sa présence resta inaperçue pendant de longues minutes. C'est lorsqu'il se mit à frapper lourdement sur une caisse de bois, de manière régulière et sinistre, que les groupes cessèrent leurs discussions pour se retourner vers lui.
- Ne prenez pas ce navire. Rentrez chez vous. Suivez mes recommandations ou vous mourrez.

Le silence devint soudain pesant. L'un des jeunes hommes s'approcha de lui, sourire en coin, dégageant nonchalamment les deux mèches brunes qui pendaient devant ses yeux verts. « Je suis Nevali Cori. Je n'ai pas l'habitude de suivre les conseils d'un inconnu. Qui es-tu, et que veux-tu ? Que sais-tu ? Que faisons-nous là ? »
- Ne prenez pas ce navire. Rentrez chez vous. Faites ceci ou vous mourrez, répliqua l'inconnu d'un ton monocorde, en gardant la tête baissé, fixant le sol.
- Dis-moi homme en noir, visiblement nous parlons tous la même langue, alors tu vas me répondre ! Où est-ce là la seule chose que tu saches dire ? reprit Nevali, d'un ton laissant entrevoir une exaspération latente.
- Ne prenez pas ce navire. Rentrez chez vous. Faites ceci ou vous mourrez.
- Très bien, le rigolo ! Avec moi ce sera une autre affaire, hurla un homme de près de deux mètres dix ; c'était une véritable montagne de muscles au crâne rasé, ne portant qu'un simple pantalon et des bracelets de force, finement gravés, autour des mains. Ses gros sourcils rajoutaient un air inquiétant à cet imposant personnage.
- Dis-moi, « la montagne », je ne t'ai pas demandé d'intervenir, s'énerva Nevali.
- Pousse-toi la mouche et laisse-moi faire, asséna le colosse en écartant brusquement Nevali d'un revers de la main avant de se tourner vers l'inconnu. « Bon, écoute le manteau noir : primo tu vas me regarder dans les yeux, tu feras déjà moins le malin. Je suis Séléné. Et oui Séléné, fils de Blémidiles du village de Kemrim ! Ah ah ! Je vois déjà que tu réagis, ben oui, c'est ça tremble ! Je suis un télépathe et je vais lire dans tes pensées si tu ne me réponds pas. Attention, je suis patient ; je suis déjà resté un mois assis sur un rocher, mais aujourd'hui je n'ai pas envie d'attendre. Alors, sois tu parles, soit je lis dans tes pensées avant de t'écraser avec mes mains ! » Se retournant vers Nevali et fier de sa tirade, Séléné reprit en souriant : « Tu vois la mouche, avec moi ça marche droit ! »
          
Asturias se rapprocha de Frank et lui murmura quelques mots : « Il est vraiment étrange que nous nous comprenions tous alors que nous venons de contrés si diverses. J'aime à croire que ceux qui nous ont conduits ici avaient tout prévu et nous ont jeté un sort. Mais, pour rien au monde, je n'aurais échangé cet instant ! Ce Séléné... ». Asturias échangea un regard complice avec Frank avant que l'ombre ne reprenne.
- Ne prenez pas ce navire. Rentrez chez vous. Faites ceci ou vous mourrez.
Séléné poussa un cri de rage en entendant la réponse de l'inconnu. Depuis le début de son intervention fracassante, ses autres compagnons n'osaient intervenir, sans voix ... Surpris, amusés, personne ne savait quoi penser.
- Dis la montagne, finit par dire Nevali, tu préviens quand tu auras sa réponse « mentale » !
           Rahotep, qui, comme les autres avait suivi la scène un sourire en coin se rapprocha de Séléné et de Nevali en sentant la pression monter.
- Calmez-vous, cela ne sert à rien, dit-il en se mettant entre les deux. Quand il se retourna vers l'homme au manteau noir afin de poursuivre la conversation, il se rendit compte que ce dernier avait disparu.
- Où est-il ?
- Il était là il y a seulement une seconde et le voici qui disparaît ..., dit Asturias en s'avançant. « Cet homme n'était pas normal, il se dégageait quelque chose de ... je ne veux pas m'avancer pour le moment, mais j'ai déjà entendu parler de ce genre de messager par mon père. Si c'est ce à quoi je pense, nous pouvons redouter le pire. »
- Il a eu peur, tonna Séléné. « Et oui, peur. Et grâce au moucheron que voici », dit-il en désignant Nevali, « il a pu s'enfuir ! »
- Mouche ou moucheron, il faudrait savoir la montagne de muscles, intervint alors Inyan d'un sourire moqueur.
- TRES BIEN ! TRES TRES BIEN ! Moi, Séléné, je vais m'occuper à ma façon de vous tous, bande de cloportes ! Craignez le fils de Blémidiles  du village de Kemrim !
« Ne me dis surtout pas que j'ai un point commun avec tout ce petit monde Shiro », murmura Macubex à son compagnon de voyage, d'une voix désabusée. C'est ainsi que ceux qui avaient voyagé de longs mois durant, se trouvèrent enfin réunis au seuil d'une nouvelle vie. Il était temps que le destin se mette en marche.

 

Une destination inconnue

 

Alors que le ton montait entre certains des élus, et tandis que d'autres jouaient les arbitres, une nouvelle personne fit son apparition. Une femme d'une rare beauté suffit à calmer l'assemblée lorsqu'elle descendit du navire devant lequel tout le monde était regroupé. Elle portait des vêtements très élaborés, signe d'une richesse évidente. La noblesse de son apparat ne laissait aucun doute quant à son statut. Ses longs cheveux cachaient une partie de son visage, ajoutant une part de mystère qui captiva la petite troupe. Le silence se fit, chacun comprenant que c'était à eux qu'elle allait s'adresser. La matinée était passée assez vite et le soleil rejoignait son zénith. Au loin la mer Egée s'agitait doucement et le vent était tombé. Pendant « l'incident », personne n'avait remarqué que le navire avait pris soudainement vie. Un homme se tenait à la barre, trois autres chargeaient quelques caisses.

- Je suis heureuse de faire votre connaissance. Merci Pallas d'avoir mené l'ensemble de tes compagnons ici. Ce ne fut certainement pas chose aisée. Je suis ici pour vous expliquer, enfin, la raison de votre venue.
- Êtes-vous liée, Madame, à l'homme vêtu de noir venu tantôt ? demanda Shiro. « Il était porteur d'un sombre présage. »
- Je ne vois pas de qui vous parlez. Je suis porteuse, au contraire, d'une excellente nouvelle. La cité d'Hattousa vous attend. Vous avez été choisis par notre déesse Cybèle, voilà des années, pour entamer une nouvelle vie. Je puis juste vous dire que c'est elle qui vous parle la nuit, dans vos rêves. Ce navire vous conduira en Anatolie. De là vous rejoindrez la cité resplendissante de notre grande déesse et ...
- Dis donc femme ! Tu ne crois quand même pas que je vais monter sur ta barque pour aller voir une déesse dans un pays inconnu, dans une cité inconnue, comme ça, juste parce que tu le me dis ! s'écria Séléné.
- Séléné, fils de Blémidiles  du village de Kemrim, tu le feras, répondit-elle calmement. Tout comme toi Shiro du village d’Imapacuit, toi, Artholos, fier guerrier germain, frère de la douce Alesia, ou encore toi, Nevali Cori, farouche chasseur des steppes caucasiennes. Vous ferez tous ce voyage car tous brûlez de savoir pourquoi le destin vous a choisis. Une déesse désire vous rencontrer, c'est une chose qui ne se refuse pas .... Et que vous ne refuserez pas. Constatez la grâce que Cybèle vous a déjà accordée : vous comprenez toutes les langues élaborées par les hommes, par la volonté de notre divine protectrice !

Le ton, à la fois posé mais ferme de la femme subjuguait chacun des élus. Personne ne pouvait résister au désir de monter sur le navire. Après leur avoir expliqué le chemin à suivre en Anatolie pour rejoindre Hattousa, la jeune femme s'entretint avec chacun personnellement, leur glissant un mot réconfortant sur leur famille, leur pays. Elle semblait connaître personnellement tous ces compagnons qui en savaient si peu sur eux-même. Après ces longues minutes d'entretien, la femme partit enfin, laissant à chacun un sentiment de réconfort et de confiance. Seul Inyan brisa quelque peu l'atmosphère particulière de cet instant unique.
- Madame, ce fut un plaisir, et permettez-moi de vous dire que vous êtes l'incarnation même de la beauté sur Terre. Que dis-je, les déesses vous jalousent ! Ce serait un réel bonheur de vous avoir à mes côtés sur ce navire qui pâlit devant votre beauté comme le soleil s'efface dans la mer en fin de journée !
- Je suis au service de Cybèle ; je lui suis consacrée, je suis désolée, fier  Inyan, répondit-elle d'une voix gênée.
- Ah, vous êtes une prêtresse peut-être, une vierge ? Vous savez, je ne suis pas ...
Asturias, au bord de la crise de nerf, intervint avec force : « Inyan, voyons ! Pardonnez-le Madame, et merci pour tout ; grâce à vous, nous nous rapprochons de la vérité ».

Comme Asturias n'avait pas voulu en dire plus quant à ses soupçons, le reste de la journée fut consacré aux préparatifs. Le navire devait quitter le port dans la soirée, le capitaine n'ayant pas de cheval à donner au maître d'Argos comme l'exigeait la coutume. Il décida de réunir au plus vite les aventuriers afin de leur présenter le périple à venir. Le plus difficile pour le capitaine fut d'expliquer que l'équipage comportait quatre hommes : lui, à la barre, un navigateur, une vigie et un maître d'équipage chargé de battre la cadence ... tout le monde était convié à ramer, soit vingt-deux personnes couplés en binômes. Les différents protagonistes avaient fait plus ou moins rapidement connaissance, du moins tous connaissaient les noms de chacun. Mâa se retrouva avec Seth, Rahotep prit place à côté de  Meijuk Leirus. Frank délaissa un peu son frère pour ramer en compagnie d'Asturias, Inyan retrouvant Artholos. Thrall et Harald faisant équipe depuis leur départ d'Asgard poursuivirent donc leur chemin ensemble. L'Etranger doubla Shiro, Yshba rejoignit un caucasien nommé Dimitre Javanian, homme aux cheveux blonds très clairs, presque blancs et au visage marqué par les épreuves de la vie. Ses profonds yeux noirs attiraient l'attention, bien qu'il fût difficile de soutenir son regard sombre. Nevali et Séléné ne se quittaient plus. Nevali avait parié avec Séléné que ce dernier ne suivrait pas sa cadence ... Nevali perdit son pari, et rama assez peu ... Séléné fut très fier de sa victoire, Nevali n'apparaissant pas trop éprouvé par sa défaite ... derrière eux se trouvaient Hanz, farouche Asgardien qui avait fait tout son périple à pieds et  Liu, un asiatique des plaines du Yangzijiang inspirant une sympathie naturelle à l'ensemble des élus au regard de son corps chétif et de son visage enfantin. Son crâne rasé avait attiré l'attention de Frank qui lui avait demandé pourquoi il ne portait aucun cheveu alors qu'il faisait si jeune. Liu expliqua qu'il s'agissait d'un rituel dans sa famille, il fallait offrir ses cheveux au moment de quitter ses parents ; depuis son départ il ne les avait pas laissé repousser en souvenir des siens. Cléops et Pallas ainsi que deux occidentaux nommés Nekkar et Memnoch complétaient  le tableau. Le navire quitta la baie d'Argos alors que la nuit tombait. La mer était très calme, la lune éclairait la voûte céleste : « Bon présage », selon Liu. L'optimisme de ce dernier était communicatif, et le concours que Séléné et Nevali avaient lancé acheva de détendre l'atmosphère.
Le bateau rejoignit la haute mer assez vite, le vent venant seconder les élus après quelques minutes de navigation. La mer était assez calme, le navire filait bon train à travers les timides vagues. Ses formes harmonieuses disparurent à l'horizon sous le regard du maître d'Argos. Ce dernier arborait un visage grave, ses longs cheveux ondulant au fil de la brise marine. « Ils sont donc partis. Le Seigneur des Mers saura veiller sur leur voyage ».

    Cité historique d'Argolide du célèbre Agamemnon.

    Cité historique qui se trouve à quelques kilomètres de Mycènes.

    Clin d'œil à la cité de Nauplie et sa magnifique baie !

    Vase antique en forme de coupe, servant à boire un vin liquoreux coupé d'eau lors de certaines beuveries antiques.

    Région du sud de l'Égypte.

    Région d'Asie centrale.

    Fleuve Bleu, Chine actuelle.