Prélude IV : Le périple vers Hattousa

 

Une traversée mouvementée

 

La première nuit de navigation se passa pour le mieux. La bonne humeur l'avait finalement emporté, le navire avait atteint une bonne vitesse de croisière « Quand la montagne rencontre la mer », releva Mâa en souriant, l'Anatolie serait vite ralliée. Le vent suppléant suffisamment les rameurs, ceux-ci purent enfin se reposer au milieu de la nuit. Le capitaine veillait à la barre, le tambour s'était tu, la vigie veillait ... C'est elle qui réveilla tout le monde dans un cri d'effroi, quelques heures après que le repos fut décrété.
- ALERTE ! AU SECOURS !
Le capitaine du navire, qui s'était endormi comme la plupart des passagers, retira brusquement la couverture qui l'avait accompagné chez Morphée et se releva. « Par Poséidon, ce n'est pas vrai ! Qu'avons-nous fait pour provoquer ton courroux ??!! » dit-il les yeux horrifiés en regardant l'horizon désigné par la vigie.

Les cris avaient tôt fait de réveiller tout le monde sur le navire. Personne à bord ne connaissait les choses de la mer en dehors de l'équipage, mais en cet instant c'était inutile : le spectacle qui s'offrait à eux ne laissait aucun doute quant à ce qui allait leur arriver. Alors que le Soleil commençait tout juste à se lever, le navire filait droit vers un ciel noir comme une nuit privée d'étoiles. Des éclairs jaillissaient du ciel, frappant la mer en éclats multicolores. Autour du navire, la mer était encore calme, mais elle semblait jaillir au loin pour rejoindre le ciel sous forme de colonnes d'eau tourbillonnantes.
- Capitaine, il faut changer de cap au plus vite, s'écria Harald qui avait déjà essuyé maintes tempêtes au cours du périple qui l'avait mené à Argos.
- Ça, la mer da..dans le ci..cciii..ciel et pfuiff et alors làlàlà, on est mo..mo..mort ! bégaya la vigie en descendant à toute vitesse du mat.
- Calme-toi mon brave, on a parcouru le monde pendant des mois, on a rencontré maints dangers dans les forêts, les montagnes, les rivières, essuyé des orages effrayants, ce n'est pas pour finir au fond de la mer, à quelques jours de notre destination finale, réconforta Memnoch d'un air assuré. Moi, reprit-il en jouant avec sa petite barbe, je n'ai pas peur de votre Poséidon, je ne connais pas ce bonhomme, alors on va se serrer les coudes, prendre nos rames et contourner ce mur de flotte.
- Inconscient, coupa net le capitaine, comment oses-tu parler ainsi du maîtres des océans ! Il t'a sûrement entendu, il va vouloir se venger maintenant. Nous sommes perdus, voilà la vérité. Je savais que vous apporteriez le malheur, l'homme en noir m'avait prévenu. Venez vous autres, hurla-t-il à ses hommes, à la mer, c'est eux qu'« Il » veut !
- Attends un peu, de qui parles-tu ? Et que sais-tu sur l'homme en noir ? s'inquiéta Pallas.

Le capitaine ne donna aucune réponse, pas plus que le maître d'équipage, le navigateur ou la vigie. Tous se jetèrent brusquement à l'eau, s'éloignant au plus vite du navire. « Pauvres fous ! Vous allez périr noyés dans l'abîme de la mer Egée, sous les coups du Notos soulevant l'onde amère jusqu'en ses profondeurs », lâcha simplement le capitaine en s'éloignant à la nage avec ses trois hommes.
- Rattrapons-les et faisons-les parler, proposa Séléné. Moi non plus je n'ai pas peur de ce Poséidon, qu'il vienne se battre en duel, avec son Notos ! Allez ! Allons à la pêche de ces lâches !
- Tu vois bien que c'est impossible Séléné, la moitié d'entre nous ne sait pas nager, et nous ne savons pas manœuvrer ce navire .. qui file tout droit vers le mur d'eau.
- Tu as raison Nevali, laissons-les  et occupons-nous de notre sort, acquiesça  Meijuk ...
- Bon, Harald et moi avons passé des mois en mer, nous savons comment diriger un navire. Nous allons nous mettre tous deux à la barre pendant que vous allez ramer de toutes vos forces. Ensemble, nous nous tirerons de ce mauvais pas.

La force de conviction de Thrall conquit tout le monde et l'ensemble des compagnons s'attela aux tâches définies. Avec la rage du désespoir les aventuriers firent effectuer le navire d'un quart de tour pour tenter d'éviter le tumulte des colonnes de mer, Séléné s'acharnant sur une barre, tandis que Meijuk et Dimitre faisaient de même de leur côté . Hélas, la fureur de la mer semblait réclamer son dû. Les masses d'eau se rapprochaient à une vitesse toujours plus grande, charriant avec elles une houle impressionnante. Le choc fut bref et soudain. Alors que la première colonne de mer se trouvait encore à une bonne distance le navire se souleva dans les airs, crispant d’effroi les visages de l'ensemble des élus. Chacun s'agrippa à ce qu'il put, en vain. Le navire se retourna plusieurs fois dans les airs avant de tourbillonner sur lui-même pendant des minutes qui semblèrent interminables. Perdant toute notion d'espace et de temps, Shiro fermait les yeux et implorait l'esprit de ses ancêtres dans son coin tandis qu'Hanz hurlait de rage ; Dimitre semblait sombrer dans la folie ... Lorsque le bateau finit par s'écraser contre le mur d'eau, se disloquant en milliers de fragments, tout fut perdu. Les tourbillons cessèrent, laissant vingt-deux corps inconscients flotter parmi les débris.

***

Frank se réveilla en se tenant le crâne entre les mains. « Je suis encore en vie ? », se demanda-t-il en regardant au tour de lui. « Inyan ! ». Son frère n'était pas très loin, recouvert des restes de la grande voile déchirée. Agenouillé, Frank prit son frère dans ses bras et tenta de le réveiller.
- Il vit, ne t'en fais pas. Nous vivons tous. Personne n'est réellement blessé, juste quelques éraflures ; il n'y a rien à comprendre. Nous maîtrisons des langues inconnues, nous réchappons à un naufrage terrifiant ... Quelqu'un, ou quelque chose, veille sur nous. Je suis réveillé depuis un moment, nous avons regroupé tout le monde comme nous avons pu avec  Liu. Maintenant aide-nous, nous devons regrouper le plus de débris possibles, nous devons quitter cet endroit. J'ai une petite idée derrière la tête ...
Frank resta à fixer son interlocuteur sans réaction apparente pendant quelques instants. Se reprenant, il finit par lâcher quelques mots ... « Je, je ne comprends pas ... Où sommes-nous ? Et toi  que ... »
- Hanz, je suis Hanz d'Asgard, je suis ton compagnon depuis Argos, assura-t-il. Retrouve vite tes esprits maintenant. Nous sommes sur une petite île non loin des côtes qui nous attendent, ajouta-t-il en indiquant l'horizon. J'ai entendu « la voix », nous devons quitter ce fichu caillou. Il regarda longuement son compagnon. « Bon, comme tu as l'air dans les vapes, récupère un peu et réveille tout le monde. Liu et moi allons commencer sans vous », conclut-il en se levant.

Frank approuva, sans toutefois sembler prendre totalement la mesure de ce qui s’était passé. Après quelques minutes, et après avoir réveillé son frère, il commença à s'occuper de ses compagnons. Personne ne souffrait de réelle blessure ... un véritable miracle. Pendant ce temps, Liu et Hanz s'étaient activés, constituant un grand tas de débris.
- Bien, commença Liu en s’essuyant le front, nous avons tout ce qui nous est nécessaire : du bois, de la toile, du cordage. Il fera jour encore un bon moment, reprit-il en regardant l'astre solaire, nous devrions pouvoir en terminer avant la tombée de la nuit. Nous pourrons partir demain matin.
- Tu as raison. Cette île est petite, pas un animal à l'horizon. Nous travaillerons le ventre vide ; nous nous rattraperons sur le continent. En tout cas, ne traînons pas. Quand les autres seront prêts, nous irons plus vite. Nous venons de réchapper à la colère des mers, mais mon instinct me dit que ce qui est derrière cette brume qui se lève pourrait bien être pire encore. Ne tardons donc pas.

Hanz faisait référence à une île voisine, située plein ouest, totalement recouverte d’un épais brouillard.   Cette île, mais ceci personne ne pouvait le savoir, était en fait Chios. Elle était assez grande et  relativement plate. Seule une petite montagne fermait sa façade orientale. La cime de cette dernière dépassait de la brume alors que le ciel était par ailleurs totalement dégagé. Plein est, un autre paysage se détachait. Un long littoral était visible, relativement escarpé quant à lui, bouchant totalement l'horizon. Les rivages de l'Anatolie étaient effectivement proches, quelques bons coups de rames suffiraient à le rejoindre.

Hanz et Liu se montrèrent extrêmement habiles dans la confection d'un radeau capable d'accueillir tout le monde. Utilisant avec ingéniosité l'ensemble des débris, ils avaient conçu un solide moyen de transport qui leur permettrait de rejoindre le continent. L'aide de leur compagnon fut précieuse pour achever la tâche avant la nuit, ainsi que Liu l'avait prévu. « Nous devrions tous nous reposer, nous partirons demain aux aurores », proposa Hanz en essuyant la sueur de  son front. Malgré sa robustesse, ses yeux clairs étaient entourés de cernes qui en disaient long sur sa fatigue tant physique que morale.

Personne n'objecta. Après une nuit régénératrice, les premiers rayons de l'astre solaire vinrent lécher les visages de nos amis. Chacun entendit alors distinctement une voix intérieure s'adresser à lui : « Regarde le soleil se lever et rejoins-moi, je t'attends en Hattousa ».

L'Anatolie

 

La traversée ne posa aucun problème. Après une bonne nuit de sommeil, tout le monde avait retrouvé le moral. Le fier radeau d'Hanz et Liu mena les élus sur les côtes anatoliennes, les courants marins venant seconder les énergiques coups de rames. Dans cet exercice, Séléné tint à conserver son titre de meilleur rameur, et tout le monde dut s'incliner, avec le sourire devant la nouvelle victoire du champion.
- Bien je vois que ça rentre, lança-t-il fier de lui, vous comprenez enfin que je suis le plus fort !

De loin, le littoral avait semblé être composé d'une muraille de pierre interminable. Finalement il n'en était rien, la côte était certes escarpée, mais largement ciselée par de nombreux cours d'eau permettant de pénétrer, sans trop de problèmes, au cœur des terres. Rapidement, le temps se gâta : une fine bruine accueillit le groupe dans la dernière étape de son voyage le menant à Hattousa. La cité promise n'était plus qu'à quelques jours de marche ; ils allaient enfin comprendre ce qui les avait poussés à quitter leurs terres natales. Après deux jours de marche, Yshba trouva une route praticable, tracée par des passages réguliers. L'Hindou partait souvent en éclaireur de son propre chef afin de repérer des endroits de chasse. Dès la première journée sur le continent, il s'était distingué en ramenant trois chèvres qui permirent à tous se de rassasier. Ses compagnons le laissaient  partir en avant, le gardant cependant toujours en vue .... « Ces terres sont nouvelles pour nous », avait insisté Shiro, « veillons les uns sur les autres, nous ne savons pas ce qui nous attend ». La route qu'Yshba avait trouvée s'enfonçait au loin vers l'est, à travers un imposant massif montagneux. La prêtresse de Cybèle les avait prévenus à Argos: « Hattousa se trouve au cœur de hautes montagnes, là où le soleil se lève ».
- Cette route est la bonne, j'en suis certain.
- Tu as certainement raison, Yshba ... Mais nous ne sommes pas les seuls à l'emprunter, compléta l'Etranger en s'accroupissant devant une large empreinte de pas.
- Par les dieux, serait-ce le pays des tiens, Séléné ? Regarde la taille de ces pas, on dirait que tes frères t'ont devancé.
En effet, lors du dernier feu de camp, Séléné avait longuement expliqué que sa taille était tout à fait normale pour un Cimmérien du Caucase. « Je dirais que c'est vous qui êtes bizarres ; vous êtes si petits, si faibles ! » avait conclu le géant au crâne rasé en éclatant de rire.
- OH EH ! JE SUIS SELENE, LE FILS  DE BLEMIDILES DU VILLAGE DE KEMRIM ! hurla Séléné en réponse à Frank.
- Mais faites-le taire ! Ce n’est pas vrai ça ! Et si ces personnes sont des voleurs ou que sais-je encore ! Bravo, maintenant au moins on sait où nous trouver ! pesta Memnoch.
- Inutile de s'énerver, le mal est fait. Je pense néanmoins comme Memnoch : nous devrions rester sur nos gardes et ne pas trop attirer l'attention.
- Tu as raison Asturias, répondit en se relevant l'Etranger, tu as raison. Restons sur nos gardes ; nous organiserons des tours de garde  lorsque nous aurons installé notre campement.
- Ces personnes sont très lourdement armées, compléta Inyan qui avait ramassé une flèche ensanglantée à côté de la route. Les traces de pas sont profondes, de plus regardez cette flèche ... les choses sont claires.

Le groupe se remit en marche jusqu'à la nuit. Arrivés dans un petit bois, au pied du massif montagneux qui semblait être la porte vers Hattousa, chacun s'affaira à l'installation du camp. Yshba, Thrall, Liu et Dimitre partirent reconnaître les alentours. Yshba proposa de mettre quelques pièges, en place afin d'alerter le groupe de la venue d'un éventuel danger. Les trois Egyptiens avaient installé une grande tente avec les restes de la voile récupérée après le naufrage. Il ne pleuvait pas franchement, mais la bruine latente menaçait le feu allumé par Artholos. Profitant de ce temps de repos, chacun émettait des hypothèses sur ce qui les attendait. Asturias avait la particularité de tout noter sur des parchemins à l'aide d'une plume et d'un étrange liquide noirâtre qui fixait ses écrits. Shiro était très intéressé, et c'est avec joie que le Dalmate expliqua sa technique, et présenta quelques ouvrages qu'il avait pris dans la bibliothèque de son père. Après un repas assez copieux, composé des restes des chèvres et de quelques baies ramassées en chemin sur les conseils de Frank, le groupe se mit d'accord pour les tours de garde. La bruine s'était arrêtée, le ciel laissait apparaître maintenant la lune ... le sommeil avait conquis les plus endurants.

A l'abri du tronc imposant d'un arbre déraciné, plusieurs silhouettes menaçantes observaient le campement. Les inconnus étaient trapus, aux yeux noirs malsains, au visage barbouillé de peintures de guerre rouge et verte qui n'occultaient cependant pas leur peau grisâtre et velue. Une épaisse chevelure noirâtre, une bouche cruelle et entrouverte sur des canines jaunies proéminentes, les inconnus n'avaient rien d'êtres humains. Ils sentaient la sueur, et aussi le sang qu'ils avaient répandu. Leurs cuirasses de cuir renforcé craquaient tandis qu'ils sortaient délicatement leurs armes de leurs fourreaux.
- Ils dorment tous. Ils sont vingt. Personne ne monte la garde.
- Tu en es certain, Gratnurk ?
- Certain seigneur Darkturk, assura le guerrier en frappant du poing sur sa cuirasse comme s'il le jurait sur sa propre existence...
- Très bien, somma Darkturk, nous allons attaquer en deux colonnes : Gratnurk, prends quatre hommes et passez par-derrière. Homprtukurk, arrose ceux de droite avec tes flèches. Quant à moi je fonce tout droit avec vous autres. Ils sont plus nombreux que nous mais ils dorment, nous aurons l'effet de surprise. Le maître sombre nous a promis une belle récompense pour ce travail, je compte sur vous, pas de quartier ! De toute façon, seul le géant là-bas pourrait nous poser problème, je m'en chargerai.
- Ce doit être un Cimmérien, ce sont les seuls hommes à pouvoir nous concurrencer en carrure et force physique, précisa Gratnurk en caressant sa barbe poisseuse.
- Pouah, ne raconte pas n'importe quoi ! s'emporta alors le plus grand de la petite troupe, un colosse dépassant largement la taille de Séléné. « Personne ne peut concurrencer un Sinanthrope anatolien et surtout pas un humain ! Ces bêtes crasseuses me donnent la nausée. »
- Tu as raison, tonna Memnoch, « personne ne peut concurrencer votre puanteur ! »

Surpris, les assaillants se retournèrent d'un seul homme vers Memnoch qui, tranquillement adossé à un arbre n'avait rien manqué de la scène. Il portait une lourde hache dans sa main gauche, une rondache couvrant son bras droit.
- Tue-le, hurla le chef, et vous foncez sur les autres, pas de quartier !
          
Le colosse se jeta sur lui avant de s'arrêter brusquement. La tête du colosse chancela alors, tombant en arrière tandis que le corps rejoignait le sol dans un énorme fracas. Avant de pouvoir réagir, trois autres Sinanthropes venaient de rejoindre leur compagnon dans les tourments de la mort. Memnoch profita de la stupeur causée par ces morts inattendues pour se ruer dans la bataille. Deux assaillants eurent tôt fait de périr sous les coups de sa hache. Cette arme redoutable n'était pas très bien aiguisée en vérité, mais chaque coup était fatal. Lorsque la hache atteignit le casque du premier, le choc fut terrible. Elle lui broya le front dans un sinistre craquement. Les yeux churent sur le sol et le Sinanthrope s'écroula sans pousser un cri. Le second, apeuré, ne put esquiver la hache qui lui trancha le cou. La tête conserva le visage de stupeur et rejoignit le sol bien avant le reste de son corps, pris de convulsions. La panique devint totale. C'est à ce moment-là que Darkturk fut, à son tour, rattrapé par son funeste destin. Dans un premier temps, un gros caillou pointu l'atteignit à la jambe droite, près du talon, lui écrasant complètement os et tendon. Dans un cri de douleur terrible, qui acheva de réveiller les compagnons de Memnoch, le chef de guerre tomba à la renverse. Nekkar, arborant un sourire carnassier tandis que ses cheveux châtains voletaient et luisaient sous la lumière sélénite, se dressa devant lui : il lui assena le coup fatal au niveau du nombril, répandant ainsi toutes ses entrailles. L'ombre recouvrit ses yeux. Le reste des assaillants connut un sort identique avant que les élus puissent réellement réagir. Le champ de bataille était jonché de corps baignant dans leur sang .... sang qui recouvrait également les deux compagnons : ils n'avaient pas été blessés, mais la violence des combats avait laissé des traces.
- Que se passe-t-il ? s'inquiéta Inyan venu à la rescousse de Memnoch une arme à la main, suivi de près par le reste des compagnons.
- Nous les avons repérés depuis quelques temps, grâce aux pièges posés tantôt. Ils ne nous ont pas vus, nous avons fait le reste avec Memnoch.
- Le reste, tu parles d'une boucherie oui ! s'exclama Dimitre en découvrant avec ses camarades les corps massacrés de Sinanthropes. « Que j'aurais aimé être de la partie ! »
- On ne doit pas se réjouir de la mort et du carnage, murmura Mâa en fermant les yeux. La violence ne doit être la voie à choisir qu'en ultime recours, elle ne doit pas être une fin en soit.
- Et alors, tu es en vie non ! Garde donc tes leçons de morale pour toi ! intervint Nekkar avant de se retourner vers son compagnon d'arme. « Au fait Memnoch, beaux coups de hache, bravo ».
- Je dois dire que ton épée et ta fronde font aussi leur petit effet, Nekkar.
Après avoir vérifié qu'ils étaient désormais seuls, les jeunes hommes s'agenouillèrent pour fouiller les corps à la recherche d'indices, sans rien trouver d'autre que quelques pièces et armes. « Des Sinanthropes, je ne les avais croisé que dans mes recueils, c'est extraordinaire », répéta par deux fois Asturias en notant soigneusement la description des assaillants. « Ces êtres sont censés êtres des humains maudits par les dieux et rendus à l'état sauvage, sachant à peine parler. Je vois que mes descriptions allaient dans le sens de la vérité ! »
- Il n'y a rien d'autre, ce devait être de simples voleurs, dit Hanz en se relevant.
- Restons sur nos gardes, on ne sait jamais, répliqua Rahotep, plissant son front l'air soucieux.
- Oui .... Tâchons aussi de retrouver le sommeil, le jour se lèvera bientôt et franchir les montagnes n'est jamais chose aisée.

Bien entendu, tout le monde était d'accord avec Meijuk mais ni lui, ni aucun autre, ne parvint à trouver le sommeil après cet épisode sanglant.

 

La cité de Cybèle

 

Comme Meijuk l'avait prévu, le franchissement des montagnes ne fut pas chose aisée. Le chemin découvert par Yshba s'arrêtait aux pieds de ces murailles naturelles. Grâce à Meijuk et à l'expérience des trois Hindous qui avaient dû franchir les hauts cols de l'Hindu Kush, la troupe finit par franchir les principales difficultés. Mâa et Rahotep ne s'étaient pas montrés à leur avantage dans cette épreuve. Plus habitués à déambuler dans le désert ou le long des berges du Nil, cette escalade tourna par moment au cauchemar, leur maladresse se conjuguant à leur peur du vide. Seth, bien qu'Egyptien lui aussi, s'en tira mieux, ne quittant pas Meijuk lorsqu'une difficulté se présentait. Il faut dire que le montagnard au crâne tatoué était un guide merveilleux. On eût dit qu'il avait vécu toute sa vie en Anatolie : « Mes montagnes natales sont bien plus dangereuses ! », insistait-t-il pour asseoir davantage ses compétences. Après quatorze jours de périple en Anatolie, Hattousa fut enfin en vue : Mâa fut le premier à apercevoir la forme d'une tour qui se détachait dans la brume. Si le ciel était dégagé la nuit,  le jour une brume tenace semblait suivre le groupe d'aventuriers et cette journée ne dérogeait pas à la règle. Ils avaient fini par retrouver un chemin en descendant dans une large vallée.

- Nous sommes proches d'Hattousa, c'est certain. Je sens que mon pendentif raisonne, insista Mâa.
- Tu as raison, le mien aussi raisonne ; la cité de tous les mystères nous tend les bras, répliqua Shiro en souriant.
- Mes amis, en avant ! Encore quelques efforts et nous y serons !

L'enthousiasme de Mâa fut communicatif et, bien que la nuit tombât, le groupe poursuivit sa route. Ils furent bientôt accompagnés par une lune rouge qui semblait veiller sur eux. Il ne fallu que peu de temps pour rejoindre une cité, cernée par une muraille imposante dont la seule ouverture semblait être une grande porte de métal. 
- ET HO ! HO ! Des voyageurs sont là, ouvrez cette porte ! OH ! Il y a quelqu'un ? Dimitre avait beau crier personne ne répondait. « Mais ce n'est pas possible ! Nous voici ici, devant Hattousa, et personne pour nous ouvrir ! On me fait quitter mon pays, je parcours la terre entière et, le jour tant attendu, je me retrouve coincé par une porte ! » S'acharnant sur la lourde porte de bronze, Dimitre hurla de plus belle « MAIS VOUS ALLEZ OUVRIR OU JE DEFONCE TOUT! »
- Ce n'est peut-être pas Hattousa, calme-toi Dimitre, dit Hanz en se rapprochant du Caucasien pendant que tous les autres s'étaient attroupés autour d'une stèle.
- Si, c'est bien Hattousa, et c'est merveilleux, s'exclama Rahotep.
- Comment peux-tu en être si sûr Rahotep ?
- Viens Hanz, viens lire la stèle.
- Idiot, cesse de te moquer de moi, je ne sais pas lire !
- Moi non plus, reprit alors Nevali, moi non plus, et pourtant ... je lis !

« Cité d'Hattousa ... Sanctuaire de Cybèle 
Cité de paix
Les armes sont bannies
Attention les gardes veillent »

- Il y a de la magie ici, je n'aime pas ça ! marmonna Séléné, rompant le silence stupéfait de la troupe.
- Tu as peut-être raison mon ami, je ne sais pas lire et pourtant je lis tout comme toi ... Cybèle serait peut être une véritable déesse ..., susurra Nevali, comme si briser le silence ambiant relevait du blasphème ...

La cité d'Hattousa était entourée d'une longue enceinte de petites briques régulières. Rien à voir avec les pierres colossales d'Argos. Le chemin emprunté par les élus les avait menés devant cet accès de bronze. La nuit aidant, il était difficile de distinguer complètement tous les motifs ornant cette porte. Juste devant elle, se trouvait la fameuse stèle sphérique en pierre noire. Entourant la porte, tels des gardiens, deux amas de pierres complétaient le tableau. C'est sur l'un deux que venaient d'apparaître quatre hommes.

« Ne vous inquiétez pas, vous ne risquez rien ici ! Je me présente : je suis Akurgal, je suis originaire de Mésopotamie. Voici Ryusei, venant de la lointaine Asie, Nibel, un homme d'un pays fort lointain et mystérieux nommé Asgard, et enfin Darkhan, du pays de Tien Mou , la célèbre déesse gardien des Montagnes du Wullao Fang. Nous sommes, tout comme vous, ici pour répondre à l'appel de Cybèle ... »

Akurgal, au visage fin, avait de grands yeux verts en amande. Il portait un kaunakès typiquement mésopotamien, caractérisé par de longues franges laineuses disposées en étage. Ses longs cheveux étaient délicatement tressés ainsi que le faisaient  les Mésopotamiens. Près de lui Ryusei portait une armure d'os liés entre eux par des fibres de bambous. Il était armé d'une petite dague et portait une grande sacoche de voyage sur le côté. De taille assez modeste en comparaison d'Akurgal, son visage asiatique était agrémenté d'une petite barbichette brune à laquelle répondait un catogan de cheveux noirs comme la nuit la plus sombre. Le troisième homme portait un large manteau de peau de loup arctique. Ce dernier était entrouvert et laissait apparaître une chemise de soir bleue et un pantalon écarlate. Une large écharpe jaune lui entourait la taille et son ceinturon de cuir patiné soutenait un petit glaive. Tout comme Ryusei il portait une large sacoche. Tel était Nibel, au visage régulier et paisible, dont les cheveux bruns aux reflets clairs luisaient sous la lune rousse. Passés les premiers instants de stupeur, Mâa fut le premier à s'adresser aux nouveaux venus. Ryusei et Nibel se présentèrent rapidement, ce qui ne fut pas le cas de Darkhan, le dernier des quatre inconnus. Il avait des yeux verts émeraude, arborait deux tatouages noirs circulaires sur son front qui tranchaient avec des cheveux clairs en bataille. Darkhan n'hésita pas ainsi une seconde à présenter son parcours.

« Ma mère est morte quand j'étais jeune, c'est mon père qui m'a élevé. Mon père était un garde royal reconnu et apprécié pour son travail au sein du temple du lotus. Il m'enseigna l'amour et le respect de mon prochain, ami comme ennemi. Selon lui, toute forme vivante, quelle que soit sa nature, doit être respectée, tout comme l'énonçait notre grand prêtre, Mahâvîra , dans sa parole divine. La nuit de mon septième anniversaire fut marquée par un évènement qui devait changer ma vie. Notre domaine subit les attaques d'étranges individus, des hommes capables de fendre la pierre avec leurs mains et de briser les roches glaciales, plus rapidement que le vent et plus sûrement que le feu du ciel. Je passais la nuit caché sous des caisses ; la seule chose que j'entendais était les cris d'agonie de la population qu'ils massacraient ... Au petit matin, j'étais seul ; seul au milieu de centaines de corps sans vie qui jonchaient la grand-rue. Les gardes s'étaient sacrifiés pour protéger le temple, mais la lutte fut vaine contre ces hommes, capables de pulvériser la roche. Je ne pouvais ni bouger ni crier, mon cœur semblait peser autant que nos montagnes. Bientôt je repris mes esprits et j'errais en direction du temple divin dans lequel mon père travaillait. Une fois arrivé à l'intérieur du temple, je remarquais qu'il avait été profané. Tous les gardes étaient morts, certains visages avaient gardé une expression d'effroi comme s'ils avaient vu la mort elle-même venir les prendre. Un gémissement se fit entendre et je reconnus la voix de mon père. L'appelant, je me mis à courir aussi vite que mes jambes me le permettaient et trouvais rapidement son corps étendu à terre, baignant dans une flaque de sang. Deux hommes en armure sombre gisaient à côté de lui. La statue du sage aux mains jointes auprès de laquelle il méditait souvent lui faisait face, mais le réceptacle qui se trouvait en sa base était vide. Paniqué, je ne sus que faire et tombais à genoux suppliant mon père de rester à mes cotés et de ne pas rejoindre le monde des Ombres.

Darkhan marqua un bref silence, que personne ne vint briser ... il reprit :
- Mon père me dit alors : « Mon fils, te souviens-tu quand nous regardions les étoiles ensemble ? Suis-les mon fils, trouve ton étoile et ramène le lotus dérobé ... prends cette clef, ouvre le coffre de la maison et deviens ... » Il ne put finir sa phrase, car il rejoignait déjà nos ancêtres. Je fis ce que mon père m'avait dit avant de mourir, je retournai chez moi et j'ouvris le coffre. J'y trouvais un vieux manuscrit griffonné par mon père, ainsi qu'une carte du monde. Le manuscrit, assez épais, semblait raconter la légende d'hommes qui tiraient leur pouvoir des étoiles ... il disait aussi de ne jamais me séparer de mon pendentif, dit-il en montrant alors le pendentif, semblable à celui que chacun des élus portaient, et de rester à l'écoute de mon destin. Vous connaissez la suite ...

- Nous avons tous connu un destin particulier, reprit Akurgal. Cybèle nous a conduits ici, tous autant que nous sommes. Demain elle nous accueillera en Hattousa. Il y a deux jours une prêtresse nous a prévenus de votre arrivée prochaine. Nous vous attendions. Nous avons trouvé une petite grotte à proximité. Venez, un bon feu ainsi que de la nourriture vous attendent. Nous ferons alors plus ample connaissance.
Désireux de vérifier quelque chose, Mâa s'approcha alors des quatre jeunes hommes et prononça quelques mots dans sa langue natale.
- Merci, heureux aussi de te rencontrer, répondit Akurgal, provoquant la surprise des autres compagnons. Même s'ils se comprenaient tous, ils ne savaient pas pour autant parler les langues étrangères ...
Mâa sourit et regarda Akurgal avec satisfaction : « Je m'en doutais, un Mésopotamien ne pouvait ignorer  l'Egyptien. Je crois pouvoir parler pour mes compagnons : nous acceptons votre invitation avec joie. Mais avant, j'aurai une question. Nous avons aperçu une grande tour en arrivant, mais elle ne semble pas se trouver dans Hattousa ... »
- Tu parles certainement de la Tour Noire, coupa Nibel. Non, elle ne fait pas partie d'Hattousa, elle se trouve à une demie journée de marche, par le nord. C'est le repère des Sinanthropes, un endroit maudit.
Ryusei se rapprocha alors et pointa un doigt en direction de la tour. Elle émergeait de la brume et des feux ardents indiquaient avec assurance qu'elle était occupée. « Ces Sinanthropes veulent notre mort, il ne faut pas y aller, il ne faut pas quitter les alentours d'Hattousa, c'est ce que nous a dit la prêtresse qui nous a prévenus de votre arrivée. »
- Notre mort ? demanda Cléops intrigué. « Alors, l'attaque de la forêt n'était pas le fait d'une troupe de voleurs ... »

Rassemblant leurs affaires, les vingt-six élus se dirigèrent vers la grotte où un feu et des victuailles les attendaient. Ils allaient y passer la dernière nuit de leur périple initiatique. Le lendemain, ils seraient enfin face à leur destin.

 

 

    Les navires antiques méditerranéens étaient manœuvrés grâce à deux gouvernails latéraux.

En réalité, les Sinanthropes sont des hommes préhistoriques, originaire d’Asie, contemporain du Neandertal européen.

Divinité chinoise, littéralement « la Mère-Eclairs ».

    Vêtement typique de l'époque archaïque.

    Aussi connu sous le nom de Jina en Inde.