Prélude VII : Sombres rencontres

 

Retour au bercail



Le voyage sur le petit navire de pêche était un lointain souvenir pour Seth, un mauvais souvenir. Après avoir échappé aux araignées de la grotte, les sept compagnons avaient décidé de ne pas rejoindre Delphes. Ils avaient trouvé, ils en étaient certains, l'une des filles de Cybèle. Il fallait faire vite et prévenir leurs amis à Hattousa. Peut-être avaient-ils également de bonnes nouvelles ! L’orage qui les avait contraints à se réfugier dans la grotte ne cessa pas, il redoubla même, comme si les dieux se livraient à une furieuse bataille céleste. Ayant rejoint le rivage où ils avaient débarqué quelques jours plus tôt, les aventuriers embarquèrent sur un petit bateau de pêche anatolien. Les eaux poissonneuses attiraient de nombreux pêcheurs grecs, et par chance, anatoliens. Le pêcheur en question était accompagné de son frère et de leurs fils respectifs, de braves gens, peu effrayés par la tempête qui faisait rage. La traversée fut laborieuse, le frêle esquif tanguant de tous bords sous les coups de boutoir de la mer déchaînée. Si l’on exceptait Frank qui avait pris quelques plantes avant d’embarquer, tout le monde fut malade. « Finalement je me sentais bien sur ce navire », pensa Seth en contemplant le spectacle horrible devant lequel tous s’étaient arrêtés sans voix. « J’étais malade, mais au moins je n’ai pas eu à supporter une telle abomination. »

 

***

Après deux jours de tempête continue, le petit navire était arrivé dans un petit port anatolien nommé Didymes La fureur du ciel s’était transformée en brouillard intense et le bateau de pêche n’accosta pas.
- Nous vous laissons ici. Vous aurez de l’eau jusqu’à la taille mais, dans quelques mètres, vous serez au sec sur le sable.
- Vous ne restez pas dans ce port capitaine ? questionna Mâa peu enthousiaste à l’idée de devoir plonger dans l'eau froide.
- Non, nous vivons un peu plus au sud, nous rentrons directement. Heureux de vous avoir aidés, et merci pour les pièces !
- Dans ce cas, adieu capitaine ! Et puisse Râ veiller sur votre voyage de retour !
- C’est ça, adieu, pesta Inyan, tu parles oui ! Une tempête à réveiller les morts, deux jours à vomir sur son pont pourri, et voilà qu’il nous balance dans la flotte.
- Nous sommes de retour en Anatolie, c’est tout ce qui compte mon frère, dit Frank en posant sa main sur l'épaule de son frère.

Les sept élus ne mirent que quelques instants à rejoindre la terre ferme. Le brouillard était si dense que l’on voyait à peine à quelques pas. Le silence était total, seul le bruit cristallin de la pluie ruisselante sur les roches nuançait cette atmosphère lugubre.
- C’est étrange, pas un bruit … le capitaine nous a bien dit que c’était un port non ? Où sont les gens ? s'inquiéta Mâa en regardant tout autour de lui.
- Je ne sais pas, mais nous devrions rester sur nos gardes. Nous marchons dans du sang.

Seth regardait ses pieds tout en tirant doucement son arme de son fourreau. La pluie avait formé des flaques d’eau certes … mais les pieds de chacun pataugeaient dans un mélange rougeâtre dont émanait une odeur âcre qui ne laissait aucun doute quant à sa provenance. « Rapprochons-nous doucement, sans un bruit. Ce chemin de pierre doit mener au village. »

Suivant Seth, le petit groupe s’avança sans un mot. Le port était entouré d’une palissade de bois en partie défoncée en de nombreux endroits. Comme ils s’en approchaient avec précaution, un murmure sinistre les stoppa net. Une bande de créatures immondes venait de surgir de la brume. Il s'agissait d'êtres humains qui ne l’étaient plus vraiment. Ils étaient horriblement mutilés, chauves, sans paupière et sans peau. Ces écorchés avaient une horrible couleur rosée due à leurs pauvres muscles devenus apparents. Entièrement nus, bon nombre de ces êtres hallucinants portaient les traces d'horribles tentatives de greffes. Chacun pouvait voir avec horreur que certains étaient amputés alors que d'autres présentaient des marques de brûlures formant des tatouages étranges sur leurs muscles sanguinolents. Ils suintaient le sang de tout leur corps, dégageant une très forte odeur de charogne décomposée. « La gangrène les ronge » murmura Frank en portant sa main sur son visage pour ne pas défaillir. Les visages exprimaient une atroce douleur mais cela n'entama en rien leur extraordinaire agressivité : ces simulacres d'humains se jetèrent en hurlant sur les aventuriers. Ils attaquèrent sans manifester la moindre peur, semblant insensibles à la douleur, se battant jusqu'à la mort sans jamais défaillir. Le combat fut d’une violence inouïe. La peur avait saisi tout le monde, décuplant la rage du calme Mâa. Lacérant, éviscérant, découpant à tour de bras, les compagnons formèrent un cercle pour faire face à la multitude. Le nombre croissant des êtres informes était tel que le doute l‘emportait chez Pallas.

- Nous allons tous mourir ici, finir comme eux, hurla-t-il de rage autant que de terreur.
- Frappe, mais frappe donc au lieu de gémir !

Inyan était totalement déchaîné, se battant contre trois adversaires à la fois. En fait, c'était le seul qui se battait avec efficacité, ignorant la peur, trouvant même une forme d'excitation enivrante. Soudain, un personnage vêtu de noir sortit du brouillard. Les malheureux mutilés se retournèrent alors comme un seul homme, laissant entrevoir dans leurs yeux une once d’humanité, un regard de terreur. Seth fut aux premières loges de l’horrible spectacle tenant entre ses mains le cou d’un des êtres monstrueux. L’homme en noir leva un doigt rouge en direction des monstres et murmura un simple mot qu’aucun ne put entendre.

La tête de l’adversaire de Seth disparut dans une masse grouillante, des dizaines de vers s'engouffrant dans ses narines et ses oreilles. En quelques instants, il ne resta du corps du monstre que peu de chose dans cet amas de vers fourmillants. Le visage, en partie réduit à l'état de squelette laissait entrevoir sa denture ; ses joues, son nez et la peau de son front avaient entièrement disparu et sa dépouille ondulait singulièrement au rythme des mouvements désordonnés des petits vers blancs. Son corps n'était plus qu'une plaie infecte et palpitante, à l'intérieur de sa tête, les petits animaux blanchâtres s'affairaient pour faire disparaître un cerveau déjà liquide qui se répandait doucement par les narines nettoyées de toute chair, dégoulinant sur le pauvre Seth. Il ne pouvait détacher son regard des yeux livides de la créature. Dans un bruit mou, l'un d'eux céda et  tomba sur le visage du malheureux Egyptien qui, poussant un cri d'effroi, jeta le corps en arrière. Tous avaient pu voir des scènes similaires, tous étaient maintenant terrorisés. Seul l’homme en noir se tenait droit, découvrant son visage grisâtre.

- Je vous ai sauvé et je le ferai encore. Ramenez-moi un Télépinou avant cinq lunes dans la Forêt des Morts. Vous trouverez cet endroit, je le sais. Là-bas, je vous attendrai. Là-bas, je vous sauverai et vous apporterai richesse et gloire. Refusez, la mort viendra vous prendre ; vous savez à présent que je puis donner une mort horrible à chacun d’entre vous.


***

 

Avant d’avoir pu lui poser la moindre question, l’homme avait disparu dans le brouillard, comme il était venu. Les sept élus ne trouvèrent aucune trace de lui. Le cauchemar qu’ils avaient vécu devait les marquer à jamais, et c’est en courant à perdre haleine qu’ils quittèrent les lieux pour rejoindre Hattousa. Après neuf jours de marche forcée, Pallas et ses amis rejoignirent enfin le sanctuaire. Seth avait été fortement marqué par l’expérience qu’ils avaient vécue, il ne pouvait plus dormir. Asturias, Rahotep, Harald, Meijuk, Cléops et Séléné écoutèrent médusés le récit de cette expérience.

- Vous devriez vous reposer maintenant, nous allons demander des renseignements à la prêtresse, nous allons nous occuper de vous.
- Cléops a raison, renchérit Asturias, il a raison. Nous reparlerons de ceci demain.

Alors que Meijuk et Cléops guidaient leurs compagnons, Asturias prit Rahotep à part : « Je crois savoir qui ils ont rencontré. Suis-moi à la bibliothèque, si j’ai raison la situation est grave, très grave. »

 

Confrontations en perspective



« La peur. La peur a rendu Inyan complètement fou face à de simples araignées. Nous nous sommes moqués de sa réaction pathétique. Inyan a été le seul à se battre correctement face aux êtres de cauchemar que nous avons croisé à Didymes. Nous autres, si enclins à le railler de lui quelques jours auparavant, étions broyés par l'effroi, incapables de contrôler nos nerfs. La peur est donc une arme terrible. Je dois apprendre à la maîtriser.» Seth ne pouvait pas dormir, sans cesse il repensait à l'homme en noir au doigt écarlate, à ces êtres qu'on eut dit sortis des enfers .... Cette vision l'obsédait, le fascinait.

 

***



« Faites attention à vous ! Ne prenez pas de risques inutiles ! » cria Harald aux trois hommes qui s'éloignaient du sanctuaire.
« Tout ira bien, nous ramènerons cette statuette ! » Répondit Nibel en souriant.

Nibel, Liu et Nevali  avaient décidé de partir en quête de la fille se trouvant en Anatolie. Ils n'étaient que trois, mais cela devait être un atout selon Nevali : un petit groupe passerait plus inaperçu. Ils savaient aussi que des signes les guideraient, l'optimisme était de rigueur.

- J'espère qu'ils s'en sortiront, soupira Harald en les voyant s'éloigner dans la brume persistante.
- Ne te fais pas de souci, ils savent ce qu'ils font. Viens, rentrons, la réunion va bientôt commencer, nos amis doivent nous attendre.
Le regard rivé vers ses compagnons qui disparaissaient au loin, Harald souffla : « Tu as raison Cléops ».

Le soir précédent, Mâa avait pu expliquer rapidement le fruit de leur périple grec. La découverte de la première fille était une véritable aubaine. Sachant ce qu'ils devaient chercher, Nevali, Liu et Nibel, pour le moment en retrait du groupe et plus enclins à s'entraîner, à découvrir les abords de la cité, s'étaient donnés comme mission de créer un troisième groupe de recherche des filles. Complétant les dispositifs partis en Mésopotamie et en Germanie, l'espoir était réel de voir les quatre filles de Cybèle réunies dans un avenir proche.

Réuni dans une grande salle froide et austère à la lumière blafarde, le dernier groupe partagea les informations glanées ici et là. Assis autour d'une table circulaire de chêne, ils parlèrent sans toucher aux mets et boissons qui avaient été apportés selon la volonté du Maître des hôtes. Macubex était revenu dans la nuit, seul comme à son habitude. Il avait rejoint ses compagnons en entendant la conversation débuter. Rahotep expliqua comment lui et ses amis avaient été attaqués par des lionnes dent de sabre prises de folie et, dans quelles étranges circonstances, ils avaient rencontré Immungus. Cléops, quant à lui, narra le périple des chasseurs dans le nord de l'Anatolie, la rencontre avec un groupe de chasseur de prime qui étaient à leur trousse. A ce sujet, la vision de l'affiche jeta un grand trouble au sein du groupe de Pallas. Cléops acheva son récit sur l'épisode de la colère de Cybèle à l'encontre d'un des habitants du sanctuaire sacré.

- Tu dis que cet homme a parlé des Télépinous ? C'est bien cela ?
- Oui Mâa, des Télépinous. Mais je ne sais pas de quoi il s'agit !

Mâa se leva, l'air grave. Lui aussi avait déjà entendu parler de ces mystérieux Télépinous.
- Lors des évènements de Didymes, l'homme en noir nous a demandé de lui livrer avant cinq lunes un Télépinou, dans la Forêt des Morts. Il se trouve que je sais depuis fort longtemps ce qu'est un Télépinou, c'est une vieille légende que mon père me lut jadis sur les berges du Nil comme il aimait à me narrer des histoires fantastiques. Les Télépinous sont les esprits les plus proches de la nature et donc de Gaia, la déesse-mère. Ils peuvent apporter de grandes choses aux esprits les plus purs, mais ils peuvent aussi être manipulés par les esprits les plus noirs afin obtenir d'immenses pouvoirs.

- C'est quoi cette histoire de bonne femme ? dit Séléné en se levant brusquement. « Non mais on veut notre tête et vous perdez votre temps à raconter des contes pour gamins ! »
- C'est tout sauf un conte, tu devrais t'asseoir et te calmer, certains sont morts pour avoir osé nier l'existence des Télépinous, nous en avons été témoins avec Meijuk et Harald, affirma gravement Cléops. Séléné se rassit en levant les yeux au plafond en signe d'exaspération.
- Pourquoi cet homme noir voudrait un Télépinou ? Pourquoi Immungus croit que nous avons enlevé ses fiancées, car c'est bien lui l'auteur de la mise à prix, c'est une certitude ! Pourquoi ne désire-t-il plus s'occuper de la procession concernant ces esprits, plongeant les habitants d'Hattousa dans la peur ?
 
« Tes questions sont justes Harald, et je crois pouvoir apporter quelques réponses » Tous les visages se retournèrent vers Asturias qui avait posé sur table de nombreux morceaux de papyrus couverts de notes. Il en fit trois tas, prit sa respiration et énonça calmement sa théorie.

- Voilà. Immungus, j'en suis certain, est l'homme qui a caché les filles de Cybèle, les statuettes. Nous en avons beaucoup discuté avec Rahotep, nous pensons que c'est un test ; avant de pouvoir rencontrer Cybèle nous devons le mériter, c'est une épreuve initiatique en quelque sorte. L'épisode des Télépinous ne devait pas être prévu à l'origine. Leur existence est attestée,  ils sont liés dans une certaine mesure à Cybèle. La déesse qui nous accueille semble souffrir de leur absence ou disparition. Je pense, comme Mâa l'a dit, qu'ils détiennent un grand pouvoir, sans doute déterminant pour la déesse. J'en suis d'autant plus convaincu qu'une autre personne s'y intéresse ...

Asturias se leva brusquement frappant du poing sur la table. Chaque mot résonnait d'une profonde colère, colère mêlée à une certaine forme de crainte.
- La description de l'homme en noir, son doigt rouge, son pouvoir magique envers les êtres de cauchemar que vous avez rencontrés, la convoitise des Télépinous, trop d'indices concordent. L'Indicible, celui que l'on nommait autrefois le Soleil Noir est lié à cette histoire. Si ce n'est pas lui directement, car il est mort depuis des temps immémoriaux, ce sont ses serviteurs, ces fous au service d'une entité représentant la pire chose engendrée sur terre. L'homme que vous avez croisé est un «Dard sombre», un membre éminent de cette secte, un ensorceleur. J'en suis convaincu, mes lectures dans la bibliothèque l'attestent, Joriams notre maître érudit, sage entre les sages est tout aussi catégorique !

Comme il se rasseyait sur sa chaise le silence se fit. Chacun était plongé dans ses pensées, échafaudant tour à tour des hypothèses, rassemblant les morceaux du puzzle. Seth prit enfin la parole : « Je crois que les choses sont claires. Cette secte est dangereuse pour Cybèle, donc pour nous. Si tu dis vrai pour les filles, ces Télépinous deviennent bien plus importants, garants de notre propre existence. Cybèle semble tenir à ces Télépinous, trouvons-les ... conduisons-les à Cybèle. Trouvons-les avant cette secte. »
Cléops tourna vers son compagnon son visage livide, crispé par l'angoisse : « Que fais-tu d'Immungus, de ces femmes ? Notre tête est mise à prix, nous avons des Sinanthropes chasseurs de prime aux trousses.»
- Cléops n'a pas tort, renchérit Nibel qui ne cachait plus son désarroi.
- Croyez-moi, depuis que j'ai vu ce mage noir, je ce sait ce que signifie le mot danger. Je me fous de ce prêtre. Si nous livrons ces Télépinous à Cybèle, je pense qu'elle saura le calmer. Quant aux Sinanthropes, ils sont visiblement sur nos traces depuis le début, cette mise à prix n'est qu'un prétexte.
- Je suis d'accord. J'ai découvert où se trouvait la Forêt des Morts. Visiblement c'est-là que ces esprits se trouvent si on croise nos informations, alors nous savons où aller.
- Dis l'Etranger, tu fais bande à part, pourquoi nous te croirions ? Comment as-tu découvert cette forêt ?
Macubex se rembrunit, peu décidé à trop en dire: « Comment, c'est mon problème Pallas. Croyez-moi ou non, peu m'importe. Je partirai demain matin. Sachez juste qu'il serait bon que ceux qui viendront avec moi se préparent au combat. Un village barbare honorant une divinité nommée Kröm garde l'entrée de cette forêt. Et je ne crois pas que les colosses que j'y ai vus soient disposés à laisser pénétrer quiconque dans ce lieu ».
- KRÖM ! Tu parles de mon dieu ! Je viens avec toi ! S'écria Séléné, « Je dois parler à Kröm ! »
- Je ne sais pas si tu parleras à ce Kröm mais nous irons tous avec l'Etranger. Nos destins sont liés, que nous le voulions ou non. Et l'épisode que nous avons vécu nous impose l'union !
- Tu as raison Mâa. Je vais préparer de quoi nous soigner, nous rejoignons une contré visiblement dangereuse, dit Frank en se levant.
- Et voilà ... de retour sur les routes. Bon, tant que nous ne croisons que des morts et des Sinanthropes ... ça m'ira ! lança Inyan dans un sourire forcé.

 

 

Kröm

Dans un dernier râle la jeune femme expira. Son regard restait figé, fixant avec horreur le visage de son assassin. Celui-ci retira doucement le glaive qui avait éventré la guerrière en murmurant « Pardonne moi femme, je n'avais pas le choix. Tu t'es battue comme une lionne, je rends hommage à ton courage ». Il jeta alors un regard circulaire sur le champ de bataille. Il n'y avait plus de bruit, seul le vent s'engouffrait en mugissant dans le petit canyon. Cléops se tenait assis devant le corps d'un grand Sinanthrope dont la tête gisait à quelques pas.

- Tu ne l'as pas raté, beau travail. Je ne savais pas que tu maniais l'épée avec tant d'habileté.
- C'était lui ou moi, je n'avais pas le choix. Et toi Pallas, tout va bien ?
- Oui, merci. Tu as vu cette femme ? On aurait dit une furie, heureusement qu'Asturias n'a pas tremblé. Tuer est une chose, tuer une femme ...
Seth écarta tout remord, affirmant avec froideur : « Il n'y a pas de pitié à avoir. Nous sommes partis depuis neuf jours, nous avons été attaqué cinq fois, nous avons échappé par trois fois à des groupes de suiveurs ... alors femme ou pas, nous devons nous défendre, c'est tout. »

Comme venait de l'indiquer Seth, le voyage se passait assez mal. Les élus étaient épuisés, le temps n'aidant pas à leur remonter le moral. Le ciel était totalement invisible sous la brume persistante, voile humide et funeste qui accompagnait nos amis à travers les sentiers caillouteux de l'Anatolie. Frank et Mâa appliquaient les remèdes enseignés par Nefzena pour soulager les faiblesses de chacun. Par chance, aucun n'avait été blessé, ce qui ne cessait de surprendre le pragmatique Rahotep. Trois nouvelles journées de marche s'écoulèrent, interminables. Enfin, le Caucase fut en vue. Ce pays ingrat s'étalait à perte de vue devant les aventuriers. Les montagnes d'Anatolie disparaissaient pour laisser place à une vaste plaine dont les quelques arbres constituaient les seuls accrocs à la monotonie du paysage. Seul Séléné semblait revivre dans cette plaine monotone, retrouvant les terres qui l'avaient vu naître.

- Encore deux jours de marche dans cette direction, indiqua l'Etranger. Le village sera alors en vue, barrant l'accès à celle que l'on nomme la Forêt des Morts.
- Alors en route ! J'ai hâte de retrouver les miens, ceux de mon peuple, les fiers Caucasiens ! Oh Kröm, s'exclama Séléné en tendant les bras vers le ciel, « Oh maître des forges célestes, ton serviteur arrive ! »

Macubex ne s'était pas trompé, le village fut atteint deux journées de marche plus tard. La nuit allait tomber et rien ne permettait de s'abriter de la fine pluie qui se mettait à tomber. La forêt qui se trouvait derrière le village dégageait une atmosphère étrange, perceptible des kilomètres à la ronde. « Cet endroit n'a rien de naturel. Râ, veille sur nous, notre cause est juste », pria Mâa avant de rejoindre le groupe qui se trouvait devant la porte de la palissade de bois qui entourait le village.

- Bien, nous ne pouvons rester ici pour la nuit, nous sommes à découvert et cette pluie risque de nous apporter des maux incompatibles avec les épreuves qui nous attendent. La nuit dernière fut assez agitée avec les meutes de loups qui hurlaient alentour, il se pourrait bien que ces animaux enragés décident de passer à l'action cette nuit. Nous ne pouvons pénétrer non plus dans la forêt, le gouffre qui l'entoure semble en faire le tour sur des kilomètres.
- C'est bien le cas, répondit Macubex. Ce gouffre est infranchissable, si l'on s'en rapproche un puissant murmure nous pousse en arrière. Si on poursuit, ce même murmure nous attire au fin fond des entrailles de la terre.
- Tu sais beaucoup de choses l'Etranger, dit Seth d'un air accusateur. Bien trop de chose à mon goût. Tu ne peux tout garder pour toi, tu dois nous dire tout ce que tu sais et qui pourrait nous aider.
- Je ne dois rien à personne. Je dis ce que je sais et pense utile. Je n'ai aucun compte à vous rendre.
Frank décida de changer de conversation pour calmer les esprits. Il se rapprocha de Séléné qui fouillait dans son sac. « Séléné, ton peuple est-il hostile envers les voyageurs d'habitude ? ».
- Le géant se releva d'un air menaçant : « Non mais ! Tu nous prends pour des barbares sans cervelle ou quoi ! Nous sommes très accueillants ! »

Frank se rapprocha en souriant du colosse et lui posa une main sur l'épaule : « Ne le prends pas mal, je cherchais juste une confirmation. Je pense que nous pouvons demander ... ». La porte de bois s'ouvrit brusquement, laissant entrevoir un guerrier armé d'une double hache qu'il tenait contre son épaule droite.
« Par les dieux, murmura Pallas, il a ouvert la porte tout seul ? Séléné est bien de ce peuple, tous des montagnes de muscles ! »
L'inconnu sonda les regards des aventuriers et reconnut les manteaux de type anatolien que l'on vendait à Hattousa. Il s'adressa à l'ensemble des compagnons d'un ton sec et froid : « Entrez, vite, ou quittez ces lieux. Décidez-vous à l'instant ». Dans un premier temps personne ne répondit. L'un après l'autre, les élus regardèrent Séléné qui, le premier, entra dans le village fortifié. La porte se referma aussi vite qu'elle s'était ouverte, d'un brusque geste du guerrier. Ce dernier baissa le mécanisme de bronze qui la scellait avant de rejoindre son poste de garde, sans un mot. Le village était très simple, rustique. Quelques cabanons de bois, une majorité de huttes circulaires couvertes de chaume d'où s'échappaient de petites fumées. Une femme puisait de l'eau dans un petit puits, trois enfants couraient derrière quelques poules. Au fond du village, les aventuriers pouvaient distinguer une autre porte, menant directement vers la forêt voisine dont on distinguait la cime tortueuse des arbres. Séléné se détacha rapidement du groupe en voyant une grande statue représentant un guerrier, portant entre ses mains un énorme marteau dont la tête reposait sur le sol. La statue regardait la forêt, de nombreuses torches éclairant sa base. La nuit tombait vite, le soleil avait disparu, la voûte céleste s'éclairait des premières étoiles qui apparaissaient entre les nuages qui se dissipaient pour laisser leur place à une demi-lune blafarde. Séléné se mit à genoux devant la statue et leva les bras vers les cieux. Il prit une petite dague et s'entailla les paumes de chaque main. Délicatement, il appliqua sur son visage le sang qui coulait abondamment et se mit à prononcer des mots incompréhensibles.

« Je ne savais pas que Séléné était si fervent. On dirait un rite archaïque. Cette statue représenterait donc un dieu ? » Comme Mâa s'interrogeait à voix haute, un homme se rapprocha sans que personne ne l'aperçut, Séléné monopolisant l'attention. Il portait un manteau de fourrure qui ne dissimulait nullement les deux grandes épées attachées en croix dans son dos.
- Votre compagnon est des nôtres, il rend hommage à Kröm.
Surpris les aventuriers se retournèrent vers leur interlocuteur, le regardant avec un air méfiant. Déjà les mains de Harald et de Rahotep se crispaient sur leurs armes, les derniers évènements ayant rendu la troupe un peu nerveuse.
- Ne touchez pas à vos armes sauf si vous désirez mourir. Je suis Khonan, chef de ce village, gardien du passage vers l'autre monde. Que faites-vous si loin de vos demeures ?
- Nous nous rendons dans la Forêt des Morts. Nous ne voulions pas vous déranger, mais votre village est sur le seul passage que nous ayons trouvé.
Khonan regarda Seth sans montrer la moindre émotion. Il ne semblait pas surpris, son air restait grave. Ses longs cheveux ondulaient suivant le sens du vent qui venait de se lever, chassant les derniers nuages. Il ressemblait de plus en plus à la statue de Kröm qui s'élevait dans son ombre.
- Jadis, dans des temps que les hommes ont oublié, Kröm, notre dieu s'est battu ici. Il tint tête avec de fiers guerriers dont nous sommes les descendants face aux forces de la déesse noire qui ravit les âmes des mortels. Malgré leur courage, tous les guerriers de Kröm périrent. Malgré sa force, Kröm fut terrassé par la ruse maléfique de l'Astre sombre et le pouvoir de la déesse noire. Aujourd'hui, je suis le gardien de l'âme de Kröm qui réside dans cette statue derrière moi. La Forêt des Morts est le champ de bataille de ce combat oublié. Les arbres qui ont poussé ne sont pas naturels, ils se sont gorgés du sang des morts. Pénétrez dans cette forêt et vous y resterez à jamais. Nul n'en est revenu vivant, jamais.
« Pardonnez-moi messire », interrogea Asturias en s'avançant, « mais  l'Astre sombre dont vous parlez, serait-ce celui dont le nom fut banni pendant des siècles par les dieux eux-même, celui que l'on connaît sous le nom d'Indicible » ... Asturias marqua un petit temps de réflexion avant de poursuivre, « ou encore de.. »

« Ne prononce plus ce nom ici ! » s'emporta Khonan. Comme le tumultueux chef s'énervait, le sol se mit à trembler. Les ondulations provenaient de la statue et se faisaient plus fortes chaque seconde, on eut dit que le village allait disparaître dans les entrailles de la terre.

- Kröm, tu m'as entendu ! Je suis le fils de Blémidiles, ton serviteur ! se réjouit Séléné en se relevant, les bras tendus vers le ciel, totalement coupé de ce qui venait de se passer.

« QUI A OSE PRONONCER LE NOM INTERDIT ? QUI M'A SORTI DE MON SOMMEIL ? QUI DESIRE AFFRONTER MON COURROUX ?». La voix semblait venir de la statue. « Une statue ne peut pas parler, c'est un sortilège », s'exclama Cléops. Khonan se prosterna devant la statue et prononça quelques phrases dans une langue inconnue, proche de celle de Séléné. Ce dernier comprenait visiblement tout et poussa un cri de rage.
- Qui t'a tué Kröm ! MAUDIT ! Je vais te venger ! Je le jure !

«MORTELS, VOUS DESIREZ REJOINDRE MES FIERS GUERRIERS. LAISSEZ MOI VOUS MENER MOI-MÊME POUR L'AUTRE MONDE». Sans réellement comprendre ce qui se passait, les élus se retrouvèrent au beau milieu d'arbres noirs et tortueux dont les branches s'entrelaçaient pour former une sorte de barrière naturelle empêchant jusqu'à la lumière de percer le cœur de la pénombre. Du sang coulait le long des troncs, le sol grouillait de vermine, l'odeur putride obligeait chacun à porter la main au visage pour ne pas vomir ou s'étouffer. La mort et la peur avait choisi cette terre pour territoire. « Mais où sommes-nous ?»

 

La Forêt des Morts



- Maudit ! Sois maudit Khonan ! Tu nous as ensorcelés !
- Cléops, retire tout de suite ce que tu viens de dire. Khonan est de mon peuple, tu m'insultes quand tu l'insultes.
- Il n'a pas tort Séléné. Je suis certain que ton Khonan nous a tendu un piège et a demandé à la statue de nous jeter un sort !
- Inyan je ne te cause pas. C'est entre Cléops et moi, ensuite je m'occuperai de ton cas, tu auras ce que tu mérites.

Inyan se débarrassa de ses affaires. Il déposa doucement ses armes, prenant soin de les placer sur son sac pour qu'elles ne soient pas noyées par la vermine. Inyan n'était pas ostensiblement puissant, mais il était robuste et Séléné ne l'impressionnait pas. « Moi non plus je ne t'aime pas. Tu n'es qu'une montagne de muscles sans cervelle. Regarde-toi, sauvage ! Ton visage est recouvert de ton propre sang, tu dois te sentir à ton aise ici parmi ces arbres en décomposition. Tu me donnes envie de vomir. »

Le sang de Séléné ne fit qu'un tour, la rage se lisait dans ses yeux. Poussant Frank qui voulait s'interposer, il attrapa Inyan par l'encolure de son manteau et se mit à le secouer avec une violence non maîtrisée. « Je vais t'écraser, je vais te briser les os ». Séléné n'eut pas le temps de passer à l'acte, pas plus qu'Inyan n'eut le temps de riposter. La petite clairière s'emplit soudain de lumière. Un halo bleuté glissa ses bras fantômatiquesentre les troncs ensanglantés, baignant l'espace d'une lueur terrifiante, froide et pénétrante.  Les élus découvrirent à ce moment le cœur de la Forêt des Morts : des corps se décomposaient lentement, pendus par les pieds, par les mains .... Certaines branches étaient tellement chargées qu'on pouvait se demander comment elles avaient pu porter autant de corps. Levant les yeux, Harald fut le premier à «la» voir : « Regardez, une boule de lumière, au-dessus de nous ! »

« Qu'est-ce que c'est encore que ce cirque ! » A l'instar d'Inyan, personne ne comprenait réellement ce qui se passait. Face à ce phénomène inexpliqué, ils oscillaient entre la peur, la fascination et la surprise. La boule de lumière se mit à descendre au milieu du petit groupe, comme si elle désirait faire connaissance avec chacun des élus. Après un court instant, elle se mit à tournoyer dans les airs laissant dernière elle des poussières incandescentes, avant de foncer droit vers le nord.

« C'est fantastique », lâcha Cléops d'un ton admiratif.  « On dirait qu'elle veut nous guider. »
Frank afficha un air plus préoccupé : « Ou qu'elle nous tend un piège ! ».
« De toute façon le choix est simple : ou nous regardons ton frère et Séléné se crêper le chignon, ou nous la suivons. Moi, je la suis. Il me semble clair que nous sommes dans la Forêt des Morts, perdus là où nous désirions aller .... Alors perdus pour perdus ... »

Seth sonda ses camarades en les regardant les uns après les autres. « Allons-y », répondit simplement Rahotep. La lumière semblait effectivement attendre les aventuriers, reprenant lentement son chemin vers le centre de la forêt lorsqu'ils se mirent en branle. Pendant quelques minutes plus personne ne parla. Chacun se concentrait sur ses pas, tenant d'éviter les nombreuses branches mortes, les ossements apparaissant ici ou là. Se concentrant sur ses pas, Cléops ne vit pas la branche qui se prit dans son pendentif l'arrachant net. « Cléops, que fais-tu, suis-nous ou tu vas te perdre ! » lança Pallas en voyant son compagnon à quatre pattes à la recherche de son précieux artéfact. La lumière gardait une vitesse assez faible pour qu'on ne la perde pas de vue. Arrivée devant un ensemble de pierre fichées en cercle dans le sol, elle monta vers la cime des arbres et disparut, laissant les élus seuls. Il ne se passa plus rien pendant quelques minutes. Frank alluma une torche qui leur permit de découvrir l'endroit.

- C'est un temple druidique, comme il y en a chez nous, affirma Inyan avec assurance. C'est fantastique! Les druides sont des êtres bons, nous les connaissons avec Frank, nous ne risquons rien.
- Et que font tes druides ici, dans la Forêts des Morts, en plein Caucase ? Je croyais que vous veniez du lointain Occident...
- Des druides ont pu voyager et s'installer ici, proposa Frank guère convaincu par sa propre explication...
- La question est pourquoi la lumière nous a conduits ici !
- Je crois que voilà la réponse, Mâa, répondit Seth en lui faisant signe de se retourner.

Une forme humaine, vaguement translucide, venait d'apparaître. Elle dégageait une forte lumière. Des torches s'étaient allumées comme par enchantement tout autour du cercle de pierre. L'être n'était pas humain même s'il s'en rapprochait. Seuls deux yeux apparaissaient sur son visage, deux yeux emplis de tristesse, d'une tristesse insondable. D'une voix faible, tel un être mourant exprimant ses dernières volontés, l'esprit s'adressa aux élus.

- Qui suis-je ?
- En voilà une question ! Comment veux-tu que nous le sachions ? Tu es une lumière avec deux yeux ...
- La ferme Séléné ! rugit Seth. Que personne ne réponde ! C'est une énigme, c'est un test !
- Comment le sais-tu ? s'empressa de demander Mâa, inquiet.
« Depuis le début, on nous teste, j'en suis certain et ... » Seth n'eut pas le temps de finir sa phrase, l'esprit reprenant la parole.

- Où suis-je ?
Cette fois-ci le groupe se concerta. Seth s'était montré convaincant et Rahotep fut désigné pour donner la réponse choisie.
- Tu es à la porte de la mort !
- Où est ma réelle place ?

Un nouveau conciliabule se mit en place. « C'est un Télépinou, c'est évident. Alors ça vit où un Télépinou ?» Tous les yeux se braquèrent vers les érudits. Asturias se risqua à énoncer « Dans la nature, c'est un esprit de la nature ... ».
- Dans la nature, votre place est dans la nature !
- Votre destin est scellé.

L'esprit disparut comme il était survenu, en un instant, sans un bruit. De fait, le seul bruit qui résonnait conduisait tous les regards vers le sol. Un grondement sourd, des craquements alertèrent les aventuriers. Le sol se mit à se tordre par endroits comme pris de convulsions. Aux pieds de Harald, la main d'un squelette surgit le faisant reculer contre un arbre voisin. Derrière Pallas c'est un être à demi décharné qui venait d'apparaître, couvert de vers qui achevaient leur besogne.

- Mettez vous en cercle, vite ! C'est comme à Didymes !
Suivant les indications d'Asturias les compagnons firent un cercle défensif. Une vingtaine de créatures surgies des plus horribles cauchemars se tenaient là, devant eux.
- Bougez pas les morts ou je vous tue !

Tout le monde regarda Séléné en souriant. « Merci, au moins tu nous réconfortes avant le combat », dit Pallas en lui donnant une tape amicale dans le dos. Un spectre sonna l'hallali. En infériorité numérique, le combat semblait perdu pour les hommes égarés dans cette forêt maléfique.

« Il vaut mieux l'avoir avec soi que contre soi », renchérit Frank en regardant Séléné utiliser un squelette pour en frapper un autre.
« Mon frère, concentre-toi plutôt sur ce truc qui te fonce dessus ! » le mit en garde Inyan.

Le combat faisait rage. Macubex avait maille à partir avec un homme grisâtre qui gémissait sans cesse le mot « sang ». Les coups de dague ne semblaient pas lui faire grand-chose. Mâa et Rahotep se battaient ensemble contre un être de plus de deux mètres qui faisait tournoyer une lourde hache au-dessus de sa tête.
- Il lui manque la moitié du visage Rahotep, je ne pense pas que nous pourrons le blesser !
- Tu as raison, Mâa ... décollons-lui la tête, c'est notre seule chance. Je fonce dessus, occupe-toi de son cou !

La confusion l'emportait. Les ennemis étaient frappés, voyaient les épées et les haches les transpercer rien n'y faisait. Cléops faisait face au spectre qui avait sonné le début des hostilités en poussant son lugubre hurlement. L'épée du jeune élu traversait pour la troisième fois le visage du spectre lorsque celui-ci posa une main sur le cœur de son assaillant. Cléops hurla de douleur, lâchant son arme et posant les deux genoux à terre. Tous virent la scène, interpelés par le désespoir de leur compagnon.

- Aidez-moi, ça me brûle !
- CLEOPS ! hurla Pallas qui était devenu son fidèle ami depuis la rencontre d'Argos. « Cléops, tiens bon, j'accours ! »

Il était malheureusement trop tard. La poitrine du malheureux était brûlée, déchiquetée ; on pouvait déjà voir son cœur apparaître. La douleur était insoutenable, les cris horribles. Le spectre posa ses deux mains sur la tête du malheureux et l'arracha d'un coup sec, la jetant en direction de Pallas qui accourait. Ce dernier bondit sur l'être immatériel et lui porta un coup qui sembla fatal. Au moment où l'arme de Pallas pourfendit la tête du spectre, ce dernier disparut dans un cri de rage, générant un immense souffle. Les aventuriers furent tous plaqués au sol, assommés sous le choc. Pallas sentit distinctement le sol se dérober sous ses pieds, l'angoisse l'étreindre, le froid pénétrer et brûler ses entrailles, son cœur battant la chamade comme il ne l'avait jamais fait. Il voulut appeler, mais sa bouche restait sans voix. Il tenta de regarder ses compagnons, mais ses yeux ne voyaient qu'une brume terrifiante. Il dérivait mollement, s'enfonçant de plus en plus dans les ténèbres. Son cœur cognait contre sa poitrine. L'air n'entrait plus dans ses poumons. Il rejoignait Cléops, tous rejoignaient la mort. Il éprouvait de la peine pour son ami plus que pour lui-même. Ils avaient fait tout cela pour rien. Les dieux s'étaient moqués d'eux et jetaient à présents ces élus comme un enfant jette un jouet qui finit par le lasser. Tout était fini.


***


 
- Calme-toi. Tu n'as rien, tu ne crains plus rien.
- Khonan ? Mais les morts, la forêt ... où suis-je ? Mes compagnons ? Etait-ce une illusion ? demanda Frank, le visage en sueur.
- Tes compagnons vont bien, ils sont là, à tes côtés. Kröm vous a pris sous sa protection, vous avez réchappé à la Forêt des Morts.

Autour de Frank Rahotep, Asturias, Mâa, Inyan, Séléné, l'Etranger, Pallas, Harald et Seth étaient allongés. « Il manque Cléops, l'avez-vous vu ? » s'inquiéta Frank.
- Vous êtes tous ici. Ton compagnon n'en a pas réchappé, j'ai vu son âme rejoindre les étoiles. C'était assurément un fier guerrier pour mériter tel honneur. Repose-toi maintenant, tu parleras plus tard.