CHAPITRE 7 : L'EBRANLEUR DE LA TERRE (1)
- « Je dois reconnaître que notre fils s'est
plutôt bien comporté cette fois-ci, murmura Héra à
son époux.
- Oui, c'est vrai, répliqua ce dernier, mais je ne me fais pas trop
d'illusions : sa nature va vite reprendre le dessus ! Enfin... Il a eu ce
qu'il voulait, il n'a pas fait d'esclandre et je dois avouer qu'il s'est plutôt
bien débrouillé avec le Capricorne. C'est l'essentiel ! »
Arès alla se rasseoir. Il n'avait plus son expression maussade, son visage était calme, détendu... C'était une vision des plus insolites pour ses congénères, et même s'ils savaient que cela ne durerait pas longtemps, on pouvait lire dans leurs regards une sorte de respect vis-à-vis de lui. Même Athéna, qui n'avait que peu d'estime pour ce frère turbulent, le regardait d'un autre oeil. « Après tout, se dit-elle, il est parfois capable du meilleur ! Dommage, qu'il ne le fasse pas plus souvent ! ».
Aphrodite fit un clin d'oeil à son amant, accompagné d'un petit sourire chargé de sous-entendus. Il lui rendit la pareille. Des scènes torrides s'entrechoquaient dans sa tête. Tous deux n'avaient qu'une seule hâte : que cette cérémonie se termine le plus rapidement possible, afin qu'ils puissent se retirer dans un endroit paisible, loin des autres, et ainsi goûter aux plaisirs de la chair...
C'est alors que les Dieux entendirent une chanson paillarde ! Elle ne venait pas de l'une des urnes – comme ils l'avaient cru au début – mais du couloir menant à la salle : quelqu'un s'approchait à grands pas...
Ayant franchi le seuil, le nouveau venu - un véritable colosse vêtu d'une peau de lion et portant une imposante massue sur l'épaule – s'arrêta de chanter et lança d'une voix puissante, semblable au grondement d'un torrent de montagne :
- « Bonjour tout le monde ! Bonjour père !
- Héraclès, tu es en retard ! dit Zeus, d'une voix faussement
sévère.
- Désolé ! J'avais à faire sur Terre, et ça m'a
pris plus de temps que prévu !
- Aucune importance ! Sois le bienvenu ! Débarrasse-toi et joins-toi
à nous !
- Avec plaisir ! »
Après avoir confié son arme et sa fourrure à un serviteur – qui se mit à fléchir sous le poids de tout cet attirail - le regard du fils de Zeus balaya l'assistance, un beau sourire illuminant sa face, révélant des dents fortes et saines.
- « Il y a des têtes que je n'avais pas vu depuis bien longtemps ! Salut frérot ! dit-il à Arès en lui flanquant une grosse bourrade amicale dans le dos qui le fit chanceler. Tu fais pas trop de bêtises j'espère ?! »
Et il se mit à pousser un rire large et gras qui emplit toute la salle. Les autres Dieux l'imitèrent, à l'exception du Dieu de la Guerre - qui avait le souffle coupé.
- « Veux-tu une coupe de nectar ? proposa Ganymède
à Héraclès.
- Une coupe ?! Une amphore, oui ! J'ai le gosier sec, et c'est pas avec une
simple gorgée que je vais étancher ma soif !
- Où étais-tu sur Terre ? Demanda Zeus
- En Egypte, c'est un pays merveilleux ! Les habitants sont accueillants,
joyeux et sympathiques, les Egyptiennes surtout ! J'en ai rencontré
quelques unes avec qui j'ai... enfin bref, j'ai eu un séjour très
agréable ! »
Et il s'esclaffa de nouveau, son rire faisant trembler les colonnes. La plupart des divinités mâles – y compris Arès qui avait enfin retrouvé son souffle - participèrent à cet étalage de bonne humeur. Apollon, quant à lui, soupira et leva les yeux au Ciel...
A l'exception d'Aphrodite - qui était toujours flattée à chaque fois qu'un homme, mortel ou non, honorait une femme - les Déesses furent moins enthousiastes... « Tel père, tel fils ! » soupira Héra. Artémis souffla à l'oreille de son frère jumeau :
- « A chaque fois c'est la même chose ! Il
faut toujours qu'il parle de ses conquêtes féminines ! C'est
lassant !
- A quoi t'attendais-tu ma chère soeur ?! Qu'il nous chante les louanges
de la poésie ou de la philosophie du pays des Pharaons ?! Tu le connais
aussi bien que moi ! Il est né ainsi et on ne va pas le changer ! »
- Tout de même, je plains son épouse !
- Que tu dis ! Elle est trop gentille pour lui faire une scène, et
puis elle l'aime malgré cela !
- C'est sûr qu'elle n'est pas comme sa mère...Tiens ! La voilà
! »
Fendant la foule des invités, une Déesse s'avança vers Héraclès.
- « Bonjour mon chéri ! dit-elle d'une voix
timide.
- Hébé, mon amour ! C'est bon de te revoir ! »
Sans plus de cérémonie, il la souleva de terre – elle lui arrivait à peine à l'épaule – et lui baisa les lèvres avec passion. Puis la portant dans ses bras puissants, il alla s'asseoir non loin d'Héphaïstos. Hébé se mit sur les genoux d'Héraclès et se blottit contre lui.
- « Tu m'as manqué ! lui dit-elle d'une voix
feutrée.
- A ce point là ?! lui chuchota-t-il à son oreille, qu'elle
avait fine et délicate.
- Oui, quand tu n'es pas à mes côtés, je me languis de
toi !
- Hébé...
- Héraclès... »
Ils se regardèrent avec tendresse. Puis, avec un beau sourire, il sortit de sa tunique un magnifique collier de turquoises. Le visage d'Hébé s'illumina, tandis qu'il mettait le bijou autour de son cou de cygne.
- « Un petit cadeau d'Egypte pour mon épouse
bien-aimée ! dit-il avec chaleur.
- Oh ! Il ne fallait pas !
- J'ai pensé que cela te ferait plaisir si je te ramenais un petit
quelque chose...
- C'est gentil ! Je... je te remercie mon amour ! »
Ils s'embrassèrent à nouveau, sous l'oeil ému des Dieux...Ils avaient peine à croire que c'était le même gaillard qui, quelques instants auparavant, avait fait une entrée si peu discrète en chantant à tue-tête des chansons grivoises ! Devant son épouse, le colosse braillard s'était mué en époux aimant, tendre et affectueux. « De tous mes enfants, pensa Zeus, c'est celui en lequel je me retrouve le plus ! »
Si le père d'Héraclès était le Maître des Dieux, sa mère était une mortelle. Elle se nommait Alcmène et était réputée pour être l'une des plus belles femmes de son époque. Elle était mariée à un général thébain, du nom d'Amphitryon. Pendant que ce dernier était à la guerre, elle restait seule à se morfondre dans sa belle demeure... Zeus, d'abord chagriné par sa solitude et ensuite ébloui par sa beauté (à moins que ce ne fut l'inverse...) entreprit d'aller la consoler à sa manière... Il prit les traits du mari et se présenta devant Alcmène. Cette dernière, quelque peu étonnée de voir son époux revenir plus vite que prévu de son expédition militaire, lui fit un accueil des plus chaleureux et s'offrit à lui... Le lendemain, le véritable Amphitryon, qui était enfin revenu, fut un peu surpris du manque d'attention de son épouse qui répondit tout de même à ses avances...
Neuf mois plus tard, Alcmène mit au monde deux fils : Alcée et Iphiclès. Le premier avait pour père Zeus et avait donc du sang divin dans les veines. Le second était un mortel à part entière, son géniteur étant Amphitryon.
Furieuse, Héra, la Reine des Dieux voulut de se débarrasser du fruit des amours illégtimes de son époux : elle envoya deux serpents venimeux dans la chambre où Alcée et son frère, encore bébés, dormaient. Le fils de Zeus prit un reptile dans chacune de ses petites menottes et les étrangla sans effort, en riant aux éclats, sous l'oeil éberlué de ses parents qui étaient arrivés en catastrophe, alertés par les pleurs d'Iphiclès...
Zeus menaça son épouse de la Foudre si jamais elle s'avisait d'attenter à nouveau à la vie de son enfant. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle accepta... En gage de « bonne foi », elle consentit à lui donner le sein (1).
Le temps passa, Alcée grandit en taille et en force. Il devint un redoutable archer ainsi qu'un puissant guerrier. Il accomplit son premier exploit vers l'âge de dix-huit ans en terrassant le lion du Cithéron qui semait la terreur aux alentours de Thèbes. Par la suite, il épousa Mégara, la fille du roi, qui lui donna trois enfants (2).
Appliquant le vieil adage : « La vengeance est un plat qui se mange froid », Héra choisit de frapper à ce moment là, car pendant toutes ces années, elle n'avait pas oublié l'affront qui lui avait été fait. Plutôt que de s'en prendre directement au fils de Zeus, elle choisit une voie détournée : elle rendit fou Alcée. Ce dernier, dans sa folie, tua son épouse et ses enfants ! Il reprit ses esprits le lendemain, ses mains et ses vêtements tâchés du sang de ses victimes... Ses familiers n'osaient le toucher, de peur d'être souillés par son crime.
Désespéré, il alla consulter l'Oracle de Delphes. Apollon, par la voix de son intermédiaire, lui dit : « Va à Mycènes, te mettre au service de ton cousin Eurysthée. Il t'imposera douze travaux que seul un être de ta trempe peut réussir. Quand tu les auras achevés, tu seras alors purifié ! A partir de maintenant, ton nom ne sera plus Alcée, mais Héraclès, ce qui signifie « Gloire d'Héra », car ces épreuves seront en l'honneur de la Reine des Dieux ! »
Héraclès fit ce que l'Oracle lui avait demandé. Il mit douze ans pour accomplir les travaux imposés par son cousin (3). C'est au cours de l'un d'entre eux, qu'il accomplit son plus grand tour de force : d'un violent coup de massue il fit s'effondrer la bande de terre qui reliait l'Afrique à l'Europe et qui séparait la Méditerranée du Fleuve Océan ; ensuite il érigea deux gigantesques colonnes - de part et d'autre de chaque continent - qui portèrent son nom.
Une fois le dernier des douze travaux terminé, il fut enfin lavé de son crime, il prit congé de son cousin. Il parcourut la Grèce et d'autres pays. Il se joignit, pendant un temps, à l'expédition des Argonautes.
Il ne craignait nulle créature vivante, qu'elle soit homme, bête ou monstre... Les Dieux eux-mêmes ne lui faisaient pas peur : il osa menacer Hélios de son arc, parce que ses rayons étaient trop ardents ! Il alla jusqu'à défier son père en libérant Prométhée, que Zeus avait enchaîné sur le Mont Caucase.
Insatiable, comme son divin géniteur, il connut de nombreuses femmes, ce fut l'une d'entre elles qui finit par causer sa perte... Quelque peu lassé de sa vie agitée, il finit par épouser en secondes noces Déjanire qui, par jalousie, lui offrit une tunique empoisonnée qui lui brûla gravement la peau. Ne pouvant enlever le vêtement sans être écorché vif et endurant d'abominables souffrances, il érigea un bûcher funéraire au sommet d'une montagne, s'y coucha avec sa massue et sa peau de Lion de Némée et alluma lui-même le feu.
Mais il ne descendit pas vers l'Hadès : Hermès le guida vers l'Olympe où son père en fit un Dieu à part entière en lui offrant le Nectar et l'Ambroisie. En outre, il plaça son image au Ciel. Oubliant sa rancoeur, Héra se réconcilia avec Héraclès (bien qu'elle eut du mal à s'habituer à son côté expansif...). Ce dernier épousa Hébé, fille de Zeus et de la Reine des Dieux. C'était une Déesse belle, douce, timide et effacée ; ne faisant pas partie des Olympiens, mais de la « maisonnée » divine, sa fonction principale était de servir à boire aux divinités. Elle abandonna cette tâche pour se consacrer uniquement à son époux qu'elle aimait par-dessus tout (4). Zeus la remplaça par Ganymède (5).
De temps à autre, Héraclès quittait l'Olympe pour descendre sur Terre, parcourant des contrées qu'il n'avait jamais visitées auparavant. Comme le faisait son père, il lui arrivait de tromper son épouse, mais cette dernière - qui n'était pas du tout jalouse comme sa mère - ne lui avait jamais fait le moindre reproche à ce sujet. Elle préférait s'accommoder du caractère volage de son époux (elle semblait même s'en amuser !), lui réservant un accueil chaleureux à chaque fois qu'il revenait d'une de ses escapades amoureuses.
En définitive, ces deux natures si opposées en apparence, se complétaient à merveille...
(1)Quelques gouttes de lait s'en échappèrent,
formant la Voie Lactée.
(2)Certains auteurs disent 2, d'autres 4, voire 8...
(3)Bon, vous les connaissez j'imagine...
(4)Cette Déesse avait une particularité intéressante
: elle pouvait rendre la jeunesse à tout être vivant , de ce
fait elle symbolisait la Jeunesse Eternelle.
(5)Ganymède, à la base était un mortel que Zeus fit enlever
par son aigle. Il lui accorda l'Immortalité et la Jeunesse Eternelle.