Chapitre 13 : Choc


L’aube éveillait déjà les temples de marbre, révélant encore une fois leur blancheur éclatante, leur noblesse sans limite.
Mais dans l’un de ses bâtiments de pierre, l’âme d’une jeune fille était meurtrie, déchirée…
Eve s’éveilla lentement, et ne put se lever tout de suite tant le sol de marbre avait rendu son sommeil pénible.
-Mais qu’est-ce qu’il m’est arrivé, j’avais pourtant rien fumé hier soir… Aïe, ma tête…
Douloureusement, ses muscles se remirent en marche. Elle se redressa, et se dirigea à pas comptés vers la salle de bain. Son reflet dans le miroir lui fit peur.
-Pas vrai, j’ai pris dix ans d’un coup ou quoi ?!!
Mais au fond d’elle-même, la jeune fille savait bien que sa nuit était la cause de sa tête de morte-vivante. Elle tentait de se mentir à elle-même, ne voulant donner aucun crédit à ses rêves, ses songes si étranges. Il ne fallait pas que sa nouvelle vie ressemble à l’ancienne. Rien ne devait la détourner de son nouveau bonheur. Rien.

Son entrée « froissée » dans la cuisine fit lever un sourcil à Aldébaran. Il n’était pas très psychologue, mais là, aucun doute, la fille qui tentait de se tenir debout devant lui avait passé une nuit épouvantable. Il mit cela sur le compte de la fraîcheur humide qui gagnait de plus en plus les temples, l’hiver approchant. Avec compassion, il lui mit devant le nez une grande tasse de café fumant.
- « Le seul remède connu et réellement efficace. »
Eve lui retourna son sourire, et trempa ses lèvres dans le liquide sombre. Il fallait qu’elle chasse de son esprit les vestiges de ses rêves. Les images, les sensations si désagréables qui lui revenaient en mémoire la firent frissonner.
La matinée avançant, elle arriva à mettre de côté ses souvenirs. Elle s‘absorba dans l’entretient des pièces qui lui étaient confiées, et fit, comme pour la maison du Bélier, la liste de tout ce qui lui serait nécessaire au cours de la semaine.

Elle descendit les marches en courant, sous le soleil fatigué de ce début Novembre. Un léger brouillard avait envahit le Sanctuaire, et depuis les temples, il semblait à la jeune fille qu’elle se trouvait au-dessus des nuages, sur l’Olympe. Elle ne tarda pas à atteindre la maison du Mü. Son cœur se réchauffa à cette pensée. Pas que le Taureau soit désagréable, au contraire, mais elle n’arrivait pas à avoir cette complicité qui la liait au Bélier. Il l’avait recueillie, soignée, et lui avait permit d’assister à ses cours.
Elle arriva alors que le jeune homme expliquait la technique du Cristal Wall à ses élèves. Eve se sentit obligée de signaler sa présence. Elle n’avait pas d’autre solution que de se faire remarquer pour traverser le temple.
-Même pas de porte pour frapper.
- « Hum hum … »
Le Bélier se retourna, et un doux sourire orna son visage. Il abandonna ses élèves, et se dirigea vers elle.

- « Alors, pas de problème de cohabitation avec mon voisin du dessus ?
- Non, aucun. Il est très gentil. Et il fait du très bon café. Je dois descendre la liste. Je ne fais que passer. »
C’est alors qu’Eve crut entendre Mü dire :
- J’aurai pourtant bien aimé que tu restes un peu…
Surprise, elle planta ses yeux dans les siens :
- « Pardon ?
- Je n’ai rien dit. Rien du tout. Mais, ça me ferai plaisir que vous assistiez à la fin de mon cours. Vous étiez la seule à m’écouter avec attention.
- D’accord, je reste juste quelques minutes. Il ne faudrait pas que le repas ne soit pas prêt à l’heure par la faute de ma curiosité. »
Sous les regards mauvais, surpris ou choqués des apprentis, Eve se dirigea un peu plus loin, à l’écart du groupe, et se laissa glisser le long d’une colonne.
Elle fit mine de ne pas sentir les regards désapprobateurs de certains élèves. Ils semblaient lui dire que ça place n’était pas là, et qu’elle n’avait pas à parler ainsi à un Chevalier d’Or. Elle n’était que servante.
Mü ramena vite l’attention sur lui.
- « Le Cristal Wall requiert une grande maîtrise de son psychisme. Mais encore plus que tout cela, il faut arriver à éteindre la peur qui, lors d’un combat, est paralysante. Il faut arriver à se faire confiance, à ne compter que sur la force de son esprit, et de sa cosmo-énergie. Le moment le plus dangereux est lorsque l’adversaire lance son attaque, et que l’on la voit se diriger vers soi. Il ne faut pas douter. Etre sur de soi. Sinon, le Cristal Wall se brise, et vous êtes, dans le meilleur des cas, blessé, au pire, mort. Le doute n’est pas permit. Seule la volonté de protéger quelque chose ou quelqu’un peut vous permettre de réussir à faire naître le Cristal Wall. Avec l’expérience, il n’est plus nécessaire d’avoir un but pour créer un mur de cristal. On peut alors le faire apparaître à volonté. »
Sur ces mots, le jeune homme aux cheveux violets ferma les yeux, et une légère aura dorée se déployât autour de lui, le nimbant d’une douce lumière. Sa concentration était visible. Apparut alors devant lui comme un champ de force, une sorte de voile doré, évanescent, fluide. Il paraissait si fragile son Cristal Wall.
Il rouvrit les yeux, et fit signe à ses apprentis. Alors, tour à tour, chacun se leva, et frappa le mur qui se dressait devant eux. Tous virent leurs coups leur revenir instantanément au visage. Eve n’arrivait pas à détacher son regard du Cristal Wall.
C’était comme si une voix en elle la poussait à se mesurer à ce mur. A prouver qu’elle, elle savait comment le traverser.
Sans réfléchir, elle se leva, et se dirigea vers Mü. Les apprentis, plus ou moins sonnés d’avoir repris leurs attaques, ne parvenaient pas à prononcer un mot. Quel sacrilège ! Cette fille s’invitait littéralement au cours du Chevalier d’Or, et prétendait en plus vaincre son mur de cristal. Quelle audace, quel irrespect !
Eve se planta devant le mur, les yeux dans le vague, comme menant une profonde réflexion intérieure. Des mots lui vinrent à l’esprit, qu’elle prononça sans réfléchir.
- « Vous parvenez à faire des atomes un mur solide grâce aux électrons. Vous les liez entre eux. Simplement par les techniques des forces d’attraction et de répulsion des atomes. Vous créez une matière nouvelle, dont la propriété est d’agir comme un aimant. Dès qu’une attaque vous est envoyée, le mur la repousse. Comme deux aimants le feraient. C’est tout simple. .. »
Eve ferma les yeux, et tendit doucement la main. Ses doigts graciles caressèrent le Cristal Wall, puis, en un instant qui sembla à tous irréel, sa main traversa le mur doré qui s’offrait à elle. Eve avança doucement, et bientôt, elle se retrouva complètement derrière le Cristal Wall.
L’incrédulité se peignait sur les visages des apprentis. Une servante avait vaincu le Cristal Wall de leur maître, le grand Chevalier d’Or du Bélier.
Eve ouvrit doucement les yeux, comme émergeant d’un rêve étrange. Elle se sentit vaseuse, et s’effondra sur le sol.