Chapitre 31 : Oubli
Eve revint lentement à elle, émergeant d’un sommeil troublé
et peu réparateur.
« EVE, TU AS TUE TA MERE !!! »
Elle se souvenait enfin de la personne qui avait prononcé
ces paroles… Son père avait lu la lettre qui se trouvait près
du cadavre de sa mère. Puis son regard avait changé, était
devenu froid comme la glace. Et ces paroles odieuses étaient sorties
de son cœur même, brisant une petite fille de huit ans qui alors,
se retrouvait fautive d’un acte qu’elle ne comprenait même
pas.
Un faible sourire de douleur passa sur son visage. Les yeux rouges de larmes,
elle se leva. La tête lui tournait. Puis, s’appuyant au mur, elle
se dirigea vers la porte. Elle luttait de toutes ses forces pour faire taire
la petite voix qui tentait de résonner dans son cœur… Mais
comment lutter contre une déesse, contre Hestia, sa mère…
Karen… Karen… Tu ne dois pas te laisser berner par ces hommes serviteurs d’une déesse agressive et fourbe. Reste avec moi Karen, je suis ta mère… Ta vraie mère… Je t’aime Karen, je ne veux que ton bonheur… Regarde, la femme qui se disait être ta mère a refusé de t’élever, ton père t’a rejetée… Il n’y a que moi dans ta vie, il n’y a plus que moi ! Karen, reviens vers moi !!
Eve tomba à genoux, se prenant la tête dans les
mains, une douleur lancinante traversant tout son corps ankylosé.
Non mère… Pas ça… Je ne peux pas… Le tuer…
Je ne veux pas… Jamais…
Saga savait à présent qui elle était, il ne pouvait normalement
pas rester en vie, il allait forcément la livrer, la trahir. Mais Eve
se refusait à le tuer. Jamais elle ne le blesserai.
Une plainte d’animal blessé lui échappa
alors qu’elle se redressait, et atteignait finalement la porte, chancelante.
Eve baissa la tête, et effleura ses lèvres d’un doigt hésitant…
Une larme de regret tomba sur le sol de pierre froide. Puis elle sortit de
sa chambre, et se dirigea vers le salon, ou la lumière était
allumée.
Elle y vit Saga, un livre dans les mains, attendant certainement un sommeil
qui ne viendrai pas. Sa propre histoire, ses propres démons refaisaient
surface avec Eve.
La jeune servante entra dans la pièce. Saga se leva, inquiet de la
voir aussi pâle. Mais lorsqu’elle releva la tête, il compris.
Dans ses yeux trempés de larmes, brillait toujours cette étincelle
cuivrée…
Lentement, elle s’approcha de lui, et riva son regard dans le sien.
Il avait compris qu’elle ne pouvait pas le laisser ainsi, savoir tout
d’elle ou presque.
Lentement, elle déposa un furtif baiser sur ses lèvres, gouttant
son souffle une dernière fois.
Puis, elle plaça sa main sur le cœur du jeune homme.
« Pardonne-moi… Gomen nasai… Aishiteru Saga-chan… »
Un flash de lumière cuivrée traversa alors sa main, choquant
le chevalier qui tomba à genoux, lui lança un regard d’incompréhension,
puis s’effondra, inconscient, sur le sol.
Eve baissa la tête, retenant avec peine ses sanglots. Brisée, elle sortit en courant, sous la pluie battante de l’orage qui avait finit par éclater, laissant l’eau gelée de cette fin novembre tremper la toile de lin de sa robe, et ruisseler le long de son dos. La morsure du vent froid était bien peu de chose comparé à la douleur qui étreignait son âme. Mais elle n’avait pas le choix…
C’est mon destin mère, de te servir… Je le ferai jusqu’à ma mort…
Aux gouttes d’eau se mêlaient des larmes, perles de douleur que la jeune femme ne pouvait retenir tandis qu’elle traversait les champs en direction du Cap Sounion.