Ouf, voici le chapitre le plus long (hors annexe) de la fic, mais ô
combien important. En effet, le temps est venu pour Mû d’assumer
son destin…
Merci à Yotma, qui m’a assistée (souvent par téléphone)
dans son écriture (accouchement presque ,devrais-je dire, tant certaines
scènes ont été difficiles à mettre en place) et
qui m’a même donné quelques idées, sans compter
la relecture, à Alaiya, qui ne manque jamais de reviewer chaque chapitre
de façon précise et constructive (tu vois, la review de 5 pages,
c’était pas une blague^^) , à Megumichan, encore, pour
le magnifique travail qu’elle fait sur son site et en faveur des auteurs
de fics…
Fini le bla bla, bonne lecture !
Chapitre 10 : Le moment de vérité
« On peut croire que tout est écrit
Penser prévoir ce que sera demain
Mais qui peut vraiment savoir
Quel en sera le chemin
On peut vivre
Sans doute au présent
Mais un instant
Une seconde un geste
Change d'un coup le cours du temps
Pour un nouveau destin »
D. Levi, ‘Je n’avais jamais prié’, Les Dix Commandements
22 mai 1973
Mû était assis sur un muret aux pierres blanches délavées
par le soleil, seul. A cette heure, tout le Sanctuaire faisait la sieste,
mais l’enfant, étreint par la nervosité, ne parvenait
pas à dormir. En effet, demain serait le jour de son épreuve
d’initiation, et, comme tout humain normalement constitué, il
avait peur de ne pas la réussir. Les autres lui avaient raconté
que pour obtenir leurs armures ils avaient subi des épreuves physiques
et morales difficiles, et cela l’effrayait, presque davantage car son
imagination s’emballait…
Son maître avait été strictement muet quant à la
teneur de ses épreuves, et cela contribuait à rendre le petit
atlante encore plus nerveux.
Il entendit alors Démétrios, son serviteur, l’appeler :
« Maître ! Maître Mû ! Où êtes-vous
? »
Se faire appeler ‘maître’ l’avait un peu gêné
au début, mais il s’y était fait, avec le temps. Soupirant,
il dit :
« Je suis ici, Démétrios… »
Il n’avait pas tellement envie d’être dérangé,
mais il savait qu’être futur chevalier d’or impliquait certains
devoirs, y compris celui-ci. Demetrios était chargé de veiller
sur lui, et, donc, devait par là même toujours savoir où
il se trouvait. L’homme s’inclina devant lui et dit :
« Le grand maître du signe du Bélier vous cherche… »
Prenant sur lui pour ne pas lui montrer son agacement et sa tension, il sourit
légèrement et dit :
« Merci, Démétrios, je vais aller le voir… »
Le serviteur inclina la tête pour bien montrer qu’il avait compris,
et Mû, insensible au soleil lourd à cause de sa peau d’atlante
qui supportait la brûlure de l’orichalque, prit la direction de
la salle des grands maître où il pensait trouver Shion. Lorsqu’il
y rentra, il le trouva en pleine discussion avec Androgeio, et tous deux se
turent lorsqu’il arriva. Androgeio sourit à l’enfant, puis
se retira, laissant Shion seul avec son fils.
Si tout se passait bien, c’était le dernier jour où Shion
serait grand maître et chevalier d’or, et où Mû serait
son élève. Il venait de régler avec Androgeio les derniers
détails de l’épreuve, et il voulait achever de transmettre
son enseignement, car de celui-ci dépendrait la réussite de
Mû à son initiation…
Il marchèrent un moment et Shion finit par lui dire :
« N’oublie jamais ceci : tu es le seul réparateur
d’armures sur cette terre, n’en tire aucune vanité car
celle-ci te mènerait à ta perte… »
Mû absorbait chaque parole que lui dit son maître, et Shion continua :
« Je t’ai déjà parlé des capacités
particulières de l’armure de bronze du Phénix, je crois
? C’est la seule qui n’aura jamais besoin de tes soins, si on
en croit la légende, mais, jusque-là, nul ne l’a jamais
portée, et il se peut fort que celui que le fasse ne soit pas encore
né… »
Il s’assit sur une pierre et, d’un geste, invita Mû à
s’asseoir auprès de lui, puis il continua :
« Je n’ai presque plus rien à t’apprendre, tu
sais déjà tout ce qu’il te faut savoir pour passer ton
épreuve, mais il y a un certain nombre de choses que tu ne découvriras
que par toi-même, lorsque tu grandiras et que tes pouvoirs se développeront… »
Il s’interrompit, fixa son regard pourpre dans le regard violet pailleté
d’or de son fils et dit gravement :
« Tu sais que j’ai eu deux cent quarante huit ans le mois
dernier, la déesse Athéna peut décider de me rappeler
à elle à tout moment, je t’en ai déjà parlé
et tu dois t’y préparer. Je t’ai aussi parlé de
mon ami Dohko de la Balance, va le voir si tu en ressens le besoin, il t’aidera
comme il l’a toujours fait pour moi… »
Il avait toujours présenté Dohko comme le recours en cas de
malheur, et il savait que son ami prendrait soin de son fils aussi bien qu’il
l’eût fait lui-même. Mû leva son regard violet sur
son père et lui dit :
« Mais, maître, vous n’allez pas mourir ? »
Shion posa sa main sur l’épaule de cet enfant qui lui était
si cher et lui dit :
« C’est le lot de tous, Mû, y compris le mien. J’ai
déjà vécu bien plus longtemps qu’un homme normal… »
Il sourit à Mû et lui dit :
« Tu ne dois jamais avoir peur de la mort, entends-tu ? C’est
quelque chose qui est dans le grand ordre de la vie, et que tu ne devras jamais
craindre… »
Il voulait tenir sa promesse, faire de son enfant un homme fort, équilibré,
et cela commençait par ne pas craindre la mort. En tant que chevalier
d’or, il ne devrait jamais hésiter à mettre sa vie en
jeu pour sauver la déesse et la terre…
Désireux de ne pas se laisser envahir par l’émotion, il
reprit :
« Il t’appartiendra, en tant que membre de l’élite
de l’ordre, de toujours donner l’exemple aux autres, sans craindre
de t’exposer en première ligne. Cette force que le destin t’a
donné devra toujours servir à défendre les faibles et
ta déesse… »
Il se tut un instant, puis continua :
« Transmets à ton tour, quand le temps en sera venu, le
savoir que je t’ai transmis. Les étoiles te signaleront la naissance
de ton apprenti, regarde-les régulièrement…sois toujours
fier d’être atlante, du sang immémorial qui coule dans
tes veines… »
Il réfléchit un instant :
« Si tu réussis ton épreuve, tu auras le titre de
chevalier d’or mais tu devras encore apprendre les différentes
tâches que tu exerceras. Tu assisteras, avec les autres, aux réunions
des grands maîtres et, peu à peu, tu appréhenderas mieux
l’ampleur de ton rôle. Si je cesserai officiellement d’être
ton maître, je serai cependant toujours là pour t’aider… »
Des larmes apparurent dans les yeux de l’enfant, et il dit :
« Vous resterez toujours mon maître, vous à qui je
dois tout, qui m’avez tout appris, que je considère comme mon
père de cœur… »
A ces mots, Shion se sentit envahi par l’émotion mais resta impassible.
Il se tut un moment et dit :
« Ton propre père n’aurait pas pu être aussi
fier de toi que je le suis à cette instant, Mû… »
C’est tout ce qu’il put dire, la gorge serrée. L’enfant
imputa cette émotion à la proximité de son épreuve,
et tenta de ne pas lui montrer celle qui l’étreignait lui aussi.
Shion, se reprenant, lui dit alors :
« Un peu de méditation ne te fera pas de mal, puis tu iras
te coucher tôt, tu auras besoin de toutes tes forces pour ton épreuve…je
viendrai te chercher demain matin à l’aube, sois prêt… »
Mû s’inclina et prit congé pendant que Shion remontait
vers le palais. Ce que lui avait dit son fils l’avait remué jusqu’au
fond de l’âme, et il se sentait terriblement ému. Il savait
que Mû éprouvait du respect et une certaine forme de tendresse
pour lui, mais il était loin d’imaginer qu’il le considérait
comme son père…qu’aurait-il dit s’il avait su que
c’était vrai ?
Shion se morigéna et reprit son calme coutumier. Ce n’était
pas le moment de se laisser aller à ce genre d’émotions
alors que, demain, Mû passerait son épreuve et intégrerait
enfin l’élite de l’ordre. La nostalgie qu’il avait
ressentie en arrivant au Sanctuaire n’était plus qu’un
souvenir, il était à présent prêt à transmettre
sa charge de chevalier d’or, et en accord avec lui-même. Rien
n’était éternel en ce monde, il avait eu sa part, à
son fils à présent de combattre au nom de la déesse Athéna…
Mû se dirigea vers le Temple de la Vierge, où il savait pouvoir
trouver Shaka. L’esprit en bataille et troublé, il avait bien
besoin de ce calme inaltérable que celui-ci affichait en toutes circonstances.
Il trouva le frais émoulu chevalier d’or de la Vierge fort occupé
à méditer, comme à son habitude, enveloppé dans
un tissu blanc, mais, s’il ne bougea pas un cil, il demanda :
« Que puis-je faire pour toi, Mû ? »
Le futur Bélier s’assit près de lui et répondit :
« Rien, Shaka…un peu de paix, simplement… »
Le chevalier d’or de la Vierge ressentit la confusion qui régnait
dans l’esprit de son futur collègue, ainsi que sa peur et son
trouble. Bien qu’il n’eût que six ans et demie, il possédait
un discernement bien plus aiguisé que celui de ses congénères.
Cependant, il ne dit rien, laissant juste Mû méditer près
de lui, puiser à sa paix…
L’enfant atlante laissait progressivement son esprit revenir à
son calme et à sa discipline habituels, maîtrisant sa respiration
selon les préceptes du hata yoga (inspiration, rétention, expiration)
et vidant son esprit. Il pratiquait cela depuis sa plus tendre enfance, ainsi
que les positions de régénération tibétaines,
et il parvint à retrouver le calme en quelques heures…
Shaka, près de lui, toujours méditant, le laissait faire, sachant
qu’il ne pouvait l’aider dans son cheminement, c’était
à Mû lui-même de trouver la réponse à ses
propres questions…
23 mai 1973
Shion ferma le dossier sur lequel il travaillait, et passa dans sa chambre
à la lueur d’une chandelle. Cela lui arrivait souvent de travailler
si tard mais, cette nuit, le sommeil le fuyait. Il s’allongea sur son
lit et laissa son esprit vagabonder pour le reposer, car demain il devrait
faire appel à toute sa force pour faire passer l’épreuve
à Mû…
Il était un peu plus âgé que lui lorsque son maître
Ashen lui avait fait passer sa propre épreuve d’initiation, voici
de très nombreuses années. A dix ans, il s’était
retrouvé seul face à ses obligations car Ashen avait choisi
de se retirer pour le laisser apprendre de son propre chef ses différents
rôles, mais absolument rien pendant les huit années qu’il
avait passées au Sanctuaire avant la guerre sainte ne l’avait
préparé à devenir un Grand Pope. Cette constatation l’avait
conduit à décider de former lui-même celui qui lui succèderait
dans cet office afin qu’il ne se retrouve pas, comme lui, désarmé
face à sa nouvelle tâche.
Ouvrant de nouveau les yeux, il s’approcha de la fenêtre et contempla
pensivement les étoiles qui brillaient, proches et lointaines à
la fois, dans le ciel pur. A force de les observer, elles lui étaient
devenues familières, un livre presque ouvert sur l’avenir, et
il avait appris à apprécier leur calme scintillement dont il
pouvait percevoir les moindres changements. La constellation du Bélier
brillait de tous ses feux, et il y vit un bon présage…
A la fin de la semaine, après l’épreuve de Camus, les
Douze seraient à nouveau au complet, un nouveau cycle recommencerait,
menant inévitablement vers une nouvelle guerre sainte. Si la déesse
se réincarnait, c’est que celle-ci se rapprochait inévitablement
car le sceau par elle apposé voici plus de deux siècles se casserait
bientôt, obligeant ainsi les chevaliers d’Athéna à
combattre pour sauver la Terre de la destruction, une fois de plus. L’histoire
était une série de cycles, il ne l’ignorait pas, mais
il était pour l’instant le premier grand Pope à connaître
deux réincarnations d’Athéna…
Son regard erra sur les petits points lumineux qui trouaient le manteau de
Nyx, en cherchant par réflexe leurs modifications les plus infimes.
D’après son souvenir, cela lui avait été assez
difficile d’en apprendre les arcanes, il n’était à
l’époque d’un jeune homme de dix-huit ans inexpérimenté,
sortant d’un combat à l’échelle divine, endeuillé
par la mort de la plupart de ses camarades, et complètement dépassé
par la tâche qu’il lui faudrait accomplir. Pourtant, il n’avait
pas eu le choix, s’aidant des constatations des autres Grands Popes
il avait réussi à apprendre seul, en autodidacte, en laissant
derrière lui tout ce qu’il avait été jusque-là…
Son regard pourpre tomba alors sur un portrait crayonné de Mû
dessiné par Egesh, qui possédait ce talent et avait mis dans
ce portrait toute l’amitié qu’il éprouvait pour
lui. Dans ce sourire d’enfant reposaient tous les espoirs non seulement
du Sanctuaire, mais aussi de ses pairs et de lui-même…
Enfin serein, il parvint à s’endormir…
Une heure avant l’aube, Demetrios frappa doucement à la porte
de son jeune maître :
« Maître Mû, il faut vous lever… »
Le serviteur stylé avait déjà préparé son
petit déjeuner, et un bol de lait fumant l’attendait sur la table
en bois d’olivier. L’enfant s’éveilla, et, le regard
encore dans le vague, marmonna en atlante :
« J’arrive, j’arrive… »
Il avait eu de la peine à trouver le sommeil, et avait donc par là
même assez peu dormi. Le naturel était revenu au galop, et, sans
réfléchir, il avait répondu dans la première langue
qui lui était venue à l’esprit. Mesurant son erreur, il
sauta de son lit, fit une rapide toilette et, frissonnant, enfila une tunique
d’entraînement usée avant de dire, en grec cette fois :
« J’arrive ! »
Il rassembla ses longs cheveux, les lia d’un geste preste avec son vieux
lien en cuir de yak et sortit de sa chambre d’un pas qu’il essaya
de rendre décidé. L’estomac serré, il avala néanmoins
son petit déjeuner à bouchées lentes, espérant
ne pas se mettre à vomir. Le moment le plus important de sa jeune vie
était venu, et il voulait faire bonne figure. Si les autres avaient
réussi, pourquoi pas lui ?
Pourtant, il avait parfaitement conscience de la difficulté de la chose,
et de ses propres limites. Shion ne lui avait absolument pas caché
les risques, ni qu’il pouvait y laisser sa vie, mais Mû croyait
en sa bonne étoile, en la protection de sa constellation. Quand il
n’était encore qu’un bébé, sa nourrice, Dorjee,
lui avait raconté qu’en chaque constellation il y avait les âmes
des lamas décédés, qui priaient là-haut, et, à
la veille de passer son épreuve, il se disait que s’ils priaient
un peu pour lui cela ne pourrait que lui être utile…
Son petit déjeuner fini, il resta calmement assis devant la fenêtre,
regardant le sommet des montagnes qui déjà s’éclairait,
et Demetrios se garda bien de le déranger. Même s’il n’était
qu’un serviteur, il avait compris que ce jour était important,
crucial même pour son jeune maître…
Aux premières lueurs de l’aube, Shion vint le chercher. Tentant
de se composer un visage neutre, l’enfant le suivit jusqu’à
l’atelier éclairé par des torches. Là les attendait
Androgeio, ex-grand maître du signe du Taureau, les bras croisés
sur son impressionnante poitrine. Sa présence étonna le petit
garçon qui n’en fit pas état, écoutant son maître
dire :
« Première épreuve : tu dois ressusciter cette
armure… »
Il lui indiqua une pandora box, posée dans un coin, et, se retirant
dans un coin d’ombre, se tut. Un terrible sentiment de solitude étreignit
alors le petit garçon, qui prit une longue inspiration et tenta de
rassembler toutes les informations qu’il lui fallait pour réparer
l’armure. Il se servit de ses pouvoirs pour la sortir de la boîte
ainsi que pour la poser sur l’établi circulaire, et s’aperçut
alors qu’il s’agissait de celle du Dragon. Son maître lui
en avait parlé une fois, lui disant que normalement elle se trouvait
sous la cascade de Rozan et qu’elle possédait le bouclier et
le poing les plus solides du monde. Qui eût pu le croire en la voyant
dans un état pareil ? Il n’y avait pas une seule pièce
qui fût intacte, et nulle pulsation de vie ne s’exhalait d’elle,
elle était effectivement morte dans des conditions qu’il ignorait…
Soigneusement, il l’examina, voyant quelles étaient les pièces
à reconstituer entièrement et celles à seulement modifier,
en gardant l’esprit absolument lucide et concentré sur sa tâche.
Il avait affiné sa perception ces derniers mois, et, à présent,
il pouvait ressentir les blessures de l’armure sans presque avoir à
la toucher, en se servant seulement de ses pouvoirs…
Après réflexion, la présence de l’impressionnant
grand maître lui avait paru logique lorsqu’il s’était
rappelé les paroles de Shion : une armure morte a besoin du sang
d’un chevalier pour renaître, et qui mieux qu’Androgeio
supporterait ce traumatisme sans en périr ? Il fallait en effet qu’il
versât plus de la moitié du sang que son corps contenait, et
ce serait à lui, Mû, de guérir ses blessures à
temps pour qu’il ne périsse pas…
Son examen de l’armure fini, il dit au géant :
« Vous pouvez commencer… »
Androgeio abaissa son regard sur l’enfant au regard calme et mature
qui lui donnait cet ordre, et sut instantanément qu’il pouvait
avoir confiance en ses pouvoirs. Il avait en effet la capacité de pouvoir
immédiatement saisir les non-dits et juger rapidement les gens, capacité
qu’il avait plus ou moins transmise à son ancien élève
Aldébaran. Il se positionna devant l’établi et, d’un
large geste, se trancha les vaisseaux sanguins des deux poignets. Le sang
gicla sur l’armure et se mit à couler au rythme de ses battements
de cœur.
Mû, concentré, en avait oublié la présence de Shion,
mais celui-ci n’en manquait pas une miette. Ses yeux pourpres fixaient
son fils, enregistrant chaque geste qu’il faisait, mais il savait qu’il
ne pouvait intervenir, c’était à Mû de gérer
tout cela seul. Il n’interviendrait que si la vie d’Androgeio
était menacée, et cela signifierait alors que Mû n’était
pas prêt à assumer sa charge…
L’enfant, comptant sur son instinct, surveilla attentivement la quantité
de sang versée et, lorsque Androgeio commença à donner
des signes de cyanose, il posa sa petite main sur ses poignets qui guérirent
instantanément avant de le guider vers un fauteuil qui avait été
installé là pour lui. Le grand maître, presque évanoui,
s’y écroula et tomba dans un sommeil réparateur.
Mû alors se retourna, et disposa les pots qui contenaient sa matière
première à portée de sa main avant d’ouvrir l’écrin
de velours qui contenait les outils célestes. D’une main souple,
il répandit l’orichalque sur toute la surface de l’armure
quasiment désintégrée, puis frappa avec son marteau et
son burin en un endroit bien précis pour allumer de nouveau l’étincelle
de vie, comme le lui avait expliqué Shion. Ne sentant rien, il se mit
à prier mentalement : « Vis, mais vis donc ! ».
Il pouvait se rendre compte que théorie et pratique étaient
bien loin l’une de l’autre, mais s’efforçait de faire
chaque mouvement avec la sûreté de soi d’un réparateur
chevronné et de ne pas montrer son angoisse. Il tenta de se souvenir
de chaque détail mentionné par Shion concernant la résurrection
d’une armure, et sut enfin ses efforts récompensés lorsqu’il
sentit une faible pulsation de vie en provenir. Le sang commença à
être absorbé par le métal vivant, comme une transfusion
salvatrice, et l’orichalque se mit à agir, refermant les micro-fissures.
Mû eut le bon sens de ne pas se réjouir trop tôt, et, saisissant
de nouveau les outils étincelants, commença à reconstituer
pièce après pièce l’armure maltraitée avant
de répandre sur elle la poudre de gammanium. Les pulsations de vie
provenant de l’armure devinrent plus fortes, il pouvait presque les
ressentir au fond de lui-même, dans cette relation particulière
qui unit le réparateur à la chose qu’il rend à
la vie.
Il perdit toute notion du temps, comme enfermé dans une bulle, et en
oublia même la présence de Shion, toujours debout dans l’ombre.
Seul comptait cet être qu’il avait ramené à la vie,
et il reconstitua minutieusement les pièces abîmées, en
créant d’autres pour remplacer celles qui manquaient à
l’appel. Pour la première fois, son propre génie créatif
pouvait s’exprimer en toute liberté, et Shion, avec un certain
étonnement, découvrit ce qu’il était vraiment capable
de faire. Mû avait hérité de la créativité
de sa mère, mais elle s’exprimait chez lui d’une façon
différente, moins intellectuelle et beaucoup plus pratique. Son aura,
qui l’entourait depuis le début de l’opération,
faisait briller les paillettes d’or de son regard, le rendant encore
plus irréaliste et rappelant les origines divines du peuple atlante…
Shion était concentré sur chaque geste exécuté,
chaque produit utilisé, en quelle quantité, et devait bien s’avouer
que Mû accomplissait là un sans faute. Bien qu’il n’eût
jamais ressuscité d’armure, il avait compris qu’il fallait
se servir de sa sensibilité particulière, en quelque sorte lire
l’aura de l’armure pour diagnostiquer ses problèmes et
pouvoir ainsi y remédier. Il y avait là une marge supplémentaire
de difficulté par rapport à la simple réparation, et
Mû ne s’y était absolument pas trompé. Englouti
dans l’ombre, Shion s’autorisa un léger sourire, mais il
savait très bien que le plus difficile de l’épreuve était
à venir…
Tout le sang avait été absorbé par l’armure à
présent, et sa surface luisait de vie. Mû, alors, ouvrit le récipient
de poussière d’étoiles et, un léger sourire sur
les lèvres, répandit le nuage miroitant sur toute la surface
de l’armure revenue parmi les vivantes. Une légère sueur
perlait à son front pâle, témoin de l’effort demandé
par cette résurrection…
Il était presque midi lorsqu’il releva la tête et dit en
atlante :
« J’ai fini, elle doit achever sa régénération
pendant quatre jours encore et elle sera de nouveau utilisable, au maximum
de ses capacités de protection… »
Dans ce corps d’enfant semblait s’être incarné tout
le savoir-faire des atlantes, et Mû semblait avoir grandi et mûri
davantage pendant ces quelques heures. Mais il restait la seconde épreuve,
qui ferait appel moins à son savoir qu’à son moi profond
ainsi qu’à son sens du combat. Repoussant toutes les pensées
parasites qui lui venaient à l’esprit, il sortit de l’ombre
et s’approcha de l’armure brillante avant d’abaisser le
regard sur son fils :
« Viens, c’est le moment de la seconde épreuve… »
Il posa la main sur l’épaule de l’enfant, et les téléporta
tous deux dans un endroit inconnu mais que Mû identifia immédiatement
comme se trouvant en altitude. Une haute paroi rocheuse se trouvait là,
en partie masquée par des nappes de brouillard. Il ressentit une oppression
qui par chance ne dura pas, et Shion lui dit en lui désignant une entrée creusée
dans la roche :
« Entre ici… »
Cette grotte servait aux épreuves des chevaliers d’or du Bélier
depuis la nuit des temps, et elle sondait profondément leurs capacités
et leur conviction. Un esprit faible n’y pouvait survivre…
Shion s’assit dos à la roche, et se mit en méditation,
faisant ce qu’il avait à faire, comme son maître l’avait
fait pour lui…
Mû marcha un moment dans l’obscurité, se servant de ses
capacités spéciales puis, devant lui, il entendit un bruit.
Il ferma les yeux, et les ouvrit de nouveau tout de suite, paniqué :
ses pouvoirs avaient disparu. Il se concentra davantage, et dut bien se rendre
à l’évidence : il n’avait plus de pouvoirs
congénitaux. Il se retourna, et s’aperçut que, derrière
lui, la sortie avait disparu, il se trouvait totalement dans l’ombre…
Une voix grave vint alors du fond de la grotte, devant lui :
« Hé bien, encore un candidat…ça tombe bien,
je commençais à m’ennuyer tout seul… »
Une torche s’alluma alors, et il vit s’avancer un homme deux fois
plus haut que lui, à l’armure sombre et aux ailes de chauve-souris
déployées dans le dos, qui exhalait une aura énorme.
Il ricana à nouveau :
« Un enfant, encore…il faut croire qu’il n’ont
plus d’hommes dignes de ce nom, au Sanctuaire d’Athéna,
à envoyer combattre… »
Mû sentit la colère monter en lui, mais il parvint à se
maîtriser, même s’il se sentait effroyablement paniqué :
comment combattre sans ses pouvoirs, comment se défendre sans son Crystal
Wall ?
Il avait toujours utilisé ses capacités mentales pour augmenter
la portée de ses attaques ainsi que leur force, préférant
la solution de facilité plutôt que de faire l’effort de
puiser dans son cosmos, et cela allait immanquablement se retourner contre
lui. Depuis que la véritable puissance de son cosmos s’était
révélé, il avait toujours eu peur de ne pas le contrôler
assez et donc évitait quand il le pouvait de s’en servir, appréhendant
l’aspect destructeur contre lequel son maître l’avait mis
en garde à maintes reprises. De plus, il avait toujours craint inconsciemment
de perdre ses pouvoirs congénitaux au moment où il en aurait
besoin, son pire cauchemar se réalisait…
Sa respiration s’accéléra et il sentit son cœur s’affoler
dans sa poitrine, tenta de se calmer pour pouvoir faire le point de façon
lucide. D’un côté, un adversaire, de l’autre, la
honte de l’échec, il n’y avait donc pas beaucoup de choix,
il devait réussir…
Il respira profondément, et le calme revint dans son corps et son esprit.
C’était l’épreuve imposée pour obtenir son
armure, il devait s’en sortir et donc prendre les bonnes décisions.
Combattre sans ses pouvoirs était un risque, mais ce n’était
pas impossible de le faire, il fallait puiser au fond de lui-même, au
cœur de son cosmos et contenir l’univers en soi, comme le lui avait
expliqué son maître lorsqu’il lui avait appris les deux
attaques des chevaliers d’or du Bélier. Il comprit alors que
c’était sa propre peur qu’il affrontait là…
Il vit distinctement une attaque à la vitesse de la lumière
venir sur lui, et l’évita, mais il n’eut pas cette chance
pour la suivante qui le toucha partiellement. Le côté droit sanglant,
il le sentit s’engourdir mais continua à fixer son adversaire
d’un air de défi. Celui-ci lui dit alors d’un air méprisant :
« Retourne dans les jupes de ta mère, d’où
tu n’aurais jamais dû sortir, et reviens lorsque tu auras pris
quelques centimètres, petit ! »
La leçon avec Deathmask avait porté, et Mû resta impassible
sous l’insulte. Son aura l’entoura et des étoiles commencèrent
à apparaître autour de lui alors qu’il disait :
« Je suis peut-être petit, mais assez grand pour te vaincre
!»
Il fit un mouvement avec ses deux bras, et une galaxie entière se forma
entre ses deux petites mains. Oubliant la douleur que lui occasionnait ce
simple mouvement, il sourit et dit :
« En voici la preuve…STARDUST REVOLUTION !!!! »
Il se pencha vers l’avant, et une myriade de météorites
brillantes fondirent sur son adversaire, se reflétant dans le regard
violet de l’enfant. Jamais il n’avait réussi à mettre
tant de force dans cette attaque auparavant, et sentit brièvement la
fierté l’envahir mais, lorsque la lumière et la poussière
d’étoiles se dissipèrent, il s’aperçut avec
effroi que l’homme en noir lui faisait toujours face, n’ayant
apparemment pas souffert le moins du monde de son attaque surpuissante. Une
sueur froide coula dans son dos…
Quelle erreur n’avait-il pas faite ! Compter en permanence sur ses pouvoirs
mentaux l’avait affaibli, sans aucun doute, et c’est justement
là que le bât blessait. Refusant de laisser la panique l’envahir,
il fixa son regard violet sur son adversaire, voulant bien lui montrer qu’il
n’avait pas peur. Il devait bien exister une faille dans son attaque,
et il la trouverait, même privé de pouvoirs. Dans ses veines
coulait le sang immémorial des atlantes, et il ne ferait pas honte
à ses parents ni à ses ancêtres, ça jamais !
A de nombreuses reprises, Shion lui avait expliqué que, lorsqu’il
combattait un ennemi, il devait en trouver le point faible. Mais comment faire
alors que cet ennemi représente votre pire crainte ? Aucun couard n’était
autorisé à porter l’armure d’or du Bélier,
honneur depuis des siècles transmis parmi les atlantes, et il ne serait
pas le premier !
Alors Mû comprit ce qu’il fallait faire. Il ferma les yeux, et
son aura dorée apparut autour de lui avant de grandir graduellement
à chaque seconde. Il cassait chacune de ses barrières, laissant
sa véritable force venir à la surface, circuler en lui comme
la sève en un arbre vert. La sérénité avait envahi
son cœur, et sa respiration était égale. Nulle souffrance,
mais une douce chaleur qui enveloppait son corps enfantin sans le brûler.
Il possédait cette force depuis sa naissance, mais découvrait
qu’il n’avait aucune raison d’en avoir peur. Ses pouvoirs
congénitaux, qu’il avait mis sur un piédestal, n’étaient
en fait qu’un ‘plus’, sa véritable puissance résidait
dans le cosmos énorme qu’il possédait en lui et qui, paralysé
par sa peur, n’avait jamais pu vraiment se révéler.
Il ouvrit de nouveau les yeux, et la lumière dorée enflamma
les paillettes d’or de son regard alors qu’il disait :
« Jamais plus je ne te laisserai avoir le dessus sur moi ! STARLIGHT
EXTINCTION!!!! »
Une lumière aveuglante éclaira les parois de la grotte, obligeant
l’enfant à fermer les yeux, mais il resta debout, solidement
planté sur ses petites jambes. La douce chaleur qu’il avait ressentie
sembla se concentrer autour de lui et, lorsqu’il ouvrit les yeux, il
remarqua qu’il était vêtu, non plus de sa vieille tunique…mais
de l’armure d’or du Bélier. Le vêtement d’or
brillait doucement sur lui, reflétant la lumière de la torche
qui brûlait toujours, et son aura qui l’entourait ajoutait au
surréalisme de la scène…
Mû sentit alors sur ses épaules un poids nouveau, et dut rassembler
toutes ses forces pour ne pas tomber. Il redressa les épaules, et le
poids s’effaça, comme si l’armure voulait lui signifier
son acceptation de sa personne. Il ne put s’empêcher de passer
sa petite main, d’un geste habituel, sur sa surface vibrante de puissance,
et il sourit, sentant sous ses doigts le métal intact et plein de santé…
Il se sentit empli d’une force énorme, incommensurable, et l’armure
semblait vibrer à l’unisson de cette puissance, comme si elle
ne faisait qu’un avec lui. Soudainement, il sentit ses pouvoirs congénitaux
se libérer, et jura silencieusement de les utiliser au mieux, sans
en tirer fierté ni vanité…
Des sentiments mitigés emplissaient son cœur : la fierté,
l’émotion, mais aussi la peur, l’appréhension. Si
l’armure l’avait accepté, il savait qu’il n’était
pas encore pour autant un chevalier d’or, et que le cheminement serait
encore long pour y arriver. Le cœur gonflé de joie, il remercia
les dieux de lui avoir accordé leur protection, pria la déesse
Athéna de bien vouloir l’accepter parmi ses défenseurs
et marmonna un mantra…
Il se retourna alors, et vit que le rai de lumière venant de la porte
de la grotte avait réapparu, signe qu’il avait réussi
son épreuve et qu’il pouvait sortir…
Shion, de son côté, s’était relevé, les yeux
humides. La boucle était bouclée à présent, et
il se sentait très fier de son fils qui avait plié mais pas
failli. Il ne put s’empêcher de remercier en pensée la
déesse qui avait sans nul doute protégé son tout nouveau
chevalier d’or du Bélier, et récita à voix basse
un mantra. Son cœur se sentait prêt à déborder,
mais il gardait son calme habituel, pas question de se laisser aller, même
en une occasion aussi solennelle. Un autre cycle de sa vie était à
présent écoulé, il n’était maintenant plus
que le Grand Pope du Sanctuaire avant de n’être plus qu’un
simple particulier lorsqu’il aurait transmis sa charge. Comme disaient
les anciens, Sic transit gloria mundi, ainsi passe la gloire du monde…
Pourtant, malgré tout son contrôle, ses larmes se mirent à
couler sur ses joues, des larmes de fierté, de soulagement, de joie
mais aussi plus ou moins de tristesse. Il lui était difficile de discerner
où terminait les unes et où commençaient les autres,
mais il ne pouvait s’en empêcher, la pression était trop
forte…
Alors apparut sur le pas de l’entrée de la grotte Mû, toujours
revêtu de l’armure du Bélier qui reflétait les rayons
du soleil de printemps au point même que Shion en fut ébloui.
Le vent se leva alors, et chassa les lambeaux de brume, dévoilant un
lieu que l’enfant connaissait bien : la maison de Jamir. Un sourire
fendit alors son visage, mais il ne fit rien, bien qu’il eût grande
envie d’aller rendre visite à Egesh pour lui annoncer sa réussite.
On eût dit qu’il avait soudainement grandi en sagesse…
Longuement, le père et le fils s’observèrent, chacun s’absorbant
dans le regard de l’autre. Les yeux violets de l’enfant débordaient
de gratitude, et ceux de Shion de fierté. Ils n’avaient pas besoin
de mots, ces mots qui auraient gâché ce moment si précieux,
si spécial entre père et fils. Mû s’aperçut
alors que son maître pleurait, et sentit ses propres larmes lui venir
aux yeux
Mais il en avait oublié qu’il était avant tout humain,
qu’il avait perdu – et perdait encore – du sang et que,
surtout, il avait fourni énormément d’efforts dans ses
deux épreuves. Bientôt, il sentit ses jambes vaciller et s’écroula
aux pieds de Shion qui n’eut que le temps de le retenir pour l’empêcher
de se fracasser le crâne sur les rochers. L’armure quitta alors
son nouveau porteur et se reforma non loin de là, comme si elle voulait
aussi veiller sur lui…
Shion s’agenouilla, prit son fils dans ses bras et pensa:
« Si seulement je pouvais te dire à quel point je suis
fier de toi et combien je t’aime, Mû… »
Il mourait d’envie de tout lui dire, de lui avouer qu’il était
son père, mais ce moment d’euphorie ne dura pas et il reprit
vite ses esprits, sachant que ce faisant il aurait inévitablement détruit
la confiance qu’avait son fils en lui. Il se permit cependant le luxe
d’embrasser l’enfant, petit manquement à son éthique
personnelle mais il le méritait bien…
Il prit délicatement son fils dans ses bras, se releva et se téléporta
immédiatement au Sanctuaire en emmenant avec lui l’armure. Demetrios
fut horrifié de voir son jeune maître dans cet état, mais
n’en montra rien et se contenta de préparer la tisane que lui
demandait Shion. L’ex-chevalier d’or du Bélier déshabilla
l’enfant, considéra ses blessures et y imposa ses mains,
car en perdant son armure il conservait tout de même ses pouvoirs. Enfin
Mû s’arrêta de saigner et ses blessures superficielles se
refermèrent. Il le laissa en sous-vêtements et le recouvrit de
sa couverture avant de lui faire boire à petites gorgées la
tisane préparée par Demetrios et de fermer le rideau de la chambre.
Tout ce dont l’enfant avait besoin à présent, c’était
de repos pour récupérer, et sa vie n’était pas
en danger.
Shion se souvenait, lors de sa propre épreuve, avoir dormi de nombreuses
heures, car l’épreuve nécessitait non seulement la force
physique, comme les autres chevaliers d’or, mais aussi, et beaucoup
plus, la force mentale. Mû était assez peu blessé physiquement,
en tout cas pas gravement, mais c’était d’avoir dû
utiliser énormément de ses pouvoirs mentaux pour ressusciter
l’armure qui l’avait épuisé. Doucement, l’ancien
possesseur de l’armure la déposa près du lit, pour qu’elle
protège son nouveau maître pendant son sommeil…
Avant de sortir de la chambre, Shion posa sa main sur le front de son fils
et dit :
« Repose-toi à présent, jeune chevalier d’or,
et sache que je suis fier de toi… »
Il passa dans la pièce à vivre et dit à Demetrios :
« Vous le veillerez, et le ferez boire assez souvent pour reconstituer
le sang perdu. S’il a de la fièvre, appelez-moi tout de suite… »
Demetrios acquiesça, et, remplissant un broc d’une eau fraîche
et pure, alla s’installer au chevet de son jeune maître…
Shion, le pas lourd, se rendit à la salle des grands maîtres.
C’était à lui de leur annoncer le succès de son
élève, mais celui-ci avait un goût de cendres. Il pensait
être vraiment prêt à transmettre son armure à son
fils, mais un brin de nostalgie mal placée revenait le tourmenter en
ce jour si important. Toutes ses jeunes années lui revenaient à
l’esprit, où il était jeune, puissant, que le monde s’offrait
à lui, et c’était un sentiment amer qui lui envahissait
le cœur au moment où il aurait dû être heureux pour
son fils…
Aucun des grands maître ne se trouvait être présent, aussi
fit-il ce que tous les autres avaient fait lors du succès de leur apprenti :
il ouvrit un coffre d’écailles, prit le signe d’or qui
représentait le Bélier et l’épingla sur une représentation
miniature de la tour zodiacale du Sanctuaire. Ils sauraient tous ce que cela
signifiait…
Il se téléporta dans ses appartements privés, revêtit
sa tenue de Grand Pope et se remit au travail pour éviter de réfléchir,
mais ne parvint pas à s’y absorber totalement. Dehors, le jour
baissait déjà, et le ciel se teintait de couleurs rouges et
roses. Il s’approcha de la fenêtre de son bureau, et admira les
couleurs projetées par le ciel sur les pierres blanchies par le soleil
dévorant. Ne pouvait-il simplement se faire à l’idée
que c’était à présent son fils qui porterait son
armure ? Il avait vraiment pensé être prêt, mais cette
idée avait pourtant un goût amer. C’était probablement
dû au fait qu’il avait possédé cette armure plus
longtemps qu’aucun de ses prédécesseurs, mais il ressentait
tout de même une certaine fierté parce c’était son
propre fils qui la portait après lui…
Ceci étant fait, il fallait à présent préparer
la prestation de serment des nouveaux chevaliers d’or, qui aurait lieu
dans quelques semaines, après que Camus, le dernier apprenti, ait subi
son épreuve d’initiation…
Après avoir été brûler un bâton d’encens
en mémoire d’Arzaniel devant sa petite statue de Bouddha, il
se mit en devoir d’écrire à Dohko pour lui annoncer la
nouvelle. Les dossiers, pour une fois, attendraient, ce n’était
pas tous les jours que son fils devenait chevalier d’or…
25 mai 1973
Le bruit des oiseaux, celui du vent, d’autres indéfinissables
effleurèrent le cerveau encore embrumé de Mû qui se crut
un instant de retour à Jamir. Pourtant, lorsqu’il ouvrit les
yeux, il vit sa chambre en partie éclairée par la lumière
du soleil qui traversait les rideaux et rayait de jaune les murs blanchis
à la chaux. Il cilla et vit à son chevet Demetrios ainsi que
l’armure d’or : tout cela n’était donc pas un
rêve, il était donc bien chevalier d’or du Bélier,
il avait réussi son épreuve.
Il s’assit, et son serviteur lui sourit :
« Ah, enfin vous voici réveillé, maître, vous
avez dormi un jour et demi… »
Le crâne de Mû sonnait furieusement, mais cela lui prouvait au
moins qu’il était vivant. Le serviteur reprit :
« Recevez toutes mes félicitations pour votre épreuve… »
L’enfant, oubliant un instant son mal de tête, sourit à
son serviteur qui lui dit :
« Restez couché, je vais vous préparer quelque chose
à manger, vous devez mourir de faim… »
Mû, resté seul, considéra pensivement l’armure qui
brillait doucement dans la semi-obscurité. Il avait encore peine à
imaginer que désormais il en était le légitime porteur,
l’un des membres de l’élite du Sanctuaire. Ses pensées
furent interrompues par le retour de Demetrios qui avait disposé sur
un plateau un bol de riz et des brochettes de viande grillées. Une
tasse de tisane fumante accompagnait le tout, et Mû fit la grimace en
en sentant l’odeur. Le serviteur lui dit :
« Vous devez la boire, ordre du grand maître Shion… »
Demetrios avait soigneusement évité de dire ‘votre maître’,
et Mû le perçut. La bonne odeur du repas lui rappela cependant
qu’il mourait de faim, et il commença à manger plutôt
voracement sous le regard de son serviteur attendri…
Ceci fait, il se leva, fit une toilette rapide, s’habilla et dit à
Demetrios :
« Je me rends au palais… »
Lorsqu’il sortit, la chaleur et la lumière du soleil de début
d’après-midi le firent vaciller un instant, mais, courageusement,
il monta les escaliers et gagna la salle des chevaliers d’or. A cette
heure, les temples du Zodiaque étaient vides, ses congénères
étaient rassemblés dans la pièce qui, jusqu’à
leur prestation de serment, leur était réservée avant
qu’ils ne prennent possession de celle qui n’avait pas été
ouverte depuis plus de deux cents ans…
Il marcha tranquillement dans les couloirs vides à cette heure et poussa
résolument la porte de la salle. En effet, comme il l’avait deviné,
certains des chevaliers d’or, ses pairs désormais, se trouvaient
là. Toutes les têtes se tournèrent vers lui lorsqu’il
entra, et Aldébaran lui dit :
« Hé, la belle au bois dormant, tu es enfin sorti de ton
lit ? Franchement tu es le seul à avoir mis autant de temps à
récupérer… »
Le Taureau d’or était naturellement joueur et farceur, et Mû
put percevoir derrière cette moquerie tout le contentement de son ami.
Milo s’approcha alors et lui dit :
« On a bien cru que tu n’allais jamais te réveiller,
tu sais…ton épreuve a-t-elle été si terrible ? »
Mû acquiesça :
« Effectivement, mais je m’en suis sorti, c’est là
l’essentiel… »
Milo sourit et dit :
« Bienvenue parmi nous, Mû, chevalier d’or du Bélier… »
Aiolia, Aphrodite, Saga, Aioros entourèrent alors le Bélier
d’or, et lui prodiguèrent leurs félicitations plus ou
moins bruyamment. Mû dit alors :
« Mais…où sont les autres ? Je pensais les trouver
également ici…»
Saga répondit :
« Shaka est en méditation avec le grand maître Açoka,
Camus prépare son épreuve, mais nous n’avons vu ni Shura
ni Deathmask depuis hier, je ne sais pas ce qu’ils font… »
L’expression qui se peignait sur le visage des autres prouvait assez
à quel point l’absence du Cancer était un soulagement
pour eux. Aiolia demanda alors :
« Est-ce que tu sais quand nous ferons notre pres…pres…station
? »
Décidément, les grands mots n’étaient pas son fort,
mais, cette fois, il l’avait prononcé correctement. Mû
haussa les épaules pour montrer si ignorance :
« Aucune idée, mais tu n’as qu’à demander
à ton ancien maître, il te le dira probablement…je demanderai
au mien quand je le verrai… »
Aldébaran, alors, demanda à Mû :
« Une partie d’échecs ? Tu me dois la revanche… »
C’était leur jeu préféré, et ils rivalisaient
de logique pour se battre mutuellement. Cependant, Mû avait une légère
longueur d’avance sur son voisin du Zodiaque…
Pourtant, Mû tenait à rendre une visite importante pour lui,
et lui dit :
« Tout à l’heure, quand je reviendrai, promis… »
Il sortit de la salle, du palais et se dirigea vers la maison qu’occupait
le grand maître Androgeio, car il voulait savoir comment il se portait.
De plus, il estimait posséder une sorte de dette envers lui, et la
moindre des choses était d’au moins lui rendre visite afin de
voir si la perte de sang n’avait pas eu d’effet fâcheux
sur la santé de l’impressionnant homme.
Arrivé à côté de la petite maison de bois, il sonna
et entendit un pas lourd avant que la porte ne s’ouvre. Androgeio y
apparut, encore pâle mais bien debout sur ses deux jambes. Il parut
surpris de voir le petit garçon mais s’inclina respectueusement
avant de dire :
« J’ai su votre succès, et je vous en félicite…mais
que me vaut le plaisir de votre visite ?»
Le vouvoiement étonna l’enfant, mais Androgeio était désormais
passé en-dessous de lui dans la hiérarchie et il se devait de
le respecter.
Mû, qui se sentait vraiment minuscule en face des deux mètres
vingt du géant, répondit :
« Je…je suis venu voir comment vous vous portiez… »
Le grand maître s’effaça, s’inclinant, pour laisser
entrer l’enfant. Il le fit asseoir, lui servit de l’eau bien fraîche
et lui dit :
« C’est très aimable de votre part de vous inquiéter
pour moi, mais je me sens bien mieux à présent… »
Mû leva la tête et dit :
« C’était très risqué de votre part
d’accepter, si je n’avais pas été digne de mon armure
vous y auriez laissé la vie… »
Androgeio lui sourit :
« Je savais justement que je ne risquais rien, j’avais confiance
en vous et votre maître était présent, il ne m’aurait
pas laissé mourir, alors ne vous tourmentez pas pour cela et songez
à vos nouvelles responsabilités… »
Qu’il eût ainsi confiance en lui émut profondément
le petit garçon qui mit un point d’honneur à n’en
rien montrer. Androgeio reprit :
« J’ai également appris que vous vous entendiez bien
avec Aldébaran, j’en suis ravi car il craignait d’inspirer
la peur avec sa taille… »
Mû sourit :
« En effet, et je dois avouer que sa taille ne me dérange
absolument pas, j’apprécie sa compagnie et, d’ailleurs,
je lui ai promis de revenir pour jouer aux échecs avec lui… »
Androgeio lui rendit son sourire et lui dit :
« Alors allez, jeune Mû, et jouez bien… »
Mû sortit, retourna à la salle des chevaliers d’or et,
enfin, put disputer la partie d’échecs promise à Aldébaran.
Il y était encore lorsque Demetrios vint le chercher pour lui signaler
que son repas du soir était servi. Saluant ses congénères,
Mû le suivit en évitant de maugréer, même s’il
aurait bien aimé rester avec ses pairs. Son épreuve l’avait
fait évoluer, et il essayait au maximum de se comporter correctement,
en chevalier d’or, cela commençait donc par se discipliner lui-même,
comme son maître le lui avait plusieurs fois répété.
Remerciant le serviteur, il s’attabla et commença à avaler
consciencieusement sa moussaka, accompagnée de la même tisane
qu’à son réveil. Shion avait bien précisé
qu’il devrait en prendre plusieurs fois par jour pendant au moins trois
jours, et le serviteur se conformait à ses ordres. Mû tenta de
dissimuler la grimace que lui inspirait cette mixture, et la but héroïquement
avant de manger son repas. Après tout, c’était pour son
bien…
Après le repas, pendant que Demetrios remettait tout en ordre, il sortit
devant la maison et s’assit sur le seuil, le regard tourné vers
les étoiles. Il récita une prière à l’intention
des grands lamas morts qui sans aucun doute avaient prié pour lui,
et pensa à sa mère. Elle aurait été sans aucun
doute fière de lui, cela il n’en doutait pas une seule seconde,
et son père également. Ils avaient franchi la porte de yomi
bien trop tôt, mais ils pourraient au moins avoir la consolation qu’un
destin prodigieux attendait maintenant leur fils…
Une aura ô combien connue lui fit baisser la tête vers son environnement
immédiat, et il vit alors, au détour du chemin pierreux, apparaître
Shion. L’atlante dit à son fils :
« Que fais-tu dehors, Mû ? J’avais demandé à
Demetrios de veiller à ce que tu te reposes… »
L’enfant sourit à son père et répondit :
« Mais, maître, je me repose, je regarde les étoiles… »
S’apercevant de sa méprise, car désormais Shion n’était
plus son maître, il bafouilla, tenta de se reprendre mais Shion lui
dit :
« Tu peux encore m’appeler ‘maître’ si
tu le désires, je ne t’en empêcherai pas… »
Une telle sérénité s’exhalait de son fils qu’il
en eut le souffle coupé. Mû avait beaucoup évolué
non seulement ces temps derniers mais aussi pendant son épreuve, et
avait acquis énormément de maturité. Il y avait dans
son expression non seulement l’émerveillement de l’enfant
pour les étoiles mais aussi cette curiosité intellectuelle héritée
de sa mère. Shion lui avait appris à en lire certaines arcanes,
et Mû aimait à pratiquer cela dès qu’il en avait
le temps. Il fixa la constellation qui le protègerait désormais
et dit à Shion :
« J’ai parfois du mal à imaginer que ma vie et ma
destinée sont là, contenues dans ces points de lumière
si lointains, et qu’ils régissent mon existence… »
Il s’interrompit un instant et dit :
« Est-ce qu’on n’a aucune possibilité de choisir
son destin ? »
Oh oui, que Mû avait bien grandi ! se dit Shion stupéfait.
Néanmoins, il lui répondit :
« Les simples mortels le peuvent mais, dans notre cas, nos destins
sont inscrits dans nos constellations protectrices, nous sommes nés
pour défendre la Terre ainsi que la déesse Athéna et
nous ne pouvons aller contre cela… »
L’enfant resta pensif un instant et dit :
« J’espère que je serai un chevalier d’or aussi
courageux que vous… »
Shion sourit et eut un geste peu courant pour lui : il ébouriffa
les cheveux de son fils, et il répondit :
« Je n’en doute pas une seule seconde, Mû, et l’armure
non plus n’en a pas eu non plus puisqu’elle t’a choisi… »
Malgré le calme apparent de Mû, Shion pouvait sentir toute sa
peur, son appréhension face à son nouveau rôle, difficile
à assumer pour un enfant de sept ans à peine. Pourtant –
était-ce son orgueil de père ou de maître qui parlait
? – Il savait qu’il serait un excellent chevalier d’or…
Il se leva et lui dit :
« Je vais finir ma ronde, va te coucher à présent,
tu dois encore te reposer… »
L’enfant obéit et rentra dans la maison, laissant Shion marcher
tranquillement vers les postes de garde. Il lui était difficile de
songer à Mû comme à un chevalier d’or de plein exercice,
mais il allait falloir qu’il y arrive. Pourtant, il se sentait très
serein, comme il ne l’avait pas été depuis longtemps,
et il laissa le calme de la nuit l’envahir davantage…
28 mai 1973
Mû rangeait son atelier et en vérifiait soigneusement les stocks
de produits de réparation lorsque quelque chose lui fit lever la tête.
C’était comme la vibration d’une armure, mais multipliée
à l’infini jusqu’à en être audible. Laissant
là ses pots d’orichalque et de poussière d’étoiles,
il se précipita dans le temple lui-même, et son regard fut immédiatement
attiré par son armure, sagement posée dans sa pandora box sur
le socle de pierre qui était son siège ordinaire. L’armure
était enveloppée de son aura dorée et vibrait de toute
sa force…
Mû ferma les yeux et, se servant de ses pouvoirs, parvint à comprendre
ce qui se produisait : les armures vibraient entre elles, chacune répondant
à l’appel des autres, et cela signifiait sans aucun doute que
les Douze étaient à présent réunis au Sanctuaire,
l’élite de l’ordre était désormais complète
car Camus venait de réussir son épreuve d’initiation.
Mû se souvint alors des paroles de son maître : lorsque les
armures vibraient, c’était pour des événements
particuliers, tout d’abord lorsqu’elles se trouvaient réunies
après un long temps au Sanctuaire mais aussi pour marquer le rassemblement
des Douze d’une nouvelle génération. Ceci ne l’étonnait
pas, il était le mieux placé pour savoir que les armures étaient
des êtres vivants doués d’une vie et d’une volonté
propre…
Il s’approcha de la sortie du Temple du Bélier, et regarda pensivement
les autres Temples, ayant confusément conscience qu’une autre
page venait de se tourner sous ses yeux…
6 juin 1973
Quand Demetrios entra dans la chambre de son jeune maître pour l’éveiller,
il le trouva debout, soigneusement nettoyé, en train d’attacher
ses cheveux humides derrière son dos avec un lien de soie brute. Le
vieux lien de cuir dont il se servait ordinairement était posé
sur la table de nuit, il ne l’utiliserait pas aujourd’hui, c’était
un jour très important pour lui…
La lumière grise du petit matin entrait par la fenêtre, déjà
colorée par les premières lueurs de l’aube, mais il n’avait
plus de temps à perdre. A présent que toute l’élite
de l’ordre était reconstituée, elle allait solennellement
ce matin prêter serment à la déesse, et cela commençait
par participer à la prière du matin…
Il passa dans la cuisine, avala le petit déjeuner préparé
par Demetrios et fila jusqu’à son Temple. Son armure brillait
doucement dans la pénombre, et s’éclaira lorsqu’il
la revêtit. Gardant son casque sous son bras, il commença à
grimper les escaliers qui le mèneraient au temple d’Athéna.
Ceci faisant, il croisa Aldébaran, encore plus massif avec l’armure
sur le dos mais qui ne manquait pas de prestance et celui-ci lui dit avec
une grimace :
« Tu as retenu la prière, toi ? Moi j’essaye depuis
hier, mais peine perdue ! »
Le petit atlante se gratta le front et dit :
« Euh…oui, je me souviens du début : « O
déesse Athéna, daigne poser ton regard sur les mortels que tu
protèges et toujours nous accorder ta bienveillance et ta générosité… »,
parce que c’est la prière de tous les jours, mais je ne me souviens
plus bien des ajouts… »
En effet, à la prière journalière prononcée par
Shion à chaque aube s’ajoutait, en ce jour de serment, une ou
deux phrases de circonstances, que Shion avait dites à Mû quelques
jours auparavant. L’enfant se souvenait en gros du thème mais
était bien incapable de dire lesdites phrases précisément…
Malheureusement, l’heure tournait et ils n’avaient plus le temps
de tergiverser, aussi pressèrent-il le pas. Ils arrivèrent sur
l’esplanade du temple d’Athéna presque les derniers, mais
à l’heure. Là se tenait Shion, dans sa tenue de Grand
Pope, qui leur fit signe de se mettre en demi-cercle, par ordre de signe,
derrière lui, avant de se tourner vers l’autel…
Mû à une extrémité, Aphrodite à l’autre,
les jeunes chevaliers d’or attendaient le lever du soleil pour prononcer
la prière dans le plus grand silence lorsqu’un éternuement
tonitruant troubla la tranquillité du moment. Tous les visages se tournèrent
alors vers la provenance de ce mini-ouragan et l’on s’aperçut
avec stupeur qu’il s’agissait de Deathmask. Les yeux rouges, le
nez tout autant, le Cancer n’avait pas l’air très bien,
et il se moucha bruyamment sans s’excuser une seule seconde. Non loin
de lui, Shura non plus n’avait pas l’air en très bonne
santé, et il serrait les dents comme s’il souffrait beaucoup.
Camus, qui se trouvait à côté de lui, constata alors que
ses oreilles contenaient du coton et compris la raison de cette souffrance :
l’éternuement de Deathmask avait sans aucun doute réveillé
la douleur des oreilles du pauvre Capricorne. Si les deux avaient peu été
vus ces dernières semaines, c’est qu’ils étaient
malades…
Nul n’osa parler, mais le Cancer lança un regard à ses
compagnons qui leur promettait une visite aller aux Enfers s’ils osaient
se moquer de lui avant de se moucher une fois encore. Tout le monde comprit
alors que, vu la saison et les vents dominants, le Cancer était affligé
du rhume des foins. Le pauvre Shura, lui, avait eu la mauvaise idée
d’aller se baigner dans un lac encore un peu frais, et avait donc attrapé
une sévère otite…
Personne, cependant, n’avait envie de rire, car le lieu s’y prêtait
peu et ils plaignaient sincèrement leurs deux camarades. Même
si Deathmask était cruel et psychopathe, ils ne lui auraient pas souhaité
cela…
Mû oublia l’incident et observa du coin de l’œil chacun
de ses pairs dans leurs armures. C’était la première fois
qu’il les voyait ainsi, et restait ébahi. Ses sens exercés
pouvaient ressentir toute la force qui s’exhalait de ces vêtures
quasi-divines forgées par ses ancêtres, et il les trouva magnifiques.
Ses amis semblaient transfigurés ainsi vêtus, et les aurait crus
beaucoup plus âgés. Le plus âgé, Saga, venait d’avoir
quinze ans, et le plus jeune, Milo, n’avait pas encore sept ans…
Ses considérations furent interrompues par la forte et claire voix
de Shion qui dit :
« O grande déesse, daigne abaisser ton regard ce matin sur
ces enfants que tu as choisis. Guide-les toujours sur le chemin de la justice
et de la vérité… »
Mû reconnaissait à peine la voix de son maître tellement
celle-ci semblait différente, comme transfigurée…
Shion se tourna vers les chevaliers d’or, et leur fit signe de réciter
la prière avec lui :
« O déesse Athéna, daigne poser ton regard sur
les mortels que tu protèges et toujours nous accorder ta bienveillance
et ta générosité… »
Arrivé au bout de la phrase, Mû regarda Aldébaran mais
la voix de son maître résonna dans sa tête, prononçant
les bonnes phrases :
« Vois ici tes défenseurs rassemblés, qui vont
te prêter serment… que jamais ils ne faillissent à leur
mission et que toujours ils défendent la Terre que tu aimes tant avec
courage et honneur… »
Mû s’efforça de garder le visage serein, mais devait bien
s’apercevoir que son maître l’avait pris en faute. Cependant,
il fit bonne figure et, une fois la prière achevée, entendit
Shion dire :
« C’est maintenant le moment de vous rendre à la salle
d’honneur des chevaliers d’or pour y prononcer votre serment… »
Heureusement que personne ne pouvait voir son visage sous son masque ! L’émotion
l’étreignait fortement, mais il avait ressenti un certain amusement
en s’apercevant du trou de mémoire de son fils. Pourtant, malgré
ce petit incident, il était fier de son fils…
Il n’eut pas le temps de penser davantage, ils étaient arrivés
devant la grande porte où l’on pouvait voir, incrustés
d’or et de bronze, les signes du Zodiaque figurés. Shion, alors,
sortit une clé de sa tunique et en ouvrit les portes en disant :
« Ceci sera votre salle de réunion, où la déesse
Athéna ou le Grand Pope vous réuniront chaque semaine et où
vous aurez accès en permanence… »
Il poussa les deux lourds battants, et les jeunes chevaliers d’or eurent
le souffle coupé par la magnificence des lieux. C’était
une grande salle carrée, ornée de colonnes de marbre et de motifs
en trompe l’œil sur les murs. Une frise représentait les
différents signes dorés et argentés, et le sol était
carrelé de porphyre d’Egypte. Il y avait assez peu de mobilier,
mais le plus remarquable était une grande table ronde ornée
de douze sièges. La table, en bois précieux, était incrustée
d’écailles et l’on pouvait y voir chaque signe figuré
en face d’une chaise…
Les jeunes chevaliers d’or restèrent silencieux, entrèrent,
et chacun trouva aisément sa place. Même Deathmask en oublia
de se moucher, le regard attiré par les dorures…
Sur un signe de Shion, chacun posa la main droite sur la table et Mû,
qui se trouvait être le premier dans l’ordre d’enchaînement
des signes, prononça le premier son serment :
« Je respecterai toujours en tout et pour tout les lois de
la chevalerie, je serai l’honneur de mon ordre et y donnerai toujours
exemple. Je jure de toujours protéger la déesse Athéna
et la Terre ainsi que ne jamais y faire défaut. Que ma vie soit le
témoin de mon serment, et qu’on me l’ôte si j’y
manque… »
Le jeune atlante mit dans sa voix toute la conviction qui régnait en
son cœur, sous le regard de ses pairs, concentrés, et de son père,
ému. Mû ne pouvait voir son visage à cet instant, mais
il ne doutait pas qu’il fût fier de lui. Pourtant, il ne le regarda
pas, le regard fixé droit devant lui, dignement, il n’entendit
même pas Deathmask éternuer une fois de plus. Son destin était
désormais scellé, et il ressentait fortement l’aura de
ses prédécesseurs dans cette salle si chargée d’histoire.
A présent, c’était à eux, la nouvelle génération,
de prendre soin de la déesse et de la Terre, et cette mission, loin
d’être un poids sur ses jeunes épaules comme il l’aurait
pensé, lui donnait une raison supplémentaire de vivre…
A SUIVRE