Ouf, voici le chapitre le plus long (hors annexe) de la fic, mais ô combien important. En effet, le temps est venu pour Mû d’assumer son destin…
Merci à Yotma, qui m’a assistée (souvent par téléphone) dans son écriture (accouchement presque ,devrais-je dire, tant certaines scènes ont été difficiles à mettre en place) et qui m’a même donné quelques idées, sans compter la relecture, à Alaiya, qui ne manque jamais de reviewer chaque chapitre de façon précise et constructive (tu vois, la review de 5 pages, c’était pas une blague^^) , à Megumichan, encore, pour le magnifique travail qu’elle fait sur son site et en faveur des auteurs de fics…
Fini le bla bla, bonne lecture !

 

Chapitre 10 : Le moment de vérité

 

« On peut croire que tout est écrit
Penser prévoir ce que sera demain
Mais qui peut vraiment savoir
Quel en sera le chemin
On peut vivre
Sans doute au présent
Mais un instant
Une seconde un geste
Change d'un coup le cours du temps
Pour un nouveau destin »

D. Levi, ‘Je n’avais jamais prié’, Les Dix Commandements

22 mai 1973

Mû était assis sur un muret aux pierres blanches délavées par le soleil, seul. A cette heure, tout le Sanctuaire faisait la sieste, mais l’enfant, étreint par la nervosité, ne parvenait pas à dormir. En effet, demain serait le jour de son épreuve d’initiation, et, comme tout humain normalement constitué, il avait peur de ne pas la réussir. Les autres lui avaient raconté que pour obtenir leurs armures ils avaient subi des épreuves physiques et morales difficiles, et cela l’effrayait, presque davantage car son imagination s’emballait…
Son maître avait été strictement muet quant à la teneur de ses épreuves, et cela contribuait à rendre le petit atlante encore plus nerveux.
Il entendit alors Démétrios, son serviteur, l’appeler :
« Maître ! Maître Mû ! Où êtes-vous ? »
Se faire appeler ‘maître’ l’avait un peu gêné au début, mais il s’y était fait, avec le temps. Soupirant, il dit :
« Je suis ici, Démétrios… »
Il n’avait pas tellement envie d’être dérangé, mais il savait qu’être futur chevalier d’or impliquait certains devoirs, y compris celui-ci. Demetrios était chargé de veiller sur lui, et, donc, devait par là même toujours savoir où il se trouvait. L’homme s’inclina devant lui et dit :
« Le grand maître du signe du Bélier vous cherche… »
Prenant sur lui pour ne pas lui montrer son agacement et sa tension, il sourit légèrement et dit :
« Merci, Démétrios, je vais aller le voir… »
Le serviteur inclina la tête pour bien montrer qu’il avait compris, et Mû, insensible au soleil lourd à cause de sa peau d’atlante qui supportait la brûlure de l’orichalque, prit la direction de la salle des grands maître où il pensait trouver Shion. Lorsqu’il y rentra, il le trouva en pleine discussion avec Androgeio, et tous deux se turent lorsqu’il arriva. Androgeio sourit à l’enfant, puis se retira, laissant Shion seul avec son fils.
Si tout se passait bien, c’était le dernier jour où Shion serait grand maître et chevalier d’or, et où Mû serait son élève. Il venait de régler avec Androgeio les derniers détails de l’épreuve, et il voulait achever de transmettre son enseignement, car de celui-ci dépendrait la réussite de Mû à son initiation…
Il marchèrent un moment et Shion finit par lui dire :
« N’oublie jamais ceci : tu es le seul réparateur d’armures sur cette terre, n’en tire aucune vanité car celle-ci te mènerait à ta perte… »
Mû absorbait chaque parole que lui dit son maître, et Shion continua :
« Je t’ai déjà parlé des capacités particulières de l’armure de bronze du Phénix, je crois ? C’est la seule qui n’aura jamais besoin de tes soins, si on en croit la légende, mais, jusque-là, nul ne l’a jamais portée, et il se peut fort que celui que le fasse ne soit pas encore né… »
Il s’assit sur une pierre et, d’un geste, invita Mû à s’asseoir auprès de lui, puis il continua :
« Je n’ai presque plus rien à t’apprendre, tu sais déjà tout ce qu’il te faut savoir pour passer ton épreuve, mais il y a un certain nombre de choses que tu ne découvriras que par toi-même, lorsque tu grandiras et que tes pouvoirs se développeront… »
Il s’interrompit, fixa son regard pourpre dans le regard violet pailleté d’or de son fils et dit gravement :
« Tu sais que j’ai eu deux cent quarante huit ans le mois dernier, la déesse Athéna peut décider de me rappeler à elle à tout moment, je t’en ai déjà parlé et tu dois t’y préparer. Je t’ai aussi parlé de mon ami Dohko de la Balance, va le voir si tu en ressens le besoin, il t’aidera comme il l’a toujours fait pour moi… »
Il avait toujours présenté Dohko comme le recours en cas de malheur, et il savait que son ami prendrait soin de son fils aussi bien qu’il l’eût fait lui-même. Mû leva son regard violet sur son père et lui dit :
« Mais, maître, vous n’allez pas mourir ? »
Shion posa sa main sur l’épaule de cet enfant qui lui était si cher et lui dit :
« C’est le lot de tous, Mû, y compris le mien. J’ai déjà vécu bien plus longtemps qu’un homme normal… »
Il sourit à Mû et lui dit :
« Tu ne dois jamais avoir peur de la mort, entends-tu ? C’est quelque chose qui est dans le grand ordre de la vie, et que tu ne devras jamais craindre… »
Il voulait tenir sa promesse, faire de son enfant un homme fort, équilibré, et cela commençait par ne pas craindre la mort. En tant que chevalier d’or, il ne devrait jamais hésiter à mettre sa vie en jeu pour sauver la déesse et la terre…
Désireux de ne pas se laisser envahir par l’émotion, il reprit :
« Il t’appartiendra, en tant que membre de l’élite de l’ordre, de toujours donner l’exemple aux autres, sans craindre de t’exposer en première ligne. Cette force que le destin t’a donné devra toujours servir à défendre les faibles et ta déesse… »
Il se tut un instant, puis continua :
« Transmets à ton tour, quand le temps en sera venu, le savoir que je t’ai transmis. Les étoiles te signaleront la naissance de ton apprenti, regarde-les régulièrement…sois toujours fier d’être atlante, du sang immémorial qui coule dans tes veines… »
Il réfléchit un instant :
« Si tu réussis ton épreuve, tu auras le titre de chevalier d’or mais tu devras encore apprendre les différentes tâches que tu exerceras. Tu assisteras, avec les autres, aux réunions des grands maîtres et, peu à peu, tu appréhenderas mieux l’ampleur de ton rôle. Si je cesserai officiellement d’être ton maître, je serai cependant toujours là pour t’aider… »
Des larmes apparurent dans les yeux de l’enfant, et il dit :
« Vous resterez toujours mon maître, vous à qui je dois tout, qui m’avez tout appris, que je considère comme mon père de cœur… »
A ces mots, Shion se sentit envahi par l’émotion mais resta impassible. Il se tut un moment et dit :
« Ton propre père n’aurait pas pu être aussi fier de toi que je le suis à cette instant, Mû… »
C’est tout ce qu’il put dire, la gorge serrée. L’enfant imputa cette émotion à la proximité de son épreuve, et tenta de ne pas lui montrer celle qui l’étreignait lui aussi. Shion, se reprenant, lui dit alors :
« Un peu de méditation ne te fera pas de mal, puis tu iras te coucher tôt, tu auras besoin de toutes tes forces pour ton épreuve…je viendrai te chercher demain matin à l’aube, sois prêt… »
Mû s’inclina et prit congé pendant que Shion remontait vers le palais. Ce que lui avait dit son fils l’avait remué jusqu’au fond de l’âme, et il se sentait terriblement ému. Il savait que Mû éprouvait du respect et une certaine forme de tendresse pour lui, mais il était loin d’imaginer qu’il le considérait comme son père…qu’aurait-il dit s’il avait su que c’était vrai ?
Shion se morigéna et reprit son calme coutumier. Ce n’était pas le moment de se laisser aller à ce genre d’émotions alors que, demain, Mû passerait son épreuve et intégrerait enfin l’élite de l’ordre. La nostalgie qu’il avait ressentie en arrivant au Sanctuaire n’était plus qu’un souvenir, il était à présent prêt à transmettre sa charge de chevalier d’or, et en accord avec lui-même. Rien n’était éternel en ce monde, il avait eu sa part, à son fils à présent de combattre au nom de la déesse Athéna…
Mû se dirigea vers le Temple de la Vierge, où il savait pouvoir trouver Shaka. L’esprit en bataille et troublé, il avait bien besoin de ce calme inaltérable que celui-ci affichait en toutes circonstances. Il trouva le frais émoulu chevalier d’or de la Vierge fort occupé à méditer, comme à son habitude, enveloppé dans un tissu blanc, mais, s’il ne bougea pas un cil, il demanda :
« Que puis-je faire pour toi, Mû ? »
Le futur Bélier s’assit près de lui et répondit :
« Rien, Shaka…un peu de paix, simplement… »
Le chevalier d’or de la Vierge ressentit la confusion qui régnait dans l’esprit de son futur collègue, ainsi que sa peur et son trouble. Bien qu’il n’eût que six ans et demie, il possédait un discernement bien plus aiguisé que celui de ses congénères. Cependant, il ne dit rien, laissant juste Mû méditer près de lui, puiser à sa paix…
L’enfant atlante laissait progressivement son esprit revenir à son calme et à sa discipline habituels, maîtrisant sa respiration selon les préceptes du hata yoga (inspiration, rétention, expiration) et vidant son esprit. Il pratiquait cela depuis sa plus tendre enfance, ainsi que les positions de régénération tibétaines, et il parvint à retrouver le calme en quelques heures…
Shaka, près de lui, toujours méditant, le laissait faire, sachant qu’il ne pouvait l’aider dans son cheminement, c’était à Mû lui-même de trouver la réponse à ses propres questions…

23 mai 1973

Shion ferma le dossier sur lequel il travaillait, et passa dans sa chambre à la lueur d’une chandelle. Cela lui arrivait souvent de travailler si tard mais, cette nuit, le sommeil le fuyait. Il s’allongea sur son lit et laissa son esprit vagabonder pour le reposer, car demain il devrait faire appel à toute sa force pour faire passer l’épreuve à Mû…
Il était un peu plus âgé que lui lorsque son maître Ashen lui avait fait passer sa propre épreuve d’initiation, voici de très nombreuses années. A dix ans, il s’était retrouvé seul face à ses obligations car Ashen avait choisi de se retirer pour le laisser apprendre de son propre chef ses différents rôles, mais absolument rien pendant les huit années qu’il avait passées au Sanctuaire avant la guerre sainte ne l’avait préparé à devenir un Grand Pope. Cette constatation l’avait conduit à décider de former lui-même celui qui lui succèderait dans cet office afin qu’il ne se retrouve pas, comme lui, désarmé face à sa nouvelle tâche.
Ouvrant de nouveau les yeux, il s’approcha de la fenêtre et contempla pensivement les étoiles qui brillaient, proches et lointaines à la fois, dans le ciel pur. A force de les observer, elles lui étaient devenues familières, un livre presque ouvert sur l’avenir, et il avait appris à apprécier leur calme scintillement dont il pouvait percevoir les moindres changements. La constellation du Bélier brillait de tous ses feux, et il y vit un bon présage…
A la fin de la semaine, après l’épreuve de Camus, les Douze seraient à nouveau au complet, un nouveau cycle recommencerait, menant inévitablement vers une nouvelle guerre sainte. Si la déesse se réincarnait, c’est que celle-ci se rapprochait inévitablement car le sceau par elle apposé voici plus de deux siècles se casserait bientôt, obligeant ainsi les chevaliers d’Athéna à combattre pour sauver la Terre de la destruction, une fois de plus. L’histoire était une série de cycles, il ne l’ignorait pas, mais il était pour l’instant le premier grand Pope à connaître deux réincarnations d’Athéna…
Son regard erra sur les petits points lumineux qui trouaient le manteau de Nyx, en cherchant par réflexe leurs modifications les plus infimes. D’après son souvenir, cela lui avait été assez difficile d’en apprendre les arcanes, il n’était à l’époque d’un jeune homme de dix-huit ans inexpérimenté, sortant d’un combat à l’échelle divine, endeuillé par la mort de la plupart de ses camarades, et complètement dépassé par la tâche qu’il lui faudrait accomplir. Pourtant, il n’avait pas eu le choix, s’aidant des constatations des autres Grands Popes il avait réussi à apprendre seul, en autodidacte, en laissant derrière lui tout ce qu’il avait été jusque-là…
Son regard pourpre tomba alors sur un portrait crayonné de Mû dessiné par Egesh, qui possédait ce talent et avait mis dans ce portrait toute l’amitié qu’il éprouvait pour lui. Dans ce sourire d’enfant reposaient tous les espoirs non seulement du Sanctuaire, mais aussi de ses pairs et de lui-même…
Enfin serein, il parvint à s’endormir…

Une heure avant l’aube, Demetrios frappa doucement à la porte de son jeune maître :
« Maître Mû, il faut vous lever… »
Le serviteur stylé avait déjà préparé son petit déjeuner, et un bol de lait fumant l’attendait sur la table en bois d’olivier. L’enfant s’éveilla, et, le regard encore dans le vague, marmonna en atlante :
« J’arrive, j’arrive… »
Il avait eu de la peine à trouver le sommeil, et avait donc par là même assez peu dormi. Le naturel était revenu au galop, et, sans réfléchir, il avait répondu dans la première langue qui lui était venue à l’esprit. Mesurant son erreur, il sauta de son lit, fit une rapide toilette et, frissonnant, enfila une tunique d’entraînement usée avant de dire, en grec cette fois :
« J’arrive ! »
Il rassembla ses longs cheveux, les lia d’un geste preste avec son vieux lien en cuir de yak et sortit de sa chambre d’un pas qu’il essaya de rendre décidé. L’estomac serré, il avala néanmoins son petit déjeuner à bouchées lentes, espérant ne pas se mettre à vomir. Le moment le plus important de sa jeune vie était venu, et il voulait faire bonne figure. Si les autres avaient réussi, pourquoi pas lui ?
Pourtant, il avait parfaitement conscience de la difficulté de la chose, et de ses propres limites. Shion ne lui avait absolument pas caché les risques, ni qu’il pouvait y laisser sa vie, mais Mû croyait en sa bonne étoile, en la protection de sa constellation. Quand il n’était encore qu’un bébé, sa nourrice, Dorjee, lui avait raconté qu’en chaque constellation il y avait les âmes des lamas décédés, qui priaient là-haut, et, à la veille de passer son épreuve, il se disait que s’ils priaient un peu pour lui cela ne pourrait que lui être utile…
Son petit déjeuner fini, il resta calmement assis devant la fenêtre, regardant le sommet des montagnes qui déjà s’éclairait, et Demetrios se garda bien de le déranger. Même s’il n’était qu’un serviteur, il avait compris que ce jour était important, crucial même pour son jeune maître…
Aux premières lueurs de l’aube, Shion vint le chercher. Tentant de se composer un visage neutre, l’enfant le suivit jusqu’à l’atelier éclairé par des torches. Là les attendait Androgeio, ex-grand maître du signe du Taureau, les bras croisés sur son impressionnante poitrine. Sa présence étonna le petit garçon qui n’en fit pas état, écoutant son maître dire :
« Première épreuve : tu dois ressusciter cette armure… »
Il lui indiqua une pandora box, posée dans un coin, et, se retirant dans un coin d’ombre, se tut. Un terrible sentiment de solitude étreignit alors le petit garçon, qui prit une longue inspiration et tenta de rassembler toutes les informations qu’il lui fallait pour réparer l’armure. Il se servit de ses pouvoirs pour la sortir de la boîte ainsi que pour la poser sur l’établi circulaire, et s’aperçut alors qu’il s’agissait de celle du Dragon. Son maître lui en avait parlé une fois, lui disant que normalement elle se trouvait sous la cascade de Rozan et qu’elle possédait le bouclier et le poing les plus solides du monde. Qui eût pu le croire en la voyant dans un état pareil ? Il n’y avait pas une seule pièce qui fût intacte, et nulle pulsation de vie ne s’exhalait d’elle, elle était effectivement morte dans des conditions qu’il ignorait…
Soigneusement, il l’examina, voyant quelles étaient les pièces à reconstituer entièrement et celles à seulement modifier, en gardant l’esprit absolument lucide et concentré sur sa tâche. Il avait affiné sa perception ces derniers mois, et, à présent, il pouvait ressentir les blessures de l’armure sans presque avoir à la toucher, en se servant seulement de ses pouvoirs…
Après réflexion, la présence de l’impressionnant grand maître lui avait paru logique lorsqu’il s’était rappelé les paroles de Shion : une armure morte a besoin du sang d’un chevalier pour renaître, et qui mieux qu’Androgeio supporterait ce traumatisme sans en périr ? Il fallait en effet qu’il versât plus de la moitié du sang que son corps contenait, et ce serait à lui, Mû, de guérir ses blessures à temps pour qu’il ne périsse pas…
Son examen de l’armure fini, il dit au géant :
« Vous pouvez commencer… »
Androgeio abaissa son regard sur l’enfant au regard calme et mature qui lui donnait cet ordre, et sut instantanément qu’il pouvait avoir confiance en ses pouvoirs. Il avait en effet la capacité de pouvoir immédiatement saisir les non-dits et juger rapidement les gens, capacité qu’il avait plus ou moins transmise à son ancien élève Aldébaran. Il se positionna devant l’établi et, d’un large geste, se trancha les vaisseaux sanguins des deux poignets. Le sang gicla sur l’armure et se mit à couler au rythme de ses battements de cœur.
Mû, concentré, en avait oublié la présence de Shion, mais celui-ci n’en manquait pas une miette. Ses yeux pourpres fixaient son fils, enregistrant chaque geste qu’il faisait, mais il savait qu’il ne pouvait intervenir, c’était à Mû de gérer tout cela seul. Il n’interviendrait que si la vie d’Androgeio était menacée, et cela signifierait alors que Mû n’était pas prêt à assumer sa charge…
L’enfant, comptant sur son instinct, surveilla attentivement la quantité de sang versée et, lorsque Androgeio commença à donner des signes de cyanose, il posa sa petite main sur ses poignets qui guérirent instantanément avant de le guider vers un fauteuil qui avait été installé là pour lui. Le grand maître, presque évanoui, s’y écroula et tomba dans un sommeil réparateur.
Mû alors se retourna, et disposa les pots qui contenaient sa matière première à portée de sa main avant d’ouvrir l’écrin de velours qui contenait les outils célestes. D’une main souple, il répandit l’orichalque sur toute la surface de l’armure quasiment désintégrée, puis frappa avec son marteau et son burin en un endroit bien précis pour allumer de nouveau l’étincelle de vie, comme le lui avait expliqué Shion. Ne sentant rien, il se mit à prier mentalement : « Vis, mais vis donc ! ».
Il pouvait se rendre compte que théorie et pratique étaient bien loin l’une de l’autre, mais s’efforçait de faire chaque mouvement avec la sûreté de soi d’un réparateur chevronné et de ne pas montrer son angoisse. Il tenta de se souvenir de chaque détail mentionné par Shion concernant la résurrection d’une armure, et sut enfin ses efforts récompensés lorsqu’il sentit une faible pulsation de vie en provenir. Le sang commença à être absorbé par le métal vivant, comme une transfusion salvatrice, et l’orichalque se mit à agir, refermant les micro-fissures. Mû eut le bon sens de ne pas se réjouir trop tôt, et, saisissant de nouveau les outils étincelants, commença à reconstituer pièce après pièce l’armure maltraitée avant de répandre sur elle la poudre de gammanium. Les pulsations de vie provenant de l’armure devinrent plus fortes, il pouvait presque les ressentir au fond de lui-même, dans cette relation particulière qui unit le réparateur à la chose qu’il rend à la vie.
Il perdit toute notion du temps, comme enfermé dans une bulle, et en oublia même la présence de Shion, toujours debout dans l’ombre. Seul comptait cet être qu’il avait ramené à la vie, et il reconstitua minutieusement les pièces abîmées, en créant d’autres pour remplacer celles qui manquaient à l’appel. Pour la première fois, son propre génie créatif pouvait s’exprimer en toute liberté, et Shion, avec un certain étonnement, découvrit ce qu’il était vraiment capable de faire. Mû avait hérité de la créativité de sa mère, mais elle s’exprimait chez lui d’une façon différente, moins intellectuelle et beaucoup plus pratique. Son aura, qui l’entourait depuis le début de l’opération, faisait briller les paillettes d’or de son regard, le rendant encore plus irréaliste et rappelant les origines divines du peuple atlante…
Shion était concentré sur chaque geste exécuté, chaque produit utilisé, en quelle quantité, et devait bien s’avouer que Mû accomplissait là un sans faute. Bien qu’il n’eût jamais ressuscité d’armure, il avait compris qu’il fallait se servir de sa sensibilité particulière, en quelque sorte lire l’aura de l’armure pour diagnostiquer ses problèmes et pouvoir ainsi y remédier. Il y avait là une marge supplémentaire de difficulté par rapport à la simple réparation, et Mû ne s’y était absolument pas trompé. Englouti dans l’ombre, Shion s’autorisa un léger sourire, mais il savait très bien que le plus difficile de l’épreuve était à venir…
Tout le sang avait été absorbé par l’armure à présent, et sa surface luisait de vie. Mû, alors, ouvrit le récipient de poussière d’étoiles et, un léger sourire sur les lèvres, répandit le nuage miroitant sur toute la surface de l’armure revenue parmi les vivantes. Une légère sueur perlait à son front pâle, témoin de l’effort demandé par cette résurrection…
Il était presque midi lorsqu’il releva la tête et dit en atlante :
« J’ai fini, elle doit achever sa régénération pendant quatre jours encore et elle sera de nouveau utilisable, au maximum de ses capacités de protection… »
Dans ce corps d’enfant semblait s’être incarné tout le savoir-faire des atlantes, et Mû semblait avoir grandi et mûri davantage pendant ces quelques heures. Mais il restait la seconde épreuve, qui ferait appel moins à son savoir qu’à son moi profond ainsi qu’à son sens du combat. Repoussant toutes les pensées parasites qui lui venaient à l’esprit, il sortit de l’ombre et s’approcha de l’armure brillante avant d’abaisser le regard sur son fils :
« Viens, c’est le moment de la seconde épreuve… »
Il posa la main sur l’épaule de l’enfant, et les téléporta tous deux dans un endroit inconnu mais que Mû identifia immédiatement comme se trouvant en altitude. Une haute paroi rocheuse se trouvait là, en partie masquée par des nappes de brouillard. Il ressentit une oppression qui par chance ne dura pas, et Shion lui dit en lui désignant une entrée creusée dans la roche :
« Entre ici… »
Cette grotte servait aux épreuves des chevaliers d’or du Bélier depuis la nuit des temps, et elle sondait profondément leurs capacités et leur conviction. Un esprit faible n’y pouvait survivre…
Shion s’assit dos à la roche, et se mit en méditation, faisant ce qu’il avait à faire, comme son maître l’avait fait pour lui…
Mû marcha un moment dans l’obscurité, se servant de ses capacités spéciales puis, devant lui, il entendit un bruit. Il ferma les yeux, et les ouvrit de nouveau tout de suite, paniqué : ses pouvoirs avaient disparu. Il se concentra davantage, et dut bien se rendre à l’évidence : il n’avait plus de pouvoirs congénitaux. Il se retourna, et s’aperçut que, derrière lui, la sortie avait disparu, il se trouvait totalement dans l’ombre…
Une voix grave vint alors du fond de la grotte, devant lui :
« Hé bien, encore un candidat…ça tombe bien, je commençais à m’ennuyer tout seul… »
Une torche s’alluma alors, et il vit s’avancer un homme deux fois plus haut que lui, à l’armure sombre et aux ailes de chauve-souris déployées dans le dos, qui exhalait une aura énorme. Il ricana à nouveau :
« Un enfant, encore…il faut croire qu’il n’ont plus d’hommes dignes de ce nom, au Sanctuaire d’Athéna, à envoyer combattre… »
Mû sentit la colère monter en lui, mais il parvint à se maîtriser, même s’il se sentait effroyablement paniqué : comment combattre sans ses pouvoirs, comment se défendre sans son Crystal Wall ?
Il avait toujours utilisé ses capacités mentales pour augmenter la portée de ses attaques ainsi que leur force, préférant la solution de facilité plutôt que de faire l’effort de puiser dans son cosmos, et cela allait immanquablement se retourner contre lui. Depuis que la véritable puissance de son cosmos s’était révélé, il avait toujours eu peur de ne pas le contrôler assez et donc évitait quand il le pouvait de s’en servir, appréhendant l’aspect destructeur contre lequel son maître l’avait mis en garde à maintes reprises. De plus, il avait toujours craint inconsciemment de perdre ses pouvoirs congénitaux au moment où il en aurait besoin, son pire cauchemar se réalisait…
Sa respiration s’accéléra et il sentit son cœur s’affoler dans sa poitrine, tenta de se calmer pour pouvoir faire le point de façon lucide. D’un côté, un adversaire, de l’autre, la honte de l’échec, il n’y avait donc pas beaucoup de choix, il devait réussir…
Il respira profondément, et le calme revint dans son corps et son esprit. C’était l’épreuve imposée pour obtenir son armure, il devait s’en sortir et donc prendre les bonnes décisions. Combattre sans ses pouvoirs était un risque, mais ce n’était pas impossible de le faire, il fallait puiser au fond de lui-même, au cœur de son cosmos et contenir l’univers en soi, comme le lui avait expliqué son maître lorsqu’il lui avait appris les deux attaques des chevaliers d’or du Bélier. Il comprit alors que c’était sa propre peur qu’il affrontait là…
Il vit distinctement une attaque à la vitesse de la lumière venir sur lui, et l’évita, mais il n’eut pas cette chance pour la suivante qui le toucha partiellement. Le côté droit sanglant, il le sentit s’engourdir mais continua à fixer son adversaire d’un air de défi. Celui-ci lui dit alors d’un air méprisant :
« Retourne dans les jupes de ta mère, d’où tu n’aurais jamais dû sortir, et reviens lorsque tu auras pris quelques centimètres, petit ! »
La leçon avec Deathmask avait porté, et Mû resta impassible sous l’insulte. Son aura l’entoura et des étoiles commencèrent à apparaître autour de lui alors qu’il disait :
« Je suis peut-être petit, mais assez grand pour te vaincre !»
Il fit un mouvement avec ses deux bras, et une galaxie entière se forma entre ses deux petites mains. Oubliant la douleur que lui occasionnait ce simple mouvement, il sourit et dit :
« En voici la preuve…STARDUST REVOLUTION !!!! »
Il se pencha vers l’avant, et une myriade de météorites brillantes fondirent sur son adversaire, se reflétant dans le regard violet de l’enfant. Jamais il n’avait réussi à mettre tant de force dans cette attaque auparavant, et sentit brièvement la fierté l’envahir mais, lorsque la lumière et la poussière d’étoiles se dissipèrent, il s’aperçut avec effroi que l’homme en noir lui faisait toujours face, n’ayant apparemment pas souffert le moins du monde de son attaque surpuissante. Une sueur froide coula dans son dos…
Quelle erreur n’avait-il pas faite ! Compter en permanence sur ses pouvoirs mentaux l’avait affaibli, sans aucun doute, et c’est justement là que le bât blessait. Refusant de laisser la panique l’envahir, il fixa son regard violet sur son adversaire, voulant bien lui montrer qu’il n’avait pas peur. Il devait bien exister une faille dans son attaque, et il la trouverait, même privé de pouvoirs. Dans ses veines coulait le sang immémorial des atlantes, et il ne ferait pas honte à ses parents ni à ses ancêtres, ça jamais !
A de nombreuses reprises, Shion lui avait expliqué que, lorsqu’il combattait un ennemi, il devait en trouver le point faible. Mais comment faire alors que cet ennemi représente votre pire crainte ? Aucun couard n’était autorisé à porter l’armure d’or du Bélier, honneur depuis des siècles transmis parmi les atlantes, et il ne serait pas le premier !
Alors Mû comprit ce qu’il fallait faire. Il ferma les yeux, et son aura dorée apparut autour de lui avant de grandir graduellement à chaque seconde. Il cassait chacune de ses barrières, laissant sa véritable force venir à la surface, circuler en lui comme la sève en un arbre vert. La sérénité avait envahi son cœur, et sa respiration était égale. Nulle souffrance, mais une douce chaleur qui enveloppait son corps enfantin sans le brûler. Il possédait cette force depuis sa naissance, mais découvrait qu’il n’avait aucune raison d’en avoir peur. Ses pouvoirs congénitaux, qu’il avait mis sur un piédestal, n’étaient en fait qu’un ‘plus’, sa véritable puissance résidait dans le cosmos énorme qu’il possédait en lui et qui, paralysé par sa peur, n’avait jamais pu vraiment se révéler.
Il ouvrit de nouveau les yeux, et la lumière dorée enflamma les paillettes d’or de son regard alors qu’il disait :
« Jamais plus je ne te laisserai avoir le dessus sur moi ! STARLIGHT EXTINCTION!!!! »
Une lumière aveuglante éclaira les parois de la grotte, obligeant l’enfant à fermer les yeux, mais il resta debout, solidement planté sur ses petites jambes. La douce chaleur qu’il avait ressentie sembla se concentrer autour de lui et, lorsqu’il ouvrit les yeux, il remarqua qu’il était vêtu, non plus de sa vieille tunique…mais de l’armure d’or du Bélier. Le vêtement d’or brillait doucement sur lui, reflétant la lumière de la torche qui brûlait toujours, et son aura qui l’entourait ajoutait au surréalisme de la scène…
Mû sentit alors sur ses épaules un poids nouveau, et dut rassembler toutes ses forces pour ne pas tomber. Il redressa les épaules, et le poids s’effaça, comme si l’armure voulait lui signifier son acceptation de sa personne. Il ne put s’empêcher de passer sa petite main, d’un geste habituel, sur sa surface vibrante de puissance, et il sourit, sentant sous ses doigts le métal intact et plein de santé…
Il se sentit empli d’une force énorme, incommensurable, et l’armure semblait vibrer à l’unisson de cette puissance, comme si elle ne faisait qu’un avec lui. Soudainement, il sentit ses pouvoirs congénitaux se libérer, et jura silencieusement de les utiliser au mieux, sans en tirer fierté ni vanité…
Des sentiments mitigés emplissaient son cœur : la fierté, l’émotion, mais aussi la peur, l’appréhension. Si l’armure l’avait accepté, il savait qu’il n’était pas encore pour autant un chevalier d’or, et que le cheminement serait encore long pour y arriver. Le cœur gonflé de joie, il remercia les dieux de lui avoir accordé leur protection, pria la déesse Athéna de bien vouloir l’accepter parmi ses défenseurs et marmonna un mantra…
Il se retourna alors, et vit que le rai de lumière venant de la porte de la grotte avait réapparu, signe qu’il avait réussi son épreuve et qu’il pouvait sortir…
Shion, de son côté, s’était relevé, les yeux humides. La boucle était bouclée à présent, et il se sentait très fier de son fils qui avait plié mais pas failli. Il ne put s’empêcher de remercier en pensée la déesse qui avait sans nul doute protégé son tout nouveau chevalier d’or du Bélier, et récita à voix basse un mantra. Son cœur se sentait prêt à déborder, mais il gardait son calme habituel, pas question de se laisser aller, même en une occasion aussi solennelle. Un autre cycle de sa vie était à présent écoulé, il n’était maintenant plus que le Grand Pope du Sanctuaire avant de n’être plus qu’un simple particulier lorsqu’il aurait transmis sa charge. Comme disaient les anciens, Sic transit gloria mundi, ainsi passe la gloire du monde…
Pourtant, malgré tout son contrôle, ses larmes se mirent à couler sur ses joues, des larmes de fierté, de soulagement, de joie mais aussi plus ou moins de tristesse. Il lui était difficile de discerner où terminait les unes et où commençaient les autres, mais il ne pouvait s’en empêcher, la pression était trop forte…
Alors apparut sur le pas de l’entrée de la grotte Mû, toujours revêtu de l’armure du Bélier qui reflétait les rayons du soleil de printemps au point même que Shion en fut ébloui. Le vent se leva alors, et chassa les lambeaux de brume, dévoilant un lieu que l’enfant connaissait bien : la maison de Jamir. Un sourire fendit alors son visage, mais il ne fit rien, bien qu’il eût grande envie d’aller rendre visite à Egesh pour lui annoncer sa réussite. On eût dit qu’il avait soudainement grandi en sagesse…
Longuement, le père et le fils s’observèrent, chacun s’absorbant dans le regard de l’autre. Les yeux violets de l’enfant débordaient de gratitude, et ceux de Shion de fierté. Ils n’avaient pas besoin de mots, ces mots qui auraient gâché ce moment si précieux, si spécial entre père et fils. Mû s’aperçut alors que son maître pleurait, et sentit ses propres larmes lui venir aux yeux
Mais il en avait oublié qu’il était avant tout humain, qu’il avait perdu – et perdait encore – du sang et que, surtout, il avait fourni énormément d’efforts dans ses deux épreuves. Bientôt, il sentit ses jambes vaciller et s’écroula aux pieds de Shion qui n’eut que le temps de le retenir pour l’empêcher de se fracasser le crâne sur les rochers. L’armure quitta alors son nouveau porteur et se reforma non loin de là, comme si elle voulait aussi veiller sur lui…
Shion s’agenouilla, prit son fils dans ses bras et pensa:
« Si seulement je pouvais te dire à quel point je suis fier de toi et combien je t’aime, Mû… »
Il mourait d’envie de tout lui dire, de lui avouer qu’il était son père, mais ce moment d’euphorie ne dura pas et il reprit vite ses esprits, sachant que ce faisant il aurait inévitablement détruit la confiance qu’avait son fils en lui. Il se permit cependant le luxe d’embrasser l’enfant, petit manquement à son éthique personnelle mais il le méritait bien…
Il prit délicatement son fils dans ses bras, se releva et se téléporta immédiatement au Sanctuaire en emmenant avec lui l’armure. Demetrios fut horrifié de voir son jeune maître dans cet état, mais n’en montra rien et se contenta de préparer la tisane que lui demandait Shion. L’ex-chevalier d’or du Bélier déshabilla l’enfant, considéra ses blessures et y imposa ses mains, car en perdant son armure il conservait tout de même ses pouvoirs. Enfin Mû s’arrêta de saigner et ses blessures superficielles se refermèrent. Il le laissa en sous-vêtements et le recouvrit de sa couverture avant de lui faire boire à petites gorgées la tisane préparée par Demetrios et de fermer le rideau de la chambre. Tout ce dont l’enfant avait besoin à présent, c’était de repos pour récupérer, et sa vie n’était pas en danger.
Shion se souvenait, lors de sa propre épreuve, avoir dormi de nombreuses heures, car l’épreuve nécessitait non seulement la force physique, comme les autres chevaliers d’or, mais aussi, et beaucoup plus, la force mentale. Mû était assez peu blessé physiquement, en tout cas pas gravement, mais c’était d’avoir dû utiliser énormément de ses pouvoirs mentaux pour ressusciter l’armure qui l’avait épuisé. Doucement, l’ancien possesseur de l’armure la déposa près du lit, pour qu’elle protège son nouveau maître pendant son sommeil…
Avant de sortir de la chambre, Shion posa sa main sur le front de son fils et dit :
« Repose-toi à présent, jeune chevalier d’or, et sache que je suis fier de toi… »
Il passa dans la pièce à vivre et dit à Demetrios :
« Vous le veillerez, et le ferez boire assez souvent pour reconstituer le sang perdu. S’il a de la fièvre, appelez-moi tout de suite… »
Demetrios acquiesça, et, remplissant un broc d’une eau fraîche et pure, alla s’installer au chevet de son jeune maître…
Shion, le pas lourd, se rendit à la salle des grands maîtres. C’était à lui de leur annoncer le succès de son élève, mais celui-ci avait un goût de cendres. Il pensait être vraiment prêt à transmettre son armure à son fils, mais un brin de nostalgie mal placée revenait le tourmenter en ce jour si important. Toutes ses jeunes années lui revenaient à l’esprit, où il était jeune, puissant, que le monde s’offrait à lui, et c’était un sentiment amer qui lui envahissait le cœur au moment où il aurait dû être heureux pour son fils…
Aucun des grands maître ne se trouvait être présent, aussi fit-il ce que tous les autres avaient fait lors du succès de leur apprenti : il ouvrit un coffre d’écailles, prit le signe d’or qui représentait le Bélier et l’épingla sur une représentation miniature de la tour zodiacale du Sanctuaire. Ils sauraient tous ce que cela signifiait…
Il se téléporta dans ses appartements privés, revêtit sa tenue de Grand Pope et se remit au travail pour éviter de réfléchir, mais ne parvint pas à s’y absorber totalement. Dehors, le jour baissait déjà, et le ciel se teintait de couleurs rouges et roses. Il s’approcha de la fenêtre de son bureau, et admira les couleurs projetées par le ciel sur les pierres blanchies par le soleil dévorant. Ne pouvait-il simplement se faire à l’idée que c’était à présent son fils qui porterait son armure ? Il avait vraiment pensé être prêt, mais cette idée avait pourtant un goût amer. C’était probablement dû au fait qu’il avait possédé cette armure plus longtemps qu’aucun de ses prédécesseurs, mais il ressentait tout de même une certaine fierté parce c’était son propre fils qui la portait après lui…
Ceci étant fait, il fallait à présent préparer la prestation de serment des nouveaux chevaliers d’or, qui aurait lieu dans quelques semaines, après que Camus, le dernier apprenti, ait subi son épreuve d’initiation…
Après avoir été brûler un bâton d’encens en mémoire d’Arzaniel devant sa petite statue de Bouddha, il se mit en devoir d’écrire à Dohko pour lui annoncer la nouvelle. Les dossiers, pour une fois, attendraient, ce n’était pas tous les jours que son fils devenait chevalier d’or…

25 mai 1973

Le bruit des oiseaux, celui du vent, d’autres indéfinissables effleurèrent le cerveau encore embrumé de Mû qui se crut un instant de retour à Jamir. Pourtant, lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit sa chambre en partie éclairée par la lumière du soleil qui traversait les rideaux et rayait de jaune les murs blanchis à la chaux. Il cilla et vit à son chevet Demetrios ainsi que l’armure d’or : tout cela n’était donc pas un rêve, il était donc bien chevalier d’or du Bélier, il avait réussi son épreuve.
Il s’assit, et son serviteur lui sourit :
« Ah, enfin vous voici réveillé, maître, vous avez dormi un jour et demi… »
Le crâne de Mû sonnait furieusement, mais cela lui prouvait au moins qu’il était vivant. Le serviteur reprit :
« Recevez toutes mes félicitations pour votre épreuve… »
L’enfant, oubliant un instant son mal de tête, sourit à son serviteur qui lui dit :
« Restez couché, je vais vous préparer quelque chose à manger, vous devez mourir de faim… »
Mû, resté seul, considéra pensivement l’armure qui brillait doucement dans la semi-obscurité. Il avait encore peine à imaginer que désormais il en était le légitime porteur, l’un des membres de l’élite du Sanctuaire. Ses pensées furent interrompues par le retour de Demetrios qui avait disposé sur un plateau un bol de riz et des brochettes de viande grillées. Une tasse de tisane fumante accompagnait le tout, et Mû fit la grimace en en sentant l’odeur. Le serviteur lui dit :
« Vous devez la boire, ordre du grand maître Shion… »
Demetrios avait soigneusement évité de dire ‘votre maître’, et Mû le perçut. La bonne odeur du repas lui rappela cependant qu’il mourait de faim, et il commença à manger plutôt voracement sous le regard de son serviteur attendri…
Ceci fait, il se leva, fit une toilette rapide, s’habilla et dit à Demetrios :
« Je me rends au palais… »
Lorsqu’il sortit, la chaleur et la lumière du soleil de début d’après-midi le firent vaciller un instant, mais, courageusement, il monta les escaliers et gagna la salle des chevaliers d’or. A cette heure, les temples du Zodiaque étaient vides, ses congénères étaient rassemblés dans la pièce qui, jusqu’à leur prestation de serment, leur était réservée avant qu’ils ne prennent possession de celle qui n’avait pas été ouverte depuis plus de deux cents ans…
Il marcha tranquillement dans les couloirs vides à cette heure et poussa résolument la porte de la salle. En effet, comme il l’avait deviné, certains des chevaliers d’or, ses pairs désormais, se trouvaient là. Toutes les têtes se tournèrent vers lui lorsqu’il entra, et Aldébaran lui dit :
« Hé, la belle au bois dormant, tu es enfin sorti de ton lit ? Franchement tu es le seul à avoir mis autant de temps à récupérer… »
Le Taureau d’or était naturellement joueur et farceur, et Mû put percevoir derrière cette moquerie tout le contentement de son ami. Milo s’approcha alors et lui dit :
« On a bien cru que tu n’allais jamais te réveiller, tu sais…ton épreuve a-t-elle été si terrible ? »
Mû acquiesça :
« Effectivement, mais je m’en suis sorti, c’est là l’essentiel… »
Milo sourit et dit :
« Bienvenue parmi nous, Mû, chevalier d’or du Bélier… »
Aiolia, Aphrodite, Saga, Aioros entourèrent alors le Bélier d’or, et lui prodiguèrent leurs félicitations plus ou moins bruyamment. Mû dit alors :
« Mais…où sont les autres ? Je pensais les trouver également ici…»
Saga répondit :
« Shaka est en méditation avec le grand maître Açoka, Camus prépare son épreuve, mais nous n’avons vu ni Shura ni Deathmask depuis hier, je ne sais pas ce qu’ils font… »
L’expression qui se peignait sur le visage des autres prouvait assez à quel point l’absence du Cancer était un soulagement pour eux. Aiolia demanda alors :
« Est-ce que tu sais quand nous ferons notre pres…pres…station ? »
Décidément, les grands mots n’étaient pas son fort, mais, cette fois, il l’avait prononcé correctement. Mû haussa les épaules pour montrer si ignorance :
« Aucune idée, mais tu n’as qu’à demander à ton ancien maître, il te le dira probablement…je demanderai au mien quand je le verrai… »
Aldébaran, alors, demanda à Mû :
« Une partie d’échecs ? Tu me dois la revanche… »
C’était leur jeu préféré, et ils rivalisaient de logique pour se battre mutuellement. Cependant, Mû avait une légère longueur d’avance sur son voisin du Zodiaque…
Pourtant, Mû tenait à rendre une visite importante pour lui, et lui dit :
« Tout à l’heure, quand je reviendrai, promis… »
Il sortit de la salle, du palais et se dirigea vers la maison qu’occupait le grand maître Androgeio, car il voulait savoir comment il se portait. De plus, il estimait posséder une sorte de dette envers lui, et la moindre des choses était d’au moins lui rendre visite afin de voir si la perte de sang n’avait pas eu d’effet fâcheux sur la santé de l’impressionnant homme.
Arrivé à côté de la petite maison de bois, il sonna et entendit un pas lourd avant que la porte ne s’ouvre. Androgeio y apparut, encore pâle mais bien debout sur ses deux jambes. Il parut surpris de voir le petit garçon mais s’inclina respectueusement avant de dire :
« J’ai su votre succès, et je vous en félicite…mais que me vaut le plaisir de votre visite ?»
Le vouvoiement étonna l’enfant, mais Androgeio était désormais passé en-dessous de lui dans la hiérarchie et il se devait de le respecter.
Mû, qui se sentait vraiment minuscule en face des deux mètres vingt du géant, répondit :
« Je…je suis venu voir comment vous vous portiez… »
Le grand maître s’effaça, s’inclinant, pour laisser entrer l’enfant. Il le fit asseoir, lui servit de l’eau bien fraîche et lui dit :
« C’est très aimable de votre part de vous inquiéter pour moi, mais je me sens bien mieux à présent… »
Mû leva la tête et dit :
« C’était très risqué de votre part d’accepter, si je n’avais pas été digne de mon armure vous y auriez laissé la vie… »
Androgeio lui sourit :
« Je savais justement que je ne risquais rien, j’avais confiance en vous et votre maître était présent, il ne m’aurait pas laissé mourir, alors ne vous tourmentez pas pour cela et songez à vos nouvelles responsabilités… »
Qu’il eût ainsi confiance en lui émut profondément le petit garçon qui mit un point d’honneur à n’en rien montrer. Androgeio reprit :
« J’ai également appris que vous vous entendiez bien avec Aldébaran, j’en suis ravi car il craignait d’inspirer la peur avec sa taille… »
Mû sourit :
« En effet, et je dois avouer que sa taille ne me dérange absolument pas, j’apprécie sa compagnie et, d’ailleurs, je lui ai promis de revenir pour jouer aux échecs avec lui… »
Androgeio lui rendit son sourire et lui dit :
« Alors allez, jeune Mû, et jouez bien… »
Mû sortit, retourna à la salle des chevaliers d’or et, enfin, put disputer la partie d’échecs promise à Aldébaran. Il y était encore lorsque Demetrios vint le chercher pour lui signaler que son repas du soir était servi. Saluant ses congénères, Mû le suivit en évitant de maugréer, même s’il aurait bien aimé rester avec ses pairs. Son épreuve l’avait fait évoluer, et il essayait au maximum de se comporter correctement, en chevalier d’or, cela commençait donc par se discipliner lui-même, comme son maître le lui avait plusieurs fois répété. Remerciant le serviteur, il s’attabla et commença à avaler consciencieusement sa moussaka, accompagnée de la même tisane qu’à son réveil. Shion avait bien précisé qu’il devrait en prendre plusieurs fois par jour pendant au moins trois jours, et le serviteur se conformait à ses ordres. Mû tenta de dissimuler la grimace que lui inspirait cette mixture, et la but héroïquement avant de manger son repas. Après tout, c’était pour son bien…
Après le repas, pendant que Demetrios remettait tout en ordre, il sortit devant la maison et s’assit sur le seuil, le regard tourné vers les étoiles. Il récita une prière à l’intention des grands lamas morts qui sans aucun doute avaient prié pour lui, et pensa à sa mère. Elle aurait été sans aucun doute fière de lui, cela il n’en doutait pas une seule seconde, et son père également. Ils avaient franchi la porte de yomi bien trop tôt, mais ils pourraient au moins avoir la consolation qu’un destin prodigieux attendait maintenant leur fils…
Une aura ô combien connue lui fit baisser la tête vers son environnement immédiat, et il vit alors, au détour du chemin pierreux, apparaître Shion. L’atlante dit à son fils :
« Que fais-tu dehors, Mû ? J’avais demandé à Demetrios de veiller à ce que tu te reposes… »
L’enfant sourit à son père et répondit : 
« Mais, maître, je me repose, je regarde les étoiles… »
S’apercevant de sa méprise, car désormais Shion n’était plus son maître, il bafouilla, tenta de se reprendre mais Shion lui dit :
« Tu peux encore m’appeler ‘maître’ si tu le désires, je ne t’en empêcherai pas… »
Une telle sérénité s’exhalait de son fils qu’il en eut le souffle coupé. Mû avait beaucoup évolué non seulement ces temps derniers mais aussi pendant son épreuve, et avait acquis énormément de maturité. Il y avait dans son expression non seulement l’émerveillement de l’enfant pour les étoiles mais aussi cette curiosité intellectuelle héritée de sa mère. Shion lui avait appris à en lire certaines arcanes, et Mû aimait à pratiquer cela dès qu’il en avait le temps. Il fixa la constellation qui le protègerait désormais et dit à Shion :
« J’ai parfois du mal à imaginer que ma vie et ma destinée sont là, contenues dans ces points de lumière si lointains, et qu’ils régissent mon existence… »
Il s’interrompit un instant et dit :
« Est-ce qu’on n’a aucune possibilité de choisir son destin ? »
Oh oui, que Mû avait bien grandi ! se dit Shion stupéfait. Néanmoins, il lui répondit :
« Les simples mortels le peuvent mais, dans notre cas, nos destins sont inscrits dans nos constellations protectrices, nous sommes nés pour défendre la Terre ainsi que la déesse Athéna et nous ne pouvons aller contre cela… »
L’enfant resta pensif un instant et dit :
« J’espère que je serai un chevalier d’or aussi courageux que vous… »
Shion sourit et eut un geste peu courant pour lui : il ébouriffa les cheveux de son fils, et il répondit :
« Je n’en doute pas une seule seconde, Mû, et l’armure non plus n’en a pas eu non plus puisqu’elle t’a choisi… »
Malgré le calme apparent de Mû, Shion pouvait sentir toute sa peur, son appréhension face à son nouveau rôle, difficile à assumer pour un enfant de sept ans à peine. Pourtant – était-ce son orgueil de père ou de maître qui parlait ? – Il savait qu’il serait un excellent chevalier d’or…
Il se leva et lui dit :
« Je vais finir ma ronde, va te coucher à présent, tu dois encore te reposer… »
L’enfant obéit et rentra dans la maison, laissant Shion marcher tranquillement vers les postes de garde. Il lui était difficile de songer à Mû comme à un chevalier d’or de plein exercice, mais il allait falloir qu’il y arrive. Pourtant, il se sentait très serein, comme il ne l’avait pas été depuis longtemps, et il laissa le calme de la nuit l’envahir davantage…

28 mai 1973

Mû rangeait son atelier et en vérifiait soigneusement les stocks de produits de réparation lorsque quelque chose lui fit lever la tête. C’était comme la vibration d’une armure, mais multipliée à l’infini jusqu’à en être audible. Laissant là ses pots d’orichalque et de poussière d’étoiles, il se précipita dans le temple lui-même, et son regard fut immédiatement attiré par son armure, sagement posée dans sa pandora box sur le socle de pierre qui était son siège ordinaire. L’armure était enveloppée de son aura dorée et vibrait de toute sa force…
Mû ferma les yeux et, se servant de ses pouvoirs, parvint à comprendre ce qui se produisait : les armures vibraient entre elles, chacune répondant à l’appel des autres, et cela signifiait sans aucun doute que les Douze étaient à présent réunis au Sanctuaire, l’élite de l’ordre était désormais complète car Camus venait de réussir son épreuve d’initiation. Mû se souvint alors des paroles de son maître : lorsque les armures vibraient, c’était pour des événements particuliers, tout d’abord lorsqu’elles se trouvaient réunies après un long temps au Sanctuaire mais aussi pour marquer le rassemblement des Douze d’une nouvelle génération. Ceci ne l’étonnait pas, il était le mieux placé pour savoir que les armures étaient des êtres vivants doués d’une vie et d’une volonté propre…
Il s’approcha de la sortie du Temple du Bélier, et regarda pensivement les autres Temples, ayant confusément conscience qu’une autre page venait de se tourner sous ses yeux…


6 juin 1973

Quand Demetrios entra dans la chambre de son jeune maître pour l’éveiller, il le trouva debout, soigneusement nettoyé, en train d’attacher ses cheveux humides derrière son dos avec un lien de soie brute. Le vieux lien de cuir dont il se servait ordinairement était posé sur la table de nuit, il ne l’utiliserait pas aujourd’hui, c’était un jour très important pour lui…
La lumière grise du petit matin entrait par la fenêtre, déjà colorée par les premières lueurs de l’aube, mais il n’avait plus de temps à perdre. A présent que toute l’élite de l’ordre était reconstituée, elle allait solennellement ce matin prêter serment à la déesse, et cela commençait par participer à la prière du matin…
Il passa dans la cuisine, avala le petit déjeuner préparé par Demetrios et fila jusqu’à son Temple. Son armure brillait doucement dans la pénombre, et s’éclaira lorsqu’il la revêtit. Gardant son casque sous son bras, il commença à grimper les escaliers qui le mèneraient au temple d’Athéna. Ceci faisant, il croisa Aldébaran, encore plus massif avec l’armure sur le dos mais qui ne manquait pas de prestance et celui-ci lui dit avec une grimace :
« Tu as retenu la prière, toi ? Moi j’essaye depuis hier, mais peine perdue ! »
Le petit atlante se gratta le front et dit :
« Euh…oui, je me souviens du début : « O déesse Athéna, daigne poser ton regard sur les mortels que tu protèges et toujours nous accorder ta bienveillance et ta générosité… », parce que c’est la prière de tous les jours, mais je ne me souviens plus bien des ajouts… »
En effet, à la prière journalière prononcée par Shion à chaque aube s’ajoutait, en ce jour de serment, une ou deux phrases de circonstances, que Shion avait dites à Mû quelques jours auparavant. L’enfant se souvenait en gros du thème mais était bien incapable de dire lesdites phrases précisément…
Malheureusement, l’heure tournait et ils n’avaient plus le temps de tergiverser, aussi pressèrent-il le pas. Ils arrivèrent sur l’esplanade du temple d’Athéna presque les derniers, mais à l’heure. Là se tenait Shion, dans sa tenue de Grand Pope, qui leur fit signe de se mettre en demi-cercle, par ordre de signe, derrière lui, avant de se tourner vers l’autel…
Mû à une extrémité, Aphrodite à l’autre, les jeunes chevaliers d’or attendaient le lever du soleil pour prononcer la prière dans le plus grand silence lorsqu’un éternuement tonitruant troubla la tranquillité du moment. Tous les visages se tournèrent alors vers la provenance de ce mini-ouragan et l’on s’aperçut avec stupeur qu’il s’agissait de Deathmask. Les yeux rouges, le nez tout autant, le Cancer n’avait pas l’air très bien, et il se moucha bruyamment sans s’excuser une seule seconde. Non loin de lui, Shura non plus n’avait pas l’air en très bonne santé, et il serrait les dents comme s’il souffrait beaucoup. Camus, qui se trouvait à côté de lui, constata alors que ses oreilles contenaient du coton et compris la raison de cette souffrance : l’éternuement de Deathmask avait sans aucun doute réveillé la douleur des oreilles du pauvre Capricorne. Si les deux avaient peu été vus ces dernières semaines, c’est qu’ils étaient malades…
Nul n’osa parler, mais le Cancer lança un regard à ses compagnons qui leur promettait une visite aller aux Enfers s’ils osaient se moquer de lui avant de se moucher une fois encore. Tout le monde comprit alors que, vu la saison et les vents dominants, le Cancer était affligé du rhume des foins. Le pauvre Shura, lui, avait eu la mauvaise idée d’aller se baigner dans un lac encore un peu frais, et avait donc attrapé une sévère otite…
Personne, cependant, n’avait envie de rire, car le lieu s’y prêtait peu et ils plaignaient sincèrement leurs deux camarades. Même si Deathmask était cruel et psychopathe, ils ne lui auraient pas souhaité cela…
Mû oublia l’incident et observa du coin de l’œil chacun de ses pairs dans leurs armures. C’était la première fois qu’il les voyait ainsi, et restait ébahi. Ses sens exercés pouvaient ressentir toute la force qui s’exhalait de ces vêtures quasi-divines forgées par ses ancêtres, et il les trouva magnifiques. Ses amis semblaient transfigurés ainsi vêtus, et les aurait crus beaucoup plus âgés. Le plus âgé, Saga, venait d’avoir quinze ans, et le plus jeune, Milo, n’avait pas encore sept ans…
Ses considérations furent interrompues par la forte et claire voix de Shion qui dit :
« O grande déesse, daigne abaisser ton regard ce matin sur ces enfants que tu as choisis. Guide-les toujours sur le chemin de la justice et de la vérité… »
Mû reconnaissait à peine la voix de son maître tellement celle-ci semblait différente, comme transfigurée…
Shion se tourna vers les chevaliers d’or, et leur fit signe de réciter la prière avec lui :
« O déesse Athéna, daigne poser ton regard sur les mortels que tu protèges et toujours nous accorder ta bienveillance et ta générosité… »
Arrivé au bout de la phrase, Mû regarda Aldébaran mais la voix de son maître résonna dans sa tête, prononçant les bonnes phrases :
« Vois ici tes défenseurs rassemblés, qui vont te prêter serment… que jamais ils ne faillissent à leur mission et que toujours ils défendent la Terre que tu aimes tant avec courage et honneur… »
Mû s’efforça de garder le visage serein, mais devait bien s’apercevoir que son maître l’avait pris en faute. Cependant, il fit bonne figure et, une fois la prière achevée, entendit Shion dire :
« C’est maintenant le moment de vous rendre à la salle d’honneur des chevaliers d’or pour y prononcer votre serment… »
Heureusement que personne ne pouvait voir son visage sous son masque ! L’émotion l’étreignait fortement, mais il avait ressenti un certain amusement en s’apercevant du trou de mémoire de son fils. Pourtant, malgré ce petit incident, il était fier de son fils…
Il n’eut pas le temps de penser davantage, ils étaient arrivés devant la grande porte où l’on pouvait voir, incrustés d’or et de bronze, les signes du Zodiaque figurés. Shion, alors, sortit une clé de sa tunique et en ouvrit les portes en disant :
« Ceci sera votre salle de réunion, où la déesse Athéna ou le Grand Pope vous réuniront chaque semaine et où vous aurez accès en permanence… »
Il poussa les deux lourds battants, et les jeunes chevaliers d’or eurent le souffle coupé par la magnificence des lieux. C’était une grande salle carrée, ornée de colonnes de marbre et de motifs en trompe l’œil sur les murs. Une frise représentait les différents signes dorés et argentés, et le sol était carrelé de porphyre d’Egypte. Il y avait assez peu de mobilier, mais le plus remarquable était une grande table ronde ornée de douze sièges. La table, en bois précieux, était incrustée d’écailles et l’on pouvait y voir chaque signe figuré en face d’une chaise…
Les jeunes chevaliers d’or restèrent silencieux, entrèrent, et chacun trouva aisément sa place. Même Deathmask en oublia de se moucher, le regard attiré par les dorures…
Sur un signe de Shion, chacun posa la main droite sur la table et Mû, qui se trouvait être le premier dans l’ordre d’enchaînement des signes, prononça le premier son serment :
« Je respecterai toujours en tout et pour tout les lois de la chevalerie, je serai l’honneur de mon ordre et y donnerai toujours exemple. Je jure de toujours protéger la déesse Athéna et la Terre ainsi que ne jamais y faire défaut. Que ma vie soit le témoin de mon serment, et qu’on me l’ôte si j’y manque… »
Le jeune atlante mit dans sa voix toute la conviction qui régnait en son cœur, sous le regard de ses pairs, concentrés, et de son père, ému. Mû ne pouvait voir son visage à cet instant, mais il ne doutait pas qu’il fût fier de lui. Pourtant, il ne le regarda pas, le regard fixé droit devant lui, dignement, il n’entendit même pas Deathmask éternuer une fois de plus. Son destin était désormais scellé, et il ressentait fortement l’aura de ses prédécesseurs dans cette salle si chargée d’histoire. A présent, c’était à eux, la nouvelle génération, de prendre soin de la déesse et de la Terre, et cette mission, loin d’être un poids sur ses jeunes épaules comme il l’aurait pensé, lui donnait une raison supplémentaire de vivre…

A SUIVRE