Un nouveau chapitre, un peu tardif mais qui j’espère vous plaira. Un grand merci à Megumichan, à Yotma, ma bêta lectrice efficace, et une petite pensée pour Alaiya^^

 

Chapitre 16 : Rien n’est jamais joué d’avance

 

« Mais toutes ces peines ces gangrènes lourdes anciennes

Qui saignent en nos cœurs

Donnent-elles à nos paix

Les valeurs ? »

 

P. Fiori, Toutes les peines

 

Jamir, 27 novembre 1974

 

Mû observait avec attention l’armure que l’on lui avait apportée. Voici quelques jours déjà qu’il était revenu chez lui, accompagné par Demetrios qui avait insisté pour l’accompagner. Le serviteur avait eu le courage de le suivre jusqu’au bout, malgré son problème pulmonaire, et l’enfant, ayant su cela, avait utilisé ses pouvoirs pour le soulager ainsi que pour le faire entrer dans la maison. Il avait aussi découvert, en arrivant à la pagode qui était désormais son foyer, que celui qui avait réussi à braver les brumes et les pièges pour arriver jusque-là n’était autre qu’Açoka du Serpent, ex-grand maître du signe de la Vierge. Celui-ci était parvenu jusqu’ici au prix de graves blessures, probablement causées par des sbires du Sanctuaire lors de sa fuite. Comme Helena, il était amaigri, vêtu de haillons, portant sur son dos sa pandora box contenant une armure très endommagée. Egesh avait pris soin de lui, aidé de son fils, Anardil, et, ayant constaté l’état critique de l’armure, avait immédiatement écrit à son jeune maître. Lorsque Mû était arrivé, quelques jours plus tard, Açoka n’avait pas encore repris conscience mais n’ était pas en danger de mort…

Mû retrouvait intacts, face à cette armure endommagée, le savoir-faire transmis par son maître et les sensations que procuraient la réparation d’une armure. Ses pouvoirs mentaux avaient évolué, lui permettant désormais ressentir ses pulsations de vie sans même avoir à la toucher. Il prenait soin, cependant, que ces pulsations ne soient perçues que par lui, afin que les sbires du Sanctuaire ne puissent la retrouver.

L’atelier, situé au rez-de-chaussée de la pagode, n’était éclairé que par des torches qui se reflétaient dans le métal de l’armure et dans le regard violet de l’enfant, faisant ressortir les paillettes dorées qui s’y trouvaient. Il semblait à Mû qu’il pouvait encore sentir la présence de son maître près de lui, dans cette pièce où il s’était tant de fois tenu.

Sur l’établi, posés dans un écrin de cuir et de velours, attendaient les outils célestes, qu’il avait pu faire venir du Sanctuaire grâce à ses pouvoirs. Il n’y en avait qu’un jeu, qui se transmettait de chevalier d’or en apprenti depuis la nuit des temps. L’enfant prit le marteau en main, l’un des burins dans l’autre, et commença à reconstituer les pièces abîmées, se basant sur sa créativité personnelle et l’aspect général de l’armure. La tristesse étreignait son cœur, mais Shion avait su lui transmettre le sens du devoir, et Mû mettait un point d’honneur à exercer celui-ci avec tout son savoir-faire. La voix de Demetrios, depuis le premier étage, le sortit de sa concentration :

« Maître, le grand maître Açoka a repris conscience… »

Mû reposa avec soin ses outils sur leur écrin de velours, et se téléporta à l’étage des chambres. Egesh, le seul à pouvoir se téléporter, Anardil étant parti dans la vallée, se trouvait là, au chevet du grand maître à moitié conscient. Demetrios, ne possédant pas les capacités spéciales des atlantes, s’employait à préparer une collation à l’étage inférieur.

Açoka parvint enfin à garder les yeux ouverts, et mit un peu de temps à s’habituer à la lumière. Tout se mélangeait encore dans sa tête, mais il se souvint tout de même qu’il se trouvait dans le fief millénaire des chevaliers d’or du Bélier. Mû lui sourit et lui dit :

« Bienvenue parmi nous, grand maître… »

Açoka eut une lueur de lucidité, mais ne put rien répondre. Egesh revint alors avec la collation préparée par Demetrios, et Mû dit :

« Vous avez été inconscient plusieurs jours, vous devez vous alimenter… »

Egesh aida Açoka à se mettre assis, puis à avaler son repas, cuillérée par cuillérée. Le grand maître était faible, mais un peu de couleur revint à ses joues. Il put alors dire :

« Votre Altesse Mû… »

Mais l’enfant l’interrompit :

« Vous devez vous reposer, nous parlerons plus tard… »

Repu, Açoka, se sentant en sécurité, s’endormit de nouveau. Mû dit alors à Egesh :

« Quand Anardil rentrera, j’aimerais qu’il le veille… »

Il était bien incapable d’ordonner nettement quoi que ce fût à ses serviteurs, qui étaient beaucoup plus à ses yeux que de simples servants. Il était également conscient de ce qu’il leur devait, de façon très mature. Egesh regarda son jeune maître et dit :

« Il en sera fait selon votre désir, maître… »

Quelque part, Mû se sentait proche des grands maîtres qu’on avait en quelques minutes dépouillés de tout sans raison valable, et mettait un point d’honneur à leur venir en aide. Il n’avait absolument pas l’impression de trahir son serment, au contraire, car c’est à la déesse qu’il avait prêté serment, celle-ci était toujours vivante et les grands maîtres lui étaient restés fidèles eux aussi. Le grand Pope actuel étant un imposteur, il s’estimait relevé de toute fidélité envers lui, même s’il continuait à exercer sa charge de réparateur d’armures. Bien sûr, il avait conscience d’être un peu litigieux, car Shion lui avait enseigné que le Grand Pope était non un homme mais une institution, mais il n’était pas question pour lui d’obéir à quelqu’un non investi par la déesse Athéna elle-même…

Faisant un signe à Egesh, il repartit dans son atelier. C’était bien le seul endroit de la maison où il se sentait bien. Refusant de prendre la chambre qui lui revenait de droit, il avait insisté pour garder la sienne, et n’avait pas encore osé entrer dans le bureau qui avait été celui de son maître. Il ne se sentait pas encore prêt pour cela, et ses serviteurs respectaient cela, comprenant la douleur encore cuisante du petit garçon. Ils savaient cependant que Mû irait là dès qu’il se sentirait prêt…

 

Rozan, 30 novembre 1974

 

Helena étendait dans le vent frais de la fin de l’automne les langes de Shunrei. La petite fille dormait dans son berceau, et le grand maître profitait de ce répit pour se retrouver un peu elle-même. Jour après jour, elle soignait ses blessures tout en ayant en permanence à l’esprit que cela n’était qu’une pause, que son rôle en tant que chevalier d’argent et grand maître n’était pas fini. Elle en profitait pour essayer pour une fois d’être elle-même, ce qui était très difficile après avoir passé des années à gérer le Sanctuaire et à se dévouer à sa tâche de grand maître…

Dohko était assis à sa place habituelle, il lisait une missive envoyée par Mû. Celle-ci lui apprenait l’identité du grand maître arrivé par miracle jusqu’à Jamir, et il se dit que cet enfant, décidément, attirait les grands maîtres. Cela, au moins, allait aider le petit atlante à achever son deuil en exécutant sa mission première : réparer les armures. Ce n’était pas que Mû oubliât ses devoirs, au contraire, mais prendre soin d’Açoka et de son armure l’aiderait doucement à faire la transition vers la nouvelle époque qu’il allait vivre, sans son maître. Il pouvait être seul à présent, et Dohko savait que cela lui était nécessaire pour continuer son cheminement vers l’âge adulte et achever la seconde phase de son deuil. Cependant, il savait que ses serviteurs ne le laisseraient jamais sombrer, qu’ils l’aideraient toujours lorsqu’il se sentirait mal. Il lui arriverait des passages à vide mais il était à présent armé pour s’en sortir…

Le regard de Dohko dériva vers Helena, qui achevait d’étendre le linge. La jeune femme était très discrète, mais il devait bien s’avouer que sa présence et celle de la petite Shunrei apportait à son existence un changement notoire. Il s’était rendu compte que cela, loin de le détourner de sa mission, lui donnait une nouvelle raison de vivre lorsque que le découragement le prenait. Comme tout humain, il lui arrivait d’avoir des moments de découragement, mais l’idée de l’importance de sa mission le faisait toujours revenir à son humeur normale.

La voix d’Helena le sortit de ses pensées :

« Que souhaitez-vous pour le déjeuner, maître ? »

Le regard vert de Dohko s’abaissa sur la jeune femme et dit :

« Je vous ai déjà dit que ce n’était pas votre rôle, Helena… »

Mais le grand maître du signe des Poissons répondit :

« Avec tout le respect que je vous dois, je vous rappelle que c’est le jour de congé de la servante et que vous ne mangerez rien si je ne cuisine pas… »

Dohko ne se départit pas de son habituelle gravité et répondit :

« Malgré mon âge avancé, je suis encore capable de me faire cuire mon riz tout seul, mais je vous remercie de votre geste, jeune grand maître… »

Après tout, elle ne savait pas son véritable âge, et il devait jouer cette mascarade du vieillard pour le bien de l’humanité. Il avait techniquement dix huit ans et demi, mais avec une expérience de la vie que n’aurait jamais aucun jeune homme du même âge, ce qui lui conférait cette sagesse qui lui permettait d’aider ses semblables.

Helena, confuse, lui répondit :

« Je ne voulais pas vous froisser, maître… »

Conscient qu’elle allait une fois de plus se mortifier, il dit :

« Il n’y a pas de mal, au contraire, c’est gentil à vous de vous soucier de moi… »

Restant silencieux un petit moment, il dit, tentant de faire retrouver son sourire à la jeune femme :

« La lettre que j’ai là vient de Jamir : l’homme qui est arrivé là-bas est Açoka, l’un de vos collègues. D’après ce que Mû me dit, il est gravement blessé mais ses jours ne sont plus en danger. Son armure était partiellement détruite, il est en train de la reconstituer… »

Helena lâcha la panière vide qu’elle tenait encore, sous l’effet de l’émotion. Il lui fallut un certain temps pour dire :

« Quelle…quelle bonne nouvelle… »

Ce moment d’émotion, inhérent à la joie de savoir Açoka, l’un de ses amis, de ses pairs, en vie, ne dura cependant pas, et elle retrouva vite sa capacité de raisonnement. Si l’armure était en pièces, si Açoka avait été blessé à ce point, c’est que le Sanctuaire avait probablement lancé après lui son propre élève, Shaka, le puissant jeune chevalier d’or de la Vierge. Quelle horreur ! Comment aurait-elle réagi, elle, si Aphrodite l’avait attaquée ? Rien n’indiquait d’ailleurs qu’il ne le ferait jamais s’il en recevait l’ordre…

Elle dit :

« Açoka est en de bonnes mains avec Son Altesse Mû, j’en suis sûre, rien ne pourra lui arriver là-bas… »

Elle avait dit cela sur son ton normal, mais, commençant à la connaître, il pouvait percevoir toute son émotion derrière cette phrase conventionnelle. Il savait aussi qu’elle avait compris ce qui se cachait derrière l’arrivée d’Açoka à Jamir. Il dit :

« Açoka survivra, sans aucun doute… »

Helena ramassa la panière et dit :

« Son corps oui, mais son esprit se remettra-t-il d’avoir été attaqué par son propre élève ? »

Là était le problème, effectivement. Le corps d’Açoka se remettrait, aidé par les pouvoirs de guérison du jeune chevalier d’or atlante, mais en serait-il pareil pour son mental. Dohko, pourtant, dit :

« Est-on sûrs que c’est bien son élève qui l’a attaqué ? Il nous faut envisager toutes les possibilités… »

Tranquillement, Helena répondit :

« Açoka est de loin le plus puissant d’entre nous, aucun chevalier de bronze ou d’argent n’aurait pu abîmer son armure au point d’en détruire une partie… »

Il fallait bien avouer que l’argument du grand maître se tenait, après tout elle connaissait bien Açoka, bien mieux que Dohko, qui ne l’avait jamais rencontré et ne le connaissait que par les lettres de Shion. Dohko décida de laisser là l’affaire, ils en sauraient plus lorsque Açoka reprendrait conscience…

Le chevalier d’or regarda le grand maître et lui dit :

« Vous pourrez aller lui rendre visite, si vous le désirez, Ah Neng pourra prendre soin de Shunrei pendant votre absence… »

Mais Helena secoua la tête :

« Si nous sommes réunis, le Sanctuaire saura où nous sommes, autant que nous restions séparés pour l’instant…Jamir est un lieu réputé difficile d’accès, même pour les chevaliers d’or, il est en sécurité là-bas… »

Le solide bon sens d’Helena et son sens aigu du devoir ressortaient dans cette simple phrase. Elle ramena une mèche de ses longs cheveux bouclés derrière son oreille et dit résolument :

« Comme vous l’avez dit, nous devons attendre que le temps soit venu pour nous d’agir. En attendant, nous devons rester séparés, quoi que cela nous coûte… »

Le regard vert de Dohko se posa sur la jeune femme avec douceur et il dit :

« Vous avez beaucoup de courage, jeune grand maître… »

Helena n’osa pas lui rendre son regard, et dit résolument :

« C’est mon devoir, maître… »

Dohko comprit son déchirement, et respecta son silence…

 

Jamir, 1 er décembre 1974

 

L’aube se levait sur l’Himalaya recouvert de neige, mais Mû était déjà debout, seulement vêtu d’une tunique de coton. Agenouillé devant sa statue de Bouddha, devant laquelle fumaient trois bâtons d’encens, il priait, sans empêcher ses larmes de couler sur ses joues pâles. Voilà plus d’un an que son maître l’avait quitté prématurément, et, même s’il n’avait pas célébré comme il se devait l’anniversaire tragique de sa mort, il priait pour lui tous les jours en espérant que, là où il était, il pourrait rencontrer ses parents et leur dire qu’il était chevalier d’or…

Essuyant ses larmes, il se releva et, enfilant sa tunique de laine, s’approcha de la fenêtre. La blessure était encore saignante dans son petit cœur d’enfant, mais il savait où était sa mission et s’efforçait de la remplir du mieux possible, quoi que cela lui coûtât. Ici était sa place, comme l’avait été celle de son maître et de tous les autres chevaliers d’or du Bélier avant lui, c’est d’ici qu’il accomplirait son devoir et son rôle tout en restant attentif au devenir du monde extérieur et surtout du Sanctuaire…

On frappa discrètement à la porte, et, à l’assentiment du petit garçon, Anardil passa sa tête par l’entrebâillement de la porte :

« Le grand maître Açoka est au plus mal, maître, venez vite… »

En effet, la première chose que sentit Mû en arrivant dans la chambre, ce fut l’odeur aigre de la maladie. Trempé de sueur, Açoka délirait sur son lit, et Egesh passait un linge frais sur son front dans l’espoir de faire baisser sa fièvre. Mû s’approcha, et observa le grand maître avant de décider de ce qu’il allait faire. Il avait bien sûr des pouvoirs de guérison très puissants, mais ce n’était pas de cela dont Açoka avait besoin pour l’instant. Non content d’avoir hérité de sa longue lignée d’ancêtres atlantes des pouvoirs de guérison, Mû avait également reçu de Shion des connaissances pharmacologiques et médicales. Il devait tout d’abord définir le mal dont souffrait Açoka, avant de le traiter et d’utiliser le cas échéant ses pouvoirs de guérison pour tirer le grand maître de l’abîme où il s’enfonçait. Pour cela, il devait se rendre dans le bureau de son maître, oubliant sa propre peine, pour sauver la vie d’Açoka. Le petit garçon sortit de la chambre, courut vers le bureau où personne n’avait mis les pieds depuis un an et, prenant la clé là où il savait la trouver, entra dans la pièce. Une odeur mêlée de renfermé et d’herbes séchées le saisit, mais, évitant de regarder la table basse qui avait été le bureau de travail de son maître, se dirigea vers le petit cabinet attenant. Il en ouvrit la porte et dut monter sur une chaise pour atteindre l’étagère où il savait trouver les herbes qui allaient lui être nécessaires. En effet, l’état de faiblesse du grand maître était tel qu’en utilisant directement ses pouvoirs de guérison lui-même se serait par trop affaibli, car il ne fallait pas oublier qu’il n’était encore qu’un enfant au corps fragile. Il prit des pots de porcelaine précieuse, considéra l’inscription en langue atlante sur chacun d’eux et, attrapant un bol, composa un mélange d’herbes précis en tenant compte de tous les symptômes dont souffrait Açoka. Dès que sa fièvre serait tombée et qu’il aurait repris des forces, il pourrait user de ses pouvoirs de guérison sur lui. Visiblement, le grand maître souffrait d’une infection interne, d’où sa forte fièvre, mais, même si la fièvre était son alliée en l’aidant à combattre les agents pathogènes, elle mettait également sa vie en danger. Tout ceci faisait partie de l’enseignement transmis par Shion à son jeune élève tout au long des années de son entraînement, et Mû se souvenait assez précisément de ce qu’il lui avait dit, même s’il ne s’en était jamais servi jusque-là, se reposant le plus souvent sur ses pouvoirs de guérison.

Il descendit de son tabouret, prit le bol et, refermant soigneusement la porte, se téléporta dans la pièce à vivre où il versa sur le mélange d’herbes de l’eau bien chaude que Demetrios avait mise à bouillir dans une bouilloire posée sur un trépied de fer sur le foyer. Cette tisane ainsi constituée, il se téléporta de nouveau au chevet du grand maître souffrant et prit la direction des opérations :

« Anardil, vous allez m’aider à lui faire boire cela, puis vous irez chercher des draps propres, il va beaucoup transpirer… »

La tisane aiderait Açoka à évacuer les toxines contenues dans son organisme en le faisant suer beaucoup, c’était sa seule chance. Doucement, le jeune serviteur atlante souleva la tête du malade et Mû, gorgée par gorgée, fit avaler le liquide chaud au grand maître. Açoka, amorphe, réagit à peine. Mû dit alors :

« Il va délirer davantage, mais c’est normal, il devrait se calmer dans quelques dizaines de minutes… »

Egesh sortit alors pour aller chercher de l’eau, et Anardil resta au chevet du grand maître Indien, ainsi que Mû. Le petit atlante regarda pensivement l’homme allongé sous ses yeux, et supplia mentalement :

« Qu’il vive ! O Bouddha, toi qu’Açoka prie aussi, aide-le à survivre…maître, aidez-moi ! »

Son esprit hurlait sa prière, mais rien sur son petit visage grave ne trahissait son inquiétude…

 

Le Sanctuaire, 4 décembre 1974

 

« Une autre prestation de serment ? »

Le Taureau d’or, surpris, sortit le nez de son dossier et dit à Milo, qui lui apportait la nouvelle :

« Mais pourquoi donc ? »

Mais le Scorpion n’en savait guère plus, et, une fois qu’il fut sorti, Aldébaran ferma le dossier qu’il tenait et réfléchit. Quel était l’intérêt de faire de nouveau une prestation de serment alors qu’Aioros était mort, que le chevalier d’or de la Balance, cet être mythique à la mission qui l’était tout autant, ne venait jamais au Sanctuaire, et que Mû n’était même pas présent, retenu par des réparations d’armures au Tibet ? Tous avaient juré fidélité à la déesse lorsqu’elle s’était réincarnée, cela suffisait, à son sens. En effet, malgré son jeune âge, le déjà massif Taureau savait la signification d’un tel serment, et l’importance qu’il avait, même si, curieusement, ils ne gardaient plus la jeune déesse, confinée dans ses appartements sous la garde exclusive du Grand Pope. Peut-être celui-ci avait-il connaissance d’une menace quelconque, lui qui lisait le sort du monde dans les étoiles, et désirait-il souder davantage les protecteurs de la jeune déesse. En tout cas, quoi qu’il en soit, le jeune Brésilien savait qu’il ne devait pas discuter ses ordres, quoi qu’il arrive…

Aldébaran referma son dossier, se leva en faisant grincer sa chaise de bois d’olivier et se rendit à la salle commune de travail où il savait trouver certains de ses pairs à cette heure de la journée. En effet, il y avait là Camus, le nez toujours orné de ses inévitables lunettes, et Aphrodite. Tous deux levèrent la tête lorsque le pas reconnaissable du Taureau d’or se fit entendre, et il leur dit :

« Vous êtes au courant, pour la prestation de serment ? »

Si Camus acquiesça, Aphrodite haussa les épaules :

« C’est une formalité, selon moi, il n’y a pas là de sujet d’inquiétude… »

Aldébaran s’assit :

« Je ne m’inquiétais pas, je voulais juste m’informer, voilà tout, cela m’a paru de prime abord un peu bizarre… »

Camus ôta ses lunettes :

« Bizarre ? En quoi cela serait-il bizarre de prêter un nouveau serment ? Notre rôle repose sur notre fidélité, au cas où tu l’aurais oublié, et c’est parfaitement normal que nous renouvelions notre serment à intervalles réguliers… »

L’argument du pragmatique Verseau se tenait parfaitement, et Aphrodite ajouta :

« Cela est en effet surprenant, mais, vu que nous ne savons pas tout encore sur notre rôle, c’est parfaitement normal… »

Milo entra alors, et il dit :

« J’en sais plus sur la prestation de serment : Shura, Aphrodite et Deathmask, qui ont dépassé dix ans, le prêteront la semaine prochaine, et chacun de nous lorsqu’il atteindra l’âge de dix ans… »

En clair, pour eux, c’était encore l’affaire de plus d’une année, ils avaient encore le temps de réfléchir à ce que ce nouveau serment signifiait.

Aphrodite acquiesça seulement :

« Très bien, je vais attendre la convocation officielle… »

Cela semblait le perturber un peu, mais il n’en dit rien et se replongea dans son dossier. Aldébaran sortit, et marcha un moment sur un chemin de terre desséché par le soleil. S’il n’y avait là à proprement parler rien d’extraordinaire, quelque chose le dérangeait, mais il résolut de n’en pas faire état, il n’y avait pas là de quoi s’inquiéter. Pourtant, pourquoi cela le gênait-il autant ?

Il marcha longtemps, espérant trouver une réponse à ses questions…

 

A SUIVRE