Hé oui, le voilà le chapitre 17, un chapitre un peu particulier, vous verrez pourquoi. Un bonjour spécial à Yotma, ma bêta lectrice, une petite pensée pour Alaiya (tiens, voilà du grand maître !) et un merci à Megumichan^^

Bonne année 2007 à tous ^^

 

Chapitre 17 : Les parenthèses du temps

 

« On prend son histoire
la vie comme elle va
avec ses erreurs
ses manques et ses lois
Pour croire le bonheur
souvent loin de soi
Alors qu'elle bat
qu'il est toujours là, en soi… »

Le Roi Soleil, tant qu’on rêve encore

 

Jamir, 2 février 1975

Açoka, tenu par Egesh et Anardil, tenta de faire quelques pas sur ses jambes amaigries, mais il était encore trop faible et ils durent l’aider à gagner le fauteuil, près de la fenêtre. Le grand maître, après des mois d’errance, avait atteint un état général extrêmement faible, d’où l’infection généralisée qui avait failli l’emporter et que le petit chevalier d’or avait courageusement combattue en se servant des connaissances médicinales transmises par Shion, achevant le travail avec ses pouvoirs. Pourtant, les forces du grand maître n’étaient pas entièrement revenues, et son corps, rongé pendant des mois par l’infection, peinait à se remettre…

Anardil, alors qu’il posait une couverture sur les genoux du grand maître, se releva et vit entrer dans la pièce le petit chevalier d’or atlante. Il avait étudié des rouleaux en sanscrit toute la matinée dans le bureau qu’il considérait à présent comme le sien, même s’il n’y avait encore touché à rien, encore incapable de le faire. Il travaillait dans l’optique de conserver vivace tout ce que son maître lui avait appris, ainsi que pour se développer lui-même davantage. De plus, il était persuadé que tous ces textes qu’il lisait, aussi bien des textes atlantes que des textes sanscrits, lui serviraient à quelque chose un jour , lorsqu’il serait plus âgé.

L’enfant s’approcha du grand maître et lui demanda :

« Tout est-il à votre convenance ? »

Açoka leva son regard d’ébène sur le jeune chevalier d’or qui le regardait avec bienveillance et répondit poliment :

« Oui, merci, Altesse… »

Jusque-là, l’enfant atlante n’avait posé aucune question au grand maître blessé dans son corps autant que dans son âme, il attendait que celui-ci lui parle, s’il désirait le faire. Pourtant, il résolut de faire une légère ouverture dans le mur de silence dans lequel le grand maître s’était enfermé depuis des jours :

« J’ai reçu ce matin une lettre d’Helena, qui se trouve comme je vous l’ai dit à Rozan. Elle se porte bien, et vous envoie ses vœux de rétablissement… »

Une lueur passa dans le regard vide et triste du grand maître, et il dit :

« Je suis content qu’elle aille bien… »

Quelque chose semblait s’être éteint chez Açoka, mais Mû n’avait pas vraiment compris quoi. Etait-ce le fait d’avoir tout perdu, d’avoir été chassé du Sanctuaire comme un paria ? L’enfant n’en savait rien mais il subodorait avec son instinct particulier que c’était plus grave que cela…

Mû sourit légèrement et dit :

« Très bien. Si vous avez besoin de quelque chose, appelez-nous, nous vous l’amènerons… »

Açoka inclina seulement la tête, et l’enfant sortit. Il se téléporta dans la pièce à vivre, où se trouvait Demetrios en train de préparer le repas de midi. L’air soucieux de l’enfant alerta le serviteur, qui remplit de lait de yak chaud une tasse de grès, le sucra d’un peu de miel et vint l’apporter à son jeune maître. Le lait chaud était le remède miracle du serviteur contre toutes sortes de maux, y compris contre le vague à l’âme. Mû regarda son serviteur et lui dit :

« J’aimerais pouvoir aussi savoir soigner l’âme, parfois… »

Le serviteur se tut soigneusement, attendant que l’enfant continue s’il le voulait. Mû sirota un instant son lait et dit :

« Le corps d’Açoka va mieux, mais son esprit est profondément blessé… »

Cela lui donnait un sentiment de frustration, lui qui possédait de si grands pouvoirs ne pouvait guérir les blessures intérieures du grand maître souffrant. Il savait à présent d’expérience que seul le temps le pouvait…

Il tourna son regard violet vers son serviteur et lui dit :

« Le temps apaise les plaies, il apaisera les siennes et, quand il sera prêt, nous serons là… »

Forêt Amazonienne, 10 février 1975  

Silencieusement, des membres de la tribu des Guaranis se glissaient entre les arbres, l’arc à la main. Parmi eux cependant, un homme à la peau hâlée, presque nu comme eux mais à la taille impressionnante. Malgré ce handicap, il se déplaçait très souplement, comme s’il n’avait fait que cela dans sa vie. Ses cheveux bruns frisés étaient en désordre et ses yeux bleus aux aguets ne manquaient absolument aucun mouvement devant lui et sur les côtés. Qui aurait reconnu dans cet homme le grand maître du signe du Taureau, Androgeio, à part avec le médaillon d’argent au signe qui ornait son cou ?

L’un des hommes qui l’accompagnaient lui chuchota en désignant le jaguar tapi dans l’arbre, feulant :

« Tata Kuimba’e, il est là… »

Tata Kuimba’e, grand homme, c’était le nom qu’il avait reçu de la tribu. Désormais, il vivait avec eux, ayant protégé l’un de ses membres de l’attaque d’un jaguar voici quelques mois alors qu’il se cachait dans la forêt amazonienne. L’errance d’Androgeio, qui n’avait cessé de fuir pendant tous ces longs mois pour échapper aux sbires du Sanctuaire, s’était enfin arrêtée, et il se sentait entouré, accepté alors que le Sanctuaire ne voulait plus de lui pour une raison qu’il ignorait. Personne ne viendrait le chercher au plus profond de la forêt amazonienne, et c’était bien comme cela tant que le temps de la vérité ne serait pas venu. Son armure était dissimulée, et il avait fait en sorte qu’on ne pût sentir ses pulsations de vie…

Parfois, il pensait à Aldébaran, son jeune élève et sa plus grand fierté, et espérait qu’il allait bien, que tout ce mal n’avait pas entaché sa probité et ses convictions. Le jour où le voile serait levé sur cette affaire, car il avait l’intuition que ce jour arriverait, il serait à ses côtés…

Haut Atlas, Maroc, région d’Er Rachidi, 2 mars 1975

Le vent de sable, le khamsin, coutumier du printemps, se levait sur cette région semi-désertique, mais un homme marchait. Sa tête était enveloppée dans un chech qui avait été blanc, alors que le reste de ses vêtements était composé d’une tunique légère et d’un pantalon fait dans le même tissu de coton. Seuls dépassaient du tissu les yeux de l’homme, d’un vert vif, rare dans cette partie du monde. Il portait sur le dos sa pandora box enveloppée dans un grand sac à dos en tissu épais. Voyant que le vent forcissait et que bientôt cela deviendrait dangereux pour lui, il avisa une grotte sur les contreforts de l’Atlas et se dirigea vers elle. Il s’assura rapidement qu’elle était assez profonde et ne présentait pas de danger, et s’assit sur le sable entassé avant de chercher autour de lui du bois, car il savait qu’il serait là au moins pour la nuit. Il enleva alors le chech qu’il portait sur la tête, et secoua ses boucles châtaines pour en chasser le sable, faisant apparaître son médaillon d’argent au signe qui sortit de sa tunique.

Hylas d’Eridan, grand maître du signe du Lion et maître d’Aiolia, s’était réfugié dans cet endroit désolé, loin de tout. Bien qu’il soit grec, le désert avait toujours purifié son âme, et c’était là qu’il était venu se réfugier après ce jour funeste où le Grand Pope l’avait chassé du Sanctuaire. Il tentait d’y voir plus clair dans cette tragédie, mais il ne comprenait toujours pas ce qu’il s’était passé. Qu’est-ce qui avait bien pu pousser le Grand Pope, avec lequel il travaillait depuis quelques années, à les déclarer hors la loi et à lancer derrière eux leurs propres élèves ? Il n’avait toujours pas la réponse à cette question…

Il prit sa gourde de peau, en avala plusieurs gorgées et replia ses jambes, qu’il entoura de ses bras. Qu’allait devenir son jeune élève ? Qui allait l’aider à refaire surface après la mort de son frère ? Lui qui avait toujours été ouvert et gentil était devenu rebelle et revêche après la mort de son frère aîné dans ses conditions dramatiques. Il espérait que cela l’altèrerait pas son sens du devoir et de la justice, et qu’en grandissant il resterait semblable à ce qu’il avait toujours été, un être droit et plein de probité.

Le grand maître but encore une gorgée d’eau, et, ouvrant son sac à dos, saisit un plan, qu’il déplia et considéra pensivement. Il évitait tant qu’il le pouvait les zones habitées pour ne pas attirer l’attention, se ravitaillant comme il le pouvait, et se disait que c’était là un moindre inconvénient pour être resté en vie. Pourtant, son instinct lui disait que son rôle de grand maître n’était pas fini, tout se dénouerait un jour…

Namibie, désert du Kalahari, 10 mars 1975

Il n’y avait personne à la ronde, que quelques Bushmen qui connaissaient à présent l’homme qui était en train de fouiller la terre pour trouver les racines, selon la tradition du peuple occupant depuis des millénaires cette région. Il était arrivé là voici quelques mois, après une longue errance, et ils lui avaient enseigné comment survivre dans cet environnement hostile. Finalement, il avait fini par aimer cet endroit désertique où les choses devenaient si simple, survivre et c’était tout. Les Bushmen lui avaient appris que, quelle que soit la dureté de leur univers, celui-ci trouvait toujours le moyen de leur donner de quoi survivre, le tout étant de savoir où regarder, ainsi que comment…

L’homme releva la tête, et s’essuya d’un geste preste le front, faisant sortir de sa tunique un médaillon d’argent au signe . Ses cheveux noirs humides de transpiration bouclaient sur son front, et il leva sa haute taille, son butin dans les mains. Il était sale, couvert de terre, et portait une tunique rapiécée et un pantalon qui l’étaient tout autant. Il se dirigea vers son auvent de toile, et ajouta ses racines à la décoction qui cuisait sur le feu dans une calebasse. Il attrapa un carré de toile, qu’il plongea dans un bol d’eau et avec lequel il se nettoya consciencieusement. Apparut alors, sous l’épaisseur de terre qui le recouvrait, le grand maître Chiron de la Flèche, le plus jeune d’entre eux car il n’avait que vingt ans. Il avait été autrefois le maître d’Aioros, et avait connu la douleur de perdre son élève quelques années auparavant, bien qu’il n’eût jamais cru une seule seconde en sa culpabilité et qu’il n’y crût toujours pas aujourd’hui.

Il enleva ses vêtements, les secoua consciencieusement avant d’en remettre d’autres, à peine moins abîmés. C’était là tout ce qu’il possédait, à part la pandora box qui contenait son armure et qu’il transmettrait dans quelques années. Vivre ainsi lui rappelait ce qui était vraiment important, même si lui aussi, comme ses pairs, se demandait ce qui avait bien pu se passer pour que le Grand Pope décidât ainsi de leur bannissement. Il n’avait pas les éléments pour répondre à cette question, mais son instinct lui soufflait que la mort de son jeune élève cet évènement étaient probablement liés. Cependant, il restait persuadé qu’Aioros n’était pas mort en vain, que le jour se ferait enfin sur cette sombre affaire. Quand ? Il n’en savait rien mais son instinct lui soufflait qu’il le saurait quand le temps serait venu…

Il s’assit près du feu, et en regarda les flammes de ses yeux verts, espérant qu’un jour enfin il pourrait connaître la réponse à sa question…

Cap Vert, 13 mars 1975, île de Santo Antão

C’était l’île la plus montagneuse de l’archipel du Cap Vert, mais l’on pouvait y voir plusieurs groupes de touristes. Cependant, personne ne faisait attention à cet homme assis, plutôt affalé, près de son sac à dos usé et d’un autre sac de toile carré, on se disait que c’était probablement l’un des ces hippies qui faisaient le tour du monde à pied et que ces touristes fortunés regardaient avec un certain dédain.

L’homme avait des cheveux longs noirs, des yeux bleus vifs et quelqu’un d’un peu observateur aurait pu voir à la tension de ses muscles que son indolence n’était qu’apparente. Il ne portait qu’un pantalon et qu’un t-shirt usés, des baskets de toile, et une écharpe ceignait sa tête pour le protéger du soleil, accentuant sa ressemblance avec les membres du mouvement hippie. Pourtant, certains détails desservaient cette première impression, comme le médaillon d’argent frappé du signe qu’il portait autour de son cou et qui dépassait du col détendu de son t-shirt.

Zethos du Triangle Austral, grand maître du signe des Gémeaux, parcourait le monde depuis de nombreux mois à la recherche de Kanon, persuadé que son élève n’était pas mort et que quelque chose de grave lui était arrivé. Pourtant, jusque-là, rien n’avait pu confirmer ou infirmer ce qu’il pensait et il avait fini par arriver ici, dans cet archipel au large de l’Afrique, sur un cargo où il avait travaillé quelque temps comme marin. Pourtant, sur la mer, il avait eu l’impression de ressentir la cosmoénergie de Kanon, sans cependant pouvoir confirmer son intuition. Il n’était cependant pas dans sa nature d’abandonner, et il continuerait jusqu’à ce qu’il ait trouvé une trace au moins de la mort ou de la survie du second chevalier d’or des Gémeaux. Si cela impliquait parcourir le monde une seconde fois en se louant comme marin ou docker pour survivre, hé bien il le ferait…

Souvent, il pensait à son frère, assassiné, à son élève, disparu, et se demandait ce qui avait bien pu se produire pour plonger ainsi le Sanctuaire dans le chaos. Il ne savait pas exactement ce qui s’était produit, n’étant pas présent sur place à ce moment, mais la mort de son frère jumeau l’avait profondément atteint. Si Amphion ne pouvait plus être sauvé, il se devait au moins de retrouver son propre élève…

Il avait eu au début des velléités de vengeance, mais avait réussi à passer au dessus, sachant que cela n’aurait pas ramené son frère en ce monde. A la mémoire d’Amphion, il se devait de rechercher Kanon ainsi que d’attendre et voir, ayant l’intuition que son rôle n’était pas encore achevé. Il faisait confiance à la déesse à laquelle il avait prêté serment, elle rétablirait la justice et ne permettrait pas au meurtrier de rester impuni…

Madagascar, hauts plateaux de l’Anjafy, 16 mars 1975

Sous un rocher, un homme était assis. Torse nu, il avait une peau très mate et ne portait qu’un pantalon de toile légère en accord avec la chaleur ambiante. Ses cheveux châtains étaient en désordre. Autour de lui, rien que les bruits de la Nature et la chaleur écrasante du soleil. Dion de l’Octant, grand maître du signe du Scorpion, maître de Milo, s’était réfugié ici, au fin fond de l’île de Madagascar et s’employait à méditer, comme il le faisait très souvent. Cela lui permettait de rester concentré sur sa mission et d’éviter de s’apitoyer sur son sort. Comme la plupart des autres grands maîtres, il ne comprenait pas ce qui s’était passé et était persuadé que tout se dénouerait un jour, lorsque enfin toute la vérité se dévoilerait. Pourtant, une question le taraudait : pourquoi ? Pourquoi tous ces morts ? Amphion, Faustulus, Pedro avaient perdu la vie sous les coups de leurs propres élèves, mais la raison en était terriblement obscure. Le dernier message télépathique d’Amphion, qui leur disait de fuir, ne leur avait donné aucun indice sur ce qui avait motivé le changement d’attitude du Grand Pope. En effet, ils avaient travaillé avec lui pendant plus de dix ans, il leur était toujours apparu juste, efficace, aimable, comment avait-il pu changer à ce point et être persuadé qu’ils complotaient contre lui ? Ils s’efforçaient tous de faire leur travail du mieux possible et, même s’il y avait parfois quelques dissensions, elles n’étaient jamais graves. Ils avaient accompli leur mission, et fait de leurs jeunes élèves des chevaliers d’or. Il soupira légèrement en pensant au Scorpion d’or, son propre apprenti : qui allait donc à présent guider ce sang bouillant de Milo vers l’âge adulte ? Il souhaita de toutes ses forces qu’il ne perde pas ses qualités intrinsèques en grandissant, et sa capacité à distinguer le bien du mal, même s’il savait aussi qu’il lui avait appris à obéir au Grand Pope, quels que soient les ordres qu’il lui donnerait. Il frissonna en imaginant son petit élève otage d’un Grand Pope soudainement fou, mais se rassura en se disant que Milo saurait un jour faire la différence et qu’il comprendrait…

Le grand maître, incapable de poursuivre sa méditation car envahi par des pensées parasites, ouvrit les yeux, dévoilant des prunelles bleu-vert océan. Il se releva, épousseta son pantalon, regarda ses sandales de cuir usées par sa si longue marche et s’aperçut qu’elles avaient vraiment besoin d’une énième réparation. Les lanières qui avaient été taillées dans du cuir solide mais fin par les artisans du Sanctuaire n’avaient pas résisté, et on pouvait déjà voir plusieurs traces de réparations de fortune. Le grand maître avait dû déployer une certaine ingéniosité, et utiliser les ressources que la Nature lui offrait pour réussir à maintenir en un seul morceau ses sandales. Finalement, le jeune grand maître se découvrait des capacités à survivre avec peu, en cherchant sa subsistance autour de lui.

Il leva le regard vers le ciel en pensant : 

« Mes amis, où êtes-vous ? »

Il n’en avait aucune nouvelle, chacun d’eux se cachant des sbires du Sanctuaire, et estimait que c’était parfaitement normal vu que leur survie en dépendait. Il savait cependant que chacun d’eux était encore vivant, même s’il ne captait pas leur cosmoénergie. Avec un soupir, il alla chercher des fibres de lianes et se mit en devoir de réparer ses sandales…

Nouvelle-Zélande, Alpes néo-zélandaises, 18 mars 1975

La neige ne fondait jamais à ces altitudes où même les animaux ne se risquaient que peu. Le vent soufflait avec violence, et on remarquait à peine l’homme qui, dans le blizzard, se dirigeait vers un petit refuge à peine visible dans le brouillard et les bourrasques de neige. Il portait un sac à dos de toile et, une fois devant la porte, dut y mettre toute sa force pour l’ouvrir. Une fois à l’intérieur, il se secoua consciencieusement et abaissa sa capuche de parka. Apparut alors une tête à la peau pâle mais rougie par le froid, aux cheveux blond pâle en désordre et aux yeux bleus aussi clairs que le ciel de la montagne par beau temps.

Il secoua la neige résiduelle qui recouvrait sa parka, puis l’ôta, ainsi que son double pantalon et ses bottes, apparaissant dans une tunique de laine et un pantalon de cette même matière. Un médaillon d’argent frappé au signe pendait à son cou, et, par là même, on pouvait deviner qu’il s’agissait du grand maître du signe de Verseau, Youri du Réticule. Le Lituanien s’était réfugié dans cette partie du monde froide et inhumaine pour, comme ses pairs, se cacher du Sanctuaire. Ayant été le maître de Camus du Verseau, qu’aucuns surnommaient déjà le magicien de l’eau et de la glace, il supportait aisément de basses températures et des conditions de vie qui eussent tué même les montagnards les plus aguerris.

Il avait réussi à découvrir ce refuge perdu, oublié, où personne ne venait jamais et avait fixé son errance dans cette région du monde où il pensait, avec justesse, que les sbires du Sanctuaire ne viendraient jamais le chercher. Il descendait dans la vallée une ou deux fois par mois pour se ravitailler et louait ses services pour gagner sa vie comme guide de haute montagne.

Comme tous ses pairs, Youri ne comprenait absolument pas ce qui s’était passé, pourquoi il s’était trouvé face à son élève qui avait failli le tuer. Il ne devait la vie qu’à sa parfaite connaissance des attaques du jeune Verseau. Pragmatique, il savait parfaitement qu’il n’avait pas toutes les cartes en main pour comprendre ce qui s’était produit, mais, bien qu’il ne fût pas enclin à laisser ses sentiments obscurcir son jugement, il ne pouvait s’empêcher de ressentir de la colère envers ce Grand Pope qui avait voulu les faire assassiner par leurs jeunes élèves, sans raison valable et cela malgré les services rendus. Bien sûr, il y avait eu juste avant cela d’autres choses bizarres, que chacun d’eux avait ressenti, mais ils n’y avaient pas spécialement fait attention alors qu’ils l’auraient dû.

D’un geste machinal, le grand maître commença à ranger son ravitaillement dans les coffres de bois prévus à cet effet, puis remit du bois dans le feu. Il regarda un instant les flammes oranges et pensa à son élève. Camus promettait d’être l’un des plus puissants de son ordre, possédant la capacité d’arrêter le chaos, mais il espéra de toutes ses forces que rien ne viendrait entacher sa pureté et sa perception innée de la justice.

Le grand maître attrapa alors un sac de pommes de terre, ainsi que des tomates, et commença à en éplucher en pensant que la déesse qu’il avait toujours servi, qu’il continuait à servir ne laisserait pas impuni ce qui s’était passé, le sang versé ne l’aurait pas été en vain et la vérité se ferait jour, quel que soit le temps que cela prendrait…

Rozan, 20 mars 1975

Helena mettait la dernière main au colis qu’elle enverrait à Jamir et qui contenait le cadeau d’anniversaire de Mû. Aucun facteur ne se risquait à la pagode, les courriers étaient toujours envoyés poste restante et récupérés par l’un des serviteurs lorsqu’il descendait au ravitaillement. Pendant qu’elle emballait méthodiquement le paquet, Ah Neng, la servante chinoise, préparait le repas, et des effluves de soja et de gingembre parfumaient toute la maison. Par chance, Shunrei dormait, ce qui procurait à Helena une relative paix. En effet, la petite fille courait à présent partout, donnant des sueurs froides aux occupants de la petite maison de bambou. Le grand maître, devenue experte dans l’art de s’occuper d’un enfant, appréciait de s’occuper du bébé abandonné, sachant qu’elle n’aurait probablement jamais la chance d’être mère elle-même à cause de son statut. Et, également, cela l’aidait à garder espoir. En voyant ce bébé sourire, elle se disait que finalement le mal n’avait pas totalement gagné et que c’était une lueur d’espoir sur le monde, comme l’avait été le premier sourire de la petite déesse.

Mais cette relative tranquillité ne dura pas longtemps, et Shunrei finit par se réveiller. Helena appela alors, se penchant :

« Ah Neng ! Pouvez-vous aller la prendre, s’il vous plaît ? Je viens dans un instant… »

Cependant, elle ne s’était pas souvenue qu’elle tenait encore la ficelle avec laquelle elle avait emballé du mieux qu’elle avait pu le colis destiné au jeune chevalier d’or atlante, et elle ne s’en souvint qu’au moment où elle posa le regard dessus : la pression exercée avait déchiré le papier kraft en plusieurs endroits, il fallait tout recommencer. Avec un soupir, elle enleva le papier désormais inutilisable et entreprit de refaire tout le paquet.

Un pas soutenu par une canne se fit alors entendre et une voix usée dit :

« L’erreur est humaine, jeune grand maître… »

Le chevalier d’or de la Balance était, comme à son habitude, imperturbable, mais une lueur d’amusement pouvait se lire dans ses yeux verts. Il savait Helena peu douée pour les travaux manuels, mais le fait qu’elle se donne tant de mal pour le faire prouvait à quel point Mû lui importait. Helena ajouta un dernier nœud pour faire tenir l’ensemble et se tourna vers le vieil homme :

« Elle est peut-être humaine mais elle fait perdre beaucoup de temps… »

Dohko prit son ton le plus sentencieux possible :

« La patience est une vertu… »

Mais Helena ne l’entendait pas de cette oreille, et elle lui dit :

« Excusez-moi, maître, je n’ai jamais possédé cette vertu… »

Elle avait dit cela sur un ton sérieux, mais son regard mordoré démentait ce sérieux. Le chevalier d’or eut alors l’impression qu’elle commençait enfin à se trouver quelque peu à l’aise, et cela le rassura et le ravit. La vie reprenait le dessus…

Jamir, 27 mars 1975  

Lorsque Mû ouvrit les yeux, au matin de son anniversaire, Anardil et Egesh se trouvaient là, son plateau de petit déjeuner dans les mains. Le vieil atlante dit alors :

« Recevez tous nos vœux pour votre neuvième anniversaire, maître… »

L’enfant, le regard encore plein de sommeil, sourit à ses serviteurs et, se frottant les yeux, leur dit :

« Merci… »

Anardil déposa le plateau sur la table basse et vérifia que les vêtements de son jeune maître étaient prêts avant de verser l’eau dans la vasque qui servirait à sa toilette. Mû, seulement vêtu d’une tunique de nuit, se leva et demanda :

« Avez-vous déjà rendu visite au grand maître ? »

Egesh secoua la tête :

« Non, pas encore, mais, hier au soir, son état était satisfaisant… »

Mû attrapa le carré d’éponge avec lequel il allait faire sa toilette matinale et dit :

« Très bien, je vais aller le voir…où est Demetrios ? »

Anardil répondit :

« Il est descendu dans la vallée très tôt pour le ravitaillement… »

Mû soupira :

« J’espère qu’il fera attention, avec son poumon je ne suis pas tranquille… »

Egesh eut un imperceptible soupir en pensant qu’une fois de plus l’enfant se souciait des autres plus que de lui-même. Pourtant, de profondes blessures étaient enfouies derrière ce petit visage serein, il le savait, mais l’enfant n’en parlait jamais, se contentant de faire son devoir autant qu’il le pouvait. Il savait par exemple que la mort de sa mère et de son père dans des conditions dramatiques, morts dont il se jugeait plus ou moins coupable, le rongeait de l’intérieur. Ce n’était cependant pas sa faute si sa mère était décédée en le mettant au monde et si quelqu’un avait assassiné sans pitié son maître, s’il avait été à côté il aurait sans doute été tué lui aussi, mais l’enfant n’était pas encore prêt à entendre et surtout accepter ce raisonnement. Egesh était toutefois très inquiet de le voir être trop mûr pour son âge, c’était aisément compréhensible mais ce n’était pas bon du tout…

Une fois seul, Mû fit sa toilette et, une fois propre et habillé, alla s’agenouiller devant sa petite statue de Bouddha. Des larmes perlèrent à ses yeux mais il les essuya d’un geste en disant :

« Non, il n’est plus temps de pleurer… »

Sa tristesse était encore vive, mais il se pensait à présent trop grand pour pleurer ainsi à tout bout de champ. Après tout, il n’avait pas à se plaindre, il vivait, lui. Il renifla, joignit les mains et pria de toutes ses forces, espérant que les êtres chers qui l’avaient quitté l’entendraient là où ils étaient…

Il pria longtemps et, quand il se releva, s’enroula dans le châle de cachemire offert par Shion et mangea son petit déjeuner. Ce n’était pas qu’il eût énormément faim mais il pensait qu’il devait bien cela au travail fourni dès avant l’aube par ses serviteurs pour lui préparer un petit déjeuner plus développé que les autres matins. Ceci fait, il se téléporta dans la pièce à vivre, nettoya les bols de terre cuite et se rendit ensuite de nouveau à l’étage pour rendre visite au grand maître convalescent. Voir Açoka ainsi lui transperçait le cœur, mais il estimait qu’en tant que maître de maison il était de son devoir de veiller sur lui. Il frappa puis entra dans la petite chambre. Il eut la surprise de trouver Açoka debout derrière son fauteuil, regardant comme tous les jours le spectacle sans cesse renouvelé de l’Himalaya descendant vers l’Inde. Le grand maître avait toujours la même expression impassible, mais, cette fois, Mû put voir qu’il avait les yeux humides. Il s’inclina avec respect et dit :

« Bonjour, grand maître Açoka… »

Le grand maître se tourna vers l’enfant, s’inclina plus bas encore et répondit :

« Bonjour, je ne vous avais pas senti entrer, excusez-moi… »

D’un geste discret que Mû feignit de ne pas voir, il essuya ses yeux. Mû lui demanda alors :

« Comment vous sentez-vous, aujourd’hui ? »

La sollicitude du petit garçon touchait toujours le grand maître, qui répondit :

« Je vais bien, merci, je crois que je vais pouvoir reprendre la route… »

Mû se récria :

« Pas question, vous n’êtes pas totalement guéri et vous êtes en sécurité ici… »

Açoka secoua la tête :

« Si j’ai pu y arriver, d’autres le pourraient, et je ne veux pas que quoi que ce soit vous pose problème… »

Mû dit doucement :

« Ne craignez rien, mes prédécesseurs se sont bien coupés du monde et il est extrêmement difficile d’arriver ici, comme vous avez pu le voir. Pour le reste, je suis le maître et le gardien de cette terre et je vous protègerai de toutes mes forces… »

La résolution que cet enfant de neuf ans mettait dans ses paroles émut encore plus Açoka. Se pouvait-il que ce petit chevalier d’or sût ce qui était arrivé, pourquoi ils avaient été chassés par leurs propres élèves ?

Deux larmes perlèrent aux yeux du grand maître, et Mû décida alors de le mettre au courant d’une partie des événements survenus, ceci afin qu’il puisse se sentir quelque peu mieux, et alors se dire que son élève ne l’avait pas attaqué sur ordre du Grand Pope qu’il avait toujours connu. L’enfant choisit soigneusement ses mots :

« Celui qui a lancé contre vous mes pairs est un usurpateur, ce n’est plus celui que vous avez connu, c’est pour cela que je suis parti. Eux ne savent pas. C’est là tout ce que je peux vous dire, mais ils ne sont pas responsables ce qui est arrivé… »

Il avait parlé calmement, rappelant à Açoka son propre élève, Shaka, à qui il devait ses blessures. Il voyait en face de lui cet enfant calme, sur lequel pesait une si lourde charge et qui semblait savoir tout ce qui se cachait derrière ce massacre et cette fuite éperdue.

Le regard violet orné de paillettes dorées de l’enfant se posa sur le paysage qui pouvait se voir par la fenêtre et il dit :

« Le temps n’est pas encore venu pour nous d’agir. Tous vos pairs se cachent, le grand maître Helena est encore à Rozan auprès du chevalier d’or de la Balance Dohko, il faut désormais attendre l’époque où tout se dénouera… »

Pour la première fois depuis des mois, le ciel noir parut s’éclaircir pour le grand maître qui resta cependant silencieux, observant l’enfant. Mû ajouta :

« Vous voyez, tout va bien à présent, les choses suivent leur cours. Pour l’instant, ce n’est pas à nous d’agir. Vous pourrez rester ici le temps qui vous plaira afin de vous remettre… »

Le grand maître observa Mû, posa dans un geste de bénédiction sa main sur son front et lui dit :

« Maintenant, je sais pourquoi Shaka vous estime tant… »

Un peu plus tard, Mû déballait ses cadeaux arrivés de Rozan sous le regard attendri d’Egesh et Demetrios quand Anardil apparut, accompagné d’Açoka. Le grand maître s’inclina devant l’enfant et lui dit :

« Votre serviteur vient de me dire que c’était le jour de votre anniversaire, recevez tous mes vœux… »

Il tendit au petit garçon un rosaire de prières de bois parfumé en disant :

« Voici mon cadeau pour votre anniversaire… »

L’enfant ne voulut pas le prendre, mais Açoka insista :

« Prenez-le, je vous en prie, il vient de Bénarès, la ville sainte… »

Le regard du petit garçon trembla, et il dit :

« Merci, grand maître, merci beaucoup… »

Et il serra le rosaire contre sa poitrine…

Le Sanctuaire, 17 juin 1975

Shura et Aphrodite, bouliers à la main, travaillaient sur le bilan semestriel du Sanctuaire qui serait présenté au Grand Pope et à leurs pairs dans quelques jours, après avoir achevé le résultat provisoire de l’exercice. Les deux jeunes chevaliers d’or alignaient les chiffres dans les cases prévues à cet effet en refaisant les calculs avec l’aide de deux comptables. Dans la pièce attenante se tenaient les autres jeunes chevaliers d’or, chacun penché sur un dossier concernant leur domaine de compétence. Les volets des deux pièces étaient à demi fermés, car il faisait une chaleur déjà très forte dehors malgré l’heure matinale.

Entra alors Deathmask, et le silence se fit. Il se dirigea vers Shura, sa victime préférée, mais s’aperçut, quand l’adolescent ouvrit la bouche, qu’il ne pouvait plus se moquer de lui : les dents autrefois désordonnées du Capricorne étaient à présent dépourvues de métal et parfaitement droites. L’adolescent le regarda et lui dit :

« As-tu quelque chose à me dire ? »

Shura alors vit, sur le nez du Cancer, un superbe bouton d’acné, et ne put s’empêcher de dire :

« C’est encore le printemps, on dirait… »

Deathmask se dirigea vivement vers lui, et son aura apparut autour de lui, dénotant qu’il était prêt à expédier le Capricorne en aller simple aux Enfers, mais Aphrodite intervint d’une voix ferme :

« Cela suffit ! »

Un silence de mort plana dans la pièce, car le chevalier d’or des Poissons n’avait jamais habitué personne à ce genre de démonstrations d’autorité. Aphrodite continua :

« Que croyais-tu, Deathmask ? Que Shura se laisserait faire indéfiniment ? »

Il ne prit parti ni pour l’un ni pour l’autre, restant prudemment en retrait. Deathmask pointa alors un doigt vengeur sur Shura et lui dit :

« Je me vengerai, tu ne l’emporteras pas au paradis !!! »

Et il sortit, laissant le silence se faire encore plus lourd. Chacun d’eux avait parfaitement conscience que, depuis la fuite des grands maîtres, une sorte de chape de plomb, déjà présente auparavant, s’était posée sur le Sanctuaire, mais ce n’était là qu’une sensation diffuse qu’ils ne pouvaient expliquer. Les jeunes chevaliers d’or se contentaient de faire leur travail, étant encore trop jeunes pour éclaircir tout ceci…

Dans la salle du Grand Pope, Saga était affalé sur le trône, respirant à peine. Une fois de plus, la lutte avec sa partie mauvaise l’avait laissé sans forces, l’empêchant de mettre fin à ses jours. Comment pouvait-il continuer ainsi ? Il n’était plus sûr de tenir encore longtemps en étant perpétuellement séparé en deux, et il avait parfaitement conscience de ce qu’il avait fait.

Dans un dernier sursaut de lucidité, il se dit :

« Par…pardonnez-moi ! »

Il n’avait jamais voulu de mal à Shion, qui l’avait toujours respecté, ni à son maître, qui l’avait élevé comme son propre fils, mais il avait leur sang sur les mains et cette voix qui le tourmentait le lui rappelait encore et encore, le rendant presque fou sans tomber sans la bienheureuse indifférence de la folie qui l’eût délivré de ses tourments.

Ses cheveux devinrent de nouveau gris, et il retomba dans l’obscurité…

 

A SUIVRE