Encore un nouveau chapitre, qui s’est fait attendre, désolée…
Merci à ma fidèle et adorable bêta lectrice Yotma, et remerciements spéciaux à Megumichan, dont le soutien ne se dément pas, ainsi qu’à Alaiya, que je remercie pour ses reviews toujours aussi éclairées, et à Cosmos, autre auteur de talent…
Dédicace spéciale à mon ami Milos…

 

Chapitre 18 :   « Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin » (Blaise Pascal)

 

« Telle est ma quête,
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos… »

Jacques Brel, La Quête

 

Jamir, 18 octobre 1975

« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas rester encore un peu ? »
Açoka mit les provisions que Mû venait de lui apporter dans son sac et dit :
« Non, je dois me retirer en attendant que le temps soit venu… »
Il posa son regard sombre indéchiffrable sur le petit garçon et lui dit :
« D’autres tâches vous attendent à présent, jeune atlante, et mon destin est ailleurs… »
Mû l’avait toujours soupçonné de posséder un léger don de prescience, et il en eut là la confirmation. Comment pouvait-il savoir ce qu’il avait l’intention de faire ?
Açoka prit son sac de toile, le plaça sur son épaule, souleva sa pandora box qu’il mit sur son dos et dit à l’enfant :
« Que Bouddha veille sur vous, maintenant et à jamais… »
Et il posa sa grande main en signe de bénédiction sur le front de l’enfant, dont les yeux tremblèrent. Il répondit :
« Qu’il veille sur vous aussi, grand maître, dans tous les lieux obscurs où vous devrez marcher… »
La phrase était issue en partie d’un antique texte religieux atlante, et l’enfant la trouvait particulièrement bien adaptée à la situation. D’un clin d’œil, il se téléporta dehors avec le grand maître et, d’un geste de la main, effaça les brouillards qui entouraient la maison. La passerelle de pierre apparut alors, nimbée de soleil un instant, et l’enfant dit :
« Sachez que ma maison vous sera toujours ouverte, quoi qu’il arrive… »
Le grand maître s’inclina avec respect et se dirigea résolument vers la passerelle, laissant l’enfant derrière le rideau de brume qui se refermait…
Le petit chevalier d’or se téléporta à l’intérieur de la pièce à vivre, et Demetrios, voyant son air soucieux, lui dit :
« Ne vous inquiétez pas pour lui, maître, tout ira bien… »
Mû leva son regard violet sur son serviteur dévoué et répondit :
« Je le sais, Demetrios, je sais aussi que nous nous reverrons dans quelques années quand le moment de la vérité sera venu… »
Demetrios ne savait pas tout, mais il se souvenait des paroles de Dohko de la Balance concernant l’échéance. L’enfant fit un léger geste de la main :
« Très bien, j’ai encore du travail, je serai dans mon bureau… »
En effet, il avait découvert, en lisant les chroniques des anciens chevaliers d’or du Bélier, que chacun d’eux était lié physiquement et mentalement à l’antédiluvienne pagode et, faisant quelques recherches, il savait que le moment serait bientôt venu pour lui d’en faire autant. Dès qu’il aurait dix ans, dans quelques mois, il donnerait son sang comme l’avaient fait ses prédécesseurs au même âge. En effet, la pagode était faite de pierre vivante et avait toujours été liée à son propriétaire depuis sa construction par le premier chevalier d’or du Bélier.
Le petit garçon se leva, et observa par la fenêtre la montagne neigeuse et brumeuse. Son maître n’avait pas eu le temps de lui enseigner cela, et il mettait un point d’honneur à respecter les traditions de sa charge. Il savait pertinemment que cela mettrait sa vie en danger, mais il voulait le faire parce que c’était son devoir que de faire perdurer l’héritage de ses ancêtres.
Il dit doucement en atlante :
« Je suis Mû de Jamir,  le protecteur de cette terre… »
Il était temps qu’il sorte de son deuil pour prendre enfin totalement sur ses épaules tout le fardeau de sa charge. Son maître était mort, mais la Terre continuait à tourner et il se devait, lui, de continuer son évolution en suivant la tradition. Quand le temps serait venu où la déesse reprendrait sa place et reviendrait au Sanctuaire, il devrait être prêt.
Il s’assit et prit le rouleau qu’il était en train de lire la veille. Autour de lui se trouvaient les objets familiers qui avaient été ceux de son maître, et il n’y avait rien touché depuis son décès. Après un premier stade difficile, désormais il se sentait chez lui dans cette pièce où il semblait sentir l’esprit de Shion et celui de tous ses prédécesseurs. Il se rendait compte en lisant leurs mémoires que son cas était sans précédent, jamais aucun chevalier d’or du Bélier n’avait été laissé seul si tôt après son investiture, celle-ci ayant d’ailleurs eu lieu plus tardivement auparavant. C’était probablement la proximité de la guerre sainte qui avait conduit Shion à l’entraîner aussi vite et aussi durement, mais n’avait-il pas eu conscience de sa mort prochaine ? 
Cela, Mû n’en savait rien, et il devait essayer de finir de se construire tout seul, cela commençant par respecter tout ce qui faisait ses devoirs de chevalier d’or. Depuis des siècles, ses prédécesseurs avaient tous veillé sur cette terre ingrate et froide, aux franges du monde, il était temps qu’il puisse lui aussi assumer cette tâche. Ses pouvoirs, augmentant au fur et à mesure qu’il grandissait, seraient bientôt assez puissants pour qu’il puisse le faire, et il avait l’intuition qu’il saurait quand le temps serait venu…

Sanctuaire, 12 novembre 1975

Aldébaran frappait de façon insistante à la porte d’Aiolia en disant :
« Sors d’ici, tu ne peux pas rester là-dedans indéfiniment… »
Mais, une fois de plus, le Lion d’or refusait de participer à la réunion des Douze, préférant se terrer chez lui. Pourtant, cette fois, la porte s’ouvrit sur la chevelure ébouriffée d’Aiolia qui demanda :
« Qu’est-ce que tu veux encore ? »
Le Taureau d’or croisa péremptoirement les bras et dit :
« On a une réunion, je te signale… »
Le Lion tenta de repousser la porte :
« Alors ce n’est pas la peine, passe ton chemin et va jouer ailleurs… »
Mais Aldébaran n’était pas décidé à lâcher le morceau :
« Tu ne peux pas continuer à fuir comme cela… »
Et il bloqua la porte. Les yeux d’Aiolia jetèrent des éclairs et il répliqua d’une voix cinglante :
« Je ne fuis pas, je me passe simplement de la présence de personnes que je ne souhaite pas voir et qui ne le souhaitent pas non plus. Alors maintenant, si tu veux bien m’excuser, j’ai des choses à faire… »
Et la porte de bois claqua au nez du Taureau. Celui-ci n’insista pas, et se mit en route pour la salle des chevaliers d’or, l’air pensif. Il comprenait fort bien la réaction du Lion en son for intérieur, mais, ce qu’il savait aussi, c’était qu’Aioros était mort en traître et qu’Aiolia était lui aussi considéré comme tel par les autres. Confusément, il sentait que quelque chose avait changé, sans savoir exactement quoi. Mû lui manquait aussi, il n’en avait pas eu de nouvelles mais savait aussi qu’en tant que réparateur d’armures il pouvait s’absenter du Sanctuaire sans permission et qu’il ne l’aurait pas fait sans une bonne raison. Il savait en son for intérieur que son ami allait bien, et cela lui suffisait. Sa déesse ne permettrait jamais qu’il arrivât quelque chose à Mû, cela il en était persuadé malgré la confusion qu’il ressentait depuis quelques temps….
Quand il arriva à la salle, il y trouva ses pairs, y compris Deathmask, qui remarqua une fois de plus :
« Aiolia n’est pas là ? On ne pouvait pas s’attendre à autre chose du frère d’un traître ! »
Milo darda son regard bleu sur lui :
« Rien ne te permet de le dire, il remplit ses devoirs parfaitement et, même s’il n’assiste pas à nos réunions, il reste un des nôtres… »
Mais Deathmask se mit à rire, d’un rire mauvais :
« C’est le frère d’un traître, et il ne fait rien pour nous détromper…tout comme la Balance ou ce faible de Mû ! »
Dès qu’on parla de Mû, les regards se levèrent des dossiers et Aldébaran répondit calmement :
« Que vas-tu mêler Mû à cela ? C’est le seul réparateur d’armures, et c’est sa prérogative que d’exercer son art dans son atelier himalayen. Tu es bien placé pour savoir qu’il est loin d’être faible. Quant au chevalier d’or de la Balance, sa mission le retient à Rozan par autorisation spéciale de la déesse, et tu n’as rien à dire là-dessus, tu n’en as pas le droit… »
Il y eut un murmure d’approbation.  Visiblement, tout le monde appréciait et respectait le petit atlante et Deathmask rompit la lutte. Cependant, cette lutte verbale, qui aurait continué sans aucun doute, fut interrompue par l’entrée du Grand Pope, qui instaura immédiatement le silence dans la pièce. Sa voix grave résonna alors sous les voûtes ornementées de la pièce :
« Jeunes chevaliers d’or, je sais que certains d’entre vous se posent des questions sur l’utilité de prêter un second serment mais vous devez bien comprendre la nécessité d’affirmer votre loyauté après les événements qui se sont déroulés voici quelques mois. Notre déesse a besoin de savoir que vous serez là pour la protéger… »
Les arguments étaient imparables, et finirent d’ôter tout doute de l’esprit des jeunes chevaliers d’or. Silencieux, dans une position de déférence, ils attendirent qu’il continue :
« La plupart d’entre vous vont avoir dix ans bientôt, vous prêterez donc serment chacun à votre tour au jour de votre dixième anniversaire… »
Cela avait été dit sur un ton qui n’appelait pas de discussion mais de l’obéissance, aussi il n’y eut pas un commentaire, personne ne s’y serait risqué d’ailleurs. Après sa sortie, le silence perdura pendant plusieurs minutes, les jeunes chevaliers d’or se regardant sans oser dire un seul mot et aucun ne comprenant réellement la raison de cette lourdeur qu’ils ressentaient à présent depuis de longs mois. Ce fut Shaka qui osa parler le premier :
« Très bien, revenons à notre travail… »
Chacun ouvrit son dossier, et la réunion commença…

Jamir, 15 janvier 1976

Anardil observait son jeune maître avec une certaine inquiétude. En effet, depuis le matin, il semblait ailleurs, comme perdu dans quelque chose qu’il était le seul à voir. C’était presque cela, d’ailleurs, le regard violet de l’enfant semblait presque translucide,  comme transperçant les objets et les choses.
En effet, Mû se sentait vraiment bizarre, ses pouvoirs en éveil provoquaient cette étrange réaction que lui-même peinait à comprendre. Voyant l’inquiétude de son serviteur, il lui dit :
« Je ne sais pas ce qu’il y a, je vais essayer de comprendre en méditant, ne t’inquiète pas… »
Il se téléporta à l’étage, gagna sa chambre, tira les rideaux et commença à méditer. Des images floues vinrent alors à son cerveau, qu’il parvint à éclaircir quelque peu : un village, des guerriers, des villageois hurlant…
Il ouvrit les yeux, puis les ferma de nouveau, tentant de se concentrer davantage sur des détails des images qui eussent pu lui permettre de situer ce village et comprendre pourquoi ses pouvoirs réagissaient si violemment, le rendant quasiment perméable à tout ce qui se produisait autour de lui. Jamais il n’avait été ainsi, en état de clairvoyance totale et surtout en état de voir le futur de façon aussi précise.
Son organisme, trop sollicité, était d’ailleurs en train de se rappeler à son bon souvenir et commençait à le faire souffrir. Il fallait qu’il comprenne pourquoi ses pouvoirs se comportaient ainsi sous peine de ne pas pouvoir résister longtemps.
Suivant son intuition, il sortit devant la pagode et ferma les yeux. Lui apparurent alors des images d’une acuité particulière, comme un chemin à suivre depuis la pagode vers le village qu’il avait vu pendant sa méditation et auquel il allait arriver quelque chose dans un futur proche. C’était là la clé de sa vision, et probablement l’explication du comportement étrange de ses pouvoirs, il devait sauver ce village. Gravant dans sa mémoire le chemin pour y accéder, il se téléporta de nouveau dans la pagode et dit à Demetrios et Egesh, qui se trouvaient là :
« Il va arriver quelque chose, je pars…seul… »
Demetrios se récria :
« Vous ne pouvez pas partir seul, maître, je vais venir avec vous… »
Le regard violet de l’enfant rendu extrêmement clair à cause de ses pouvoirs en évolution se posa sur lui et il lui dit d’un ton sans appel :
« Non, je dois y aller seul… »
Demetrios rompit et s’inclina en disant :
« Faites attention à vous, maître… »
Mû hocha la tête et se téléporta dehors. Jamais il n’était allé au-delà de la pagode tout seul, Shion ou Demetrios étaient avec lui, et il n’était pas loin d’y voir une sorte d’épreuve initiatique supplémentaire. Dans la confusion dans laquelle il se trouvait, il savait néanmoins qu’il était de son devoir de sauver ces gens ainsi que de veiller sur eux, comme ses prédécesseurs l’avaient toujours fait. Tranquillement, en essayant de garder son calme, il chemina jusqu’au village. C’était un village tibétain ordinaire, qui lui rappela immédiatement celui où il avait passé les quatre premières années de sa vie. Rien d’extraordinaire, des enfants qui jouaient, des yaks, des hommes et des femmes travaillant aux champs et, au milieu du village, le petit sanctuaire bouddhiste. Tout semblait calme mais le petit atlante avait confiance en la fiabilité de ses pouvoirs et de ses prémonitions malgré la confusion qu’il ressentait. Utilisant sa capacité à se rendre invisible, il observa les alentours et resta ainsi un bon moment, ressentant profondément le calme ambiant, son lien avec cette terre et en oubliant presque ses pouvoirs devenus fous. Malheureusement, ce moment de plénitude ne dura pas et il vit surgir de nulle part des guerriers qu’il identifia immédiatement comme originaires du Sanctuaire. Que faisaient-il ici, à part pour le chercher ? Il eut un moment de panique mais reprit vite ses esprits : il devait défendre ces gens, ils n’avaient rien à voir dans ce qui s’était passé au Sanctuaire. Il déploya un Crystal Wall devant les villageois, à la grande surprise des guerriers, qu’il paralysa, et sa voix résonna :
« Allez vous-en, guerriers, vous n’avez rien à faire ici, cette terre est sous ma protection ! »
Leur chef eut tout de même le courage de répliquer :
« Nous ne partirons pas d’ici sans avoir vu le chevalier d’or du Bélier, il doit revenir au Sanctuaire, ordre du Grand Pope… »
Mû se doutait de cela, aussi répliqua-t-il calmement, toujours sans se montrer :
« Je suis le chevalier d’or du Bélier, et je ne reviendrai que lorsque ma mission ici sera terminée. Vous rapporterez mes paroles au Grand Pope… »
Il y avait une autorité naturelle dans sa voix, il avait enfin compris plus ou moins pourquoi ses pouvoirs s’étaient affolés. Il sentit clairement quelque chose, ou quelqu’un, prendre contact avec son cosmos, et une voix lui dit en langue atlante :
« Mû, Bélier d’or, tu es désormais prêt pour assumer ton rôle de protecteur de cette terre de Jamir, notre fief immémorial, comme nous l’avons fait avant toi… »
Mû sentit ses pouvoirs se mêler à son cosmos et grandir de façon exponentielle avant de se répandre jusqu’aux confins de la terre de Jamir. La voix reprit :
« Ainsi es-tu consacré, Mû, ton pouvoir imprègne désormais cette terre, puisses-tu désormais la protéger de toutes tes forces… »
La voix s’évanouit, et Mû sentit ses pouvoirs revenir à la normale alors qu’il découvrait que son armure l’avait recouvert. Tout cela n’avait duré que quelques secondes, et il libéra les guerriers avant de dire :
« Retournez en Grèce, à présent, et ne revenez plus ici… »
Les guerriers, libérés de l’emprise psychique de l’enfant, détalèrent sans demander leur reste sous le regard médusé des habitants. Le plus vieux, le chef du village dit alors :
« Notre…notre protecteur est revenu, mes amis… »
Le vieil homme tremblait d’émotion, et Mû, ému lui aussi, se rendit visible avant de s’avancer vers lui sous les regards étonnés mais plein de révérence des villageois qui s’agenouillèrent. Ils ne s’attendaient probablement pas à voir arriver un enfant de dix ans, revêtu d’une armure éblouissante. L’existence d’un protecteur de Jamir n’était qu’une sorte de légende jusque-là, bien que les générations précédentes eussent rencontré Shion voici bien longtemps. Tous ces gens vivaient depuis des siècles à l’ombre de la pagode qui les avait toujours protégés, se transmettant de générations en générations l’existence de ces mystérieux protecteurs à la peau blanche et aux pouvoirs étranges. L’aura qui entourait encore le petit atlante prouvait s’il en était besoin qu’il en faisait partie. La bienveillance de l’aura de l’enfant put être ressentie par les personnes présentes, et il dit en tendant la main vers le vieux chef :
« Relevez-vous, s’il vous plaît … »
Il avait parlé en Tibétain, et avait pris la main du vieil homme, qui sentit une énergie bienfaisante se répandre dans tout son corps. Nul doute, cet enfant était bien leur protecteur…
Les paillettes d’or qui ornaient le regard de Mû s’éclairèrent, et il leur dit :
« Je vous protègerai désormais, comme mes ancêtres l’ont toujours fait… »
Le vieil homme sourit à l’enfant et lui répondit :
« Soyez remercié, ô enfant divin béni des dieux… »
Mû inclina doucement la tête et dit :
« Je ne suis pas divin, je suis un humain, tout comme vous, mais merci, que les dieux vous bénissent également … »
Il sourit et se dirigea vers le chemin de terre pour regagner sa pagode. Ces gens l’avaient touché, mais il n’était pas décidé à être révéré comme un dieu, ayant conscience qu’il n’était somme toute qu’un humain guère différent de ces gens. Ce qui faisait la différence, c’était ses pouvoirs, et c’étaient eux qui lui donnaient le devoir de protection envers ces gens plus faibles que lui. Son maître lui avait toujours enseigné que son devoir de chevalier d’or, en plus de protéger sa déesse, était de respecter la justice et de protéger les plus faibles…
Il pouvait se téléporter, mais il préféra marcher, désireux d’analyser ce qui venait de lui arriver. En fait, c’était là le signe que ses ancêtres lui avaient envoyé pour lui dire qu’il était prêt à assumer son rôle de protecteur de la terre de Jamir, que ses pouvoirs, ainsi que son corps et son mental, avaient suffisamment évolué pour cela. Il avait fallu attendre qu’il soit assez fort physiquement pour supporter la surcharge de pouvoirs mentaux que cela occasionnait, et la voix qui lui avait parlé dans sa langue maternelle n’était autre que celle des ses ancêtres réunis…
Il renvoya son armure dans sa pandora box et se téléporta à l’intérieur. Demetrios, Anardil et Egesh l’attendaient, une sombre inquiétude était inscrite sur leurs visages. Ils s’aperçurent immédiatement que l’enfant semblait mieux, que son regard était de nouveau normal, et Demetrios dit :
« Il s’est passé quelque chose, maître, votre aura a changé, elle imprègne toute la région à présent… »
Mû tourna la tête vers lui et répondit :
« Oui, je suis désormais le protecteur de cette terre, mes prédécesseurs m’ont consacré comme tel, c’était pour cette raison que mes pouvoirs avaient changé… »
Anardil hocha la tête :
« Il est dit dans les textes que le protecteur de Jamir apparaîtra tous les deux cents ans, et qu’il aura dans les veines le sang princier de notre peuple, c’est votre cas, maître…la prophétie est exacte, une fois de plus… »
Mû savait depuis longtemps qu’il avait du sang princier, mais il n’en avait jamais tiré avantage et ne se considérait pas plus intelligent parce qu’il avait du sang bleu.
Egesh sourit, mais ne répondit rien. Dans cet enfant encore en plein développement, il lui semblait revoir Shion, et il était extrêmement ému. Mû, en grandissant, se mettait à ressembler de plus en plus à son père aussi bien au niveau physique qu’au niveau du caractère.  
Egesh finit par dire :
« Vous devez vous reposer, maître, et vous restaurer, tout ceci vous a demandé beaucoup de forces… »
Demetrios se mit immédiatement aux fourneaux, et Anardil dit :
« Je vous apporterai votre collation dans votre chambre, maître… »
L’enfant, sentant qu’il n’aurait pas le dessus sur ses serviteurs s’il protestait, acquiesça et se téléporta dans sa chambre. Il s’assit sur le tapis de laine qui se trouvait à côté de son lit et regarda autour de lui, comme si ce décor familier avait subitement changé. Non, ce n’était pas le décor, c’était lui qui avait changé au fond de lui-même, et il s’en rendait confusément compte. Il ne comprenait pas tout tous les tenants et les aboutissants de ce qui venait d’arriver mais comptait bien les découvrir avec le temps, après tout il n’avait encore que dix ans. Cependant, ce dont il était sûr, c’est que l’épreuve l’avait fait grandir aussi bien physiquement que moralement, en le faisant considérer le monde qui l’entourait autrement, ainsi que se considérer lui-même différemment. Il venait de faire là le premier pas vers l’inconnu, vers tout ce que son maître n’avait pas eu le temps de lui apprendre, et il avait besoin de mettre au clair tout cela. Cependant, il avait oublié une seule chose : les épreuves subies par son petit corps en pleine croissance forcé de retenir des pouvoirs énormes…
Anardil, arrivant avec le repas du petit garçon une demi-heure plus tard, le trouva profondément endormi, le haut du corps posé sur son lit et sa tête sur ses bras repliés. Le serviteur atlante sourit et, avec précautions, le mit dans son lit avant de le border soigneusement et de tirer doucement les rideaux. Puis il redescendit à l’étage et dit aux autres :
« Il dort, c’est normal, tout cela l’a épuisé… »
Egesh hocha la tête aux paroles de son fils, et tous deux échangèrent un regard entendu que perçut Demetrios sans en comprendre la teneur. D’autres épreuves attendaient sans aucun doute le petit atlante pendant son adolescence, mais il percevait au moins une chose : ils seraient là pour l’aider…

Rozan, 10 février 1976

Dohko avait ressenti l’évolution des pouvoirs de Mû, et, bien qu’il fût inquiet pour sa santé, il savait que c’était le bon moment pour que cela se produise. Cela s’était également déroulé à l’époque où Shion n’était qu’un enfant de dix ans, peu de temps après son initiation, mais, vu que Mû avait passé son épreuve plus tôt, il était normal qu’il ait eu besoin de plus de temps pour être prêt, ne fût-ce que physiquement. Plus il grandirait, plus son contrôle là-dessus serait parfait.
Le regard vert de Dohko se perdit dans la cascade, ne voyant plus qu’elle et il en oublia les bruits familiers de la maison où Ah Neng, la gouvernante chinoise, débarbouillait la petite Shunrei qui protestait vigoureusement de toute la force de ses jeunes poumons. Helena était partie quelques jours plus tôt, désireuse de retrouver les neiges éternelles de son enfance pour faire le point, et il devait bien s’avouer qu’elle lui manquait un peu, mais il avait franchement d’autres soucis pour vraiment s’en formaliser. Il devait être le gardien de ce qui devrait être, mais ce rôle qu’il portait seul depuis quelques années maintenant lui demandait énormément et il n’était parfois plus sûr d’avoir assez d’énergie ou de courage pour encore le supporter. Quoi qu’il en soit, par son rôle de chevalier d’or de la Balance, point de pivot de l’ordre, il se devait toujours d’être égal et sage, parce que c’était ce qu’on attendait de lui, et régler tout seul ses états d’âme. Il était normal de ressentir un peu de lassitude après deux cents ans de veille, mais ce n’était pas encore le moment de déposer son fardeau sur les épaules de la nouvelle génération, dont Mû faisait partie. Cela lui fit réaliser plus durement à quel point il était seul maintenant, seul depuis la mort de Shion, depuis le départ de Mû, celui d’Helena. Tous avaient besoin de faire le point, et il ne pouvait les blâmer, beaucoup de choses étaient arrivées et ils avaient besoin de les assimiler pour ensuite en ressortir plus forts. C’était le cas des autres grands maîtres aussi, mais tous se retrouveraient autour de la jeune déesse dans dix ans, là où était leur place…
Le chevalier d’or eut un léger soupir, et se replongea dans sa méditative surveillance…

Jamir, 3 avril 1976

Mû s’entraînait dehors lorsqu’il ressentit quelque chose d’étrange. Quelques secondes plus tard, il entendit Demetrios hurler par la fenêtre :
« Maître ! Venez vite, Egesh a eu un malaise ! »
L’enfant se téléporta dans la pagode et courut à la chambre de son serviteur. Egesh était pâle et venait seulement de reprendre conscience. Dès qu’il vit l’enfant, il dit en essayant de se relever :
« Vous n’auriez pas dû vous déplacer pour moi, maître, ce n’est pas grave… »
L’enfant ne le laissa pas continuer :
« Restez allongé, vous devez vous reposer, vous en faites trop… »
Mais Mû sentait, avec ses pouvoirs particuliers que la force vitale du vieil homme était presque épuisée et que même ses pouvoirs de guérison ne pourraient le sauver. En effet, Egesh avait presque cent quatre vingt dix ans, ce n’était pas un âge canonique pour un atlante de sang pur mais toutes ces années à servir Shion et prendre soin de la pagode en son absence l’avaient épuisé. Ni Mû ni son père ne l’avaient d’ailleurs considéré autrement que comme un ami et non un serviteur.
Son regard s’éteignit et il dit à Anardil :
« Va demander à Demetrios de chauffer du lait et d’y ajouter du miel et des herbes, il sait lesquelles… »
L’atlante dit alors :
« Vous ne pouvez pas le guérir, maître ? Pourquoi a-t-il eu un malaise ? »
Mais ce fut Egesh qui répondit :
« Maître Mû, aussi puissant soit-il, ne peut aller contre l’ordre des choses et du temps, mon fils… »
Anardil jeta un regard éperdu à son père avant de sortir. Egesh se tourna alors vers Mû :
« Mon temps sur cette terre est presque épuisé, maître, je vois à votre regard que j’ai raison, même avec vos pouvoirs vous ne pouvez soigner la vieillesse… »
Mû, extrêmement ému, ne put répondre tout de suite mais finit par dire :
« Je…je n’arrive pas à me faire à cette idée, vous avez toujours pris soin de moi, avez toujours été près de moi depuis que je suis arrivé ici… »
Pour lui, Egesh ne pouvait être qu’éternel, il n’avait pas une seule fois pensé au fait qu’il était mortel, et voici que cette réalité le rattrapait, provoquant chez lui une réaction de panique…
Les traits d’Egesh s’adoucirent et il dit à l’enfant :
« C’est simplement un passage vers autre chose, maître, vous ne devez pas en avoir peur. De là-bas, je serai toujours auprès de vous… »
Des larmes apparurent dans les yeux violets de l’enfant, mais il les retint courageusement car il ne voulait pas troubler la sérénité du vieux serviteur. Anardil revint, et aida son père à boire le lait dans lequel Mû avait fait mettre des herbes destinées à soulager la douleur du vieil homme. S’il devait partir, alors qu’il ne partît pas en souffrant…
Egesh regarda son fils et lui dit :
« Mon fils, je te confie notre jeune maître, je sais que tu le serviras avec honneur. Quand je ne serai plus, tu liras ce que j’ai laissé à ton attention dans ma table de nuit, c’est très important… »
En effet, il devait laisser son fils dépositaire du secret qui concernait le jeune chevalier d’or pour qu’il puisse aider Mû le moment venu. Anardil devrait aussi guider le petit atlante vers l’âge adulte et finir de lui apprendre les traditions de son peuple.
Mû remit en place les oreillers dans le dos du vieil homme et lui dit :
« Reposez-vous maintenant, ne vous épuisez plus à parler… »
Il ferma les yeux, et Mû s’assit près de son lit, lui tenant la main. Il dit à Anardil :
« Restez avec lui vous aussi, si vous voulez… »
L’horrible attente commença alors, suspendue à la respiration légère du vieil homme. Demetrios s’occupait de la maison, cuisinait pour les deux atlantes et préparait les tisanes que Mû avait ordonné qu’on fît ingérer à Egesh à intervalles réguliers. C’était Anardil qui se chargeait de les apporter à l’étage d’où Mû refusait de bouger, voulant rester auprès d’Egesh jusqu’au bout. Le regard du petit garçon ne quittait pas le visage du vieil atlante, espérant qu’un miracle se produirait, n’importe quoi, même si sa raison lui disait qu’il n’y avait plus rien à faire pour lui. Egesh se réveillait de temps en temps, mais ce temps allait de plus en plus en s’amenuisant et Mû ainsi qu’Anardil savaient que l’échéance était proche…
Le vieux serviteur vécut encore ainsi quatre jours. A l’aube du cinquième jour, alors qu’Anardil, Demetrios et Mû se trouvaient à son chevet, il ouvrit les yeux et dit, deux larmes dévalant lentement ses joues :
« Soyez bénis… »
Et sa respiration s’arrêta pour toujours, alors qu’une expression de sérénité se répandait sur son visage car il avait enfin retrouvé celui qu’il avait toujours servi. Anardil joignit les mains de son père sur sa poitrine et lui ferma les yeux alors que Mû, n’en pouvant plus, éclatait en sanglots.
Demetrios s’agenouilla devant lui, et le prit dans ses bras malgré sa propre peine. Quand Mû se fut calmé un peu, il s’éloigna de lui et, faisant son devoir, prononça la bénédiction atlante des morts sans en omettre un seul mot avant de dire :
« Il était le meilleur des hommes et des serviteurs. Que la porte de Yomi s’ouvre devant lui et qu’il vive éternellement… »
Il sortit et revint avec un rosaire en bois qui avait appartenu à Shion, le lui entortilla autour des mains respectueusement avant de dire :
« Qu’ainsi son maître le reconnaisse et l’accueille auprès de lui pour l’éternité… »
Anardil le regarda et lui dit, digne:
« Soyez béni pour votre générosité, maître… »
Et ses larmes, qu’il ne pouvait plus retenir, coulèrent librement alors qu’il s’inclinait en signe de respect devant son jeune maître…

A SUIVRE