At last, le chapitre 19, écrit en partie dans le métro parisien…
Merci à Yotma, ma bêta lectrice, qui m’a aidée par sa présence et ses remarques judicieuses, à Megumichan, qui continue à me publier sans faillir, à Alaiya, dont les reviews éclairées sont un vrai plaisir…

 

Chapitre 19 : Le fil du temps

 

« Crois-tu que tout se résume
Au sel d'entre nos doigts
Quand plus léger qu'une plume
Tu peux guider tes pas
Sans tristesse ni amertume
Avancer, avance puisque tout s'en va tout s'en va… »

Calogero, Yalla

Jamir, 12 avril 1978

Mû, qui venait d’avoir douze ans très récemment, était assis non loin du bord du précipice, occupé à méditer. Il avait beaucoup grandi, et Demetrios avait été obligé de mettre à sa taille quelques-unes des anciennes tuniques de son maître, ainsi que des pantalons. Lui qui était déjà peu disert avant le décès d’Egesh l’était encore moins, comme retiré dans son monde intérieur, ce qui ne laissait pas d’inquiéter les deux serviteurs.
Ayant perdu les rondeurs de l’enfance, Mû prenait sa conformation d’atlante longiligne, aux attaches fines, mais à la constitution solide qui lui permettait de résister aux contraintes extrêmes du climat. Il ne faisait aucun doute qu’il serait grand et fin, comme l’avait été son père et tous ses ancêtres.
Demetrios, occupé dans la cuisine à préparer une collation, se faisait parfois la réflexion, très paternelle quelque part, qu’il l’avait à peine vu grandir. Sa croissance avait commencé d’un coup, l’année précédente, et elle continuait par paliers. S’il continuait ainsi, il dépasserait bientôt Anardil, pourtant proche du mètre quatre vingt cinq.
Mû ouvrit les yeux, et regarda les lambeaux de brume s’effilocher sur les montagnes couvertes de neige. Ce spectacle lui était familier mais il le regardait toujours avec la même curiosité, même s’il se sentait changer profondément ces temps derniers. C’était comme s’il portait sur lui-même un regard étranger lorsqu’il se regardait le matin dans le miroir, assez dérangeant comme sensation mais qu’il estimait normale au vu de son âge actuel. Il devait d’abord faire la paix avec lui-même, aussi avait-il décidé de méditer pour y arriver.
Il se leva, et se dirigea à pas lents vers la pagode. Cet endroit était le seul au monde où il se sentît parfaitement en sécurité, et il en sortait assez peu désormais, sauf pour se rendre à intervalles réguliers au village pour y parler avec le chef et partager une tasse de thé avec lui. Il avait pensé un instant retourner à Rozan, Dohko lui manquait, mais il savait que ses treize ans approchaient, et avec eux les cérémonies y afférant, auxquelles il devait se préparer. Il avait gardé soigneusement dans sa chambre le parchemin donné par Shion autrefois, il le donnerait bientôt à Anardil, comme son maître le lui avait demandé voici de longues années. Ce moment n’était éloigné que de cinq ans, mais il lui semblait que c’était dans une autre vie, cette vie heureuse qu’avait été son enfance, malgré la difficulté de son entraînement. Le mal avait frappé, avait même tenté d’assassiner la déesse qu’ils avaient le devoir de protéger, et, même encore maintenant, Mû se demandait ce qui s’était passé pour qu’il se produise une chose pareille. Shion lui avait appris que les dieux, parfois, se jouaient des humains sans que ceux-ci puissent comprendre pourquoi, mais l’explication ne satisfaisait pas Mû entièrement.
Quand il revint à la pagode, Demetrios déposait sur la table basse la collation qu’il avait préparée pour lui. Mû lui sourit et lui dit :
« Je t’avais dit que je pouvais la préparer tout seul, tu dois te reposer… »
En effet, le serviteur venait d’avoir une sévère bronchite et était encore en convalescence. Mû l’avait soigné avec l’aide d’Anardil pendant des semaines. Il était vrai que le climat difficile de cette partie du monde posait quelques problèmes à Demetrios à cause de son problème de poumon, mais il supportait tout cela avec courage pour prendre soin de son jeune maître. Ledit jeune maître, s’il continuait, serait bientôt plus grand que lui, ce qui était normal pour un atlante.
Mû prit son bol en main et commença à manger sa compote d’un air absent, alors Demetrios lui dit :
« Excusez ma témérité, maître, mais je suis inquiet pour vous… »
Mû eut un léger sourire :
« Je vais très bien, Demetrios, tu n’as pas à t’inquiéter. Je ne suis pas encore sujet aux affres de l’adolescence… »
Le jeune atlante avait dit cela sur un ton ironique, mais, pour la première fois depuis des mois, ce n’était pas une façade. Son regard violet pétillait légèrement, preuve de la plaisanterie.
Demetrios, bien qu’il ait été autrefois un apprenti chevalier, ignorait de grandes parties de l’histoire, mais il plaignait sincèrement son jeune maître d’être affligé d’un destin si triste.
Mû sourit à Demetrios :
« Tu t’inquiètes trop, Demetrios. Nous sommes en sécurité ici, nous allons tous bien, et c’est l’essentiel je crois, non ? »
A force de lire des textes sacrés, il semblait que leur antique sagesse déteignît sur le jeune chevalier d’or. Mû avait cependant toujours eu un caractère posé, et eût été un excellent intellectuel comme sa mère si son destin n’en avait pas décidé autrement. A l’âge où ses semblables, affligés d’acné, se rebellaient contre la société de leurs parents, lui n’en avait pas vraiment ressenti le besoin. Bien sûr, la mort dramatique de son maître et la prise de pouvoir du mal sur le Sanctuaire lui inspiraient encore parfois un sentiment de révolte, mais il savait qu’il fallait en passer par là pour en arriver au moment où la déesse, enfin, y reviendrait. Il n’était pas fataliste, mais savait que les choses devaient se dérouler ainsi, et lui rester en dehors du jeu jusqu’au moment où le temps serait venu pour lui d’y rentrer à nouveau. Il se souciait parfois de ses pairs qui ignoraient tout de la situation, et, bien que Dohko lui ait dit de ne pas s’inquiéter pour eux, il se demandait s’ils allaient eux aussi devenir maléfiques.
Ses pouvoirs étaient de nouveau en pleine expansion à cause de sa croissance, et il pouvait ainsi sentir maintenant la surveillance qu’exerçait sur sa terre le Sanctuaire. Cependant, la pagode avait été si bien protégée depuis des siècles par ses prédécesseurs que personne ne pouvait voir ce qui se passait à l’intérieur sans l’autorisation du chevalier d’or en exercice. Mû se savait en sécurité mais savait aussi que celui qui avait réussi à abattre son maître disposait de grands pouvoirs, il restait donc sur ses gardes. De plus, il estimait que les vies de Demetrios et d’Anardil étaient sous sa responsabilité et ce bien que le premier eût été un ancien apprenti chevalier et le second fût un atlante doté de pouvoirs spéciaux et donc tous deux parfaitement capables de se défendre.
Il regarda son serviteur et lui dit :
« Je sais que tu penses que je suis fataliste, mais ce n’est pas le cas… »
Demetrios leva un sourcil, et Mû continua :
« Pour l’instant, je dois me tenir éloigné des événements, ne pas influer sur eux, mais ce n’est pas pour cela que je suis fataliste… »
Son regard se fit sérieux et il dit :
« Les années passent, et le moment où toute la vérité se fera jour approche, où je saurai qui a tué mon maître et où notre déesse reparaîtra au Sanctuaire… »
Demetrios lui donna une tasse de lait chaud et lui dit :
« La vérité finit toujours par triompher, quel que soit le temps qu’elle prend pour cela. La déesse ne laissera pas impunis tous ces meurtres… »
Mû leva un sourcil :
« Pour cela, il va falloir attendre qu’elle soit prête à assumer son rôle, elle n’a encore que six ans… »
Il ne fait aucun doute que Mû, s’il avait su que le bébé déesse adorable dont il se souvenait était devenu une petite peste maltraitant ses futurs défenseurs, eût désapprouvé son comportement, mais il n’en savait rien. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il restait encore un certain nombre d’années avant que la vérité n’éclate, et qu’il devait mettre à profit ce temps pour se préparer lui-même à intervenir quand le temps en serait venu. Après tout, il restait un chevalier d’or, un membre de l’élite, cela du moins ne pouvait lui être ôté. A ses yeux, son serment restait toujours valable, et il ferait ce qu’il faut pour l’honorer…

Asgard, 15 mai 1978

La tempête de neige faisait rage à l’extérieur, mais une douce chaleur régnait dans une maison plutôt cossue. Une servante se précipita dans l’escalier vers la porte qui s’ouvrait, et une silhouette couverte de neige entra, vêtue d’une long manteau à capuchon.
La servante protesta :
« Quelle idée d’aller vous promener dans la tempête, vous auriez pu vous perdre ou mourir de froid !!! »
Le capuchon s’abaissa, et le visage rougi mais souriant d’Helena apparut. Elle dit :
« Je connais la région comme ma poche, tu me fais le même reproche depuis que j’ai six ou sept ans…je suis grande maintenant, tu sais ! »
Elle secoua son manteau, qu’elle enleva et qu’elle suspendit à une patère. Elle apparut alors dans un pantalon collant et une tunique de laine de laquelle dépassait son médaillon d’argent. Elle enleva ses bottes de cuir et monta l’escalier avant de gagner le grand salon où elle s’assit devant le feu. Elle appréciait son séjour sur sa terre natale, cela lui permettait de prendre du recul et de réfléchir sainement. Voilà de nombreuses années qu’elle n’était pas revenue, ses tâches au Sanctuaire lui prenaient beaucoup de son temps, mais rien n’avait changé dans la vieille maison construite par un de ses ancêtres et qui supportait depuis toujours le climat extrême de cette terre gelée.
La vieille servante arriva, portant sur un plateau une tasse de lait chaud, et Helena lui sourit :
« Merci, nounou… »
La vieille servante l’avait quasiment élevée, et elle avait beaucoup d’affection pour elle. Elle lui dit en riant :
« Allons, cesse de me détailler ainsi, je vais bien, te dis-je… »
Mais elle savait très bien qu’elle ne pouvait pas totalement donner le change. Sa nourrice avait été horrifiée de voir les cicatrices qui couvraient son corps, mais c’était surtout son esprit qui avait besoin de repos. Toute cette blancheur ambiante l’apaisait, lui donnant la paix de l’esprit qu’elle n’avait plus eu depuis ce jour funeste où elle s’était enfuie du Sanctuaire. Même vivre à Rozan ne lui avait pas rendu cette paix, les événements étaient trop proches et, malgré la sollicitude et la gentillesse du Vieux Maître, d’Ah Neng et l’affection que lui portaient la petite Shunrei et le jeune Mû, il lui avait fallu faire un retour aux sources, à ces paysages glacés qu’elle connaissait si bien et qui représentaient son idée de la perfection. Voilà quasiment trois ans qu’elle était revenue chez elle, et elle se sentait bien mieux. Les souvenirs sanglants étaient encore présents, mais elle pouvait maintenant vivre avec sans faire de cauchemars.
Ses parents avaient bien espéré qu’elle reviendrait enfin, mais elle avait dit que sa mission n’était pas finie, qu’elle n’était là que temporairement. Au moins, les sbires du Sanctuaire qui la cherchaient ne viendraient pas la déranger dans sa retraite glacée, personne ne connaissait l’existence de cette petite maison retirée, qui appartenait à ses parents et qui se trouvait dans la région la plus déserte du royaume glacé. Personne n’aurait pu se douter qu’elle se trouvait là, et la protection d’Odin sur le royaume empêcherait le Sanctuaire d’y intervenir. Elle avait refusé de vivre dans la résidence principale de ses parents, ne voulant pas les mettre en danger, et se trouvait parfaitement heureuse dans cette demeure coupée du monde où seule sa vieille nourrice l’avait accompagnée. Elle vivait là en quasi ermite, comme ses collègues, à la différence près qu’elle n’était pas obligée de chercher sa subsistance.
C’était l’endroit idéal pour se reconstruire, elle ne retournerait à Rozan que lorsqu’elle serait sûre d’être à nouveau elle-même et prête à accomplir sa mission…
Lentement, la jeune femme s’approcha de la fenêtre et regarda pensivement tomber la neige dans laquelle jouait le vent, formant de grands tourbillons, avant de se demander quand, enfin, ses démons intérieurs la laisseraient en paix…

Le Sanctuaire, 19 juillet 1978

L’aube n’était pas encore levée, et Saga, en proie à ses cauchemars, se tordait dans son lit, ses deux personnalités luttant une fois de plus l’une contre l’autre. Pourtant, quelque chose le fit sortir du sommeil, une présence dans sa chambre. Comment cela se pouvait-il, vu que les serviteurs n’y étaient pas admis lorsqu’il s’y trouvait ?
Quand il se redressa, une voix familière lui dit :
« Tu en as mis du temps… »
Une armure d’or, sortant de l’ombre, vint accrocher les derniers rayons de la lune, portée par Deathmask. Le Cancer arborait son air narquois, les bras croisés.
Saga ne put que demander :
« Comment ? »
Le Cancer répondit :
« Comment je sais, tu veux dire ? Contrairement aux autres bêtas qui composent l’ordre, je sais additionner deux et deux… »
Saga jeta un regard éperdu à son ancien pair alors qu’il sentait sa partie mauvaise reprendre le dessus. Il parvint tout de même à dire dans un sursaut de normalité :
« Ce n’est absolument pas ce que tu crois…laisse-moi t’expliquer… »
Le Cancer éclata d’un rire mauvais :
« M’expliquer quoi ? Que tu as liquidé proprement le vieux et que tu as pris sa place ? Ta belle façade de bonté était bien imitée ! »
Saga se sentit couler, cette sensation qu’il détestait, où le mal prenait prise sur lui. Ses cheveux changèrent de couleur, et, d’une voix méconnaissable, il dit au Cancer :
« J’aurais dû me douter qu’un être aussi malin que toi comprendrait. Que veux-tu, Cancer ? Je pourrais te tuer pour avoir osé me réveiller en pleine nuit ! »
Ses yeux rouges flamboyèrent, et il se leva de son lit, déployant sa haute taille et sa splendide nudité. Il s’approcha lentement de Deathmask, le dépassant de plus d’une tête, mais le Cancer n’en parut ni dérangé, ni effrayé et se contenta de le regarder sans rien dire, non étonné de cette transformation. Il s’adossa même contre le lit, montrant par là qu’il était parfaitement à l’aise, et se permit un sourire amusé.
Saga reprit :
« Si tu savais, tu aurais pu me dénoncer auprès des autres, pourquoi n’en as-tu rien fait ? »
Deathmask eut un sourire en coin :
« Parce que je crois en la force, pas en la justice dont on nous rebat les oreilles. Tu t’es montré le plus puissant, ça légitime ton pouvoir et cela me convient… »
Le Cancer était très intelligent et logique, mais cela en quelque sorte était à l’image de son état mental, unique et redoutable.
Saga gris rugit alors :
« Laisse-moi, toi !!! »
Le Cancer sentit alors cette aura maléfique qui s’exhalait de lui, et comprit immédiatement la cause de cette crise. Cependant, il ne fit rien pour aider son pair en prise à sa double personnalité qui servait ses desseins.
Saga gris reprit le contrôle du chevalier d’or et dit :
« Je connais tes conceptions plutôt brutales de la justice, Cancer, et je crois qu’on peut s’entendre… »
Le regard bleu du Cancer plongea dans celui, écarlate, de Saga et dit :
« Oui, on peut s’entendre, et je te renouvelle mon allégeance… »
Voilà, tout était dit, mais Saga gris pensa, dans un sursaut de lucidité, qu’il n’aurait pas meilleur soutien que le cruel Cancer…

Jamir, 25 octobre 1978

Anardil faisait inlassablement répéter à Mû les mots codifiés depuis des siècles qui seraient dits lors de sa cérémonie de passage à l’âge adulte et qu’il devait apprendre par cœur. Il y en avait plusieurs pages, en Haut Atlante, que Mû ânonnait parce qu’il ne le lisait pas encore très bien. Les caractères alambiqués et enroulés de la version archaïque de sa langue maternelle étaient plus difficiles à lire, mais il y mettait une sérieuse bonne volonté et Anardil, patiemment, l’aidait à s’approprier cette langue difficile.
Les rites atlantes étaient compliqués, mais Mû tenait à les suivre jusqu’au bout. C’était une façon pour lui d’assumer pleinement son héritage atlante, ce qu’il était par naissance et qui composait tout de même une grande partie de son identité.
Anardil, patiemment, aidait son jeune maître à se préparer pour la cérémonie. Celle-ci avait été soigneusement codifiée par les soins de Shion selon la tradition, c’était cela que contenait le parchemin remis à Mû peu avant sa mort. Celui-ci l’avait donné à Anardil quelques mois plus tôt, et le serviteur avait immédiatement commencé à travailler avec son jeune maître pour les préparatifs de cette cérémonie qui aurait lieu à Shambhala sitôt les treize ans de Mû passés. Le serviteur accompagnerait alors son jeune maître jusqu’à la lamaserie atlante et un religieux choisi par Shion, le vénérable Alcarin, organiserait la cérémonie. Anardil l’avait contacté, et le religieux avait répondu par l’affirmative, il s’occuperait de tout comme Shion le lui avait demandé bien des années auparavant. C’était d’autant plus important que Mû était de souche noble et que cette cérémonie, le considérant adulte, le mettrait officiellement à la tête de sa famille. Il ignorait totalement qu’en fait Eildecar était Shion, et Anardil aussi bien qu’Alcarin avaient respecté le souhait posthume de l’ancien chevalier d’or.
Mû avait découvert avec étonnement qu’il possédait quatre prénoms, et non deux comme il avait toujours pensé. Il avait dû apprendre les noms de ses ancêtres sur cinq générations, aussi bien du côté des Alcarindë, la famille de son père, que des Aulendilë, la famille de sa mère. L’énumération de ses ancêtres faisait partie de la cérémonie, qui durerait plusieurs heures.
Vu la difficulté, Mû y mettait une singulière bonne volonté qui forçait une fois de plus le respect d’Anardil. Comme toutes les choses qu’il faisait, il apprenait consciencieusement ce qu’il devait réciter et se préparait à cette étape importante de sa vie avec le courage et la ténacité qu’il avait toujours montrés.
Bien que sa famille soit destinée depuis toujours à servir les chevaliers d’or du Bélier, Anardil avait reçu une excellente éducation et connaissait très bien les rites traditionnels atlantes. Il tiendrait le rôle du parrain de Mû lors de la cérémonie car, au vu des circonstances tristes de sa naissance, Mû n’avait été qu’ondoyé et on n’avait pas fait les rites atlantes de naissance pour lui. Egesh avait joué ce rôle jusque-là mais, depuis son décès, cela était échu à son fils.
Penché sur le parchemin, Mû lisait les textes en essayant de les mémoriser. Anardil le corrigeait de temps à autre sur la prononciation, mais se montrait satisfait. Cela ne l’étonnait guère de voir son jeune maître se donner tellement à fond dans cet apprentissage, il l’avait toujours connu consciencieux et se disait à part lui-même que son père avait bien su lui transmettre l’amour du travail bien fait.
Mû leva alors le regard de son parchemin, et regarda Anardil avant de dire :
« J’espère que, de là où il est, Egesh me regarde avec mes parents et qu’ils sont fiers de moi… »
Cette phrase émut le serviteur, qui répondit :
« Il n’y a aucun doute à ce propos, maître… »
Le regard vert d’Anardil se voila quelque peu, mais il ne put s’empêcher de poser une main sur la tête de l’adolescent et de dire :
« Que Bouddha vous bénisse, maître… »
Mû sourit et répondit :
« Qu’il te bénisse également pour tout ce que tu fais pour moi, pour ta patience à mon égard… »
Il roula le parchemin, et récita parfaitement la dernière page qu’il venait de lire, en se trompant néanmoins sur quelques syllabes un peu diphtongues. Il fit une grimace à la fin de sa lecture :
« Je me suis encore trompé… »
Avec un léger sourire, Anardil lui désigna les signes qui posaient problème et Mû répéta les phrases sans aucune erreur cette fois. Il dit :
« Je ne tiens pas à ce que les familles Aulendilë et Alcarindë soient couvertes de honte parce que je serai incapable de dire cela correctement… »
Anardil ne répondit rien mais pensa à part lui que ces deux illustres familles n’auraient pu avoir plus digne rejeton…

Sanctuaire, 18 novembre 1978

Shura, le jeune Capricorne, vérifiait ligne par ligne le bilan comptable de l’année qu’on venait de lui apporter. Par tradition et différemment à ce qui se faisait dans le reste du monde, on clôturait l’exercice comptable au 30 novembre, et il était de sa responsabilité de vérifier point par point le résultat de l’exercice et les bilans avant qu’ils soient soumis à ses pairs lors de la prochaine réunion et ensuite transmis au Grand Pope.
Il releva la tête, se massa la nuque et regarda par la fenêtre. Il n’en faisait pas état, mais il commençait à se poser des questions sur le Grand Pope, il avait l’impression qu’il avait changé du tout au tout depuis l’époque où lui-même était arrivé au Sanctuaire, ce n’était plus le même homme. De plus en plus, il s’entourait d’arrivistes, d’hommes sans compétences qui ne devaient leur nomination qu’à leur dévotion envers lui, et cela questionnait de plus en plus le jeune chevalier d’or. Que pouvait-il bien se passer ?

A SUIVRE