Le voilà enfin ce chapitre 22 ! Merci à Yotma, ma précieuse bêta lectrice, qui l’a soigneusement relu en avant-première. Merci aussi à Alaiya, dont le soutien ne se dément jamais malgré mes doutes, à Mégumichan qui héberge cette fic et dont le site est devenu incontournable pour les auteurs et les lecteurs, à Corinne qui me soutient elle aussi et qui fait de magnifiques illustrations ainsi qu’à tous mes amis et collègues modérateurs du forum GoldSaint-Sanctuary.

 

Chapitre 22 : Nouvelles étapes

 

Jamir, 23 juin 1981

Mû, assis dans un fauteuil, était occupé à lire une lettre envoyée par Helena depuis Rozan. Derrière lui, Demetrios préparait le repas de midi sur le foyer pendant qu’Anardil était à l’étage et refaisait les lits. Une journée classique dans la pagode sur laquelle le soleil brillait. Cependant, à l’altitude à laquelle elle se trouvait, il ne faisait jamais chaud et les trois hommes portaient encore des tuniques de laine malgré l’époque de l’année. Mû en portait certaines qui avaient appartenu à son père mais il était plus mince que lui au même âge et Anardil avait dû les reprendre. A quinze ans maintenant, il avait désormais sa taille adulte, un peu plus d’un mètre quatre vingt, mais avait forci des épaules parce qu’il continuait à entretenir ses muscles. Il était peu disert, comme à son habitude, riait peu et son regard violet était désormais grave et sérieux en permanence. Tranquillement, dans son refuge hors du monde, le chevalier d’or atlante attendait son heure en restant en communication régulière avec Dohko. L’attente ne serait plus longue à présent, moins de cinq ans. Dohko lui parlait parfois de son élève, Shiryu, qu’il trouvait encore un peu impatient mais avec un énorme potentiel, et Mû songeait avec nostalgie qu’il s’agissait là de la nouvelle génération, celle qui suivrait la sienne. Et pourtant, il savait que ses pairs et lui avaient encore son rôle à jouer auprès de leur déesse et que lui tiendrait le sien en temps voulu.
Il replia la lettre et laissa son regard errer par-delà la fenêtre, sur le paysage himalayen des neiges éternelles dont les contreforts descendaient vers l’Inde. C’était le lieu de ses pères, l’endroit où il se sentait le mieux et où, bientôt, il devrait former son apprenti. Les étoiles avaient été formelles, et son pouvoir de prémonition devenait de plus en plus clair sur ce point. Ces temps derniers, il s’aiguisait davantage mais sans être encore très précis. Ce pouvoir n’était pas né avec lui, il n’était apparu que plus tard et se manifestait un peu à sa guise, mais il devient bien admettre que c’était souvent à bon escient. C’était pour cela qu’il avait décidé d’accompagner Demetrios à Gyantsé, où celui-ci allait acheter du ravitaillement car non seulement son ancienne nourrice se mourait et il voulait la revoir mais encore il savait que quelque chose l’attendait là-bas sans savoir bien quoi. Demetrios n’avait même pas sourcillé lorsqu’il lui avait annoncé qu’il l’accompagnerait, son jeune maître avait ses raisons et il savait qu’elles étaient souvent liées à ses pouvoirs.
Il n’eut pas le temps de penser davantage car Demetrios lui annonça que le repas était prêt. Il achevait de faire bouillir le thé au beurre mais le riz originaire des contreforts de l’Inde était déjà prêt et fumait dans les bols de terre cuite. Demetrios lui tendit l’un des trois bols et Mû attrapa une paire de baguettes pour manger son repas alors qu’Anardil, chargé de draps sales, se téléportait dans la pièce. Il les déposa sur le sol et, attiré par la bonne odeur, vint s’asseoir auprès de son jeune maître.
Demetrios s’assit en dernier et demanda :
« Vous êtes sûr que vous voulez venir avec moi à Gyantsé ? C’est un long voyage... »
Mû finit de mâcher son riz avant de répondre :
« Je dois y aller, je tiens à revoir Dolma avant qu’elle ne décède. Je ne l’ai pas revue depuis des années, mais c’est quand même elle qui m’a élevé pendant quatre ans et qui a aussi veillé sur ma mère alors qu’elle m’attendait. Je voudrais au moins une fois lui dire merci… »
Il y tenait vraiment, aussi Demetrios n’insista pas et mangea son bol de riz. Finalement, ce n’était pas si mal qu’il sorte un peu…
Après le repas, Mû monta dans sa chambre et prépara son petit sac de voyage. Il avait proposé  à Demetrios de les téléporter tous les deux là-bas mais celui-ci avait répondu qu’à cette époque de l’année, malgré la neige qui subsistait en certains endroits, la route serait agréable et que ce n’était donc pas nécessaire. Finalement, Mû était plutôt content de faire le voyage avec lui, c’était une bonne occasion de sortir de ses terres, même s’il savait que cela souciait Anardil de le savoir à l’extérieur, à la merci du Sanctuaire. Il s’en était ouvert à lui une fois, mais Mû lui avait répondu que, à moins d’envoyer un de ses pairs, il ne craignait rien des sbires du Sanctuaire. L’imposteur qui avait tué son père ne se serait jamais risqué à envoyer un autre chevalier d’or l’éliminer à cause de son statut spécial et surtout parce qu’il n’était en rien convaincu de trahison malgré les lettres qu’il recevait du Sanctuaire à intervalles réguliers lui demandant de revenir. Il répondait toujours qu’il avait des armures à réparer, ce qui était arrivé mais il n’en avait pas réparé depuis quelques années déjà.
Prenant en main le châle de cachemire, cadeau de son père, qui ne le quittait jamais, il le considéra pensivement. Il avait fini par comprendre et accepter les raisons de son père pour avoir agi ainsi grâce à l’aide d’Helena et de Dohko, mais certaines choses le gênaient encore. Il le plia et le rangea dans le sac, avec le moulin à prières au nom de sa mère. Ces deux souvenirs lui étaient très précieux, et ils l’étaient encore plus depuis qu’il connaissait la vérité. Parfois, il regardait son médaillon, offert par son père le jour de la réincarnation de la déesse, gravé à son signe de naissance qui était aussi celui dont il portait l’armure. Il était l’un des douze élus, mais il l’oubliait parfois, même s’il lui arrivait de penser à ses pairs restés au Sanctuaire dans l’ignorance de tous les événements…

Le Sanctuaire, 25 juin 1981

Le conseil des chevaliers d’or était agité en ce jour caniculaire. D’importantes décisions devaient être prises concernant la gestion des camps d’apprentis mais aucun n’était d’accord sur les réfections à faire, ni même sur le budget. Comme d’habitude, Deathmask n’accordait pas la moindre attention aux débats, se contentant de bailler aux corneilles. Près de lui, Shura examinait la comptabilité avec attention pendant qu’Aldébaran, désormais affligé d’une taille de plus de deux mètres, insistait sur le fait de refaire le toit des dortoirs pendant que Camus lui répondait froidement que c’était moins important que de nourrir correctement les apprentis, en rétorquant l’argument logique qu’il ne pleuvait jamais. Le Taureau d’or dominait les débats aussi bien de la voix que de la taille, ses estimés collègues ne faisant tous qu’autour d’un mètre quatre vingt. Aiolia, présent malgré ses réticences et la haine qu’il avait de ses pairs, essayait de donner son avis parce qu’il était responsable des camps d’entraînement mais Aldébaran, qui s’énervait de plus en plus, ne lui en laissait pas le loisir. Le Lion d’or se renfrognait donc de plus en plus dans son coin mais, enfin, Aldébaran finit par lui laisser la parole. Aiolia put alors expliquer son point de vue, et on en vint à décider de restaurer progressivement les toits pour ne pas grever le budget. Le dernier de la session à intervenir fut Milo, chargé des relations internationales, qui détailla les interventions effectuées par les chevaliers du Sanctuaire à la demande des grands du monde extérieur. Les chefs d’état du monde entier, face à des problèmes qu’ils ne maîtrisaient pas, faisaient régulièrement appel au Sanctuaire à qui en échange ils envoyaient régulièrement des apprentis présentant des aptitudes spéciales quand il en naissait sur leur territoire. Cependant, malgré cela, le Sanctuaire, pourtant non loin d’Athènes, restait ignoré du grand public tout en étant parfois l’arbitre de certains conflits internationaux à l’insu des gens « normaux ».
Les grands maîtres revenant à ce moment-là n’auraient plus reconnu leurs anciens élèves. Tous étaient maintenant des adolescents ayant de quinze à dix-huit ans, quasiment adultes et d’une taille respectable. Pourtant, on pouvait encore retrouver en chacun d’eux l’enfant qu’ils avaient été. Milo le vif-argent avait acquis un peu plus de contrôle sur lui-même, Shaka était toujours aussi ascétique, Camus aussi froid même s’il avait échangé désormais ses lunettes contre des lentilles plus pratiques. Quant à Aldébaran, pourvu à présent de son impressionnante taille adulte, il était respecté et craint par tous alors qu’il avait une personnalité douce et tendre. Shura, bien qu’ayant l’esprit contrôlé par Saga, n’avait pas l’air changé, mais le regard que lui lançait de temps à autre Aphrodite ne laissait aucune illusion. Tous maîtrisaient à présent à la perfection leurs attributions personnelles mais bien souvent les débats restaient houleux. Aucun chevalier d’or de la génération de Mû ne présentait pour l’instant le moindre soupçon concernant le Grand Pope, qu’ils continuaient à respecter comme si c’était encore Shion, ce qui faisait souvent rire Deathmask sous cape parce qu’il pensait qu’ils n’étaient vraiment que des moutons sans aucune jugeote puisqu’ils n’étaient même pas capables à leur âge de discerner l’aura de Saga. Le Cancer avait eu un sourire maléfique lorsqu’il s’était aperçu du traitement de choc qu’avait subi le cerveau du Capricorne mais cela ressemblait bien à l’idée très particulière qu’il se faisait de la justice : les faibles avaient tort et les forts devaient être soumis, quel que soit le moyen employé.
Le conseil se termina un peu plus tard, et les chevaliers d’or retournèrent vaquer à leurs occupations. Aiolia retourna chez lui sans adresser plus avant la parole à ses pairs et les chevaliers d’or se dispersèrent, certains allant au camp d’entraînement, d’autres conférant avec les chevaliers d’argent et d’autres enfin allant vaquer à leurs occupations personnelles…

Non loin de là, dans la salle du trône, Saga était une fois de plus en prise avec l’une de ces crises qui lui arrivaient de plus en plus. Désormais, sa partie bonne n’avait plus que de courtes manifestations mais qui ne parvenaient plus à faire le poids contre la noirceur de sa partie mauvaise. Une fois de plus, malgré la lutte de son alter ego, il redevint le Saga mauvais et partit d’un rire démoniaque et victorieux qui fut tranché net par une odeur qui flottait dans l’air, une odeur qu’il reconnut comme étant celle d’une rose.
« Sors d’ici !! », intima-t-il.
Aphrodite, vêtu d’une tunique et d’un pantalon de soie beige, sortit alors de l’ombre, une rose à la main :
« Je me demandais combien de temps tu mettrais à t’apercevoir que je suis là...Saga… », déclara-t-il tranquillement, comme à son habitude.
Saga eut un sourire sous son masque :
« J’aurais dû me douter que tu me percerais à jour, tu es plus intelligent que tu n’en as l’air…qu’as-tu l’intention de faire, chevalier d’or des Poissons ? »
Il y avait une menace masquée sous cette phrase mais Aphrodite n’eut pas un geste, pas un mouvement de cil. Visiblement, il ne le craignait pas mais cela ne se manifestait pas de la même façon que Deathmask qui était souvent trop sûr de lui-même. Aphrodite, lui, était redoutablement calme du haut de ses dix-sept ans et son regard vert n’exprimait rien, même pas de l’interrogation.
« Pour moi, celui qui détient la force détient forcément la justice et le pouvoir, que ce soit toi ou un autre. Je ne ferai rien et je ne reprendrai pas mon serment…quoi que tu aies fait du véritable Grand Pope… », répondit-il.
Sous des dehors délicats, Aphrodite cachait bien son jeu, se dit Saga. Avec son air de ne pas y toucher, ses yeux verts remarquaient tout, enregistraient tout. Il respira un instant le parfum de la rose qu’il tenait puis, alors qu’il se dirigeait vers la porte, se tourna vers Saga :
« Je crois en la force mais la justice divine, elle, peut se manifester sans prévenir… », dit-il simplement avant de sortir et de laisser Saga seul avec cette phrase sibylline…

Gyantsé, 26 juin 1981

Ce qui avait étonné le plus Mû à l’arrivée dans la cité, c’était le peu de monde qu’il y avait. Pourtant, Gyantsé était l’une des villes les plus importantes de la zone, placée stratégiquement dans la vallée du Nyang Chu et des anciennes routes commerciales de la vallée de Chumbi. De nombreux temples en avaient fait depuis des siècles l’une des villes étapes des pèlerins bouddhistes mais, désormais, peu d’entre eux tentaient encore le voyage. Demetrios lui avait expliqué à mi-mot et en grec que le déclin de la ville était dû à l’invasion chinoise. L’armée chinoise était d’ailleurs encore présente sur les lieux, comme en d’autres endroits du Tibet, et avait examiné leurs papiers. Mû, qui vivait plus ou moins hors du monde, était bien sûr au courant que son pays de naissance était sous domination chinoise mais il n’y pouvait pas grand’chose, ce qui le désolait.
Pendant que Demetrios s’occupait du logement et du ravitaillement, Mû était parti seul jusqu’à la maison où habitait encore Dolma, sa nourrice, et où il était né. Elle était à l’écart de la ville mais il la retrouva assez facilement en demandant son chemin. Il frappa, attendit un moment et quelqu’un vint lui ouvrir.
« Est-ce bien ici que Dolma Choeden vit ? »
La femme d’un certain âge fronça les sourcils puis finit par dire :
« Mais…tu n’es pas le petit garçon qu’elle a eu en nourrice après la mort de sa mère ? Il me semble que je me souviens de toi… »
Mû acquiesça et la femme ouvrit la porte :
« C’est moi qui m’occupe d’elle depuis qu’elle est malade, entre, elle sera contente de te voir… »
Mû la suivit jusqu’à la chambre où Dolma, pâle et amaigrie, était allongée sur le matelas qui lui servait de lit. Elle toussa violemment et tamponna un linge sur sa bouche. Le chevalier d’or reconnut immédiatement la maladie dont elle souffrait : la tuberculose.
Pourtant, malgré son état de faiblesse, elle reconnut immédiatement l’enfant si spécial qu’elle avait vu naître et qu’elle avait élevé pendant quatre ans. Elle lui tendit la main et dit d’une voix faible et éraillée :
« Mû ? »
Il s’agenouilla près du lit, tout ému : 
« Oui, c’est moi, je suis venu quand j’ai appris que tu étais malade… »
Dolma admirait ce qu’était devenu le bébé qu’elle avait vu naître, l’enfant atlante aux pouvoirs étranges qui avait tant effrayé la jeune nourrice qui l’aidait, Dorjee. Elle se souvenait bien de sa mère aussi, ainsi que de son père et raconta à Mû le jour de la mort de sa mère. Celui-ci lui dit de son côté que son père était mort depuis des années et qu’à présent il vivait au Tibet. Son regard violet ne quittait pas celui de sa nourrice, et il se rendait compte qu’elle était la pièce qui manquait encore dans le puzzle de son existence. Elle parlait de façon hachée, la voix ténue par la souffrance, à un tel point que Mû dit :
« Laisse-moi faire, tu souffriras moins… »
Il ne la guérirait probablement pas vu son état, mais au moins il pourrait soulager sa souffrance. Son aura dorée vint l’entourer et il appliqua ses mains sur la poitrine de Dolma qui respira vraiment mieux. Elle lui sourit et lui dit :
« Tu es vraiment devenu quelqu’un de bien, et je suis sûre que tes parents sont fiers de toi… »
Les larmes montèrent aux yeux de Mû, et Dolma prit sa main :
« Va, retourne parmi les vivants et sois béni… »
Les larmes coulèrent sur les joues de l’adolescent alors qu’il sortait de la chambre pour rejoindre la garde-malade. Celle-ci lui servit une tasse de thé au beurre, selon les règles de l’hospitalité et il demanda :
« Depuis quand est-elle dans cet état ?
-Son état s’est aggravé voici six mois, mais elle est à l’agonie maintenant…ça lui a fait du bien de te voir, tu sais, tu l’as soulagée… »
Elle abaissa la voix et demanda :
« C’est vrai, ce qu’on disait ? Que tu as des pouvoirs spéciaux et que tu es un membre de cet ethnie qui vit loin dans les montagnes ? »
Mû acquiesça, après tout quel intérêt de le cacher ? C’était nettement visible sur lui.
« Oui, je suis un membre de cette ethnie, comme l’étaient mes parents mais mes pouvoirs personnels servent à soulager la souffrance et à soigner… »
Ce n’était pas tout à fait vrai, son cosmos pouvait aussi devenir offensif mais il préféra ne pas insister sur ce point. Pourtant, la femme devant lui ne manifesta aucun signe de crainte et dit même :
« En tout cas, tu es bien élevé et honnête, ça me fait plaisir de voir ça… »
Mû sourit malgré la tristesse qu’il ressentait. Il se tourna vers la statue de Bouddha qui était dans la pièce, prit un bâtonnet d’encens, l’alluma et pria un instant pour que sa nourrice souffre désormais le moins possible. Il sentit alors que la main de la garde-malade se posait sur sa tête en signe de bénédiction. Il s’inclina devant la statue et dit :
« Je dois rejoindre mon serviteur maintenant… », dit-il en lui tendant un papier avec son adresse, « Donnez-moi de ses nouvelles, s’il vous plaît… »
Il griffonna aussi quelques noms de plantes sur un autre papier :
« Si vous lui faites boire cette tisane, sa douleur sera soulagée… »
Et, l’émotion gagnant son regard violet une fois encore, il quitta la maison et marcha pensivement jusqu’à la ville. Ce qu’il venait encore d’apprendre sur ses parents complétait tout ce que Helena et Dohko avaient pu lui dire, et il se sentait enfin quasiment complet. Au moins, sa nourrice ne mourrait pas dans la douleur, il lui devait bien ça, après tout. Elle était au-delà de tout secours humain mais elle serait du moins sereine au moment de passer la porte de Yomi.
Il avait été prévu qu’il retrouve Demetrios au marché couvert mais, marchant par les rues, il eut une étrange impression qui l’amena à rester sur ses gardes. Quelqu’un ayant des pouvoirs mentaux se trouvait non loin de lui. Au détour d’une petite rue, la présence se fit plus proche, puis disparut alors qu’il s’apercevait que sa bourse d’argent avait disparu. Il eut alors la vision de lui-même avec un enfant roux devant la pagode de Jamir. Comprenant immédiatement qu’il s’agissait là de la raison profonde de sa venue ici, il localisa rapidement le voleur…

Non loin de là, un enfant en haillons, couvert de crasse mais dont la peau pâle et les yeux violets se distinguaient nettement, venait de se matérialiser et faisait couler dans sa petite main sale le contenu de la bourse qu’il venait de voler. Il était très maigre et il n’était pas vraiment possible de savoir quel âge il pouvait avoir. Du plus loin qu’il s’en souvenait, il avait toujours vécu dans la rue et sa particularité, qu’il avait appris à maîtriser tout seul, lui permettait de voler pour tenter de survivre. Généralement, les gens n’y voyaient que du feu, ne comprenant pas comment leur argent se volatilisait si vite et sans qu’ils puissent voir le voleur. C’était le seul moyen qu’il avait pour survivre et faire survivre quatre autres enfants qui composaient sa bande. Ils l’avaient recueilli alors qu’il n’était qu’un tout petit enfant et voici quasiment deux ans qu’il était avec eux. Ils s’étaient vite rendu compte de la capacité en or que formaient les pouvoirs spéciaux de l’enfant et lui avaient donc appris à voler.
Le garçon allait prendre une rue annexe pour rejoindre ses compagnons quand il sentit quelque chose. Mais il n’eut pas le temps de réagir quand il se sentit soulevé du sol et qu’une voix vint résonner directement dans sa tête :
« Alors, on se sert de ses pouvoirs de téléportation pour voler ? Ce n’est pas bien… »
L’enfant se débattait, ses petites jambes battant l’air, affolé par le fait qu’il ne voyait personne le tenir. L’homme qui le tenait réapparut alors, un jeune homme aux yeux violets et aux longs cheveux de la même couleur, à la peau pâle comme la sienne, vêtu d’une tunique vert foncé et d’un châle de cachemire et au visage calme. Deux points rouge foncé ornaient son front, et l’enfant ne put s’empêcher de porter la main sur les siens alors qu’il ressentait la bonté profonde de l’aura du nouvel arrivant.

Mû tenait toujours à bout de bras le petit garçon, et reconnut sans peine un petit atlante malgré la couche de crasse qui le recouvrait. Quel âge pouvait-il avoir ? Il n’aurait su le dire. Il remarqua alors le scintillement de l’or sous les haillons du garçon, et repéra un bracelet qui entourait son bras. Le motif ne lui disait rien cependant. Il regarda l’enfant et lui dit :
« Comment t’appelles-tu ? »
L’enfant croisa les bras péremptoirement :
« Je vous le dirai que si vous me posez par terre ! », dit-il dans un tibétain populaire.
Mû hocha la tête et entreprit de répondre dans la même langue :
« Très bien, je vais te poser à terre mais sache bien que, si tu te téléportes, je peux te retrouver n’importe où car tu n’es pas encore capable de te rendre totalement invisible, tu es encore trop petit pour ça… »
L’enfant, médusé, regardait l’homme qui lui parlait avec tant de calme et de naturel d’une chose si extraordinaire aux yeux des autres. Mû ajouta :
« Je le sais parce que je suis comme toi, voilà tout… »
Et il déposa l’enfant à terre. Celui-ci ne chercha pas à fuir et regarda, fasciné, l’homme devant lui. Mû réitéra sa question, et enfin l’enfant consentit à répondre :
« On m’appelle Kiki, m’sieur… »
Il croisait les bras, toisant l’adolescent malgré sa petite taille. Sa vie dans la rue lui avait appris à s’imposer par les faibles moyens dont il disposait, mais Mû ne s’en laissa pas conter et fit une rapide lecture d’aura. Il n’y avait aucun doute, il s’agissait là de celui qui serait son apprenti, la prémonition à ce sujet était très claire et ses pouvoirs ne se trompaient pas non plus. Il lui demanda :
« Est-ce que pourrais parler à tes parents ? »
L’enfant gonfla les joues avant de répondre d’un ton de défi :
« J’en ai plus ! »
Mû insista :
« Alors avec qui vis-tu ? »
L’enfant résista un moment.
« Je vis tout seul avec la bande », finit-il par répondre, renfrogné.
« Ouais, avec nous !! », acheva une voix venue de derrière eux.
Mû se retourna et vit plusieurs enfants faméliques. Le plus âgé était un adolescent de quelques années de moins que lui qui le regardait méchamment.
« Vous allez le laisser, vous ! », clama-t-il en désignant du doigt le chevalier d’or.
Mais Mû ne l’entendait pas de cette oreille.
« Pas question ! Sa place n’est pas avec vous, c’est un atlante, comme moi. Vous vous êtes servis de lui, de ses pouvoirs congénitaux, là est la vérité ! »
L’adolescent rétorqua :
« On l’a recueilli alors qu’il était bébé, on l’a nourri, fallait qu’il participe aussi… »
Les pièces du puzzle se mettaient en place dans l’esprit de Mû, qui ajouta le plus sérieusement du monde :
« Il ne peut pas rester avec vous, il doit apprendre à se servir de ses pouvoirs, c’est dangereux pour lui s’il n’apprend pas… »
C’était en partie vrai, pour l’instant il ne s’agissait que de pouvoirs congénitaux sans danger aucun mais cela deviendrait problématique à l’éveil de son cosmos.
« Vous êtes sûr que vous êtes pas des services sociaux ? », interrogea encore l’adolescent, méfiant.
Mû secoua la tête et dit :
« Non, je m’appelle Mû, Mû de Jamir et je veux emmener Kiki avec moi pour l’aider à maîtriser ses pouvoirs…je m’occuperai bien de lui, et il me manquera plus jamais de rien… », dit-il très sérieusement et avec conviction. Son attitude ouverte parlait aussi pour lui.
Il abaissa la tête et dit à l’enfant :
« Va leur donner ce que tu as récupéré, ils attendent… »
Il ne manquait pas d’argent et espérait que cela pourrait aider ces enfants sans famille à avoir un meilleur avenir. Cela le touchait profondément car lui aussi était orphelin, mais il avait eu de la chance. Où en serait-il si son père n’avait pas été un chevalier d’or et que son destin n’avait pas été de lui succéder ? Il nota mentalement de faire un don important à l’orphelinat de Gyantsé dès qu’il serait rentré à Jamir.
Kiki s’avança et alla donner au chef de bande la bourse qu’il avait volée. L’adolescent lui dit :
« Saisis ta chance, petit… »
Et il partit rapidement avec sa bande, alors que Kiki restait là, les larmes aux yeux. Il n’avait toujours connu que la vie avec la bande, et il se sentait soudainement triste et abandonné, apeuré par la nouvelle vie qui l’attendait.
Mû, ému par la détresse et la peur du petit garçon, lui dit :
« Viens, nous allons retrouver mon serviteur … »
Et il lui tendit sa main. Avec hésitation, Kiki la prit et ils avaient à peine traversé deux rues que Demetrios, hors d’haleine, apparaissait, chargé de cabas de toutes sortes.
« Maître ! Qu’est-il arrivé ? », s’écria-t-il avec inquiétude.
Mû abaissa le regard sur Kiki et dit :
« Rien de grave, ne vous inquiétez pas, mais je te présente celui qui sera mon apprenti. Il s’appelle Kiki, enfin jusqu’à ce que j’aie réussi à trouver son vrai prénom. Kiki, voici mon serviteur, Demetrios… »
Il fit un geste à Demetrios signifiant « je vous expliquerai ». Quant à Kiki, il fut ébahi de savoir que Mû avait vraiment un serviteur, ce qui signifiait à ses yeux une certaine richesse. Pourtant, Mû ne reflétait pas cette richesse, à part son châle de cachemire il ne portait rien de précieux sur lui. Demetrios s’inclina comme il se devait :
« Bienvenue parmi nous, jeune maître… »
Kiki, encore plus ébahi, ne put rien dire de plus et Mû proposa :
« Si nous allions à l’hôtellerie ? Je crois que ce petit homme a fort besoin d’un bain et de vêtements propres… »
Il soulagea Demetrios d’une partie de ses courses, prit Kiki de l’autre main et tous trois s’en allèrent jusqu’à l’hôtellerie, qui n’était pas très loin. Ils y avaient réservé une chambre et, quand ils eurent posé le ravitaillement, Demetrios proposa de laver le petit garçon. Mû l’aida et, quand ils eurent enlevé les haillons malodorants du petit garçon ainsi que le bracelet de biceps en or qu’il portait, le cauchemar commença. Peu habitué à être lavé, le petit garçon se débattit quand Demetrios s’attaqua à sa tignasse percluse de poux, de lentes et de tiques. Une fois nettoyée après plus d’une heure d’efforts, celle-ci révéla sa couleur originelle, un beau roux. Elle était un peu longue mais Anardil la couperait. Une fois la chevelure propre, ils frottèrent son corps et la peau pâle apparut enfin sous la couche de crasse qui la recouvrait. Il ne fit alors aucun doute que ce petit garçon était bien ce qu’il paraissait être. Une fois sorti et enveloppé dans l’un des châles de rechange de Mû, le petit garçon se jeta sur la nourriture avant de s’endormir béatement. Demetrios le porta sur un des deux lits et dit :
« Je vais aller lui chercher des vêtements au marché, maître… »
Il sortit, laissant Mû pensif au chevet du petit atlante. Il n’avait pas seize ans, et il allait devoir former son apprenti comme son maître l’avait fait pour lui voici seulement douze ans. Le destin avait d’étranges retours. Mais comment allait-il savoir s’occuper d’un enfant si jeune, lui à peine sorti de l’enfance ? De plus, cela signifiait clairement qu’il donnerait sa vie pendant la prochaine guerre sainte. Cela l’attristait quelque peu mais, au moins, il pourrait faire son devoir en défendant sa déesse et c’était toujours mieux que d’attendre à Jamir…
Demetrios le trouva pensif et triste et s’inquiéta, mais Mû eut un geste de dénégation :
« Ca va, ne vous inquiétez pas, je pensais à diverses choses… »
Kiki était recroquevillé dans le grand châle de cachemire, et sembla alors extrêmement fragile à Mû qui dit :
« Ce petit homme n’a personne, personne qui prenne soin de lui comme mon maître, Anardil, Egesh et toi l’avez fait pour moi, il faut que nous le protégions… »
Il resta silencieux avant d’achever :
« J’écrirai à Hallatan dès que nous serons rentrés, lui saura nous dire avec précision qui est ce petit garçon abandonné si tôt, la trace de sa naissance est forcément consignée à Shambhala… »
« Demain nous irons faire les papiers qui nous donneront la tutelle de ce petit garçon, mieux vaut faire les choses correctement, les administratifs ne transigent pas avec les règles… », ajouta Demetrios, plus terre à terre.
Mû acquiesça et caressa pensivement son médaillon d’or, le regard dans le vide et Demetrios respecta sa méditation. C’est alors que Kiki se retourna dans son sommeil et soupira, sous les regards attendris des deux hommes…

A SUIVRE