Suite et fin du chapitre 25, un peu plus courte que la partie précédente mais plus dense. Merci à tous ceux qui ont lu le début de ce chapitre et ont pris la peine de le commenter…

Pour compléter le chapitre et vous permettre de mieux vous y retrouver, j’ai mis en ligne un billet explicatif sur le blog de la fic : http://chibi-sts-fanfics.blogspot.com


N’hésitez pas à vous y référer !

 

Chapitre 25 partie 2 : Confrontation

 

« Maître, je suis réveillé ! »
La petite voix de Kiki le tira de son repos et il ouvrit les yeux. Il s’assit, cilla et saisit son réveil. Six heures du matin, encore un peu trop tôt. Il regarda l’enfant et lui dit :
« Va te recoucher un peu, ce n’est pas l’heure encore… »
Le petit garçon obéit et Mû referma les yeux. Dix minutes plus tard, sa voix résonna encore :
« Maître, j’ai faim… »
Cette fois, plus question de dormir et Mû repoussa les couvertures. Il savait les serviteurs déjà éveillés et appela Tuor, qui attendait dans le vestibule.
« Serait-ce possible d’avoir le petit déjeuner ? L’estomac de mon apprenti crie famine… »
Tuor s’inclina et questionna :
« Que prendra le jeune maître ? »
Mû commanda pour Kiki du lait chaud et des tartines, puis revint dans la chambre où il trouva le petit garçon occupé à sauter gaiement sur son lit. Il le maintint en l’air avec ses pouvoirs et lui dit :
« Qu’est-ce que je t’ai déjà dit ? »
Un sourire canaille fendit le visage du petit garçon, et Mû le relâcha près de la porte de la salle d’eau.
« Allez, va vite faire ta toilette, le petit déjeuner arrive… », Lui dit-il avec moins de sévérité dans la voix qu’il ne l’aurait voulu.
Difficile de dire quoi que ce soit à ce petit miraculé, mais il resta ferme sur ses positions. Anardil lui avait dit que, plus il serait cohérent dans ses actions, plus Kiki se construirait sainement, et il tentait d’appliquer ce principe. Cela impliquait aussi de le laisser se débrouiller seul le plus possible, et il le laissa faire sa toilette, l’aidant juste à s’habiller. Il finissait quand Tuor entra avec le plateau du petit déjeuner, faisant saliver l’enfant d’anticipation.
Le temps qu’un linge fût noué autour de son cou et le petit garçon s’attaqua avec délices aux tartines et à son bol de lait chaud. Une fois fini, Mû lui nettoya la figure et vérifia sa mise avant d’aller lui-même faire sa toilette et s’habiller de ses robes traditionnelles. Il s’assit ensuite en face de l’enfant et questionna :
« Est-ce que tu te souviens des prières que je t’ai apprises ? »
Ils prieraient tous deux dans la chambre, pas question d’aller attirer la curiosité au temple. L’enfant hocha la tête et répéta maladroitement ce dont il se souvenait. Mû l’emmena devant la statue, s’agenouilla et l’enfant, comme il savait le faire, prit en main deux bâtonnets d’encens. Il les alluma à la veilleuse, les ficha devant la statue et prononça maladroitement un des mantras des morts que Mû lui avait appris. Mû le corrigea et ficha les deux siens à côté. Kiki joignit les mains et ferma les yeux, et Mû le regarda un instant avant d’en faire autant. Depuis la veille, il joignait à sa prière les parents de Kiki, et espérait que, du Bardo, ils sauraient que leur fils était en sécurité.
Mû sentit une présence et se retourna. Tuor était là, accompagné du tailleur qui portait soigneusement les nouveaux vêtements de Kiki. Il fit monter l’enfant sur une chaise et lui essaya soigneusement la tunique et la robe rituelle. La tunique avait été confectionnée en soie brute et la robe dans un tissu de velours rebrodé d’argent. Une ceinture dans le même tissu fermait le tout. Mû sourit à l’enfant.
« Comme tu es élégant, Cirion ! »
Dans cette vêture princière, le sang noble du petit garçon ressortait davantage. Son petit élève avait un grand sourire qui ensoleillait son visage pâle, et il le lui rendit. Il remercia le tailleur, le paya et, prenant le sac préparé par Anardil, sortit un manuscrit :
« Ne crois pas que j’aie oublié tes exercices… », Déclara-t-il à l’enfant.
Autant joindre l’utile à l’agréable, il s’agissait aussi d’occuper Cirion jusqu’au moment où Vëantur les ferait appeler. L’enfant fit la moue mais s’assit devant la table alors que Mû déroulait le manuscrit. Se servant de son doigt, l’enfant ânonna syllabe par syllabe le texte qui se trouvait être une antique méthode de lecture atlante qui avait également bénéficié à Mû lorsqu’il était enfant. Après la lecture, il lui fit faire de la méditation, puis du dessin et enfin de l’écriture. Tirant la langue, Kiki parvint à écrire son prénom et Mû lui fit également un modèle pour écrire « Cirion » en lettres atlantes.
Il veilla aussi à ce que l’enfant ne salisse pas ses vêtements neufs, et parvint à l’occuper jusqu’à ce qu’Eärnil, le serviteur de Vëantur, vienne les chercher. Kiki le suivit bravement, mais il sentit sa petite main serrer davantage la sienne, il sentait clairement qu’il allait se passer quelque chose. Il lui sourit pour le rassurer pendant que le serviteur les annonçait.
« Mû Alcarindë et son cousin Cirion ! »
Mû repéra immédiatement dans la pièce les deux archivistes et Vëantur vint à lui.
« Mû, laissez-moi vous présenter Hyarmendacil Elendilë, mon oncle, patriarche de ma famille, Oromendil et Herunumen Aulendilë, patriarche et chef de famille des Aulendilë, Huor et Celendrindor Calmacilë, patriarche et chef de famille des Calmacilë, Elurin et Firiel Ondoherilë, patriarche et fille aînée des Ondoherilë. Voici également Castamir Aulendilë, Angamaïtë Elendilë, Fuinur Elendilë et Herumor Aulendilë… »
Les Elendilë avaient presque tous les cheveux roux et les Aulendilë les cheveux violets ainsi que les yeux de la même couleur, il était facile de les différencier. Quand aux deux autres familles, les Calmacilë et les Ondoherilë, ils étaient plus difficiles à distinguer physiquement avec leurs cheveux blonds à châtain clair et leurs yeux gris mais la finesse de leurs traits et de leur mise dénotait une noblesse plus royale que princière.
Mû les salua avec respect, et sentit Kiki se dissimuler derrière lui. Vëantur poursuivit à l’intention des autres présents :
« Messieurs et madame, je vous présente Mû Alcarindë, chef des Alcarindë, et son cousin Cirion… »
Tout le monde se salua, et Vëantur commença :
« Toutes les familles concernées dans le meurtre de ma sœur et de Valandil Aulendilë sont là. Maître Hallatan Andunië, que vous connaissez tous, et son assistant Atanatar ont apporté la preuve qu’il s’agissait là d’un crime d’honneur, pratique interdite depuis des siècles… »
Si les patriarches restèrent de marbre, ceux qui ignoraient la cause de leur convocation se regardèrent et un léger brouhaha se fit entendre. Vëantur attendit que le bruit s’apaise avant de recommencer à parler.
 « De plus, les lâches qui ont fait cela ont aussi condamné à mort leur fils, qui selon nos lois est un paria mais qui n’est pour rien dans tout cela, en l’abandonnant dans la rue à l’âge d’un an, alors qu’il ne pouvait se défendre seul. Simplement, Cirion a survécu et il se tient là devant vous avec celui qui l’a recueilli dans la misère la plus noire à Gyantsé… »
Mû, qui n’avait pas quitté du regard les gens devant lui, vit les derniers hommes présentés changer de couleur. Le regard d’Herunumen, par contre, se chargea d’émotion alors qu’il regardait le petit garçon. Les poings de Fuinur Aulendilë se serrèrent et il cracha à l’intention de Mû :
« Vous osez amener ce déchet humain ici, devant nous ? »
Vëantur tenta de s’interposer mais Mû l’en empêcha. Redoutablement calme, le chevalier d’or déploya son aura dorée qui fit tout de même reculer le fâcheux. Ce genre de démonstration de force n’était pas dans ses habitudes mais il voulait qu’ils comprennent bien à qui ils avaient affaire dans l’optique de les dissuader de faire quoi que ce soit. Les chefs de famille agirent aussi et encadrèrent ceux qui, visiblement, étaient les meurtriers. Mais Castamir Aulendilë et Angamaïtë Elendilë, ayant compris qu’ils étaient confondus, n’étaient pas disposés à se rendre sans combattre et se servirent de leurs pouvoirs télékinétiques pour attaquer l’enfant. Sans faire le moindre mouvement, Mû déploya son Crystal Wall et déclara, toujours sur le même ton calme :
« Vous n’avez pas compris, il me semble…ne me forcez pas à réagir plus violemment… »
L’enfant, effrayé, s’était accroché à lui, et il le prit dans ses bras pendant que Vëantur s’avançait. Son regard vert se braqua sur les accusés :
« Votre erreur a été d’être vus par certains membres de vos familles la nuit où vous êtes rentrés après le meurtre, couverts de sang. Les patriarches, qui l’ont su, ont cru ne rien pouvoir dire car il s’agissait d’un crime d’honneur vu que Luthien et Valandil avaient tous deux fui le foyer conjugal. Les vieilles méthodes ont la vie dure, même si les crimes d’honneur sont officiellement interdits depuis très longtemps, mais la vie de ces deux jeunes gens était-elle le prix à payer pour leur folie ? Je connais nos lois aussi bien que vous, mais elles n’excusent aucunement votre geste… »
Fuinur fit un geste vague et rétorqua :
« Vu que vous étiez concerné, vous auriez pardonné sans hésiter, et nous ne pouvions pas accepter d’être bafoués ainsi par ces deux inconscients qui foulaient aux pieds nos lois, nos principes ainsi que l’honneur de nos familles. Vous auriez dû être le premier à réagir quand votre sœur s’est enfui avec ce Valandil qui n’était pas de sa condition et, pire, était marié de son côté ! »
Toujours sur le même ton calme, Vëantur expliqua :
« Je ne suis pas au dessus des lois et ils auraient été bannis de toute terre atlante, comme l’indique notre code législatif, mais en aucun cas je ne peux pardonner le meurtre de ces deux personnes et la tentative sur leur fils… »
Angamaïtë s’écria d’un ton hautain, de la peur dans sa voix haut perchée :
« Je clame mon innocence, je n’ai rien à voir avec ce meurtre ! »
Hyarmendacil Elendilë s’avança jusqu’à lui, suivi de Oromendil Aulendilë. Les deux patriarches regardèrent les coupables et Hyarmendacil s’adressa directement à Angamaïtë :
« Vas-tu continuer à bafouer notre famille en refusant d’assumer la responsabilité de tes actes ? Ce n’est pas une simple affaire d’honneur, il s’agit du meurtre de deux personnes ! »
Oromendil lui emboîta le pas et s’adressa à Fuinur, se redressant malgré son grand âge :
« T’es-tu à ce point trouvé déshonoré que tu aies estimé nécessaire de prendre la vie de Valandil, qui ne t’avait jamais rien fait de toute sa vie, parce qu’il avait choisi de vivre une autre existence ? A l’époque de nos ancêtres, je t’aurais moi-même tué sans hésiter pour le crime que tu as commis ! Tu as couvert d’opprobre notre famille ! »
Herunumen, sentant son oncle s’énerver, s’avança lui aussi et vint poser sa main sur son épaule pour l’apaiser. Puis il regarda Mû, Kiki blotti dans ses bras et dit :
« Il n’est plus temps d’ergoter sur ce qui aurait pu être, ni sur ce qui a été, ceci a été établi et nous y avons tous notre part de responsabilité. Nous devons assumer nos erreurs et le châtiment qui en découle parce que nous aurions dû agir… »
Celebrindor Calmacilë, qui avait été le conjoint de Luthien Elendilë, reprit de sa voix calme, ses yeux gris tremblant quelque peu :
« Je ne peux nier avoir ressenti un sentiment de vengeance, mais j’aimais assez Luthien pour accepter qu’elle soit heureuse avec un autre. Je ne suis pas idéaliste mais j’ai toujours pensé qu’un mariage qui n’est pas fondé sur une attirance mutuelle n’a aucune chance de réussir. Cependant, j’ai fait comme les autres, par pression familiale… »
Firiel Ondoherilë s’avança à son tour, digne, le pas mesuré dans ses velours précieux et son parfum capiteux :
« Je savais aussi que Valandil n’était pas heureux, même s’il donnait le change, mais je l’aimais. Je me suis sentie humiliée lorsqu’il m’a abandonnée, mais je n’aurais jamais voulu qu’il meure pour cela… »
Mû nota qu’elle évita soigneusement de regarder Kiki, sa bonté n’allait pas jusque là, mais qu’elle l’observa lui-même avec une sorte de dédain. Pourtant, il sentait qu’elle avait été honnête, et que ce qu’elle venait de dire lui avait beaucoup coûté.
Elurin Ondoherilë posa sa main sur l’épaule droite de sa fille et s’adressa à Vëantur :
« Nous prendrons notre part de responsabilité, comme nous l’avons déjà prise en vous livrant les noms des coupables, mais je refuse de voir tout cela étalé sur la place publique… »
Herunumen Aulendilë l’interpella alors :
« Et c’est tout ? Il s’agit tout de même de la vie de deux personnes, dont l’une a fait partie de votre famille, est-ce là tout ce que cela vous fait ? »
Huor Calmacilë, qui n’avait encore rien dit, s’avança lui aussi :
« Il a raison. C’est trop facile de nous dédouaner ainsi. Nous savions, et nous n’avons rien fait. Ce n’est pas en restant une fois de plus dans le gris que nous pourrons agir efficacement… »
Mû fit un signe à Vëantur pour prendre la parole, ce qui lui fut accordé. Il posa Kiki, qui resta collé à lui, et commença :
« Comme vous le savez, je suis de noblesse inférieure à la plupart de cette honorable assemblée et je connais moins bien vos usages parce que je vis à l’extérieur, mais je trouve indigne de votre part de vouloir absolument éviter de parler de l’avenir de cet enfant qui est pour vous une abomination sur laquelle on ne peut même pas poser les yeux. Mais Cirion existe, et il a le droit d’avoir un futur lui aussi, comme ses parents avaient le droit d’en avoir un malgré leur faute… »
L’intervention du chevalier d’or fit taire tout le monde. Herumor Aulendilë tenta alors de se libérer de l’étreinte de Herunumen et s’écria :
« De quel droit viens-tu nous faire la leçon ? Si tu étais vraiment de notre peuple, tu aurais laissé ce gamin là où était sa vraie place, dans les rues ! »
Kiki, qui avait peu perçu jusque là ce qui avait été dit, comprit cette fois la teneur de la tirade et éclata en sanglots en se serrant contre son maître. La voix de Vëantur couvrit alors le tumulte :
« CELA SUFFIT ! »
Le prince était peu coutumier de ce genre de démonstrations vocales, mais il sentait l’énervement le gagner de plus en plus.
« Mais quand allez-vous cesser de ne penser qu’à votre sang, votre nom, votre réputation ? », s’écria-t-il.
C’était surtout le comportement des Ondoherilë qui lui insupportait, mais son visage n’exprima rien de tel. Il regretta d’avoir désiré la présence du petit Cirion dans ce sac de nœuds, mais ce n’était finalement pas si mal que ça que les coupables voient que leur complot n’avait pas entièrement réussi.
Il reprit d’un ton plus calme :
« Tout cela ne pèse pas très lourd en face de deux vies humaines gâchées, plus une troisième qui a bien failli l’être… »
Son regard vert d’eau avait retrouvé sa fermeté coutumière et il regarda Mû occupé à consoler son neveu. Cirion avait tout l’avenir devant lui, il n’était pas question qu’il laisse les grandes familles l’écharper. Il n’était pas non plus résolu à laisser les coupables s’en tirer sans encourir les conséquences de leurs actes.
« Je suis trop impliqué, aussi je ne puis moi-même déterminer ce qu’il convient de faire… »
Il interpella les archivistes qui se tenaient à l’écart, un peu mal à l’aise parmi l’auguste assemblée.
« Que disent les lois et les jurisprudences concernant le crime d’honneur, maître Hallatan ? »
Le vieil archiviste n’hésita pas.
« Le crime d’honneur a été interdit voici des siècles, Altesse, et celui qui s’y prêterait encore encourrait le bannissement quelle que soit l’offense, vu que la peine de mort a été abolie par Eldacar Elendilë, votre ancêtre… »
Vëantur se tourna vers les patriarches:
« C’est à vous d’appliquer la sentence prévue par la loi aux ressortissants de votre famille… »
Il se tourna vers les Ondoherilë :
« Sauf votre respect, je souhaite que certains aspects de l’affaire soient connus du public, nous le devons à la mémoire de Valandil et Luthien… »
Il se tourna alors vers Mû et Kiki, et son visage s’adoucit :
« Quant au sort de Cirion, Mû Alcarindë a proposé de l’adopter officiellement, comme la loi coutumière le permet, et je lui en donne la permission… »
Le regard de Mû croisa celui de Herunumen, et un léger sourire fleurit sur le visage tendu du chef de famille des Aulendilë. Près de lui se tenait Hyarmendacil Elendilë, et le vieil homme lui aussi avait le regard tremblant.
Pourtant, le regard de Mû se dirigea immédiatement après vers Fuinur Aulendilë, et il eut une conscience aigüe du danger par son léger don de prescience et son cosmos. Cet homme mijotait quelque chose et, quelques secondes plus tard, une charge explosa, dégageant un épais nuage de fumée. Etrangement, personne ne toussa et un vif éclat doré éblouit tout le monde. Lorsque la lumière se fit moins forte, les reflets ambrés d’un Crystal Wall apparurent, contenant la plus grande partie de la fumée dans l’autre partie de la pièce. Mû se trouvait devant lui et immobilisait Fuinur en se servant de ses pouvoirs télékinétiques. Son armure d’or le recouvrait, cause de la puissante lumière dorée qui, mêlée à son aura, avait aveuglé tout le monde. Par contagion, l’aura de Kiki avait jailli mais Mû, posant sa main sur son épaule, l’arrêta.
« Vous n’avez pas du tout compris le message, tout à l’heure, visiblement… », dit-il d’une voix froide en dardant son regard dans celui de Fuinur.
Un silence stupéfié se fit autour du chevalier d’or. Personne n’en avait jamais vu, Shion n’étant jamais venu à Shambhala vêtu de son armure et Vëantur, à part lui, admira la prestance du Bélier d’or.
Mû regarda les quatre meurtriers devant lui, ainsi que les autres protagonistes de la scène et leur dit :
« Cirion est sous ma protection, je vous suggère de ne pas l’oublier. Il sera mon successeur à mon office de chevalier d’or, il a été élu par la déesse Athéna malgré son sang que vous déclarez impur… »
Il souleva le petit garçon et déclara cette fois en haut atlante.
« Regardez-le bien, celui que vous avez condamné. Pouvez-vous supporter l’innocence de ce regard d’enfant ? »
Cirion s’était calmé, et regardait de ses yeux violets encore humides les personnes devant lui. Vëantur s’approcha et posa la main sur l’épaule de son neveu :
« J’ai donné mes ordres, point n’y puis revenir ou surseoir en quelque façon. Chaque patriarche punira ses ressortissants coupables après un conseil de famille comme le veulent nos lois, et veillera à l’exécution de la sentence… »
C’était le signal, et tous commencèrent à se retirer. Mû renvoya son armure et apparut de nouveau avec ses robes traditionnelles. Vëantur s’agenouilla devant Kiki à présent debout devant son maître et lui dit :
« C’est fini, personne ne te fera plus de mal. Ton maître veillera sur toi et tu deviendras un chevalier d’or… »
L’enfant cilla encore et s’exprima lentement :
« Pourquoi les méchants messieurs ont fait du mal à maman et papa ? »
Mû et Vëantur se regardèrent. Visiblement, l’enfant avait perçu plus de choses qu’ils ne l’avaient pensé en sachant sa compréhension limitée de la langue atlante, mais le prince répondit :
« Parce qu’ils étaient jaloux, Cirion, mais sois sûr que tes parents te regardent de la porte de yomi et sont fiers du petit garçon fort que tu es… »
Le regard de Kiki vacilla mais il ne le baissa pas, continuant à regarder son oncle qui se sentit lui aussi rempli d’émotion. Pourtant, il eut un sourire et dit sentencieusement :
« Marche toujours sur les chemins de l’honneur et du courage… »
Et il leur fit signe de se retirer, l’émotion était trop forte et il ne pouvait plus la contenir. A peine avaient-ils passé la porte qu’il éclatait en sanglots et s’affalait sur une chaise.
Mû ramena Kiki à leur chambre et fit demander une collation à Tuor. Voyant que l’enfant, après avoir mangé, baillait, il le coucha et resta là, à veiller sur son sommeil. Il était plus que normal qu’il fût fatigué après toutes ces émotions, et Mû devait bien reconnaître que lui-même se sentait infiniment las. Les réactions de ces grandes familles, plus soucieuses de préserver leur renommée que de reconnaître un double meurtre, l’avaient écœuré mais il avait bien pris soin de n’en rien montrer. Personne, à part peut-être Herunumen, ne s’était soucié réellement du petit garçon, et c’était bien cela qui le peinait, mais c’étaient les lois de son peuple et il ne pouvait aller contre elles. Ce n’était pas si mal qu’il vécût loin de ce panier de crabes, Cirion y pourrait grandir en sécurité et surtout aurait le droit d’exister.
L’enfant bougea dans son sommeil et se retourna, se blottissant contre son oreiller. Mû tira sur sa couverture pour bien recouvrir ses épaules et qu’il n’ait pas froid. Il resta assis plusieurs heures près du lit, l’esprit en méditation, puis une présence le fit alors se retourner. Quelqu’un frappa à la porte et, quand il alla ouvrir, il trouva l’archiviste Atanatar, porteur d’un portefeuille de maroquin rouge.
« Maître Hallatan m’envoie vous porter les exemplaires de l’acte officiel d’adoption que nous venons de rédiger, vous devez le signer puis ce sera au prince Vëantur de le faire… »
Mû le fit entrer, puis lut soigneusement les feuilles de vélin et apposa sa signature. Dès que Vëantur aurait scellé l’acte, Kiki se nommerait Cirion Alcarindë, et nul ne pourrait plus contester son existence légale, une belle revanche sur le début chaotique de sa vie. Le regard de l’archiviste se posa sur l’enfant. 
« Comment va-t-il après tout cela ? », interrogea-t-il.
Le chevalier d’or lui tendit le porte-document et lui répondit :
« Il est secoué, ce qui se comprend, mais il a compris beaucoup de choses, il lui reste à les accepter, les comprendre et vivre avec lorsqu’il grandira… »
Atanatar hocha la tête pensivement, s’inclina et sortit de la chambre. Mû interpella Tuor, qui se trouvait non loin, et lui demanda du thé. Le serviteur le lui amena en silence, et eut un sourire en voyant l’enfant sommeiller tranquillement. Le jeune homme le remercia d’un geste et il se retira, laissant Mû siroter l’excellent thé de l’Himalaya au chevet de celui qui était désormais le descendant de sa famille. Il avait toujours admiré la capacité des enfants de dormir profondément malgré tout ce qui pouvait arriver autour, surtout après la scène difficile vécue précédemment.
Alors que le soleil baissait sur l’horizon, ce fut Vëantur qui vint lui aussi en visite. Dans ses robes traditionnelles de velours, le prince marchait lentement et Mû remarqua ses yeux encore rouges, la confrontation avait été difficile pour lui aussi. Il se leva, le salua impeccablement et lui proposa une tasse de thé. Vëantur s’assit en face de lui, prit le pot de terre cuite et avala une gorgée de thé avant de dire :
« J’ai signé le document d’adoption, Cirion porte désormais votre nom… »
Le chevalier d’or acquiesça seulement, et le regard de Vëantur se porta sur l’enfant endormi :
« Il a à présent une véritable existence aux yeux de la loi, et personne ne peut plus rien contre lui. Je l’ai déjà dit mais je vous remercie vraiment ce que vous avez fait pour lui, vous lui avez donné un avenir… »
C’est alors que Kiki s’éveilla et fixa les deux hommes de son regard violet embrumé. Mû lui tendit la main pour qu’il vienne à eux et dit à Vëantur :
« Je n’ai pas fait grand-chose, la déesse l’a élu pour me succéder, mon rôle est donc d’être son tuteur jusqu’à ce que je lui laisse mon armure. Je sais que je suis jeune pour prendre un enfant à ma charge, mais j’ai bien pesé le pour et le contre… »
Vëantur ne répondit pas mais Mû lut dans son regard de la confiance alors que l’enfant les rejoignait et qu’il lui donnait un peu de lait. Le prince sourit à l’enfant et ébouriffa ses cheveux en disant au chevalier d’or:
« Votre père en aurait fait autant, et je sais qu’avec Cirion le nom des Alcarindë sera dignement porté… »
Mû percevait les sentiments divers qui agitaient l’homme, émotion mais aussi regret de ne pouvoir faire quoi que ce soit pour son neveu, ou encore satisfaction de le savoir enfin en sécurité. Les deux hommes échangèrent un sourire alors que Tuor ramenait une théière pleine, que Cirion montrait fièrement à son oncle ses travaux d’écriture et que les fragrances du jardin envahissaient la chambre. La vie reprenait ses droits…

 

A SUIVRE