Encore un grand merci à Alaiya, qui a (encore) pris la peine de tout relire (comment ça j’ai fait une répétition ?)


Ex libris 1 :

Emergence d’humanité

Partie 2 : Chute libre vers le paradis

 

C'était le coup d'envoi des fêtes qui allaient se poursuivre durant plusieurs jours, mais Shion ne faisait plus attention à rien qu'à la présence à ses côtés d'Arzaniel qui, d'un coup d’œil, lui fit comprendre ce qu'il convenait de faire. Posant la torche qu'il tenait encore, il la conduisit jusqu'à deux sièges posés non loin de ceux des maîtres de cérémonie, où ils s'assirent. Shion avait compris que les dons télépathiques d'Arzaniel étaient très développés, et que, comme lui, elle se dissimulait plus ou moins derrière eux. Qu'avait-il donc pu lui arriver pour qu'elle décide de cette solution ? Sa façade gaie et affable cachait sans aucun doute nombre de fêlures...
Il se posait encore la question lorsqu'il revint dans sa chambre, tard dans la nuit. Les jours qui suivirent, il ne se mêla que peu aux pèlerins, préférant le calme de sa chambre ou de la bibliothèque, et ne vit pas Arzaniel, occupée par l'organisation, ni Hallatan, accaparé par tout un groupe de généalogistes. Il ne voulait pas être l'objet de questions sur sa longévité exceptionnelle, et resta prudemment enfermé, ne sortant que le soir ou la nuit, lorsque le jardin était désert...
Ce soir-là, il attendit que les bruits s'estompent, puis s'éteignent avant de jeter négligemment un châle sur sa tunique de soie et de sortir tranquillement. Il savait que le soir était consacré à la prière, et donc qu'il ne serait pas dérangé dans le jardin. En effet, beaucoup d'atlantes étaient bouddhistes, et il ne faisait pas exception à la règle, davantage même puisqu'il avait été en partie élevé dans une famille tibétaine. Certains pourtant révéraient encore les anciens dieux, mais ils se faisaient de plus en plus rares...
Il déambula un moment dans le jardin, respirant avec délice les effluves parfumés des premières fleurs, lorsqu'une impression télépathique suivie d'un léger bruit de sanglots le fit se retourner. Appuyée contre un mur, dissimulée aux regards, pleurait Arzaniel. Il hésita un instant avant de s'approcher, mais elle lui parut tellement triste qu'il n'en supporta pas davantage. De son pas mesuré, il s'approcha mais ne dit rien, sachant qu'elle sentirait sa présence par ses pouvoirs, ce qui se passa effectivement. Elle se tourna vers lui, tenta de reprendre un peu de contenance mais ses larmes furent les plus fortes et elle recommença à pleurer devant un Shion désolé. Suivant son instinct, il la prit doucement par le bras et la guida jusqu'à un banc tout proche avant de dire:
« Cela ne sert à rien de vous mettre dans des états pareils... »
Il était assez maladroit pour consoler, mais Arzaniel parut être sensible à sa présence apaisante car, lentement, ses larmes se tarirent. Elle le regarda et soupira:
« Ce n'est rien, ne vous inquiétez pas... »
Tranquillement, Shion dit:
« On ne pleure pas sans raison, à mon sens... »
Arzaniel releva la tête, et vit de l'inquiétude dans le regard pourpre de Shion. Emue par sa gentillesse, elle secoua la tête:
« Je crains que vous ne puissiez rien faire, mais je vous en remercie d'avance... »
Elle rassembla son courage et commença:
« Je vous ai dit que j'étais veuve, voici quatre ans que mon mari est décédé. Mon père m'avait mariée à lui quand j'avais seize ans, comme le veut l'ancienne coutume, une simple transaction mais dont je n'eus pas d'enfants, au grand désespoir de mon époux. Lorsque je me suis retrouvée veuve, j'ai repris mes études mais cela a déplu à ma belle-famille qui s'est mis en tête de me marier avec son frère et d'employer la force si je refusais, ceci afin de récupérer l'héritage... comme vous le voyez, je suis le dos au mur, si je refuse je couvrirai de honte la famille de mon père, et il est si faible déjà qu'il n'y survivra pas... »
Shion soupira imperceptiblement: les atlantes, aussi avancés qu'ils eussent été, avaient pourtant gardé des habitudes obscurantistes, y compris de marier les filles sans leur consentement. De sa voix calme, il dit:
« Il doit bien y avoir une solution à cela, non ? »
Arzaniel secoua la tête et dit:
« Non, je n'ai pas de porte de sortie, c'est le mariage ou la mort de mon père et la honte sur sa famille... »
En effet, c'était quelque peu insoluble comme situation. Il se contenta de dire:
« Si je puis vous aider en quoi que ce soit, je le ferai avec joie... »
Elle leva son regard encore humide sur lui, et rencontra ses yeux pleins de bonté. Ils restèrent un moment à se regarder ainsi, comme si chacun plongeait directement dans l'âme de l'autre, le souffle lent. Ce fut Shion qui détourna le regard le premier et dit:
« Nous trouverons une solution, soyez sans crainte... »
Elle avait remarqué son geste, et eut soudain l'impression qu'il lui cachait quelque chose. En effet, qui pouvait se targuer se savoir ce qu'il pensait vraiment ? Il était passé maître dans le contrôle de ses pouvoirs mentaux depuis bien longtemps, on ne pouvait entrer dans son esprit si facilement, voire même pas du tout, et il savait très bien générer des illusions...
Arzaniel alors risqua un tout petit sourire, et dit d'un air las:
« Je ne vois pas ce que vous pourriez faire, mais je vous remercie tout de même d'y penser... »
Ses yeux violets étaient sombres, et l'étincelle qui faisait briller les paillettes d'or de son regard avait disparu, ce qui fit saigner le cœur de Shion. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même...
Elle se leva brusquement et s'enfuit en courant, alors que ses larmes recommençaient à couler sans contrôle, laissant Shion interloqué et triste à mourir. Il resta immobile sur le banc un moment, puis se leva pour regagner sa chambre. Il s'allongea, mais ne parvint pas à trouver le sommeil malgré les postures de yoga qu'il enchaîna pour tenter de se libérer de sa tristesse. Le lendemain matin, l'esprit alerte malgré le manque de sommeil, il entreprit de chercher un moyen à la bibliothèque d'empêcher cet odieux mariage forcé. Ses premières recherches ne menèrent à rien, aussi, au milieu de l'après-midi, décida-t-il de sortir prendre l'air pour éclaircir le problème. Que pouvait-il faire, à part l'épouser lui-même, ce qui était impossible vu son statut ? Bien sûr rien n'empêchait un Grand Pope de se marier, en tout cas aucune loi écrite, mais, moralement, cela allait à l'encontre de son dévouement à la déesse, et, à part quelques exceptions, aucun d'eux ne s'était jamais marié.
Le problème semblait insoluble...
Il continua ses recherches tout au long de la nuit suivante, refusant de lâcher prise avant d’avoir trouvé une solution, et il en trouva une...
Cependant, le médecin qui l'examina le lendemain décela de nouveau des irrégularités cardiaques provoquées par la fatigue sur son coeur encore fragile, et lui enjoignit de garder le lit, ce qu'il fit de mauvaise grâce. Il resta assis dans son lit, l'air absent, et même la visite d'Hallatan nanti de nombreux livres ne put le dérider. Peu avant le coucher du soleil, elle vint enfin, ayant entendu parler de sa rechute et se doutant en être la cause. Seulement vêtu d'une tunique de coton, il tentait de s'intéresser à l'un des livres que lui avait apportés Hallatan en soupirant parfois imperceptiblement. Elle s'assit près de lui et dit:
« Ce n'est pas sérieux, vous allez finir par y laisser votre vie... »
Shion répondit:
« Ma vie appartient à la déesse Athéna, à elle d'en faire ce qu'elle en veut. Je n'ai pas à me plaindre, elle a déjà prolongé ma vie de très nombreuses années et j'ai vécu l'équivalent de plusieurs vies d'hommes... »
Arzaniel insista:
« Je refuse que vous vous laissiez aller comme cela... vous vous êtes épuisé en cherchant un moyen de me sauver des griffes de ma belle-famille, et je refuse d'être la cause de votre mort ! »
Elle pleurait presque, et Shion dit:
« J'ai fait ce que j'estimais devoir faire, cela ne regarde que moi, et j'ai trouvé un moyen... »
Et il lui tendit un parchemin soigneusement roulé. Elle le lut pendant qu'il expliquait:
« Il existe une tradition atlante qui dit que, lorsque l'on veut obliger quelqu'un à se marier contre son gré, cela peut être empêché par une personne de rang supérieur qui, alors, prend la personne sous sa protection. Après vérification, je descends du prince Alcarin par mon père, Ciryatan, et du prince Cemendur par ma mère, Ailinel, aussi suis-je de rang supérieur à votre beau-frère et je lui signifie par ce parchemin que vous êtes sous ma protection... »
Les larmes que Arzaniel retenait depuis un moment se mirent alors à couler librement sur ses joues, et elle bégaya:
« Comment… comment pourrais-je un jour vous remercier ? »
Shion sourit légèrement et répondit:
« Je ne veux rien de vous, je n'ai pas fait cela pour en recevoir une récompense mais pour empêcher une injustice et éviter de briser une carrière prometteuse... »
Il parlait sur le ton uni qu'il employait au Sanctuaire, mais n'était que tempête de sentiments à l'intérieur. Quelque part, il se moquait d'y laisser sa vie si Arzaniel pouvait vivre heureuse, tant pis si la déesse s'en offusquait, mais il était persuadé qu'elle pourrait comprendre, n'étant qu'amour pour le monde. Sa vie à lui n'avait que peu d'importance à côté du cadeau qu'Arzaniel lui avait fait: se sentir un homme normal.
Ses yeux pourpres étaient posés sur elle, remplis de bonté, et elle plongea dedans sans aucune peur, se perdant dans le mystère de cet homme qui déjà comptait tellement pour elle. Shion ne détourna pas le regard, retenant son souffle dans cet instant de communion. Sans qu'ils s'en rendent vraiment compte, comme hypnotisés par leurs regards respectifs, ils se rapprochèrent l'un de l'autre et échangèrent un baiser léger, encore intensifié par le contact télépathique. Reprenant brusquement ses esprits, Shion dit:
« Excusez-moi, je... »
Mais Arzaniel l'interrompit:
« C'est moi, je ne voulais pas... »
Mais, désormais, ils ne pouvaient plus nier l'attirance qui les poussait l'un vers l'autre. Encore rouge de confusion, Arzaniel ne disait plus rien, et Shion en était bien incapable sous peine de trahir son émotion. Dans sa poitrine, son coeur battait très vite, mais il n'en avait cure, il se sentait comme un homme qui enfin aurait trouvé le trésor qu'il cherchait depuis des années.
Elle se leva brusquement:
« Je... j'ai du travail à terminer... »
Et elle s'enfuit prestement de la chambre, laissant Shion appuyé contre ses oreillers, le regard vague et brillant...
Sa robe de velours flottant au vent, Arzaniel courut à sa chambre et s'y enferma avant de se laisser tomber sur son lit, l'esprit en déroute. Elle ne comprenait pourtant que trop bien ce qui lui arrivait, mais tout allait trop vite. Voilà seulement quelques semaines qu'elle connaissait Shion, et elle avait rompu le serment qu'elle s'était fait en devenant veuve. A l'époque, révoltée contre son père qui l'avait mariée, elle s'était dit que jamais aucun homme ne trouverait grâce à ses yeux, et c'est pourtant ce que Shion venait de réussir. Sans qu'elle s'en rende vraiment compte, car elle refusait de plonger en elle-même trop souvent, il l'avait conquise par son savoir aussi bien que par sa gentillesse, son calme et sa beauté mature. Elle appréciait sa compagnie, mais elle ne voulait pas, elle n'avait pas voulu voir que cela allait plus loin. Qu'allait-elle faire à présent ? Elle ne pouvait plus se voiler la vérité, il allait falloir qu'elle l'assume et surtout qu'elle la lui dise, même s’il devait la détester après cela.
Quelques jours se passèrent, pendant lesquels Shion se reposa et, au bout de ce laps de temps, le médecin l'autorisa de nouveau à sortir dans le jardin, en évitant les contradictions et les émotions si possible. Shion se sentait de nouveau parfaitement bien, mais il acquiesça en maugréant...
Passant dans sa salle d'eau, il enleva sa tunique de coton, qu'il jeta à terre d'un geste d'humeur, puis, nu, entreprit de faire sa toilette à l'aide du système de chute d'eau très ingénieux inventé par les atlantes. Revigoré par l'eau coulant sur son corps pâle, il resta un moment sous l'eau tombant de la gargouille, soupirant d'aise et goûtant ce simple moment de plaisir animal. Il se lava le corps, puis les cheveux, et s'enroula ensuite dans une grande serviette pour se sécher. Il repassa dans sa chambre, et son regard tomba sur son reflet dans le grand miroir posé dans un coin de la pièce. Enveloppé dans la grande pièce de tissu, il avait l'air d'un sénateur romain, et s'aperçut qu'il avait maigri, retrouvant peu ou prou la silhouette longiligne qu'il avait toujours eue. Son visage, reposé par les nombreuses heures de sommeil qu'il avait effectuées, était rajeuni. Il sourit, et, attrapant ses vêtements, s'habilla rapidement d'un pantalon de coton indien et d'une tunique bleue de la même facture, avant d'attraper un châle qu'il entortilla autour de ses épaules et dont il fit retomber les pans devant et derrière lui avant de lier le tout par un ruban de soie brute. Il marcha longtemps dans le jardin, respirant l'air frais et essayant de ne surtout pas réfléchir, mais il devait bien s'avouer qu'Arzaniel lui manquait. Il avait encore peine à s'expliquer ce qui s'était passé la dernière fois, mais il se souvenait de la douceur de ses lèvres sous les siennes et se disait que, s'il l'avait blessée, il ne se le pardonnerait jamais...
Au bout de quelques heures, il rentra à sa chambre pour y trouver un paquet provenant du Sanctuaire qui contenait des documents à contresigner ainsi que des rapports des grands maîtres Amphion du Triangle et Zethos du Triangle Austral, qu'il lut immédiatement. Ceux-ci lui disaient que l'entraînement de Saga et de Kanon progressait bien, que les jumeaux s'étaient bien acclimatés au Sanctuaire mais que Kanon, déjà, posait quelques problèmes et qu'il faudrait le surveiller attentivement.
Ravi de ces nouvelles encourageantes, Shion parcourut les autres rapports, mais ils ne présentaient rien de très important. Avec un soupir, il signa les documents puis les replia...
Le soir tombait sur les montagnes couronnées de leurs neiges éternelles, et Shion s'absorba dans la contemplation de ce spectacle magnifique. Les derniers rayons d'un soleil agonisant rougissaient la blancheur des sommets immémoriaux, qui étaient là avant lui et subsisteraient bien après lui. Depuis son enfance, Shion appréciait la contemplation de la nature, et s'y adonnait régulièrement mais, ce soir, il ne put entièrement se concentrer dessus...
Il pensait à ce que lui avait dit le médecin, qu'il pourrait retourner bientôt au Sanctuaire, mais, bien qu'il sût que son devoir l'y appelait à présent qu'il avait retrouvé la santé, son coeur lui hurlait le contraire. Ce conflit entre son coeur et sa raison ne cesserait-il donc jamais ? Pour la première fois de sa vie, il aimait quelqu'un plus que son devoir, et cela le partageait inévitablement en deux.
Allongé sur son lit, il tenta de trouver le sommeil, mais n'y parvint pas et sortit brusquement dehors, dans le jardin, seulement vêtu d'une tunique et d'un pantalon court en coton. Il s'assit sur un banc et prit sa tête dans ses mains, tentant de se retrouver lui-même, d'oublier cette souffrance lancinante qui le taraudait. Etait-ce donc cela, aimer ?
La sensation d'une présence ô combien connue et d'une main sur son épaule lui fit relever la tête. Arzaniel se tenait près de lui, un châle de coton négligemment jeté sur une robe légère, et elle le regardait de ses yeux violets si limpides. Il leva le regard sur elle, mais ne dit rien, il n'y avait d'ailleurs plus rien à dire, seulement ces mots si silencieux dits par deux regards rivés l'un à l'autre. Plus rien n'avait d'importance...
Guidé par son instinct, il se leva et prit ses mains dans les siennes en disant:
« Que faites-vous ici ? Vous devriez déjà dormir... » 
Arzaniel répondit:
« Je... je ne pouvais pas... j'avais... j'avais besoin de vous voir... »
Sa belle assurance habituelle avait fondu comme neige au soleil, et il pouvait sentir ses mains trembler dans les siennes. Pourtant, il ne répondit rien, se contentant de l'écouter simplement. Elle prit une longue inspiration, et continua:
« Je voulais déjà m'excuser de tout ce que vous avez enduré à cause de moi, et vous remercier de ce que vous avez fait. La simple idée de vous savoir malade par ma faute m'est insupportable... »
Shion, le regard doux, répondit:
« Vous n'êtes pas la cause de mes problèmes de santé, loin de là, mon âge certain et mon travail en sont responsables... ne vous tourmentez surtout pas pour cela... »
Mais Arzaniel n'en avait pas fini, même si elle craignait d'aller jusqu'au bout de ce qu'elle voulait lui dire. Il la devança et dit:
« Quant à ce qui est arrivé l'autre fois... ne vous mettez pas martel en tête pour cela... »
Des larmes apparurent dans les yeux d'Arzaniel, et coulèrent sur ses joues. Shion ressentit alors s'exhaler d'elle tant de tristesse qu'il la prit dans ses bras et la serra contre lui, désireux de la calmer, d'apaiser sa peine. D'un geste rageur, elle essuya ses larmes en disant d'un air désabusé:
« Voici que je me rends ridicule... »
Il lui tendit un mouchoir et dit:
« Pleurer n'a jamais rimé avec ridicule, à mon avis... »
La sentir contre lui, son corps abandonné, dont il pouvait percevoir la chaleur à travers le tissu, contre le sien, rappelait à Shion une fois de plus durement sa condition d'homme. Il pouvait sentir son odeur délicate, florale, et la douceur de sa peau contre son bras. Gêné et dans un sursaut de dignité, il ouvrit ses bras mais elle ne s'écarta pas de lui et resta là, ses petites mains appuyées contre son torse. Pourtant, elle parut se reprendre et s'écarta brusquement de lui en disant:
« Excusez-moi... je... »
L'espoir le plus fou fit alors battre à tout rompre le coeur de Shion... Il resta cependant calme d'apparence, et attendit tranquillement.
Arzaniel ne se reconnaissait plus, elle n'était plus que maelström à l'intérieur d'elle-même. Sa respiration s'était accélérée en présence de Shion, mais lui paraissait toujours aussi calme. Soudain, il plongea dans ses yeux violets, y lut une muette invite et se pencha doucement sur elle pour l'embrasser, lui laissant le temps de s'en aller si elle le désirait. Mais elle resta là, et frémit légèrement quand leurs lèvres se touchèrent. Le baiser devint plus passionné, et il l'attira contre lui. Alors il comprit enfin ce qu'elle n'osait lui dire...
Quand ils se séparèrent, il la garda contre lui, et plongea dans son regard violet noyé d'émoi. Il n'y croyait pas encore, et avait l'impression que, telle une apparition de rêve, elle allait s'envoler, le laissant seul et désemparé. Pourtant, elle était bien vivante, et resta là, ses yeux noyés de larmes, et il dit:
« Je n'arrive pas à y croire... »
D'une voix tremblante, elle lui répondit:
« J'ai cru que... »
Mais elle n'alla pas au bout de sa phrase, sa voix se brisa. L'étreinte de Shion se resserra et elle resta contre sa poitrine musclée, à écouter les battements de son coeur.
Shion, dans un sursaut de logique, dit, chaque mot enfonçant une épine dans son coeur:
« Je n'ai rien à vous offrir, je ne suis pas un homme pour vous. Ma place est au Sanctuaire, je devrai y retourner bientôt... je suis bien trop vieux et usé pour être digne de votre amour... »
Arzaniel plongea son regard dans le sien et dit:
« Le mal est fait, malheureusement... »
Tous deux s'étaient fait prendre au piège le plus vieux au monde. Shion, brusquement, découvrait qu'il pouvait être aimé pour lui-même, qu'il n'était pas si vieux, et la joie inonda son coeur fatigué...
Les jours qui suivirent furent parmi les plus heureux que Shion ait jamais vécu. Soucieux de cacher leur tout nouveau bonheur, ils se retrouvaient au jardin, après le coucher du soleil, pour se promener et parler longuement. Arzaniel découvrait en Shion l'homme qu'il dissimulait si bien sous ses dehors calmes et posés, un homme qui, malgré son expérience de vie énorme, pouvait encore être ému par les plus petites choses. Elle aimait sentir son regard pourpre posé sur elle, et faire naître un sourire sur ce visage qui trop souvent depuis des années en avait été dépourvu. Elle découvrait le plaisir de s'habiller, de se parer pour lui, elle qui avait été mariée trop tôt et dont l'adolescence et l'innocence avaient été brusquement brisées...
Quand ils étaient sûrs d'être seuls, ils se risquaient à un baiser, mais avaient tous deux conscience à l'extrême de l'approche de la séparation. Quand le médecin déclara à Shion qu'il était guéri, celui-ci eut l'impression qu'on lui assenait un coup de poignard directement dans le coeur. Pourtant, sa mission était plus importante que lui-même, et il fit ce qu'il fallait: il envoya un message aux grands maîtres pour leur dire qu'il reviendrait très bientôt et commença à faire ses malles, la mort dans l'âme.
Quand Arzaniel vint le voir, quelques heures plus tard, elle comprit au premier coup d’œil, et, si elle ne fondit pas en larmes, elle eut l'impression elle aussi qu'on lui arrachait le coeur. Shion se retourna, et elle vit que l'étincelle qui avait animé son regard ces derniers jours n'était plus, son regard pourpre était désormais conforme à ce qu'il était auparavant...
Il déposa la pile de vêtements qu'il tenait et la prit par la main:
« Viens... »
Ils marchèrent longuement dans le jardin, et elle lui dit:
« L'important est que tu sois guéri, et, si j'y ai contribué, j'en suis heureuse... je savais que cela aurait inévitablement une fin... »
Shion s'arrêta, et prit ses mains dans les siennes avant de dire:
« Même si je dois repartir, je t'emporte avec moi dans les replis secrets de mon coeur, pour toujours... »
Il plongea son regard pourpre dans le sien et dit à mi-voix:
« Je t'aime... »
Il n'avait pas encore trouvé le courage de le lui dire clairement, et, cette fois, Arzaniel fut tellement émue qu'elle fondit en larmes. Pourtant, ce répit fut de courte durée, car l'esprit de Shion se focalisa immédiatement sur la sensation d'une présence malfaisante. Il dit alors:
« Mets-toi derrière moi, vite ! »
Alors, dans les ténèbres devant lui apparut quelque chose ou quelqu'un, il n'aurait su le préciser, mais une voix grinçante dit:
« Chevalier d'or Shion du Bélier, Grand Pope d'Athéna, tu vas mourir ici, de ma main... »
Faisant un barrage de son corps pour protéger la femme qu'il aimait, Shion fit apparaître son aura dorée et dit:
« Je te retourne le compliment, être des ténèbres... »
L'homme, alors, projeta des pointes dont une blessa Arzaniel, qui s'était réfugiée derrière un buisson après une injonction télépathique de Shion. Déconcentré un instant, il reçut une pointe dans l’épaule, et retint un gémissement de douleur. Voilà bien longtemps qu’il ne s’était pas battu, mais il n’était pas question qu’il laisse son adversaire avoir le dessus, pas tant qu’il serait vivant en tout cas. Une flamme nouvelle, proche de celle qui avait autrefois animé le jeune chevalier d’or du Bélier qu’il avait été, s’alluma dans son cœur. En parfaite position de garde, il tenta de jauger son adversaire qui se dissimulait dans les ténèbres :
« Sors de là, si tu as assez de courage pour cela ! »
La seule réponse qui vint fut une nouvelle rafale de pointes qui, cette fois, vinrent ricocher sur le Crystal Wall. L’esprit aiguisé de Shion se focalisa sur son adversaire, rangeant dans un coin de son cerveau la présence aimée. Son sang coulait le long de son bras, et l’effort avait réveillé la douleur dans sa poitrine, mais il n’en avait cure et serrait les dents. S’il ne prenait pas garde, son adversaire détruirait non seulement lui-même, mais aussi Arzaniel et la lamaserie si chère à son cœur…
Il se redressa, effaçant d’un geste de la main le mur invisible qu’il avait devant lui, et dit :
« Comme tu l’auras remarqué, je ne suis pas disposé à me laisser tuer sans rien faire… »
Sans rien ajouter, il étendit un périmètre de sécurité mental autour du jardin, utilisant ses pouvoirs mentaux encore extraordinaires malgré son âge, et se disposa à lancer une de ses attaques lorsque quelque chose en provenance de son adversaire le dérangea. Pourtant, il fut bien incapable de savoir quoi…
Il jugula quelque peu son hémorragie alors que son adversaire ricanait :
« Tes pouvoirs sont encore très puissants malgré ton âge, mais je finirai par avoir raison de toi… »
Shion, tentant d’oublier la douleur, parvint encore à se protéger mais, encore faible, il savait qu’il ne pourrait pas tenir très longtemps à ce régime. S’il avait conservé un corps en bon état, ses pouvoirs, eux, n’avaient plus le niveau qu’ils avaient à ses dix-huit ans, et il se maudit de ne pas s’être entraîné davantage…
Une pointe l’atteignit encore, cette fois à l’épaule gauche, la force de son adversaire était en train d’augmenter, il fallait qu’il agisse vite…et définitivement. Laissant son sang couler pour rassembler ses forces, son aura grandit alors qu'il écartait les bras, puis il s'écria:
« Starlight Extinction !!!!! »
Un flot de lumière noya son adversaire et, lorsqu'il se dissipa, il n'en restait plus rien, même pas un atome. Shion abaissa les bras et courut à Arzaniel, encore effarée de ce qu'elle venait de voir. Il passa la main sur sa blessure, qu'il guérit instantanément, et dit:
« Je suis désolé, je pensais que tu serais en sécurité ici. Vraiment, j'ai mal vieilli... »
Elle le regarda, une douce lumière dans les yeux, et dit rêveusement:
« Je savais qu'il ne pouvait rien m'arriver avec toi... quelle puissance ! »
Mais Shion était sombre:
« Quelqu'un a essayé de me tuer et de s'attaquer à toi, et savait qui je suis réellement, c'est une menace à prendre au sérieux et dont je vais devoir informer les grands maîtres... »
Il l'aida à se relever et dit:
« Viens, rentrons, je ne veux pas risquer qu'il t'arrive davantage de mal... »
Quand ils furent revenus à sa chambre, il dit d'une voix sans appel:
« Il y a peut-être d'autres tueurs dans le temple, tu vas dormir dans mon lit et je vais prendre le fauteuil... »
Il se moquait pas mal qu'on jasât dans la lamaserie, ce qu'il voulait était protéger la femme qu'il aimait et il se fichait de sa propre réputation. Si quelqu'un osait ensuite dire du mal d'Arzaniel, il trouverait à qui parler...
Mais Arzaniel ne lui obéit pas, elle alla chercher dans la salle de bains une trousse à pharmacie et, malgré les dénégations de Shion, elle le soigna doucement avant de bander ses blessures sans rien dire…
Touché par son attention, il ajouta cependant:
« J'enverrai dès mon retour quelqu'un pour te protéger ici, ils pourraient se servir de toi pour m'atteindre et je ne veux à aucun prix qu'il t'arrive encore quelque chose... »
Il s'assit dans le fauteuil, et, après avoir été changer de tunique dans la salle de bains, tira une couverture sur lui pour bien montrer qu'il n'avait aucune intention non louable, puis il ferma les yeux, laissant Arzaniel s'installer dans son lit. Elle se pelotonna au milieu de la grande couverture en peau de yak et des draps qui portaient l'odeur de Shion, et s'endormit elle aussi, le sourire aux lèvres...
Mais le Grand Pope ne put trouver le sommeil, et finit par renoncer. Qui avait bien pu vouloir le tuer ? Il n'avait pas pu reconnaître l'armure de l'homme qu'il avait pulvérisé, dommage, voilà qui aurait pu l'aider...
Il est vrai que la déesse Athéna avait beaucoup d'ennemis, à commencer par Poseidon, qui dormait dans son sanctuaire sous-marin depuis deux cents ans, mais ce n'était pas lui, il connaissait déjà son aura. Ce n'était pas Hadès non plus, il aurait reconnu l'aura des spectres qui avaient tué ses amis à des kilomètres, et surtout Dohko l'aurait prévenu de la rupture du sceau...
Perplexe, il resta éveillé une grande partie de la nuit sans trouver de réponse. Conscient à l'extrême de la présence d'Arzaniel endormie, il resta cependant assez clair d'esprit, mais elle dut sentir son insomnie par ses pouvoirs et s'éveilla elle aussi. Elle se redressa et lui dit:
« Tu ne te sens pas bien ? »
Il secoua la tête et répondit:
« Ce n'est rien, rendors-toi... »
Elle se leva et vint s'agenouiller près de lui en disant:
« Tu te tortures inutilement, tu trouveras bien mieux qui a voulu te tuer en te reposant, Shion, mais si tu veux veiller je veillerai avec toi... »
Doucement, il caressa sa joue et dit:
« Non, va dormir, moi j'ai l'habitude de veiller... »
Mutine, elle répondit:
« J'ai une solution: viens dormir avec moi... »
Shion eut soudain l'impression que son sang se transformait en lave, mais elle ajouta:
« Que faisons-nous de mal ? Il s'agit juste de dormir, et voilà... »
Se pouvait-il qu'elle soit restée si innocente en ayant été mariée ? Ses yeux violets étaient si limpides...
Après tout, il n'y avait rien de répréhensible dans le fait de dormir dans le même lit en utilisant les préceptes de l'amour courtois, et Shion décida d'accepter. Il se leva, gagna son lit et, d'un geste raide, se positionna dos à elle pour ne pas être tenté. Bientôt, il put sentir sa respiration s'égaliser, et finit par s'endormir lui aussi en ayant cependant les sens aux aguets. Quelque chose l'éveilla vers les petites heures du matin, et il s'aperçut qu'Arzaniel était venue se coller à lui. Attendri, il bougea avec précautions pour se mettre sur le dos et la prit dans ses bras. Elle sourit dans son sommeil, mais ne se réveilla pas. Avec amusement, il constata que c'était une des premières fois de son existence qu'il allait se réveiller auprès d'une femme...
Arzaniel ne tarda pas elle aussi à se réveiller et, les yeux encore tout ennuagés de sommeil, elle lui dit:
« Fais attention à toi au Sanctuaire... »
Il lui sourit, la serra contre lui et lui dit:
« Je ne risque absolument rien là-bas, ne crains rien, et, comme tu as pu le constater, je sais me défendre... »
Elle baissa le regard, et dit
« Je... tu vas me manquer... »
Des larmes perlèrent au coin de ses paupières, mais Shion dit:
« Ne pleure pas, je veux garder de toi l'image de ton sourire... »
Il l'embrassa doucement, tendrement, dans un baiser qui dura longtemps, puis elle sortit de la pièce, le laissant seul...

 

A SUIVRE