Voili voilou la partie 3, corrigée une fois de plus par les bons et excellents soins d’Alaiya, que je remercie encore ici…
Ex libris 1 :
Emergence d’humanité
Partie 3 : L’impossible oubli
Le Sanctuaire, 8 juin 1964
Pour la centième fois de la journée, Shion soupira alors que
son premier ministre, Kyrillos, se demandait franchement s'il écoutait
ce qu'il lui disait, une telle distraction ne lui était pas coutumière.
Le Grand Pope re-focalisa alors son attention et dit:
« Continuez, Kyrillos... »
Le premier ministre continua son discours, et, cette fois, Shion se concentra
assez pour le suivre jusqu'au bout. Il demanda alors:
« A-t-on vérifié l'état des Temples du Zodiaque
? S'ils ne sont plus en bon état il va falloir les rénover... »
Kyrillos opina du chef et répondit:
« Les vérifications sont en cours, Altesse »
Shion, satisfait, lui dit:
« Très bien, je dois me rendre au camp d'entraînement
à présent pour voir les nouveaux entraînés, nous
nous verrons plus tard... »
Kyrillos s'inclina et sortit, intrigué par la distraction de son maître.
Dès qu'il eut refermé la porte, Shion ôta son casque et
son masque avant de s'approcher d'une vasque de marbre et de s'asperger d'eau
fraîche. Depuis qu'il était rentré du Tibet, il ressentait
tous les jours ces moments de distraction, et savait que son coeur était
resté là-bas, entre les mains d'une très belle jeune
femme aux yeux violets pailletés d'or. Que pourraient-ils y comprendre
?
Il remit son casque et son masque puis, traversant la salle du trône,
il sortit à l'air libre pour gagner le camp d'entraînement où
se trouvait Saga, son jumeau Kanon étant entraîné ailleurs.
Il y trouva un enfant aux cheveux bleus en désordre, aux grands yeux
bleus de lac profond qui le regarda avec une certaine curiosité mais
sans avoir peur de lui...
Amphion du Triangle, le grand maître chargé de son entraînement,
lui fit alors un signe et il s'inclina devant Shion. Le Grand Pope lui dit :
« Je suis content de te connaître, Saga… »
Ce n’était là qu’un enfant mais, pourtant, il avait
une drôle d’impression à son sujet…probablement son
instinct qui lui jouait des tours. Il demanda à Amphion, alors que
l’enfant retournait à ses tractions :
« Comment progresse-t-il ? »
Amphion, peu bavard, se contenta de répondre :
« Plutôt bien pour l’instant, je vous en dirai davantage
lorsque je le connaîtrai mieux… »
C’était logique, et Shion répondit :
« Faites-moi part de ses progrès… »
Il n’y avait rien d’autre à dire, et il revint d’un
pas lent à son bureau. Pourquoi avait-il cette impression de décalage ?
Le Sanctuaire tournait très bien sans lui, finalement…
Tentant de garder un état d’esprit optimiste, il lut tous les
rapports, qu’il signa, et prit connaissance des travaux envisagés
dans un proche avenir. Tout serait prêt à temps, heureusement…
Il fallait surveiller les étoiles, aussi, elles seraient probablement
plus claires à propos de la naissance de la prochaine réincarnation
de la déesse, et il décida de se rendre à Star Hill le
soir même afin de le vérifier. Il n’était pas assez
stupide pour laisser un amour altérer son jugement et lui faire oublier
les devoirs de sa charge, travailler l'aiderait à oublier.
Il avait informé les grands maîtres de la tentative d’assassinat
survenue au Tibet, et la garde du Sanctuaire avait été doublée,
mais, pour l’instant, elle n’avait pas eu de suites. Cependant,
il avait envoyé un chevalier en civil au Tibet officiellement pour
enquêter mais officieusement pour veiller sur Arzaniel, il n’aurait
pas supporté qu’il lui arrivât quelque chose...
Ce soir-là, ne pouvant dormir, il se releva et alla sur la terrasse
d’Athéna où il s’agenouilla, les deux mains au sol,
priant silencieusement:
« Déesse Athéna, je t’ai toujours été
fidèle, je t’ai consacré ma vie depuis l’enfance,
mais est-ce toi qui m’envoies cette épreuve ? Ai-je péché
par orgueil en me croyant au-dessus des humains ? A présent, je souffre
du plus humain des maux: l’amour, et c’est un sentiment irrépressible
que je ne peux contrôler. Pardonne-moi, ô grande déesse,
aide-moi... »
Mais il ne se passa rien, la statue resta impassible, et Shion, prosterné,
laissa alors couler librement ses larmes...
Tibet, le même jour
Hallatan entra avec vivacité dans le bureau d'Arzaniel en disant:
« Je t'ai donné mon prochain livre à corriger, et
tu as laissé des fautes... »
Arzaniel leva les yeux de ce qu'elle écrivait, et il put voir que la
vivacité qui les animait avait disparu, comme si quelque chose avait
éteint la lumière qu'elle avait dans le regard. Elle lui dit
en soupirant, d'une voix neutre:
« Redonne-moi ton manuscrit, et je le relirai, excuse-moi... »
Hallatan se retira, encore plus inquiet. Qu'arrivait-il à son assistante
? Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même depuis quelques semaines,
et, bien qu'il soit discret et ne lui en parlât pas, il se doutait bien
de la raison: le retour de Shion au Sanctuaire...
Arzaniel attendit que la porte se soit refermée pour jeter son crayon
sur le bureau avec un soupir, proche des larmes. Cette souffrance lancinante
ne lui laissait pas de repos, et elle n'arrivait plus à se contrôler.
Shion lui manquait à un tel point qu'elle aurait voulu hurler au ciel
pour exorciser ce terrible sentiment, et elle se maudissait d'être si
sentimentale. Elle l'avait su dès le début que cela aurait une
fin, alors pourquoi souffrait-elle autant ? Shion était devenu une
partie d'elle-même, et il lui semblait qu'on lui avait arraché
une partie du corps, mais elle savait qu’avec le temps son absence lui
paraîtrait moins vive. C’était d’autant plus difficile
qu’elle ne pouvait se raccrocher à rien d’autre que ses
souvenirs et une mèche des cheveux verts rebelles de Shion qu’elle
portait dans un médaillon autour de son cou, cadeau partagé
avant son départ…
Le Sanctuaire, Star Hill, 26 juin 1964
Tenant en main le livre où il consignait ses observations, Shion regardait
le ciel étoilé au-dessus de lui. De son oeil habitué,
il remarquait immédiatement les choses bizarres ou extraordinaires
qui se produisaient dans les cieux, véritable livre ouvert à
qui savait en déchiffrer les arcanes. Depuis quelques temps, il passait
ses nuits à observer les étoiles, et en avait tiré de
précieux enseignements sur la reconstitution prévue des ordres
de chevalerie avant la réincarnation de la déesse Athéna,
prévue pour l’instant autour de l’année 1970. Shion
comptait bien sur les étoiles pour lui préciser davantage cette
date, mais, à ce propos, elles restaient encore muettes. Pourtant,
les constellations zodiacales s’éclairaient les unes après
les autres, signe que, bientôt, les nouveaux porteurs des armures d’or
qui n’étaient pas encore nés viendraient au monde.
Il avait toujours apprécié cet aspect de ses attributions, le
fait de se retrouver seul avec soi-même au sommet d’une montagne,
en ayant le ciel seul comme témoin de ses pensées les plus secrètes.
Il était parvenu à éloigner quelque peu Arzaniel de ses
pensées mais, dès que son esprit se libérait un instant
de ses soucis quotidiens, elle revenait. Bien souvent, il suppliait la déesse
d’éloigner de lui cette coupe, mais savait qu’un jour viendrait
où il devrait la boire jusqu’à la lie, achever le chemin
vers l’humanité qu’il avait entrepris. Après tout,
il n’était qu’un homme, il l’avait sans doute oublié
et sa rédemption intervenait sous la forme de cet amour qui l’avait
tiré du néant où il se sentait couler. D’un commun
accord, ils avaient décidé de ne pas s’écrire pour
éviter de se compromettre mutuellement et il ne possédait d’elle
qu’une mèche de ses cheveux ainsi que ses souvenirs, mais elle
était présente en lui à chaque instant…
D’une main tranquille, il acheva de consigner ses remarques sur le carnet
à couverture de cuir qui était le témoin fidèle
de ses observations, puis rentra à l’intérieur du petit
bâtiment pour y prendre un peu de repos. Il était loin le temps
où il observait toute la nuit, à présent son médecin
personnel le lui avait interdit, même s’il l’avait trouvé
en excellente santé à son retour du Tibet. Il avait lu le rapport
des soins prodigués à son auguste malade là-bas, et avait
recommandé qu’il y effectuât un autre séjour l’année
suivante, couplé cette fois avec une cure thermale. Shion, habitué
à cacher ses sentiments, avait dissimulé son contentement à
son médecin…
Il ôta sa tenue rituelle et s’allongea sur le lit qui se trouvait
dans une petite pièce au fond du temple, pourtant il ne parvint pas
à trouver le sommeil tout de suite. Les étoiles étaient
encore vagues, pourtant il avait vu clairement la constellation du Bélier
s’allumer sous ses yeux. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier
? Pour l’instant, il n’avait pas encore de successeur, n’ayant
pas ressenti sa naissance, mais cela signifiait probablement qu’il naîtrait
bientôt. Il prit note mentalement de faire le point avec les grands
maîtres des recherches concernant les futurs chevaliers d’or.
En effet une période importante s’était ouverte avec le
début de l’initiation de Saga et Kanon qui allait probablement
prendre beaucoup de son temps.
Tibet, 7 juillet 1964
Seule à la lueur d’une bougie, Arzaniel corrigeait l’épreuve
de l’article qui paraîtrait dans le nouveau Cahier des Etudes
Atlantes et qui faisait le point sur l’état de ses recherches.
Le savoir et l’expérience de Shion y avaient fortement contribué,
et elle n’avait pas manqué de le mentionner. La souffrance lancinante
qu’elle avait ressentie à son départ s’était
quelque peu adoucie à présent, mais, bien souvent, le visage
calme de Shion s’imposait à ses yeux, et elle soupirait, se souvenant
de l’expression bienveillante de son visage, de ses yeux pourpres qui
brillaient lorsqu’il la regardait, de l’odeur de sa peau blanche.
Ils étaient séparés, peut-être pour toujours, mais
le lien entre eux n’était pas rompu, loin de là. Elle
savait que leur amour était interdit aux yeux des gens du Sanctuaire,
mal vu du côté des atlantes, tenants des traditions, mais elle
se fichait complètement de cela. Shion était la meilleure chose
qui lui soit arrivée, à elle jeune fille mariée de force,
astreinte de force au devoir conjugal et qui ne savait pas ce que c’était
que d’aimer et d’être aimée...
Tous deux avaient été précocement marqués par
la vie, et s’étaient en réponse clôturés
à l’intérieur d’eux-mêmes. Elle avait tout
misé sur ses études et sa carrière pour oublier son mariage,
et Shion, déjà meurtri par la dernière guerre sainte,
avait reçu sur ses épaules la responsabilité du Sanctuaire
tout entier à dix-huit ans sans y avoir été préparé.
Ce qui n’était que complicité au début entre deux
personnes éprouvées et solitaires s’était vite
mué en un sentiment plus profond sans qu’ils s’en rendent
vraiment compte...
Et pourtant, ils ne pouvaient aspirer à une vie de couple normale,
car Shion ne serait jamais délié de son serment à la
déesse Athéna, à laquelle il avait consacré sa
vie. Elle le comprenait, mais se sentait parfois prise d’un sentiment
de révolte en pensant qu’elle ne pourrait jamais vivre auprès
de lui...
Le Sanctuaire, 16 septembre 1964
Shion, assis dans son fauteuil, se trouvait en compagnie de Dion de l’Octant,
grand maître du signe du Scorpion, et d’Androgeio des Voiles,
grand maître du signe du Taureau, un géant de 2,20 m à
côté duquel il se sentait petit, même du haut de son mètre
quatre vingt cinq. Les deux hommes lui confirmaient que les Temples du zodiaque
avaient été examinés et que leur ravalement était
enfin en cours. Pour l’instant, les deux grands maîtres n’avaient
pas encore d’apprentis, et continuaient à assurer leur rôle
initial: gérer le Sanctuaire au quotidien. Ils avaient tous fait un
travail remarquable pendant son absence, et il appréciait leur efficacité.
En effet, l’honneur de grand maître était très recherché
parmi les chevaliers d’argent, et seuls les meilleurs - et les prédestinés
- y parvenaient.
Shion examinait avec eux les plans du Sanctuaire, et voyait ce qui devait
être reconstruit ainsi que l’ordre de priorité. Beaucoup
des bâtiments étaient très anciens, et donnaient franchement
des signes de fatigue certains...
On frappa à la porte, et à l’assentiment de Shion entrèrent
Hylas d’Eridan, grand maître du signe du Lion, à la chevelure
en désordre et poussiéreuse, accompagné de Youri du Réticule,
grand maître du signe du Verseau. Hylas tenait dans ses mains un objet
conique, à la patine ancienne, qui venait sans aucun doute de sortir
de terre. Il le déposa sur le bureau et dit:
« Nous avons trouvé ceci pendant les travaux du temple du
Bélier mais, quand j’ai essayé de l’allumer, il
m’a projeté à plusieurs mètres... »
Shion reconnut l’objet pour l’avoir vu dans les livres qu’il
avait lus pendant sa convalescence, il s’agissait d’une sorte
de générateur d’énergie. Que faisait-il donc dans
la maison du Bélier ? Il ignorait complètement qu’il y
était, et jamais Ashen ne lui en avait parlé. Shion actionna
la petite manette, et l’appareil s’alluma avant d’émettre
un léger ronronnement sous le regard éberlué d’Hylas
et des autres grands maîtres. Il dit:
« Je sais ce que c’est, et c’est incontestablement
de facture atlante... seuls ceux qui ont du sang atlante peuvent l’actionner,
ce qui est mon cas... »
Androgeio s’approcha de l’objet, méfiant, et dit:
« Comment être sûrs que ce n’est pas dangereux
? »
Shion dit alors:
« Je pourrais le faire examiner par des spécialistes atlantes,
qui me le diraient immédiatement... »
Les grands maîtres, s’il ne connaissaient pas l’identité
de Shion, savaient néanmoins qu’il descendait des atlantes, et
approuvèrent la solution de prudence proposée. Il se leva et
dit:
« J’irai demain au Tibet, au centre atlante, pour le faire
examiner, d’ici là je vais l’éteindre et le garder
ici, on ne sait jamais... »
Androgeio dit alors:
« Vous ne devriez pas y aller seul, Excellence, c’est là-bas
qu’on a tenté de vous assassiner... »
Shion le regarda et lui dit:
« Je n’irai que pour quelques heures, mais, comme je devrai
y retourner dans quelques mois pour contrôler ma santé, cette
fois pour une ou deux semaines, l’un de vous m’accompagnera par
mesure de sécurité, si vous y tenez... »
Les grands maîtres, s’ils ignoraient l’âge de Shion,
savaient cependant qu’il avait bien davantage vécu qu’un
homme normal, et Hylas dit:
« Excellence, faites attention à votre santé, surtout...
nous avons eu très peur... »
La sollicitude du grand maître du signe du Lion toucha Shion qui lui
répondit:
« Je vais bien à présent, mais je serai prudent... »
Androgeio, avec son franc-parler coutumier, ajouta:
« Si quelqu’un essaye encore de vous faire la peau, je le
pulvériserai si menu qu’il faudra un microscope pour retrouver
ses morceaux... »
Il fit rire tout le monde à ses dépends, mais Shion était
ému par l’affection et la fidélité que lui portaient
les grands maîtres, et resta muet...
Le soir, seul dans ses appartements, il enveloppa l’objet soigneusement,
ce serait pour Arzaniel une autre preuve de la relation entre le Sanctuaire
et le peuple atlante. Il sourit, et serra dans son poing le médaillon
qui contenait la mèche de ses cheveux, espérant qu’il
pourrait la voir le lendemain, ne fût-ce que pour quelques minutes...
Malheureusement, il n’eut pas cette chance, elle avait accompagné
Hallatan à Lhassa et n’était pas à la lamaserie
Cependant, dérogeant quelque peu au code de conduite qu’ils s’étaient
instaurés, il lui laissa une lettre pendant que les chercheurs, excités
comme des puces, examinaient l’objet qu’il leur avait amené.
Comme il en avait eu l’intuition, il s’agissait là d’un
générateur surpuissant rare, mais ils n’eurent pas d’explication
à lui fournir concernant sa présence au Sanctuaire...
Tibet, 18 septembre 1964
Les yeux remplis de larmes, Arzaniel tenait la lettre de Shion, sur laquelle
elle sentait encore sa présence, et avait envie de hurler. Dire qu’il
était venu et qu’elle était absente ! Le sort s’acharnait
vraiment contre eux, avait-elle pensé au départ, mais, alors
qu’elle se calmait progressivement, elle pensait que c’était
mieux ainsi. A quoi cela aurait-il servi, à part les faire souffrir
davantage ? Il leur fallait se satisfaire de cette situation, en espérant
que ces souffrances les feraient renaître dans un meilleur karma.
Se levant dans un froissement de soie, elle gagna la fenêtre, la lettre
de Shion toujours serrée contre son cœur. Il était inscrit
dans leurs destins qu’ils seraient séparés, mais elle
savait qu’ils seraient réunis un jour, et cela seul comptait.
Lentement, elle sortit de sa chambre pour gagner une petite pièce dédiée
au culte de Bouddha. Elle s’agenouilla et alluma un bâton d’encens
qu’elle ficha devant la statue, puis elle pria de toutes ses forces
en espérant que, puisque aucun secours ne pouvait venir des mortels,
peut-être pourrait-elle obtenir un secours divin...
Le Sanctuaire, 14 décembre 1964
Shion, assis torse nu devant son médecin, était l’objet
d’un examen approfondi. Celui-ci l’ausculta et finit par lui dire:
« Votre cœur est guéri, mais votre tension artérielle
ne se stabilise pas bien, vous êtes hypertendu... »
Shion n’avait pas de secrets pour son médecin, et dit:
« C’était à prévoir, même si je
ne fais pas mon âge en apparence mes organes ont tout de même
deux cents trente neuf ans... »
Le médecin secoua la tête et dit:
« Vous travaillez trop, et ne prenez pas assez soin de vous...
votre tension était parfaite lorsque vous êtes rentré
du Tibet voici six mois... »
Shion enfila sa tunique de coton et dit:
« Je n’ai pas le choix, je délègue déjà
beaucoup aux grands maîtres mais il y a des choses que je suis le seul
à pouvoir effectuer, vous le savez très bien... »
Le médecin rangea son stéthoscope dans sa sacoche et dit:
« Je crois que je vais vous renvoyer au Tibet si cela ne s’arrange
pas, au moins vous vous reposerez, là-bas... »
Shion secoua la tête:
« Pas pour l’instant, je n’ai pas le temps... »
« ...et mon cœur n’y résisterait pas. »,
se dit-il in petto.
Dire qu’à une époque il aurait pu se soigner lui-même!
Ses pouvoirs s’étaient amoindris, ils n’avaient jamais
retrouvé la puissance qu’ils avaient avant la guerre sainte,
après tout il était censé ne plus en avoir l’utilité
mais, mais dans ce cas de figure, ils lui auraient été bien
utiles.
Le médecin prit son sac et dit :
« Que vous le vouliez ou non, je vais prendre contact avec les
médecins qui vous ont soigné là-bas, et je m’arrangerai
pour que vous y retourniez dès que possible, je ne peux pas laisser
votre santé se détériorer ainsi… »
Le médecin avait un franc parler que personne n’osait avoir avec
lui, et il était clairement soucieux. Pourtant, Shion ne se sentait
pas mal, guère plus fatigué que d’habitude, mais, sachant
que beaucoup de travail l’attendait au cours des années à
venir, il estima que le jeu en valait largement la chandelle…
Il s’approcha de son bureau, et décida de faire ce qu’il
aurait dû faire depuis longtemps : parler à Dohko d’Arzaniel.
Il avait repoussé ce moment, mais il ne pouvait plus garder cela pour
lui, et qui mieux que son ami pourrait le comprendre ?
Il s’attabla, prit un pinceau et commença à tracer soigneusement
sur une feuille de vélin sa lettre en caractères chinois :
« Cher Dohko,
Je suis désolé de n’avoir pas trouvé le temps de
te répondre, mais d’autres soucis requéraient mon attention,
et je m’en excuse. Ce que je vais te dire va probablement te surprendre
venant de ma part, mais je n’en peux plus de garder cela en moi. Lorsque
j’étais au Tibet, j’ai rencontré une femme qui s’appelle
Arzaniel, dont je suis amoureux…oui, moi, amoureux !
Je t’entends rire d’ici, toi qui te moquais si souvent de moi
lorsque nous étions adolescents, mais je t’assure que c’est
la stricte vérité. Je n’ai d’abord pas voulu y croire,
prenant cela pour une illusion de ma jeunesse enfuie, une simple pulsion,
mais j’ai fini par comprendre, et quelle n’a pas été
ma surprise de voir que ce sentiment est partagé. Je suis probablement
peu objectif, mais Arzaniel est à mes yeux la plus belle femme au monde,
vive et intellectuelle (elle fait des recherches dans une bibliothèque).
Je sais, un Grand Pope d’Athéna n’est pas un homme ordinaire,
mais, en face d’elle, je me découvre si humain, tellement humain.
Dire que c’était toi, quand nous étions jeunes, qui collectionnais
les conquêtes et qui te moquais de moi parce que j’étais
timide… je pense vraiment que tu seras surpris lorsque tu liras ceci.
J’ai beaucoup de peine à t’expliquer avec des mots ce qui
se passe en moi, mais je suis sûr que tu comprends ce qui m’arrive.
Il a fallu que j’atteigne deux cent trente neuf ans pour apprendre ce
que c’était enfin qu’aimer. Chaque seconde sans elle est
une torture, mais nous n’avons pas le choix et elle le comprend…
Pour le reste, je vais bien, ma santé est stabilisée à
présent. J’essaie de préciser par mes observations la
date de réincarnation de notre déesse, mais je n’y parviens
pas pour l’instant, je vais devoir encore être patient. Les grands
maîtres font rechercher les futurs chevaliers d’or, mais ce n’est
pas très concluant pour l’instant, il faut nous armer de patience.
Saga et Kanon progressent bien, cependant, et j’ai bon espoir…
Porte-toi bien, mon ami…
Shion »
Shion sourit en imaginant la surprise de son ami lorsqu’il recevrait
cela. Dohko, lorsqu’il était adolescent, était un véritable
bourreau des cœurs qui savait séduire les filles en jouant de
ses yeux verts et de son sourire charmeur, et – mais une fois n’était
pas coutume – il lui manqua brusquement. Leur jeunesse était
derrière eux, mais il aurait bien aimé le revoir ne fût-ce
qu’une seule fois…
Il soupira, mais son vague à l’âme ne dura pas longtemps
lorsqu’il s’aperçut qu’il neigeait dehors. Le fait
était assez rare en Grèce, et lui rappela immédiatement
les neiges de l’Himalaya, ainsi que la blancheur de la peau laiteuse
d’Arzaniel pourtant si tiède sous sa main. Il s’approcha
de la fenêtre, et sourit…
En dessous du Sanctuaire, il pouvait voir les lumières de la ville
illuminée aux approches des Fêtes, et cela avait toujours suscité
son intérêt, même s’il était bouddhiste et
que Noël ne signifiait rien pour lui. Toute cette ferveur l’avait
toujours fait sourire, surtout lui qui n’avait plus de famille…
A cette époque de l’année, il accordait à tous
ses grands maîtres quelques jours de congé mais restait au Sanctuaire.
Il s’attendait à faire la même chose cette année
mais celui qui changea ses plans fut son médecin qui lui dit :
« J’ai parlé à l’un des médecins
qui vous a soigné, il souhaiterait vous voir le plus tôt possible
à cause de votre hypertension. Puisque le Sanctuaire va quelque peu
vivre au ralenti, j’ai pensé que vous pourriez y aller dès
que les grands maîtres seraient revenus… »
Shion saisit un épais dossier sur son bureau et lui dit :
« Voyez-vous ceci ? C’est très exactement ce
qui me reste à régler avant la fin de l’année… »
Le médecin croisa péremptoirement les bras et dit :
« Très bien, épuisez-vous si vous voulez, je parlerai
à vos grands maîtres de vos problèmes d’hypertension,
et je vous jure bien qu’ils m’écouteront… »
Les yeux pourpres de Shion flamboyèrent et il dit :
« Du chantage, maintenant ? »
Le médecin, sachant que Shion se rendait déjà à
la raison, acheva :
« Ce n’est qu’une visite de routine, quelques jours
seulement là-bas qui, je l’espère, vous feront le plus
grand bien… »
Shion soupira et dit :
« Très bien, je m’y rendrai… »
Le médecin sourit et dit :
« Cela ne vous fera pas de mal de faire une pause… »
Resté seul, il s’autorisa un sourire mais qui s’effaça
assez vite…Ne disait-on pas : « loin des yeux, loin
du cœur ? »
Cette pensée ne le quitta pas les jours suivants, dont presque personne,
par chance, ne fut le témoin.
. Point de non-retour
« Tu es celle que j’ai toujours recherchée
Celle que mon cœur a toujours désirée
La lumière quand dans le noir je me perds… »
Tragédie, Eternellement
Il travailla comme un forcené pour terminer sa tâche et, au
jour dit, prépara son sac avec une certaine appréhension. Comme
si c’était un signe, il avait beaucoup neigé la nuit précédente.
Enfilant une tunique de coton épais, il enroula autour de ses épaules
son traditionnel châle en cachemire, prit son sac à la main et,
prenant une grande respiration, se téléporta au Tibet. On était
le 31 décembre 1964…
Nonobstant la couche impressionnante de neige qui recouvrait la lamaserie,
rien n’avait changé ici, et, compte tenu du silence qui y régnait,
il n’y avait pas beaucoup de monde à cette période de
l’année. Il se présenta au portier qui, le reconnaissant,
lui attribua immédiatement une chambre, à laquelle il le fit
conduire avec empressement. Shion posa son sac, s’installa quelque peu
puis se mit à la recherche du médecin qui voulait le voir. Il
pensait qu’un peu d’hypertension n’était pas très
grave à son âge, mais, manifestement, son médecin du Sanctuaire
et celui du Tibet pensaient le contraire…
D’humeur maussade, il déambula tranquillement dans les couloirs
déserts avant de trouver enfin la porte qu’il cherchait. Le médecin
atlante qui s’était occupé principalement de lui pendant
sa convalescence le fit asseoir et lui dit :
« Ah, je suis content que votre médecin ait réussi
à vous convaincre de venir, il est inquiet à propos de votre
hypertension… »
Shion répondit calmement :
« Au cas où vous l’auriez oublié, j’ai
deux cents trente neuf ans, il est parfaitement normal à mon âge
d’avoir ce genre de problème, non ? »
Le médecin répliqua :
« Effectivement, mais vous ne devez pas prendre cela à la
légère… »
Il se leva et dit :
« Enlevez votre tunique, je vais vous examiner… »
Shion s’exécuta, et apparut torse nu, la peau blanche de son
torse dépourvue de toute pilosité. Le médecin l’examina
avec attention et lui dit :
« Votre cœur s’est remis, vous ne risquez plus rien
de ce côté-là, mais j’ai peur que l’hypertension
ne provoque de nouveaux problèmes cardiovasculaires… »
Il se rhabilla pendant que le médecin lui disait :
« Pendant que vous serez ici, je vous examinerai tous les jours,
et nous verrons quel traitement adopter… »
Shion hocha la tête, et sortit du bureau du médecin, qui donnait
sur le cloître. Le jardin enneigé offrait un magnifique spectacle,
qu’il resta un moment à regarder, le cœur serein, avant
de refaire le chemin en sens inverse pour regagner sa chambre. S’allongeant
sur son lit, il ferma les yeux et laissa la sérénité
gagner son cœur et son âme avant de s’endormir…
Quand il s’éveilla de nouveau, la nuit était tombée
et, par la fenêtre, il put voir les lumières, en bas, dans la
vallée. C’était très beau, et, pourtant, Shion
avait le cœur serré. Ses sentiments envers Arzaniel n’avaient
pas tiédi, mais il savait très bien qu’il était
un vieil homme, qu’elle avait énormément d’années
de moins que lui et qu’elle avait tout l’avenir devant elle. Elle
méritait bien mieux que lui, et il ne l’aurait pas blâmée
d’avoir trouvé quelqu’un de son âge…Cela aurait
été un beau rêve pour lui, voilà tout, une perte
supplémentaire parmi toutes celles qu’il avait subies depuis
deux cents ans.
Il s’assit, se releva et, le cœur tourmenté, sortit de sa
chambre pour aller marcher un peu. Il alla dans la salle de prière,
alluma un bâton d’encens qu’il posa devant le Bouddha Shakyamuni
et se mit à prier avec ferveur, la tête baissée :
«O Bouddha, toi qui as réussi à t’affranchir
des émotions et des sentiments humains, guide-moi sur le chemin de
la sérénité, ôte-moi du cœur ce sentiment
qui me fait tant souffrir. Donne-moi la force d’accepter mon destin,
quoi qu’il implique, et de rendre heureuse Arzaniel, même si c’est
avec un autre que moi… »
Après une dernière inclinaison, il quitta la pièce et
rejoignit le jardin, ce jardin dans lequel il avait de si doux souvenirs,
et marcha calmement, vidant son esprit comme il savait si bien le faire. Sans
qu’il s’en rende vraiment compte, ses pas le menèrent vers
la bibliothèque et il releva brusquement la tête, conscient soudain
à l’extrême de la présence aimée, non loin
de lui. Arzaniel, qui fermait la porte à clé, un dossier dans
la main, le sentit aussi et tourna la tête vers lui, une expression
incrédule sur le visage. Pendant un moment, tous deux restèrent
là, immobiles, croyant qu’ils vivaient un rêve, puis Arzaniel
laissa tomber son dossier en balbutiant :
« Toi…ici… »
Shion, son cœur battant à tout rompre, n’osait pas s’approcher,
s’attendant au pire à chaque parole qu’elle prononcerait,
et resta calme, son émotion se déversant uniquement dans ses
yeux pourpres. Arzaniel alors se jeta dans ses bras, éclatant en sanglots,
et il ne douta plus. Ses bras se refermèrent sur elle, et il la serra
contre elle. Arzaniel leva alors les yeux sur lui et lui dit :
« Quand es-tu arrivé ? Je…je croyais que… »
Ses larmes coulaient librement, et Shion lui dit :
« L’un des médecins ici a voulu me voir pour un contrôle,
et le mien a usé de chantage pour me faire venir ici… »
Arzaniel, encore à demi incrédule, regardait le visage de l’homme
qu’elle aimait, qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer
pendant ces longs mois où ils avaient été séparés,
et comprit la raison de sa réticence. Pourtant, ce n’était
pas l’endroit pour des retrouvailles, ils pouvaient être vus de
tous, et elle lui dit :
« Viens, nous serons mieux chez moi pour parler… »
Profitant de l’obscurité pour se tenir la main, elle l’emmena
jusqu’à l’appartement qu’elle occupait à présent,
dans une petite maison adossée au mur sud de la lamaserie. Il fallait
passer par une petite porte située dans une anfractuosité, dont
elle seule avait la clé, et ils se retrouvèrent dans une pièce
carrée qui était sa pièce à vivre sur laquelle
donnaient sa chambre et sa salle d’eau. Elle avait décoré
la pièce avec goût, et il reconnut son style éclectique.
Elle mit de l’eau à chauffer sur le foyer qui se trouvait dans
le coin de la pièce et lui désigna un sofa, où il s’assit.
Quand le thé fut prêt, elle le posa sur la table basse et vint
s’asseoir près de lui. La tension entre eux était presque
palpable, et tous deux étaient incapables de parler, chacun étant
noyé dans le regard de l’autre. Puis, doucement, leurs visages
se rapprochèrent et ils échangèrent un baiser, d’abord
doux puis plus passionné. Les sentiments qu’il y avait entre
eux avaient survécu à leur séparation, et s’étaient
renforcés, devenant un torrent qu’ils ne pouvaient plus contrôler.
Shion, pourtant, avant de perdre toute maîtrise de lui-même, se
reprit et lui dit :
« Hé bien, en voilà un accueil… »
Arzaniel le regarda et lui dit :
« Rien n’a changé, Shion…pendant des mois, j’ai
regretté de ne pas avoir osé t’avouer mes sentiments clairement,
aussi, puisque Bouddha m’offre une seconde chance… »
Elle plongea son regard dans le sien et dit doucement :
« Je t’aime…tu es l’homme que j’ai choisi,
et rien ne pourra changer cela… »
La lumière des bougies se reflétait sur son visage, comme des
pensées fugitives, et il s’aperçut que tous ses doutes
étaient sans fondement. Il lui dit alors :
« Je suis bien trop vieux pour toi, tu mérites bien mieux
que moi… »
Arzaniel lui posa la main sur la bouche et dit :
« Ne dis pas cela, ce n’est pas vrai…N’as-tu
pas compris ? »
La proximité d’Arzaniel faisait battre plus vite le cœur
de Shion et accélérait sa respiration, faisant monter le désir
dans son corps, ces signes qu’il avait appris à reconnaître…
Près de lui, Arzaniel, elle aussi, ressentait les mêmes symptômes,
elle tremblait légèrement et ne pouvait détacher son
regard de lui. Alors tout bascula, et ils recommencèrent à s’embrasser
de façon presque désespérée. Les mains de Shion
sentaient le corps d’Arzaniel sous sa robe de soie et il la serra contre
lui à la briser…
Elle se recula alors et, prenant sa main, elle la posa sur son épaule
en plongeant son regard dans le sien. Le contact télépathique
qui s’était établi entre eux rendait Shion nerveux, mais,
suivant son instinct, il lui caressa les épaules, déplaçant
légèrement l’encolure de la robe, avant d’y poser
ses lèvres, la faisant tressaillir. Mais il se releva et secoua la
tête, refusant de profiter de cet instant d’émotion…
Arzaniel ne dit rien, et, comprenant très bien ce qu’il ressentait,
lui enleva son châle de cachemire avant de poser ses lèvres sur
son cou. Shion tressaillit, et, doucement, caressa les épaules d’Arzaniel,
puis descendit plus bas, vers sa poitrine, sentant sa respiration précipitée.
Plus rien ne comptait d’autre que leurs corps serrés l’un
contre l’autre…
Bientôt, elle fit passer sa tunique par-dessus sa tête, et il
se retrouva torse nu. Il eut comme un choc électrique lorsqu’elle
posa sa main sur sa peau et, lentement, elle commença à lui
caresser la poitrine, accélérant encore sa respiration. Agissant
d’instinct, il fit glisser les bretelles de sa robe de soie avant de
poser ses lèvres sur sa poitrine presque nue. Pourtant, il s’arrêta
et dit :
« Non, nous ne devons pas…ce serait trop douloureux après… »
Mais Arzaniel secoua la tête, et ne répondit rien, continuant
ses caresses avant de dire finalement :
« Je sais que nous en avons envie tous les deux, et je veux être
à toi… »
Tous deux perdirent alors la notion du temps, et, bientôt, Arzaniel
fut nue face à lui, offrant sa peau laiteuse au regard pourpre de Shion
brûlant de désir. Il n’avait guère d’expérience,
et celle-ci datait de son adolescence, mais se servait de son instinct, et
les soupirs d’Arzaniel prouvaient qu’il ne se débrouillait
pas si mal. Quand il fut nu à son tour, elle le regarda et il se sentit
légèrement gêné, mais cela ne dura qu’un
moment. Sa peau frémissante sous ses mains, sous ses lèvres
lui procurait des sensations jamais ressenties auparavant, et il lui semblait
que, partout où Arzaniel le touchait ou l’embrassait, elle laissait
une marque de feu qui se propageait dans tout son corps. Le souffle court,
ils s’arrêtèrent un instant, et il passa son doigt entre
ses seins, là où se lovait le serpent argenté de sa sueur.
Elle gémit légèrement, et, toujours suivant son instinct,
il en caressa doucement les pointes dressées. Elle gémit plus
fort et se cambra vers lui…
Il lui embrassa alors le ventre avec plus de hardiesse, puis ses lèvres
descendirent plus bas, traçant un sillon de feu sur la peau blanche.
Elle se tendait vers lui, déjà défaillante, et il se
retenait encore, ne voulant pas brusquer les choses. Pratiquant le yoga depuis
bien longtemps, il avait un excellent contrôle sur son corps, mais le
maelström de ses hormones en furie mettait cette capacité à
rude épreuve, d’où son léger tremblement.
Abandonnée dans ses bras, il lui semblait que son corps ne lui appartenait
plus, et elle voyait les yeux de Shion briller dans la semi-obscurité.
Consciente qu’il la privilégiait, elle arrêta sa main et
dit :
« Attends…à mon tour… »
Elle se mit à le caresser sur le torse, les épaules, puis le
reste du corps, et il ferma les yeux, s’intéressant uniquement
au contact des mains et des lèvres d’Arzaniel sur tout son être.
Il la laissa faire quelques temps, puis rouvrit les yeux et effleura de sa
main le ventre de sa bien-aimée qui frémit. Elle le regarda
intensément, essayant de lui faire comprendre à quel point elle
le désirait en elle, tellement qu’elle en avait mal. Abandonnée
devant lui dans la masse de ses longs cheveux, elle était un tel appel
à la volupté qu’il comprit, et glissa sur elle. Le regard
embué, elle murmura :
« Viens… »
Shion alors résolut de faire confiance à son instinct et, doucement,
il entra en elle. Ce fut alors pour eux l’éblouissement, leurs
pouvoirs télépathiques intensifiant l’instant et augmentant
la sensation de fusion. Alors elle abaissa ses boucliers mentaux pour lui,
et il lui sembla qu’il pouvait voir en elle comme en une eau claire.
Ils restèrent un moment immobiles, laissant le désir monter
encore, puis Shion commença à bouger, d’abord doucement,
puis de plus en plus vite avant qu’Arzaniel rende les armes en gémissant
son nom et que lui-même lâche prise dans un râle.
Reprenant leur souffle, ils restèrent serrés l’un contre
l’autre, savourant cette intimité, puis Shion, entendant les
douze coups de minuit, chuchota :
« Bonne année, mon amour… »
Il se sentait si remué qu’il ne pouvait dire autre chose…c’était
comme si un autre Shion était né cette nuit, dans les bras d’Arzaniel,
et il savait qu’elle comprenait ce qu’il ressentait. Ayant peur
de l’écraser, il s’assit à côté d’elle
qui gisait encore allongée et la regarda. Ses yeux violets étaient
embués, ses lèvres gonflées et ses longs cheveux violets
formaient un halo sombre autour de sa tête. A cette vision, il sentit
le désir renaître dans ses reins mais se maîtrisa et la
regarda en souriant, sans rien dire…
Elle bougea légèrement, comme si elle reprenait conscience,
et dit :
« Bonne année à toi, mon cœur… »
Elle frissonna, et il dit :
« Tu as froid, viens contre moi… »
Il attrapa l’une des étoffes qui recouvraient le sofa, la mit
sur ses épaules et ouvrit les bras, où Arzaniel vint se nicher.
Il pelotonna alors l’étoffe autour d’eux, et Arzaniel resta
contre lui, contre sa poitrine, où elle pouvait entendre les battements
de son cœur, elle finit d’ailleurs par s’y endormir…
Doucement, il la porta dans sa chambre, la déposa sur son lit, voulut
la laisser reposer mais elle tenait sa main, et il y renonça. Se glissant
dans le lit, il la prit dans ses bras et finit par être vaincu lui aussi
par le sommeil, l’esprit serein, comme si la révélation
divine venait enfin de lui être accordée…
Une odeur de thé le réveilla, et il s’aperçut qu’il
était seul dans le lit. S’enveloppant dans l’un des draps,
il sortit de la chambre et vit Arzaniel, dans une tunique d’intérieur,
en train de faire du thé en chantonnant. Elle le vit et dit :
« Tu pouvais encore dormir, tu sais… »
Shion vint s’accroupir près d’elle, déposa un baiser
léger sur ses lèvres et lui dit :
« Je n’étais pas si fatigué, tu sais…enfin…j’espère
que…tu sais, je n’avais pas beaucoup d’expérience,
et j’espère que je n’ai pas été trop mauvais
la nuit dernière… »
Arzaniel rit et lui dit :
« Tu te soucies de cela ? Mais cela n’a aucune importance
pour moi, je n’en avais pas beaucoup moi non plus, et ce n’est
pas mon vieux mari qui m’a appris énormément de choses
sur le sujet. »
Elle se mit à rougir et ajouta :
« En tout cas, je n’avais jamais… »
Sa gêne dissipa celle de Shion qui lui dit :
« Tu es si belle le rouge aux joues…mais jamais tu n’auras
été aussi belle que cette nuit… »
Les joues d’Arzaniel virèrent à l’écarlate,
augmentant le rire de Shion qui la prit dans ses bras. Elle se dégagea,
lui tendit une tasse de thé et lui sourit…
Il s’assombrit soudain et dit :
« Mais…et ta réputation ? Elle sera entachée,
et la mienne aussi…le tenancier des chambres a bien dû s’apercevoir
que je n’avais pas dormi là-bas… »
Elle posa la main sur son bras et lui dit :
« Je me fiche de cela, ta présence seule m’importe… »
Leurs doigts s’entremêlèrent et elle lui dit :
« Désormais, nous sommes l’un à l’autre,
et cela personne ne pourra nous l’enlever… »
Le poids qui avait oppressé le cœur de Shion pendant des mois
n’était plus, et il savait que, désormais, rien ne serait
plus comme avant. Leur union avait initié un contact télépathique
permanent, et il pouvait donc sentir Arzaniel comme elle pouvait le sentir…
L’amour physique avait constitué pour eux à la fois un
aboutissement et le début d’une nouvelle étape de leur
relation. Tous deux inexpérimentés, ils en expérimentaient
les arcanes ensemble, et ils découvraient le plaisir de se réveiller
l’un près de l’autre…
Pourtant, Shion savait qu’il ne pourrait rester encore très
longtemps, et il prit sa décision. Ce matin-là, deux jours avant
son départ, alors qu’Arzaniel, encore anéantie par le
plaisir, reposait dans ses bras, il lui dit :
« Tu ne peux être mon épouse selon les lois du Sanctuaire
d’Athéna, mais les lois bouddhistes n’ont pas cours là-bas…veux-tu
recevoir la bénédiction d’union devant Bouddha et devenir
mon épouse ? »
Arzaniel ouvrit de grands yeux, puis ceux-ci se remplirent de larmes et elle
lui dit :
« Oui…oui…je le veux… »
Même séparés, ils seraient ainsi liés par la bénédiction
de Bouddha, et donc considérés par les Tibétains comme
de véritables époux. Shion resta bouche bée lorsqu’il
vit Arzaniel sortir de la salle de bains, vêtue d’une robe magnifique
en soie vert clair brodée de fils d’argent et d’or, parée
de bijoux et la tête encerclée par le fil de métal qu’elle
portait le jour de la cérémonie du printemps. Ce bijou orné
d’une gemme retenait un voile court qui cachait en partie ses cheveux
violets dans lesquels elle avait mêlé des fils d’argent…
Shion alors revêtit dans sa chambre, alors qu’elle achevait de
se préparer, sa tunique de soie bleue et déplia un très
beau châle de cachemire qu’il gardait pour les grandes occasions.
Ils se rendirent au temple bouddhiste le plus proche, et un prêtre prononça
pour eux la bénédiction de l’union. Ils portèrent,
en symbole, un anneau que, malheureusement, Shion dut suspendre à une
chaîne autour de son cou, mais qu’Arzaniel garda à son
annulaire gauche…
Revenus dans l’appartement d’Arzaniel, ils se regardèrent
intensément, et Arzaniel alla se nicher contre la poitrine de Shion,
sa place désormais. Il lui dit :
« Même si je suis loin de toi, tu seras à jamais avec
moi… »
Ce n’était plus le moment pour eux des pleurs et des souffrances,
ils étaient à présent au-delà de cela, et ce fut
avec les yeux secs qu’elle le vit partir. Il la serra dans ses bras,
mais ne lui dit rien, les mots étaient devenus inutiles entre eux…
Avant son départ, Shion avait revu le médecin qui lui avait
prescrit un traitement pour son hypertension et qui resterait en contact avec
son médecin du Sanctuaire pour en assurer le suivi…
A SUIVRE