Voici la dernière partie de l’annexe 1. Encore un énorme merci (une fois n’est pas encore coutume) à Alaiya qui a relu – il faut le préciser– l’annexe complète qui fait 42 pages et qui a tout corrigé…
Une petite mention spéciale à Megumichan, qui héberge cette histoire et dont les avis me sont toujours précieux, merci à toi aussi^^
Ex libris 4 :
Emergence d’humanité
Partie 4 : Les dieux donnent, les dieux reprennent
« Mais il y a l’inacceptable
Qui vient tout bousculer
Une erreur de là-haut
Qu’on n’a pas demandée
Mais il y a l’inacceptable
En plein vol foudroyé
Et qui vient tout reprendre
Tout ce qu’on nous a donné
Et qui laisse une impression, une impression
D’inachevé… »
Ginie Line, Les Dix Commandements, L’inacceptable
Le Sanctuaire, 10 mars 1965
Shion contresignait quelques documents lorsque l’on frappa à
son bureau. Il dit :
« Entrez… »
Il s’agissait là de Helena de la Couronne Boréale, grand
maître du signe des Poissons. Elle lui dit :
« Excellence, vite, il s’est passé quelque chose… »
Il la suivit et arriva en vue du camp d’entraînement où
il découvrit un paysage d’apocalypse. Il y avait là un
cratère énorme et des corps d’enfants et d’hommes
jonchaient le sol. Chiron de la Flèche, grand maître du signe
du Sagittaire, se trouvait là et lui dit :
« Un engin explosif, Excellence, personne ne sait d’où
il vient… »
Un autre grand maître, Pedro de la Règle, apparut alors, il tenait
un papier à la main et dit :
« Moi je sais, on a reçu ça… »
Sur la feuille étaient écrits ces mots :
« Ceci est un second avertissement, la prochaine fois je tuerai
tout le monde et ma vengeance sera terrible. »
Shion dit alors aux trois grands maîtres présents :
« Cela émane sans aucun doute de celui qui a tenté
de me tuer voici quelques mois…augmentez la sécurité encore,
et fouillez partout ! Prenez également soin des corps de ceux
qui ont été tués, qu’ils soient enterrés
dignement… »
Pourtant, l’enquête piétina assez vite malgré tous
les moyens mis en œuvre, et, deux mois après son début,
elle fut franchement à l’arrêt. Shion réunit alors
ses grands maîtres et leur dit :
« Il ne nous reste qu’une solution : je vais leur servir
d’appât… »
Les hurlements des grands maîtres jaillirent, mais il leva les bras
pour les calmer et leur dit :
« Ils s’étaient attaqué à moi lorsque
j’étais seul au Tibet, ils savent comment me trouver … »
Amphion du Triangle, grand maître du signe des Gémeaux, dit alors :
« Vous n’irez pas seul, ça pas question ! »
Alors commença d’effroyables palabres pour savoir qui serait
celui qui accompagnerait Shion là-bas, et le choix des grands maîtres
tomba sur Helena de la Couronne Boréale. Ce qui motiva leur choix fut
qu’elle était d’origine nordique et donc ne craignait ni
le froid ni l’altitude…
A la fin de la réunion, Shion retint Helena et lui dit :
« Vous devrez jurer le secret, et j’en ferai autant, car,
si vous devrez ôter votre masque, j’ôterai le mien aussi…soyez
prête dans une heure, nous partirons tout de suite… »
Helena acquiesça, et alla se préparer. Shion lui dit alors :
« Venez près de moi, je vais vous téléporter… »
Dès qu’ils apparurent au Tibet, non loin de la lamaserie, Shion
dit alors :
« Enlevons nos masques, nous devons éviter d’attirer
l’attention… »
Helena s’exécuta, et Shion découvrit sous son masque un
visage aux traits doux, à la peau pâle et aux yeux mordorés.
Il en fit autant, et Helena dit :
« Oh, je vous imaginais plus vieux… »
Mais, confuse, elle se reprit vite :
« Excusez-moi, je ne voulais pas… »
Shion rit et dit :
« Ne vous excusez pas…pour information, je me nomme Shion,
je suis l’autre survivant de la dernière guerre sainte, j’étais
chevalier d’or du Bélier à l’époque… »
Helena inclina la tête en signe de respect. Elle s’était
toujours demandée pourquoi il n’y avait pas de grand maître
du signe du Bélier, elle en avait la réponse à présent.
Il lui dit :
« Ceci est la lamaserie où est regroupé tout le savoir
de l’Atlantide…c’est ici que l’on m’a soigné
lorsque j’ai été malade, si vous vous en souvenez, car
je suis un descendant d’atlante… »
Helena ne parut pas surprise, mais plutôt intéressée…
Arzaniel avait senti l’arrivée de Shion, et quelle ne fut pas
sa stupeur de le voir accompagné de la somptueuse Helena. Le serpent
de la jalousie la mordit, et elle devint très agressive, même
envers Hallatan qu’elle n’y avait plus habitué. Shion profita
du sommeil d’Helena pour se rendre à l’appartement d’Arzaniel,
mais elle refusa de le voir, alléguant qu’il n’avait qu’à
aller retrouver sa si précieuse compagne. Shion, alors, se mit à
rire franchement et lui dit :
« Jalouse, toi ? Mais Helena n’est pas ma compagne,
elle est le grand maître du signe des Poissons, et elle est chargée
de ma protection… »
Il abaissa ses boucliers mentaux pour qu’elle voie qu’il disait
vrai et, lentement, la porte s’ouvrit. Le visage marbré par les
larmes d’Arzaniel apparut, et elle le fit entrer avant de lui dire :
« Je suis désolée, je croyais que… »
Il sourit et lui dit :
« Je suis fidèle à mes vœux, et Helena est un
grand maître, simplement…comment as-tu pu croire que j’aurais
pu te trahir ? »
Arzaniel se précipita contre lui…
Deux nuits après, alors qu’ils dormaient enlacés, une
présence maléfique éveilla Shion. Il sauta du lit, enfila
ses vêtements et se téléporta dans la cour. Un homme s’y
trouvait, et son aura sombre fit hérisser les poils des bras du chevalier
d’or du Bélier. Il dit :
« Enfin je te fais face, Shion du Bélier, toi qui m’as
dépouillé de ma raison de vivre, je vais prendre ta vie pour
laver cet affront et venger mon disciple que tu as tué… »
L’aura dorée de Shion jaillit de lui alors qu’arrivait
Helena, qui se mit en garde près de lui. Avec un pincement au cœur,
il s’aperçut que sa puissance d’antan n’était
plus qu’un souvenir, jamais plus il ne serait capable de développer
une telle force à présent, son corps vieilli et affaibli ne
l’aurait pas supporté. Pourtant, il n’avait pas d’autre
choix que de jouer son va-tout, il se devait de protéger tous ceux
qui vivaient dans la lamaserie…
En tout cas, ce que venait de dire l’homme répondait en partie
aux questions qu’il s’était posé lors de la première
attaque, c’était donc son disciple qu’il avait tué.
Avec sa perception qui malgré les années n’avait rien
perdu de sa finesse, il avait clairement reconnu une aura derrière
la force sombre qui le manipulait, une aura qu’il avait connue…mais
où ? Voilà que son grand âge lui faisait perdre la
tête, il ne manquait plus que cela !
Il n’eut que le temps de se protéger alors qu’une lance
de lumière rouge arrivait sur lui, et pensa à ce que son maître
Ashen lui avait dit : il n’était pas bon de trop réfléchir
pendant un combat. Pourtant, s’il parvenait à retrouver le nom
de son adversaire, sa tâche en serait bien simplifiée, et vite,
sinon la situation dégénèrerait sans aucun doute…
Bien sûr, son Crystal Wall pourrait le protéger presque
indéfiniment, mais il ne pouvait pas passer son temps à se terrer
derrière lui, il fallait qu’il prenne l’avantage. Il était
encore capable d’utiliser la Starlight Extinction, mais le
pouvait-il pour la Stardust Revolution, qui nécessitait beaucoup
plus de puissance ? Ah, et cette question lancinante qui tournait dans
son cerveau concernant l’identité de cet homme ! Il devait
impérativement retrouver son calme, et se focaliser sur le combat,
sinon il perdrait à coup sûr. Il avait survécu à
une guerre sainte, ce n’était pas un seul combat qui lui prendrait
sa vie, cela jamais !
Ses réflexions portèrent leur fruit au bout de quelques minutes,
lorsqu’enfin il retrouva l’identité de son assaillant.
Il s’agissait d’Antiochos de la Coupe, un chevalier de Bronze
qui avait préféré, voici plusieurs dizaines d’années,
mettre ses pouvoirs au service du mal, et qu’il avait exclu du Sanctuaire…
Il dit :
« Je sais qui tu es…tu es ce chevalier maudit que j’ai
exclu du Sanctuaire voici plus de cent ans, je t’ai reconnu, Antiochos »
L’autre ricana et dit :
« Tu es bien perspicace malgré ton grand âge… »
Helena s’écria :
« Laissez-moi le combattre, Excellence, je le dois à tous
ceux qui sont morts par sa faute… »
Shion dit alors :
« C’est à moi de le faire, Helena, j’ai mes
raisons… »
Il ne pouvait lui parler d’Arzaniel, mais elle n’insista pas et
abaissa les bras, se tenant cependant prête à toute éventualité.
Shion alla chercher au tréfonds de lui-même ses pouvoirs et,
dès que l’autre lui donna l’assaut il se heurta une fois
de plus à son crystal wall. Pourtant, il attaqua, mais la
Stardust Revolution sembla ne faire aucun effet à son adversaire
qui ricana :
« C’est tout ? »
Comment pouvait-il éviter une attaque de chevalier d’or ?
Les pouvoirs de Shion avaient probablement décliné, il n’y
avait pas d’autre solution…ou plutôt si. Il s’aperçut
qu’une sorte d’aura sombre, celle qui l’avait si fortement
dérangé auparavant, protégeait son adversaire, et il
se tourna vers Helena :
« Couvrez-moi, s’il vous plaît… »
Helena manipulait la glace, et elle dressa incontinent un mur de glace pendant
que Shion, utilisant ses pouvoirs mentaux, tentait de juguler l’aura
sombre. La sueur au front, il y parvint et ôta toute protection à
son adversaire. Celui-ci ne sembla pas s’en apercevoir, et Shion lui
dit :
« Va rejoindre ton maître dans l’autre monde !
Starlight Extinction ! »
Un flot de lumière le noya et Shion dit au grand maître debout
derrière lui :
«Merci beaucoup… »
Helena dit alors :
« La puissance mentale qu’on dit être l’apanage
des chevaliers d’or du Bélier n’est pas usurpée… »
Et elle s’inclina en signe de respect. Il lui dit :
« Retournez vous coucher, moi je vais rester un peu ici, j’ai
besoin de réfléchir… »
Et il y avait de quoi…l’aura sombre qu’il avait jugulée
ressemblait beaucoup à celle qu’il avait pu sentir lors de son
combat contre les forces d’Hadès, autrefois. Celui-ci était-il
sur le point de se réveiller ? Dohko, pourtant, ne lui avait rien
dit…il leur faudrait être vigilants.
Quand il rejoignit Arzaniel, elle était assise dans le lit, les jambes
contre sa poitrine, tendue et nerveuse. Il s’assit près d’elle
et lui dit :
« Tu ne crains plus rien, rendors-toi à présent… »
Il ôta ses vêtements, puis vint s’allonger près d’elle
sans toutefois réussir à trouver le sommeil…
Le lendemain, il fit part de ses soupçons à Helena, et ils décidèrent
de concert de retourner en Grèce pour en parler aux autres grands maîtres.
Juste avant de partir, Arzaniel apprit que sa demande de bourse avait été
acceptée, elle se rendrait en Grèce dans les mois qui suivraient
pour travailler dans les archives, ce qui remplit Shion de joie. Ce serait
difficile pour eux de se voir, mais ils seraient l’un non loin de l’autre,
au moins…
Pourtant, il ne devait pas se déconcentrer, l’échéance
approchait et il devait consacrer toute sa force à préparer
le Sanctuaire. Dès son retour, il écrivit à Dohko pour
l’informer de ce qui était arrivé, et attendit sa réponse.
Dohko, qui avait été si surpris de savoir son ami amoureux,
le fut davantage encore en lisant ce que Shion lui écrivait, et il
lui répondit immédiatement qu’il n’avait rien ressenti
concernant le sceau d’Athéna…donc, fausse alerte ?
L’expérience avait appris à Shion qu’il n’y
avait jamais rien de gratuit quand Hadès était concerné,
et il se tint sur ses gardes…
Le Sanctuaire, 18 juin 1695
L’aube se levait sur le Sanctuaire et, bientôt, le serviteur
principal de Shion viendrait le réveiller. Doucement, il posa sa main
sur l’épaule d’Arzaniel qui dormait près de lui
et lui chuchota :
« Réveille-toi, mon cœur… »
Voici un mois qu’elle était arrivée en Grèce, et,
parfois, rarement, quand ils le pouvaient, ils dormaient ensemble. Heureusement,
le lit de Shion était clos d’épaisses tentures pour éviter
qu’on ne le voie, ce qui facilitait la présence de la jeune femme…
A côté du lit de Shion, derrière un panneau, se trouvait
un passage secret qui menait en dehors du Sanctuaire. Elle s’habilla
vivement et, après un baiser, passa par le panneau secret, laissant
Shion mélancolique dans le lit encore rempli de l’odeur de la
femme de sa vie…
Il n’avait pas l’impression de trahir la déesse et sa charge,
au contraire, il savait qu’Arzaniel lui apportait l’équilibre
et une conscience de son humanité qu’il n’avait jamais
eue et qui lui permettait de mieux diriger le Sanctuaire. La déesse,
qui n’était qu’amour pour la race des hommes semblait pardonner
cet amour si humain qui animait son représentant sur Terre…
Enfin il se sentait lui-même, tout ce qui lui avait manqué pendant
des années l’aidait enfin à y voir clair et, sautant du
lit, il s’habilla, fit sa toilette en chantonnant avant de se mettre
au travail dans son bureau…
Nuit du 17 juillet 1965
A Star Hill, Shion observait le ciel comme à son habitude lorsqu’il
vit soudain la constellation du Bélier se mettre à briller et
un flot d’étoiles filantes la traverser. Qu’est-ce que
cela pouvait bien signifier ? Il consulta l’un après l’autre
les carnets d’observation des autres Grands Popes et trouva une phrase
étrange qui disait :
« Si des étoiles filantes traversent une constellation,
alors son protégé à son point d’origine va vers
son point de départ… »
Il ne comprit pas la phrase, et attendit de pouvoir faire d’autres observations
pour compléter et enfin comprendre la raison de ce phénomène…
Tibet, 4 septembre 1965
Arzaniel, le visage pâle, presque gris, tentait d’oublier le
haut le cœur qui la prenait rien qu’à respirer l’odeur
du café d’Hallatan. Depuis quelques jours, elle ne se sentait
pas très bien, surtout le matin, et avait de fréquentes sautes
d’humeur…
L’un des médecins atlantes, qu’elle consulta à ce
sujet, lui annonça alors que, dans le courant du mois de mars suivant,
elle mettrait au monde un enfant. Ce n’était pas à vrai
dire une nouvelle étonnante au vu des circonstances, mais qui remplit
tellement Arzaniel de stupeur lorsqu’elle l’apprit qu’elle
faillit s’évanouir…
Un enfant ! son enfant et celui de Shion, le fruit de leur amour interdit.
Elle se mit à rire toute seule une fois rentrée dans son appartement,
et son premier mouvement fut d’écrire à Shion, il devait
savoir cette merveilleuse nouvelle…
Le Sanctuaire, 10 septembre 1965
Complètement sonné par la nouvelle, Shion tenait la lettre
d’Arzaniel sans faire un mouvement. Il resta immobile pendant un long
moment, puis se mit à rire sans pouvoir s’arrêter. Mais,
son mouvement de joie passé, il songea immédiatement, avec sa
logique particulière, que cet enfant devrait naître secrètement,
car Arzaniel, officiellement, était veuve, et sa belle-famille serait
trop heureuse de pouvoir la prendre en faute. En effet, ils n’avaient
pas apprécié ce que Shion avait fait pour la tirer de leurs
griffes, mais, s’ils arrivaient à savoir l’existence de
l’enfant, celui-ci n’en était pas moins parfaitement légitime
à cause de la bénédiction reçue par ses parents…
Pour l’instant, Arzaniel pourrait rester à la lamaserie, mais,
dès que son état deviendrait visible, elle devrait prétexter
une visite à ses parents malades, ce qui était parfaitement
vrai, et irait vivre ailleurs le temps de mettre le bébé au
monde. Il serait ensuite temps d’aviser…
Brûlant la lettre, il s’approcha de la fenêtre et se dit
que la naissance de cet enfant devait être un signe de la bienveillance
de la déesse à son égard, comme une sorte de bénédiction.
Il sortit et alla s’agenouiller devant la statue d’Athéna,
le cœur gonflé de gratitude…
Cet enfant était un cadeau des dieux, et, même s’il ne
pourrait probablement pas l’élever lui-même, il ferait
en sorte de l’aimer et d’être présent pour lui autant
que possible…
Soudain, il se souvint de la phrase sibylline qu’il n’avait pu
comprendre, quelques mois plus tôt :
« Si des étoiles filantes traversent une constellation,
alors son protégé à son point d’origine va vers
son point de départ… »
Le point d’origine : le ventre maternel, le point de départ :
la naissance…
La date d’observation correspondait, et, à bien calculer, leur
enfant naîtrait probablement sous le signe du Bélier, en mars.
Son successeur serait-il son propre enfant ? Il sourit davantage à
cette idée, mais savait bien qu’il ne le saurait qu’à
sa venue au monde…
10 décembre 1965
Arzaniel, la main sur son ventre rond d’une grossesse de six mois,
était allongée près du feu dans la petite maison qu’elle
habitait depuis peu près de Gyantsé. Personne à la lamaserie
ne s’était douté de sa grossesse, même pas Hallatan,
et, périodiquement, le médecin atlante qui la suivait venait
l’examiner. Le bébé grandissait bien, et faisait preuve
d’une activité débordante. Elle pouvait déjà
sentir sa minuscule conscience…
Elle regardait souvent l’anneau qui ornait son annulaire gauche, et
pensait à Shion. Il lui écrivait désormais très
souvent, voulant tout savoir, rempli d’inquiétude pour elle et
pour le bébé. Il avait insisté pour qu’une servante
tibétaine veille sur elle, et Dolma, une veuve discrète et efficace,
était venue habiter avec elle, l’aidant d’une présence
vigilante et affectueuse. Elle avait perdu trois enfants à la naissance,
et voir cette jeune femme qui allait donner la vie elle aussi lui inspirait
un attachement mêlé de pitié…
Soudain, Arzaniel se redressa, le sourire aux lèvres, et, un instant
plus tard, on frappa à la porte. Shion, le visage rayonnant, entra,
deux cadeaux dans les bras. Il vint l’embrasser et lui dit :
« Je suis venu t’offrir cela pour tes étrennes… »
Elle comprit, sans qu’il le dise, qu’il ne pourrait être
présent comme l’année précédente pour la
nouvelle année, et que sans doute il avait pris sur son sommeil pour
venir la voir, jouant sur le décalage horaire entre le Tibet et la
Grèce. Elle prit le premier cadeau, et en sortit un châle précieux
qu’elle drapa autour de ses épaules. Le second cadeau était
une grenouillère brodée, destinée sans aucun doute à
être la première tenue terrestre du bébé à
naître…
Avec les gestes qu’il aurait eu en face d’un objet précieux,
Shion passa la main sur le ventre rond d’Arzaniel, sentait les mouvements
de son enfant sous ses mains. Il pouvait déjà en sentir la petite
conscience, mais pas savoir s’il s’agissait d’un fils ou
d’une fille. Cet enfant qui était la moitié d’Arzaniel
et la moitié de lui-même…
Il reporta son attention sur Arzaniel et lui demanda :
« Tu te sens bien ? »
Elle acquiesça :
« Oui, tout à fait bien, ne t’inquiète pas…mais
toi, je te sens nerveux… »
Il sourit et lui dit :
« Rien de grave, les prophéties qui me restent hermétiques,
beaucoup de travail en ce moment…je suis aussi soucieux pour toi, je
me sens coupable, nous aurions dû nous méfier… »
Elle lui caressa la joue et dit :
« C’est le destin, Shion, il a voulu que notre enfant naisse
et il naîtra… »
Elle était si confiante, si calme, comme si elle exhalait une sorte
de lumière intérieure, qu’il en fut apaisé…
Gyantsé, 27 mars 1966
Les douleurs d’accouchement d’Arzaniel se déclarèrent
pendant la nuit du 26 au 27 mars 1966, peu après une heure du matin.
Dolma veilla la jeune femme qui tentait de faire bonne figure, serrant les
dents face aux douleurs qui, d’heure en heure, devenaient de plus en
plus fortes et plus rapprochées.
Pendant les derniers mois de la grossesse, ils s’étaient peu
vus, mais Arzaniel avait pris ses dispositions. Elle savait qu’elle
pouvait mourir en mettant au monde son enfant, et avait donc dit à
Shion qu’elle souhaitait être incinérée selon la
coutume atlante. Son regard s’était assombri, mais elle savait
qu’il respecterait sa volonté si pareille chose devait arriver.
Shion, à cause du lien télépathique qu’il avait
avec Arzaniel, avait compris lui aussi que le bébé était
sur le point de naître mais, malheureusement, il ne pouvait se rendre
au Tibet, devant travailler avec ses grands maîtres toute la journée.
Dès qu’il avait ressenti la douleur qui tenaillait son épouse,
il avait eu peine à tenir en place, partageant à cause de leur
lien télépathique tout ce qui se passait en elle, et il tentait
de lui faire partager son optimisme pour la distraire quelque peu des contractions
qui lui laissaient peu de repos…
Allongée sur son lit, elle sentait la minuscule conscience de son bébé
et tentait de lui dire de se calmer, que tout irait bien, mais elle n’en
était pas tellement sûre elle-même. C’est alors qu’entra
la sage-femme que Dolma était sortie quérir au village voisin.
Elle examina Arzaniel et dit dans un tibétain rural :
« C’est votre premier, pas vrai ? Y’a encore le
temps… »
Il fallait à présent attendre, et Shion, suivant la réunion
des grands maîtres, se sentait horriblement nerveux. Il percevait la
douleur d’Arzaniel, son inquiétude et espérait de toutes
ses forces que tout irait bien, que, bientôt, leur bébé
pousserait son premier cri. Bien sûr, comme tous les pères, il
s’était demandé à quoi il ressemblerait, mais en
était arrivé à la conclusion que cela avait peu d’importance
à ses yeux, l’essentiel étant qu’il soit en bonne
santé…
Arzaniel attendait patiemment la naissance, mais, quand elle perdit les eaux,
la sage-femme eut peine à réprimer une grimace : elles
étaient rouges. Un vaisseau sanguin s’était probablement
rompu dans son utérus ou le placenta, ce que prouvait le filet de sang
qui se mit à couler à chaque contraction. La sage-femme jeta
un regard à Dolma, et secoua la tête avec impuissance…
Dolma continua à bassiner les tempes d’Arzaniel tout le temps
que dura l’accouchement, et celle-ci sentait ses forces la quitter progressivement,
gémissant doucement à chaque fois qu’une contraction poussait
son bébé vers la vie. Elle se savait perdue, voyant son sang
s’écouler hors de son corps sans qu’elle puisse rien y
faire, mais voulait absolument que son enfant naisse vivant…
Shion sentait le lien entre eux s’affaiblir, et il avait assez vite
compris que quelque chose n’allait pas. Pourtant, Arzaniel restait forte
face à la douleur, à sa propre vie qui s’en allait goutte
à goutte. Il refusait cette fatalité, mais elle lui dit par
télépathie :
« C’est le destin, Shion, nous ne pouvons rien faire
contre lui. Cet enfant est destiné sans aucun doute à te succéder,
et je suis fière de lui donner naissance, même si je dois y laisser
ma vie… »
Shion lui répondit :
« Tu ne mérites pas de mourir ainsi, bats-toi, par Bouddha,
bats-toi, je t’en supplie ! »
La réunion se poursuivait, mettant Shion au supplice et le faisant
bouillir intérieurement. Il ne supportait pas l’idée de
perdre son épouse. Arzaniel cependant était très calme,
sereine, et elle lui dit :
« Tu dois accepter… le fait que je vais mourir…comme
je l’ai moi-même…accepté, Shion. Je t’aime…et
je t’aimerai même par-delà… la porte de yomi… »
Shion sentit les larmes qu’il retenait depuis des heures lui brûler
davantage les yeux, et il répondit :
« Tu m’as tellement donné, comment vais-je pouvoir
vivre sans toi ? Je t’aime tellement… »
Elle s’affaiblissait encore, et le lien télépathique devint
intermittent, difficile à maintenir, mais elle parvint à lui
dire :
« Si c’est un garçon…je…je veux que
tu le nommes…Mû, et.. si c’est…une fille, Almiel… »
Après cela, elle ne dit plus rien, et Shion serrait les poings, impuissant
à l’empêcher de mourir. Il possédait de grands pouvoirs,
mais aucun d’eux ne pouvait la sauver, et il enrageait. Comment se concentrer
sur la bonne marche du Sanctuaire alors que la femme qu’il aimait était
en train de donner sa vie pour que naisse leur enfant ? Ses poings étaient
serrés sur les accoudoirs de son trône, et il sentit le regard
interrogatif des grands maîtres sur lui, mais aucun ne posa de question
embarrassante.
Heureusement, la réunion finit par se terminer, et Shion put enfin
regagner ses appartements. Il ne put tenir en place, fit les cent pas, le
corps transpercé par les douleurs maintenant très importantes
que ressentait Arzaniel, qui était désormais au-delà
de tout secours. Il voyait dans son esprit qu’elle se préparait
à franchir la porte de Yomi dans la sérénité,
n’ayant aucune peur de la mort, et qu’elle savait laisser son
enfant en de très bonnes mains. Dans un sursaut de force, elle lui
dit :
« Je…sais…que…notre…enfant…sera…en…sécurité…avec…toi,
que…tu…l’aimeras…autant…que…tu…m’as…aimée… »
Les larmes alors coulèrent librement sur les joues de Shion, qui ne
put rien répondre et qu’attendre l’inévitable, plongé
dans un désespoir sans fond…
Enfin, vers vingt et une heures, l’enfant vint normalement au monde,
c’était un garçon vigoureux qui se mit à hurler
immédiatement. La sage-femme, le regard humide, l’enveloppa dans
une couverture de peau de yak et le mit sur la poitrine de sa mère…
Arzaniel, faible, le regarda, lui sourit et lui dit à voix basse en
langue atlante :
« Comme tu es beau…tu ressembles… à ton père…sois
comme lui…un homme de bien, et je ne serai pas… morte pour rien…je
t’aime, mon enfant… et je veillerai… toujours sur toi… »
Elle le serra une dernière fois contre sa poitrine, puis ferma les
yeux pour ne plus jamais les ouvrir. Dolma, les joues marbrées de larmes,
s’occupa de laver l’enfant puis le déposa dans son berceau
avant de constater qu’effectivement elle était morte. Elle prononça
le mantra des morts puis se chargea de la toilette mortuaire de cette jeune
femme qu’elle avait tant estimé…
Au moment de la mort d’Arzaniel, Shion avait senti le lien télépathique
se dissoudre, et était tombé à genoux en hurlant. Non,
elle ne pouvait pas être morte, ce n’était pas possible !
Il lui semblait qu’une partie de lui-même était morte avec
elle, qu’il ne serait plus jamais entier jusqu’à la fin
de ses jours, et la douleur était insoutenable, comme si son cœur
avait été arraché de sa poitrine. Il souffrait tellement
qu’il ne parvenait même plus à pleurer, sa peine était
plus forte que les larmes…
Il se téléporta immédiatement à Gyantsé,
toutes affaires cessantes, et tint à prendre soin lui-même du
corps d’Arzaniel, dont il respecta le souhait. Le cœur crucifié
mais le visage digne, les yeux secs, il récita des mantras
pendant que le corps de sa bien-aimée rejoignait les étoiles.
Jamais plus elle ne souffrirait du cruel destin des humains, elle était
enfin en paix, et il savait que, de là-haut, elle veillerait toujours
sur leur fils, quoi qu’il arrive. A jamais elle resterait gravée
dans son cœur, jusqu’au jour de sa mort où il la rejoindrait
enfin…
Les dieux s’étaient-il joués de lui en lui permettant
d’aimer puis en lui reprenant l’objet de cet amour de façon
si brutale ? La déesse n’avait-elle laissé faire
cela que pour que naisse un nouveau chevalier d’or du Bélier ?
La volonté divine ne lui inspirait que révolte, que sentiment
d’injustice, et cela avivait sa douleur…
L’aura de son fils était cependant très claire, il était
destiné à lui succéder, mais comment pourrait-il faire
alors que l’enfant ressemblait déjà tellement à
sa mère ? Chaque mouvement, chaque sourire lui rappellerait à
jamais Arzaniel, ravivant sa souffrance. Selon son souhait, il avait prénommé
leur fils Mû, en l’honneur de l’antique empire de Mû…
Il lui restait désormais sa mission, et il devrait également
faire de son fils le prochain chevalier d’or du Bélier. Il réussirait,
il le jura à la mémoire d’Arzaniel, pour qu’ait
un sens le sacrifice qu’elle avait fait. Tendrement, il prit le bébé
dans ses bras et lui chuchota en langue atlante :
« Tu seras un chevalier d’or du Bélier après
moi, mon fils, et je ferai de toi l’homme que ta mère aurait
voulu que tu sois… »
L’enfant gigota, remua bras et jambes avant d’esquisser une grimace
qui fit sourire son père malgré l’atroce douleur qu’il
ressentait. Désormais, l’avenir était contenu dans ce
petit corps de bébé qui porterait un jour l’armure d’or
du Bélier…
FIN