Merci à Yotma, ma bêta lectrice qui a corrigé cette énorme annexe. Merci aussi à Mégumichan, qui continue à publier mes fics, à Alaiya, qui continue à m’encourager et à me lire et à Corinne, qui illustre superbement mes mots…

 

Annexe 2 : La couronne de glace
Histoire d’une femme parmi les grands maîtres : Helena de la Couronne Boréale

 

Chapitre 2 : Aller simple vers le destin


Dans la maison des Eldssen, Svanhilde tentait encore de policer sa fille en essayant de lui faire comprendre à quel point l’honneur qui lui avait été accordé était important et qu’elle devrait bien se conduire au palais. Mais l’enfant, bien qu’impressionnée par la reine, considérait cela comme une punition et s’obstinait dans son mutisme. Elle avait ressenti cependant étrangement la bonté intrinsèque de la reine, et donc, ne sachant vraiment quoi penser, elle se murait dans le silence. De plus, la jalousie de ses jeunes sœurs lui était insupportable, qu’elles y aillent donc à sa place si elles le voulaient !

Non, elle ne voulait pas se marier, elle voulait devenir une guerrière, comme l’avait été sa mère, et pas devenir une gentille épouse soumise. Rien qu’à cette idée, elle sentait la nausée la gagner. Il y avait toujours eu des ordres de guerrières, elle voulait devenir l’une d’entre elles, et rien ne l’en empêcherait, même si elle était obligée de s’enfuir de chez ses parents.

Eskill, le père, ne savait trop que faire face à sa fille qu’il sentait souffrir. Elle avait toujours été en conflit avec sa mère mais cela s’aggravait de plus en plus. Il trouva l’enfant recroquevillée dans le grenier, son endroit favori. La robe d’Helena était pleine de toiles d’araignée mais elle n’en avait cure. La fillette regarda son père de son regard mordoré.

« Je ne veux pas y aller, papa… », dit-elle.

Eskill s’agenouilla près d’elle :

« Ce n’est pas une punition, tu sais. La reine s’intéresse à toi et je pense qu’elle a un projet te concernant… »

Helena reprit son air renfrogné.

« Je ne veux pas être une épouse, moi ! », dit-elle avec colère.

A part lui, Eskill se dit qu’elle serait difficile à marier, mais il se tut car elle aurait été trop contente de l’entendre. Il temporisa :

« Et qui te dit qu’on va te parler de cela ? Tu es bien trop jeune pour être une épouse. Non, je pense que la reine a vu en toi probablement autre chose et qu’elle va t’en parler… »

En effet, au royaume d’Asgard, les femmes ne devenaient pas forcément des épouses, mais pouvaient accéder à des charges honorifiques ou devenir des guerrières. Eskill sourit à sa fille :

« Allons, sors d’ici et va demander à ta gouvernante de te préparer, je suis vraiment sûr que tu n’as pas à t’inquiéter… »

Helena adorait son père et résolut de le croire. Après tout, il ne lui avait jamais menti. Elle vint déposer un baiser sur sa joue et fila…pour subir les hurlements de sa gouvernante.

« Mais où es-tu encore allée traîner ta robe ? Dans le grenier, je parie ! »

Ne tenant aucun compte de ses protestations, elle la débarrassa promptement de la robe sale et lui en enfila une autre.

« Tu n’as pas intérêt à te salir ainsi au palais… »

Helena, profitant qu’elle se retournait, lui tira la langue alors qu’elle commençait à préparer son léger bagage. Elle la débarbouilla ensuite puis entreprit de démêler sa chevelure avant de la discipliner avec un serre-tête argenté. Ceci fait, elle lui enfila une mante à capuche qui se fermait par un ruban, qu’elle noua soigneusement. Svanhilde arriva alors et, jaugeant rapidement l’apparence de sa petite rebelle, se montra satisfaite. Cependant, elle ne lui fit pas la leçon et la conduisit aux envoyés de la reine :

« Odin te garde, Helena… », lui dit-elle seulement avant de déposer un baiser sur son front.

C’était la première fois qu’elle était séparée d’un de ses enfants, et elle ressentait difficilement la chose. Pourtant, Helena n’eut pas une larme, pas un sourire non plus, elle resta parfaitement neutre, se contentant de regarder sa mère sans ciller. La femme qui était venue chercher la fillette salua alors Svanhilde et Eskill qui arrivait puis emmena la fillette jusqu’à un traîneau garni de fourrures. L’escorte remonta à cheval et Helena, enveloppée dans les fourrures jusqu’au cou, vit disparaître la maison familiale avec un pincement au cœur. La reine n’avait pas lésiné sur les moyens, envoyant une de ses dames de compagnie, un serviteur et une escorte armée, mais Helena était encore trop jeune pour ressentir tout l’honneur qu’il y avait là. On traversa la forêt silencieuse, matelassée de neige puis le château fut en vue. Des aiguilles de glace pendaient aux murailles ancestrales et des chapeaux neigeux recouvraient les tours.
La petite fille connaissait le chemin mais l’angoisse lui serrait quelque peu l’estomac. Qu’allait-elle trouver là-bas ? Près d’elle, la dame de compagnie ne parlait pas, respectant le silence de la fillette. Lorsque le traîneau entra dans la cour du château, elle descendit la première et souleva Helena pour la déposer sur le perron.

«  Sa Majesté vous attend, veuillez me suivre… », dit-elle seulement.

Elle était probablement de noblesse plus élevée qu’elle-même, mais elle lui parlait avec respect, ce qui étonna la petite fille. Interloquée, elle la suivit jusqu’aux appartements de la reine. Celle-ci, entourée de dames, travaillait sur une tapisserie aux couleurs vives. Elle sourit à Helena et lui dit :

« Viens, approche-toi de moi… »

Un serviteur prit sa cape et la fillette, quelque intimidée, obtempéra. Elfride la considéra un instant et lui désigna un tabouret près d’elle. Alors qu’elle ne bougeait pas, elle insista :

« Assieds-toi… »

Helena s’exécuta et la reine fit demander une tasse de lait chaud à un serviteur. La petite fille se sentait observée de toutes parts, et se sentait de plus en plus mal à l’aise. Le remarquant, la reine fit sortir ses femmes et sourit à l’enfant :

« Cela va mieux ainsi, n’est-ce pas ? »

Décidément cette fillette était charmante, se dit la reine. Une peau couleur de porcelaine de Dresde, de ravissants cheveux blonds bouclés, mais ces yeux félins sur ce visage angélique avaient quelque chose d’incongru. Ce regard qui ne cédait jamais et dans lequel on voyait déjà la force de caractère de l’enfant.
Le serviteur revint avec la tasse de lait chaud, qu’il présenta à Helena. L’enfant le prit et, attendant le geste de la reine, le but lentement. Une fois qu’elle l’eût terminé, Elfride lui désigna sa tapisserie et dit :

« Tu vois, chaque fil est différent mais, une fois à sa place sur le cadre, il forme un tout avec les autres. De même, chacun a sa place en ce monde créé par les dieux. Comment vois-tu la tienne ? »

Helena, qui ne s’attendait pas à ce que la question soit aussi directe, prit cependant le temps de répondre.

« Je ne veux pas être une épouse, je veux entrer dans un des ordres de guerrières, Majesté… »

Elfride fit passer d’un geste expert son aiguille au milieu des passants de sa tapisserie.

« Elles doivent s’entraîner dur, séparées de leur famille, subir des épreuves difficiles pour rentrer dans l’ordre et, une fois qu’elles y sont, continuer à s’entraîner dur, tous les jours qu’Odin fait. Elles risquent leur vie en permanence mais, une fois passé trente ans, peuvent choisir de fonder une famille et de sortir de l’ordre…est-ce ce genre de vie que tu désires ? Te sens-tu assez forte pour vivre ainsi ? »

L’enfant n’avait pas vraiment envisagé cela comme ça, et resta pensive un moment. Elle savait que les guerrière s’entraînaient beaucoup, mais pas qu’elles avaient cette vie quasiment monacale. Elle resta pensive un moment, et la reine respecta son silence.

« Je veux quand même devenir guerrière, Majesté… », finit-elle par répondre.

Elfride passa encore un fil et reprit :

« Et pourquoi ? Est-ce pour faire comme ta maman ? Ou pour échapper aux devoirs des épouses ? »

Elle savait par des amis de la famille d’Helena que la fillette avait été parfaitement élevée, elle savait déjà plus ou moins ce qu’il fallait savoir pour gérer une maison. Cette fois, la réponse fut plus prompte à venir :

« Non, je sais que ma place n’est pas d’être une épouse, et je ne veux pas imiter ma maman… »

L’accent qu’elle mit sur le mot « sais » mit la puce à l’oreille de la reine.  La fillette possédait-elle un instinct particulier ? Elle n’en avait probablement conscience elle-même. Mais elle n’eut pas l’occasion de pousser plus loin ses investigations, l’huissier en faction à la porte annonça :

« Sa Majesté le roi ! »

Helena, dès qu’il entra, sauta sur ses pieds et fit une révérence quelque peu boiteuse mais méritante. Le souverain, amusé, lui fit immédiatement un signe pour qu’elle se relève :

« Allons jeune fille, relevez-vous… »

Elle obéit et resta là, son regard mordoré fièrement levé. Le roi ne lui faisait pas peur, bien qu’elle sût qu’elle devait le respecter d’après les recommandations de sa mère. Elle ne l’avait jamais vu qu’orné des regalia et elle découvrait sous l’or, la pourpre et les broderies un homme assez jeune, barbu, aux cheveux mi longs d’une curieuse couleur. On aurait eu du mal à lui donner un âge, mais la petite fille perçut qu’il était plus jeune qu’il le paraissait. Son regard bleu pétillait et il souriait.
Il en profita pour regarder celle en qui son épouse voyait un si grand destin. Derrière ce joli minois se cachait un sacré petit caractère, il pouvait le voir à l’étincelle de son regard et commença à se dire que son épouse avait peut-être vu juste.

« Je suis heureux de te recevoir au palais, jeune Helena, et j’espère que tu apprécieras ton séjour… »

Et, après avoir échangé un regard avec son épouse, il sortit, laissant l’enfant interloquée. La reine fit signe au serviteur d’aller chercher le thé avec des biscuits. Elle fit signe à l’enfant de venir près d’elle :

« Viens, tu vas m’aider… »

Et elle lui tendit l’un de ses écheveaux.

« Veux-tu bien le démêler correctement, s’il te plaît, pendant que je continue cela ? »

Cette chose simple allait lui permettre de voir l’enfant se concentrer sur quelque chose et elle pourrait mieux l’observer sans en avoir l’air. La fillette prit l’écheveau de laine et commença à le démêler en louchant à moitié. Son regard félin ne quittait pas les nœuds à dénouer et, même si elle était maladroite, elle y parvenait lentement. Concentrée sur sa tâche, elle ne remarqua même pas le regard d’Elfride sur elle, et elle refusait d’abandonner, même quand les nœuds étaient un peu trop compliqués pour ses petites mains. Cela lui prit plus d’une heure, mais elle finit par y parvenir. Avec un sourire, elle tendit l’écheveau à la reine :

« J’ai fini… »

Elle était fière d’elle-même, et Elfride prit l’écheveau en lui rendant son sourire :

« C’est bien, Helena… »

La petite avait donc de la patience, de la concentration, très bien, mais pour l’instant aucun autre signe de capacité supranormale. Cependant, elle pouvait percevoir l’interrogation de l’enfant, qui ne comprenait pas pourquoi elle était là. Autour d’elles, les serviteurs allumaient les torches, la nuit tombait déjà et, bientôt, le repas serait servi. Elfride mit l’aiguille à tapisserie dans la petite main de l’enfant et, d’un geste doux, lui fit passer doucement le fil dans la trame. La gentillesse et la douceur de la souveraine touchaient beaucoup Helena, et elle le fut encore plus quand, lors du repas qu’elle eut l’honneur de prendre avec le couple royal, on lui servit son plat favori. Elle eut un grand sourire, qui émut le couple royal, et mangea de bon appétit.
La reine en était réduite à se poser des questions sur l’enfant lorsqu’elle eut la même vision, alors qu’elle couchait la petite fille. La même aura blanche en forme de flocon de neige apparut, et elle resta un instant, entourant la fillette qui n’en avait visiblement pas conscience. Sur le flocon de neige apparurent des étoiles qui dessinèrent une constellation.
Helena alors finit par remarquer le comportement étrange de la reine :

« Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda-t-elle.

Elfride finit par se secouer, revenir à la réalité.

« Rien, rien, je te dirai demain… », dit-elle en déposant un baiser sur son front, « dors bien maintenant, qu’Odin veille sur ton sommeil… »

La reine sortit de la chambre, à présent confortée dans son intuition. Helena était bien destinée à devenir une guerrière, mais pas à Asgard, au Sanctuaire d’Athéna, elle était clairement sous la protection d’une constellation. Elle avait largement l’âge de commencer son apprentissage, mais, dès demain, elle en parlerait à ses parents pour les informer et leur demander leur autorisation. De toute façon, Helena devrait aller au Sanctuaire d’Athéna pour être entraînée, sinon ses pouvoirs, en se réveillant, pourraient la mettre en danger aussi bien pour elle que pour les autres. 
Le roi, revenant de son bureau, la trouva pensive, presque sombre. Désireux de l’égayer, il demanda :

« Tu as quelque chose à m’annoncer ? »

Sachant ce à quoi il pensait, elle secoua la tête.

« Non, mais je peux déjà te dire que la jeune Helena est bien une future guerrière d’Athéna, mon intuition était exacte… »

Hjalmar posa sa couronne sur le coussin destiné à la recevoir et caressa la chevelure de son épouse.

« Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? », demanda-t-il doucement.

Elfride détourna le regard.

« Je sais qu’elle veut devenir une guerrière, qu’elle a donc le destin dont elle rêve, mais…je n’aimerais pas qu’elle soit tuée au Sanctuaire d’Athéna, je crois que je me suis attachée à elle… »

Cela n’étonna guère le roi, il savait son épouse très sensible et très maternelle. Elle acheva :

« Mais si elle ne va pas là-bas et n’est pas entraînée, elle court un grand danger, ses pouvoirs pourraient la tuer en se réveillant… »

Il s’assit près d’elle, la prit dans ses bras et lui dit : 

« Nous ferons le nécessaire, nous en parlerons à ses parents dès demain et ensuite nous contacterons le Sanctuaire. Ne t’inquiète pas pour elle, si elle est vraiment protégée par une constellation comme tu l’as vu, il ne lui arrivera rien, et je la pense assez courageuse et teigneuse pour y arriver… »

Là-dessus, le roi n’avait pas tort, mais c’était sans compter la réaction de la mère. Si Helena se montra ravie d’avoir un destin de guerrière, sa mère opposa une farouche résistance à son départ pour le Sanctuaire. Svanhilde refusait que sa fille devienne une guerrière, même si ce qui l’attendait n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait vécu elle-même. Elle voulait faire d’Helena une bonne épouse et n’en démordait pas, ordre royal ou pas, pouvoirs d’Helena ou pas. D’ailleurs, elle n’y croyait pas vraiment…
Eskill, cependant, parvint à percevoir exactement ce que ressentait sa femme. Il avait compris bien avant elle que, si Helena et elle-même étaient en perpétuel conflit, c’était parce qu’elles se ressemblaient trop et que Svanhilde se reconnaissait en elle plus que dans ses autres filles. Inconsciemment, elle voulait la préserver du destin qu’elle-même avait choisi avant de finalement se marier.

« Je ne veux pas, disait-elle à son époux, je ne veux pas que ma petite fille parte si loin de moi, qu’elle soit blessée, qu’elle devienne une machine à tuer sans âme ! »

Tout le secret de l’amour maternel se trouvait dans cette phrase, tout ce qu’elle n’avait jamais dit à sa fille. Mais Eskill resta ferme sur ses positions : Helena partirait au Sanctuaire, c’était là qu’était son destin et il n’avait aucune envie que ses pouvoirs à venir la tuent. Car lui avait toute confiance en les pouvoirs de lecture d’aura de la reine, ils étaient réputés et elle les avait travaillés avec les meilleurs valas et voyantes du royaume. Bien qu’il fût triste d’être séparé si longtemps de sa fille aînée, c’était un honneur qu’elle ait été choisie et il était persuadé qu’elle serait bien mieux là-bas, au Sanctuaire. Svanhilde devrait accepter que sa fille n’ait pas le destin qu’elle avait choisi pour elle.
Vaillamment, Helena retint ses larmes devant ses parents mais, une fois seule dans sa chambre, laissa libre cours à sa tristesse. Son destin la dépassait un peu, elle n’en saisissait pas toutes les implications mais, même si elle était ravie de devenir une guerrière, le faire si loin de sa famille l’attristait.

Il ne fallut que quelques semaines pour régler l’affaire avec le Sanctuaire d’Athéna. Le Grand Pope se montrait ravi d’accueillir sur son sol l’une des ressortissantes du royaume nordique allié depuis des siècles, surtout quand celle-ci, visiblement, était destinée à devenir l’un des chevaliers d’argent. En effet, avec quelques recherches, la reine avait identifié la constellation aperçue dans l’aura de la fillette : la Couronne Boréale. Cependant, elle ne lui en avait pas parlé directement, se contentant juste de dire qu’elle avait lu son destin dans son aura. Helena découvrirait cela par elle-même, quand son pouvoir se ferait jour…
Quelques jours après, la fillette quitta ses parents. Sa mère la serra longuement contre elle, les yeux humides :

«  Fais attention à toi, Helena.. »

La fillette, la gorge serrée, ne put rien répondre, mais ses larmes coulèrent lorsque son père et ses frères et sœurs lui dirent au revoir. Puis elle monta dans le chariot qui allait la mener au port, et regarda la maison de son enfance, comme si elle voulait la graver dans sa mémoire à jamais. Puis, essuyant ses larmes avec sa petite main gantée, elle regarda droit devant elle, vers l’avenir…

A suivre