Annexe 2 : La couronne de glace
Histoire d’une femme parmi les grands maîtres : Helena de la Couronne Boréale

 

Chapitre 5  : La décision finale

 

Les grands maîtres, pendant ce temps, étaient rassemblés pour les résultats, et nombre d’entre eux se récrièrent lorsqu’il s’avéra que c’était Helena la gagnante. En effet, elle avait vaincu tous ses adversaires, réussi les épreuves théoriques et prouvé par l’observation de son enseignement qu’elle était un bon et efficace professeur. Ce fut un tollé, certains hurlèrent à la tricherie et les plus pragmatiques recoupèrent les résultats une seconde fois. Lorsqu’ils furent sûrs qu’il n’y avait pas eu erreur, Youri se leva et demanda :

« Et maintenant, que devons-nous faire ? La question ne s’est jamais posée auparavant, il n’y a jamais eu aucun grand maître du sexe féminin, et pourtant il n’y a pas de doute à propos des compétences d’Helena de la Couronne Boréale, elle l’a démontré brillamment et nous l’avons tous vu… »

Le glacial grand maître du signe du Verseau récapitulait tranquillement la situation, prenant à parti le reste du conseil. N’importe qui ne le connaissant pas aurait pu croire qu’il portait un intérêt à la personne d’Helena, mais en fait il se contentait de poser froidement, logiquement, les données du problème. Techniquement, vu qu’il n’y avait pas de précédent ni de règles à ce propos, mais quelques-uns des grands maîtres refusaient nettement qu’Helena intègre le conseil. Cela allait à l’encontre de leurs convictions, car ils contestaient que le futur chevalier d’or des Poissons soit entraîné par une femme tant cela était associé dans leur esprit à l’idée de fragilité. Certains, comme Androgeio, le Taureau, ou Hylas, le Lion partaient du principe que, si Helena avait réussi les épreuves, elle avait d’office sa place au conseil, mais d’autres, comme Faustulus, le Cancer, Pedro, le Capricorne ou Dion, le Scorpion, y étaient farouchement opposés, sans compter ceux comme Açoka, la Vierge, ou Youri, le Verseau, qui se déclaraient neutres. Même la visible apparition d’une aura dorée pendant le dernier combat ne parvint pas à mettre tout le monde d’accord, car tous y accordaient un sens différent.

La réunion se prolongea tard dans la nuit et, comme ils ne purent trouver un terrain d’entente, il fut décidé de reprendre les délibérations le lendemain après un peu de repos. Aucun d’eux ne vit un serviteur se fondre dans la nuit et se diriger vers le bureau personnel du Grand Pope, où se voyait encore la lumière tremblotante d’une chandelle. Il traversa les salles de son appartement privé et frappa à la lourde porte de chêne. A l’assentiment verbal de l’occupant des lieux, il entra. Il s’inclina et dit :

« Ils n’ont pas pris de décision… »

Le Grand Pope leva la tête, ferma le vieux livre qu’il étudiait et eut seulement un hochement de tête :

« Merci, vous pouvez aller vous reposer maintenant… »

Resté seul, il ôta son masque, qu’il posa sur le coin du bureau. Tant de remous était bien évidemment prévisible, et il avait profité du temps qu’avait duré la réunion pour chercher une fois de plus parmi les précédents, ainsi que dans les règles et les lois édictées par ses prédécesseurs. Si ce qu’il avait trouvé ne suffisait pas à convaincre le conseil, finalement sa décision aurait force de loi. Il détestait devoir faire preuve d’autorité sur le conseil des grands maîtres mais c’est ce qu’il allait sans aucun doute devoir faire. Helena avait prouvé qu’elle était la personne désignée pour entraîner le prochain chevalier d’or des Poissons, il n’y avait vraiment que les grands maîtres pour faire encore de la résistance, tout ça parce qu’elle était une femme.

Lui-même avait eu une vie très longue, aussi était-il en mesure de relativiser certaines choses et de voir plus clair qu’eux, mais il trouvait vraiment toutes ces tergiversations un peu ridicules. Si rien n’empêchait Helena de participer, rien ne l’empêchait non plus de gagner et donc d’exercer la charge qu’elle avait obtenue de haute lutte.

Il s’appuya sur le dossier de son fauteuil, eut un soupir et son regard pourpre se perdit dans le vague. Il ne voulait pas vraiment avoir à imposer quoi que ce soit mais il n’avait guère le choix. Les grands maîtres étaient-ils à ce point aveugle ? Ils savaient très bien que, lorsque l’aura d’un candidat mutait quelques instants au doré, c’était le signe qu’il était élu par la déesse elle-même, chacun d’eux avait eu ce genre de choses lors d’un de ses combats.

Il posa un instant ses mains sur ses yeux, sentant la fatigue se faire lourde sur ses paupières et sur ses épaules, mais les ouvrit de nouveau. Pas encore le moment du repos pour lui, il avait encore du travail, et cette histoire de grand maître était de loin le cadet de ses soucis. Juste un regard à un portrait qu’il gardait dans un tiroir, et il ouvrit de nouveau un dossier…

Quand Helena ouvrit de nouveau les yeux, la nuit s’éclaircissait et le ciel commençait à se teinter de rose. Elle se frotta les yeux, tenta de se redresser et laissa échapper un gémissement. Pas un muscle de son corps ne la faisait souffrir, et elle n’eut d’autre solution que de rester allongée en attendant que son corps veuille bien de nouveau lui obéir sans protester. En tout cas, quel que fût le résultat final, elle se trouvait satisfaite de ce qu’elle avait accompli, et elle n’avait cure de ce que pourraient en dire les autres. Après tout, elle avait tout de même réussi à gagner ses trois combats, cela au moins était une victoire pour elle. Elle avait du moins prouvé aux chevaliers hommes qu’une femme pouvait faire aussi bien qu’eux, sinon mieux.

Elle resta encore allongée un bon moment, regardant par les interstices du store de la fenêtre de sa chambre le jour se lever. Cela promettait d’être encore une belle et chaude journée d’arrière saison.
Au bout d’un temps indéterminé, la doctoresse qui l’avait soignée entra, accompagnée d’une infirmière.

« Bon, vous avez déjà meilleure mine, mais interdiction de faire des efforts violents ces quinze prochains jours… »

Elle l’examina soigneusement et ajouta :

« Vous viendrez tous les jours ici pour que vos pansements soient changés, jusqu’à guérison complète… »

Le ton employé ne souffrait pas de discussion, aussi Helena s’abstint-elle de toute remarque. Après tout, elle ne se sentait pas du tout au meilleur de sa forme non plus, autant éviter de retarder stupidement sa guérison.

L’infirmière, sous le contrôle du médecin, vérifia ses bandages, en changea certains et, enfin, on l’autorisa à rentrer chez elle, mais portée par deux serviteurs. Sur ses indications, ils la déposèrent sur son fauteuil et la laissèrent seule. Se tenant aux meubles, elle parvint à gagner la salle de bains pour se laver, puis revint s’asseoir sur son lit à petits pas, enveloppée dans une serviette. Son corps d’ordinaire pâle était marqué ça et là de vilaines taches bleues, de traces de coups divers, qu’elle dissimula derrière sa tenue de coton ordinaire. Après tout, c’était le lot des guerriers, et elle en avait déjà eu beaucoup lorsqu’elle était une apprentie, mais rarement à ce point tout de même.

Une fois habillée, ses cheveux ordonnés, elle s’assit de nouveau sur le fauteuil et laissa tomber sa tête en arrière avec un long soupir d’aise en fermant les yeux…

Pendant qu’Helena se reposait, les grands maîtres, dès leur réveil, reprenaient place dans leur salle de délibération pour enfin prendre une décision. Quand Shion entra, une heure plus tard, les regards de tous se braquèrent sur lui, teintés d’interrogation. Il toisa tout le monde de son visage masqué et prit la parole :

« Il est temps que vous publiiez le résultat de l’épreuve, à présent. Qu’avez-vous décidé ? »

Les grands maîtres se regardèrent, et ce fut le silence pendant un bon moment, que Shion ne rompit pas. Autant les laisser décider eux-mêmes sans mettre de pression supplémentaire. Hylas, le Lion, se leva et déclara :

« Nous ne sommes pas d ‘accord entre nous, Altesse, certains pensent qu’Helena doit être grand maître, d‘autres pensent qu’en raison de son sexe elle n’a pas sa place parmi nous malgré le fait qu’elle ait réussi les épreuves… »

Visiblement, Hylas, lui, était d’accord, Shion le perçut à l’intonation de sa voix.
Shion prit le lourd dossier et le vieux volume relié qu’il avait amené avec lui et les posa sur la table :

« Voici les assertions que j’ai pu trouver à propos de ce problème dans les archives des précédents grands popes, je vous les ai apportées… »

Une lueur de détermination passa dans le regard d’Amphion et de Zéthos, les grands maîtres du signe des Gémeaux. Vaillamment, les deux jumeaux prirent l’un le dossier, l’autre le livre et se plongèrent dedans. Shion fit apporter des rafraîchissements car il subodora que cela risquait de durer longtemps. Progressivement, les autres grands maîtres vinrent aider, lisant les pièces du dossier restantes, recoupant les informations, parlant doucement entre eux. Au bout de quatre heures, ils tombèrent d’accord : rien dans les précédents n’empêchait une femme d’intégrer le conseil. Malheureusement, cela relança la discussion de plus en plus belle et fit monter la moutarde au nez de Shion excédé. Pourtant il garda parfaitement le contrôle de lui-même et dit calmement mais d’un ton ferme :

« Très bien. Je ne voulais pas en arriver là mais, puisque vous êtes incapables de vous mettre d’accord, je vous annonce qu’Helena de la Couronne Boréale intègrera ce conseil, que cela vous plaise ou non, parce qu’elle a réussi les épreuves comme chacun de vous en son temps. Continuez vos discussions stériles si cela vous agrée, mais le temps s’écoule et les autres chevaliers d’or vont être découverts bientôt… »

Un silence suivit ses paroles, destinées à les ramener à leurs vraies priorités. S’ils étaient là, s’ils avaient été spécialement choisis, initiés, c’était pour gérer le Sanctuaire mais, et surtout, pour entraîner les chevaliers d’or qui apparaîtraient bientôt comme l’avaient déjà fait ceux des Gémeaux. Le temps s’était accéléré maintenant vers la guerre sainte, et ils n’avaient pas de temps à perdre avec des préjugés stupides.

« Je vous laisse vous charger du reste maintenant… », dit-il seulement et, sur cette flèche du Parthe, il sortit pour regagner ses appartements.

Faustulus se leva alors et déclara :

« Je propose de la tester avant de l’initier, et nous verrons bien si elle est vraiment digne d’entrer au conseil… »

Cette proposition emporta l’assentiment de ceux qui étaient opposés à son intégration comme de ceux qui y étaient favorables, et il fut décidé de la convoquer le lendemain devant le conseil au grand complet…

Des coups frappés à sa porte tirèrent Helena de sa somnolence. Elle attrapa son masque et signifia au visiteur d’entrer. Un serviteur entra, referma la porte et s’inclina :

« Je suis porteur d’une convocation pour vous… »

Et il lui tendit un rouleau. Helena l’ouvrit, le lut rapidement et répondit seulement :

« Vous leur direz que je me présenterai devant eux à l’heure dite… »

Le serviteur s’inclina une seconde fois puis se retira, laissant Helena pensive, le rouleau dans la main. Que signifiait donc cette convocation alors que les résultats n’étaient pas encore annoncés? Quelque chose de positif ou de négatif ? Elle n’aurait su le dire. Pourtant, son instinct lui soufflait qu’il y avait là quelque chose d’étrange. Les termes de la convocation pourtant ne lui fournissaient pas d’indices, à dessein supposa-t-elle, elle était écrite dans un style ampoulé, aux lettres soigneusement tracées, pour bien lui montrer que c’était quelque chose d’officiel. Décidément, les grands maîtres ne faisaient rien comme tout le monde, se dit-elle d’un air quasi amusé. En tout cas, elle avait bien l’intention de se présenter devant eux sur ses deux jambes, pas en position de faiblesse, quoi qu’ils lui disent elle y ferait face avec honneur. A cette réflexion, un léger sourire fendit son visage et apparut, venu du fond de sa mémoire, le visage de sa mère lui disant cela alors qu’elle était encore une enfant. Toujours faire face avec honneur ! C’était cela qui avait toujours guidé sa vie, et qui continuerait même si elle avait échoué aux épreuves parce que, du moins, il lui resterait cela.

Dehors, le soleil se couchait sur le Sanctuaire, ensanglantant les pierres blanches, mais Helena resta enfermée, écoutant les rumeurs du monde extérieur autour de sa petite chambre. Elle n’avait pas envie de rencontrer les autres, juste de reprendre tranquillement des forces en se repliant sur elle-même. L’expérience qu’elle avait vécue était éreintante mais unique, vu que ce n’était que la seconde fois dans l’histoire du Sanctuaire que la disposition « grands maîtres » était utilisée suite au décès de la majorité des chevaliers d’or lors de la précédente guerre sainte. Finalement, peut-être était-ce le destin qui l’avait fait naître sous le signe des Poissons pour pouvoir concourir à cette épreuve, même si elle n’y croyait pas vraiment. Laissant son esprit vagabonder, elle finit par s’endormir. Elle ne se réveilla que plusieurs heures après, et esquissa une grimace de douleur quand elle tenta de bouger. Ses adversaires étaient-ils dans le même état qu’elle ? Probablement pas, mais perclus d’engelures sûrement. Cette idée la fit légèrement sourire et, bougeant précautionneusement, elle parvint à se mettre assise, puis debout, étirant centimètre par centimètre ses muscles endoloris. Enlever ses vêtements fut le même type de supplice, mais elle y parvint et, quasiment dans le plus simple appareil, se mit au lit. Sa dernière pensée, avant de sombrer dans le sommeil, fut pour son blanc pays qui, pour la première fois depuis des années, lui manqua…

Le lendemain, les grands maîtres, soigneusement mis par ordre de signes et vêtus des médaillons d’argent, insigne de leur charge, ainsi que de l’écharpe de soie blanche brodée qu’ils portaient ordinairement lors des grandes cérémonies, attendaient dans leur salle de session et discutaient entre eux à voix basse.

Un héraut annonça, exactement à l’heure convenue :

« Le chevalier d’argent Helena de la Couronne Boréale ! »

Dix paires d’yeux se braquèrent alors sur la porte de bois incrustée d’argent dont les doubles battants s’ouvrirent sur Helena. Vêtue d’une tunique et d’un pantalon court de coton soigné, les pieds chaussés de sandales de cuir, ses cheveux soigneusement nattés, elle se tenait droite, sans paraître avoir la moindre séquelle de ses trois combats.
Androgeio, le plus proche de la porte, lui dit :

« Entrez… »

Calculant soigneusement son pas pour le rendre le plus normal possible, elle s’exécuta et s’immobilisa au centre de la pièce, face à la vaste table de chêne disposée en U. Elle s’inclina en signe de respect et attendit.

Ce fut Youri du Réticule, le plus neutre de tous, qui se leva et parla :

« Avant que les résultats ne soient publiés, nous voulions te dire que tu as réussi toutes les épreuves… »

Mais, avant qu’elle ne puisse réagir, Pedro se leva :

« Mais il n’est pas question que tu intègres le conseil… »

Helena se contint soigneusement, n’eut pas un frisson, pas un mouvement. C’était à prévoir, mais elle évita soigneusement d’exprimer quoi que ce soit. Pourtant, pas question qu’elle se laisse évincer sans se battre !

« Avez-vous une raison légale de l’empêcher ? », questionna-t-elle en détachant bien ses mots.

Il y eut un silence et nul ne sut quoi répondre. S’ils avaient pu voir derrière le masque d’Helena, ils auraient vu son regard mordoré jeter des éclairs. Elle se doutait bien de la raison, mais elle voulait l’entendre de leur bouche directement, qu’ils osent admettre leurs préjugés devant elle. Mais ce ne fut pas cela que dit Dion, grand maître du signe du Scorpion :

« Il n’y a aucun précédent d’une femme grand maître, et nous ne voulons prendre aucun risque car nous ne savons pas si tu supporteras l’initiation… »

Effectivement, l’argument se tenait, mais Helena ne fit pas un mouvement. Elle sentait nettement le regard de chacun des grands maîtres sur elle, et donc mit un point d’honneur à ne rien exprimer avec son corps, même involontairement. Toujours faire face avec honneur…ce leitmotiv tournait dans sa tête et lui permettait d’être impassible.

Elle reprit :

« Alors, s’il n’y aucun empêchement légal, et que le résultat est bien celui que vous avez dit, je subirai l’initiation, dussé-je y laisser ma vie… »

Son intonation était calme, pas un mot plus haut que l’autre, elle supportait correctement la pression volontairement causée par le conseil. Pourtant, Amphion, le premier grand maître des Gémeaux, insista :

« L’initiation est très difficile, elle te demandera énormément et ton corps est tout de même moins solide que celui d’un homme, que tu le veuilles ou non. Nous ne sommes pas d’accord pour que tu prennes ce risque et que tu meures inutilement… »

Le regard sombre du grand maître du Cancer, Faustulus, se braqua alors sur elle et il ajouta :

« Quelle idée de vouloir t’initier, tu vas mourir stupidement et c’est tout ! »

Mais Helena n’en démordit pas :

« Il n’y a aucune manière stupide de mourir, et surtout pas dans ces conditions… »

Et elle ajouta :

« Au moins, si j’échoue, cela fera un précédent qui pourra être utilisable une prochaine fois… »

Ce dernier argument d’une logique imparable provoqua le silence. Mais Açoka, le grand maître de la Vierge, le rompit de sa voix calme :

« Tu as été blessée durant ces épreuves, tu n’es pas en état de subir l’initiation et, même si tu l’étais, les autres ont raison, c’est trop dangereux… »

Tout les grands maîtres abondaient dans son sens, curieux de voir si Helena irait vraiment jusqu’au bout. En fait, l’initiation ne la tuerait pas, car elle était plus mentale que physique, mais ils voulaient vraiment la tester pour juger de la force de son caractère et de sa motivation.

Pedro lança alors la flèche du Parthe :

« L’initiation n’a pas été prévue pour une femme, et ce dès la création de ce conseil, aussi tu ferais bien mieux de retourner à tes élèves… »

Helena allait répondre lorsqu’un héraut annonça :

« Son Altesse le Grand Pope ! »

Les grands maîtres se regardèrent d’un air passablement étonné et, d’un seul mouvement, se levèrent alors que Shion faisait son entrée d’un pas majestueux.

« Que se passe-t-il, ici ? », Dit-il d’une voix sévère.

Helena, malgré la douleur de ses muscles, s’agenouilla immédiatement, comme tous les grands maîtres.

« Avez-vous décidé de continuer dans vos errements ? Le temps nous est compté, et vous le perdez à tester stupidement ce chevalier qui a pourtant prouvé ses capacités… », déclara Shion d’une voix glaciale.

Pas un grand maître n’osa répondre à cela, tant l’autorité du Grand Pope était prégnante dans ces simples mots. Il acheva :

« Déterminez une date pour son initiation, et publiez les résultats, cela aurait déjà dû être fait… »

Et il sortit, laissant les grands maîtres interloqués. Pedro reprit ses esprits et dit en jetant un regard noir à Helena :

« Tu peux te retirer maintenant, nous allons délibérer et tu recevras la date dans la journée… »

Le chevalier d’argent, qui était encore à genoux, se releva, s’inclina et sortit de la pièce, la tête pleine d’interrogations diverses. Comment le Grand Pope avait-il su qu’on la convoquait sous couvert de la tester ? Elle ne saurait jamais la réponse, aussi, malgré son état général, s’en alla-t-elle s’occuper de ses apprenties. Elle préférait le faire maintenant, avant que les résultats ne soient annoncés. Bien sûr, tout le monde la bombarda de questions, mais elle fut assez circonspecte, n’ayant pas envie de s’étendre sur le sujet. Lorsqu’elle repartit enfin du camp, elle réalisa alors brusquement que c’était dorénavant elle le grand maître du signe des Poissons, même si elle ne le serait techniquement et en charge qu’après son initiation. Elle resta debout sur le chemin, immobile, tant la force de cette révélation était puissante. Elle prit alors conscience qu’elle avait été quelque peu anesthésiée par les conditions un peu étranges de sa convocation au conseil, et l’évidence avait donc peiné à s’imposer en elle. Les grands maîtres avaient tenté de l’empêcher mais ils avaient été pris à leur propre piège. La tête lui tourna, elle chancela et faillit tomber, mais elle se reprit vite, elle n’avait plus le droit d’être faible. La tête bourdonnante, elle regagna sa chambre et s’allongea sur son lit pour laisser passer le choc à retardement. Elle tremblait, elle avait froid, mais elle laissa passer la crise. Quand elle recouvra toute sa lucidité et que son corps cessa de la trahir, elle expira un grand coup et considéra la situation : elle avait réussi les épreuves, elle allait être initiée grand maître, elle était désormais membre de l’élite dirigeante du Sanctuaire. Rien ne serait plus comme avant, sa vie avait irrémédiablement basculé.

Elle resta là, allongée, le corps encore douloureux, laissant flotter sa conscience entre veille et sommeil. Elle entendit du bruit derrière la porte, on vint frapper mais elle n’ouvrit pas, elle voulait rester encore un peu hors du monde, rester encore un peu celle qu’elle avait été, avant d’affronter de nouveau le monde extérieur.

Elle ne consentit à ouvrir que lorsqu’un serviteur du conseil s’annonça, beaucoup plus tard dans l’après-midi. Elle prit le rouleau, remercia le serviteur et referma la porte. Elle déroula la missive et y lut que son initiation aurait lieu dans quatre jours. Elle le laissa rouler et, se tournant vers l’étagère, y regarda pensivement sa pandora box qu’on y avait ramenée pendant qu’elle était à l’infirmerie. C’était là tout le sens de son existence, et elle souhaita avec force que ses nouveaux devoirs ne le lui fassent pas oublier…

A suivre