Annexe 2 : La couronne de glace
Histoire d’une femme parmi les grands maîtres : Helena de la Couronne Boréale

 

Chapitre 8  : Passé, présent... et futur

 

Les jours suivants se passèrent ainsi, à la fois tournés vers le passé et vers le futur. Le roi la fit appeler deux fois pour discuter des termes du traité d’alliance, ce qui lui fit faire ses premiers pas dans le monde de la diplomatie, et elle parla longuement avec la reine. Elfride semblait sereine, mais elle pouvait percevoir sa fêlure profonde, celle de n’avoir pas d’enfants. Helena n’avait pas de pouvoirs spéciaux de prémonition mais elle eut une impression étrange à ce sujet. Son regard sembla se voiler un instant et elle sourit légèrement à la reine :

« Le bonheur est à venir, Majesté… »

Le regard bleu d’Elfride s’écarquilla mais elle ne fut pas vraiment étonnée. L’aura d’Helena dont elle se souvenait avait clairement muté et cela allait probablement avec. Alors que la jeune fille allait se retirer, elle ouvrit son coffre à bijoux et lui tendit une fibule ronde ornée d’émaux :

« Tenez, prenez ceci et qu’un jour elle vous ramène dans notre pays…n’oubliez jamais qu’Odin veille sur vous… »

Et elle caressa la joue de celle qu’elle considérait en son cœur depuis des années comme sa fille. L’émotion fit trembler le regard étrange d’Helena qui ne perdit cependant pas sa contenance :

« Je m’en souviendrai… », dit-elle seulement, la gorge serrée.

Alors qu’elle retournait chez elle, le traité signé et scellé en main, elle ralentit l’allure de son cheval et regarda autour d’elle, la plaine enneigée, le ciel bas moutonneux. Quoi qu’elle pût faire pour l’oublier, son cœur serait à jamais ici, enraciné dans cette terre gelée, elle resterait une enfant de ce pays même si elle ne devait jamais revenir.

Ce soir-là, alors qu’elle pliait soigneusement ses vêtements dans son sac de toile, sa mère vint frapper à sa porte.

« Alors tu pars vraiment demain ? », demanda-t-elle.

Helena se redressa.

« Oui, mère, le conseil et ma charge m’attendent… »

Svanhilde lui tendit alors le paquet qu’elle tenait.

« Tiens, ceci est pour toi… »

Intriguée, Helena ouvrit le paquet et en tira un châle léger sur lequel était brodé en fil d’argent l’insigne des Poissons. Sa mère ajouta :

« Tu pourras le porter quand il fait frais dans ton pays caniculaire… »

Helena, émue, serra le châle contre sa poitrine.

« Merci, mère… », dit-elle d’une voix étranglée.

Svanhilde eut les larmes aux yeux, mais elle se reprit vite et déclara :

« Tu devrais te coucher bientôt, tu as un long voyage qui t’attend… »

Elle vint déposer un baiser sur son front et sortit, laissant Helena mélancolique regarder la lumière lunaire se répandre sur la neige…

Les adieux furent déchirants, les jumelles pleurèrent beaucoup et elle eut de la peine à les consoler.

« Allons, ne pleurez pas… »

Mais elle-même n’en était pas loin, surtout quand elle voyait les efforts de ses parents et de sa nourrice pour ne pas fondre en larmes. Ses propres yeux étaient humides mais elle parvint à ne pas fondre en larmes alors qu’elle les saluait. Eskill dit d’une voix étranglée :

« Sois bénie, ma fille, dans tout ce que tu entreprendras. Je sais que, quoi que tu fasses, tu nous feras toujours honneur… »

Svanhilde vint elle aussi embrasser sa fille :

« Qu’Odin te bénisse et guide toujours tes pas sur les chemins du courage et de l’honneur… »

Helena s’inclina et reçut ensuite sa nourrice dans ses bras.

« Fais bien attention à toi… », lui dit-elle en lui caressant les cheveux.

Helena saisit sa pandora box, puis son sac puis se mit en route sans se retourner. Elle n’avait pas voulu que son père l’accompagne au port, elle préférait faire le chemin seule. Elle sentit alors ses larmes couler sur ses joues et elle les essuya d’un geste rageur. Elle se devait d’avoir l’esprit clair maintenant, elle allait entrer au conseil et il n’y aurait aucune place pour l’improvisation ou la faiblesse face aux grands maîtres, elle devrait faire ses preuves deux fois plus. Pedro et ceux qui étaient contre elle ne laisseraient rien passer, il faudrait vraiment qu’elle ne fasse aucune erreur.

Elle profita des deux jours et demi de trajet pour revoir différents points concernant le Sanctuaire et sa gestion pour ne pas être prise au dépourvu. Elle refusait d’être encore victime des préjugés des grands maîtres, et le meilleur moyen de leur démontrer sa valeur était d’être parée à toute épreuve.
A l’arrivée au Pirée, la chaleur d’arrière-saison la frappa de plein fouet. Regrettant un instant les étendues glacées de son pays natal, elle se mit en route vers le Sanctuaire, qui se trouvait à quelques kilomètres de là. Un rideau de réalité le préservait des regards des non-initiés, et il en était ainsi depuis des siècles.

Quand elle y arriva, elle surprit les gardes en flagrant délit de sieste. C’est vrai qu’il était presque quatorze heures trente et que le soleil incitait au repos, mais pas pour eux.

« Debout ! », s’écria-t-elle d’une voix ferme.

Les gardes bondirent sur leurs pieds.

« Grand maître Helena, pardonnez-nous ! », bredouilla l’un d’entre eux.

L’appellation sonna étrangement aux oreilles de la jeune femme mais elle ne perdit pas sa contenance :

« La prochaine fois que je vous prends à dormir, je sévirai… », ajouta-t-elle d’un ton strict.

Autant commencer à s’imposer tout de suite, ne fût-ce que face aux gardes dont elle aurait, comme les autres grands maîtres, la responsabilité. Elle leur montra pour la forme son sauf-conduit et se dirigea directement vers le bureau du Grand Pope pour lui remettre le traité signé. Son serviteur devait avoir des ordres la concernant car il dit :

« Son Altesse est avec le premier ministre Kyrillos, mais il vous recevra dans peu de temps et m’a demandé de vous servir des rafraîchissements… »

Décidément, la tête dirigeante du Sanctuaire avait des antennes partout. Le serviteur questionna encore :

« Voulez-vous que j’envoie quelqu’un déposer vos bagages à vos appartements ? »

Elle secoua la tête :

« Non, je les y amènerai moi-même mais je vous les confierai pendant mon entrevue avec Son Altesse… »

Le serviteur inclina la tête en signe de compréhension et quitta quelques instants la pièce pour aller chercher de la limonade fraîche. Helena goûta la fraîcheur de l’antichambre, observa les marbres et les fresques d’inspiration antique qui l’étaient probablement. Les couleurs n’avaient pas pâli, elles étaient toujours là, tout comme le Sanctuaire que l’on disait dater des temps mythologiques.

Le serviteur revint, déposa devant elle un verre de limonade et une assiette de baklavas avant de se retirer dans un coin de la pièce. Lui tournant le dos et relevant légèrement son masque, Helena but tranquillement son verre, mangea un gâteau et attendit patiemment jusqu’à ce que le premier ministre, Kyrillos, sortît. Elle se leva en signe de respect et l’homme lui sourit :

« Bonjour à vous, grand maître... », la salua-t-il tout aussi respectueusement.

Helena s’inclina légèrement. Le premier ministre secondait le Grand Pope depuis une bonne vingtaine d’années, même avant que le conseil des grands maîtres fût formé, et personne au Sanctuaire ne se fût avisé de lui manquer de respect, y compris le conseil lui-même. Le serviteur annonça alors à l’occupant du bureau :

« Le grand maître du signe des Poissons Helena de la Couronne Boréale ! »

La jeune femme saisit le tube scellé où était rangé le traité et entra dans le bureau, dont les portes de bois et d’électrum furent refermées derrière elle. Elle s’inclina et Shion lui fit signe de s’asseoir devant lui.

« J’espère que vous avez fait bon voyage, grand maître… », demanda-t-il.

Elle inclina la tête.

« Oui, merci de votre sollicitude… », répondit-elle poliment.

Elle lui tendit le tube scellé :

« Voici le traité d’alliance entre le royaume d’Asgard et le Sanctuaire d’Athéna, dûment signé et scellé par le roi Hjalmar d’Asgard, Altesse… »

Shion le prit, l’ouvrit et le parcourut.

« Merci beaucoup… »

A part lui, il trouva vraiment la jeune femme en bien meilleure santé, elle ne boitait plus et ses mouvements étaient de nouveau graciles comme à leur habitude. Elle paraissait aussi bien plus sereine, retrouver son environnement natal lui avait apporté cela également.
Il posa le rouleau de parchemin et déclara :

« Très bien, vous pouvez aller vaquer à vos occupations. Demain, vous participerez pour la première fois au conseil, vous trouverez dans votre chambre l’ordre du jour et quelques documents le concernant… »

Helena se leva, s’inclina et sortit du bureau. Elle saisit son sac, sa pandora box et gagna sa chambre. En effet, sur le bureau avait été déposée une enveloppe scellée, probablement ce dont lui avait parlé le Grand Pope. Elle rangea la pandora box à sa place, posa son sac non loin et brisa le sceau. L’ordre du jour était presque entièrement consacré à des opérations de vérification comptables en vue du bilan de fin d’année ainsi qu’à l’évaluation des travaux restants sur les temples du Zodiaque d’or. Rien de bien passionnant mais qui la plongeait directement dans le quotidien des grands maîtres. Elle posa la liasse de papiers et, ouvrant son sac, en sortit ses vêtements et les rangea sur les étagères. Elle garda un moment en main le châle brodé par sa mère et ses sœurs mais le posa sur la pile.

Ceci fait, elle sortit et alla au camp d’entraînement voir ses apprenties. Elle conféra un moment avec celle qui l’avait remplacée, Amina de l’Ecu, et jugea par elle-même de leurs progrès. L’une d’elle, une petite fille rousse, lui dit d’un air gêné :

« Euh…on voulait vous dire…maintenant que vous êtes grand maître vous aurez encore le temps de vous occuper de nous ? »

Helena fut touchée par la fillette.

« Oui, je prendrai le temps, et si d’aventure je ne le pouvais pas c’est maître Amina, que vous connaissez déjà, qui s’occupera de vous… »

L’inquiétude de ses petites apprenties la toucha, mais elle n’en montra rien et acheva :

« Quel que soit le professeur qui vous enseigne, vous devrez toujours donner votre maximum et le respecter… »

Les fillettes s’inclinèrent, l’air grave…

Le lendemain, Helena, la gorge quelque peu nouée, prenait place dans la salle de réunion des grands maîtres, à la place qui serait désormais la sienne. Quand elle le fit, le silence s’installa dans la pièce et elle se sentit très mal à l’aise. Heureusement Androgeio, le massif grand maître du Taureau, vint à son secours.

« Bienvenue parmi nous…. », lui déclara-t-il gentiment.

Dion de l’Octant se leva alors :

« Ordre du jour : les écritures comptables à reprendre et les réserves budgétaires à définir, ainsi que les évaluations de travaux sur le Zodiaque d’or… »

Helena se tint soigneusement coite pendant les débats, écoutant et enregistrant mais, lorsque Hylas et Youri commencèrent à débattre à propos du toit du temple du Verseau, elle ne put s’empêcher d’intervenir :

« Pourquoi ne pas utiliser les tuiles qui restent de la dernière réfection du dortoir des apprentis ? Ce sont presque les mêmes et cela sera en moins à dépenser… »

Un long silence suivit cette remarque et tous les regards convergèrent sur elle. Pedro finit par le rompre :

« Tu n’es au conseil que depuis aujourd’hui, il serait plus opportun que tu n’interviennes pas… »

Mais Amphion, du signe des Gémeaux, lui rétorqua :

« Elle est membre de ce conseil au même titre que toi, elle a été initiée et formée en partie déjà, elle a le droit de donner son avis et de débattre… »

Pedro se recula au fond de son fauteuil et laissa Helena finir de s’expliquer. Ce qu’elle proposait était logique et relevait plus de la gestion d’une maison, mais elle parvint à rallier tous les grands maîtres à son idée. Après tout, il s’agissait là d’utiliser des biens déjà existants et d’optimiser les ressources du Sanctuaire. Vu que le budget n’était pas extensible, l’idée fut bien accueillie. Certains grands maîtres y virent là le bon sens féminin et commencèrent à croire que finalement ce n’était pas une si mauvaise idée de l’accepter au sein du conseil.

Il fut temps ensuite de passer aux écritures comptables. Là Pedro eut le bonheur de la prendre en faute, mais Androgeio l’empêcha de trop jubiler :

« Elle va apprendre. Je te signale que toi aussi au début tu confondais certains numéros de comptes… »

Ce rappel à sa propre faiblesse doucha le grand maître du Capricorne, mais pas assez pour sa ténacité légendaire. Mais Faustulus, le grand maître du Cancer, continua :

« Elle va apprendre…que tu dis ! »

Helena sentait furieusement la moutarde lui monter au nez, mais elle se força à lui répondre sur un ton calme.

« Oui, je vais apprendre, quoi que tu en penses, comme tu l’as fait toi aussi en ton temps. Tu as longtemps eu des difficultés avec certaines des taxes, il me semble… »

Se voir pris en faute lui aussi calma le grand maître du Cancer, et personne n’osa plus reprendre derrière lui. Hylas finit par parler à son tour :

« Très bien, maintenant que nous sommes d’accord, continuons… »

Zethos, le second grand maître des Gémeaux, eut un sourire en coin. Cela ne lui déplaisait pas de voir certains de ses pairs aux idées rétrogrades ramenés à de meilleurs sentiments. Il échangea un regard avec son jumeau, Amphion, alors que les débats continuaient autour d’eux. Les deux jumeaux étaient les seuls à avoir déjà un élève, et ils se dirent que, si Helena savait s’imposer aussi bien face à son élève, le futur chevalier d’or des Poissons serait l’un des chevaliers d’or avec qui compter…

Épilogue : Asgard, 14 mars 1976

Helena, assise devant le feu dans la résidence nord de ses parents, regardait le message que sa mère venait de lui faire porter. Son cousin Niall, à présent chef du clan du tigre à dents de sabre, fêtait les cinq ans de son fils et sa mère lui demandait si elle voulait bien l’accompagner pour la joyeuse fête.
Elle soupira : depuis qu’elle était revenue elle n’avait pas arrêté de voir des anniversaires d'enfants, ceux de ses sœurs cadettes à présent mariées, et elle se demanda si sa mère n’avait pas une idée derrière la tête. Quand il s’agissait de ses neveux et nièces ça ne la dérangeait pas vraiment, mais Niall était un cousin et les souvenirs qu’elle avait de lui n’étaient guère flatteurs.

Pourtant elle décida d’accepter d’accompagner sa mère, mue par un pressentiment étrange. Depuis qu’elle était revenue ici, elle sortait peu, refusant même d’habiter la résidence principale pour ne pas mettre en danger ses parents. Bannie du Sanctuaire, accusée à tort, il lui restait du moins son honneur et sa fierté, et c’était pour cela qu’elle s’était volontairement retirée dans cette résidence du nord du pays pour se faire discrète. Elle s’était cependant rendue au palais deux fois, avait été reçue par la reine et donc fait la connaissance des jeunes princesses, Hilda et Freya, le bonheur et la fierté du couple royal. Sinon, jusque-là, elle n’était guère sortie de la famille, et tout le monde, à part ses parents et le couple royal, ignorait les véritables événements survenus au Sanctuaire.

Elle pensait à tout cela alors qu’elle chevauchait, le lendemain, auprès de sa mère, vers la maison de Niall et de sa jeune épouse Signhild. Ce fut Niall qui les accueillit, mais Helena perçut nettement autour de la maison une atmosphère extrêmement triste, bien loin de celle de fête qu’aurait dû être un anniversaire. Elle en eut l’explication lorsqu’elle vit le jeune Syd courir joyeusement vers ses parents : il n’était clairement pas né seul. Elle pouvait le lire dans son aura, il était venu au monde sous le signe de l’étoile Zeta, qui était une étoile double, d’où la tristesse de ses parents obligés d’abandonner sans pitié le second né selon les lois du pays.
 
Sa mère la tira de ses pensées :

« Il est mignon et vif, n’est-ce pas ? », remarqua-t-elle avec un sourire.

Helena eut un léger sourire mais ne montra pas son trouble.

« Oui, il est beau… », répondit-elle à sa mère.

Svanhilde avait perçu cependant le moment de flottement de sa fille, et questionna :

« Aura-t-il un grand destin ? »

Le regard félin d’Helena quitta le garçon exubérant et revint sur le visage de sa mère.

« Je l’ignore, mère, seul Odin en décidera… »

Syd se tourna  vers elle et son regard mordoré plongea dans celui du grand maître. Oh oui, ce serait Odin qui déciderait de son avenir mais Helena eut un sombre pressentiment, son double naturel serait cause de sa perte, mais elle ne dit rien et continua à sourire au garçon qui la regardait…

FIN