Petite dédicace à ma bêta lectrice, Yotma, à CassiopéeW (allez lire ses fics si vous aimez Asgard) et à Corinne, qui a donné sous sa plume superbe un visage à Hermod.

 

Scène supplémentaire 1 : La naissance d’Hermod

 

11 novembre 1987, palais d’Asgard

Il faisait encore nuit, mais l’aube éclairait déjà l’arrière des montagnes. Tout le palais dormait encore, mais quelque chose éveilla la princesse Hilda, allongée dans son grand lit à baldaquin. Elle bougea difficilement, alourdie par sa grossesse de presque neuf mois, et posa la main sur son ventre.
« Est-ce toi qui t’agite trop, bébé ? », demanda-t-elle.
Il bougeait, oui, mais pas suffisamment pour l’éveiller. C’est alors qu’après un temps la douleur la cloua à son matelas, le souffle coupé. C’était cela qui l’avait réveillée, et il n’y avait aucun doute, il s’agissait bien du début du travail, les contractions étaient plus fortes que celles qu’elle avait ressenties auparavant. Le bébé avait trois jours d’avance par rapport à sa date de conception, mais cela n’avait guère d’importance, tout était prêt pour l’accueillir. Cependant, elle savait que cela serait long, aussi décida-t-elle d’attendre encore un peu pour réveiller ses femmes et surtout la sage-femme. Allongée sur le dos, les mains sur le ventre, elle tentait de calmer les mouvements désordonnés de son enfant :
« Calme-toi, calme-toi, bientôt tu sortiras de là… »
Dans ces moments de douleur, seule avec elle-même, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Siegfried, qui ne serait pas là pour voir naître son enfant. Même si en Asgard les pères n’assistaient pas à la naissance, elle aurait du moins senti sa présence non loin d’elle. Non, il avait donné sa vie pour que le royaume survive, et c’était grâce à lui que l’enfant pourrait naître et grandir dans un royaume en paix.
Alors que le jour gris se levait, elle fit appeler la servante qui dormait non loin d’elle et lui demanda d’aller chercher la sage-femme. Celle-ci vint quelques minutes plus tard et l’examina soigneusement :
« Vous avez bien présumé, Majesté, le travail est en route et tout va bien, l’enfant est positionné la tête en bas, c’est idéal… »
Elle lui fit revêtir une longue tunique qui lui arrivait à mi-mollets et lui ordonna de commencer à marcher.
« Ainsi, nous hâterons l’arrivée du petit prince… »
Comment pouvait-elle être sûre que ce serait un garçon ? Elle-même n’en savait rien malgré ses pouvoirs spéciaux. Elle commençait à marcher lorsque Freya arriva tout courant, la robe au vent.
« Mais pourquoi ne m’as-tu pas fait réveiller lorsque tu as eu tes premières douleurs ? », lui reprocha-t-elle en la prenant par le bras.
Hilda eut un geste vague :
« Je voulais être sûre avant de réveiller tout le monde, ça pouvait être une fausse alerte, comme la semaine dernière… »
Mais il semblait que, cette fois, le petit prince ou la petite princesse fût vraiment décidé à arriver au monde. Cependant, les contractions étaient encore espacées, et la sage-femme ne prévoyait pas la naissance avant la nuit. Hilda donc entreprit de prendre son mal en patience. Freya ne la quittait pas, la soutenant de sa présence physique et morale, mais la seconde princesse pouvait percevoir tout ce qui agitait son aînée. Ce bébé était celui de Siegfried, le seul homme qu’Hilda eût aimé, et cela rendait sa naissance encore plus douloureuse pour elle.
Soucieuse de l’égayer, elle lui demanda :
« Quels prénoms as-tu choisis pour lui ou elle ? Si Bud ne vient pas ou ne le fait pas tu devras le nommer toi-même, et je ne pense pas que tu veuilles lui donner le nom de son père… »
Hilda se redressa avec une grimace, en soutenant son dos douloureux :
« Je n’ai pas réussi à choisir, en fait, entre Eivind, Siger, Bertil et Hermod, si c’est un garçon, ou Gersimi, Sunna, ou Signhild si c’est une fille… »
Elle eut un sourire un peu forcé :
« Je m’en remettrai à l’inspiration du moment, une fois que j’aurai fait sa connaissance… »
Elle essayait d’être gaie, mais Freya sentait la fêlure derrière le sourire. Hilda était face à quelque chose d’inconnu pour elle, et la douleur physique lui rappelait la douleur mentale qu’elle ressentait depuis des mois, depuis la tragique bataille qui avait vu la disparition de ses guerriers.
A intervalles réguliers, la sage-femme faisait allonger la princesse pour vérifier les progrès du travail, mais c’était lent, très lent. Cependant, le visage impassible d’Hilda ne laissait rien transparaître à chaque contraction, comme si elle expiait ainsi la faute qu’elle avait commise envers Odin en offrant sa virginité à Siegfried et surtout en concevant son enfant. Cela inquiéta Freya qui lui demanda :
« Est-ce que ça va ? »
Hilda eut un sourire las :
« C’est supportable… »
Dehors, la neige s’était mise à tomber, recouvrant le palais et le pays d’un épais manteau blanc et étouffant les bruits, comme si Odin lui-même voulait préserver de tout dérangement lors de son arrivée dans le monde l’enfant qu’il avait béni.
La sage-femme, qui préparait la layette du bébé princier, lui dit une fois de plus en l’examinant :
« Vous portez probablement un garçon, Majesté.. »
Cette fois, Hilda l’interrogea :
« Comment pouvez-vous bien le savoir ? »
Doctement, la sage-femme répondit :
« Il bouge beaucoup, et il est long à venir, cela veut dire qu’il est un peu grand pour vous… »
Très pragmatique comme réponse, se dit Hilda, mais qui prévoyait des difficultés au delà même de sa naissance. Si c’était effectivement un garçon, il aurait au moins une chance sur deux d’avoir la particularité de son père, parce qu’il était fort peu probable qu’une fille puisse avoir ce genre de choses.
Elle porta la main à son ventre sous l’effet d’une contraction plus forte et attrapa le bras de Freya :
« J’aimerais que tu fasses quelque chose pour moi : quand il ou elle sortira de moi, veux-tu bien regarder son dos ? »
Le regard bleu glacier de Freya se fronça en signe d’interrogation, et elle ajouta :
« Tu l’as peut-être oublié, mais Siegfried avait une particularité, il n’était vulnérable qu’un à un seul endroit, au niveau du cœur, là où une feuille s’est posée sur le dos de son ancêtre qui s’est baigné dans le sang du dragon Fafnir. Tous les descendants du premier Siegfried ont une marque en forme de feuille dans le dos, au niveau du cœur et mon enfant risque lui aussi d’avoir cette marque. Si cela est, je veux que tu me le dises tout de suite… »
Freya, qui comprenait mieux, acquiesça et lui tendit une tasse de tisane.
La matinée était déjà presque écoulée, les douleurs se rapprochaient de plus en plus, mais la poche des eaux ne donnait encore aucun signe de rupture. L’enfant s’agitait de plus en plus, au point qu’Hilda, n’en pouvant plus de marcher depuis le matin, dut s’asseoir un moment.
Elle posa les mains sur son ventre et dit avec douceur :
« Calme-toi, calme-toi… »
Son aura douce et calme l’entoura un instant, et le bébé finit par se calmer, permettant à la sage-femme un meilleur examen.
« Il est toujours bien positionné et la poche des eaux ne devrait pas tarder à se rompre… », déclara celle-ci, toujours optimiste.
Mais Hilda ne l’était pas autant qu’elle. Après tout, elle avait dit que son enfant était probablement un peu grand pour elle, ce qui faisait prévoir des problèmes lors de l’expulsion. Cependant, elle n’en montra rien et tenta de garder l’esprit autant serein qu’elle le put malgré les idées noires qui lui parasitaient l’esprit.
« Aide-moi », dit-elle à Freya, « plus vite il sera là, mieux cela vaudra, pour lui et pour moi… »
Freya l’aida à se remettre debout, et elle recommença à marcher à pas lents. Elle était lasse à présent, mais elle tentait de rester digne, de ne pas laisser la douleur qui lui labourait les flancs gagner sur elle.
Freya, prévenante, la faisait boire à intervalles réguliers, mais elle refusa de manger. La seconde princesse était inquiète du mutisme de sa sœur, mais cela pouvait aussi se concevoir, une naissance n’était pas une affaire facile et celle-ci en particulier, par le fait que le père de l’enfant à naître était décédé dans des circonstances dramatiques.
Hilda avait résolu de serrer les dents, mais une contraction violente lui arracha un gémissement alors qu’une flaque transparente s’étalait à ses pieds, trempant le bas de sa tunique.
La sage-femme se précipita avec une tunique propre :
« Voilà, notre petit prince ne devrait plus trop tarder à présent… »
Hilda n’était pas fâchée d’entendre cela, elle commençait à être vraiment fatiguée. Comment pouvait-elle avoir des idées aussi tristes alors que son enfant allait venir au monde, enfin ? Il ne fallait pas qu’elle reste sur le passé, mais qu’elle regarde vers l’avenir.
Les contractions étaient de plus en plus rapprochées, et elle sentait sa volonté vaciller. Que se passerait-il si elle laissait la vie en la donnant à son enfant ? Heureusement, si une telle chose devait arriver, elle savait qu’elle pourrait compter sur Freya pour l’élever et en faire quelqu’un de bien.
Elle eut encore un léger gémissement et serra plus fort le bras de sa sœur :
« Si je devais disparaître, occupe-toi de mon enfant comme si c’était le tien, j’ai confiance en toi… »
Immédiatement, Freya se récria :
« Mais tu ne vas pas mourir, qu’est-ce que tu racontes ? »
Hilda eut un sourire las.
« Ne nous voilons pas la face, nous savons toutes les deux que cela peut arriver, n’est-ce pas ? »
Elle fut interrompue par une contraction, et dit dans un souffle :
« Jure-le moi… »
Freya s’exécuta et serra sa sœur dans ses bras.
« Il ne va rien t’arriver, et ton bébé sera bientôt là… »
Elle martelait chaque mot, essentiellement pour se convaincre elle-même. A cet instant, alors que les douleurs, à présent très rapprochées, l’assaillaient, Hilda aurait donné beaucoup, peut-être même son royaume, pour disposer des moyens modernes de contrôle de la douleur, péridurale et tutti quanti. Pourtant, il lui restait encore assez de fierté et de volonté pour ne pas hurler « mon royaume pour une péridurale ! », comme le roi de Shakespeare.
La sage-femme lui fit avaler une mixture amère aux herbes, propre, à ce qu’elle lui en dit, à apaiser les douleurs et faciliter la descente de l’enfant.
« Il est bien engagé, nous ne devrions pas tarder à voir sa tête… », lui dit-elle après un énième examen.
Au moins, le petit prince ou la petite princesse arrivait par la tête, c’était au moins déjà ça. La sage-femme installa une couverture de peau cirée au sol et expliqua :
« Voilà qui va vous servir pour la dernière phase. Vous resterez accroupie dessus, et l’enfant glissera dans mes mains, aidé par la pesanteur… »
La princesse acquiesça seulement, trop épuisée pour dire quoi que ce soit. Non loin d’elle, une servante allumait les torches, car, bien qu’il fût seulement seize heures, la nuit tombait déjà sur le royaume enneigé.
Hilda, dans son marasme, serrait les dents autant qu’elle le pouvait, mais elle était arrivée au point de se haïr elle-même d’avoir été si faible face à ses sentiments, face à ses sens aussi. Elle aurait dû se retirer ce soir-là, faire trêve à tout cela, mais elle avait cédé.
La sage-femme l’avait installée sur la peau cirée, soutenue sous les aisselles par deux servantes, et elle lui expliqua :
« Vous pousserez le plus fort que vous pourrez, sauf au moment où je vous dirai de cesser… »
Freya se tenait près de la sage-femme, un linge dans les mains pour récupérer tout de suite son neveu, le laver et ensuite aller l’accepter dehors, si Bud ne venait pas, en tant qu’unique autre membre de la famille.
Il était plus que temps qu’elles l’installent car Hilda ressentit enfin une forte envie de pousser. Rassemblant ce qui lui restait de force, elle s’exécuta et fournit une première longue poussée.
« C’est bien, Majesté ! » s’écria la sage-femme alors qu’elle reprenait quelques forces entre deux contractions.
Hilda, épuisée, ne pensait pas pouvoir fournir un effort du même acabit, mais elle y arriva. A la fin de la seconde poussée, elle se laissa aller en avant, le souffle coupé, le corps torturé, mais la douleur revint à la charge, encore et encore, la laissant de plus en plus épuisée jusqu’à ce que la sage-femme lui dise :
« Je vois sa tête, il va falloir que vous vous reteniez de pousser afin qu’elle sorte le plus doucement possible… »
Hilda eut à peine la force d’acquiescer, mais elle banda tout sa volonté pour exécuter ce que la sage-femme voulait. Elle sentit un linge frais sur son front et reprit un peu de forces.
« Sa tête est là, à la prochaine poussée le reste du corps viendra. C’est presque fini, Majesté, courage ! »
Puisant au tréfonds d’elle-même, elle y parvint et, enfin, le corps de l’enfant glissa dans les mains de la sage-femme.
« C’est un garçon, Majesté… », s’écria celle-ci.
Celle-ci trancha le cordon, puis le déposa dans les bras de Freya qui, le regard humide, le retourna avec précautions alors qu’il se mettait à hurler et qu’il inspirait sa première goulée d’air. Sur son omoplate gauche, au niveau du cœur, s’étalait une marque oblongue pourpre en forme de feuille. La princesse enveloppa son neveu et le tendit à sa sœur, qu’on avait assise pour qu’elle reprît un peu de force.
« Il a la marque… », dit-elle seulement alors qu’Hilda examinait les traits encore oedématiés de son fils. Oh oui, c’était bien le fils de Siegfried, il en avait les traits en plus de la marque dans son dos. Malgré son épuisement, elle sentit ses yeux s’humidifier, à la fois sous l’effet de la peine mais aussi d’une joie extrême. L’enfant fixa ses yeux bleu clair dans les siens, et elle caressa le duvet châtain clair de son petit crâne d’une main tremblante.
Mais elle ne put en profiter longtemps, on le lui prit et Freya sortit de la pièce avec lui après que la sage-femme l’ait baigné et ondoyé. Dans une brume, Hilda sentit à peine tous les soins qu’on lui prodigua, et elle finit par s’endormir, épuisée.
Alors que la sage-femme et les servantes la mettaient au lit pour qu’elle y pût reposer plus commodément, Freya revint, le petit prince toujours enveloppé dans le linge blanc.
« Il a été accepté », déclara-t-elle seulement.
La sage-femme le reprit, l’examina encore et entreprit de le langer et de l’habiller alors que Freya allait s’asseoir au chevet de sa sœur. Hilda était d’une pâleur extrême, mais la sage-femme était confiante, elle se remettrait parfaitement.
Une des servantes alimenta le braséro qui chauffait la pièce, et l’on mit le berceau du petit prince encore sans nom tout près. Le silence retomba, à peine troublé par le souffle ténu du bébé et de sa mère. La nourrice, arrivée entretemps, attendait près du berceau de l’auguste nourrisson qu’il eût besoin de ses services.
Freya ne bougea pas du chevet de sa sœur, pensive. Bud avait accepté sa responsabilité de parrain, mais n’avait pas pour autant nommé le petit garçon qui demeurait donc sans identité aux yeux d’Odin et des hommes. Cela incomberait à sa mère quand elle se réveillerait.
Enfin, Hilda bougea, puis ouvrit les yeux.
« Comment va-t-il ? », questionna-t-elle d’une voix faible.
Freya fit un signe à une la sage-femme principale d’apporter l’enfant et dit à sa sœur :
« Il va très bien… »
Elle aida sa sœur à se mettre demi assise et, enfin, Hilda put tenir dans ses bras plus longuement son fils. Enveloppé dans des langes et des linges de dentelles, l’enfant somnolait.
« Son parrain a effectué les rites pour lui… », dit-elle seulement.
Hilda sourit seulement, mais ne releva pas, même si elle se demanda comment il avait pu savoir. Ses pouvoirs, probablement. 
« Lui a-t-il donné un prénom ? », demanda-t-elle encore.
Freya secoua la tête, et Hilda déclara :
« Dans ce cas, je le lui donnerai moi-même… »
Elle considéra le petit visage encore fripé de son fils et caressa encore le toupet de cheveux châtains déjà bouclés qui ornait le sommet de son crâne.
« Hermod... », dit-elle seulement, « Hermod Siegfried Hagen, tel sera ton nom, mon fils… »
Deux larmes coulèrent le long de sa joue, et son regard croisa celui de sa sœur alors qu’elle relevait la tête. Freya avait le regard humide, émue par l’attention de sa sœur. D’une main tremblante, elle caressa le petit crâne de son neveu. Toutes deux eurent une pensée pour les deux courageux guerriers dont ce bébé portait le nom, mais il n’était plus temps de s’appesantir sur les souffrances du passé, Hermod représentait l’avenir et, comme le dieu dont il portait le nom, le petit béni d’Odin apporterait un vent de renouveau sur le royaume en deuil…

FIN