Cette annexe, totalement inédite, rajoute quelques scènes aux premiers chapitres de la fic et apporte quelques éclaircissements supplémentaires. Bonne lecture !

Annexe 1 : Devenir mère

Partie 1: Instinct maternel

« Tu es d’un chemin

Tu viens de loin, de quelqu’une et quelqu’un

Tu es d’un chemin

Mais sans les fondations

On ne bâtit pas sa maison

Sans hier y’a pas de demain… »

‘Tu es d’un chemin’, Laâm

Mû émergea du semi-sommeil où elle était restée depuis la visite de la déesse, quelques heures auparavant, et, avec une grimace, s’assit contre ses oreillers. Le soleil se couchait et, à travers les volets de bois fermés de sa chambre, elle pouvait voir les lueurs rouges du soleil printanier zébrer le sol de la petite maison...

Elle avait perdu beaucoup de sang lors de la naissance de sa fille, mais, grâce à sa physiologie particulière, elle se sentait déjà moins faible. Sa mission était accomplie, sa petite fille était venue au monde sans le moindre problème, elle se portait parfaitement bien...

Le regard violet de Mû se posa alors sur le berceau ouvragé en bois d’olivier installé non loin de son lit. Il était l’œuvre d’Aldébaran, son ami de toujours, qui avait également confectionné le petit coffre où les affaires du bébé avaient été rangées, et Kanon, à sa grande surprise car elle ne le savait pas pourvu d’un tel talent, en avait fait les marqueteries...

Sous le léger voile de gaze qui la recouvrait, Athena dormait tranquillement, son aura légère l’entourant encore, jaune et bleue, trahissant ses origines marines. Cette vue arracha un sourire à Mû, qui sentait, encore confusément, que quelque chose s’était passé lors de la naissance. Elle qui n’était pas faite pour être mère, qui n’aurait pas dû l’être, se découvrait finalement une mère comme les autres...

Comme toutes les mères, elle surveillait instinctivement le sommeil de son bébé, et restait malgré elle émerveillée de la perfection de cette petite chose qu’elle avait senti bouger en elle pendant ces six longs mois. Cette grossesse à laquelle elle n’était pas préparée avait bouleversé tous ses repères, tout ce en quoi elle croyait. Maladroitement, les autres chevaliers d’or avaient essayé de l’aider, mais, avec brusquerie, elle les avait éloignés d’elle en s’isolant, voulant supporter seule ce qu’elle considérait comme une disgrâce...

Mais, si elle n’était toujours pas prête à assumer sa maternité, elle ne pouvait plus considérer comme disgracieux ce bébé aux grands yeux bleus encore aveugles et à la peau pâle, qui lui ressemblait tellement.

Avec un faible sourire, elle s’endormit de nouveau... pour être réveillée dans la nuit par les hurlements de sa fille. Encore endolorie et faible, elle se leva néanmoins, enroula un long tissu de coton autour d’elle, tenue tibétaine qu’elle avait gardée pendant sa grossesse, et alla se pencher sur le berceau du bébé:

« Eh bien, qu’est-ce que tu as, Athena ? »

Maladroitement, elle balança le berceau dans l’espoir de calmer le bébé, mais la petite fille se mit à hurler de plus belle. Elle la prit alors dans ses bras, tout aussi maladroitement, ce qui ne fonctionna pas davantage...

On frappa alors à la porte, et, tenant encore Athena hurlante dans ses bras, elle alla ouvrir. Milo du Scorpion, encore vêtu de sa tunique et de son pantalon court de nuit, se trouvait là, à demi-réveillé, et il lui dit:

« Qu’est-ce qui se passe, avec la petite ? »

La maison était entourée d’une bulle de silence, mais il avait dû ressentir les pleurs du bébé dans sa cosmoénergie. Mû, un peu gênée d’être vue ainsi, répondit:

« Je ne sais pas... elle pleure... »

Milo prit Athena dans ses bras, et déclara:

« Pas étonnant, elle a faim et sa couche est mouillée... »

Devant l’air piteux de Mû, il dit:

« Je vois... »

Tous deux se connaissaient depuis leur enfance, et il savait qu’elle n’aimait pas qu’on fasse allusion à sa féminité de quelque manière que ce soit. Il n’était pas étonnant qu’elle ne sût pas s’occuper d’un bébé, ayant été élevée par Shion du Bélier qui avait fait d’elle un chevalier d’or, non une nourrice potentielle...

Par chance, Milo, avant d’être sélectionné comme chevalier d’or, avait été le frère aîné d’une famille nombreuse, et savait donc par-là même s’occuper d’un bébé. Il avisa le biberon qui avait été placé dans de l’eau chaude au-dessus du petit fourneau installé dans un coin de la pièce, vérifia sa température avant de le déclarer trop chaud et de le placer dans de l’eau froide. En attendant, il langea Athena qui commençait à se calmer en suçant son pouce...

La petite fille put enfin se sustenter, et Milo la plaça alors dans les bras de sa mère en prenant soin de bien la positionner. Athena but son biberon, puis se rendormit dans les bras de sa mère...

Milo dit alors doucement:

« Voilà, tu sais tout ce qu’il faut savoir pour t’occuper d’elle... il faut juste que tu prennes également soin de changer la compresse de son nombril jusqu’à ce qu’il cicatrise, une fois par jour. »

Mû, émue et horriblement gênée, dit alors:

« Je te remercie, Milo, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi... »

Milo sourit et dit:

« Bah, ce n’est pas grand’chose, tu sais... nous savons tous ce que tu as traversé ces derniers mois, et c’était ma façon de t’apporter mon aide. »

Son regard bleu était rempli de gentillesse, et il souriait, mais elle se sentait gênée sous son regard. Malgré la tunique à manches courtes et le long tissu tibétain qui l’enveloppait jusqu’aux pieds, on pouvait néanmoins encore voir ses formes féminines, ce qui n’était pas le cas auparavant, et elle refusait d’être vue ainsi, même par un ami d’enfance…

Elle avait déjà eu peine à accepter la transformation de son corps de femme pendant sa grossesse, et, à présent qu’Athena était née, il lui semblait que c’était encore pire. Ses formes féminines, auparavant peu marquées, s’étaient accentuées, et elle sentait sa poitrine, qu’elle ne pouvait pas bander pour l’instant, s’alourdir douloureusement de lait car on n’avait pas pensé à le lui couper. Il ne restait qu’une seule solution : nourrir elle-même Athena quelques temps, et elle s’y attela dès le repas suivant de la fillette…

Ce ne fut pas une mince affaire, car allaiter n’était pas si simple que cela en avait l’air, il fallait positionner le bébé d’une certaine façon pour qu’il tète bien et que la digestion se fasse bien ensuite, mais, après quelques tâtonnements, elle y parvint. Cela contribua à la rapprocher de sa petite fille, à qui elle gardait inconsciemment rancune des douleurs de l’accouchement. Pourtant, qui aurait pu en vouloir à ce magnifique bébé ?

Les chevaliers d’or ne lui en voulaient pas de les avoir mis à l’écart quelques temps, et le lui prouvèrent abondamment en lui rendant visite souvent, comme si rien n’avait changé, mais elle ne parvint pas à remonter la pente, se sentant chaque jour couler davantage dans cette mélancolie sans fond qui s’était emparée d’elle. Elle refusait qu’on l’aide, restant chez elle toute la journée à s’occuper d’Athena et à méditer de noires pensées…

Si elle donnait à Athena tout le soin nécessaire, elle ne parvenait pas à sortir de son marasme, persistant à penser qu’elle n’était pas une bonne mère, qu’elle n’était pas destinée à l’être et que cette maternité avait été une erreur. Il lui semblait que désormais son honneur de chevalier d’or avait été entaché de façon indélébile, qu’elle était souillée, salie, et que jamais rien ne serait comme avant…

Les chevaliers d’or, inquiets de la voir plonger ainsi dans la déprime, décidèrent de faire quelque chose et en parlèrent à la déesse. Un après-midi, Aldébaran vint lui rendre visite et dit :

« J’ai pensé que je pourrais un peu sortir Athena d’ici, il fait beau dehors, c’est dommage qu’elle ne puisse pas en profiter…un bébé a besoin d’air frais, et le médecin l’a autorisée à sortir puisqu’elle va bien… »

Et, doucement, il prit la petite fille dans ses énormes bras avant de la poser sur l’une des ses mains, où elle tint à l’aise. Mû le regarda et lui dit :

« Sortir Athena ? Tu n’y penses pas ! Tout le monde va savoir qu’elle existe… »

Mais Aldébaran avait réponse à tout, et répliqua :

« Je pensais aller en bas, sur la plage ombragée, là où personne ne va jamais…en dehors du Sanctuaire, je ne suis pas assez stupide pour commettre cette erreur… »

Athena, allongée sur l’énorme main d’Aldébaran, semblait s’y trouver bien puisqu’elle venait de s’endormir. Il acheva :

« Je ne serai pas tout seul, Milo et Kanon viendront avec moi, et il ne lui arrivera rien, à ta petite… »

Mû hésitait, mais il lui dit :

« Tu as besoin de calme, et nous serons ravis d’avoir le bébé avec nous…Milo sait s’occuper d’elle, donc pas de soucis… »

Mû finit par accepter, et prépara dans un sac les affaires nécessaires au bébé. Avec une délicatesse qu’on n’imaginait pas chez lui, Aldébaran prit la minuscule petite fille endormie dans ses bras et jucha le sac sur ses épaules en disant :

« Nous ne resterons pas longtemps dehors, et nous la mettrons bien à l’ombre… »

Mû ajouta :

« Ne la ramenez pas trop tard, elle doit prendre son repas vers dix-sept heures trente… »

Elle n’avait pas envie de préciser qu’elle allaitait Athena pour l’instant, mais Aldébaran ne releva pas et sortit, lesté de son précieux fardeau âgé d’une semaine et demie, avant de se téléporter directement sur la plage où l’attendaient les deux autres. Mû resta seule chez elle, et s’assit dans son fauteuil pour se reposer un peu, car Athena ne l’avait pas beaucoup laissée dormir. Elle s’assoupit et se réveilla lorsqu’elle sentit la cosmoénergie de la déesse s’approcher de la maison. On frappa, et elle ouvrit la porte sur la déesse Athéna en personne, vêtue comme à son habitude d’un peplos blanc qui mettait en valeur sa peau de lait…

Surprise par sa visite, Mû s’inclina et dit :

« Quel honneur de vous recevoir ici, mais si vous venez voir ma fille, Aldébaran l’a emmenée… »

La déesse s’assit dans le siège qu’elle lui désigna et lui dit :

« Non, c’est vous que je suis venue voir, en fait… »

Mû réajusta le tissu à la mode tibétaine qui enveloppait son torse et le bas de son corps, et dit :

« Je vais bien, Majesté, et ma petite fille aussi…j’ai accompli ma mission, et donné la vie à cet enfant si important… »

Elle parlait de son ton neutre habituel, mais la déesse sentait toute la tristesse et le désenchantement qu’il y avait sous ses mots. Mû, ayant été élevée depuis sa plus tendre enfance en garçon, était désemparée face à la maternité, et considérait le fait d’avoir mis sa fille au monde comme une mission. Pourtant, la déesse savait à quel point elle aimait son bébé, bien qu’elle essayât de toutes ses forces de le cacher…

La déesse Athéna la regarda et lui dit :

« Ce n’était pas une mission, Mû, ce bébé sera très important lorsqu’il sera plus grand. Je sais ce qu’il vous en coûte, même si je ne peux tout à fait comprendre ce que vous ressentez… »

La gentillesse de la déesse toucha Mû, qui resta silencieuse un moment avant de dire :

« Pendant six mois, j’ai presque haï l’enfant que je portais, je lui en voulais de me dépouiller de mon statut, j’ai failli donner ma vie pour la mettre au monde…et pourtant, lorsque je la regarde, j’en oublie tout le reste, je ne parviens pas à lui en vouloir. »

Elle qui était si posée, si calme habituellement avait peine à trouver les mots pour exprimer ce qu’elle ressentait vraiment, et la déesse la regarda avec un léger sourire rassurant, usant de son aura bienveillante pour rassurer la jeune mère désemparée qu’elle avait devant elle. Mû continua :

« Comment pourrai-je désormais assurer ma mission en devant également élever ma fille ? Vous m’avez dit que je gardais mon statut, puisque je n’étais pas responsable de sa naissance, mais rien n’est plus pareil à présent, je ne peux plus combattre l’esprit libre. S’il m’arrive quelque chose, qui prendra soin d’elle ? Elle n’a que moi, son père dort dans son urne pour quelques centaines d’années et il est probable qu’elle ne le verra jamais… »

La déesse devait bien s’avouer que les arguments développés par Mû étaient exacts, mais elle savait que la petite fille ne serait pas seule au monde, loin de là : ses admirateurs et esclaves dévoués, les chevaliers d’or, se battraient pour s’occuper d’elle. Pourtant, cela était encore vague, et elle voulait contraindre Mû à exprimer ce qui la taraudait au plus profond d’elle-même, à ce prix seul elle se sentirait mieux…

Mû détourna le regard et dit :

« Je…je n’ai pas été habituée à me comporter ni en femme, ni en mère, et cela me pose quelques problèmes vis à vis de ma fille ainsi que de moi-même… »

Elle s’interrompit mais, se sentant en confiance face à la déesse qui avait reçu son serment, qui s’était réincarnée dans un corps d’humaine semblable au sien, acheva :

« Cela ne m’avait jamais vraiment posé de problèmes auparavant, mais, avec la naissance d’Athena, tout est remis en cause, je dois envisager de me voir autrement et je dois bien avouer que cela me pose problème vis à vis des autres…comme j’aimerais qu’ils se comportent encore comme autrefois, au lieu de toujours avoir pitié de moi ! »

La déesse attendit qu’elle achève et lui dit :

« Ils sont inquiets pour vous, c’est pourquoi ils se comportent ainsi. La naissance a changé la donne, en effet, cela nous ne pouvons le nier, mais, comme je vous l’ai dit, vous gardez votre statut et il ne viendrait à l’idée d’aucun de vos pairs de vous en déposséder. Simplement, ils sont surpris, il faut leur laisser le temps de s’adapter, ainsi qu’à vous… »

Mû continua :

« Ils s’étaient adaptés au fait que je sois une femme, mais, cette fois, ce sera plus difficile selon moi… »

La déesse sourit, prit la tasse de thé que Mû venait de lui verser et répondit :

« Vous devez penser à vous, rester seule ne vous aidera pas, et c’est un peu pour cette raison que je suis venue vous voir cet après-midi. Depuis qu’Athena est venue au monde, vous n’êtes plus que l’ombre de vous-même, et vos pairs se sont inquiétés. Ce sont eux qui ont décidé d’emmener le bébé prendre l’air pour que vous puissiez un peu respirer, et aussi pour vous prouver qu’ils pouvaient s’occuper d’elle…je ne pouvais non plus vous laisser dans cette situation, c’est pourquoi je suis venue vous voir… »

Mû, un peu gênée par toute cette sollicitude, ne répondit rien. Son mal-être avait-il été si transparent ? Elle avait pensé au départ n’être victime que du fameux baby blues, bien connu des jeunes mères, mais elle savait très bien qu’il y avait là bien autre chose, de plus profond, qui affectait sa propre personnalité. Ce n’était pas seulement le bouleversement hormonal du à la naissance de sa petite fille, mais aussi celui, beaucoup plus profond, causé par son nouvel état de mère…

Au bout d’un instant, elle posa sur la déesse son regard violet calme et dit :

« Ce n’est pas la peine de vous inquiéter, j’ai juste besoin de temps… »

Et elle appuya son affirmation d’un petit sourire, que lui rendit la déesse…

En bas, sur la plage, Milo tentait de calmer Athena, qui n’arrêtait pas de pleurer depuis son réveil. Ils lui avaient changé sa couche, donné son biberon d’eau, mais elle n’avait pas faim, il était trop tôt. Aldébaran dit alors :

« Tu crois que c’est la proximité de la mer qui la met dans cet état ? Après tout, c’est le domaine de son père…peut-être aussi que nous l’avons sortie un peu tôt… »

Kanon, qui n’avait pas dit un mot jusque-là, secoua la tête :

« Non, elle est encore trop petite pour sentir l’aura qui s’en exhale, il doit y avoir autre chose… »

Aldébaran tentait lui aussi de calmer Athena, mais la petite fille hurlait de plus belle. Kanon, alors, la prit dans ses bras, et elle pleura moins, puis se calma progressivement…

Milo et Aldébaran restèrent silencieux un moment, surpris, puis Aldébaran dit :

« Ca alors ! Tu crois qu’elle a senti que tu as porté une écaille de Général des mers, autrefois ? »

Kanon ne répliqua pas et, avec un léger sourire, serra la petite fille contre sa poitrine en positionnant bien sa tête près de son cœur. Il la berça en lui parlant doucement. Alors qu’elle s’endormait, il dit :

« Cela ne fait qu’une semaine et demie qu’elle est née, il suffisait qu’elle entende les battements de mon cœur pour se calmer, comme elle le faisait auparavant dans le ventre de sa mère… »

Milo et Aldébaran restèrent stupéfaits : comment Kanon, le renfermé, l’ancien paria, pouvait-il savoir cela ? Il souriait légèrement, et le bébé dormait tranquillement contre lui sous son regard bleu attendri. Il n’avait cure de ce que pouvaient penser les deux autres, sentir le bébé en confiance, contre sa poitrine, lui suffisait à cet instant pour être rempli de sérénité. Dès qu’il l’avait vue, il avait su qu’elle changerait sa vie, irrémédiablement, en lui donnant la paix de l’âme et une raison de vivre…

Il dit aux deux autres :

« Mettez-vous à sa place : vous venez de passer six mois dans un endroit chaud et douillet, et voilà que vous êtes brusquement parachuté dans le monde extérieur…il y a de quoi perdre ses repères, non ? »

Il était parfaitement calme en disant cela, et Milo put alors s’apercevoir de la profondeur du changement qui s’était opéré en lui depuis sa résurrection et qui se parachevait…

Pourtant, il n’en dit rien, se contentant d’observer le charmant tableau formé par le chevalier d’or des Gémeaux et la petite fille minuscule lovée contre sa poitrine. Aldébaran, ému, dit alors :

« Celle-ci, quand elle sera plus grande, elle nous mènera tous par le bout du nez, ainsi que tous les hommes qu’elle rencontrera… »

Milo sourit :

« Pas quand elle sera plus grande, tout de suite…regarde-nous, nous sommes déjà à ses pieds… »

Il ne dit pas l’idée qui lui traversa l’esprit, mais pensa : « Saga, si tu voyais ton frère, tu ne le croirais pas toi-même »…Personne ne l’aurait cru, d’ailleurs…

Aldébaran dit alors :

« Il va bientôt falloir la ramener, Mû m’a donné comme horaire dix sept heures trente, pour son repas… »

Kanon dit alors :

« Pour l’instant elle ne semble pas réclamer son repas, elle dort bien, laissons-la encore un peu profiter de l’air marin… »

Aldébaran sourit :

« Si on m’avait dit que je verrais un bébé naître au Sanctuaire, je ne l’aurais pas cru, et pourtant… »

Ce bébé-là avait d’autant plus d’importance qu’il était né de l’un de leurs pairs, dans des circonstances difficiles, et qu’il recelait en lui une puissance incalculable…

Aldébaran, ravi et attendri, ajouta :

« J’espère que Mû nous la prêtera encore un peu… »

Kanon ne répondit pas, mais Milo sourit…

Quelques semaines plus tard

Mû installait Athena dans le siège transportable inventé par Aldébaran afin d’emmener la petite fille dans son atelier lorsqu’on frappa à sa porte. Elle y trouva Shaka, vêtu d’une tunique et d’un pantalon court en khadi (= coton filé à la main, arme contre le colonialisme anglais à l’époque du Mahatma Gandhi) à l’indienne, un châle tissé dans la même matière sur les épaules. Etant un ascète qui avait renoncé au confort du monde, cela ne l’étonnait guère de le voir dans cette tenue plus que spartiate.

Il s’inclina légèrement et dit :

« Je suis venu voir comment tu te portais, ainsi que ta petite fille, mais, si je te dérange, je peux revenir plus tard… »

Elle secoua la tête :

« Non, entre, cela me fait plaisir de te voir… »

Ils s’étaient toujours bien entendus depuis leur enfance, étant bouddhistes tous les deux ils se comprenaient bien.

Elle lui indiqua un siège, et Shaka s’y assit tranquillement, alors que Mû préparait du thé. Il observa un long moment la petite fille qui remuait dans son siège, jaugeant au-delà de son apparence fragile la puissance qui sommeillait en elle. Pourtant, bien qu’il fût l’être sur cette terre le plus proche de Dieu, il n’était qu’un homme, et cet homme était ému par ce bébé de trois semaines qui lui souriait avec une grâce gauche…

Qui pouvait croire qu’elle était la fille d’un dieu ? Elle ne grandissait pas plus vite que les autres, et dépendait du lait de sa mère pour survivre…

Mû lui tendit une tasse de thé:

« Je croyais que tu étais reparti en Inde… »

Shaka but une gorgée du thé :

« Non, je repars demain, et je voulais te voir avant pour m’assurer que tout allait bien pour toi, voilà tout… »

Mû sourit, d’un léger sourire presque forcé :

« Je vais bien, Athena aussi, elle aura un mois dans une semaine… »

Shaka resta un moment silencieux, avant de dire :

« Que vas-tu faire ? Vas-tu la garder avec toi ici ? »

Mû secoua la tête :

« Non, dès que la déesse m’y autorisera je repartirai à Jamir, j’ai encore beaucoup de travail sur les armures et je serai mieux là-bas pour travailler, j’y ai mon atelier et mes livres…de plus, s’il devait advenir quoi que ce soit concernant la petite, cela n’affecterait pas le Sanctuaire… »

C’était des raisons parfaitement légitimes, mais il comprenait surtout qu’elle souhaitait être seule avec sa fille car leur présence, à lui et à leurs pairs, aussi légère et discrète fut-elle, la gênait…

Shaka observa Mû : plus que jamais, elle noyait ses formes féminines encore quelque peu évidentes, dans une tenue tibétaine, une tunique à manches courtes et un grand tissu de coton marron drapé autour de son corps. Elle avait honte, manifestement, de ce corps qui à présent la trahissait et qui avait donné la vie, pourtant la plus belle chose au monde…

Shaka posa son regard bleu clair transparent sur Mû et lui dit :

« Que ta retraite à Jamir t’apporte la paix du cœur et la réponse à tes questions… »

D’un geste qui la surprit, il se pencha et prit Athena dans ses bras. La petite fille ne pleura pas, et regarda attentivement l’homme devant elle.

Shaka l’observa, puis un léger sourire s’épanouit sur ses lèvres au grand étonnement de Mû, qui n’aurait pas pensé le voir agir ainsi. Il lut l’aura du bébé, et vit qu’elle possédait une grande force…

Il la reposa dans son siège, puis se leva :

« Que Bouddha toujours illumine ton chemin et celui de ta petite fille, Mû… »

Mû s’inclina devant celui qu’elle savait être la réincarnation de Bouddha, puis il sortit de son pas égal, la laissant interloquée. Ceci aurait pu être une simple visite de courtoisie, mais jamais rien n’était fortuit dans l’attitude de Shaka, chacun de ses mots, de ses gestes avaient une signification précise…

Qu’avait-il lu dans l’aura de la petite fille ? Elle savait bien qu’elle-même, en tant que mère du bébé, ne pouvait être totalement fiable sur ce plan, bien qu’elle possédât de grands pouvoirs psychiques. Peut-être le lui dirait-il un jour ?

Son apprenti devait l’attendre à son atelier, aussi saisit-elle rapidement son sac et le siège où était assise sa fille. Depuis qu’Athena était née, il l’avait beaucoup aidée à s’en occuper mais avait résolu d’habiter désormais ailleurs, sachant que son maître avait besoin de solitude. Il possédait une remarquable maturité pour un enfant de neuf ans, et, comme les chevaliers d’or, était à la dévotion du bébé semi-divin…

Se téléportant dans son atelier qui jouxtait son temple, elle trouva Kiki fort occupé à travailler sur l’armure d’or des Poissons. Des rides de concentration, inusitées chez un enfant de cet âge, creusaient son front en sueur, et il saupoudrait la poudre d’étoiles sur le métal à la patine brillante. Près de lui se trouvaient les outils célestes transmis depuis la nuit des temps, mais dont rien n’avait altéré l’éclat…

Dès qu’il la sentit arriver, il se retourna et dit :

« J’ai achevé le comblement des micro-fissures, maître, comme vous me l’aviez demandé… »

Elle lui sourit, posa le siège d’Athena sur le sol et lui dit en regardant l’armure de son œil expert :

« C’est du beau travail… »

Kiki sourit à la petite fille à présent somnolente, et Mû lui dit :

« Je repartirai à Jamir bientôt, Athena y sera mieux qu’ici… »

Kiki sourit et dit :

« Vous y aurez une surprise, maître…à ma façon, pour fêter la naissance de votre fille… »

Elle lui fit un léger geste de la main :

« Va, je finirai le travail… »

L’enfant sourit, s’inclina et sortit de l’atelier après avoir caressé la joue du bébé à présent endormi. Mû saisit ses outils, et commença à travailler tranquillement. Elle ne se sentait bien en ce moment que dans son atelier, où elle pouvait se retrouver comme avant…

Derrière elle, Athena bailla et reprit son sommeil calme…

Tout en haut du Sanctuaire, dans les appartements privés de la déesse, dormait l’autre jumeau, Sion. Son aura bleue le nimbait encore, et il portait une grenouillère bleue sur laquelle son prénom était inscrit en lettres grecques, avec la faute d’orthographe faite par le scribe sur son acte de naissance. Le pauvre homme, peu au fait des prénoms tibétains, avait omis le ‘h’ qui se trouvait dans l’original…

Sa minuscule cosmoénergie était en sommeil par les soins de la déesse, qui craignait par-dessus tout qu’il ne représente un danger pour le Sanctuaire, mais, pour l’instant, en cinq semaines de vie, il ne s’était pas comporté autrement qu’en bébé humain parfaitement normal.

Près du berceau était assise sa nourrice, qui veillait sur lui sur ordre d’Athéna. Un froissement de soie, et la déesse entra dans la petite chambre. La nourrice se leva et s’inclina, alors qu’elle demandait :

« Comment se porte-t-il ? »

La nourrice alla prendre l’enfant qui se réveillait :

« Il se porte très bien, Majesté, le petit accès de fièvre qu’il a eu hier soir n’est plus qu’un mauvais souvenir… »

La déesse s’approcha et prit l’enfant dans ses bras. De voir ce bébé lui rappelait cruellement qu’elle ne pourrait jamais être mère elle-même, et cela la fouaillait jusqu’au fond de ses entrailles. Il lui arrivait de se dire aussi qu’elle avait fait là quelque chose de bien cruel en privant Mû de son fils cadet, mais la voix de sa raison revenait à la charge et elle convenait qu’elle avait agi pour la sécurité du monde. On ne savait encore pas ce dont Sion était capable…

Il avait encore les yeux bleus qui n’avaient pas pris leur couleur originale pour l’instant, et avait perdu quelque peu le duvet bleu clair, couleur des cheveux de son père, qu’il avait en naissant. Il ressemblait beaucoup à Julian Solo, et elle espéra brusquement qu’il n’aurait pas son caractère frivole et charmeur, l’un des mauvais côtés de l’armateur dont elle se souvenait…

Dans un mois ou deux, dès qu’il aurait perdu son aura, il serait confié à une famille nourricière de Rodorio en attendant d’avoir l’âge d’être entraîné. Il serait étroitement surveillé, mais elle n’avait pas le choix…

A SUIVRE