Annexe 1 : Devenir mère

Partie 3 : Retrouvailles

 

Quelques temps après, Mû, suivant l’ordre de la déesse, amena sa fille au Sanctuaire et la lui présenta. Athéna put alors constater que l’aspect divin, présent dans la taille anormale de l’enfant, était tout aussi présent chez la petite fille que chez son frère jumeau. Il y avait cependant quelque chose dans les yeux d’Athena qu’il n’y avait pas chez Sion : la joie. Sion, bien souvent, s’assombrissait, dès qu’il pensait qu’on ne le regardait pas, il regrettait sans doute ses premières années auprès de ses parents nourriciers, qui l’avaient aimé comme leur propre fils. Athena était une petite fille débordante de vie, qui visiblement partageait une relation unique avec sa mère, au-delà de la simple relation mère-fille. Mû adorait sa fille, il suffisait de voir le regard qu’elle posait sur elle pour le comprendre…
Pourtant, il allait falloir qu’elles se séparent, la mère reprenant son rôle de chevalier d’or pendant que la fillette irait au camp d’entraînement des filles et serait prise en charge par un maître féminin. Au bout de quelques temps, elle permit à quelques chevaliers d’or de participer à son éducation, craignant que la petite fille, rebaptisée Aurora – son second prénom – ne devienne neurasthénique si on lui ôtait trop vite tous ses repères…
            Dès que sa sœur jumelle et sa mère arrivèrent au Sanctuaire, Sion commença à donner des signes de distraction. Il ressentait leurs auras familières, mais ignorait à qui elles appartenaient, ce n’était là que réminiscence de souvenirs prénataux. Lassé de voir son élève ne pas l’écouter, Ideos lui demanda :
« Pourrais-tu me dire ce qui se passe, Sion ? »
Mais l’enfant ne sut exactement expliquer ce qui lui arrivait. Comment l’aurait-il pu, d’ailleurs ? La déesse prenait pourtant bien soin que les deux jumeaux ne se croisent pas, ne se ressentent même pas, mais, quand elle vit que Sion arrivait à percevoir confusément l’aura de sa sœur et de sa mère, elle se dit qu’elle avait mésestimé ses pouvoirs et influa sur ses pouvoirs mentaux pour brouiller ses perceptions. Elle fit la même chose sur Athena et Mû, bien qu’il lui en coûtât de devoir agir ainsi…
Malgré l’intervention de la déesse, Athena sentait bien quelque chose de particulier, sans, comme son frère, pouvoir la définir. Shaka, avec lequel elle parfaisait sa méditation, finit par le sentir aussi, mais ne pouvait aller au-delà du pouvoir d’Athéna…
La petite fille, séparée de sa mère avait laquelle elle avait quasiment toujours vécu, avait souvent des changements d’humeur qui ne lui ressemblaient pas. Pourtant, la déesse avait constamment l’œil sur elle, ignorant ce que cette gamine au sang semi-divin pouvait faire s’il lui prenait la fantaisie de s’énerver. Par chance, elle se lia avec une de ses camarades, Mélia, ce qui contribua assez vite à lui rendre son égalité d’humeur. Pourtant, le maître à qui on l’avait confiée, Kari de la Colombe, remarquait bien qu’elle n’avait rien de commun avec les petites apprenties de six ans qu’elle côtoyait, il y avait quelque chose de plus mais qu’elle ne pouvait définir…

Ce jour-là, Shaka était venu donner son cours de méditation particulier. La petite fille et lui étaient assis sous un arbre, et, en donnant des indications à sa jeune élève, la voyait plonger de plus en plus en elle-même, là où se situait son jeune pouvoir, prêt à intervenir s’il se passait quoi que ce soit. Son don de prescience, plus développé que celui des autres, lui soufflait que l’éveil de la petite demi-déesse était très proche et qu’il devait être vigilant. Mû, elle aussi, avait senti cela et était rassurée de le savoir avec sa fille. Pour la tranquilliser, il lui avait promis de la prévenir s’il se passait quelque chose, et elle avait accepté parce qu’elle avait confiance en lui. En effet, tous deux se connaissaient depuis leur enfance, et étaient restés très liés…
Ce qui devait arriver arriva : L’étincelle de cosmos de la petite fille, déjà en éveil depuis quelques jours, devint en quelques secondes un brasier qui monta des tréfonds de son corps. Shaka appela Mû télépathiquement mais, le temps qu’elle arrive, Athena avait filé vers un appel diffus, qu’elle ne comprenait pas et qui la guidait vers…Sion, son frère jumeau ! Elle ne réfléchissait pas, tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle devait retrouver cet écho de sa propre cosmoénergie, qu’elle connaissait déjà inconsciemment et qui venait de s’éveiller en même temps que la sienne…
A l’autre bout du Sanctuaire, Ideos tentait de calmer Sion, dont l’aura bleue et jaune fusait librement du petit corps. Une lueur de panique assombrissait le regard violet de l’enfant, et Ideos lui disait, malgré la stupéfaction qu’il ressentait face à cette aura si peu terrestre :
« Reste calme, respire, et le jaillissement va s’arrêter seul… »
Il vit alors arriver, ventre à terre, une petite fille aux cheveux violets nattés et, quand elle s’arrêta en face de Sion, il put voir qu’elle semblait être son miroir, qu’elle lui ressemblait énormément. Elle dit quelques mots dans une langue qu’il ne comprit pas, et Sion, qui ne paraissait pas le moins du monde étonné, lui répondit en grec qu’il la connaissait depuis toujours…
Les deux jumeaux ne pouvaient détacher leurs regards l’un de l’autre, fascinés, ayant reconnu l’un dans l’autre leur complément naturel. Ideos restait silencieux, ébahi, lorsqu’il vit arriver un chevalier d’or qu’il reconnut à l’armure comme étant le chevalier d’or du Bélier.
Mû s’arrêta et resta muette en voyant ce petit garçon à l’aura complémentaire de celle de sa fille et qui lui ressemblait tellement. Une once d’incrédulité envahit son cœur, vite suivie de l’évidence que lui hurlaient ses entrailles: cet enfant était le frère jumeau de sa fille, personne dans le monde ne pouvait avoir deux auras aussi complémentaires sans l’être. Mais elle n’eut guère le temps de se poser de questions, car sa fille, affichant un sourire rayonnant, lui jeta un regard éloquent. Pourtant, au-delà de l’incroyable, Mû s’avança vers Ideos et lui demanda avec toute l’autorité dont elle savait faire preuve:
« Etes-vous le maître de cet enfant ? Qui est-il ? Quel âge a-t-il ?»
Intimidé, le jeune chevalier d’argent répondit :
« Oui, je suis son maître depuis deux ans, la déesse me l’a confié. Il s’appelle Sion, il a six ans… »
Le doute se faisait donc certitude au regard du prénom porté par l’enfant. Elle reprit :
« Très bien, je vais le prendre avec moi un moment, je vous le ramène tout à l’heure, je dois vérifier quelque chose. Surtout, ne parlez à personne de ce qui vient de se dérouler, je m’en occupe… »
Sion leva les yeux sur sa mère, et lui lança un regard étonné, presque perdu, alors qu’elle les emmenait, lui et Athena, vers le palais de la déesse. Sa sœur jumelle lui sourit, et il se sentit un peu plus à l’aise. Une fois franchies les lourdes portes de bronze, ils entrèrent dans la semi-obscurité de la salle du trône. La déesse, assise sur son trône, semblait les attendre. Mû s’agenouilla, comme il se devait, avant de déclarer :
« Que signifie cela, Altesse ? Cet enfant est-il vraiment le frère jumeau d’Athena ? »
La déesse, qui avait préparé une réponse depuis des années au cas où le problème se poserait, se sentit brusquement à cours d’arguments, la tête vide. Elle regarda les jumeaux, un par un, puis leur mère.
« Oui, comme vous l’avez compris vous-même. Je l’ai occulté depuis sa conception, parce qu’il avait une aura marine, je ne voulais pas qu’il y eût encore une catastrophe… », répondit-elle le plus tranquillement qu’elle put.
Mû resta impassible, mais une bouffée de haine pure l’envahit lorsqu’elle entendit ces mots. Elle avait le plus grand respect pour la déesse à laquelle elle avait juré fidélité, mais elle ne pouvait concevoir qu’on l’ait séparé de son fils, de l’enfant qu’elle avait porté et mis au monde au péril de sa vie. Elle l’avait privé de ses premiers sourires, de ses premiers pas, sans aucune pitié…
La déesse vit le regard de Mû, si calme habituellement, se charger de nuages, et continua :
« Selon votre souhait, je l’ai fait nommer Sion, et il a été élevé pendant ses quatre premières années à Rodorio, dans une famille nourricière. Après, ses pouvoirs augmentant, je l’ai confié à Ideos pour qu’il l’entraîne… »
Elle observa les jumeaux, dont l’aura fusait encore sans contrôle, comme au jour de leur naissance. Athena regardait son frère sans pouvoir s’empêcher de sourire mais Sion était beaucoup moins à l’aise. Manifestement, il ne comprenait rien, et c’était complètement  normal au vu de la situation. Mû ne disait rien, mais la déesse pouvait percevoir toute l’hostilité qui se dégageait d’elle. Elle se sentit alors terriblement mal à l’aise, beaucoup plus que ce qu’elle avait été jusque-là, et se dit qu’elle avait probablement fait là une erreur. Où en effet le potentiel de Sion aurait-il été mieux surveillé qu’avec sa mère et sa sœur jumelle ? C’était là des pensées bien humaines, mais elle avait agi en déesse, pour protéger les peuples de la Terre, elle n’avait pas eu le choix. Peut-être Mû, un jour, le comprendrait-elle.
 « En tout cas, désormais, il n’y a plus aucune raison de séparer les jumeaux. Ils seront entraînés ensemble, je vous laisse libre de décider de tout ce qui les concerne… », conclut-elle.
Mû n’avait rien dit, mais son aura exhalait l’hostilité, l’incompréhension et la rancune. Elle réagissait là, d’instinct, en mère à laquelle on a arraché son enfant. Elle s’inclina, comme il se devait, et sortit de la pièce, emmenant avec elle ses enfants. Un chevalier d’argent, qui visiblement l’attendait, se dirigea vers elle, mais un seul de ses regards le fit reculer. Il remit à plus tard ce qu’il avait besoin de lui demander, elle n’était visiblement pas en condition, et tourna rapidement les talons…
Elle posa sa main sur l’épaule de chacun d’eux, et leur aura cessa de fuser. Sion demanda alors, d’une toute petite voix :
« Etes-vous…ma maman ? »
Il avait l’air tellement perdu, perturbé, qu’elle en fut touchée jusqu’au fond de l’âme. Elle s’agenouilla devant lui et lui dit doucement :
« Oui, je suis ta maman, Sion… »
Les yeux de l’enfant s’agrandirent, et se remplirent de larmes alors qu’il se précipitait sous le coup de l’émotion dans les bras de sa mère, sous le regard de quelques chevaliers d’or qui venaient d’arriver. Les voyant, elle le lâcha, et Aldébaran déclara d’un air désolé :
« Je savais qui il était, mais je ne pouvais pas te le dire… »
Elle comprit que c’était un ordre direct de la déesse, et se contenta de hocher la tête. Kanon sourit, ébouriffa les cheveux d’Athena, comme il le faisait souvent, et sourit à Sion en s’agenouillant devant lui :
« Content de faire ta connaissance, je suis Kanon des Gémeaux… »
Ainsi agenouillé, il paraissait moins impressionnant, et ne fit pas peur au petit garçon qui lui rendit son sourire. Pourtant, si Sion n’avait pas eu peur de Kanon, il eut peur d’Aldébaran qui, même agenouillé, faisait trois ou quatre fois sa taille. Par instinct, il s’accrocha aux jambes maternelles mais sa sœur lui dit :
« N’aie pas peur, Sion, c’est Aldébaran, c’est un ami… »
Le petit garçon, toujours effrayé, sortit sa tête de derrière les jambes de sa mère et observa le Taureau d’or qui tenta de prendre l’expression la plus gentille qu’il put trouver. Aiolia, voyant cela, avait bien du mal à se retenir de rire, mais resta sérieux. Aldébaran tendit son énorme main à Sion et lui dit :
« Je suis Aldébaran du Taureau. Nous nous sommes rencontrés une fois, peut-être te souviens-tu de moi…»
Sion hocha la tête, et sortit de la protection maternelle avec le sourire le plus engageant qu’il put afficher, puis il mit sa petite main dans celle du géant qui sourit…
Aiolia et Milo s’approchèrent alors pour saluer le petit garçon, qui, malgré son appréhension, commença à se détendre. Doté de pouvoirs psychiques, il pouvait lire leur aura et savaient qu’ils n’étaient pas hostiles. En tout cas, il avait peine à croire qu’il avait enfin retrouvé sa mère et sa sœur, qu’il faisait partie d’une vraie famille…
Pour l’instant, il fallait aussi régler le problème du côté d’Ideos, et faire en sorte que les jumeaux soient entraînés ensemble, même si chacun garderait son professeur. Mû abaissa le regard sur son fils, et lui demanda :
« Vivais-tu avec ton professeur, Sion ? »
L’enfant acquiesça, et elle dit :
« Tu continueras, mais je ne serai jamais loin. Tu devras dire que tu es mon neveu, mais nous saurons tous les deux la vérité, ainsi que les chevaliers d’or, que tu viens de rencontrer…»
Athena regarda sa mère et dit de façon suppliante :
« Maman, je ne veux plus être séparée de mon frère… »
« Et moi, tu crois que j’en ai envie ? », hurla Mû mentalement, mais elle répondit à sa fille :
« Tu sais qu’on ne peut pas aller au-dessus des lois qui régissent le Sanctuaire, Athena, mais, quand nous repartirons pour Jamir, dans quelques mois, il viendra avec nous… »
La mort dans l’âme, elle ramena Athena à son professeur, qu’elle rassura, puis Sion à Ideos auquel elle dit :
« Cet enfant est le frère jumeau de ma nièce, Athena, que nous croyions mort-né. J’aimerais que les jumeaux soient entraînés ensemble, aussi vais-je vous demander de vous mettre en rapport avec son maître, Kari de la Colombe… »
L’explication était un peu boiteuse, mais Ideos l’accepta sans sourciller. Finalement, il était plutôt content que l’enfant appartienne à une famille. Le destin de cet enfant hors du commun l’avait ému…
Mû, pourtant, ne résista pas à la tentation de déposer un baiser sur son front de son fils miraculeusement retrouvé. Le sourire radieux de l’enfant l’émut, mais elle ne put retenir ses larmes quand elle le laissa entre les mains de son maître…
Elle rentra chez elle, l’âme déchirée pleine d’une tristesse insondable. C’était comme si ses entrailles se tordaient à nouveau de douleur, comme si son fils naissait une seconde fois. Elle n’avait jamais su qu’elle le portait, ne l’avait pas vu naître, pas vu grandir, et voici qu’enfin il lui était rendu, et qu’il lui semblait un étranger. Elle ignorait tout de son caractère, de ses goûts, de son tempérament. Son propre fils n’était qu’un étranger pour elle, mais ses entrailles lui hurlaient, elles, qu’il était bien né d’elle, qu’il était son enfant au même titre qu’Athena. Mais comment se comporter en mère avec un enfant qu’elle ne connaissait pas ?
Elle refusa de laisser prise à ses sentiments les plus profonds, laissant son raisonnement prendre le dessus sur eux. Pourtant, malgré cela, elle ne parvenait pas à pardonner à la déesse de lui avoir pris son fils sans explications, aussi dangereux pour l’avenir du monde soit-il. Son fils aurait dû lui être confié dès sa naissance, pour être élevé auprès de sa sœur jumelle. Son raisonnement de chevalier d’or comprenait aisément les raisons de cette séparation, mais son cœur, ses entrailles de mère se révoltaient. Tous ces sentiments qui la taraudaient étaient si forts qu’elle finit par fondre en larmes, se délivrant en partie de ce poids. Elle pleura longtemps, relâchant ainsi cette tension qui ne l’avait pas quittée depuis qu’elle avait découvert l’existence de Sion. Elle finit par s’endormir, épuisée…
Le lendemain, la déesse lui fit porter tout ce qui concernait les premières années de son fils, le vêtement de bébé brodé à son nom et, surtout, le carnet où Helena avait noté, jour après jour, le développement de l’enfant. Tout y était consigné : le nombre de biberons, la première dent, les premiers pas, l’évolution taille-poids…exactement de la même façon qu’elle-même avait procédé pour Athena. Lisant cela, elle s’aperçut que la relation symbiotique des jumeaux, présente probablement dès leur vie intra-utérine, s’était matérialisée à plusieurs reprises : leurs premiers pas, l’éveil de leurs pouvoirs, ainsi que certaines des étapes importantes de leur développement. Apprendre tout cela, cependant, ne la consolait pas de la colère qui l’avait envahie quand elle avait découvert l’existence de son fils. Ses sentiments, qu’elle avait appris à contrôler depuis sa petite enfance, la submergeaient totalement sans qu’elle puisse réagir. Alors que son fils était au monde depuis six longues années, elle devait apprendre à le connaître à présent. Que se passerait-il s’il ne se produisait rien, si elle ne parvenait pas à bâtir une relation maternelle avec lui ? Sion était déjà grand pour cela, il ne fallait plus qu’espérer que la voix du sang et son instinct maternel fassent leur œuvre.
D’après ce qu’elle pouvait en lire, son fils avait hérité de son caractère calme et tranquille, il était réfléchi et posé, ce devait être son côté atlante. Helena disait dans ses carnets qu’il jouait souvent tout seul, et que, parfois, les autres enfants avaient peur de ses pouvoirs. Pauvre enfant ! Il avait appris la solitude si jeune, même si Helena l’adorait. Comment pourrait-il à présent croire qu’il était partie intégrante d’une famille si elle ne parvenait pas à lui donner de l’affection ?
Aussi, après quelques jours pour digérer la nouvelle, décida-t-elle d’aller au camp d’entraînement pour voir ses enfants et demander à leurs maîtres s’ils pouvaient les lui confier une journée. Athena serait ravie de revoir sa mère, et elle pourrait ainsi mieux connaître son fils. Après tout, la déesse lui avait bien dit qu’elle était à présent responsable de Sion, il n’y avait là aucun mal…
Les jumeaux virent leur mère arriver, et la saluèrent avec toute la solennité voulue. Mû parlementa quelques minutes avec leurs maîtres, mais, vu qu’elle était chevalier d’or, l’affaire fut vite entendue. Une fois seule avec ses enfants, elle leur dit :
« J’ai prévu un pique-nique sur la plage, en bas du Sanctuaire. Nous serons tranquilles, personne n’y va jamais… »
Le sourire d’Athena l’émut, mais Sion n’osa pas sourire tout à fait, encore craintif. Tranquillement, elle les emmena sur la plage, planta un parasol, posa des serviettes sur le sable et posa le panier dont elle sortit de succulents sandwichs. Sion, qui connaissait la mer depuis toujours, fit voler sa tunique par-dessus tête et fila plonger dans les vagues.
« Viens, Athena ! », s’exclama-t-il.
La petite fille secoua la tête avec véhémence, elle ne savait pas nager et la mer lui faisait peur. Elle avait été élevée en montagne et Mû se dit qu’elle aurait quand même dû lui apprendre à nager. Elle enleva ses sandales et tendit la main à sa fille :
« Viens avec moi, tu ne crains rien… »
Athena jeta un regard timide à sa mère mais obtempéra tout de même. Pieds nus dans le sable, la mère et la fille allèrent jusqu’à la limite des vagues. Athéna sursauta quand la mer vint lui lécher les orteils, et Sion lui fit signe. Il nageait comme un poisson depuis sa toute petite enfance et Mû songea que, quelque part, ça tombait sous le sens. L’enfant sortit de la mer et rejoignit sa sœur jumelle et sa mère. Il ruisselait mais il était ravi, épanoui. Il prit l’autre main de sa sœur et la conduisit encore à la limite du sable mouillé pour qu’elle se familiarise avec l’eau. Mû encouragea doucement sa fille du geste et Athena s’avança un peu alors que les vagues venaient chatouiller ses mollets.
« Je t’apprendrai à nager… », déclara Sion ravi.
Mû abaissa le regard sur son fils, puis sur sa fille. Si différents mais aussi si semblables dans leurs regards levés vers elle. Il y avait de l’affection dans le regard de Sion, qui la toucha énormément. Pour se donner une contenance, elle ébouriffa les chevelures de ses enfants et les invita à venir déguster le pique nique sous le parasol. Sion, perpétuellement affamé car en pleine croissance, se jeta dessus et, repu, finit par s’endormir contre sa mère. Athena observa son frère, mais, un peu gênée, ne sut trop que faire. Après tout, son frère avait bien le droit de profiter des bras de leur mère vu qu’il ne l’avait pas eue pendant six ans. Mû perçut le dilemme de sa fille aînée et lui sourit en lui tendant l’autre main. Athena s’appuya contre l’autre épaule de sa mère et s’endormit aussi, la laissant en prise à une intense émotion. Le lien avec son fils cadet avait réussi à se créer, Sion lui portait déjà de l’affection, bien qu’elle ignorât jusqu’à quel point pour l’instant. En tout cas, abandonné dans le sommeil contre son épaule, il reposait en toute confiance et elle sentit les larmes lui piquer les yeux. Et là elle sut que jamais plus elle ne laisserait quiconque la séparer de ses enfants, fût-ce la déesse. L’instinct maternel avait bien fait les choses, elle qui avait cru pendant sa grossesse ne pas en être capable avait finalement réussi à tisser un lien avec son fils de six ans que pourtant elle ne connaissait presque pas. La voix du sang, probablement. Cependant, elle avait vite constaté par elle-même qu’il ne ressemblait vraiment pas à Athena au niveau du caractère, il était plus calme et plus réfléchi que sa sœur jumelle. Il se sentait encore gêné vis-à-vis de sa mère, et restait souvent sur son quant à soi.
Le petit garçon finit par se réveiller et, se frottant les yeux, regarda sa mère.
« J’ai dormi longtemps, maman ? », questionna-t-il.
Elle ne résista pas à l’envie de caresser la tignasse en désordre de son fils et lui sourit :
« Non, tu n’as pas dormi beaucoup, tu avais besoin de te reposer, voilà tout… »
L’enfant s’assit et se frotta davantage les yeux, encore à demi dans le sommeil. Sion n’avait jamais été trop ami avec l’heure du réveil, et il lui fallait toujours un peu de temps pour émerger. De l’autre côté, sa sœur jumelle sommeillait toujours tranquillement dans la chaleur de l’après-midi, bercée par le doux bruit des vagues qui continuaient invariablement à s’échouer sur la plage. Sion observa sa sœur et sourit, puis il sourit à sa mère. Il avait enfin l’impression d’être complet, d’avoir gagné la paix du cœur en y ajoutant les morceaux qui y manquaient. Son regard violet pailleté de bleu-vert ne quittait pas sa mère, qui finit par le questionner :
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Comment aurait-il pu lui dire qu’il aurait aimé qu’elle le prenne dans ses bras, comme elle le faisait avec sa sœur ? Jusque-là, elle n’avait pas vraiment osé, et lui non plus. Pourtant, observant le regard de son fils, elle laissa enfin libre cours à son instinct et le prit contre elle. Sion, au départ surpris par le geste de sa mère, se laissa complètement aller contre la poitrine maternelle. Ce battement de cœur lui était familier, oui, il n’y avait aucun doute, c’était bien le cœur qu’il avait entendu pendant six mois qui battait là, sous son oreille, et il le comprit d’instinct. Serré contre la poitrine de sa mère, il s’y rendormit alors que Mû luttait difficilement contre les larmes d’émotion qui lui mouillaient les yeux. Le lien était établi et son fils ne serait plus jamais séparé d’elle.
« Dors bien, mon fils, mon trésor… », chuchota-t-elle.
Elle sentit Athena bouger, entourer de ses petits bras le sien, et sourire dans son sommeil. La petite fille devait ressentir le contentement de son frère et elle se serra davantage contre sa mère. Mû, prenant garde de ne pas réveiller son fils, se pencha et embrassa la tignasse violette de sa fille :
« Dors bien toi aussi, mon cœur… »
Jamais elle n’aurait eu le courage de les appeler ainsi éveillés, elle ne parvenait pas à le faire, mais elle était trop émue cette fois. Elle resta là, les yeux humides, respirant l’air de la mer et, pour la première fois depuis plusieurs mois, le cœur léger…

A partir de là, le climat se détendit quelque peu. Si les enfants étaient séparés ordinairement de leur mère, cela leur posait moins de souci parce qu’ils savaient qu’elle n’était pas loin et qu’elle était là pour eux. Sion s’épanouissait, ce poids qui pesait sur lui depuis sa petite enfance était enfin dissipé, il savait d’où il venait et, même s’il savait qu’il ne verrait probablement jamais son père, l’affection de sa mère lui suffisait. Ce manque qui l’avait poursuivi depuis sa naissance s’était rempli, il se sentait enfin complet avec la présence de sa sœur jumelle.
La déesse se rendait compte qu’elle avait vraiment fait une erreur en séparant Sion de sa mère, mais elle se disait aussi qu’elle avait également pensé à la sécurité du monde. Qu’aurait donc pu faire Sion sans contrôle aucun? Cependant, elle tenait à le garder encore quelques temps sous sa surveillance, pour voir surtout comment s’établissaient les liens entre sa mère, sa sœur et lui, ainsi que comment son aura évoluait à leur contact. A sa grande surprise, l’aura d’Athena semblait automatiquement tempérer celle de son frère jumeau, resserrant leurs liens déjà très forts.
Pourtant, sans en parler à sa mère, Sion appréhendait le retour à Jamir, dans cette région qu’il ne connaissait pas, qui était froide et inhospitalière d’après ce qu’il en savait. Quand il apprit de sa sœur que cela se trouvait à plus de six mille mètres, sa panique augmenta. Comment pourrait-il vivre là-haut, aux franges mêmes de la civilisation, lui né et élevé en Grèce ?
Ce fut Athena la première qui perçut les états d’âmes de son frère par le lien très particulier qu’elle avait avec lui, et elle s’en ouvrit à sa mère.
« Maman, je crois que Sion a un problème… », lui dit-elle seulement, encore incapable vraiment de percevoir précisément les sentiments de son frère jumeau.
Cela questionna Mû : que pouvait donc bien avoir son fils ? Sion lui avait paru normal quand elle l’avait vu, mais leur lien était probablement encore trop récent et en construction pour qu’elle pût, comme sa sœur, sentir les états d’âme de son rejeton. C’était parfaitement normal, le lien prénatal ne s’était pas construit in utero, et il faudrait encore du temps. Cependant, elle résolut de parler avec lui pour savoir ce qui le souciait. Elle choisit l’heure de midi, heure à laquelle tout le Sanctuaire s’endormait dans la chaleur, pour venir le chercher et l’emmener chez elle, à l’ombre fraîche de sa maison.
« Qu’est-ce qu’il y a, Sion ? », questionna-t-elle directement son fils.
Sion leva sur elle son regard violet pailleté de bleu-vert écarquillé d’étonnement. Comment sa mère avait-elle pu savoir qu’il se souciait ? Il n’ignorait pas bien sûr qu’elle avait de grands pouvoirs mentaux mais il ne pensa pas une seule seconde que sa sœur jumelle avait pu percevoir son appréhension. Il resta hésitant et silencieux un moment avant d’expliquer :
« Je…je ne veux pas aller à Jamir, maman, je ne pourrai pas vivre là-haut… »
 Elle s’assit près de lui.
« Tu ne crains rien, cette terre est particulière, elle est liée à notre peuple…ton corps s’adaptera à l’altitude, et je me servirai de mes pouvoirs pour t’aider à passer le cap… »
L’enfant ouvrit des yeux ronds, et elle continua :
« Tu ne le sais pas, mais je possède des pouvoirs de guérison qui t’aideront… »
Visiblement, elle avait prévu la question depuis un bon moment, et le sourire revint au petit garçon.
« Nous partirons dans trois semaines, et la déesse a exprimé le désir de te voir bientôt. Je préviendrai aussi ton maître et celui de ta sœur de notre départ… »
L’enfant, ravi, sauta de sa chaise et vint déposer un baiser humide sur la joue de sa mère sans cependant oser rester sur ses genoux. Mû, émue, le renvoya à son maître et resta là, pensive. Quand enfin réussirait-elle à comprendre ce que pouvait bien ressentir son fils ? Cela était parfaitement normal qu’il appréhende de vivre dans un endroit si différent que cela où il avait été élevé, elle aurait dû y penser.
Sion, comme demandé, se rendit le lendemain auprès de la déesse. Celle-ci le trouva épanoui, libéré de ses interrogations, serein bien qu’encore incertain de certaines choses. Il la remercia pour tous les soins qu’elle avait pris de lui depuis sa naissance, et ne lui demanda qu’une seule chose : la permission de rendre visite à celle qui l’avait élevé avant de partir pour Jamir. Elle la lui accorda de grand cœur, consciente de l’attachement qu’il ressentait encore envers Helena Alios. Quand Mû le sut, elle ne put vraiment savoir comment interpréter ce geste, jusqu’à ce que Sion, la regardant le soir suivant, lui dise :
« Tu sais, même si Helena m’a élevé c’est toi qui reste ma maman… »
Cette fois, Mû ne put empêcher ses larmes de couler devant son fils. Sion, étonné et ému de voir sa mère pleurer, fondit en larmes lui aussi et se précipita dans les bras maternels, désireux de consoler sa mère. Il ne comprenait pas la raison de sa réaction, mais percevait sa forte émotion.
Il pleura aussi beaucoup quand il revit Helena et Orestes, liés à ses premiers souvenirs. Ceux-ci le reconnurent à peine, tant il avait grandi et s’était développé et épanoui, mais ils furent ravis de savoir qu’il avait retrouvé sa famille. Il n’était pas autorisé à dévoiler l’identité de sa mère, mais parla beaucoup de sa sœur jumelle. Ils furent ébahis en apprenant aussi qu’il allait désormais vivre au Tibet, aussi lointain pour eux que la Lune.
Alors qu’il devait rentrer au Sanctuaire, Helena, qui était orthodoxe, traça une croix sur son front :
« Sois béni, Sion, où que tu vives maintenant et quelle que soit ta religion… »
L’enfant mit ses petits bras autour du cou de sa mère nourricière et la serra contre lui pour la remercier de sa bénédiction, incapable de parler sous l’effet de l’émotion.
« J’apprendrai à écrire, et je vous raconterai ce qu’il se passe là-bas… », dit-il finalement avant de serrer gravement la main d’Orestes.
Pourtant,  ce qu’avait dit Helena l’interpella et, dès son retour, il demanda à sa mère :
« Maman, de quelle religion nous sommes ? »
Mais ce fut Athena qui répondit :
« On est bouddhistes, Sion… »
Mais Mû intervint :
« Tu auras la religion que tu veux, Sion. Par tradition mon peuple, les Atlantes, est bouddhiste, voilà tout, mais tu décideras toi-même… »
Elle ignorait quelle éducation religieuse avait été donnée à son fils, et elle préférait le laisser libre de choisir. Athena, elle, avait été élevée dans la tradition du peuple atlante, et donc s’était tournée tout naturellement vers le bouddhisme.
Sion, pourtant rassuré, parut tendu au matin du départ pour Jamir après qu’il eût dit adieu à son maître. Sa sœur l’agrippa et ne le lâcha plus tant que leur mère ne les eut pas téléportés devant la pagode. Immédiatement, Sion se retrouva entouré de l’aura dorée de Mû qui l’empêcha de suffoquer et il put contempler alors le paysage magnifique qui s’offrait à lui, cette pagode antique qui semblait découpée dans le ciel bleu, les montagnes blanches autour. C’était là la demeure ancestrale des chevaliers d’or du Bélier, et il perçut immédiatement qu’ici, il serait vraiment heureux, c’était là qu’était réellement son foyer…
« Bienvenue à la maison… », lui dit sa sœur avec un sourire, et Mû, au bord des larmes une fois de plus, ne put rien dire. Kiki se pencha alors par une des fenêtres, faisant signe joyeusement aux nouveaux arrivants. Mû alors se sentit submergée par une vague de tendresse, et s’aperçut qu’elle se sentait vraiment mère maintenant, chez elle, sur sa terre, avec ses deux enfants. Athena alors la tira par la manche :
« On rentre, maman ? »
Le regard du chevalier d’or alla de sa fille à son fils, et elle dit :
« Oui, nous rentrons à la maison… »

 

FIN