Chapitre 3 : Réminiscence
Grèce, Sanctuaire.
Assis en tailleur sur le sol rocailleux, Saga était immobile. À côté de lui Canon était tout aussi impassible. Autour deux la pluie crépitait avec force mais ils ne bougeaient pas. Ils étaient ainsi depuis presque une heure, à fixer chacun un énorme rocher posé devant eux sans détourner le regard ni ciller un seul instant. Leur maître, le Chevalier dArgent du Toucan, les avait laissés là, et ils sefforçaient de concentrer leur cosmos pour détruire les rochers, seule manière pour eux de terminer cette épreuve imposée par Jonas du Toucan. Depuis deux ans quils étaient arrivés au Sanctuaire, ils avaient suivi quotidiennement le dur entraînement qui ferait deux plus tard des Chevaliers dOr. Ils avaient développé leur cosmos à un point qui les stupéfiait encore, mais ils savaient aussi que leur entraînement était loin dêtre fini.
Les yeux presque rouges dêtre restés ouverts pendant longtemps, Saga tenait le coup. Il ne devait surtout pas laisser son esprit être distrait par des perturbations externes. Soudain le rocher devant lui commença à se fendiller en un point autour duquel des fissures se propagèrent rapidement, telles des traînées de poudre enflammée qui firent exploser le bloc de granit en mille morceaux projetés dans toutes les directions. Saga se retint de manifester sa victoire, il ne devait surtout pas déranger son frère, et il se rappelait encore la fois où leur maître lavait rappelé à lordre alors quil avait poussé un grand cri de joie après avoir réussi à faire naître son cosmos en se concentrant. Le Chevalier du Toucan nétait pas loin et surveillait leurs progrès.
Tournant la tête du côté de Canon, il vit que ce dernier navait pas relâché sa concentration et continuait à lutter contre ses limites et son manque dexpérience pour parvenir à pulvériser le rocher. Brusquement Saga vit le rocher devant son frère se fissurer à son tour et exploser bruyamment. Les jumeaux restèrent impassibles comme leur maître réapparut derrière eux.
-Très bien ! Vous êtes maintenant capables de porter des attaques télékinétiques, et votre cosmos sest largement accru. Vous avez à présent dépassé la puissance dun Chevalier de Bronze, et dans un an environ, vous devrez probablement avoir dépassé aussi celle des Chevaliers dArgent.
Saga ne put sempêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres.
-Et ensuite Maître ?
-Ensuite, jeune impertinent, le reste ne dépend pas de moi. Une fois
que vous maurez dépassé et que le Grand Pope jugera que
vous serez prêts, il vous révèlera lui-même ce qui
vous manquera pour acquérir enfin la puissance des Chevaliers dOr.
Cette fois, malgré son intense curiosité, Saga resta impassible, mais Jonas devina la question informulée.
-Les Chevaliers de Bronze maîtrisent à la perfection leurs cinq sens physiques, et certains maîtrisent aussi le sixième qui englobe les pouvoirs psioniques tels que la télépathie et la télékinésie ; ils sont capables datteindre la vitesse du son, cest à dire Mach 1. Les Chevaliers dArgent atteignent un niveau de maîtrise des six sens supérieur à celui des Bronze et peuvent porter leurs coups à des vitesses comprises entre Mach 2 et Mach 5. En revanche pour les Chevaliers dOr cest différent, car bien que leur maîtrise des six sens soit totale, cela est cependant insuffisant pour atteindre la vitesse dexécution qui est la leur Jonas sinterrompit un moment et observa ses deux élèves, puis il reprit. Les Chevaliers dOr sont capables datteindre la vitesse de la lumière ! Et pour cela il leur faut maîtriser un atout dont seul le Grand Pope connaît lexistence. Il vous le révélera le moment venu.
Saga eut du mal à dissimuler son excitation. La vitesse de la lumière ! Une telle vitesse est impossible à atteindre ! Leur maître le leur avait appris car, en tant quapprentis Chevaliers dOr, ils recevaient un entraînement plus complet que tous les autres chevaliers, et surtout beaucoup plus intense. Saga se rappela soudain quau début de leur entraînement, il ne se serait pas imaginé capable daccomplir tout ce que lui et Canon avaient effectivement réalisé, entre autres choses, atteindre la vitesse du son, vitesse quils étaient maintenant capables datteindre - et de dépasser Mais il se rappela aussi les cours de sciences que leur faisait Jonas. En plus de leur enseigner lart du combat, il les avait initiés à la biologie, à la physique, et même à lastrophysique !
Ils avaient vite compris lutilité de la biologie : connaître les faiblesses du corps humain pour frapper les points vitaux de ladversaire et protéger les leurs au cours du combat. Jonas leur avait ensuite appris que lentraînement des chevaliers dAthéna les rendait capables danalyser les attaques de leurs opposants pour pouvoir les éviter ou au moins minimiser leurs effets, doù lutilité de la physique. En leur enseignant lastrophysique, le Chevalier du Toucan leur avait parlé de la Relativité, et Saga commençait à percevoir lintérêt de cet enseignement. La voix de Jonas le ramena brutalement à la réalité.
-Cest tout pour aujourdhui ! Venez !
Les deux frères se levèrent et emboîtèrent le pas à leur maître qui avait tourné les talons. Ce geste était totalement anodin, et pourtant il réveilla en Saga le souvenir dune scène similaire.
Deux ans plus tôt.
-Je suis un Chevalier dArgent de la Déesse Athéna, je suis
Jonas de la constellation du Toucan.
-Un chevalier dAthéna ? Saga fronça le sourcil.
-Oui. Suivez-moi maintenant. La suite serait trop longue à expliquer
- il montra du doigt la grille - et le taxi nous attend !
Avant que Saga ait pu linterpeller, Jonas tourna les talons et se mit à marcher vers le taxi. Saga resta figé un moment puis suivit lhomme, Canon sur ses talons.
Tous deux suivirent le chevalier, dont labondante chevelure rousse flottait dans le vent qui sétait levé, jusquau taxi où ils sengouffrèrent. Le véhicule démarra aussitôt les portes fermées. Le trajet fut plutôt monotone. Saga eut beau essayer de faire parler le « chevalier », il ne parvint à lui arracher que quelques réponses évasives prononcées dun ton monocorde avant que celui-ci ne lui dise sèchement de se taire. Saga se renversa donc sur le siège arrière du taxi. Il trouvait cette histoire de plus en plus étrange. Des chevaliers ? Quest-ce que cela pouvait bien signifier ? Surtout des chevaliers qui se disaient au service dune déesse qui nexistait probablement que dans leur imagination ! Et pourquoi ce « chevalier » les avait-il choisis eux ? Était-ce parce que, comme lavait dit linfirmier qui les avait recueillis après le séisme, ils « en avaient un » ?
Les pensées défilaient à toute allure dans son esprit, et ce ne fut que lorsquon lui secoua lépaule que Saga se rendit compte que le taxi sétait arrêté. La portière de son côté était ouverte et Jonas était debout dans lentrebâillement.
_Nous sommes arrivés ?
_Non, répondit Jonas. Descendez tous les deux !
Saga regarda autour de lui. Le taxi les avait conduits dans une petite crique. Une barque attendait sur la plage, et au large un bateau - probablement un navire de pêche - se balançait au gré des vagues.
-Quest-ce que ça veut dire ? demanda Saga. Où nous emmenez-vous
?
-Montez dans la barque, je ne répondrai à certaines de vos questions
quune fois à bord du bateau !
-Mais
-Nous en avons encore pour une heure de trajet au moins ! cria Jonas, car la curiosité de Saga commençait à lénerver. Montez tout de suite ou je vous administre la raclée de votre vie !
Saga eut un mouvement de recul. Il avait limpression que lhomme en face de lui était entouré dun halo lumineux aussi roux que sa chevelure. Le phénomène cessa comme il avait commencé, si brusquement que le garçon eut limpression davoir rêvé ! Il se dépêcha dempoigner ses bagages, aussitôt imité par Canon qui avait assisté à la scène en silence mais avait sur son visage la même expression abasourdie que son frère.
Quatre marins au visage hâlé attendaient dans le canot. Aussitôt que leur passagers furent montés, ils se mirent à ramer vigoureusement vers le bateau. Cinq minutes plus tard, ils se hissèrent à bord du navire. Jonas les conduisit aussitôt dans une cabine et leur enjoignit de ne pas en bouger. Saga et Canon sétendirent chacun sur un des deux lits présents dans la cabine. Ils entendirent bientôt le moteur redémarrer et le bateau virer pour repartir vers le large. La houle les berçait doucement et ils finirent par sendormir.
Quand Saga se réveilla, il se rendit compte que le moteur était
arrêté. Sur le lit voisin, Canon dormait encore à poings
fermés. Au-dehors le silence était total, à part
oui ! Cétait bien le bruit du ressac que Saga entendait ! Cela
voulait donc dire quils étaient arrivés ! Mais où
? aucun autre bruit que ceux de la mer ne parvenait à ses oreilles, et
Saga en conclut que, soit ils étaient à lancre devant une
autre crique, soit à côté dune île. Mais depuis
combien de temps étaient-ils arrivés ?
Il entendit soudain des pas dans lescalier de la cabine et vit entrer Jonas.
-Nous sommes arrivés. Réveille ton frère et montez sur
le pont au trot !
-Où sommes-nous ?
-Montez en vitesse ! répliqua sèchement Jonas. Il fut à
nouveau entouré dun halo rouge.
À cette vue, Saga se hâta dobéir et réveilla
Canon. Saisissant leurs sacs, ils montèrent sur le pont et purent voir
que le bateau avait jeté lancre près dune île
entourée de falaises que découpaient quelques rares criques. Jonas
prit alors la parole.
-Cette île est celle du Sanctuaire. Cest là que vous allez
désormais vivre et recevoir votre entraînement de chevaliers.
-Quoi ?
-Vous mavez bien entendu.
-Une minute. Saga nétait pas décidé à se laisser
mener à la baguette sans recevoir dexplications. Nous navons
pas dit que nous étions daccord !
Un sourire apparut sur les lèvres de Jonas.
-Vous navez pas le choix ! Si je vous ai choisis cest parce que
vous seuls êtes capables de devenir des Chevaliers Sacrés dAthéna
et que nous avons besoin de vous autant que vous de nous.
-Quoi ? Mais
-Ne me dis pas que vous navez pas encore découvert que vous aussi
vous en avez un ! déclara Jonas avec un sourire méprisant.
-Vous aussi ! Maintenant ça suffit ! Jen ai marre de cette histoire
! Expliquez-vous !
-Quoi donc ? dit Jonas comme si cétait évident.
-Vous nêtes pas le premier à nous dire que nous en avons
« un » ? Déjà les infirmiers qui nous ont secourus
après le tremblement de terre qui a tué nos parents lont
dit aussi !
-Il sagit tout simplement du cosmos. Cette force que tout être humain
a enfouie en lui mais qui est plus développée et capable de séveiller
chez certains.
-Le quoi ? Cosmos ? Soudain laura rouge réapparut autour de Jonas.
Saga recula instinctivement.
-Ce halo que vous voyez autour de mon corps, dit le chevalier, est une manifestation
du cosmos. Le vôtre est prêt à être éveillé,
et il est particulièrement puissant. Vous deviendrez probablement des
Chevaliers dOr.
-Des Chevaliers dOr ? Ça veut dire quoi ça ?
-Tout simplement que vous allez faire partie de lélite de la chevalerie,
gamin. Les Chevaliers dOr sont les combattants les plus puissants de la
Terre ; seule la Déesse Athéna les surpasse. Une fois votre entraînement
terminé, vous passerez lépreuve qui vous consacrera Chevaliers.
-Lépreuve ?
Pendant ce temps les marins avaient remis à leau le canot. Dès que ce fut fait Jonas fit embarquer les jumeaux. Quatre marins sinstallèrent aux rames et emmenèrent lembarcation à terre. Jonas sauta sur le sable, Saga et Canon le suivirent.
-À présent nous allons nous rendre à la salle du Grand Pope, le représentant sur terre dAthéna, dit le Chevalier du Toucan, et il se mit en route, les garçons derrière lui.
Ils navaient pas fait cent mètres quun détachement de gardes surgit brusquement et leur somma de se présenter. Réponse leur fut faite, et les trois visiteurs poursuivirent leur route. De temps à autre ils croisaient des groupes dapprentis sentraînant sous la surveillance de leur maître. Ils les voyaient enchaîner des katas à toute vitesse, ou encore se tenir en équilibre sur deux doigts, ou même - Saga et Canon nen revenaient pas - briser à mains nues de simples cailloux ou des rochers pesant facilement une demi tonne. Devant leurs airs ébahis, Jonas conservait la même attitude impassible et légèrement méprisante.
Enfin ils parvinrent au pied dune grande colline au flanc de laquelle sétirait un escalier qui traversait des maisons en pierre. Le Chevalier du Toucan sarrêta au pied de lescalier.
-Voici lescalier des Douze Maisons du Zodiaque. À son sommet se trouvent la salle du Grand Pope et le temple dAthéna. Nous devrons traverser chacune des douze maisons pour y parvenir. Chaque maison est normalement gardée par un des douze Chevaliers dOr, mais à lheure actuelle elles sont vides. Suivez-moi ! Il entreprit lascension des marches en continuant ses explications et en nommant chacune des maisons traversées : Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau, Poissons.
-De quel signe zodiacal êtes-vous ? demanda Jonas après la traversée de la première maison.
Saga ne répondit pas de suite. Il était stupéfait par larchitecture de style antique des maisons. Jonas dut répéter sa question. Sa voix tira brutalement le garçon de sa rêverie.
-Euh
Je ne sais pas. Nous
nous sommes nés un 30 mai
-Alors vous êtes Gémeaux. Si vous survivez à lentraînement,
fit-il avec un sourire ironique, et si vous réussissez lépreuve
vous serez les gardiens de la troisième maison.
Jonas reprit son ascension mais ne leur adressa plus une seule fois la parole. Enfin au bout de deux heures, qui parurent interminables à Saga, ils arrivèrent au sommet de lescalier
Alors quils suivaient leur maître, Saga se remémorait ces scènes avec un amusement teinté de nostalgie. Tout cela était si loin maintenant ! À présent ils étaient apprentis chevaliers pour larmure dOr des Gémeaux. Lui et Canon venaient de finir leur entraînement du jour. Autour deux la pluie crépitait, transformant leurs cheveux en filasse mouillée. Dans trois ans, leur avait dit Jonas, ils seraient fins prêts pour lépreuve. Trois longues années ! Non. Il ne devait pas penser ainsi. Juste trois ans, oui juste trois ans. Il décida de bannir définitivement de son esprit toute pensée défaitiste ou pessimiste. Même sil navait pas encore passé lépreuve finale, il était un Chevalier Sacré dAthéna, et les Chevaliers ne devaient pas baisser les bras !