Les enfants d' Asgard
Bud dAlcor ou le tigre fantôme.
La narratrice raconte...
La nuit était tombée à présent. Fourbue, javais
enfin pris congé des sept Guerriers Divins qui mavaient accueillie
et raconté leurs histoires dans cette petite maison perdue au milieu
de nulle part. Un silence mortel régnait dehors. En frissonnant, je contournai
le gîte pour retrouver mon traîneau et mes chiens. Tout dun
coup, jeus la sensation que quelquun mobservait. Je levai
les yeux, et vis quen haut de la colline qui surplombait la maison, se
tenait un jeune homme. Il était parfaitement immobile et me regardait
avec une expression sévère. Jeus un hoquet convulsif quand
je reconnus le personnage, sans pourtant lavoir jamais vu. Il était
la réplique exacte du Guerrier Divin de Dzeta à qui je venais
de parler. Jétais face à Bud dAlcor.
Le regard du jeune homme se détourna de moi un instant pour se fixer
au loin. Les Guerriers Divins avaient quitté lendroit et leurs
silhouettes se faisaient de plus en plus incertaines à mesure quils
se perdaient dans la nuit. Apparemment satisfait, il reporta son attention sur
moi, banda ses muscles et sauta dans le vide. Il se reçut avec une souplesse
et une grâce étonnantes à quelques mètres à
peine de là où je me trouvais. Sur la défensive, je reculai.
- Nayez crainte..., me dit-il, je ne vous veux aucun mal. Je désire
simplement vous parler. Vous étiez tout à lheure avec les
sept autres Guerriers Divins dans cette maison, nest-ce pas?
- Oui... Ils mont raconté leurs vies...... Le jeune homme fronça
les sourcils.
- Je men doutais. Aussi je suis venu compléter votre exposé.
Je mappelle Bud. Dzeta prime Alcor est mon étoile gardienne. Je
suis le frère jumeau de Syd que vous avez vu tout à lheure.
Et bien que personne ne vous ait parlé de moi, je suis également
un Guerrier Divin. Pourtant, à la différence des autres, mon existence
est secrète. Aucun de mes compagnons darmes ne me connait.... Bud
poussa un soupir, mais il arrêta mes tentatives de dénégation.
- Pas besoin de nier, cest inutile. Mais je maperçois que
vous tremblez de froid. Nous pourrions rentrer dans labri nous asseoir
au coin du feu, et si vous le voulez, je vous raconterai mon histoire.... Sans
attendre de réponse, il passa devant moi et se dirigea vers la porte
de la maison que je venais de quitter. Je lui emboîtai le pas.
Bud se dirigea vers la cheminée et remit des bûches dans le
feu mourant. Puis il sassit et je pus enfin lexaminer à loisir.
Il ressemblait pratiquement trait pour trait à Syd de Mizar. Il était
grand et musclé. Ses cheveux verts étaient coupés courts,
en brosse, sauf une longue mèche qui lui tombait dans le dos. Son visage
était agréable, en dépit de plusieurs cicatrices et de
son expression très grave. A la différence de Syd, il éveillait
en moi des sentiments plus quambigus. Je le trouvais lair à
la fois extrêmement séduisant et terriblement dangereux. Je me
surpris à penser que beaucoup plus que son frère, Bud faisait
penser à un félin sauvage, un tigre magnifique et mortel.
Le jeune homme nous prépara du vin chaud, me fit signe de masseoir
et commença à raconter son histoire....
Bud raconte...
Mes premiers souvenirs conscients sont ceux de mes tous premiers jours. Ils
sont de ces souvenirs quon noublie jamais. Le froid. La neige. Le
silence qui répondait à mes hurlements de bébé.
Je venais à peine de naîre et jallais mourir, abandonné
par mes parents au milieu de la forêt. Longtemps jai crié,
paralysé par le froid, en proie à la terreur la plus noire, jusquà
ce que je sois trop faible. Alors je me suis tu et jai attendu la mort.
Pourtant, la mort ne vint pas. Et quand je sortis de linconscience, je
me trouvais dans un lit, bordé jusquau menton par une couverture
miteuse mais chaude. A mon chevet se trouvait un homme plus tout jeune qui me
bassinait les tempes avec de leau tiède. Cet homme, Horwald, jallai
vivre avec lui toute mon enfance.
Horwald était colporteur et extrêmement pauvre. Il gagnait sa vie
en allant vendre de la marchandise de villages en villages. Avant, il avait
été accompagné sur les routes par sa femme et son fils,
mais ceux-ci avaient succombé à un hiver particulièrement
rude, il ny avait pas si longtemps. Depuis, lhomme vivait tout seul.
Autant dire que quand il me trouva, il me considéra comme un véritable
cadeau des dieux. Toute mon enfance, il me traita avec la douceur et la gentillesse
dun véritable père de sang.
-Bud soupira-
Horwald vivait comme il le pouvait dans un monde sans pitié. Je naurai
aucune honte à dire quil ne marchait pas toujours sur les chemins
tracés par la loi, sinon, il aurait été mort de faim depuis
longtemps. Il allait par monts et par vaux proposer toute sorte dustensiles,
en me mettant bien en évidence pour faire comprendre quil avait
un enfant en bas âge à nourrir. Quand je fus capable de marcher
et de comprendre, Horwald mapprit bien dautres tours que celui dattendrir
les coeurs. Il menseigna à gruger les gens pour leur vendre notre
marchandise à fort prix, et aussi à les voler en leur dérobant
leurs bourses pendant quil exécutait un de ses numéros de
vente à grand spectacle auxquels il excellait. Mais parfois, même
ces petits tours ne suffisaient pas pour que nous mangions à notre faim.
Alors, nous allions chasser dans la forêt, ce qui, pour des miséreux
comme nous, était rigoureusement interdit.
La chasse, larnaque et le vol... Ce fut là la seule instruction
que je reçus dans mon enfance. Encore aujourdhui, je ne sais ni
lire, ni écrire et à peine compter, comme la majorité des
gens en Asgard. En revanche, javais acquis dès mes six ans tous
les talents du parfait petit bandit. -Bud souria- Jai été
en marge de la loi toute ma vie, vous savez, et jai toujours aimé
ça.
Le premier tournant de ma vie arriva lété de mes sept ans.
Nous marchions en territoire inconnu, mon père adoptif et moi. La région
était belle, les gens souriants et généreux. Nous avions
fait de bonnes affaires. Nous avancions silencieusement et dun bon pas,
quand un lapin vint nous couper la route pour senfuir de plus belle le
long du chemin. Aussitôt, je laissai là mes affaires et entreprit
de courser le rongeur sous le regard amusé de Horwald. La bête
pourrait sans aucun doute nous faire un bon souper. Il me fallut courir sur
une sacrée distance pour réussir à coincer ma proie, mais
je finis par la rejoindre. Cependant, au moment où je tentai de men
emparer, un jeune garçon sinterposa et me supplia daccorder
grâce au lapin. Surpris -quelle idée!- je levai les yeux sur le
gêneur. La surprise me cloua sur place! Lenfant avait mon visage.
Exactement. Mon visage, mes cheveux, mes yeux, ma taille et certainement mon
âge. Mon jumeau. Mais, à ma différence, il était
richement vêtu. Derrière lui, japerçus un homme et
une femme à cheval, eux aussi très bien habillés. Ils regardaient
mon interlocuteur avec amour et bienveillance. Je sus immédiatement que
je contemplais mes vrais parents, ceux qui mavaient abandonné dans
la forêt à ma naissance. Jeus un très violent pincement
au coeur, mais ma grande fierté empêcha mes larmes de couler. Pour
enfoncer le clou, le garçon me proposa déchanger la vie
du lapin contre un objet quil avait sorti de sa poche: un petit poignard
ouvragé. Je connaissais très bien cette arme, javais son
double en permanence sur moi. Le pincement avait redoublé dintensité.
Dun geste machinal je pris le poignard de cet imbécile qui navait
apparemment rien compris, rien deviné. Je le vis emporter le lapin et
partir avec ses parents. Pendant toute lentrevue, je navais pas
été capable de dire un seul mot! Les regardant encore, je sortis
mon propre poignard de ma poche. Les deux objets étaient absolument identiques,
et gravés chacun dun nom; "Bud" sur le mien.... Et "Syd"
sur le sien. Je laissai enfin mes larmes couler.
Mon père adoptif ne sut jamais rien de cette rencontre. Tout juste manifesta-t-il
son étonnement quand je le priai de quitter la région le plus
rapidement possible. Je ne voulais pas revoir ces gens. Jamais. Aussi, le lendemain
même, nous avons levé le camp et nous sommes partis en direction
du nord. Ce fut une décision funeste.
Au bout dun certain temps, nous sommes arrivés sur le domaine dun
très important seigneur dAsgard. Le fait est que ces terres étaient
éloignées du centre du pays et du Palais, ce qui permettait aux
nobles propriétaires dappliquer une forme plutôt personnelle
de justice, sans risque dêtre inquiété. - Bud fonça
les sourcils et serra les dents - Ne me considérez pas comme un ignorant.
Je sais très bien quAsgard a plusieurs siècles de retard
sur les contrées du Sud. Telle est malheureusement la volonté
des dieux du Nord. Mais la province où nous venions darriver, Horwald
et moi, était encore un degré plus barbare que le reste du pays.
Nous marchions tranquillement le long dun chemin qui jouxtait une épaisse
forêt, en direction dun petit village où nous projetions
de passer la nuit. Tout dun coup, nous avons entendu un vacarme infernal
en provenance de la forêt et immédiatement après, un énorme
cerf déboula juste devant nous. Ma rapidité me permit déviter
lanimal, mais Horwald fut percuté de plein fouet et tomba, blessé,
sur le sol. Le cerf, lui, continua sa course. Linstant daprès,
plusieurs cavaliers débouchèrent sur le chemin au grand galop.
Nous étions en plein sur leur route, pourtant ils ne ralentirent pas
et foncèrent droit sur nous. Mon père adoptif, déjà
sévèrement secoué, fut à nouveau renversé.
Les cavaliers ne poursuivirent leur course que sur quelques mètres, pourtant.
Puis, celui qui était en tête leva un bras en criant :
- Ce nest pas la peine, nous avons perdu le gibier. La chasse est terminée....
Il fit faire volte-face à sa monture et revint vers nous. Je tentais
de relever mon père, inanimé, sans succès.
Lhomme arrêta son cheval à quelques pas de nous. Cétait
manifestement un noble. Il était très bien habillé. Il
avait des cheveux roses coiffés en catogan et une barbe rose très
fournie. Ses yeux verts lançaient des éclairs. - Jeus
un mouvement de recul à cette description. En le voyant, Bud eut un sourire
sans joie- Ce portrait vous rappelle quelquun? Cétait
son père. Et il navait pas meilleur caractère, ça,
je vous le garantis! Quand il sadressa à nous, ce fut sur ce ton
de colère rentrée cher à la noblesse outragée.
- Croquants! A cause de vous, jai perdu le cerf que nous coursions! Vous
allez le payer très cher... Ingrid!...
A ces mots, une jeune fille habillée comme un homme, aux longs cheveux
roses, armée dun arc court, sapprocha de lhomme.
- Père?
- Donne-leur la correction quils méritent....
La jeune fille sourit, passa sa langue sur ses lèvres et sortit un long
fouet de ses fontes. Puis elle sadressa aux gardes et domestiques qui
les accompagnaient.
- Attachez-moi ces deux drôles à un arbre. Je vais leur donner
une petite leçon de savoir-vivre....
-Le visage de Bud se contracta-
Une petite leçon de savoir-vivre...... Nous avons eu droit chacun à
cinquante coups de fouet. Jen porte encore les traces aujourdhui.
Je survécus grâce à ma constitution exeptionnelle. Horwald....
Horwald, vieux, déjà blessé, ne sen sortit pas.
- Bud resta silencieux quelques secondes, puis il but un peu de vin, fronça
les sourcils et poursuivit-
Cela marqua un deuxième tournant dans ma vie. Désormais, jétais
seul au monde, et sans rien car ces assassins, avant de nous abandonner à
notre sort, nous avaient volé tous nos biens. Jai mis plusieurs
heures à creuser une tombe décente pour mon père. Et à
chaque heure ma haine augmentait. Quand jai eu fini mon travail, jai
juré de tuer autant de nobles quil y avait eu de gouttes de sueur
tombées de mon visage.
Je tins parole. Je devins un sanglant assassin. Je ne men prenais quaux
nobles et aux prêtres, ce qui, au niveau de la morgue et de la richesse,
revenait au même. Jagissais toujours seul. Au début, je les
attaquais de loin, quand ils se déplaçaient sur les routes. Je
tuais leurs gardes à laide de mon arc long, puis jachevais
le travail grâce à mes poignards acérés, ou même
parfois à mains nues. Même jeune adolescent, javais en moi
une force telle que personne ne pouvait me tenir tête. Quand jai
grandi, je me suis enhardi, et jai commencé à men
prendre à des châteaux. Je fus bientôt connu dans tout Asgard.
Personne ne me connaissais. Personne ne pouvait me décrire car je ne
laissais jamais de témoin vivant. Certains parlaient dun démon,
dun serviteur de Loki en personne, venu se repaître de carnages.
Dautres rapportaient que ces crimes étaient le fait de bandes entières
et puissamment armées. Alors que je ne suis, en définitive quun
homme. Et que jai toujours agi tout seul, poussé en avant par ma
haine et ma volonté de vengeance.
Ce passage de ma vie dura jusquà ce que je rencontre Sloann.
- Je dus prendre une mine ahurie car Bud me regarda avec une lueur damusement
dans les yeux.-
Jétais alors à lextrême nord dAsgard.
Seuls quelques seigneurs ont élu domicile dans ces latitudes, au delà
du cercle polaire, et en général, ce sont ceux qui sont tombés
en disgrâce. La vie y est très rude. La nuit dure quasiment six
mois. La végétation est rare, mais cela nest pas le pire.
Au delà du cercle polaire, Asgard a des ennemis que ces seigneurs sont
chargés de tenir en respect. Des ennemis puissants, mais peu nombreux
et très mal connus. Personne ne sait même quels dieux ils servent.
On les connait sous le nom de Guerriers Bleus, ou Blue Warriors.
Bien que les conflits entre Asgard et Blue Graad, leur contrée, ne se
soient réduits jusquà présent quà quelques
escarmouches sans grande gravité, les deux peuples se détestent
cordialement. Bref.... Ce soir-là, je métais introduit chez
un de ces nobles de lextrême nord. Ce netait pas particulièrement
pour le butin, au demeurant important, qui dormait dans les coffres du château.
Ce nétait pas non plus pour faire ripaille avec cette bonne chère
qui débordait les cuisines. Cétait, plus simplement, pour
faire couler le sang du maître des lieux. Lexploit irait encore
augmenter la terreur que jinspirais dans tous les châteaux, et cétait
là mon seul but.
Jarrivai à la salle principale sans être inquiété,
comme dhabitude. Là, dans lombre dune porte, parfaitement
dissimulé, jassistai au festin.
Le maître des lieux était assis à califourchon au centre
de la table, rond comme une barrique. Ses vêtements somptueux étaient
tachés de sauce et dhydromel. Il hurlait des obscénités
et éclatait dun rire gras à chaque propos dun de ses
courtisans ou dune des femmes outrageusement fardées qui étaient
assises à ses côtés. Autour du seigneur, la fête avait
depuis longtemps dégénéré en une répugnante
orgie.... - Bud eut un sourire en coin- ... dont je vous épargnerai
la description, ma chère, par égard pour votre sensibilité.
Je me rappelle encore du mouvement de dégoût que jai eu.
Trop souvent, javais surpris de pareilles scènes à lintérieur
des palais et autres demeures nobles. Derrière ce spectacle, comme en
surimpression dans mon cerveau, je voyais la souffrance, la faim, la fatigue
des paysans qui travaillaient darrache-pied pour engraisser encore ces
gros porcs et les faire se débaucher dans dautres orgies. Ne vous
y trompez pas, je nai rien dun Robin des Bois. Mes actes de violence
et mes rapines nétaient absolument pas dictés par une volonté
de justice sociale, mais le parallèle mécoeurait tout de
même.
En tout cas, jen étais à ce stade de mes pensées
quand le seigneur du château hurla dune voix empâtée
par lalcool:
- Quon amène la prisonnière bleue!...
Quelques instants plus tard, une femme enchaînée fut présentée
à lassemblée. Je fus impressionné. Je noserai
pas dire quelle était belle, elle était un peu trop maigre
pour ça. Pourtant, elle était captivante. Elle était vêtue
dune longue robe noire en lambeaux. Sa peau était très blanche.
Ses cheveux, absolument blancs, semblaient aussi lisses et immatériels
quune brume du matin. De la neige, elle semblait avoir la pureté,
la blancheur et la cruauté. La prisonnière bleue...... Cela voulait
certainement dire quelle venait du mythique Blue Graad... une Blue Walkyrie...
A ce moment, la fille tourna sa tête vers moi. Ses yeux noirs plongèrent
directement dans les miens. Je fus certain quelle mavait vu.
- Alors, la fille, il paraît que les filles comme toi sont de splendides
danseuses...... la seigneur, toujours perché sur sa table, regardait
sa prisonnière avec des yeux fous. ...Alors tu vas danser pour nous......
Des gardes appuyèrent leur lance contre le dos frêle de la jeune
femme qui se retrouva projetée en avant. Pourtant, elle réussit
à garder une posture hautaine et méprisante. Elle se redressa
et esquissa quelques pas lents. Lassemblée fut saisie. La fille
semblait faire obéir le froid par sa danse. Des courants dair glacés
balayèrent la salle... les invités commencèrent à
claquer des dents.
- ASSEZ! Ce nest pas drôle. Personne ne rigole.... Le maître
des lieux fit une moue ridicule. Je suis sûr que mes amis vont beaucoup
plus apprécier que tu danses toute nue!...
A ces mots, la fille ne cilla pas. Elle resta de marbre quand un garde prit
une longue dague et commença à déchirer sa robe.
Il nalla pas loin.
Jétais sorti de ma cachette et javais bondi sur lhomme,
poignard en avant. Puis, avant que lassistance, abrutie par lalcool,
revienne de sa surprise, javais libéré la femme et je métais
enfui avec elle. Quand lalerte fut donnée, nous étions déjà
loin.
Vous vous demandez ce qui mavais pris, sans doute... Je nen sais
rien moi-même... Je navais certainement pas agi par pitié...
Je nai jamais éprouvé de pitié pour qui que ce soit...
Peut-être que javais malgré moi admiré le comportement
si noble de cette femme et que de limaginer livrée au regard et
au vice de ces saoûlards avait été trop pour moi... Peut-être...
En tout cas, ce qui est sûr, cest que mon projet initial avait été
de la délivrer, simplement, puis de la laisser se débrouiller
seule. Il navait absolument pas été prévu que je
passe avec elle les trois années suivantes de ma vie. Au début,
je me rappelle mêtre donné toutes sortes de mauvaises excuses
pour rester auprès delle. Je me disais quelle ne pourrait
pas survivre, livrée à elle-même, sans vivres et aussi légèrement
habillée, dans cette contrée de glace et de neige. Sloann elle-même
-cétait son nom- me faisait comprendre à demi-mot quelle
avait besoin de ma compagnie. Alors que sur le plan strictement matériel,
rien nétait plus faux. Sloann était un être du froid
éternel. Ses pouvoirs faisaient que les vents, la neige et dans une certaine
mesure la nature elle-même lui obéissaient. Et si elle appartenait
effectivement au peuple de Blue Graad, elle vivait en ermite depuis des années.
Je me rappelle encore la surprise que jai éprouvée en la
découvrant peu à peu. Sloann était encore jeune quand nous
nous sommes rencontrés. Pourtant, elle parlait avec la sagesse et la
pondération dun vieil érudit. Elle avait développé
sa propre vision de la vie et me la fit partager. En restant avec elle, je me
suis rendu compte à quel point mon existence avait été
vide de sens jusquà présent et jabandonnai enfin ma
haine et ma volonté de vengeance.
Nous avons vécu ensemble pendant plusieurs années, tout seuls
dans notre retraite, à lextrême nord du monde. Jétais
enfin heureux et en paix avec moi-même, et je navais quun
désir, celui que cette situation se prolonge indéfiniment. Malheureusement,
tel ne fut pas mon destin, comme vous le devinez.
Une nuit, ma tête faillit exploser quand je reçus ce qui semblait
être un ordre relayé par mon cosmos: on menjoignait de partir
de ma retraite et de regagner les provinces habitées pour prendre possession
de mon armure de Guerrier Divin et défendre Asgard, la Grande Prêtresse
Hilda de Polaris et Odin. Je navais apparemment pas le choix. Je neus
rien à expliquer à Sloann, qui semblait déjà être
au courant. Elle ne me retint pas. Au contraire, elle me pressa de partir. Quand
je men allai, je remarquai quelle avait les larmes aux yeux, elle
qui navait jamais pleuré de sa vie.
Quand je pris possession de larmure divine du Tigre de Dzeta prime, un
sentiment étrange menvahit. Je vis en cette armure la clef de la
puissance et de la reconnaissance, une éclatante revanche sur mon passé,
sur lexistence de va-nus-pieds et de hors-la-loi que javais menée
en Asgard, et surtout sur mon frère, ce sirupeux garçon que javais
croisé un jour funeste et qui avait eu toutes les faveurs de la vie à
ma place.
Je déchantai rapidement.
Je nétais que le Guerrier Divin de Dzeta prime, protégé
par une étoile fantôme, tout juste visible à loeil
nu. Et par là même, je serais un guerrier fantôme, destiné
à lombre, inconnu des autres guerrier. Seule la princesse Hilda
eut connaissance de mon existence et me fit bien comprendre que mon identité
devait demeurer secrète. En tant que Guerrier Divin, je nexisterais
pas par moi-même, mais uniquement pour protéger le ....vrai...
Guerrier de Dzeta... Qui ne se trouva être autre que Syd!
Ma haine pour mon frère sen trouva décuplée... Javais
été son double méconnu et rejeté en tant quhomme,
et je devrais aussi lêtre en tant que Guerrier Divin! Seul un mince
espoir me fit accepter cet odieux marché: Hilda me fit bien comprendre
que si Syd venait à mourir, je deviendrais, moi, le seul et unique Guerrier
Divin de Dzeta, et reconnu comme tel par tous.
- Bud eut un rictus féroce.-
Pauvre Syd... Comme vous le voyez, mon amour fraternel est des plus limité
envers lui... De toute façon, il nest même pas conscient
de mon existence. Au mieux, il crois que je suis mort, bébé, dans
la forêt. Au pire, personne ne lui a jamais dit quil avait eu un
frère jumeau. Mais en tout cas, je peux vous garantir que je ne me fatiguerai
pas outre mesure pour protéger sa pitoyable peau...
-Bud posa sa tasse de vin et se leva lentement-
Voila, mademoiselle. Vous connaissez mon histoire à présent. Elle
nest pas belle, cest sans doute la moins sympatique de celles que
vous avez entendues aujourdhui, mais je nen ai pas honte. Maintenant,
il est grand temps pour moi de vous laisser......
Aussi vif que léclair, Bud prit sa cape de fourrure et passa la porte du gîte. Je neus même pas le temps de lui crier dattendre, que javais à lui parler, quil fallait quil mécoute, quil était déjà hors de vue. Dehors, une tempête de neige sétait levée. La mine basse, je contemplai ma tasse... Jaurais tellement voulu lui révéler tout ce que Syd mavait dit il y a quelques heures à peine, quil était parfaitement au courant de lexistence de Bud, quil avait passé toute son adolescence à tenter de retrouver sa trace, quil savait même que son frère portait larmure de Dzeta prime... Mais Bud ne men avait pas laissé le temps... Quel gâchis....