Les enfants d' Asgard
Thol de Phecda ou les soupirs du grand serpent
Mmmh.. Vous vous attendez peut-être à ce qu'en bon Asgardien, j'imite Siegfried et Hagen en déclarant que j'aime ma patrie et que je donnerais ma vie pour la défendre... Je vais malheureusement vous décevoir. Je n'aime pas Asgard. Je déteste cette contrée stérile qui fait mourir ses habitants à petit feu. Par contre, j'aime les Asgardiens. Leur courage face à la souffrance de chaque instant m'a toujours plu....
Contrairement à mes compagnons d'Alpha et de Bêta, je suis né
pauvre et plébéien, et pauvre et plébéien je suis
resté toute ma vie. Siegfried raconte qu'il souffrait de la faim, alors
que sa famille pouvait chasser dans la forêt royale. Vous imaginez d'ici
la souffrance et la misère de la mienne qui n'avait droit à rien.
Mon père, bûcheron de profession, ne travaillait déjà
plus depuis un certain temps quand je naquis. Il avait eu un funeste accident
dans la forêt qui lui avait coûté un bras. Le pauvre homme
avait dû abandonner sa profession et cela l'avait détruit. Ma mère
s'était retrouvée seule à faire vivre le foyer tant bien
que mal. Elle exécutait de petits travaux pour les habitants de notre
misérable hameau. Autant dire que dans des circonstances aussi difficiles,
ma naissance ne fut pas accueillie par des cris de joie.
Les années après mon arrivée au sein de la famille furent
très rudes. Je me rappelle encore l'âtre froide, faute de bois,
et des assiettes vides, faute de pain. L'argent, le chauffage, la nourriture
manquaient cruellement. Notre pauvre maison n'était rien de plus qu'une
cabane de torchis offerte à tous les courants d'air. Et moi-même,
j'étais un problème permanent pour ma famille, car je possédais
un féroce appétit.
Très vite, mon entourage se rendit compte que je grandissais plus et
plus vite que la moyenne. N'allez pas penser que j'étais simplement un
enfant trop vite monté en graine, non; à huit ans, je faisais
déjà 1.90m, taille considérée comme conséquente
pour un adulte, et je grandissais encore! Les gens du village, qui d'abord me
regardèrent avec une sorte d'ahurissement devinrent au fur et à
mesure du temps franchement hostiles. Ils se rappelaient nos vieilles légendes
nordiques. Fi! Un géant sur les terres d'Odin! Cela était un mauvais
présage.
Mes parents ne me dirent jamais rien, et je leur en serai toujours infiniment
reconnaissant. Mais je ne pus m'empêcher de remarquer que l'on offrait
de moins en moins d'ouvrage à ma mère, et pas du tout si je l'accompagnais
au marché le matin. Mon père n'était plus reçu nulle
part non plus. Je le voyais se morfondre dans son fauteuil éventré,
l'air de plus en plus morose. Le jour où il rentra à la maison
avec à la main une bouteille d'alcool achetée les dieux savent
comment, je compris ce que j'avais à faire. Je préparai mon balluchon
et je quittai la maison. J'avais à peine neuf ans... Et je dépassais
déjà les deux mètres de taille....
A partir de ce moment, je vécus seul. Heureusement pour moi, ma taille
incroyable s'accompagnait d'autres facultés tout aussi incroyables qui
me permirent de survivre au sein d'une nature tout à fait hostile. Le
hameau de mes parents jouxtait une grande forêt d'épineux dont
je fis mon nouveau refuge. Je me rappelle encore très bien de mon premier
exploit, lorsque je tuai un ours à mains nues pour m'approprier sa grotte
et m'en faire un logis de fortune. Il parait que je fus vu par un petit groupe
de chasseurs en quête de gibier, qui s'empressa de raconter cette aventure
en l'embellissant. Pour ma part, je n'en tirai aucune gloire. L'ours était
une femelle et avait plusieurs petits qui allaient mourir de faim par ma faute.
Il n'en reste pas moins que l'animal me fournit une appréciable réserve
de viande pour l'hiver. Ne vous y trompez pas: un plébéien comme
moi n'a en principe aucun droit de chasse ou de braconnage dans aucune des forêts
d'Asgard qui appartiennent toutes à de puissants suzerains, nobles ou
prêtres d'Odin. Il n'a que le droit d'acheter de la viande par son travail.
Mais même en négligeant cette loi très dure, le gibier est
très rare en Asgard, et particulièrement au coeur de l'hiver.
A cet égard, la viande de l'ours était un trésor des plus
précieux.
Au début de ma vie en solitaire, j'essayai au maximum d'éviter
les contacts humains. Je pense qu'on peut me comprendre. A treize ans, ma croissance
commençait à se ralentir quelque peu. Il n'en restait pas moins
que je dépassais allègrement les trois mètres de taille.
Je n'étais pas simplement un homme grand, j'étais un véritable
géant. Et puis, je me rendis compte que mes facultés hors du commun
faisaient de moi quelqu'un de bien loti, par rapport à tous ceux qui
devaient affronter le climat d'Asgard sans aide, sans force, sans espoir, sans
rien. Alors, j'essayai de les aider, ces pauvres gens. Je leur coupai du bois,
et je leur braconnai un peu de gibier. Je n'eus jamais d'ennui avec le seigneur
local, lequel avait la réputation d'être un bon bougre. Je pense
pouvoir dire que plusieurs centaines de personnes ont passé l'hiver grâce
à moi. Je n'y vois pas matière à orgueil: c'était
mon devoir...
Trois ans passèrent... Trois ans pendant lesquels Asgard resta fidèle
à lui-même, froid, hostile, distribuant ses richesses avec parcimonie
et les fléaux plus que généreusement. Et puis, un jour,
cela changea. Ce fut la guerre. Frigg, l'épouse de Seigneur Odin, et
Balder, son fils, se liguèrent contre notre dieu et lancèrent
leurs meilleurs combattants à l'assaut d'Asgard. Je vais cependant vous
étonner: je ne pris aucune part à la bataille cette fois-ci, ce
qui est aussi bien, car j'aurais très probablement refusé de me
battre. Comme je vous l'ai dit, je n'aime pas Asgard, et je n'aurais sans doute
pas levé le petit doigt pour le défendre.
D'ailleurs, personne ne porta l'armure du Serpent ce jour-là. La guerre
entre dieux du Nord éclatait après plus d'un millénaire
de paix, ce qui fait que de nombreux résidants en Asgard étaient
en fait des vassaux de Frigg ou de Balder. Ceux-là se mirent du côté
de l'envahisseur, ou voulurent observer une prudente neutralité en refusant
de se battre. Les guerriers divins du Serpent de Gamma, du Tigre de Dzeta et
du Loup d'Epsilon furent du nombre. Certains disaient même que le guerrier
du Loup était le propre frère de la jeune femme qui avait été
la cause de cette guerre idiote. Mais ce ne sont que des ragots sans intérêt.
En tout cas, ces malheureux furent très mal récompensés
de leur honnêteté: ils furent poursuivis, emprisonnés et
impitoyablement exécutés. Je parie que ni Siegfried, ni Hagen
ne vous ont raconté ces détails peu glorieux.
Enfin, toujours est-il que les forces d'Asgard réussirent tout de même
à repousser l'assaillant et que la paix revint. Il y eut bien encore
quelques escarmouches, auxquelles je participai sans hésiter cette fois,
car les troupes vaincues menaçaient de s'en prendre aux civils. Et puis
tout fut dit. Siegfried, Hagen et Albérich retrouvèrent leur place
au Palais. Mime retourna sur son domaine. Quant a moi, à l'instar de
tous les Asgardiens, je ne retrouvai plus que mes ennemis personnels, et invincibles
ceux-là: la faim, le froid, la maladie, la terre ingrate, les vents glacés,
le sol gelé, bref tous ces compagnons qui hantent la vie des plus démunis...
Je me permets de sauter encore quelques années sans interêt particulier.
L'éternel combat des plus pauvres pour la survie est en définitive
un refrain plutôt monotone. L'an dernier, Asgard connut son hiver le plus
rigoureux depuis bien longtemps. A ce que je me souvienne, ce fut le seul moment
où je connus la faim et des troubles de santé sérieux à
cause d'une pénurie de vitamines. Je ne me nourrissais plus que de racines
et de gibier, et même celui-ci se faisait de plus en plus rare. Pour les
gens modestes des environs, cet hiver était une véritable catastrophe,
et, souvent, des hommes apeurés venaient jusqu'à ma retraite quémander
mon aide.
Mon aide... Que pouvais-je faire? Comment pouvais-je les aider? Mais d'autre
part, pouvais-je réellement les décevoir, ces hommes et ces femmes
qui comptaient sur moi pour remplir leurs assiettes?
Un matin, je partis de très bonne heure en destination du sud. J'avais
avec moi tout mon attirail de chasse et de braconnage. Ce jour-là, j'avais
décidé d'aller vers les seul endroit susceptible d'accueillir
encore un peu de gibier: la forêt royale. C'était une entreprise
dangereuse. Cette forêt était beaucoup plus giboyeuse que les autres,
du fait du très petit nombre des personnes qui avaient le droit d'y chasser,
et elle était très bien gardée. Tant pis.
Quand je retournai chez moi, à deux jours de là, j'avais fait
bonne chasse. Je pus enfin donner aux plus pauvres la nourriture qui leur faisait
tant défaut.
Je renouvelai trois fois sans problème cette petite expédition.
La quatrième fois, en revanche, je fus repéré et pris en
chasse par une dizaine de gens du Palais. Ceux-ci étaient munis d'arcs
et de flèches et n'hésitèrent pas un seul instant à
faire usage de leurs armes. Je tentai de m'enfuir, bien évidemment, mais
je ne pus aller bien loin. Une flèche me transperça le bras, et
je me retrouvai vite encerclé par ces soldats tout sauf amicaux. Bien
sûr, j'aurais pu me battre, résister, mais cela aurait servi à
quoi, de toute façon? Mes petits larcins devaient finir là, un
point c'est tout.
C'est alors que se produisit l'incroyable. Une très jeune fille survint
et arrêta les gardes. Elle était richement vêtue et montée
sur un très beau cheval blanc... Et si ce n'était que cela...
Une aura extraordinaire émanait d'elle, faite de puissance et de bonté.
Je sus sans une hésitation que j'avais devant moi la jeune Hilda de Polaris,
la Grande Prêtresse d'Asgard.
La jeune fille, sans aucune crainte, descendit de cheval et vint vers moi. Et
puis, incroyablement, elle s'adressa à moi non comme à un vulgaire
voleur, mais comme à un ami. Elle me raconta qu'elle avait déjà
entendu parler de moi et qu'elle admirait mes initiatives pour sauver ces pauvres
gens pour lesquels elle-même ne pouvait rien faire. Et puis elle me prit
le bras et passa simplement sa main au dessus de ma blessure. Celle-ci se referma
toute seule..
A partir de ce jour, je n'eus plus aucun problème pour chasser dans la
forêt royale.
Aujourd'hui, je sais que je suis un des nouveaux élus. Que si une guerre éclate, c'est moi qui porterai la terrible armure divine du Serpent de Gamma. Si l'occasion se présente, je me battrai avec joie, non pas pour défendre cette contrée gelée, mais pour donner à mon pauvre peuple une chance, une seule, d'y échapper. Oui, je rêve de pouvoir les aider, grâce aux terribles haches de Phecda, à s'enfuir d'Asgard pour conquérir une terre du sud, une terre plus douce à la vie.