Chapitre VIII

 

Bon gré, mal gré, Aphrodite avait dû se plier aux exigences de Death Mask. Il s'était juré qu'une fois cette mission achevée, il lui ferait payer grandement toutes ses humiliations. Pour l'instant, il était en train de se battre avec cette fichue robe dans la salle de bain.

Quand au Cancer, il était en train de fixer sa montre, en espérant peut-être faire avancer les aguilles par la seule force de sa volonté. Si son collègue ne se dépêcher pas, ils seraient en retards. Ce qui serait vraiment mal vu a une réception telle que celle-ci… Au moment où il allait lui prier peu charitablement de se « bouger le cul », la porte s'ouvrit…et la réplique resta coincée dans la gorge de Death Mask.

Aphrodite venait d'apparaître dans l'encadrement, vêtu de la fameuse robe, qui faisait ressortir ses courbes… indubitablement féminines. Il avait relevé sa chevelure en chignon, laissant échapper quelques mèches bleuté se perdant dans son cou, sur ses épaules.

-Pourquoi tu me regarde comme ça ?

Death Mask avala sa salive avant de répondre.

-Tu es magnifique…

Surpris, Aphrodite haussa un sourcil, s'étant attendu a une remarque graveleuse, comme le Cancer en avait l'habitude.

-Merci… Toi, en revanche, tu ressemble a un mafioso.

-Tch.

Death Mask avait revêtu un costume d'une blancheur immaculé, contrastant avec sa peau couleur pain d'épice. Sa chevelure anthracite était plaqué vers l'arrière a grand renforts de gel afin d'en diminuer le volume.

Le Suédois était surpris de son choix. Il l'aurait plutôt vu porter du noir, du gris ou encore du bleu marine, mais du blanc… On aurait dit un démon qui tentait désespérément de se travestir en ange… A la cravate mal mise. Aphrodite tiqua, hésita quelques secondes, puis se rapprocha afin de l'ajuster correctement. C'était un pur réflexe, ayant pris l'habitude avec Shura dans les rares occasions où ils devaient s'habiller correctement.

-On dirait un vrai petit couple…

-Un mot de plus, et je t'étrangle avec.

Le Cancer ne réussit pas a réprimer son sourire mais s'abstint de tout commentaire. Enfin, ils furent tout deux prêt a partir.


Il y avait trop de bruits, trop de musique, trop de gens… Aphrodite ne se sentait pas a l'aise dans ce genre d'endroit. C'était a celui ou celle qui en mettrait plein la vue, a grands renforts de bijoux et de sourire tout aussi factif. Death Mask, lui, se sentait visiblement a sa place. Aphrodite devait le voir pour le croire… C'était une toute autre personne : charmante, distingué, limite maniéré…

-Mademoiselle ?

Aphrodite eut un temps de réaction, se souvenant alors que c'était lui la « demoiselle ». Il se retourna pour faire face a… Dimitri. Aussitôt, il lui adressa son plus beau sourire, avant d'aviser la coupe de champagne tendu vers lui. Il la saisit avec un bref remerciement, et commença a siroter la boisson.

-Pardonnez-moi, mais j'ai l'impression de vous avoir rencontré quelque part… Quel est votre prénom ?

-Gladys, s'entendit prononcer le Poisson. Et vous-même ?

-Dimitri Jacob.

L'homme lui fit un baise main impeccable, sans le quitter de son regard vert bouteille. Aphrodite frissonna au contact de ses doigts mais se contient. Cela lui fit penser qu'il réagissait ainsi pratiquement avec tout le monde sauf avec Shura, et de moins en moins avec Death Mask…

Sans doute avait-il finit par s'habituer a sa présence et a ses manières… Ce qui n'expliquait pas le trou dans le cœur qu'il ressentait chaque fois que le Cancer l'ignorait délibérément.

Aphrodite s'insulta mentalement. Il devait se concentrer sur sa mission, et le babillage incessant de son interlocuteur. Ce dernier lui faisait un résumé sur sa situation professionnelle et financière, en insistant sur certains détails qui devait le faire paraître comme un quinquagénaire sympathique, au portefeuille bien remplie et au cœur assurément libre.

Le Poisson le trouvait horripilant. Dimitri avait l'âge d'être son père, voir son grand père, il devrait avoir honte de son manège…

Lorsqu'il trempa ses lèvres dans la nouvelle coupe de champagne qu'on lui présenta, il sentit un drôle de goût. De l'alcool, certes, mélangé a une autre substance. Ce n'était pas du poison, mais comme un produit pharmaceu… Il comprit soudain que Dimitri tentait de le droguer.

Le Suédois se mit a sourire intérieurement. Quel dommage que cet homme ignorait qu'il avait a faire, non a une charmante jeune fille innocente, mais a un chevalier d'Athéna. Qui plus est, spécialement entraîné a détecté toutes sortes de poisons, et autre substances étranges mais tout aussi dangereuses. Profitant d'un instant d'inattention de son interlocuteur, Aphrodite échangea son verre lorsqu'un serveur passa avec un plateau. Mais il décida de jouer le jeu de Dimitri qui le regardait avec une certaine avidité, doublé d'impatience.

-Mademoiselle, vous allez bien ?

-Non, pas vraiment…

Aphrodite tentait de feindre un malaise, lorsque l'homme lui proposa de monter a l'étage afin de se reposer. Ce qu'il refusa d'abords, pour finalement accepter devant tant d'insistance.

Comme il l'avait prévu, à peine était-il allongé sur le lit, que les gestes de Dimitri, jusque là prévenants, se firent plus entreprenants.

-Vous savez… Quand je disais que vous me faisiez penser a quelqu'un, je ne mentais pas…

-Hmm ? Qui donc ?

Il devait se retenir pour ne pas lui claquer ses mains baladeuses.

-Il y a plusieurs années, j'ai rencontré une petite fille qui vous ressemblait beaucoup… La même chevelure, les mêmes yeux… Si elle est encore en vie, elle devrait avoir a peu prés votre âge.

Surpris, le Suédois le regarda. Il avait une impression très désagréable.

-Elle est…décédée ?

L'homme soupira, comme se rappelant un souvenir amer.

-Je ne sais pas. Elle vivait dans les bas-fonds de la Suède, où elle devait vraisemblablement moyenner ses charmes pour survivre… Tient, elle avait également un grain de beauté sous l'œil…

Il passa son pouce sur celui que possédait le Chevalier. Ce dernier ne put cette fois contenir un mouvement de recul, effaré. Dimitri le regarda quelques secondes, avant d'esquisser un large sourire plein d'espoir.

-C'est donc toi ?

-Non, je... Vous faites erreur.

-Des années se sont écoulées, mais je ne t'ai jamais vraiment oublié… Quel merveilleux hasard.

Aphrodite avait la gorge sèche, et les membres tétanisés par un étrange sentiment… Une peur enfantine qu'il n'avait pas ressentit depuis… cette fameuse période a laquelle l'homme faisait allusion. Le Suédois ne pouvait plus, et surtout, refuser de se souvenir de chaque personne qu'il avait « rencontrée » dans cet endroit sordide…

-Vous… Vous…

Un autre sentiment tentait de prendre le contrôle d'Aphrodite : une rage sourde et dévastatrice qui faisait trembler ses doigts et monter le rouge a ses joues.

-Comment… avez-vous pu… faire de telles choses… a des enfants…

Dimitri tenta de l'amadouer d'une voix caressante.

-Allons, allons… Ne me dis pas que tu avais oublié a quel point j'étais gentil avec toi ? Je te laissais des bons pourboires.

Aphrodite eut soudain un blanc. Sans vraiment s'en rendre compte, il saisit Dimitri a la gorge et le plaqua sur le lit. Il le fixa, les traits du visage crispés par la fureur.

-C'est a cause d'hommes que toi que je n'ai jamais pu m'accepter… Que j'ai vécu avec la peur et le dégout pendant si longtemps…

Il resserra son emprise, ne prêtant pas garde aux ongles de Dimitri qui s'enfoncé dans son poignet dans une tentative pour se libérer.

Aphrodite tenait entre ses doigts un morceau de son passé, qu'il n'avait jamais pu exorciser totalement. Ça le réveillé parfois la nuit, en nage, le cœur battant a tout rompre, pour finir par le recroqueviller sous les couvertures. Et si Dimitri payait pour tous les autres… Est-ce qu'il se sentirait mieux ?

Sous ses cuisses, le corps de l'homme continuait de s'agiter, s'accrochant désespérément a la réalité… Puis de moins en moins. Aphrodite pouvait observer les dernières lueurs de vie dans ses pupilles. Il s'en délectait presque.

Jusqu'à ce qu'une vive douleur lui brûle la joue. Il dû faire face au visage furieux du Chevalier du Cancer.

-Qu'est ce que tu fous ?! Hurla-t-il en l'agrippant par l'épaule pour le faire descendre de Dimitri, le jetant pratiquement a terre.

Aphrodite le regarda, quelques peu hébété.

-J'ai sentis ton aura meurtrière jusqu'en bas ! T'étais censé lui soutirer des infos pour que les autorités le coffre, pas le buter !

Death Mask se dirigea vers leur cible, afin de lui prendre le pouls. Il attendit quelques secondes, et constata qu'il était encore en vie. En temps normal, cela ne lui aurait fait ni chaud, ni froids, mais ce n'était pas leur but, et il n'avait pas envie de se prendre un savon par le Pope, de surcroit. Il regarda Aphrodite.

-Qu'est-ce qui t'as pris ?

-Il savait… Murmura Aphrodite.

-Quoi ?

Le Poisson se recroquevilla sur lui-même, ses bras entourant ses cuisses, le regard fixe. Lentement il porta une main a ses lèvres, pour se mordiller l'ongle du pouce.

-Il était là, il s'en souvient… Il ne m'a pas oublié… Pourquoi maintenant… Pourquoi lui… EXPLIQUE MOI POURQUOI ?

L'Italien s'agenouilla devant son collègue lui prenant le visage entre ses mains, le fixant, sans aucune animosité, mais avec un soupçon d'inquiétude.

-Je ne comprends rien a ce que tu racontes… Calmes-toi.

Ce qui était loin d'être facile pour le Chevalier du douzième temple. Roulant des yeux effarés, il tremblait de tous ses membres, et sa mâchoire devait lui faire mal a force de la crisper.

-Je veux partir… Je veux… partir… S'il te plait… Sinon, je… je…

Death Mask soupira.

-Je récupère ce qu'on est venus chercher, et on y va.

Il se dirigea vers l'homme toujours inconscient et entreprit de fouiller sa veste. Quelqu'un d'autres aurait laissé ses affaires au vestiaire prévu a cet effet, mais Dimitri n'était pas n'importe qui. Death Mask en extirpa son agenda, feuilleta les pages, trouva les renseignements dont il avait besoin, et nota le tout sur son propre carnet. Puis il remit l'agenda dans la poche intérieur.

-On lève le camp.


L'ambiance dans la chambre d'hôtel était pesante. Aphrodite s'était quelque peu calmé, mais l'angoisse se lisait toujours sur son visage. Par rapport a ce qui s'était passé, ou ce qui allait suivre ? Death Mask le gratifiant de temps a autre d'un regard passablement exaspéré.

Depuis leur retour, le Poisson n'avait pas desserré la mâchoire, ne répondant a aucunes des exclamations de l'Italien, se contenant de surveiller les recoins de la chambre, la porte et les fenêtres, dans la position typique de l'animal traqué.

La tasse de café se fissura lorsque le Cancer la reposa brusquement sur la table, faisant sursauter Aphrodite.

-J'en ai assez de ton mutisme, Aphro. Tu as faillis foutre la mission en l'air, alors j'exige des explications.

-Je n'ai rien a te di…

-Mon cul !

Death Mask se leva pour aller vers son collègue mais Aphrodite recula sur le matelas, jusqu'à ce que son dos bute contre la tête de lit. Il jeta un regards effrayé a son collègue, froissant la couverture de ses doigts, la déchirant presque, ce qui fit tiquer ce dernier. La nervosité du Poisson venait de monter de plusieurs crans, devenant quasi palpable.

-Bon sang… Me dis pas que c'est ce mec qui te met dans un état pareil ? …Tu le connaissais ?

-N-Non…

-Aphrodite !

Le Cancer voulu une nouvelle fois lui saisir le visage afin qu'il arrête de vouloir s'encastrer dans le mur, mais le Poisson échappa a son étreinte. Il réussit a le rattraper par le bras, et dans son élan, les fit tomber tout deux a terre. Aphrodite répliqua aussitôt par un violent coup de genou au niveau de l'estomac, ce qui fit grimacer Death Mask, sans toutefois lui faire relâcher la pression sur les poignets.

-Lâche-moi ! Je vous déteste tous ! Vous, les hommes ! JE VOUS HAIS !

-Arrête donc de te plaindre ! Et tu te prétends Chevalier ?!

Aphrodite plissa les yeux de colère.

-Je n'étais qu'une enfant ! Comment aurai-je pu faire quelque chose… Je n'étais qu'une gamine, jetée en pâture a ces hommes…

Aussitôt, le Poisson se mordilla les lèvres, se rendant compte qu'il en avait trop dis. Death Mask écarquilla les yeux de surprise, conscient que la conversation venait de prendre un tour imprévu.

-Minute… Tu veux dire que ce mec est un p…

-Ne dis rien. Ne rajoute rien… Je suis assez pathétique comme ça.

Aphrodite se dégagea enfin de son étreinte, et se redressa. Il ne voulait pas croiser le regard du Cancer, sûrement remplis de dégoût. Il se sentait sale, si sale…

Il ne valait déjà pas grand-chose pour Death Mask, il n'avait fait que d'en rajouter un peu plus en lui avouant a demi la raison pour laquelle il aurait voulu tuer Dimitri.

Le Suédois ferma les yeux, lui tournant le dos.

-Je comprends mieux pourquoi tu te travestis en garçon. C'est ta façon de te protéger…

Aphrodite serra les poings. Il avait l'impression que le Cancer lui faisait des reproches, mais le ton qu'il employait était dénué d'ironie, et surtout de pitié. Il frémit lorsqu'il le prit dans ses bras.

-Tu es un Chevalier, alors pourquoi tu devrai encore avoir peur d'un homme tel que Dimitri ? Tu ne pourra jamais changer ton passé, alors occupe toi un peu de ton présent…

Le Poisson se retourna et posa sa tête dans le creux de l'épaule de son collègue. Il soupira profondément.

-Je ne sais pas si tu tente de me réconforter mais… Merci.

Puis il se mit a pleurer tout doucement.

A suivre…