Chapitre IX

 

Pendant un court instant, Aphrodite avait cru se réveiller dans les bras de Shura. Mais l'odeur acre de tabac qui le prit a la gorge eut tôt fait de lui faire comprendre son erreur. De toutes les façons, les cosmos du Cancer et du Capricorne étaient bien trop différents. Le premier était sauvage et violent, telle une cascade qui jamais ne tarit, ne fait que redoubler d'ardeur. Le second, doux et mesuré, aussi paisible que la surface d'un lac…

Il se souvenait également d'avoir pleuré dans le creux de son épaule, se soulageant du poids qui avait pesé durant tant d'années sur ses épaules… Il devait hélas le reconnaître, Death Mask avait raison. Il devait arrêter de se lamenter sur les fantômes de son passé, car cela ne le rendait pas plus heureux, ni craindre le commun des mortels alors qu'il était un Chevalier d'Athéna. Enfin, cesser de se comporter comme l'enfant qu'il avait été, et qu'il n'est plus.

Aphrodite se risqua a ouvrir les yeux, pour constater que le Cancer dormait encore. Ses traits du visage étaient durs, crispés, jamais détendus, sauf lorsqu'il se moquait de quelqu'un. Alors un rictus étirer ses lèvres, et faisait frissonner son entourage, qui pensait instantanément aux masques qui avait jadis décorés son temple.

En voulant se lever, le Poisson constata qu'on le retenait par la taille, et qu'il était tellement serré contre le Cancer, qu'une feuille de papier n'aurait pu passer entre eux. Etrangement, cela ne le mit pas en colère, ne lui arracha même pas un soupir exaspéré. Il se contenta de lui attraper le bras, le soulever, pour le reposer sur le matelas, sans la moindre réaction de la part de son collègue. Ce dernier devait être suffisamment confiant envers Aphrodite pour baisser sa garde ainsi, ou alors il faisait très bien semblant de dormir.

Il devait également réfléchir sur le comportement de Death Mask qui le déstabilisait au plus haut point. Il avait agit envers lui de la façon la plus ignoble qui soit, le traitant pire que la dernière des catins, et tout d'un coup, il semblait se soucier de lui, lui donnant des conseils et… lui offrant une épaule sur laquelle pleurer. Enfin… Aphrodite ne lui avait pas vraiment laissé le choix, emporter par ses émotions du moment…

Mais ce qui était le plus étrange, c'est que l'Italien n'avait eu aucuns gestes déplacés. Le Poisson s'était peu a peu assoupis contre lui, puis il s'était réveiller ce matin, en portant encore ses vêtements de la veille.

Il ne s'était donc rien passé…

Aphrodite secoua doucement sa tête et décida de prendre une douche afin de se remettre les idées en place.

Mais une fois devant la baignoire, il changea d'avis en apercevant une bouteille coloré, et opta pour un bain moussant. Il aurait été dommage de ne pas profiter de ce genre de luxe avant de rentrer au Sanctuaire.

Il s'était a peine détendu dans l'eau, que la porte de la salle de bain s'ouvrit, laissant place au Cancer. Ce dernier se dirigea vers le lavabo, sans un mot, pour se passer de l'eau sur le visage afin de se réveiller.

-Tu aurai pu frapper avant d'entrer… Lui reprocha le Poisson.

Death Mask le regarda, comme surpris de le trouver là et eut un sifflement admiratif.

-Quel vision agréable au réveil…

Il évita de justesse une savonnette parfumé a la lavande, ce qui lui arracha un éclat de rire.

-J'ai pas fais attention, j'avoue… Je peux quand même me raser ?

Aphrodite soupira, haussa les épaules, et se coula un peu plus sous la mousse, faisant disparaître quelques parties de son anatomie. Même si son corps ne devait plus avoir de secret pour l'Italien, ce n'était pas une raison pour l'exposer davantage à son regard lubrique.

Il jeta un coup d'œil vers son collègue qui commençait sa toilette, et en profita pour le détailler un peu plus attentivement, n'ayant rien de mieux a faire, sa tranquillité brisé.

Death Mask avait des traits typiquement méditerranéens, fins quoique taillés à la serpe. Une chevelure anthracite abondante, rejeté vers l'arrière, dont quelques mèches lui caresser le front, les joues, et le cou. Des grandes mains aux ongles bien dessinés, coupables d'un certain nombre d'atrocités, mais incroyablement douces au toucher. Et comme la plupart de ses collègues, il avait une stature imposante, altière, à la musculature finement ciselé, parsemé de quelques cicatrices. Sur son épiderme pain d'épice, elles ressortaient en fines lignes blanche.

Le Poisson se surprit a se demander si sa peau en avait autant le goût que la couleur… Il en rougit fortement, ce qui n'échappa point au regard acéré du Cancer.

-Je te fais de l'effet, on dirait…

-P-Pas du tout !

Aphrodite ne pouvait s'enfoncer davantage dans la baignoire, la mouse lui effleurant a peine le cou, mais il aurait bien aimé. Comme a chaque fois que Death Mask le regardait, il se sentait mal a l'aise, tout en ayant l'envie de lui rectifier le portrait, façon puzzle. Sauf que cette fois çi, c'était légèrement différent… Sous son regards rubis, il ressentait une drôle de sensation dans le ventre, comme des sortes de chatouillis, et s'il n'était pas allongé a ce moment là, ses jambes auraient eut du mal a le soutenir. Son cœur manqua un battement lorsqu'il s'aperçut que le Cancer venait de prendre place sur le rebord de la baignoire, le fixant encore et toujours, un vague sourire étirant ses lèvres.

-C'est quoi ton type de mec, alors ?

Le Poisson battit des paupières, le temps de bien saisir la question.

-Qu'est ce que ca peux bien te faire ?

-Je suis curieux, c'est tout.

Death Mask passa un doigt le long de l'email, faisant crisser son ongle, arrachant une grimace a son collègue.

-Arrête ça… Les hommes ne m'intéressent pas, je te l'ai dit…

-Faux. Tu m'as dis en avoir peur, les haïr… Mais tu aimes bien taper un brin de causette avec le Glaçon, prendre le thé avec le Mû-ton*, et surtout…faire des mamours a l'autre bouquetin.

Aphrodite ne se contenta pas de rougir une nouvelle fois, il manqua d'avaler une grande tasse d'eau savonneuse. Il toussa durant quelques instants, avant de décocher un regard mi-furieux, mi-incrédule au Crabe le plus stupide de la création.

-Shura est mon meilleur ami ! Je n'ai absolument pas de vu sur lui !

-Mais oui, bien sûr…

-C'est vrai ! Contrairement a toi, je ne saute pas sur tout ce qui bouge !

Death Mask haussa les épaules, visiblement flatté du compliment, qui n'en était pourtant pas un.

-Admettons. En tout cas, lui, il te dévore du regard…

Beaucoup trop troublé et en colère, le Suédois ne releva pas le ton légèrement aigri que son collègue venait d'employer. Il prit un air pincé, hautain.

-On est attachés l'un a l'autre, autant que des frères…

-…et des sœurs…

Le Poisson frappa l'eau du poing, envoyant quelques gouttelettes sur l'Italien.

-Tu as très bien compris ce que je voulais dire.

Death Mask recommença alors a jouer avec l'email et les nerfs d'Aphrodite. Ce dernier n'eut d'autre choix que de lui attraper le poignet afin de le faire cesser. Il enfonça quelques peu ses ongles dans sa chair, lui faisant comprendre qu'il commençait a dépasser les limites.

Mais autant vouloir faire apprendre les rudiments du calcul a un pit-bull…

-Shura est très prévenant avec moi… Il est gentil, sincère… Bref, tout le contraire de toi.

Aphrodite insista bien sur la dernière phrase, et eut le plaisir de constater un profonds agacement poindre chez le Cancer. Ce dernier venait d'ailleurs de récupérer son poignet, et en profita pour saisir les doigts de son collègue entre les siens.

-Continue. ? Je suis pas totalement convaincu là.

Il déposa des petits baisers sur le bout des doigts, les phalanges, la paume de la main. Le Poisson voulu échapper a son contact, quand il sentit des frissons, loin d'être désagréables, lui remonter le long de la colonne vertébrale.

-Il… Il a toujours été là pour moi…

Death Mask ne le regarda pas, continuant son troublant manège. Aphrodite ravala difficilement sa salive, cherchant ses mots. Il ne comprenait pas pourquoi cela lui faisait un effet pareil… Alors qu'il savait pertinemment que le Cancer se jouait de lui.

-Shura a toujours été là pour moi… dans les moments difficiles. Je sais…Je sais que je pourrai toujours compter sur lui…

Il sentit, plus qu'il ne le vit, les lèvres de l'Italien continuer leur chemin sur sa peau, le long de son poignet, de son bras…se rapprochant inexorablement, dangereusement, de son visage.

-C'est quelqu'un de très important pour moi…

Sa voix n'était guère plus qu'un murmure, lorsqu'ils se retrouvèrent face a face. Le Cancer daigna enfin le regarder, une lueur indéfinissable dans les yeux. De son souffle, il caressa les lèvres d'Aphrodite, avant de reprendre la parole, d'un ton a peine plus élevé que le sien.

-En tant qu'ami, hein ?

-O-Oui…

Il avait répondu, plus par automatisme qu'autre chose, profondément troublé par leur proximité pourtant loin d'être nouvelle. Mais différente. Sensiblement différente.

Et il ne lui avait toujours pas lâché la main…Et sa voix était tellement moins méprisante… Doucement, contrastant avec sa violence habituelle, Death Mask l'embrassa. Aphrodite ressentit comme un petit choc électrique, manquant de le faire reculer…Mais il n'en fit rien. Les yeux grands ouverts, il regardait le Cancer qu'il avait clos les siens. L'une des mains était venue se perdre dans sa chevelure bleutée, se frayant un chemin vers sa nuque, pour la soutenir.

C'est lorsqu'il voulu approfondir le baiser, qu'Aphrodite sembla reprendre ses esprits et, les deux mains posés sur le torse de son collègue, l'obligea a reculer, tandis qu'il détournait la tête.

-Stop...Arrête…

Le rouge encore aux joues, la respiration quelques peu haletante, il s'obligea a se calmer.

Surpris, le Cancer haussa un sourcil.

-Un problème ?

Le Poisson le regarda.

-Ce n'est pas parce que je t'ai dévoilé une partie de mon passé, de mes faiblesses, qu'il faut en profiter….

-Aphrodite….

-Non.

Le Suédois secoua la tête, honteux, mais sans aucunes colère. Death Mask avait tout simplement profité d'une brèche, comme a son habitude. Il fallait que cela cesse, une bonne fois pour toute. Aphrodite ne voulait plus jamais laisser un homme faire ce qu'il voulait de lui. Il devait aller de l'avant ? Alors autant commencer tout de suite.

-Sois gentil, Death Mask, laisse-moi terminer mon bain tranquillement.

Sans attendre de réponse, il attrapa la bouteille de shampoing et entreprit de se frictionner la tête. Le Cancer, qui ne devait pas s'attendre a ce soudain volte-face, mis quelques secondes a réagir, avant de recommencer a sourire. A genoux, le coude négligemment posé sur le rebord, il regarda Aphrodite se laver, sans faire mine de partir.

-Death…

-Je peux au moins te regarder, tu vas pas fondre…

Aphrodite le fixa un petit moment. Puis, c'est d'une voix ferme qu'il lui annonça sa décision.

-Je ne suis pas prêt d'oublier tout ce que tu m'as fait. Je ne suis même pas certain de pouvoir te pardonner un jour. Mais si tu insiste tellement… Mérite-moi.

L'Italien cligna des yeux devant l'ultimatum.

-Quoi ?

Aphrodite esquissa a son tour un sourire.

-Tu m'as bien compris. Je ne suis plus ton jouet que tu pouvais utiliser a ta guise. Dorénavant, si tu veux obtenir mes faveurs, débrouille-toi autrement. Mais je ne me plierai plus jamais a tes caprices.

Le Cancer se redressa, songeur, tout en se grattant machinalement le menton. Il fallut attendre quelques instants avant qu'il ne réplique avec un large sourire.

-Ca me plait. Ca va mettre un peu de piment…

Il se retourna pour prendre la porte, mais au moment de la refermer, passa une tête chafouine.

-Par contre, niveau concurrence… Si c'est la chèvre, j'ai vraiment rien a craindre.

-DEHORS !

Death Mask referma la porte avec un grand éclat de rire. Il n'eut donc pas le plaisir de revoir Aphrodite avec une belle couleur cramoisi. Ce dernier soupira profondément, se laissant couler dans le bain, la pression retombant.

Il avait réussit. Enfin, il avait pu faire face a Death Mask, il l'avait même défié. Minute…Il avait… QUOI ? Il se prit la tête entre ses mains et jura tout bas.

Qu'est ce qu'il avait encore fait ?! … Cette fois, c'est sûr, s'il l'apprenait, Shura allait vraiment lui faire la gueule, avant de s'occuper de celle de l'Italien.

A l'unique fenêtre de leurs chambre, Death Mask s'alluma une cigarette, bien plus joyeux qu'il ne l'avait été depuis longtemps. A vrai dire, depuis qu'il avait commencé a taquiner la poiscaille, il s'amusait beaucoup. Vraiment beaucoup.

Même s'il doutait que Shura fasse un rival sérieux, il devait se méfier de leurs années d'amitiés. Cela pouvait peser dans la balance. Death Mask était malheureusement un très mauvais perdant.

Il expira la fumée, contempla les volutes qu'elles formèrent, tout en méditant sur ce que lui avait avoué Aphrodite a demi mots. Il ne pouvait dire s'il ressentait de la peine envers lui, c'était un concept qui lui était trop étranger, mais il était impressionné. Il avait l'impression qu'on avait beau piétiné le Poisson, l'humilié, il s'en sortirait toujours plus grandit.

Ce genre de caractère plaisait au Cancer. Même un peu plus qu'il ne voulait se l'avouer.

A suivre….