CHAPITRE VII : De partout dans le monde.
3ième Partie : Doutes et questions.
Transylvanie, juillet 1969
-Attention Jason, derrière toi ! , cria Diomède à son
compagnon.
Le chevalier d’argent de la Carène était un vétéran
habitué au combat et il réagit donc presque instantanément
à l’avertissement. Mais cela se révéla malgré
tout insuffisant... Leur adversaire venait de jaillir de l’ombre à
une vitesse telle que Diomède ne voyait presque qu’une tache floue:
il se jeta les deux pieds en avant sur Jason qui prit le coup de plein fouet.
L’attaque avait été portée avec une force inhumaine
: le chevalier d’argent fut projeté vers la nef de la petite église,
percuta le mur et le transperça comme s’il était en papier.
-Jason ! , cria encore le chevalier Pégase.
L’homme qu’ils avaient poursuivi jusqu’à cette petite
église isolée se tourna alors vers lui et Diomède se concentra
sur le combat qui l’attendait : il serait toujours à temps de s’inquiéter
de son ami plus tard. Son adversaire était vêtu d’habits
en loque et était d’une crasse terrifiante. Ses cheveux hirsutes
et son visage livide étaient couverts de terre, tandis que ses yeux luisaient
d’un rouge malsain dans la pénombre. Les deux adversaires se jaugèrent
dans un silence seulement troublé par le bruit de la pluie torrentielle
qui s’abattait sur la toiture. Diomède avait pu juger la force
de l’homme et en avait conclu qu’il risquait d’être
en grande difficulté. Il décida donc d’attaquer directement
avec son meilleur coup et jeta sa torche au loin en se mettant en garde.
-PAR LA CHARGE AILEE ! , hurla-t-il en faisant exploser son cosmos. Son aura
prit la forme du mythique Pégase puis se concentra dans son poing avant
de se libérer sous la forme d’un rayon d’énergie destructeur
qui fendit l’air à une vitesse approchant Mach 1.5. L’homme
ne bougea même pas de la trajectoire et se contenta de frapper de son
poing la projection d’énergie. Le flux destructeur fut dévié
vers le toit qui fut vaporisé au point d’impact, à la verticale
de Diomède. Le plafond s’effondra en partie sur le chevalier de
bronze qui fut obligé de s’écarter en toute hâte afin
d’éviter d’être pris sous les débris.
La lumière blafarde de la Lune pénétra alors par l’ouverture,
ses rayons filtrant à travers le nuage de poussière soulevé
par les dégâts tandis que la pluie s’engouffrait par l’ouverture.
-Faible étranger… Maintenant tu vas mourir…
L’homme souriait, découvrant des dents limées en pointes.
-Tu devras d’abord te battre avec moi !, intervint une voix.
-Jason ! Ca va ?
Jason était en train de franchir le trou qu’il avait percé
bien malgré lui.
Il était à présent presque aussi sale que leur adversaire
: son armure, dont le plastron s’effritait légèrement au
niveau des points d’impact, était couverte de boue ainsi que ses
longs cheveux verts plaqués sur son front et ses épaules.
-Ca ira, répondit le chevalier d’argent en essuyant le sang qui
avait coulé de sa bouche.
-Très bien… Tu mourras en premier… , dit l’homme en
se tournant vers Jason.
-Pff… Le jour où je serai incapable d’abattre un assassin
dans ton genre d’une seul coup sera le jour où il faudra que je
raccroche définitivement mon armure. Mais ce jour n’est pas encore
venu.
L’homme fonça sur le chevalier d’argent à une vitesse
telle qu’il disparut un instant à la vue de Diomède. Il
avait tenté de frapper le chevalier d’argent au visage mais celui-ci
avait bloqué le coup en attrapant le poing de l’homme dans sa main.
-Hum, presque Mach 4 ! Pas mal. Un an en arrière, ce coup m’aurait
sans doute atteint. Mais pour ton malheur, mon ami et moi avons pas mal progressé
ces derniers temps.
Jason lâcha sa prise pour éviter un coup de pied d’un petit
saut en arrière.
-Tu n’as rien d’intéressant à dire avant de mourir,
j’imagine ?
L’homme poussa un cri presque animal en se jetant sur son adversaire.
-Tant pis pour la postérité alors ! SHIP OF HEROES ! , hurla Jason
en faisant exploser son cosmos.
Le cosmos du chevalier de la carène prit la forme d’un navire de
lumière et la force des héros légendaires du navire Argo
se déversa en lui. Une vague d’énergie multicolore déchira
alors l’air à plus de six fois la vitesse du son.
Le coup atteignit l’homme au niveau du bassin et le coupa littéralement
en deux. Du sang et des viscères giclèrent sur les murs et dans
presque toute l’église puis deux moitiés de chairs flasques
tombèrent à dix mètres l’une de l’autre.
-Et bien tu n’y es pas allé avec le dos de la cuillère !
, commenta Diomède, un peu écœuré par le spectacle
morbide qui s’offrait à lui.
-Je pensais qu’il était un peu plus robuste, s’excusa presque
le chevalier d’argent devant le carnage. Bon et maintenant ? Je suis censé
le brûler ou autre chose ?
* * * * * * * * * * * * * *
Le jour s’était levé sur le petit village isolé.
S’il restait en plusieurs endroits des traces de la nuit plutôt
agitée qui avait précédé, les habitants du village
étaient ressorti de chez eux et venaient saluer brièvement, souvent
d’un simple geste de la main, les quatre chevaliers d’Athéna
qui patientait devant la maison du médecin, assis sur leurs boites de
Pandore.
En effet, si Diomède et Jason avaient fait face à l’adversaire
le plus redoutable, Bélial du Fourneau avait reçu un mauvais coup
qui lui avait apparemment brisé trois côtes. En attendant que leur
compagnon reçoive les meilleurs soins possibles dans un tel endroit coupé
du monde, les chevaliers recevaient les marques de gratitudes sommaires des
autochtones avec des sourires.
-Quand nous sommes arrivés c’est à peine s’ils ne
nous jetaient pas des pierres… , commenta Bayer du Toucan.
-Et ils nous avaient dénoncé d’entrée de jeu à
la Securitate… , compléta Diomède.
-Maintenant ils nous montrent leurs dents noircies et nous font des signes de
la main, il y a donc du mieux. Mais bon, c’est vrai que tout cela manque
un peu d’effusions… , observa Bayer.
-Apparemment ils n’ont pas prévu de nous faire la fête pendant
une semaine… Ce village de Haïti avait su nous remercier avec…
chaleur… du fait que nous nous étions occupé de ce sorcier
et de ses non-morts… , dit Diomède d’un ton mélancolique.
-En effet, pas de natives dansant à demi nues cette fois-ci, coupa Jason.
Tu ne vas pas pouvoir laisser de nouvelles conquêtes derrière toi…
-Pfff… , fit Diomède.
-Enfin c’est déjà mieux que lors de notre escapade dans
ce patelin de fous furieux au Massachusetts… , observa Jacob de la Girafe
qui était le cadet du groupe.
-J’essaie vraiment d’oublier cet épisode, dit Diomède.
Déjà, on a manqué d’y laisser notre peau en combattant
ces horreurs oubliées et on a failli se faire embrocher à coup
de fourches…
-En tout cas toujours pas l’ombre d’un chevalier noir, ajouta Jacob
qui venait de serrer la main à un villageois un peu plus chaleureux que
les autres.
-Oui, voilà un an et demi qu’on est sur cette mission et j’ai
l’impression que l’on ne l’a toujours pas commencé,
maugréa Bayer. Toutes les pistes sur lesquelles on nous envoie débouchent
toujours sur des histoires à dormir debout qui n’ont rien à
voir…
-A croire que le Sanctuaire n’a pas la moindre idée de l’endroit
où ils sont partis… Peut-être que le Pope profite juste d’avoir
notre groupe à disposition pour nous envoyer régler tous les problèmes
qui se présentent en attendant d’avoir une vraie piste, proposa
Diomède.
-Personnellement je suis ravi de cette année et demi, dit Jason.
Les trois autres chevaliers regardèrent leur aîné avec surprise.
-Je suis devenu chevalier pour protéger les innocents et faire de ce
monde un endroit meilleur. C’était ma vision idéaliste des
choses quand j’étais gamin... Pendant des années je suis
resté au domaine sacré à assurer l’entraînement
des apprentis car nos rangs étaient trop clairsemés et que l’on
avait besoin de tout le monde pour préparer la future Guerre Sainte.
Guerre Sainte à laquelle je ne participerai sûrement pas. Mon rêve
d’enfant je le réalise enfin depuis que notre mission a commencé.
Je suis un chevalier relativement âgé, je n’aurais sans doute
plus d’autre occasion d’accomplir ma tâche. Si le Pope veut
nous envoyer à travers le monde pendant encore deux ans pour combattre
le mal sous toutes ses formes et bien… cela me conviendra parfaitement!
-C’est vrai, convint Diomède. Par rapport à toutes ces années
au sanctuaire, je me sens vraiment utile. Et bon, si avant je pensais que tous
les chevaliers d’argent étaient des êtres arrogants totalement
imbus de leur personne, ce long voyage m’aura permis de relativiser cette
opinion.
-Et moi je me suis rendu compte que certains chevaliers de bronze valaient un
peu mieux que des vers de terre… , ajouta Jacob en faisant un clin d’œil
au chevalier Pégase.
Belial sortit finalement de la demeure du médecin et alla s’asseoir
à côté de ses amis. Ils discutèrent encore un moment,
jusqu’à ce que le dernier membre de leur petit groupe, Mirfak de
Persée, les rejoigne.
-Il y a du nouveau, annonça-t-il. Notre contact de Bucarest nous a fait
parvenir un message.
-Qu’est-ce que ça raconte ? , demanda Diomède. Une nouvelle
piste ? On a filmé des types en armure noire qui courraient sur la Lune
?
-Pas vraiment. Un problème en Norvège où un lunatique vient
de se déclarer « grand prêtre du seigneur Loki » et
a déclaré l’indépendance d’une région
isolée. L’affaire a été couverte et le Grand Pope
s’est arrangé pour que les forces armées conventionnelles
n’interviennent pas. Bref c’est à nous de jouer, nous sommes
mandatés pour régler le problème.
-Tout un programme ! , commenta Bayer d’un ton sarcastique.
Une dimension étrange, juillet 1969
-Je crois que c’est mon endroit préféré, dit Akiera
à son fils. La Terre est riche de splendeurs, j’en ai vu une bonne
partie, mais nulle part je n’ai observé de spectacle équivalent.
-C’est… pas réel, dit le gamin émerveillé.
La vision qui s’offrait à l’enfant et à l’adulte
sortait en effet des sentiers battus. Ils étaient dans une dimension
folklorique qu’Akiera avait découverte quelques années plus
tôt. Plus précisément, ils étaient assis sur le dos
d’une sorte de baleine translucide : la créature flottait dans
l’espace, se déplaçant dans le vide cosmique séparant
deux planètes jumelles. La matière qui la composait luisait d’une
teinte légèrement orangée et l’on voyait ses organes
internes et les étoiles par transparence. Tout autour d’eux des
milliers de créatures semblables se déplaçaient dans la
même direction. Akiera tenait son fils serré contre lui, afin d’éviter
que ce dernier ne sorte de la bulle d’air que ses pouvoirs maintenaient
autour d’eux.
-Je les entends… , murmura l’enfant. Elles chantent, c’est
si beau ! Mais c’est bizarre, c’est comme si c’était
dans ma tête.
-C’est le cas : ces créatures sont télépathes. Il
n’y a pas d’air autour de nous et le son ne pourrait donc pas se
propager si elles chantaient de façon ordinaire.
-S’il n’y a pas d’air… Qu’est-ce qu’elle
brasse, demanda-t-il en désignant le mouvement des nageoires de la créature.
-Je me suis déjà posé la même question et je n’ai
pas la réponse… Les photons, peut-être.
Aphrodite sembla réfléchir un moment en se concentrant sur les
chants.
-J’ai l’impression qu’elles se répondent les unes aux
autres, comme si elles se parlaient.
L’ancien chevalier d’or hocha la tête.
-Oui, je crois qu’elles sont intelligentes et que ces chants sont en fait
leurs conversations.
-De quoi parlent-elles ?
-Peut-être de philosophie, du sens de la vie ou du fait que ces deux petites
créatures roses sont enquiquinantes… Surtout le petit avec toutes
ses questions !
Le garçon fit la moue et se contenta de regarder le spectacle.
-Où est-ce qu’elles vont ? , demanda-t-il finalement quand il estima
que la taquinerie de son père était oubliée.
-Là encore, je ne sais pas vraiment… Elles volent de planétoïde
en planétoïde sans raison apparente. Chaque fois qu’elles
arrivent à proximité d’un corps céleste elles se
laissent dériver en orbite pendant un certain temps puis elles repartent.
-Elles se déplacent pour chercher de quoi se nourrir ?
Akiera hocha de la tête.
-Je n’ai jamais vu d’autres formes de vie dans ce continuum. Enfin
si, en fait on doit pouvoir trouver les quelques personnes qui m’avaient
agacé et que j’ai envoyées réfléchir sur le
sens de la vie ici. Elles doivent encore flotter, quelque part…
Le jeune garçon regarda son père avec de gros yeux.
-Attends, j’aurais pu être moins gentil, au moins il y a du spectacle
ici !
Le garçon hésita un moment puis finalement il sourit avec un air
de connivence.
-Tu me fais marcher, pas vrai ?
Akiera regarda son fils un moment puis éclata de rire.
-Tu grandis, ça devient difficile de t’avoir !
Le garçon prit un air satisfait, fier d’avoir percé à
jour son père. Pendant ce temps ce dernier songeait que si jamais il
venait à croiser un squelette dans le vide, cela pourrait faire désordre…
-Bref, elles ne cherchent pas de quoi manger, reprit-il. Je pense qu’elles
se « nourrissent » de rayons cosmiques. Donc tout ce qu’elles
ont à faire c’est à se balader dans l’espace en chantant.
Je pense que cela doit être assez plaisant comme existence.
Leur « monture » commença à ralentir le mouvement
de ses nageoires puis le cessa totalement, imité par le reste du ban.
Aphrodite n’avait pas de repère, mais il avait l’impression
qu’ils étaient à présent parfaitement immobiles.
-On s’est arrêté ?
-J’en ai l’impression…
-Pourquoi ?
Akiera sembla réfléchir un moment puis se concentra en fermant
les yeux.
-Je crois que nous sommes au point de Lagrange…, finit-il par dire.
Le garçon le regarda sans comprendre.
-L’attraction de chacune des deux planètes se compensent parfaitement
à l’endroit où nous sommes. Jusqu’à présent
elles utilisaient leurs nageoires pour échapper à l’attraction
de la première planète. Si elles donnent un nouveau coup vers
l’avant elles seront attirées par la prochaine planète et
n’auront plus qu’à se laisser porter. Elles sont suspendues
à mi-chemin de leur périple.
-Elles vont rester ici longtemps ?
Akiera ne répondit pas et regarda autour d’eux. Les chants s’étaient
arrêtés.
-Il se passe quelque-chose, dit-il simplement.
Les baleines cosmiques bougèrent en effet dans un mouvement parfaitement
coordonné et fluide afin de former une gigantesque sphère. Une
créature occupait le centre de la structure géométrique
vivante. Elle émettait une lueur orangée semblable à celle
de leur monture, mais beaucoup plus faible que celle de ses congénères
et paraissait faiblir à vue d’œil. Akiera et son fils comprirent
ce que cela signifiait : la créature était soit malade soit trop
âgée.
-Elle est en train de s’éteindre petit à petit, dit le garçon.
Comme moi…
Akiera serra les dents. Quelle idée avait-il eu d’emmener son fils
ici ?
La lueur de la créature disparut totalement. L’assemblée
commença alors un chant funèbre aussi magnifique que poignant.
Akiera sentit son fils enflammer son cosmos, une aura bleutée se formant
autour de son corps.
-Qu’est-ce que tu fais ? , s’inquiéta l’ancien chevalier.
-Je participe, répondit simplement l’enfant.
Des centaines de roses rouges, blanches et noires se matérialisèrent
autour du corps sans vie de l’extravagante créature, formant un
linceul coloré.
-Aphrodite… , souffla son père inquiet d’une éventuelle
réaction des baleines.
Mais le chant mortuaire se prolongea de longues minutes, sans que les créatures
ne semblent remarquer quoi que ce soit. Finalement le silence se refit et les
créatures se replacèrent dans leur formation initiale.
-Merci…
Akiera et Aphrodite sursautèrent lorsque cette pensée parfaitement
claire et compréhensible les atteignit.
-Quand je disais qu’elles étaient sûrement intelligentes…
, murmura l’adulte.
-Désolé je sais pas les faire durer plus longtemps, s’excusa
l’enfant en utilisant la communication cosmique.
Les roses qu’il avait créés étaient en effet en train
de se dissiper, devenant progressivement floues comme des mirages.
-Méfiez-vous… IL revient… Et avec Lui… La fin…
Akiera sursauta à nouveau quand ces pensées lui parvinrent. Il
regarda son fils mais celui-ci n’avait pas réagi, comme s’il
n’avait pas entendu.
-Qui IL ?, demanda l’ancien chevalier avec son cosmos. Mais les
créatures avaient repris leurs chants et il n’eut aucune réponse.
L’enfant s’aperçut néanmoins que quelque chose clochait
en sentant la crispation de son père. Il lui lança un regard interrogateur.
-Il est temps de rentrer, notre réserve d’air s’épuise,
dit simplement Akiera.
L’enfant et l’adulte restèrent silencieux le temps qu’Akiera
ouvre le passage dimensionnel qui les ramènerait sur Terre. Ils en émergèrent
sur une petite colline située à quelques centaines de mètres
de leur chalet.
-Tu pourrais m’apprendre à faire ce genre de porte ? , demanda
le garçon tandis que la faille du réel se résorbait.
-On pourrait essayer mais tu aurais certainement du mal à égaler
ma maîtrise dans le domaine, et je dis cela sans la moindre prétention.
Chaque chevalier naît avec un cosmos qui lui est propre et qui le prédispose
à maîtriser les arcanes correspondant à sa constellation.
Moi par exemple je serais certainement bien incapable de matérialiser
une seule de tes roses, même si je m’entraînais pendant des
années et des années pour le faire. La façon dont tu les
crées à partir de rien en transformant ton cosmos immatériel
en matière organique… La manière que tu as de modifier leur
composition chimique pour les rendre mortelles… Cela dépasse totalement
mes capacités et même ma compréhension. Je n’ai d’ailleurs
jamais vu quiconque réaliser une prouesse comparable.
Le garçon regarda son père avec une certaine incrédulité.
-Non, je n’ai pas la moindre idée de la façon dont tu procèdes
! D’ailleurs si je n’avais pas les mémoires de tes prédécesseurs
pour m’orienter dans ta formation… Tout ce que je fais, finalement,
c’est t’aider à ressentir ton cosmos et à l’apprivoiser.
Mais c’est un don exceptionnel que tu as là, celui de créer
la vie…
-Oui mais elles s’en vont tout de suite ou presque…
-Il te manque encore l’ultime cosmos pour pouvoir plier à ta volonté
les quelques dernières lois physiques qui t’empêchent d’aller
au bout de ton pouvoir…
-J’en aurai pas le temps… , dit Aphrodite.
-Ne dis pas ça !
Akiera avait hurlé mais le garçon n’avait même pas
bronché. Akiera s’était rendu compte depuis quelques semaines
seulement que son fils était au courant de sa maladie. L’enfant
n’avait pas voulu dire depuis quand il le savait mais Akiera soupçonnait
que cela remontait à de nombreux mois. Sans doute dès qu’Aphrodite
avait suffisamment bien maîtrisé son cosmos et ses nouvelles perceptions
pour comprendre pourquoi son père passait plusieurs heures par jour à
déployer son cosmos doré sur lui. Il avait ressenti le combat
perdu d’avance que menait Akiera pour ralentir la progression du mal.
-Tu as la force nécessaire en toi, continua Akiera. Une force qui te
distingue du reste de l’humanité, qui fait de toi un être
exceptionnel.
-Mais ma maladie…
-Elle n’est rien par rapport à la puissance qui sommeille en toi
et qui ne demande qu’à exploser. Ceci n’est qu’une
épreuve du destin, j’en suis sûr. En ce bas monde, seuls
les forts survivent : en battant la mort elle-même tu prouveras de façon
indiscutable que tu es digne de faire partie de l’élite de la chevalerie
d’Athéna.
Le garçon sembla ne pas comprendre les paroles de son père.
-Athéna, puisses-tu nous accorder le temps dont nous avons besoin…,
pensa Akiera.
Athènes, août 1969
-Tu sembles songeur, mon fils, dit Patrocle à Aioros.
Ils étaient dans les rues de la capitale grecque et revenaient du marché
où ils avaient fait des courses pour le déjeuner. Aioros avait
troqué la tenue antique qu’il portait dans l’enceinte du
Sanctuaire contre un ensemble sandale, short, t-shirt. Son père quant
à lui portait un pantalon de toile et une chemise blanche largement ouverte.
-Fatigué plutôt, répondit le garçon.
-Toujours ces cauchemars ?
-Oui, les mêmes songes qui me hantent nuit après nuit depuis si
longtemps déjà… Toujours ces mêmes images de guerres,
de combats fratricides, d’amis tuant des amis… Toujours ce sentiment
oppressant d’inéluctabilité, que le temps m’échappe…
-Personne au Sanctuaire n’a pu t’aider à comprendre ces rêves,
leur raison et leur signification ?
-Praesepe a essayé d’analyser ce que je lui racontais, mais il
ne leur a pas trouvé de sens.
-Il pense toujours que c’est une séquelle de ton combat à
Babylone ?
-C’est ce que je pense moi, en fait. Et comme il n’a pas de meilleures
explications…
-Je ne sais pas si tu le sais mais lorsque j’avais été blessé
par ton oncle, voilà de ça de (si) nombreuses années, je
m’étais rendu sur l’île de Canon. Les chevaliers blessés
vont régénérer leurs forces là-bas depuis les temps
mythologiques. D’ailleurs quand j’y repense, cela avait été
un bien grand honneur qui m’avait été fait, moi un apprenti
raté, que de m’autoriser à me rendre en ce refuge sacré
et béni par notre déesse. Alors, certes, les fumées du
volcan sont censées guérir les blessures physiques… Mais
après tout, qui, aujourd’hui, peut dire avec certitude quelle était
la limite de la bénédiction d’Athéna ?
Le garçon réfléchit puis acquiesça d’un hochement
de tête.
-Je ne risque en effet pas grand-chose à aller là-bas… Il
faudra juste que je demande au Grand Pope l’autorisation de m’absenter
du domaine sacré.
-Il te la donnera, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais changeons
de sujet et parlons de choses plus agréables… Ton frère
attend cette journée depuis longtemps, tu sais. Il t’adore : tu
devrais venir le voir plus souvent.
-Oui, je sais. Mais entre mes entraînements et ma charge de garde dans
la maison du Sagittaire, je n’ai vraiment pas beaucoup de temps à
moi. En outre, peut-être un jour le verrai-je trop souvent à votre
goût, à toi et maman.
-Que veux-tu dire ?
Patrocle regardait son fils avec perplexité. Celui-ci, tout en continuant
à marcher, se mordait la lèvre inférieure avec un air contrarié…
-Soit tu n’en a pas assez dit… , commença l’adulte.
-…soit j’en ai trop dit, finit le garçon.
-Tout à fait. Et maintenant il va falloir finir !
Aioros s’arrêta et se tourna vers son père.
-Je t’ai dit que je pouvais voir les cosmos des gens, les peser et les
évaluer.
-Oui tu me l’as dit. Tu m’as dit que Praesepe trouvait cela exceptionnel,
mais je ne vois pas où tu veux en venir.
-Normalement, je vois le cosmos d’une personne tel qu’il est, mais
parfois je perçois aussi des indices de ce qu’il pourrait devenir.
Le Grand Pope a un apprenti, plus âgé qu’Aiolia de quelques
mois…
-Tu es en train de me perdre !
-Ce jeune apprenti est destiné à devenir le chevalier d’or
du Bélier, le Grand Pope en est persuadé. La première fois
que je l’ai vu, il n’avait pas encore commencé à s’entraîner,
son cosmos aurait donc dû être celui d’un garçon ordinaire.
Mais j’avais perçu une… vibration inhabituelle chez lui.
Une façon très spécifique qu’ont les astres de son
microcosmos de rayonner. Je pense que cela est un ultime cosmos à l’état
embryonnaire en quelque sorte.
-Et tu as vu la même chose chez Aiolia !
-Oui, fit le garçon en hochant la tête. Si je ne l’avais
vu que chez lui, je n’aurais rien pu conclure. Mais en considérant
le cas de Mû en parallèle…
-L’as-tu dit à quelqu’un d’autre ?
-Non, si je l’avais fait il serait déjà au Sanctuaire à
s’entraîner. Mais je vous ai déjà été
enlevé très jeune et je sais que maman en a souffert, même
si vous dites le contraire…
-Mais tu pourrais être puni pour cela !
-Peut-être, mais quand le moment viendra et que je serais assez âgé,
je m’occuperais moi-même de former Aiolia. Tout se passera bien…
Mais en attendant je veux qu’il reste avec vous.
Patrocle était bouche bée, il n’en revenait pas : ses deux
fils seront chevaliers d’or !
-En attendant, tu pourras lui apprendre les rudiments du combat à mains
nues, comme au bon vieux temps.
Norvège, août 1969
-Donc, grosso modo, et vous me corrigez si je me trompe, on fonce dans le tas
?
-Les plans les plus simples sont souvent les meilleurs, avait dit Mirfak de
Persée.
Personne n’avait songé à le contredire, d’autant plus
que ses analyses étaient souvent très bonnes, et le plan d’action
avait été accepté sans plus de palabres. Les chevaliers
avaient donc vaguement espéré qu’en éliminant le
chef de la secte qu’ils devaient démanteler, les sbires perdraient
le moral, que leurs rangs se désorganiseraient tandis que certains fuiraient
et qu’à eux six ils arriveraient donc à disperser les derniers
irréductibles sans trop d’histoires.
Dans la pratique, l’application de ce plan effectivement plutôt
simple avait été fort décevante. En attaquant par surprise
et en mettant les grands moyens d’entrée de jeu, ils étaient
parvenus à éliminer le fauteur de trouble en un minimum de temps.
Mais au lieu de fuir les guerriers nordiques étaient entrés dans
une furie incontrôlable.
Si ce grand prêtre n’était qu’un chef d’une secte
mineure et si ses ambitions pouvaient prêter à sourire, il fallait
lui reconnaître à titre posthume un certain talent dans l’art
de fanatiser ses hommes. Ces derniers semblaient en effet bel et bien décidés
à combattre jusqu’à la mort pour venger son assassinat.
Si individuellement leur maîtrise cosmique rudimentaire faisait qu’aucun
d’entre eux ne représentait de véritable danger pour un
chevalier Athéna sur ses gardes, le nombre changeait totalement les données
du problème.
Et le problème paraissait de plus en plus insoluble à Diomède.
Des renforts arrivaient sans cesse dans le camp d’en face et surtout ils
lui semblaient de plus en plus fort.
-Ou alors c’est moi qui fatigue, pensa-t-il.
La bataille rangée prenait place dans une clairière d’une
forêt dont les arbres millénaires montaient si haut que jamais
la lumière n’atteignait le sol. Les chevaliers, submergés
par leurs adversaires, avaient formé trois duos, un argent et un bronze
combattant dos à dos à chaque fois, qui étaient dispersés
sur le champ de bataille. Diomède s’étaient retrouvé
à lutter avec Jacob. Il n’entendait plus que la respiration bruyante
de son compagnon et ne pouvait qu’espérer que le chevalier de la
Girafe ne faiblirait pas, laissant alors son dos totalement exposé.
Si au début le chevalier Pégase les battait en un ou deux coups,
les derniers combattants étaient d’un niveau qui leur aurait permis
de figurer très honnêtement dans un tournoi pour une armure de
bronze. De plus, Diomède aurait été prêt à
parier que ses adversaires étaient sous l’emprise d’une drogue
qui les avait fait entrer dans une transe guerrière frénétique.
Ils semblaient ne ressentir ni douleur ni fatigue et n’avaient aucune
peine à manier les titanesques haches à double tranchant et les
épée à deux mains grandes comme un homme avec lesquelles
ils tentaient de le pourfendre.
De plus leurs lourdes armures de métal semblaient ne pas les gêner
alors qu’elles paraissaient de plus en plus difficiles à transpercer
pour Diomède.
Enfin, les guerriers obéissaient au doigt et à l’œil
aux ordres hurlés par un homme vêtu d’une cape noire, au
visage caché par une capuche et se tenant à l’extérieur
de la zone de combat. Les chevaliers auraient bien voulu éliminer le
stratège de leurs adversaires, mais celui-ci restait prudemment à
distance.
Même Mirfak et Jason avaient à présent besoin de plusieurs
coups pour les abattre, et Diomède ne pouvait se retourner pour vérifier
l’efficacité de son tandem. Sans compter que le chevalier de Persée
ne pouvait plus prendre le risque d’utiliser son bouclier de la Méduse
dans la mêlée générale sous peine d’atteindre
presque obligatoirement un de ses compagnons.
Combien en avaient-ils déjà mis hors de combat ? Trente, quarante
? Et combien en restait-il ? Le triple ?
-Comment peuvent-ils être aussi nombreux et aussi forts ? , cria Diomède
à l’intention de ses compagnons. Nous les avons gravement sous-estimés
!
Personne ne prit la peine de lui répondre : tout le monde avait bien
conscience que leur mission tournait au désastre.
Deux hommes observaient la scène, assis sur une branche massive d’un
arbre situé à l’orée de la clairière. Ils
étaient presque invisibles et nul n’avait conscience de leur présence.
-Ils sont en train de plier, commenta le plus âgé des deux.
L’homme, qui devait approcher les soixante dix ans et parlait avec un
léger accent germanique, portait une grande toge pourpre dont la capuche
était rabaissée. Un talisman en forme de flèche pendait
à son cou, d’une main il tenait un long bâton de bois sculpté
sur lequel des signes runiques étaient gravés tandis que l’autre
arborait une chevalière de cristal.
Son compagnon ne devait pas avoir passé la trentaine et portait une protection
qui paraissait presque aussi anachronique que celle des adversaires des six
chevaliers. C’était en effet une armure de plate faite d’un
acier poli blanc telle qu’en portait les chevaliers chrétiens médiévaux.
L’armure était fonctionnelle, parfaitement lisse et sans la moindre
ornementation, et semblait briller même dans la pénombre.
Le fourreau doré et serti de pierres précieuses d’une épée
longue au manche fait d’or pendait à son côté ainsi
qu’une épée courte et une dague d’apparence plus commune.
Enfin ce qui semblait être une épée bâtarde était
enveloppée dans un tissu pourpre et attachée dans son dos.
-La victoire sera leur. Ils sont à la fois talentueux et bien organisés…
Si l’on omet le fait qu’ils se sont mis dans cette situation, évidemment
! Mais ils ont réagi avec à propos au début et essayent
de se rassembler depuis tout à l’heure. S’ils vainquent,
ils ne s’en sortiront néanmoins point sans pertes : deux des serviteurs
d’Athéna vont laisser la vie dans cette clairière.
-Et je suppose que tu pourrais dire lesquels sans te tromper, n’est-ce
pas ?
-Certes oui. J’ai arpenté suffisamment de champs de batailles et
suis donc fort au fait des choses de la guerre…
-Très bien alors que fait-on ?
-Mardouk nous a expressément demandé d’éviter tout
contact avec eux.
-Il nous a demandé d’essayer mais ne nous l’a pas formellement
interdit.
L’homme en armure regarda son compagnon avec un air amusé.
-Voilà une fort étrange façon d’interpréter
des propos qui m’avaient pourtant paru sans la moindre ambiguïté,
Rudy.
-Ogier, mein freund, je connais Mardouk depuis plus longtemps que toi. Les sous-entendus
de son discours doivent m’apparaître plus clairement, répondit
le vieil homme en souriant également.
-Très bien, mais vous répondrez de cette interprétation
des subtilités sémantiques de nos ordres.
-Bien sûr. Et puis ces hommes méritent qu’on les aide.
-J’en tombe d’accord. Ils sont vertueux et courageux.
-Et tu en meurs d’envie.
-Occire ces mécréants me comblerait d’aise, en effet…
Et Joyeuse vibre contre mon flanc, ne demandant qu’à sortir de
son fourreau…
-Et bien vas-y, fais quelque chose de terrible !
Le chevalier se leva sur la branche et d’une simple impulsion bondit en
dégainant son épée dorée. La lame brilla alors d’un
éclat tel que tous les combattants présents dans la clairière
se tournèrent dans sa direction avant de détourner aussitôt
le regard de la lumière insoutenable.
L’homme nommé Ogier atterrit souplement au milieu de l’aire
de combat et commença sa sanglante besogne. Avant que quiconque n’ait
eu le temps de comprendre ce qu’il se passait, l’épée
dorée fendit deux fois l’air et deux têtes roulèrent
au sol. L’homme à l’armure de plate eut encore le temps de
couper un homme en deux au niveau de la taille avant que la stupeur qui avait
paralysé les belligérants ne se dissipe sous l’effet des
hurlements de leur stratège qui les sommait de reprendre le combat. Mais
les six serviteurs d’Athéna avaient réagi plus rapidement
que les guerriers de la secte et purent se débarrasser en quelques secondes
de près d’une dizaine d’ennemis.
Un guerrier de près de deux mètres trente tenta d’atteindre
le dénommé Ogier avec son épée à deux mains
mais celui-ci trancha d’un revers de sa lame à la fois l’arme,
le bras, l’armure et le buste de l’assaillant.
En quelques secondes le combat avait irrémédiablement changé
d’âme et les six chevaliers d’Athéna parvinrent à
se rejoindre.
-Ouvre-moi un passage, cria Belial du Fourneau à Mirfak en désignant
l’homme qui commandait leurs adversaires. Le chevalier de Persée
vérifia que leur mystérieux allié n’était
pas sur dans la ligne de mire puis il tendit le bouclier de la Méduse
dans la direction qui lui indiquait son compagnon. Les yeux de la Gorgone s’ouvrirent
alors, transformant instantanément huit guerriers en statue de pierre.
Mais l’homme à la cape noire avait réagi avec à propos
en se détournant et avait évité l’attaque pétrifiante.
Toutefois l’effet escompté était atteint et une brèche
était faite dans les rangs adverses entre le chef et les chevaliers,
brèche dans laquelle Belial s’engouffra.
L’homme vêtu de noir dut arriver à la conclusion que tout
était perdu et prit la fuite vers la forêt, Belial le suivant de
près.
Sans le soutien des ordres de leur stratège, les guerriers nordiques
semblèrent fléchir moralement pour la première fois. Ils
continuaient certes le combat, mais leurs assauts se firent moins féroces
et ils parurent moins résistants aux coups. Soudain, leur flot ne sembla
soudain plus intarissable.
Mais cela dura néanmoins encore plusieurs minutes.
Tandis que leur mystérieux sauveur à l’épée
aveuglante continuait de trancher les membres et les chairs dans une danse sanglante,
les cinq chevaliers restants lancèrent un assaut coordonné. Cinq
noms de techniques secrètes retentirent simultanément ce qui eu
pour résultat une explosion titanesque qui laissa sur le carreau la moitié
des adversaires.
Les survivants semblèrent sur le point de fuir, mais leur conditionnement
était apparemment si parfait qu’ils se lancèrent de nouveau
à l’assaut.
* * * * * * * * * * * * * *
-HEPHAISTOS FORGES ! , cria Belial.
Le cosmos du chevalier de bronze se manifesta sous la forme de flammes qui déferlèrent
sur le fuyard comme une pluie de napalm. Les arbres prirent feu comme s’ils
étaient en papier, mais la cible du coup évita la plus grosse
partie du déluge brûlant d’un bond surhumain. Les flammes
léchèrent néanmoins sa cape qui s’embrasa instantanément
mais il la détacha avant même d’avoir atterri de son saut.
-Enfin en voilà un ! , ne put s’empêcher de crier victorieusement
le chevalier de bronze.
En se débarrassant de sa cape le fuyard avait en effet dévoilé
une armure qui était la copie conforme de celle de Bayer du Toucan, exceptée
qu’elle était entièrement noire.
-Cela fait un an et demi que je te cherche ! , dit Belial.
-Et bientôt tu vas regretter de m’avoir trouvé ! , répondit
le Toucan Noir en se mettant en garde. Ce que tu viens de voir signifie ton
arrêt de mort.
Le cosmos du chevalier maudit s’embrasa et une aura de ténèbres
nimba bientôt son corps.
-C’est ce que nous allons voir ! Je n’ai aucune intention de m’incliner
face à un chevalier maudit ! HEPHAISTOS FORGES !
Le déluge de flamme déferla de nouveau sur le chevalier noir,
mais cette fois-ci au lieu d’esquiver il sauta de front dans le brasier.
Le cosmos noir sembla faire office de combinaison ignifugée et il ressortit
indemne de l’attaque juste devant Belial. Celui-ci parut décontenancé
par la manœuvre de son adversaire et réagit avec un temps de latence.
Le Toucan Noir attaqua en visant le cœur. La protection explosa comme du
verre sous le choc, des éclats s’enfonçant même dans
la poitrine du chevalier. Néanmoins l’armure avait fait son office
et le coup du chevalier noir n’avait pu transpercé le cœur
de son adversaire. Belial battit en retraite de quelque pas, en crachant du
sang.
-Ne t’a-t-on jamais dit de ne jamais utiliser deux fois la même
technique au combat, dit le Toucan Noir d’une voix condescendante. Ton
armure t’a sauvé temporairement, mais tu dois avoir des éclats
dans les poumons… Tu ne tiendras guère plus longtemps.
-Tu ne me vaincras pas aussi facilement, dit le chevalier de bronze avec rage.
Que mon cosmos brûle et me prête la force de te tuer.
Oubliant la douleur qui lui déchirait la poitrine, Belial fit exploser
son énergie comme jamais il ne l’avait fait jusqu’alors.
Son armure brilla alors comme de la lave en fusion.
-INFERNO FISTS ! , hurla-t-il.
Le chevalier projeta avec son poing droit des centaines de petites boules de
feu à une vitesse nettement supérieure à celle du son.
Hélas, cela se révéla totalement inefficace : le Toucan
Noir évitait sans difficulté les projections enflammées,
qui ne firent qu’abattre des arbres, et parvenait même à
avancer sur Belial.
-Impossible, un chevalier noir comme toi ne peut pas posséder une telle
vitesse !, cria le chevalier de bronze.
-Crétin ! A ton avis qui a fait de ces abrutis des guerriers capables
de vous mettre en difficulté ?
Un coup de poing d’une violence inouï frappa Belial au visage, faisant
voler la couronne de l’armure du Fourneau et l’allongeant au sol.
Le chevalier noir sauta sur son adversaire en lui enfonçant les deux
genoux dans le ventre. Belial laissa échapper un râle de douleur
et ne put rien faire quand son adversaire entreprit de lui marteler le visage
de coups. Le chevalier noir frappa encore et encore, ses poings se couvrant
petit à petit du sang de Belial dont le visage ressembla vite à
une bouillie sanguinolente.
Au même moment, les cinq compagnons de Belial sentirent que son cosmos
faiblissait dangereusement. Le guerrier médiéval et les trois
chevaliers d’argent s’élancèrent vers la forêt
tandis que les deux autres chevaliers de bronze finissaient le travail.
Mais déjà, le Toucan Noir levait le poing pour porter le coup
final et transpercer le cœur de sa victime. Pourtant, avant qu’il
ne pût porter son coup, il se releva vivement pour éviter un coup
de bâton asséné par le vieil homme qui venait d’apparaître
sans prévenir. Le nouvel arrivant porta un nouveau coup circulaire, maniant
son instrument comme une masse, mais le chevalier noir esquiva d’un saut
qui lui permit de s’éloigner de quelques mètres.
-Tu es le compagnon de ce maudit guerrier qui a exterminé mes hommes,
n’est-ce pas ? Je vais te faire payer pour deux, et chèrement,
de vous être mêlé de ce qui ne vous regardait pas !
-Ne faites pas de menace que vous seriez bien en mal de tenir, répondit
tranquillement le vieil homme visiblement guère intimidé par son
adversaire.
-Ceci ne vous protégera pas, dit l’homme en désignant du
doigt le talisman en forme de flèche.
-Je n’avais pas l’intention de me cacher derrière…
Le chevalier noir se mit en garde, ses poings dégoulinants encore de
sang, et enflamma alors véritablement son cosmos. Belial, qui luttait
pour ne pas perdre connaissance, réalisa alors que son adversaire était
encore bien plus redoutable qu’il ne l’avait imaginé. Mais
l’aura noire se dissipa presque aussitôt.
-Une autre fois finalement, l’endroit va bientôt être un peu
trop surpeuplé à mon goût !
Le Toucan Noir sembla s’envoler vers la cime des arbres puis sauta d’un
arbre à l’autre, disparaissant dans la forêt en un souffle.
Le vieil homme sembla vouloir le poursuivre mais il regarda Belial, hésita
puis laissa filer à regret le chevalier noir. Il se baissa alors sur
le corps meurtri et examina les blessures.
-Je suis désolé, mein jung freund, mais je ne peux rien faire…
, dit-il au bout d’une vingtaine de secondes d’une voix réellement
affectée.
-Dans ce cas, vous n’auriez pas dû le laisser filer, réussit
à articuler à grande peine Belial.
-Je le crains en effet…
-Belial ! , cria une voix.
Il s’agissait de Jason qui arrivait en courant, accompagné de ses
compagnons et de l’homme en armure de plate. Le vieil homme se leva pour
s’écarter du chevalier à terre quand les trois chevaliers
d’argent furent arrivés. Après l’avoir dévisagé
un instant l’inconnu, Jason et Jacob firent mine de s’agenouiller
près de leur ami mais Mirfak saisit l’allemand par le col et le
souleva de terre.
-Maudit que lui as-tu… , commença-t-il mais il s’interrompit
en constatant que la lame dorée de celui qui les avait aidé était
à présent posée sur sa gorge.
-Veuillez le reposer, dit simplement le guerrier tandis que Jason et Jacob l’entourèrent
en un éclair, parés à toute éventualité.
-Arrêtez, il m’a aidé ! , réussit à prononcer
Belial suffisamment fort pour être entendu par tous.
Il y eut un moment très tendu puis Mirfak lâcha sa prise.
-Désolé, dit-il tandis que la lame dorée était rengainée
d’un geste élégant.
Les trois chevaliers d’argent se penchèrent alors sur leur ami
blessé.
-Par Athéna ! Belial ! On va te soigner ! , dit Jason.
-Non c’est la fin pour moi… , répondit le chevalier de bronze
avant de cracher du sang.
-Ce type, c’était un chevalier noir… , parvint-il à
poursuivre d’une voix de plus en plus faible. Mais il était tellement
fort… Trop fort pour moi… Prenez garde et ne… argh !
Belial cracha de nouveau du sang, voulut dire encore quelque chose mais ses
yeux se firent vitreux. Aucun des chevaliers ne parla pendant de longues secondes.
-Il est mort, constata finalement Mirfak d’une voix brisée.
Il se redressa pour demander des explications au vieil homme, mais les trois
chevaliers d’argent étaient seuls.
Seuls avec leur compagnon tombé au combat.
Ile de Canon, août 1969
Le petit bateau de pêche qui avait permis au chevalier du Sagittaire
de faire la traversée d’Athènes jusqu’à l’île
de Canon avait été amarré dans une crique isolée
et déserte.
Le voyage avait été fort plaisant : le temps était magnifique
et la conversation du pêcheur des plus agréable. Le vieil homme
à la peau burinée et aux cheveux blanchis par le sel et le soleil
avait été un apprenti au Sanctuaire près de cinquante ans
plus tôt. Après avoir servi un temps dans la garde, il avait quitté
le domaine sacré pour fonder une famille mais était encore appelé
régulièrement pour permettre au gens de l’île de venir
sur le continent et inversement.
Même si l’existence du Sanctuaire et des chevaliers était
censée être secrète, Aioros avait réalisé
au fil des années qu’un nombre considérable de personnes
vivant dans le monde « ordinaire » étaient dans la confidence.
Et cela n’était pas uniquement vrai en Grèce à proximité
du Sanctuaire : depuis qu’il avait lu les nombreuses lettres que son oncle
Diomède envoyait sur son périple, Aioros avait l’impression
qu’il n’existait pas un pays, presque pas une seule grande ville,
sans présence de sympathisants des défenseurs d’Athéna.
Anciens chevaliers, gardes ou apprentis s’étaient dispersés
partout dans le monde au fil des siècles et, avec leurs descendants,
tous formaient un réseau sur lequel pouvait compter un chevalier à
n’importe quel moment.
Et Aioros savait de par son maître que cette toile d’araignée
qui recouvrait le globe était très souvent mise à contribution
par le Grand Pope Sion.
-Sion ne néglige aucune des ressources qui sont à sa disposition,
avait dit un jour Praesepe. Si nous autres chevaliers d’or sommes à
priori sa carte la plus puissante quand vient le temps de la guerre, nous ne
sommes pas forcément la plus utile le reste du temps et vraiment très
loin d’être la plus jouée.
Tandis qu’Aioros réfléchissait sur ces considérations,
son passeur parlait de choses et d’autres avec l’homme qui les avait
accueillis. Il se nommait Antios et était dans la force de l’âge
mais encore solidement charpenté. Sans doute avait-il dû posséder
un corps d’athlète dans sa jeunesse, un demi siècle plus
tôt. Il arborait une barbe blanchie par les années et était
vêtu d’habits archaïques qui n’étaient pas sans
rappeler la mode vestimentaire du sanctuaire. Lui et le marin se connaissaient
apparemment de très longue date, si bien qu’Aioros dut attendre
patiemment qu’ils finissent de s’échanger anecdotes et autres
nouvelles sur leurs familles respectives.
-Désolé de vous avoir fait attendre aussi longtemps, lui dit l’homme
lorsque que le pêcheur fut finalement reparti et qu’ils s’attaquèrent
à arpenter le petit chemin taillé dans la pierre qui menait vers
l’intérieur de l’île.
-Pas de problème, répondit Aioros en ajustant la bretelle de sa
boite de Pandore.
Si l’homme avait salué Aioros avec tout le respect qui était
dû à son rang, l’énorme différence d’âge
entre les deux faisait qu’il lui parlait sans déférence
excessive. Cela convenait parfaitement au garçon qui était peu
à l’aise quand des adultes lui rendaient des honneurs trop marqués.
-Cela faisait quelques années que nous n’avions pas eu la visite
d’un chevalier… Nous commencions à nous demander si le Sanctuaire
n’avait pas oublié notre existence.
-Cela doit vouloir dire que le monde a été calme lors de cette
période, fit remarquer Aioros.
-En effet, c’est donc une bonne chose n’est-ce pas ? Même
si cela rend la vie par ici un peu monotone… Mais j’imagine que
les chevaliers n’ont pas vocation à se faire blesser à la
guerre pour nous amener un peu d’animation.
Cette dernière phrase fut conclue par un petit rire auquel Aioros répondit
d’un sourire.
-Je ne pense pas, en effet, convint-il.
-Et je ne parle même pas de la venue d’un chevalier d’or.
Là cela doit remonter à…
L’homme s’arrêta un instant au milieu du chemin et prit le
temps de réfléchir un instant.
-Dix ans si je ne me trompe pas… C’était le chevalier des
Gémeaux.
-Je n’étais peut-être même pas encore né, commenta
Aioros. Si le chevalier Akiera avait été suffisamment blessé
pour être contraint de revenir récupérer ici… Je n’ose
imaginer ce qu’il avait du faire à l’homme responsable...
-Si je me souviens bien, il n’était en effet pas vraiment commode
comme personnage.
Il leur fallut, pour atteindre le village de l’homme, une petite demi-heure
qu’ils passèrent à discuter de choses et d’autres.
Aioros fit semblant d’être surpris lorsque le vieil homme lui raconta
qu’il s’était entraîné au Sanctuaire à
une époque.
* * * * * * * * * * * * * *
Le village où Aioros arriva semblait avoir un ou deux millénaires
de retard. Ce n’était certes pas la première fois que le
garçon visitait un lieu anachronique : il avait visité la Babylone
mythique de Mardouk et vivait lui-même dans un tel endroit. Mais le garçon
avait grandi à Athènes dans le monde « réel »
et y retournait régulièrement. Si bien qu’il percevait toute
l’étrangeté de l’existence même de ces poches
d’antiquité, isolées dans un univers résolument moderne.
Le temps ne s’était pas seulement ralenti en ce lieu : il s’était
tout simplement stoppé. Même Rodorio serait passé pour une
mégapole en comparaison.
-Bah, après tout je suis moi-même un être qui aurait plus
sa place dans les recueils de légende que dans la réalité.
Aioros comptait une cinquantaine de constructions archaïques : le village
ne devait abriter guère plus de deux cents âmes. Cela représentait
bien peu de monde, mais quand Aioros vit que tout le monde était sorti
à l’extérieur des demeures pour l’accueillir, du nouveau-né
jusqu’au doyen, il s’en félicita. Le garçon réalisa
alors pleinement que si les chevaliers étaient de véritables héros
aux yeux de ces gens, lui qui portait une armure d’or faisait presque
figure de demi-dieu.
Mais si tous les habitants avaient tenu à le voir, tout se passa dans
une grande pudeur. Il ne fut pas assailli de toute part par les habitants et
n’eut pas à serrer la main de chaque personne.
Cela n’avait rien à voir avec le véritable triomphe romain
que Rodorio avait fait à Saga à son retour de Babylone quand le
village avait fêté son jeune champion pendant deux jours.
Non, les chevaliers venaient sur cette île pour se reposer de leurs difficiles
batailles. Le calme et la sérénité étaient les premières
qualités requises pour l’endroit.
Aioros se contenta d’un petit signe de main timide vers la foule tandis
qu’Antios le conduisait vers une maison isolée. Quand la porte
de bois fut refermée derrière lui l’attroupement se dispersa.
Pas un seul mot n’avait été prononcé.
* * * * * * * * * * * * * *
Bien qu’il fût arrivé au village en fin d’après-midi,
Aioros voulut aller au volcan dans la foulée. Il expliqua à Antios
que si les fumées bénites pouvaient guérir ses cauchemars,
il ne voulait pas laisser passer une nouvelle nuit avant de s’y rendre.
Le vieil homme avait simplement hoché la tête et ils étaient
repartis après avoir laissé les affaires d’Aioros dans la
maison qui lui était allouée, le garçon ne prenant que
son armure avec lui.
Il leur fallut une bonne heure de marche relativement pénible sur un
terrain aride et difficile pour atteindre l’entrée de la caverne
sacrée. Antios lui expliqua qu’il n’avait pas le droit d’aller
plus loin et qu’il allait l’attendre là. Le vieil homme avait
en effet amené avec lui une couverture pour dormir à la belle
étoile. Le garçon refusa, prétextant qu’il était
jeune et pas blessé physiquement, il ferait le chemin jusqu’au
village s’il avait besoin de quoi que ce soit. Au bout de quelques minutes
de discussion, Antios se laissa convaincre et repartit vers le village sous
un soleil couchant.
* * * * * * * * * * * * * *
Si la fumée du volcan ne fit pas disparaître les cauchemars du
garçon, il constata que la légende entourant l’endroit n’était
pas usurpée. Malgré sa nuit peuplée de songes anarchiques,
il était en pleine forme, son sommeil avait été réparateur,
ce dont il avait perdu l’habitude. Il ne s’était pas senti
aussi bien depuis des années, peut-être de toute sa vie. Il était
en symbiose parfaite avec son armure qu’il n’avait pas quittée
depuis le moment où il avait passé le seuil de la caverne. L’habit
sacré était devenu comme une seconde peau et leur harmonie était
absolue.
-Blessés ou pas, tous les chevaliers devraient venir ici, songeait Aioros.
Tout le monde pourrait en retirer un profit énorme.
C’était également la première fois qu’il sentait,
même indirectement, les bienfaits du cosmos de la déesse à
laquelle il avait décidé de dédier sa vie. Des millénaires
plus tard, la bénédiction d’Athéna emplissait toujours
le volcan. Aioros avait l’impression qu’il pouvait presque sentir
la présence de la déesse aux yeux pers, il était en communion
spirituelle avec elle.
Il passa ainsi trois jours complets et encore une matinée, assis sur
un rocher à regarder les remous de la lave et les volutes de fumées
qui semblaient parfois former dans l’air des motifs à la signification
cryptée.
Puis au bout de trois nuits passées sur place, constatant que ses cauchemars
ne disparaissaient toujours pas, il décida de lancer un appel. Son septième
sens était déjà d’une acuité extraordinaire
en temps normal, mais en ce lieu il semblait ne plus connaître de limite.
La distance ne signifiait plus grand chose pour lui si bien qu’il lança
son esprit vers une localisation dans le Moyen Orient. Sa projection astrale
chercha alors quelqu’un qu’il trouva facilement, en à peine
quelques minutes. Le garçon établit alors une communication cosmique.
Après un moment de surprise chez la personne qui venait d’entendre
une voix dans sa tête, la conversation s’établit. Aioros
présenta ses motifs avec précision et termina en posant une question.
La réponse fut positive et il fut convenu qu’ils se verraient d’ici
quelques heures.
Aioros se leva alors et se dirigea vers la sortie de la caverne. Il avait envie
de se laver (les fumées avaient peut-être des propriétés
régénératrices mais cela ne changeait rien au fait qu’il
empestait) et de passer une nuit dans un vrai lit.
* * * * * * * * * * * * * *
Dès qu’il arriva en vue du village, en milieu de journée,
Aioros remarqua une activité qu’il jugea inhabituelle pour l’endroit.
Apparemment une foule encore plus importante qu’à son arrivée
se trouvait dispersée aux abords du village. Les populations des autres
villages de l’île s’étaient-elles données rendez-vous
ici ? Cela était curieux mais il décida de s’en préoccuper
plus tard. Il se dirigea donc vers la demeure qui lui était prêtée.
En approchant de la vétuste demeure il aperçut Antios qui venait
dans sa direction.
Il s’arrêta le temps que le vieil homme le rejoigne.
-Heureux de vous revoir mon garçon ! Cela s’est-il bien passé
?
-Pas aussi bien que je l’aurais espéré… Mais je suppose
que la réponse est oui quand même ! Enfin quoi qu’il en soit
j’ai prévu d’y retourner mais pas avant au moins demain.
-Comme il vous plaira. Puis-je faire quelque-chose pour vous ?
Le garçon passa une main dans ses cheveux recouverts de cendres volcaniques.
-J’aurais besoin d’un peu d’eau pour faire ma toilette. Et…
j’ai vraiment les crocs !
-Je vous apporte le nécessaire dans les plus brefs délais.
Antios fit mine de tourner les talons pour retourner vers le village mais Aioros
le rappela.
-Que se passe-t-il ? , s’enquit-il en faisant un signe vers la foule.
-Et bien quand je vous disais que notre vie manquait d’animation je ne
pensais que j’allais être autant démenti en si peu de temps.
Le jour après votre entrée dans le volcan, le chevalier d’argent
Stellio du Lézard est arrivé sur l’île. Il est là
pour quelques jours afin de recruter quelques apprentis chevaliers. Tous les
jeunes garçons de l’île et même presque toutes les
jeunes filles ne parlent plus que de ça et tous sont venus ici participer
aux épreuves de sélection.
Aioros hocha la tête. Il connaissait Stellio du Lézard de réputation
et savait qu’il avait été, entre autre, le maître
de Sérapis du Taureau. Le garçon croyait d’ailleurs savoir
que l’homme n’était plus chevalier du fait de son âge
mais qu’il continuait à former des jeunes gens avec efficacité.
Mais il serait temps de faire connaissance plus tard et Aioros reprit sa marche
vers la maison.
Là il posa sa boite Pandore dans un coin et entreprit de chercher des
habits propres dans son sac de voyage. Antios revint ensuite rapidement, aidé
par un homme qu’Aioros n’avait jamais vu, avec de grands tonneaux
d’eau et de la nourriture. Aioros mangea tandis que le vieil homme faisait
chauffer l’eau dans le feu de la cheminée. Il fit ensuite sa toilette
rapidement, mit des habits propres et décida d’aller voir de plus
près ce qu’il se passait au village.
Lorsqu’il fut dans les rues peu de gens firent suffisamment attention
à lui pour le reconnaître. On avait délimité plusieurs
aires de combats où les jeunes gens s’affrontaient à la
lutte par tranche d’âge. Le jeune chevalier constata d’ailleurs
que la plupart des participants avaient de bonnes bases, même les jeunes.
Ce genre d’activités devait être très populaire et
pratiqué par ici. Les rencontres étaient arbitrées par
de jeunes gens vêtu du même genre de tenue que les gardes du Sanctuaire,
certainement des assistants de Stellio, tandis que les parents encourageaient
leur progéniture avec une grande ferveur. Aioros comprit qu’être
choisi comme apprenti chevalier était un grand honneur en un tel lieu
ainsi qu’une chance d’échapper à une vie dure et monotone.
Un honneur tellement grand que les familles acceptaient la possibilité
de voir leurs cadets partir au loin pour ne plus jamais revenir.
Malgré l’aspect passionné des oppositions, tout se déroulait
dans un très bon état d’esprit. Les vaincus acceptaient
leur défaite avec humilité et les vainqueurs ne fanfaronnaient
pas déraisonnablement. En effet, tout le monde avait conscience que seule
une poignée des meilleurs serait sélectionnée et que même
pour ceux-là le chemin serait encore très long pour atteindre
ne serait-ce que le statut de garde du Sanctuaire. Aioros assista à quelques
combats puis se dirigea vers le sud du village où d’autres épreuves
étaient organisées.
Là on pratiquait le lancer de javelot, le saut en longueur et la course
à pied sur différentes distances. Aioros se fit la réflexion
que les jeux olympiques antiques devaient un peu ressembler à cela. Il
aperçut alors un homme entre deux âges, qu’il devina être
Stellio, assis sur un rocher le long de la piste de sprint. A côté
du maître chevalier se trouvait un adolescent à peu près
aussi âgé qu’Aioros que celui-ci identifia comme étant
Taliradis, un ancien compagnon d’entraînement de Saga.
-Aioros du Sagittaire, je suppose ? , demanda Stellio en le voyant approcher.
-Stellio du Lézard, je présume, répondit Aioros.
-Nos réputations nous précèdent, rit l’ancien chevalier.
C’est un grand honneur de rencontrer l’un des chevaliers d’or
qui combattra lors de la future Guerre Sainte.
-L’honneur est pour moi. Sans des hommes comme vous, la déesse
n’aurait pas d’armée pour combattre.
Après avoir adressé un petit signe de tête à Taliradis,
le jeune chevalier s’assit à côté de Stellio sur le
rocher.
-Votre convalescence se passe bien ?
-Relativement. Et vous, avez-vous trouvé de bonnes recrues ?
-Ce genre de village, placés sous la tutelle du Sanctuaire, regorge de
bons candidats. Et contrairement à ceux que nous recrutons dans les orphelinats,
ils rêvent souvent d’être chevaliers depuis toujours. Bien
évidemment, la plupart ne réussiront pas mais je suis presque
sûr que dans le lot nous en aurons au moins un avec le niveau nécessaire
pour prétendre avec de bonnes chances à une armure de bronze.
-Pas à plus ?
-A une armure d’argent ou d’or ? Peut-être on ne sait jamais,
après tout. Mais ce n’est clairement pas pour trouver ce genre
d’individu exceptionnel que de telles épreuves sont organisées.
Ce genre d’apprentis tombe littéralement du ciel sans que l’on
ait à les chercher vraiment.
Ses paroles firent raisonner quelque chose chez Aioros qui se concentra pour
ressentir les cosmos des personnes qui l’entouraient. Son septième
sens lui fit percevoir chaque individu sous la forme symbolique d’astres
dont le nombre et la taille le renseignait sur la conscience cosmique de la
personne en question. Taliradis se révélait comme un système
solaire pourvu de quelques planètes tandis que Stellio était symbolisé
par un système à étoiles doubles gigantesques et escortées
d’une myriade de planétoïdes. Enfin, les habitants de l’île
lui apparaissaient comme des poignées de planètes isolées.
Rien d’extraordinaire sauf dans un cas en particulier : un très
jeune garçon aux cheveux violets, collé à la jambe de sa
mère, qui devait avoir dans les trois ans et n’était donc
pas assez vieux pour participer aux épreuves. Le cosmos de l’enfant
pulsait de cette façon si particulière qu’Aioros n’avait
observée que chez son frère et Mû.
Aioros eut alors un cas de conscience : il avait caché ce qu’il
savait de son frère car il ne voulait pas qu’il soit enlevé
à sa famille trop tôt.
-Mais les gens de cette île ne rêvent que de ça… ,
pensa-t-il. Et si je me tais peut-être que ni Stellio ni quiconque ne
repassera jamais sur cette île pour chercher des apprentis… Non,
s’il est réellement destiné à être chevalier,
il le deviendra quoi que je fasse…
Il hésita encore une seconde puis désigna le gamin du doigt.
-Vous devriez faire passer des tests à ce gamin, dit-il à Stellio.
L’ancien chevalier d’argent ne put caché une certaine surprise.
-Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-L’instinct, mentit légèrement Aioros.
Le regard de Stellio alla d’Aioros à l’enfant, puis il se
leva.
-On m’a toujours conseillé d’accorder le plus grand crédit
aux intuitions des chevaliers d’or…
Le jeune chevalier d’or observa le vieux maître s’approcher
de l’enfant et de sa mère. Les deux adultes discutèrent
un moment tandis que le gamin se cachait de Stellio derrière les jambes
de sa génitrice. Celle-ci, qui avait d’abord été
surprise, finit par acquiescer aux paroles de Stellio.
Tandis que le vieux maître s’agenouillait pour ramasser une petite
pierre dans la poussière, la mère parlait au jeune garçon.
Il sembla rétif au début, mais consentit finalement à laisser
sa mère le placer devant elle, face à Stellio qui s’était
assis par terre.
-Comment t’appelles-tu mon garçon ?
-Milo, répondit-il d’une petite voix.
-Très bien Milo, on va jouer à un petit jeu.
Il lui montra alors la petite pierre qu’il avait ramassée, puis
referma ses doigts dessus. Il passa alors ses mains dans son dos avant de représenter
ses deux poings fermés au garçon qui semblait intrigué.
-Dans quelle main est-elle ? , demanda-t-il. Tu peux réfléchir…
Mais le garçon indiqua la main droite de Stellio sans hésiter.
Celui-ci ouvrit la main qui contenait bel et bien la pierre.
-Recommençons, veux-tu ?
Le garçon hocha la tête et ils rejouèrent une deuxième
fois puis une troisième… Après avoir deviné quinze
fois de suite la bonne main, le garçon commença à se lasser
du jeu de façon perceptible. Et plus le jeu l’indifférait,
plus son attention devenait volatile, plus son regard était attiré
par des choses et d’autres malgré les paroles de sa mère,
plus son taux de bonne réponse revenait dans la normale.
-Veux-tu aller voir les lanceurs pendant que je parle avec ta mère ?
, dit finalement Stellio.
Le garçon hocha la tête et s’éloigna de quelques pas.
-Quelle chance au début, c’est incroyable ! , s’exclama la
mère.
-Plus que du hasard madame…, répondit Stellio. Oh oui, bien plus
que de la simple chance… Il faudrait que je le revoie plus longuement
évidemment mais je pense que votre fils n’est pas appelé
à avoir un destin ordinaire.
Les deux adultes convinrent de se revoir plus tard dans l’après-midi,
quand toutes les épreuves seraient terminées. Stellio revint alors
vers Aioros qui n’avait pas bougé.
-Voulez-vous que je vous présente à ce garçon et à
sa mère ? Le jeune Milo vous devra peut-être beaucoup si ce que
je pense se confirme.
-Non, c’est inutile. Je ne suis qu’un artifice du destin pour ce
garçon rien de plus : si je n’avais pas été là,
quelqu’un d’autre aurait joué mon rôle.
Le jeune chevalier d’or vit alors une ombre passer rapidement sur la foule,
comme si un gigantesque oiseau avait survolé le village. Il ne fut d’ailleurs
pas le seul à le remarquer, de nombreuses têtes se levèrent
vers le ciel puis, ne voyant que des cieux azurs parfaitement vides, se rabaissèrent.
-Désolé mais je dois vous laisser, dit Aioros en se levant. On
m’attend.
* * * * * * * * * * * * * *
-Je constate que ton armure a été restaurée, dit Aioros.
-En effet. Ton Infinity Break n’en avait pas laissé grand-chose
mais le savoir nécessaire pour la reconstruire n’a heureusement
pas encore disparu de Babylone.
L’ancestrale armure d’Ea, propriété des descendants
d’Ereshkigal, recouvrait en effet de nouveau le corps d’Inanna de
son métal sombre comme la nuit. Les ailes de l’armure battaient
dans l’air, maintenant la guerrière quelque mètres au dessus
du niveau du sol et du chevalier d’Athéna.
La jeune fille avait fort changé depuis le jour où Aioros l’avait
affronté dans le cadre du défi lancé par Mardouk, chef
du conseil de Mésopotamie, au Sanctuaire. Elle était entré
de plein pied dans l’adolescence et la petite fille à l’allure
fragile et timide n’était plus qu’un vieux souvenir, remplacé
par une créature à la beauté ravageuse et aux formes très
féminines.
Le jeune chevalier tentait d’ailleurs de cacher le trouble qu’elle
causait en lui. Et il avait beaucoup de mal à soutenir le regard sombre
et perçant de celle qui avait été son adversaire.
La jeune fille se posa alors en douceur et ses ailes se plièrent dans
son dos. Ils étaient tous les deux hors de vue du village, à mi-chemin
du volcan. Elle était légèrement plus grande que lui et
lui adressait un sourire sincère.
-Mon poignet s’est parfaitement remis, dit-elle. Grâce à
tes soins et je t’en remercie encore.
-C’est inutile, ce que j’ai fait était normal. Nous n’étions
pas de véritables ennemis.
-D’autres n’auraient pas pris cette peine. En tout cas je te suis
redevable… et me voici donc !
-Je ne savais pas si tu accepterais après tout ce temps..
-Bah, je serais bien ingrate d’ignorer ta requête… Même
si je ne suis absolument pas certaine de pouvoir t’aider.
-Mes cauchemars sont apparus après mon séjour à Babylone.
Ton attaque, le Hell Seven Gates, était une illusion qui affectait mes
sept sens en altérant ma perception de la réalité. Cette
allégorie était très complexe et le cosmos que tu avais
déployé pour l’élaborer très puissant. Même
si j’ai réussi à reprendre le contrôle de mes sens
et à percer le voile noir que tu avais mis devant mes yeux, je pense
que ton attaque ne s’est pas dissipée totalement et que j’en
subis toujours l’influence, même des années après.
Comme la jeune fille réfléchissait aux paroles du chevalier, elle
se mit à enrouler autour de ses doigts les longues boucles brunes de
sa chevelure ondoyante.
-Mon attaque requiert en effet une explosion de cosmos très puissante
qui pourrait permettre à son effet de se prolonger un certain temps.
Mais je dois dire que c’est très théorique pour moi : tu
es la seule personne sur laquelle je l’ai vraiment portée à
fond. Et tu es le seul à avoir survécu à ce coup en quatre
millénaires, à ma connaissance tout du moins. Je n’ai donc
pas le recul nécessaire pour juger si tu as raison ou pas.
Elle ôta alors son diadème et se passa la main dans ses cheveux,
un geste qu’Aioros trouva extrêmement sensuel. Les yeux de la jeune
fille brillaient d’intelligence tandis qu’elle réfléchissait
au problème.
-Ce que tu dis est possible à mon sens. Mais je ne crois pas que cela
soit possible dans ton cas.
Aioros la regarda d’un air neutre, attendant qu’elle précise
sa pensée, ce qu’elle fit sans tarder.
-Je t’ai vu à l’œuvre, j’ai ressenti ton cosmos,
sa puissance et sa plénitude… Même si ma technique remodèle
mon cosmos en un concept suffisamment fort pour lui permettre de perdurer dans
l’esprit de la cible de l’attaque, au point de faire effet des années
après… Et bien je pense que ton cosmos est simplement trop puissant
pour ne pas annihiler ce « vestige » d’attaque, un peu comme
un système immunitaire qui éliminerait un virus. Dis-moi, que
vois-tu dans tes rêves exactement ?
Le garçon lui raconta alors les bribes de songes dont il se souvenait
quand il se réveillait. Des images chaotiques de combats dont il sentait
confusément qu’ils opposaient des alliés et des amis. Des
sensations de grands malheurs qui s’abattaient sur le monde, de choix
aux conséquences désastreuses, de trahisons impensables et de
massacres inutiles. L’image confuse d’un mal rampant et suintant
qui rongeait petit à petit le monde, comme un ver dévorant un
fruit de l’intérieur.
-Tu comprends sur le moment, quand je rêve, tout est structuré
et clair. Mais quand je me réveille, seul les grandes idées, les
grands sentiments perdurent. Comme si je lisais un livre et que je n’en
retenais que le thème général.
Inanna réfléchit un long moment avant de reprendre la parole.
-Ses cauchemars ne ressemblent en rien à l’allégorie créée
par le Hell seven Gates. Ce que tu me racontes est beaucoup trop chaotique,
bruyant, alors que mon attaque doit amener l’esprit vers le néant
et le calme de la mort. Mais nous pouvons en avoir le cœur net. Si tu veux,
je peux regarder en toi s’il reste des résidus de mon cosmos dans
ton essence vitale. Mais pour cela tu devras t’ouvrir totalement à
moi, abaisser toutes tes défenses. Je percevrais des choses de toi que
tu pourrais vouloir garder cachées… et l’inverse sera vrai.
Le chevalier hésita un instant : lui faisait-il suffisamment confiance
pour faire ce qu’elle lui demandait ? Il réalisa que la réponse
était oui, mais il était conscient que cela n’était
pas du tout raisonnable.
-D’accord, dit-il simplement.
Elle s’assit en tailleur et l’invita du geste à faire du
même. Elle posa alors une main sur son front et déploya son cosmos.
Il se laissa faire totalement, permettant au cosmos d’Inanna de s’infiltrer
dans le sien. La conscience de l’héritière d’Ereshkigal
parcourut l’essence vitale du chevalier, s’infiltrant derrière
toutes les portes de son esprit, même les plus intimes. Le cosmos d’Inanna
était amical et rassurant et son intrusion aussi attentionnée
et délicate que possible. Cela dura plusieurs minutes, une sensation
finalement étonnamment agréable, puis Inanna rompit le contact
entre eux.
Ils restèrent silencieux un long moment, encore troublés par l’intimité
très particulière qu’ils venaient de partager et surtout
déçus que cela soit terminé. Ce fut la jeune adolescente
qui rompit le moment.
-J’avais raison, il ne restait aucune trace de mon attaque.
-Alors, je n’ai toujours aucune idée de la raison de ses rêves.
-Ecoute… Je peux te proposer une idée, dit-elle d’une voix
hésitante.
Il lui fit signe de continuer.
-Ce jour-là à Babylone, tu as non seulement survécu à
mon attaque mais également au South Tempest de Hanpa. Deux attaques particulièrement
complexes qui t’ont obligé à repousser tes limites, à
faire exploser ton cosmos et à en exploiter des ressources dont tu ne
soupçonnais même pas l’existence. Et que tu ne soupçonnes
peut-être toujours pas…
-Que veux-tu dire ?
Elle hésita très longtemps avant de poursuivre son idée.
Elle se mordilla les lèvres, détourna son regard plusieurs fois,
puis finit par continuer.
-En repoussant tes limites tu as peut-être ouvert une porte qui ne s’est
pas refermée. Et que ses rêves ne sont qu’une expression
de quelque chose qui était en toi et qui s’est éveillé.
Et pour comprendre cette chose tu ne dois pas chercher ailleurs les explications
mais en toi-même uniquement.
Elle se leva alors, l’air neutre.
-Je dois partir.
-Attends ! Pourquoi ?
-Tu m’as demandé de t’aider et je l’ai fait. Mais je
ne sais pas même pas si j’ai bien fait de venir.
-Pourquoi ?
-Nous avons des devoirs tous les deux.
Elle voulut se détourner mais il la saisit par le bras.
-Tout à l’heure, quand nos consciences se sont touchées
de si près… C’était un moment agréable mais
j’ai senti une crainte en toi, la peur d’un gâchis…
Comme si tu redoutais que nous soyons encore amené à nous affronter
dans le futur.
-Finalement, c’est moi qui aurais dû redouter cet échange.
Elle s’approcha alors de lui et lui posa un baiser sur le front. Cela
le prit tellement par surprise qu’il la lâcha et eut un pas de recul.
-Aioros du Sagittaire, j’ai vu tant de noblesse en toi… Puisse le
futur être clément avec nous.
Puis sans un autre mot elle s’envola tel un ange sombre, le soleil de
fin d’après-midi faisant briller son armure d’éclats
orangés.
Aioros resta immobile à fixer le ciel bien longtemps après qu’elle
n’ait disparu à l’horizon.
Sanctuaire, septembre 1969
-Vous êtes nuls et je commence à m’ennuyer carrément
!
Ce constat sans concession venait d’être lancé par le jeune
garçon qui se faisait appeler The Thief. Il se tenait, altier et arrogant,
au centre de la grande arène du Sanctuaire. Une quinzaine de jeunes apprentis
étaient étendu sur la zone de combat, comme si un ouragan était
passé et les avait envoyés en tout sens. Ils gémissaient,
certains pleuraient. Les corps étaient couverts de bleus, de profondes
entailles saignaient abondamment, les membres brisés étaient tordus
en des angles improbables, des dents cassées traînaient ça
et là. Seules quelques gouttes de sueur coulant sur le torse nu et bronzé
du jeune italien auraient trahi qu’il avait quelque chose à voir
avec la situation s’il n’y avait eu les regards à la fois
craintifs et furieux que lui lançaient les apprentis, les gardes et les
serviteurs disposés dans les gradins.
-Franchement c’est la honte les gars. Y’paraît que pour certains
z’êtes là depuis des années. Ca fait à peine
deux mois que je suis dans le coin et j’vous mets déjà la
misère.
Un jeune garçon d’une dizaine d’année descendit des
gradins et s’avança vers l’italien qui le regarda venir avec
un sourire mauvais. Si le futur chevalier d’or était relativement
grand pour son âge, il rendait presque 50 centimètres au nouveau
venu. Celui-ci, plutôt mince et élancé, avait un visage
d’une grande douceur et de longs cheveux noirs attaché par un catogan.
Il s’adressa à l’italien dans sa langue et d’une voix
neutre.
-Normalement les apprentis chevalier d’or ne viennent pas combattre dans
l’arène les autres apprentis. Ou alors ils retiennent leurs coups
afin que cela soit constructif.
-C’est naze. A quoi ça sert alors ?
-L’écart de force est trop grand et cela ne mène à
rien si vous ne vous mettez pas au niveau de nous autres.
-Allons j’vous fait une faveur ! Si j’étais pas là,
vous vous battriez entre mauvais et vous auriez l’illusion d’être
bons. Grâce à moi, vous vous faites plus d’idées :
vous réalisez enfin que vous n’êtes qu’un tas de ratés.
Devriez me remercier !
-Vous êtes bien différent du précédent disciple du
seigneur Praesepe. Lui n’aurait pas parlé ainsi.
-Aioros, ce grand niais ? Bah, j’dis qu’la vérité
pourtant…
-Je ne pense pas. Certains de ceux que vous avez violentés seront un
jour chevalier. Or, à cause de vous, normalement ils ne pourraient plus
s’entraîner pendant de longues semaines.
-« Normalement » ?
-Je m’entraîne pour revêtir l’armure d’argent
de la coupe. La guérison est mon domaine.
-Bah, qu’est-ce que ça change ? Même s’ils peuvent
s’entraîner ça changera pas un truc : vous servez à
rien. Même si vous devenez chevaliers…
-Tous les chevaliers servent à quelque chose. Les chevaliers d’or
sont certes les plus puissants serviteurs de la déesse, mais ils ne doivent
pas perdre de vue que même le plus faible des chevaliers de bronze peut
grâce à sa volonté accomplir des miracles et servir Athéna
sa déesse.
-Si tu le dis. Moi j’crois pas aux miracles ! Ce que peuvent accomplir
tous les chevaliers de bronze et d’argent ensemble, moi j’le fais
avec mon petit doigt. Mais dis-moi, comment tu t’appelles ?
-Arimathy.
-Un apprenti chevalier d’argent, hein ? Si j’me mets à ton
« niveau », tu crois qu’on pourrait essayer de faire quelque
chose de « constructif » ?
Arimathy parut hésiter un instant.
-Mes pouvoirs sont basés sur le soutien des autres. Je ne suis guère
spécialiste du corps à corps.
-Raison de plus. On sait jamais, un jour tu pourrais te retrouver à devoir
bastonner. Puis bon, toi tu m’expliques comment se passent les choses
dans le coin. Pour te remercier, j’serais ravi de t’aider à
progresser…
Le jeune italien avait susurré ces paroles. Il regarda son vis-à-vis
avec un sourire qui dévoilait ses dents blanches.
-J’utiliserai seulement mon cosmos, sans aller au-de-là, continua
l’italien.
Arimathy réfléchit encore quelques secondes puis décida
qu’il ne pouvait pas refuser la proposition d’un apprenti chevalier
d’or.
-Très bien.
Les deux jeunes gens se mirent en garde (si la posture grossière de
The Thief, que Praesepe tentait tant bien que mal d’améliorer,
pouvait être qualifié de garde).
-Après toi, dit l’apprenti chevalier d’or.
Arimathy se mit à tourner autour de son adversaire en portant des attaques
prudentes afin de tester la défense de l’italien. Celui-ci se contenta
d’abord d’esquiver, puis tenta quelque contre-attaque qui ne firent
que brasser de l’air. Les mouvements fluides de l’apprenti chevalier
d’argent témoignaient d’une maîtrise des choses du
combat bien supérieure à ce qu’il avait modestement laissé
entendre. Sa technique était même incontestablement bien plus maîtrisée
et fine que celle de The Thief. En effet ce dernier, qui s’était
jusqu’alors uniquement reposé sur son agilité et la vitesse
hors du commun que lui conférait le fait d’effleurer le septième
sens, semblait même en sérieuse difficulté, ayant du mal
à lire les complexes feintes et attaques en contre-temps de son adversaire.
Et finalement, quand Arimathy eut suffisamment pris la mesure de l’italien,
il porta à fond un enchaînement qui transperça la défense
rudimentaire de l’apprenti chevalier d’or comme du papier. Ce dernier
vit le coup arriver et voulut utiliser l’ultime cosmos pour l’éviter
mais ne fut pas assez rapide et le crochet d’Arimathy la frappa donc violemment
au menton.
The Thief fut presque assommé sur le coup bien que qu’Arimathy
avait considérablement retenu la force de son coup. En effet, Arimathy
pensait que son adversaire non seulement ne savait sans doute pas encaisser
les coups par manque d’habitude mais surtout qu’il n’avait
sans doute pas encore effectué de gros travaux musculaires depuis sa
récente arrivée. En portant un coup à force réelle,
il aurait donc pu lui briser le cou.
Une clameur joyeuse et féroce monta de l’arène tandis que
The Thief mordait la poussière. Arimathy était déjà
populaire au Sanctuaire pour sa gentillesse, sa modestie et sa chaleur humaine
mais le fait de donner une leçon à une brute arrogante comme ce
jeune apprenti chevalier d’or fit que son nom fut scandé spontanément
par tous.
Mais l’objet des acclamations n’y prêtait pas la moindre attention.
Arimathy restait concentré sur son adversaire qui se relevait péniblement.
De la sueur froide lui coula dans le dos quand il vit le cosmos de l’italien
se déployer.
Un cosmos furieux, presque animal, rempli d’une haine que l’on aurait
pu confondre avec de la folie. Un cosmos doré et flamboyant.
A ce moment-là, alors que les exclamations de joies des tribunes se changeaient
en exclamations de surprise, Arimathy comprit que le fait d’avoir retenu
son coup avait été une erreur. Il en oubliait presque le serment
qu’il s’était fait de ne jamais prendre la vie de qui que
ce soit. Lui, le paradoxal guerrier pacifiste, venait de commettre une terrible
faute de jugement.
Et cette erreur allait sans doute lui coûter la vie.
Il ne vit aucun des coups que lui porta le jeune italien à la vitesse
de la lumière. Il n’essaya même pas vraiment de se défendre,
sachant que tous les efforts qu’ils pourraient faire n’auraient
qu’une incidence négligeable sur la suite des événements.
Alors que son corps était martyrisé, emporté dans une tornade
de violence, Arimathy voyait défiler les grands moments de son existence
devant ses yeux. Il revit le jour où il avait quitté le demeure
de ses parents à Rodorio, le jour où son maître lui avait
appris qu’il avait les prédispositions requises pour devenir un
chevalier d’argent, le jour où il avait soigné son premier
blessé, le jour où il avait sauvé sa première vie.
Lorsque enfin le déluge de coups cessa et que son corps meurtris chuta
mollement, il ne ressentit presque aucune douleur comme si son corps était
anesthésié.
The Thief contempla un instant son œuvre : le corps d’Arimathy n’était
plus qu’une masse sanguinolente, ses membres souffraient de plusieurs
plais ouvertes et le bas de son corps faisait avec le haut un angle qui suggérait
que sa colonne vertébrale était brisée en au moins un endroit.
-Tiens, j’ai plus à lever la tête pour voir ta sale tronche…
, dit l’apprenti chevalier du Cancer avec une pointe de mépris
dans la voix.
Un silence de mort régnait dans l’aire de combat, même les
apprentis blessés dans leur chair avaient cessés de gémir.
-J’aurai quand même eu le temps de sauver et d’aider pas mal
de gens, songeait Arimathy qui était déjà très loin
de l’arène par la pensée.
Il n’était même que très vaguement concerné
par ses blessures, comme si cette enveloppe charnelle qui avait été
la sienne était déjà quelque chose d’oublié.
-Ce fut une existence courte mais je crois que je peux en être fier…
Les yeux de celui qui s’était baptisé The Thief étaient
aussi froids que la pierre. C’est d’une voix dénuée
d’émotion qu’il s’adressa à Arimathy.
-Tu fais de la guérison hein ? Guéris ça.
Il lui écrasa alors la gorge d’un violent coup de talon. Le lugubre
bruit de craquement s’entendit jusqu’en haut de l’arène.
-Bon sang qu’est-ce que tu as fait ! , dit alors Aioros qui venait d’apparaître
à l’entrée de l’arène.
Il était vêtu de sa tenue habituelle et regardait la scène
avec une colère qu’il avait du mal à contenir.
The Thief, toujours enveloppé par son cosmos, s’éloigna
de sa victime sans porter la moindre attention au chevalier du Sagittaire. Le
jeune apprenti semblait fasciné par son propre pouvoir et portait des
coups dans le vide, comme pour tester ses nouvelles capacités.
D’un bond prodigieux, Aioros arriva au centre de l’arène
et se pencha sur Arimathy. Il lui prit le pouls au poignet et au cou, puis colla
son oreille à niveau de son cœur. Il se releva alors, ses yeux emplis
d’une fureur froide.
-Il est mort, dit-il simplement.
Un frisson d’horreur parcourut l’assistance et une soixantaine d’yeux
vengeurs se tournèrent vers le même endroit. Néanmoins,
l’objet de l’attention générale semblait ne même
plus être conscient de ce qui l’entourait. On aurait même
pu croire qu’il avait totalement oublié les derniers événements.
Se déplaçant à la vitesse de la lumière, Aioros
fondit sur The Thief et, l’attrapant d’une main par le cou, le souleva
du sol comme s’il ne pesait rien.
-Tu entends ce que je te dis : il est mort, tu l’as tué !
L’italien porta un coup de pied qui força Aioros à lâcher
sa prise pour l’éviter.
-Il est mort vraiment ? , dit The Thief d’une voix innocente. Ben dis
donc, il était vraiment pas solide.
-Pourquoi as-tu fait ça ?
-C’était un entraînement. Ce genre d’accident peuvent
arriver, non ?
-Accident ? Tu oses appeler ça un accident ? Tu l’as assassiné
de sang froid !
L’italien haussa les épaules.
-S’il pouvait pas encaisser quelques coups, ça lui pendait au nez
un jour ou l’autre. Au moins, il aura pas déshonoré la chevalerie
en se faisant écraser à la guerre par le premier faiblard venu
!
-« Déshonoré » ? C’est toi qui déshonores
la chevalerie ! Tu déshonores ton propre cosmos ! Arimathy était
quelqu’un de bien plus honorable que tu ne le seras jamais.
-Pff… Lui c’est plus qu’un tas de viande. Alors que moi je
suis le chevalier d’or du Cancer !
-Tais-toi ! Tu ne mérites pas un tel titre !
-Ah ouais ? Pourtant j’ai la force ! Regarde, j’ai le septième
sens !
The Thief enflamma encore plus son cosmos qui sembla redoubler d’intensité
!
-Si je le voulais, je pourrais te mettre la patté ! Là maintenant
!
Aioros regarda son congénère avec un regard empli de mépris.
-Ha oui, vraiment ? Je serais très curieux de voir ça.
La voix du chevalier du Sagittaire avait été glaciale mais en
même temps emplie de défi. The Thief sourit et se mit en garde.
-Aujourd’hui c’est ma journée ! Je deviens chevalier d’or
et en plus je montre à tout le monde que je suis le meilleur !
Sans perdre une seconde de plus The Thief se jeta sur Aioros. Evidemment, aucune
des personnes présentes ne comprit quoi que ce soit à ce qu’il
se passa. Personne ne vit Aioros, qui ne s’était pas mis en garde
et n’avait même pas enflammé son cosmos, lever simplement
la main pour envoyer plusieurs millions d’ondes de chocs à la vitesse
de la lumière.
Mais tout le monde vit le résultat. Le très jeune chevalier d’or
du Cancer autoproclamé venait de s’écraser comme un missile
dans les gradins, inconscient. Son corps était couvert de bleus et fumait
même à cause de l’impact des coups.
-Crétin, dit simplement Aioros.
* * * * * * * * * * * * * *
Lorsque l’apprenti de Praesepe revint à lui, il constata qu’on
l’avait ramené à la maison du Cancer. Il se trouvait allongé
sur le lit de sa chambre et Sonya était en train de s’occuper de
ses multiples blessures. Il frémit lorsqu’elle nettoya une entaille
à l’alcool si bien qu’elle remarqua qu’il était
éveillé. Ils se regardèrent un instant dans les yeux (c’était
peu dire que Sonya avait l’air contrariée) puis elle se concentra
à nouveau sur sa tâche.
Le jeune garçon voulut dire quelque chose mais ne trouva pas de mots.
Il se rendait compte que la femme de son maître était absolument
furieuse et cela le peinait. Car de toute la vie de l’ancien pickpocket,
elle était sans doute la seule personne à s’être comportée
gentiment à son égard. Le garçon n’était pas
habitué à la compagnie humaine si bien que vivre avec Praesepe
et sa femme au cours des deux derniers mois était une expérience
totalement nouvelle. Une expérience qui s’était révélée,
à sa grande surprise, plutôt agréable en grande partie grâce
à Sonya.
Ses relations avec Praesepe étaient en effet polies mais distantes. L’un
comme l’autre savait qu’ils n’avaient rien et n’auraient
jamais rien en commun. On pouvait même difficilement imaginer que deux
personnalités aussi antagonistes avaient été choisie par
le destin pour occuper la même charge. Dans d’autres circonstances,
il ne fait guère de doute que l’un et l’autre auraient fait
tout leur possible pour éviter d’être ne serait-ce que dans
la même pièce. Mais Praesepe accomplissait son devoir en formant
le garçon et le chevalier à la peau d’ébène
était toujours appliqué en tout ce qu’il faisait. De son
côté le garçon avait vite compris qu’il avait énormément
de choses à apprendre de son maître et qu’il avait tout intérêt
à ce que leurs relations soient les meilleures possibles.
En revanche avec Sonya leurs relations étaient beaucoup plus sincères.
La jeune femme n’avait jamais eu d’enfant, une blessure reçue
lors de son entraînement lui ayant retiré cette possibilité.
The Thief était un enfant terrible, mais elle reportait sur lui son instinct
maternel.
Certes elle avait déjà en partie élevé Aioros, mais
le chevalier du Sagittaire n’avait trouvé dans la maison du Cancer
qu’une famille d’accueil.
Si Aioros pouvait visiter sa véritable famille quand il le voulait ou
presque, The Thief n’avait nulle part d’autre où aller. Et
surtout Aioros était un garçon adorable et parfaitement équilibré
à qui elle n’avait finalement pas grand-chose à apporter,
alors que le jeune italien était un terrain en friche. Sa vie n’avait
été qu’une longue épreuve d’où l’amour
le plus élémentaire avait été absent. Elle pouvait
et voulait lui changer cela.
Le garçon avait rapidement senti la chaleur humaine que cette femme,
qui lui faisait office de mère adoptive, avait voulu lui transmettre.
Il savait qu’elle était la première à ne pas voir
en lui un danger ou une opportunité à exploiter.
Se l’était-il définitivement aliénée ? Cette
pensée le faisait frémir…
-Depuis quand j’suis là ? , demanda-t-il finalement.
-Cela fait trois heures qu’Aioros t’a amené ici.
-Où il est maintenant ?
Il avait voulu utiliser un ton neutre mais sa voix contenait une pointe d’agressivité
que Sonya ne put que remarquer.
-Il ne t’a pas raté mais tu l’as bien cherché. Pour
te répondre, il se trouve avec ton maître et Saga dans la salle
du Pope. Ils doivent discuter de ce qu’il convient de faire de toi.
Ses paroles lui donnèrent un coup au moral même si elles ne faisaient
que confirmer ses craintes : il était bel et bien allé trop loin.
Que faire à présent ? Mettre les voiles ? Certes il n’avait
pas appris tout ce qu’il pouvait tirer de cet endroit mais il pourrait
faire avec.
Sonya sembla lire sur les traits du garçon ses pensées car elle
décida de mettre les choses au point.
-Je n’ai pas tout compris mais le chevalier Saga a fait quelque chose
au temple. Tu ne pourrais pas en trouver la sortie.
Il hocha la tête. Son expression n’était pas vraiment déçue,
il prenait simplement acte de la situation.
-Le destin choisit encore pour moi, pensa-t-il. Tant mieux, prendre la tangente,
j’l’ai déjà fait y’a pas si longtemps.
Il se détendit alors : il n’avait plus aucun contrôle sur
les événements alors autant attendre la tournure des choses tranquillement.
De nouveau maître de ses émotions, il regarda alors Sonya avec
curiosité.
-Il se ressaisit vite, pensa-t-elle en soutenant le regard de l’enfant.
-T’es enfermé avec moi alors… T’as pas peur ?, lui
demanda-t-il.
-Je devrais ?
-J’sais pas… J’viens de broyer un gars.
Elle sembla peser ses mots puis rompit le contact visuel en se remettant à
nettoyer les blessures de l’enfant.
-J’ai réalisé aujourd’hui que je ne te connaissais
vraiment pas. Je pensais le contraire, je pensais que mon mari se trompait sur
ton compte, mais c’est ainsi. Mais malgré tout… je ne pense
pas que tu me ferais de mal, quelles que soient les circonstances. Et tu ne
ferais pas de mal non plus à Praesepe. Je me trompe ?
Ce fut au tour de l’enfant de réfléchir longuement à
ce qu’il allait répondre.
-Non, j’crois pas, dit-il finalement du bout des lèvres.
Ils savaient tous les deux que c’était la plus pure vérité.
-Tu as été choisi pour défendre la déesse Athéna.
Pour cela, tu as été doté de pouvoirs qui dépassent
de très loin mon entendement. Mais ce que je peux comprendre c’est
qu’avec cette force immense viennent des devoirs immenses. Tu as un côté
sombre en toi… Terrible et violent… Ni moi, ni Praesepe, ni rien
au monde, ne pourra changer cela. Tu ne pourras pas le changer et je ne pense
pas que tu le voudrais pour commencer. Mais tu es face à un choix que
toi seul peux faire.
Tout en parlant, elle serra un bandage, ce qui arracha une courte grimace sur
le visage grave de l‘enfant.
-Tu ne peux chasser cette violence de ta nature profonde. Mais tu peux la canaliser
afin de ne la libérer qu’au service d’une cause juste. Soit
tu choisis la voie respectable d’assumer le rôle qui t’a été
donné… Soit tu choisis la facilité de te laisser consumer
par tes démons. C’est ce choix qui fera de toi un homme finalement
respectable ou un fou, un maniaque hors de contrôle. Et c’est un
choix que tu devras avoir la volonté de refaire encore et encore. Car
tu seras à jamais sur la corde raide…
Ils ne parlèrent plus tout le temps qu’elle s’occupa des multiples blessures du garçon.
* * * * * * * * * * * * * *
Le Grand Pope Sion, Praesepe, Aioros et Saga étaient dans la grande
chambre du premier serviteur d’Athéna. Les visages des trois chevaliers
d’or étaient graves. Si l’expression de Sion était
dissimulée dans l’ombre de son casque, on pouvait deviner sa colère
à la tension inhabituelle présente dans ses gestes et ses paroles.
-C’est de ma faute, je n’aurais pas dû le laisser seul…
, disait Praesepe.
-Je ne veux plus entendre de telles sornettes !
La voix du Pope avait claqué comme un coup de fouet. Saga et Aioros essayaient
de se faire discrets, impressionnés par la virulence de l’échange
qui opposaient les deux adultes qu’ils savaient être des amis proches.
-Je ne supporterai pas ce genre d’apitoiement et de culpabilité
mal placée une seule seconde de plus, poursuivit Sion. De plus, si tu
étais à blâmer dans cette affaire, je le serais tout autant
puisque c’est à ma demande, pour accomplir une mission que je t’avais
confiée, que tu avais laissé ton élève lors de cet…
incident. Je le redis encore : je n’envisage pas une seule seconde de
te sanctionner et je refuse ta démission.
-Pourtant c’est moi qui l’ai amené ici. Je l’ai entraîné
alors que je savais parfaitement qu’il était un garçon dangereux.
Je suis directement responsable de la mort de cet apprenti.
-Tu n’as fait que ton devoir. Ce garçon est ton successeur, désigné
par la déesse Athéna. Il s’est éveillé au
septième sens, techniquement il est le nouveau chevalier d’or du
signe du Cancer.
-Mais c’est un assassin !
-Je le sais. Mais le fait est que selon toute vraisemblance il a été
choisi par le destin pour servir la déesse.
-Si je puis me permettre d’intervenir…
Les visages de Sion, Praesepe et Saga se tournèrent vers Aioros.
-J’étais présent quand il a tué Arimathy. C’est
une bête sauvage, je ne peux pas croire qu’il soit appelé
à devenir chevalier d’or.
-Ce n’est pas à toi, ni à moi au demeurant, de juger mais
à Athéna, répondit le Grand Pope. En outre, ne crois pas
que je t’ai oublié. Je suis l’autorité dans ce Sanctuaire
et je ne saurais tolérer que quiconque s’improvise justicier. Tu
as participé en toute connaissance de cause à une véritable
rixe t’opposant à un de tes futurs frères d’arme sur
le sol même du Sanctuaire. As-tu idée de l’impact que pourrait
avoir sur les soldats et les apprentis d’avoir assister au spectacle déplorable
de deux chevaliers d’or se livrant à un vulgaire combat de rue
? Cela est presque un crime aussi important!
Aioros posa un genou à terre et s’inclina en baissant la tête
en signe de soumission.
-Je reconnais avoir agi sous le coup de l’impulsivité. Mais Arimathy
était un modèle au Sanctuaire pour tous les autres apprentis.
Sa mort, inutile et absurde, est une perte tellement énorme que j’ai
perdu mon sang-froid. Etant un des aînés de la nouvelle génération
de chevaliers d’or, cette attitude est inexcusable par rapport à
l’exemple que je devrais donner. J’accepterai toute punition que
vous jugerez utile de m’infliger. Mais ma conscience me force à
vous donner le fond de ma pensée : nommer cet assassin chevalier d’or
serait une erreur. Je ne pourrai jamais lui faire confiance, pas plus que tous
ceux qui étaient présent à l’arène aujourd’hui.
J’insiste encore une fois : c’est un psychopathe. Tant qu’il
sera au Sanctuaire, surtout entouré d’une aura d’impunité,
personne ne se sentira plus en sécurité. Tout le monde va dormir
avec un couteau sous son oreiller !
-Je vais le sanctionner et le mettre à l’épreuve, n’en
doute pas. Nous allons également procéder le plus vite possible
à la cérémonie de remise de son armure, ceci afin d’être
définitivement sûr qu’il est l’un des nôtres,
même s’il n’existe presque plus aucun doute.
-Si je puis me permettre, je voudrais également donner mon avis.
Les regards se tournèrent vers Saga qui s’avança d’un
pas.
-Je vais peut-être te paraître cynique Aioros, mon cher ami, mais
je ne pense pas que nous puissions chasser un des douze chevaliers d’or
ainsi. Surtout qu’il faut reconnaître qu’un individu tel que
lui sera fort utile quand l’heure des combats sera venue. En tant de paix,
The Thief pourrait être considéré comme une nuisance inutile.
Mais en tant de guerre, quand il s’agira d’éliminer les centaines
d’ennemis de notre déesse, un tueur né se révélera…
approprié à la situation.
-J’ai du mal à croire ce que j’entends, dit Aioros à
voix basse.
-Pour le moment, The Thief est un bloc de métal grossier, informe et
impur, continua Saga sans prêter attention à son ami. Mais il est
possible à partir de ce matériau de forger une arme d’un
acier acéré et mortel. Et en donnant une cause juste à
cette lame, nous aurons un allié précieux.
-Et alors, nous sommes censés oublier qu’il a tué Arimathy
?
-Un apprenti est mort lors d’un entraînement, intervint Sion. Ce
n’est pas la première fois que cela arrive au Sanctuaire et ce
ne sera certainement pas la dernière.
-C’était un meurtre !
-Sans doute. Mais je vais lui donner l’occasion de nous montrer son meilleur
côté. Et quand à cet incident… Je vais passer l’éponge…
dans une certaine mesure.
Aioros releva la tête et fixa le visage caché dans l’ombre
de Sion.
-Veuillez pardonner mon impertinence… Mais si The Thief n’était
pas un futur chevalier d’or, auriez-vous la même analyse de la situation
?
-Aioros, tu oublies à qui tu t’adresses ! , intervint Praesepe
stupéfait par l’audace de son élève.
Mais Sion fit un signe au chevalier à la peau d’ébène
de ne pas interrompre son élève.
-Chacun peut faire entendre son opinion ici, ajouta Sion à l’intention
de son ami. Sans compter que je reconnais en Aioros ton idéalisme : tu
ne devrais donc pas lui reprocher de dire tout haut ce que tu penses également
sur la question.
Praesepe détourna le regard tandis que Sion désignait à
présent Aioros du doigt.
-Quant à toi, la réponse à ta question est évidente
: bien sûr que non. N’oublie pas, jeune chevalier d’or du
Sagittaire, que contrairement à vous tous ici j’ai déjà
livré une Guerre Sainte. Et, surtout, que j’en ai déjà
gagné une. Je sais ce dont on a besoin et ce qu’il est nécessaire
d’accepter comme compromis pour arriver à une issue positive lors
d’un conflit. Et je ferai tout ce qu’il est en mon pouvoir pour
que les épreuves qui attendent notre déesse débouchent
à nouveau sur une victoire.
Le Pope regarda alors Saga.
-Le chevalier Saga a donné une bonne analyse de la situation. Je regrette
que vous deviez découvrir à vos jeunes âges ce qu’implique
réellement de devoir mener une guerre ! Les chevaliers d’Athéna
sont reconnus pour leur noblesse mais cela n’exclut pas de faire preuve
de réalisme. J’aimerais vraiment ne pas avoir besoin d’hommes
comme The Thief, mais tel n’est pas le cas. Alors effectivement, si un
apprenti pour une simple armure de bronze s’était rendu coupable
d’un tel crime, je l’aurais chassé du domaine sacré
sans la moindre hésitation. Mais tel n’est pas le cas.
Sion reporta alors de nouveau son regard sur Praesepe.
-Mon ami, je n’ai d’autre choix que de te demander de continuer
la formation de ton élève. Et d’essayer de lui inculquer
autant de valeurs que possible.
Aioros sentit alors le cosmos du Grand Pope bouillonner de rage. L’aura
dorée du premier serviteur de la Déesse Athéna se déploya
autour du corps du vieil homme. Une puissance que l’on aurait pu croire
divine s’était éveillée et Sion reprit alors la parole
d’une voix glaciale.
-Mais si jamais il tue encore un seul de mes chevaliers… un seul de mes
apprentis… Je lui briserai moi-même la colonne vertébrale...
Et peu importeront alors les considérations stratégiques.
* * * * * * * * * * * * * *
D’ordinaire les cérémonies de sacre des chevaliers étaient
des moments de joie, d’autant plus dans le cas des chevaliers d’or.
L’arrivée d’un nouveau membre de l’élite des
chevaliers d’Athéna était en effet chargée de symbolique
et d’espoirs. Par tradition cela se passait dans la grande arène,
devant presque la totalité des habitants du Sanctuaire : le nouveau chevalier
recevait sa boite de Pandore et revêtait alors sa tenue sacrée
sous les vivats de la foule.
Mais dans le cas présent le cadre était beaucoup plus austère,
l’assistance bien plus réduite et le jeune chevalier guère
rayonnant de fierté.
The Thief, qui portait encore sur son corps des séquelles visibles de
la leçon infligée par Aioros, reçut son armure dans la
froideur du temple du Cancer, avec pour seule assistance le Grand Pope, son
maître Praesepe et Sonya.
Malgré cela, le garçon avait été parcouru d’un
frisson lorsqu’il avait tiré sur la chaîne de la boite de
Pandore. Cet instant était son moment et le fait qu’il est lieu
en coulisse ne changeait rien à son importance.
Il regarda un moment le totem en forme de crabe, fasciné par la beauté
de l’objet.
-On va en faire des choses ensemble… T’as pas idée ! , dit
le garçon à la protection sous le regard des adultes.
Il passa la main sur l’alliage d’orichalque et de poussière
d’étoiles : l’armure semblait vibrer, ce qui rappela au garçon
la respiration d’un être vivant. Alors que The Thief caressait son
armure comme s’il s’était agi d’un animal, les vibrations
augmentèrent alors d’intensité tandis qu’une intense
lumière dorée apparut. Le totem explosa alors et les éléments
d’armure se mirent à tournoyer dans le temple autour de The Thief
avant de venir le recouvrir. Quand la lumière dorée se dissipa,
le jeune italien avait fait place à un chevalier d’or. Sonya prit
alors la main de son mari et la serra fort.
-C’est incroyable, ça a pas d’poids, c’est comme une
deuxième peau !
L’enfant se sentait investi d’une nouvelle puissance, un sentiment
d’invincibilité l’habitait.
-Avec cette armure, j’pourrais rendre la monnaie de sa pièce à
cet enfoiré d’Aioros… , songeait-il.
Mais il décida de chasser cette pensée de son esprit. L’instant
était magique, mieux valait ne pas le gâcher en pensant à
des choses fâcheuses…
Il réalisa alors avec un certain étonnement qu’il avait
l’impression de ressentir le cosmos de son maître. Il le regarda
mais celui-ci n’avait pas bougé et le regardait toujours, son cosmos
éteint ou presque. Il se rendit alors compte que cette sensation venait
de l’armure, comme si elle gardait une trace de son ancien propriétaire.
Une sorte de réminiscence du passé, diffuse, immatérielle
comme un fantôme, qui resterait liée au métal doré.
-J’espère qu’ça passera avec le temps ! , pensa le
garçon. J’aimerais pas avoir l’impression de l’avoir
toujours à côté de moi, à me surveiller.
Le moment de la découverte passée, le nouveau chevalier d’or
fit face à Sion et posa genoux à terre en signe d’allégeance.
-The Thief, chevalier d’or du… , commença le Grand Pope.
-Non, coupa le jeune garçon.
-Comment ça, non ? , demanda le Grand Pope d’une voix agacée.
-J’suis plus The Thief, c’est plus mon nom. J’suis plus ce
gamin qui vivait en chapardant dans les rues d’Rome mais un autre gars.
Nouvelle vie, nouveau nom.
-Comment devrons-nous donc t’appeler, alors ?
-J’sais pas encore…
-Il n’est guère agréable de parler à une personne
anonyme, remarqua Sion.
-Et ben m’parlez pas ! C’est pas comme vous en aviez envie, en plus…
Praesepe et Sion se regardèrent en coin.
-Là le gamin n’a pas vraiment tort… , pensaient-ils.
-Attendez j’viens d’avoir une idée… J’serais
Deathmask. Le chevalier d’or Deathmask du Cancer.
-Voilà un nom bien morbide… , commenta Praesepe. Puis-je savoir
pourquoi tu l’as choisi ?
-J’crois pas qu’vous en ayez vraiment envie, maître.
Le gamin avait ce regard qui signifiait qu’il n’en dirait pas plus.
-Très bien, je vais pouvoir reprendre, dit Sion. Deathmask, chevalier
d’or du signe du Cancer, aujourd’hui tu reçois ton armure
d’or sacrée, la preuve que tu fais partie de l’élite
de la chevalerie d’Athéna. Depuis les temps mythologique, cette
armure n’a été revêtue que pour défendre la
justice sous la bannière de la déesse Athéna. Tu ne devras
jamais l’utiliser à des fins personnelles ou maléfiques,
sous peine de t’exposer au jugement implacable de tes pairs.
-J’me fais des idées, ou alors il a particulièrement appuyé
cette dernière phrase ? , pensa Deathmask.
Plus tard, quand le Grand Pope fut reparti vers son palais accompagné
par Praesepe, (« ces deux-là vont parler de moi dans mon dos »,
avait pensé le garçon) et que l’armure eut été
remise dans sa boite, Sonya vint s’asseoir sur les marches de l’entrée
du temple du cancer à côté de l’enfant. Ils regardèrent
un moment le soleil de fin d’après-midi en silence
-Alors, comment vois-tu ton avenir de chevalier ?
-J’me battrais pour la justice du Sanctuaire. J’tuerais les gars
qu’on m’dira, et j’le ferai bien.
Elle hocha la tête, se disant qu’elle devrait se satisfaire de cette
réponse.
-Maintenant que le chevalier d’or c’est moi, vous allez rester ici
quand même ?, demanda le garçon.
Visiblement, il souhaitait une réponse positive.
- Nous n’y avons pas encore réfléchi, répondit Sonya.
J’imagine que nous resterons ici le temps que Praesepe t’apprenne
toutes ses techniques et qu’il soit satisfait de ton niveau.
-Bien, commenta sobrement le garçon. Mais maintenant que j’suis
un peu chez moi ici, l’une des premières choses qu’on va
devoir s’occuper c’est refaire la déco de cette baraque !
Sanctuaire, maison du Sagittaire, décembre 1969
-Je crois qu’il sait que tu es là.
-Non…
Aioros était en train d’effectuer une série de tractions
sur une barre d’acier qu’il avait installé entre deux piliers
de son temple. Son entraînement physique matinal avait commencé
depuis une bonne heure et il était couvert de sueur.
Il s’était lui-même imposé ces exercices fastidieux,
allant bien au-delà de ce que Praesepe lui avait conseillé de
faire lorsque le chevalier du Cancer avait cessé d’être son
maître. Aioros savait en effet que n’importe quel apprenti chevalier
de bronze devait faire face à un entraînement physique bien plus
exigeant que ce à quoi lui-même avait été contraint.
Certes son cosmos était développé à un point dont
ne pourrait jamais rêver la plupart des habitants du Sanctuaire, mais
il savait que bon nombre de jeunes garçons qui ne seraient jamais chevalier
étaient bien plus affûtés que lui d’un point de vue
musculaire. Il mettait donc un point d’honneur à se forger un corps
à la hauteur de son cosmos, refusant de tomber dans la facilité
en se contentant de ses dons naturels.
Alors qu’Aioros venait de se laisser tomber au sol et faisait de grands
moulinets avec ses bras pour détendre ses muscles, une petite pierre
ronde se matérialisa soudain à l’ombre d’une colonne,
lévitant à environ dix centimètres du sol. Comme si le
morceau de roche était doté d’une intelligence, il se déplaça
dans l’ombre en se rapprochant du jeune chevalier d’or, s’immobilisant
chaque fois que le garçon regardait plus ou moins dans sa direction.
Le garçon se dirigea alors vers la sortie de son temple, dans l’intention
de faire un footing sur les escaliers menant à la maison du Capricorne.
La pierre se déplaça alors au centre de l’allée du
temple, dans le dos du chevalier, et se mit à le suivre en accélérant
de plus en plus. La pierre se souleva au fur et à mesure qu’elle
le rattrapait, puis elle accéléra encore plus violemment, jusqu’à
atteindre la vitesse d’un homme en train de sprinter, semblant viser l’arrière
du crâne du garçon. Celui-ci attrapa la pierre au vol entre deux
doigts, sans même se retourner ni s’arrêter de marcher. Le
garçon ramena sa main devant lui et regarda en souriant la pierre bouger,
essayant de se dégager de sa prise. Ses yeux brillèrent un instant
comme il utilisait son cosmos, et les mouvements cessèrent. Il soupesa
la pierre, la lançant deux fois en l’air. Il la fit passer d’une
main à l’autre quelque fois, optant finalement pour la gauche afin
de rajouter un peu de challenge. Arrivé à la sortie de sa demeure,
il prit deux pas d’élan et lança son projectile vers le
haut de la vallée.
Le lancer, d’une force et d’une précision inimaginable pour
quiconque ne maîtrisait pas le septième sens, suivit une trajectoire
en cloche parfaite, montant à presque cent mètre de haut avant
de commencer à redescendre en prenant de la vitesse tel un oiseau de
proie fondant sur la statue de la déesse Athéna. Mais Aioros n’avait
pas visé la statue mais le jeune garçon qui se tenait assis en
tailleur quelques mètres devant.
Le jeune Mû sentit le projectile lui arriver dessus, leva la tête
pour le voir mais dut plisser les yeux à cause du soleil. Sion, qui se
tenait à quelque mètre de là, fit un geste de la main et
le projectile disparut dans un flash de lumière quelques mètres
avant d’avoir atteint sa cible. Etonné par le phénomène,
Mû ne pensa même pas à remercier Sion de l’avoir «
sauvé ».
-Ouah ! Comment vous avez fait ?, demanda le jeune garçon à son
maître.
-Je me suis servi de la Starligth Extinction, de façon très localisée.
Constatant que son élève le regardait sans comprendre, le maître
se sentit obligé de préciser.
-C’est une des techniques que tu maîtriseras plus tard mais je ne
pourrais pas te l’enseigner dans l’immédiat.
-Vous l’avez téréportée ?
-Téléportée. Non, pas exactement. En fait si, d’un
certain point de vue, je l’ai téléportée mais en
dehors des quatre dimensions, si bien que cela s’apparente presque à
de la désintégration.
L’enfant regardait son maître avec un air de plus en plus perplexe.
-Peu importe, abrégea le Grand Pope. Disons qu’elle a disparu de
ce monde avant de pouvoir t’atteindre.
Le garçon se leva d’un coup, enthousiaste.
-Je veux le faire !
-Non, je t’ai dit que cela n’est pas encore pour tout de suite :
il faut que tu découvres ton ultime cosmos avant cela.
Le garçon croisa les bras et prit un air déçu.
-En tout cas, cet exercice-ci est une réussite. La téléportation
était parfaite et la télékinésie à distance
bien maîtrisée. A l’avenir il faudra que l’on essaye
avec des objets plus gros et plus nombreux, ainsi que sur de plus grandes distances.
-Pourtant il m’a senti !
- Je crois qu’il nous avait percés à jour tous les deux.
Le chevalier du Sagittaire n’est pas quelqu’un d’ordinaire.
Il t’avait sans doute détecté avant même que ta conscience
projetée n’ait atteint son temple.
-Il est fort comme ça ?
-Comme ça et encore un peu plus. Je ne pense pas qu’il réalise
lui-même tout à fait le niveau de pouvoir qu’il a atteint.
Cela lui est venu si naturellement qu’il ne peut en mesurer le caractère
exceptionnel.
Le gamin prit un air surpris : c’était la première fois
qu’il entendait son maître faire l’éloge de qui que
ce soit en de tels termes. Mais cette surprise passa bien vite et le garçon
revint à des considérations plus personnelles.
-Je veux me té…léporter moi !
-Non, pas tout de suite. Tu es déjà bon à ce jeu, je te
le concède, mais tu ne maîtrises pas encore assez tes perceptions
extrasensorielles. Je ne veux pas que tu te trompes d’un mètre
et que tu te matérialises dans le sol ou dans une colonne. Surtout que
ce n’est pas ça qui manque par ici…
-Mais je fais tous les autres exercices ! Je suis sûr que c’est
facile !
-Chaque chose en son temps. Tu sur-estimes encore un peu tes réelles
capacités…
-C’est pas vrai !
-…mais tu peux essayer de m’impressionner et alors je pourrai revoir
mon opinion. Fais tes exercices de maîtrise cosmique.
Tandis que Mû se remettait en tailleur, Sion songeait qu’il était
tout à fait possible que son jeune élève ait raison. Mû
était presque aussi précoce que lui-même l’avait été
quelques deux cents cinquante ans plus tôt.
-Si cette facilité naturelle n’évolue pas en suffisance,
Mû deviendra un chevalier d’or redoutable, pensa-t-il. Mon armure
est en de bonnes mains, aucun doute.
Constatant que son élève menait parfaitement son exercice et dilatait
ses sens à la perfection, Sion s’autorisa à digresser mentalement.
Il n’était plus vraiment l’ancien chevalier d’or du
Bélier, maître de Mû mais reprenait son rôle et ses
préoccupations de Grand Pope. Il songeait qu’il avait déjà
rassemblé trois chevaliers d’or.
-En fait quatre, en comptant mon vieil ami… Déesse, qu’est-ce
que j’aimerai le revoir !
Aioros et Saga avaient déjà démontré qu’ils
disposaient de pouvoirs hors du commun ainsi que de grandes valeurs morales.
En choisissant son successeur au poste de Pope parmi ces deux-là, il
serait certain de faire un bon choix. A cela s’ajoutait Mû et ce
jeune espagnol qui viendraient presque assurément compléter la
liste des douze. Si les destinées dorées de ce jeune garçon
que Stellio avait découvert sur l’île de Canon et du fils
d’Akiera se confirmaient, il ne resterait plus que quatre maisons vides.
Mais on pouvait considérer que sur ce point-là, plus de la moitié
du chemin était déjà accompli.
-Sans compter que le nombre d’apprentis est en constante augmentation.
Les places de chevalier de bronze et d’argent vont commencer à
se remplir aussi. Je suis dans les temps, tout se passe à merveille.
Laissant son élève à sa concentration, Sion se tourna vers
la statue de sa Déesse.
-Mais alors pourquoi suis-je aussi inquiet ? Pourquoi ai-je l’impression
que quelque chose m’échappe depuis plus d’un an ? Quelle
est cette frustration que je ressens perpétuellement ? C’est comme
si j’avais placé une pièce importante d’un puzzle…
et quelqu’un l’avait retirée puis dissimulée. Et qu’à
cause de cet élément manquant, ma vision de l’ensemble du
puzzle était définitivement altérée.
-Et les six chevaliers que j‘avais envoyé accomplir une mission
que je pensais de routine… Il se passe tellement d’événements
paranormaux dans le monde qu’ils ont dû enchaîner des combats
sans rapport avec leur tâche originelle pendant des mois. Et quand enfin
ils trouvent une piste, l’un d’entre eux meurt et la soi-disant
piste s’avère déboucher sur davantage de questions…
Il se retourna à nouveau vers son élève qui à présent
lévitait un mètre au-dessus du sol. Bien que les sensations de
son élève aient été augmentées à leur
maximum, Sion était presque invisible pour son élève qui
ressentait à présent son environnement à une échelle
globale. Sion ne pouvait que constater que son élève n’était
qu’à quelques encablures du septième sens, déjà.
-Que s’était-il vraiment passé sur cette île maudite
?, se demanda-t-il finalement.