CHAPITRE X : Jour noir.
Ile de Milos, 16 août 1970
La journée avait été dure et le jeune Camus était
heureux d’en voir le bout. Son maître, la belle Béatrice,
était en train de lui faire quelques remarques sur les enseignements
qu’il devait tirer de la journée. Bien qu’il fut impatient
de rejoindre Milo, le jeune français ne perdait pas une des paroles prononcées
par le chevalier d’argent.
Au cours des derniers mois, qui avait vu perdre ses kilos en trop jusqu’à
ce qu’il devienne presque aussi athlétique que son ami grec, le
jeune orphelin avait appris à respecter Béatrice du Cerbère.
La femme chevalier regrettait certes toujours son incapacité à
pénétrer la carapace de son élève, mais elle se
satisfaisait de la relation de confiance qui les liait à présent.
La semaine précédente, Camus avait même laissé échapper
un « maman » en s’adressant à son maître.
Le garçon s’était immédiatement corrigé, il
avait même rougi, expression de ses émotions quasiment impensable
le concernant, mais le maître n’avait pas manqué d’afficher
un sourire satisfait.
Elle avait également fini par acquérir la certitude que le garçon
avait un potentiel exceptionnel. Il avait très vite montré des
dispositions physiques au-dessus de la moyenne malgré son allure pataude
des débuts et elle sentait qu’il comprenait déjà
certains grands principes du cosmos. Certains jours elle avait le sentiment
qu’il était à deux doigts d’éveiller son sixième
sens mais elle avait à chaque fois la vague impression d’aborder
la formation du garçon sous un angle légèrement inadéquat,
comme si son cosmos encore en sommeil était… subtilement différent
de ce qu’elle connaissait.
Elle pensait en tout cas qu’en ôtant les freins mentaux qu’il
s’infligeait lui-même, aucun espoir ne serait trop beau le concernant.
Et elle espérait parvenir à cet état de fait plus facilement
si le garçon acceptait les habitants de l’île comme sa nouvelle
famille.
Ils marchaient tous les deux vers le campement lorsqu’ils perçurent
simultanément que quelque chose n’allait pas.
Ils regardèrent le ciel orangé où le soleil s’apprêtait
à disparaître à l’horizon et le virent se… froisser
puis se déchirer en plusieurs dizaines d’endroits. Et des formes
noires comme la nuit surgirent soudain de ces déchirures surnaturelles.
* * * * * * * * * * * * * *
Aphrodite et Akiera venaient de dire au revoir à Lyn et se trouvaient
sur le perron de leur petite maison. Le temps était agréable selon
les standards Groenlandais et le soleil était encore haut dans le ciel
malgré l’heure avancée, il ne se couchait de toute façon
pour ainsi dire jamais à cette période de l’année.
La scène avait été très pudique mais chargée
d’émotion. La mère avait donné d’ultimes conseils
à son fils, des promesses avaient été échangées
puis l’heure du départ était finalement venue.
L’ancien chevalier des Gémeaux, qui portait le sac de son fils,
s’apprêtait à ouvrir un passage dimensionnel menant au Sanctuaire.
Il concentrait son cosmos pour déchirer la structure de l’espace-temps
quand soudain il tomba à genoux en se tenant la tête.
-Papa qu’est-ce qui se passe ?
-Akiera ?
L’androgyne fit un geste pour rassurer sa femme et son fils. Il se releva
en leur faisant un sourire crispé mais il tremblait encore légèrement
et une goutte de sueur froide coula sur son front.
-Alors que j’allais ouvrir le passage j’ai senti quelque chose.
Une perturbation cosmique d’une amplitude comme je n’en avais pas
ressenti depuis…
* * * * * * * * * * * * * *
Camus courait à en perdre haleine, de chaudes larmes coulant sur ses joues.
Béatrice était morte.
Lorsque les chevaliers vêtus d’armures noires comme la nuit étaient
apparus partout sur l’île, il n’avait d’abord pas eu
spécialement peur, influencé par l’attitude calme de son
maître face à la situation. Malgré le fait qu’elle
n’avait pas son armure sacrée sur elle, Béatrice du Cerbère
s’était interposée devant un groupe de quatre agresseurs.
Mais la confiance de la guerrière s’était vite évanouie.
Camus lui-même s’était vite rendu compte qu’elle était
dépassée par le nombre et la force de ces démons noirs.
Elle avait juste eu le temps de lui hurler de fuir avant de disparaître
sous le flot des coups.
Camus allait désobéir et aller l’aider lorsqu’il avait
vu un coup atteindre la tempe de son maître, suivi d’un craquement
sourd. Il avait alors pris ses jambes à son coup, couru plus vite qu’il
ne l’avait jamais fait et miraculeusement il n’avait pas encore
été rattrapé.
Il se dirigeait vers le campement, estimant que c’était là
qu’il avait le plus de chance de trouver Stellio.
En arrivant sur place il aperçut plusieurs apprentis se faire capturer
et être emmener dans des passages semblables à ceux qui avaient
amenés les assaillants mais, impuissant, le jeune français poursuivit
sa course dans la direction que lui indiquait son instinct.
* * * * * * * * * * * * * *
Milo était avec cinq autres apprentis plus âgés que lui
ainsi que Taliradis lorsque huit chevaliers noirs leur tombèrent dessus.
Taliradis leur hurla de rester derrière lui en se mettant courageusement
en avant mais un seul coup d’un guerrier à l’œil rigolard
suffit à l’étendre pour le compte.
-Les protéger ? Il faudrait d’abord que tu sois capable de
te protéger toi…
Milo s’avança alors pour s’interposer devant le chevalier
noir.
-Après une demi-portion un gamin ? , ricana l’homme.
Son rire fut brutalement interrompu par un coup de pied acrobatique du jeune
grec qui l’atteignit au visage. Pris par surprise, l’homme faillit
tomber au sol mais se rattrapa de justesse.
-Espèce de sale petit…
Un uppercut sauté de Milo finit de le faire tomber, la mâchoire
en miette et hors de combat.
Un des autres chevaliers noirs s’approcha en applaudissant ironiquement.
-Voyez-vous ça ! Le gamin est plus redoutable que l’adulte !
Pas plus impressionné par ce guerrier-ci que par le précédent,
Milo l’attaqua sans hésiter.
Mais cette fois-ci le coup de poing fut facilement esquivé et le guerrier
sombre attrapa même le poignet du garçon. Sans douter une seule
fraction de seconde, Milo enchaîna avec un coup de pied qui obligea son
adversaire à le lâcher. Il fit un petit saut en arrière
et se mit en garde, jugeant plus sage de ne pas foncer tête baissée
contre cet adversaire-ci.
-Tu ne comprends pas bien à qui tu as affaire… , dit le chevalier
noir en s’approchant.
-Moi je crois deviner qui tu es, Toucan Noir ! , dit une voix.
-Comment ?
Trois formes apparurent alors aux côtés de Milo.
Diomède de Pégase, Bayer du Toucan et Jacob de la Girafe. Trois
chevaliers d’Athéna qui mettaient enfin la main sur ce qu’ils
poursuivaient depuis si longtemps.
-Le monde est petit, dit Toucan Noir. Comment faites-vous pour être déjà
ici ?
-Vous vous doutiez bien que nous vous mettrions la main dessus tôt ou
tard, dit Diomède.
-C’était probable en effet. C’est une bonne chose en tout
cas, nous allons pouvoir faire coup double en éliminant enfin la nuisance
ridicule que vous représentez. Car franchement si vous pensez être
venu ici pour aider, vous allez très vite comprendre que c’est
vous qui avez grand besoin de secours.
-C’est ce que nous allons voir !
-C’est tout vu ! Oh ! Avant que nous ne commencions, je voulais
que vous sachiez une chose… C’est moi qui aie abattu votre compagnon
comme un chien dans cette forêt norvégienne.
-Maudit ! Moi Bayer du Toucan, je jure de te faire mordre la poussière !
-Ha, j’ai déjà entendu ces paroles ce jour-là !
* * * * * * * * * * * * * *
Lorsque Camus trouva enfin Stellio celui-ci était aux prises avec un
groupe d’une dizaine de chevaliers noirs. Malgré l’infériorité
numérique écrasante le maître chevalier était d’une
efficacité redoutable.
Perpétuellement en mouvement et sur l’offensive afin d’empêcher
ses assaillants de s’organiser efficacement, il avait déjà
blessé plusieurs des chevaliers noirs, certains gravement.
Il semblait flotter entre les coups, chaque mouvement étant parfaitement
adapté à la situation. Il attaquait sans utiliser de techniques
spéciales qui lui auraient demandé bien trop de temps mais en
se rapprochant suffisamment de ses adversaires pour poser la paume de sa main
sur leur corps. Il libérait alors une onde de choc à bout portant
qui faisait voler en éclat les protections ou disloquaient les os.
Entre deux assauts, Stellio lança un regard à Camus et lu dans
le regard du garçon la confirmation de ce qu’il avait ressenti.
Poussant un cri de rage, il porta un nouveau coup qui arracha la moitié
du torse d’un adversaire.
Les autres chevaliers noirs reculèrent instinctivement devant cette démonstration
de puissance Stellio voulut les poursuivre mais il s’arrêta en constatant
que deux nouvelles têtes venaient de faire leur apparition.
Mirfak de Persée et Jason de la Carène venaient prêter main-forte
au maître de l’île.
-Voulez-vous bien nous en laisser quelques-uns ? , demanda Jason.
-Il y en a pour tout le monde, répondit Stellio.
* * * * * * * * * * * * * *
Tandis que Bayer affrontait seul son alter ego noir, Diomède, Jacob
et Milo luttaient de concert contre les chevaliers noirs restant.
Le chevalier Pégase se félicitait d’être tombé
sur ce garçon aux cheveux violets qui faisait plus que sa part dans le
combat. Pour le moment les choses ne tournaient pas trop mal pour eux ;
profitant d’un bon travail d’équipe, Jacob était parvenu
à déclencher son Wild Run et avait déjà neutralisé
un des adversaires. En revanche, Diomède était beaucoup plus inquiet
en ce qui concernait Bayer.
Les rares brides qu’il pouvait entrapercevoir de son affrontement lui
donnaient l’impression que son ami était totalement dominé
et que son adversaire jouait avec lui plus qu’autre chose.
Mais pour le moment Diomède ne pouvait que se concentrer sur son propre
combat.
Il vit le jeune apprenti lui faire un clin d’œil puis se précipiter
sur un chevalier noir sans faire preuve de la plus élémentaire
prudence. Le guerrier qui portait une réplique sombre de l’armure
de Mirfak, sans le bouclier de la Méduse, au grand soulagement des chevaliers,
vit Milo se jeter sur lui et voulut l’intercepter d’un coup de pied.
Mais le jeune grec esquiva en se baissant et en se laissant glisser jusqu’à
sa cible. Il prit alors appui sur une main pour tournoyer et faucher le pied
d’appui de Persée Noir avec ses deux jambes.
Diomède vit le chevalier noir voler dans les airs et sut que le garçon
lui avait offert une chance inestimable. Il sauta sur le guerrier en détresse
en faisant exploser son cosmos.
-PAR LE GALOP DE PEGASE ! , hurla-t-il, abattant sur son ennemi une pluie
de coups semblable à des étoiles filantes.
Persée Noir roula dans la poussière, inanimé, sous le regard
incrédule de ses compagnons.
Toucan Noir n’avait rien perdu de la scène et laissa échapper
un juron.
-Tes compagnons se débrouillent mieux que toi, pâle chevalier.
Me voilà obliger de faire le travail moi-même, encore une fois.
Mais cela veut dire que ta dernière heure est venue !
Bayer, qui reprenait son souffle bruyamment, se mit en garde.
-Tu as raison il est temps d’en finir ! Voyons qui est le vrai chevalier
du Toucan !
Les deux adversaires enflammèrent leurs cosmos simultanément afin
de déclencher leurs techniques secrètes et leurs animaux totems
apparurent derrière eux.
-LE VOL SACRE ! , hurla Bayer.
-BLACK WING ! , rétorqua le chevalier noir.
Les deux oiseaux volèrent l’un vers l’autre et se percutèrent
dans un éclair.
Aux multiples battements d’ailes du toucan de bronze qui provoquaient
des courants d’air tranchants comme des épées, l’oiseau
noir ne répondit que par un seul battement dont la puissance balaya ses
contreparties.
Après s’être croisé dans les airs, les deux adversaires
atterrirent dos à dos.
Jacob et Diomède virent alors la tête de leur ami se détacher
de ses épaules et rouler au sol.
Alors que le corps du chevalier de bronze ne s’était même pas encore écroulé, Toucan Noir marchait déjà vers eux.
* * * * * * * * * * * * * *
Jason, Mirfak et Stellio formaient un trio redoutable. Mais au moment où
ils commençaient à prendre définitivement le dessus en
ayant neutraliser trois adversaires, d’autres chevaliers noirs étaient
venu appuyer les premiers.
Et certains des nouveaux arrivés se révélaient particulièrement
redoutables à moins que ce ne fut la fatigue qui commençait à
entrer en ligne de compte.
Les chevaliers noirs avaient entrepris de saper les forces des serviteurs d’Athéna
en se relayant dans la mêlée.
Le chevalier de la Carène faisait à ce moment-là face
à deux adversaires qui le soumettaient à des attaques croisées
plutôt bien coordonnées.
Celui qui semblait être le Lézard Noir attaqua avec une vague d’énergie
ténébreuse. Jason esquiva en effectuant un bond prodigieux en
hauteur. Les deux chevaliers noirs ne l’avaient pas perdu de vue et attendaient
le moment où il retomberait quand ils se rendirent compte que le chevalier
d’argent était en train de concentrer son cosmos.
-SHIP OF HEROES ! , hurla Jason.
Son attaque frappa le sol entre ses deux adversaires qui furent soufflés
comme des fétus de paille.
Jason atterrit comme un chat et s’élança instantanément
vers le plus proche des deux chevaliers noirs. Celui-ci se releva prestement
mais seulement pour se retrouver nez à nez avec le chevalier d’argent.
-SHIP OF HEROES ! , hurla à nouveau Jason en portent cette fois-ci
son coup à bout portant.
L’armure noire explosa sous l’impact et le corps sans vie fut propulsé
à une dizaine de mètres.
Si Jason n’avait pas pu s’occuper de lui, Lézard Noir ne
fut pas plus verni que son compagnon. Il était tombé presque aux
pieds de Mirfak qui profita de l’aubaine pour braquer le bouclier de la
Méduse vers le l’homme qui se relevait. Les yeux de le gorgone
s’ouvrirent, transformant le guerrier malchanceux en statue de pierre
que Mirfak s’empressa de briser d’un coup de poing.
Mais Jason qui observait la scène se rendit compte que son ami avait
été trop imprudent dans sa hâte de profiter de la situation.
-Derrière toi ! , cria-t-il mais c’était déjà
trop tard.
Un chevalier noir frappa Mirfak dans le dos et son coup de poing ressortit au
niveau du cœur. De façon totalement incroyable, Mirfak semblait
ne même pas sentir le coup qui venait de transpercer son armure et son
corps comme du papier.
Il saisit à deux mains la tête de l’homme qui venait de le
tuer et dont le bras lui traversait encore le corps et lui brisa le cou d’un
seul geste.
Mirfak se dégagea alors du cadavre et tenta d’arrêter le
flot de sang qui se déversait de sa poitrine avec ses deux mains mais
cela était totalement vain. Il tomba à genoux et son regard croisa
celui de Jason.
-Pas tout seul, murmura le chevalier de Persée entre ses dents rougies
par le sang.
-Non ! , cria Jason.
Mirfak choisit alors un adversaire au hasard et se rua sur lui. Deux chevaliers
noirs le frappèrent au passage mais il continua comme si de rien n’était.
Sa cible voulut alors prendre la fuite devant le forcené mais le chevalier
mourant la rattrapa en la saisissant dans le dos. Il prit alors une impulsion
et s’éleva dans les airs avec son compagnon forcé pour le
dernier voyage sur le visage duquel Mirfak plaqua le bouclier de la Méduse
dans un dernier effort. Les deux ennemis furent simultanément transformés
par le regard de la Gorgone en statues de pierre qui se brisèrent en
mille morceaux en retombant au sol.
Le bouclier de la Méduse lui-même ayant été brisé,
les deux corps reprirent leur consistance ordinaire, offrant un spectacle particulièrement
morbide.
* * * * * * * * * * * * * *
Un chevalier courait vers son chef pour lui faire son rapport. Il posa un genou
à terre et parla sans plus attendre.
-Seigneur Dragon Noir, nous nous sommes déjà emparés de
presque toute l’île. Il n’y a plus que deux poches de résistance.
-Bien, assure-toi que le transport des prisonniers se passe bien. De mon côté
je vais aller voir ça de plus près.
* * * * * * * * * * * * * *
Milo sentait que la situation devenait intenable. Les deux chevaliers avec
qui il combattait étaient vaillants, mais ce chevalier du Toucan Noir
déséquilibrait trop les choses.
Il aurait fallu qu’ils soient à trois sur lui seul pour avoir une
chance…
Le chevalier de la Girafe avait pris ses responsabilités de son rang
et luttait contre ce formidable adversaire au corps à corps. Mais, avec
les autres chevaliers noirs qui le harcelaient et malgré le fait que
ses deux compagnons couvraient ses flancs, sa tâche était presque
impossible.
Malgré tout le chevalier d’argent continuait à se battre
comme si la défaite n’était pas une option, conscient que
de lui dépendait la vie de son ami Diomède et des apprentis.
Il ne pouvait pas céder et utilisait toutes ses ressources, toute son
expérience, toute sa rage. Toute son existence l’avait amené
à ce moment-là, ce suprême instant de vérité.
La justice était de son côté, il était un des braves
chevaliers de la déesse Athéna, il devait être la hauteur.
Malheureusement ce qui devait arriver… arriva. Le plus cruel pour le chevalier
d’argent fut que la faute qui provoqua sa chute ne fut de son fait. En
une telle situation, la seule solution est d’avoir une confiance en ses
compagnons, il faut assumer que jamais ils ne céderont et protégeront
toujours efficacement ses arrières.
Le jeune Milo prouvait en ce jour qu’il serait un jour un glorieux serviteur
de la déesse. Mais ce qu’il serait un jour ne changeait pas ce
qu’il était à l’instant : un apprenti encore
inexpérimenté et encore dans l’enfance malgré des
ressources physiques et une endurance hors norme.
Jacob ne vit jamais le péché d’orgueil, ou plutôt
la trop grande envie de bien faire, que commit Milo. Il ne vit pas l’apprenti
se lancer dans un assaut inconsidéré, qu’il ne rata d’ailleurs
finalement que de quelques centimètres à cause de la fatigue qui
commençait à tétaniser ses muscles. Il entendit par contre
vaguement l’impact du coup du chevalier noir qui avait cueilli le jeune
garçon imprudent. Et il sentit définitivement l’impact du
corps du garçon contre son flanc qui le déséquilibra alors
que lui-même était lancé dans un assaut sur Toucan Noir.
Profitant de l’aubaine, Toucan Noir asséna à Jacob un coup
du tranchant de la main au niveau du cou. Alors que le col de l’armure
d’argent volait en éclat, le chevalier eu le temps de penser que,
parfois, la volonté et le courage ne suffisaient pas. Puis il s’écroula
comme une masse, inconscient ou mort.
Avant même qu’il n’ait vraiment compris ce qu’il avait
involontairement causé, Milo fut remis sur pied par Diomède.
Le chevalier de bronze et l’apprenti luttaient à présent
dos à dos, un dernier baroud d’honneur avant de rejoindre leurs
alliés vaincus.
Le jeune grec sut que sa dernière heure était arrivée s’il
ne réagissait pas tout de suite. Avec l’énergie du désespoir,
il enflamma son cosmos qu’il avait découvert il y a à peine
quelques semaines.
-Je ne veux pas mourir, pensa-t-il en essayant de repousser ses limites.
Il poussa un cri et un déclic se produisit. Son cosmos explosa, créant
un souffle surpuissant. Diomède eut juste le temps de se jeter aux pieds
du garçon et d’attraper le corps de Jacob puis le vent redoubla
de puissance arrachant la plupart des chevaliers noirs du sol.
Seul Toucan Noir semblait en mesure de résister au souffle, mais il était
immobilisé et ne pouvait rien faire d’autre que subir les événements.
Milo leva alors sa jambe gauche en arrière, la plaçant dans son
dos comme la queue d’un scorpion et un sourire se dessina sur ses lèvres.
Il commençait à contrôler le flux de puissance qu’il
générait et entreprit instinctivement de manipuler le souffle
avec ses mains.
Il envoya d’abord les chevaliers noirs se fracasser contre les baraquements
et les rochers des environs. Cela se révéla incroyablement facile
et cela le rendit euphorique. Il les fit tous rebondir comme des pantins désarticulés
plusieurs fois puis se concentra sur Toucan Noir qui résistait toujours
à la tempête surnaturelle.
Milo déchaîna toute sa puissance et le chevalier noir commença
à reculer, ses pieds creusant des sillons dans le sol. Mais impossible
de l’arracher du sol. Le garçon se rendit alors compte qu’il
ne pourrait plus maintenir le souffle très longtemps et que ses forces
étaient cette fois presque totalement épuisées.
Il poussa un hurlement presque animal et Toucan Noir perdit enfin contact avec
le sol et alla s’écraser avec violence sur le rocher où
Milo avait déjà projeté plusieurs chevaliers noirs.
Sur ce dernier coup de boutoir, le cosmos de Milo se dissipa et il tomba à
genoux, épuisé.
-Et bien toutes mes félicitations, dit Diomède en se relevant.
-Merci, répondit le garçon entre deux inspirations bruyantes.
Le chevalier de bronze profita de l’accalmie pour prendre le pouls de
Jacob et constata avec soulagement qu’il y en avait un. Néanmoins
sa blessure au cou, l’inquiétait fortement, son ami avait certainement
des cervicales brisées.
-C’est pas possible ! , articula Milo à grande peine.
Diomède regarda dans la même direction que le garçon et
découvrit Toucan Noir qui venait vers eux, blessé mais surtout
visiblement furieux.
* * * * * * * * * * * * * *
Jason commençait à penser qu’ils avaient une chance de
l’emporter.
Les dernières secondes de vie du chevalier de Persée qui l’avaient
vu emporter trois adversaires dans la tombe avaient marqué le moral des
chevaliers noirs. Connaître la réputation de pugnacité des
chevaliers est une chose mais la voir en œuvre en est une autre. Malgré
sa mort, Mirfak avait porté un coup qui pouvait se révéler
décisif.
De plus la présence de Stellio changeait tout. Certes les deux serviteurs
d’Athéna étaient marqués par la fatigue, mais ils
opéraient avec méthode et en parfaite coordination. Jason sentait
que l’influence de Stellio faisait de lui un meilleur combattant :
le maître chevalier était de ces guerriers si accomplis que sa
sérénité et son expertise rejaillissaient autour de lui,
une contamination positive de l’excellence.
L’arrivée de Dragon Noir sur les lieux du combat interrompit les
choses : tous les chevaliers noirs cessèrent les hostilités
et s’écartèrent pour laisser leur chef s’approcher.
Les deux résistants profitèrent de l’aubaine pour souffler
un peu et se rapprocher l’un de l’autre mais en se demandant aussi
ce qui allait suivre.
-Stellio du Lézard n’est-ce pas ? Le chevalier d’argent
dont on dit la puissance presque digne d’un chevalier d’or.
Stellio vint à la rencontre du nouveau venu en faisant signe à
Jason de ne pas le suivre.
-Ma réputation a atteint votre île démoniaque ? Je
ne sais pas vraiment si je dois considérer cela comme un honneur.
-Oui, nous savons qui vous êtes. Vous êtes même la raison
pour laquelle je participe à cette petite expédition… Mais
je suis un seigneur noir, ta force est sans conséquence sur l’issue
du combat.
Sur ces mots Dragon Noir passa à l’attaque. Stellio voulut esquiver
mais…
-Trop rapide, pensa-t-il juste avant de recevoir un coup de pieds circulaire
dans les côtes.
Le maître chevalier vola dans les airs mais se rétablissa grâce
à une acrobatie et atterrit sur ses pieds, en position de garde. Il contrôla
la douleur grâce à sa respiration puis tendit la paume de sa main
en libérant son énergie. La poussière vola tandis que Dragon
Noir, qui s’était caché derrière son bouclier, reculait
de plusieurs mètres, laissant deux petites tranchées dans le sol.
S’il avait été ébranlé, le seigneur noir n’en
laissa rien paraître.
-Cela va peut-être se révéler intéressant, dit-il
en s’approchant.
* * * * * * * * * * * * * *
Diomède et Milo se lancèrent à l’assaut du chevalier
noir mais le garçon était tellement épuisé que Toucan
Noir n’eut aucun mal à l’envoyer à terre d’une
simple gifle.
-PAR LE GALOP DE PEGASE !
Diomède s’éleva dans les airs et tenta d’atteindre
le chevalier noir avec sa pluie de coups de pieds portée avec plus de
vitesse que jamais, presque à mach 2. Mais bien que Diomède se
soit élevé pendant une fraction de seconde au niveau d’un
chevalier d’argent l’attaque se révéla totalement
vaine. Toucan Noir para tous les coups puis saisit la jambe droite du chevalier
de bronze et effectua un grand mouvement circulaire pour écraser son
adversaire au sol, sur le flanc droit.
Milo revint alors à l’assaut mais le chevalier noir l’écarta
à nouveau d’une gifle.
-Je m’occuperai de toi après, cria Toucan Noir qui écumait
de rage.
Diomède se releva alors, son bras droit pendant le long de son corps,
apparemment inutilisable.
Cela sembla donner une idée à Toucan Noir qui repartit à
l’assaut. Diomède voulut le frapper de son bras valide mais Toucan
Noir bloqua l’attaque comme si elle avait été portée
par un enfant et brisa l’avant-bras de Diomède comme s’il
s’agissait d’une brindille.
Il frappa ensuite successivement les deux genoux du chevalier de bronze, lui
brisant les rotules.
Diomède, les membres brisés et impuissants, fut alors soulevé
à bout de bras par le chevalier noir qui lui hurla au visage de toutes
ses forces, écumant.
-Je crois que je vais vous démembrer et puis sucer vos os.
-Mange déjà ça, dit Diomède en enfonçant
son poing droit dans la bouche grande ouverte de son adversaire et lui brisant
les dents au passage.
-PAR LA CHARGE AILEE, cria-t-il en déchaînant son plus puissant
arcane qui arracha le haut du crâne de Toucan Noir.
Le chevalier de bronze et le cadavre tombèrent puis roulèrent
au sol.
Milo vint alors se pencher sur Diomède et le tourna sur le dos, tandis
que les apprentis qui s’étaient éloignés pendant
le combat osaient à présent se rapprocher.
-Ca va ? , demanda-t-il.
-J’ai été en meilleure forme.
-Hé, votre bras n’avait rien !
-Non.
-C’était une bonne ruse !
-Oui… J’avoue qu’idéalement je n’avais pas prévu
qu’il me brise tous les autres membres…
-Oh…
-On va avoir de la compagnie, ajouta Diomède en faisant un signe de menton
dans une direction. Milo vit alors que quatre des chevaliers noirs qu’ils
avaient maltraités un peu plus tôt avaient repris connaissance
et s’approchaient d’eux prudemment.
-Tu peux refaire ton truc de tout à l’heure ? , demanda le
chevalier de bronze.
-Je crois pas…
-Dans ce cas nos petits exploits n’auront pas servi à grand-chose…
* * * * * * * * * * * * * *
Stellio ne pouvait que se rendre à l’évidence, il n’était
tout simplement pas à la hauteur.
Son adversaire était plus rapide et plus fort. Surtout que ce Dragon
Noir lui était à peine inférieur sur le plan technique,
si bien que Stellio n’avait aucun moyen de compenser son désavantage.
Comment un chevalier noir pouvait-il posséder un tel niveau ?
Le corps de l’ancien chevalier d’argent était couvert de
blessures. Aucune n’était réellement sérieuse mais
leur accumulation commençait à l’handicaper sérieusement.
Dragon Noir, lui, était indemne. Les rares coups qu’il avait reçus
avait été absorbés par son armure.
-Prêt pour le dernier assaut ?
Stellio n’eut même pas le cœur à émettre une
ultime bravade. Il ne se faisait pas d’illusions et sentait que la fin
était effectivement proche. La logique de ce combat voulait qu’il
s’achève lors des prochains coups échangés mais Stellio
était un serviteur d’Athéna, il ne pouvait pas renoncer
et décida de tenter le tout pour le tout. Sa seule chance était
de toucher Dragon Noir avec sa plus puissante arcane au moment où celui-ci
voudrait l’achever.
Dragon Noir chargea et Stellio sortit de l’attitude défensive qu’il
avait adopté depuis que le cours de l’affrontement avait commencé
à trop pencher du côté de son adversaire.
-SALAMANDER STAR !
Une étoile d’énergie blanche se forma devant le chevalier
d’argent puis explosa en des milliers de flèche de feu blanc. Stellio
eu le temps de voir un doute s’inscrire sur le visage de son adversaire
puis celui-ci disparut et le puissant coup ne toucha que le vide. Le seigneur
noir réapparut une fraction de seconde plus tard sur le flanc droit de
Stellio. Avant que ce dernier ne puisse faire quoi ce soit il fut pris sous
un déluge de coups de poing. Dragon Noir saisit alors son adversaire
par le col en se préparant pour le coup de grâce.
-Jolie attaque, vous m’avez forcé à accélérer
un peu… Mais maintenant je crains que tout ne soit fini !
-Pas si vite, dit Jason en chargeant d’un coup de pied sauté le
seigneur noir qui se dégagea en lâchant Stellio.
Jason tenta un autre coup de pied que le seigneur noir esquiva d’un petit
bon en arrière. Le chevalier de la Carène s’interposa alors
devant Stellio tandis que Camus et les autres apprentis se précipitaient
au côté de leur maître tombé.
-Un acte bien inutile… Rendez-vous et vous mourrez sans souffrances inutiles.
-Jamais ! , cracha le chevalier d’argent.
-Je sais, ce n’était que pour parler…
Jason ne vit même pas arriver le coup qui brisa son plastron et le jeta
à terre. L’armure d’argent avait été littéralement
réduite en poussière, mais elle lui avait sauvé la vie.
Pour l’instant.
Il se relevait péniblement quand un nouveau coup, moins violent et rapide
que le précédent mais malgré tout imparable dans son état,
l’envoya rouler jusqu’à buter contre le corps de Stellio.
-Fuyez… , soupira Jason à l’intention des apprentis, mais
aucun ne bougea, statufiés qu’ils étaient par la peur.
-Et bien ? C’est pourtant un fort bon conseil qu’il vous a
donné là, ricana Dragon Noir.
Le seigneur noir tourna alors les talons en faisant signe à ses hommes
d’achever la besogne.
Camus vit deux démons noirs s’approcher et il ne pouvait pas faire
le moindre mouvement. Ce furent les pleurs de ses compagnons qui le ramenèrent
à la réalité. Il fallait faire quelque chose !
Mais quoi ? Il n’était sur cette île que depuis trop
peu de temps, il n’avait encore presque rien appris du combat. Il était
totalement impuissant mais il repensa alors aux paroles de Béatrice qui
lui disait que son cosmos était là, prêt à se réveiller…
Il se rappela qu’elle lui avait dit qu’elle pensait qu’il
s’en était déjà servi une fois pour sauver sa vie
lors de cet accident qui avait décimé sa famille, même si
son traumatisme moral l’empêchait de s’en rappeler…
Non ces pensées étaient inutiles, elles le détournaient
de la situation présente.
Il lui fallait réfléchir et vite ! Si seulement les choses
pouvaient se ralentir un peu, si seulement le temps lui-même pouvait se
ralentir !
Les autres apprentis virent un cosmos blanc se former autour de Camus qui ne
se rendait compte de rien. La température se mit alors à décroître
sensiblement tandis que Camus agissait inconsciemment sur le mouvement des atomes.
Dragon Noir se retourna et resta interdit un instant devant ce qu’il voyait,
des cristaux de glace flottaient autour des gamins et des chevaliers à
terre.
-Attention, revenez ! , cria-t-il à l’intention de ses deux
sbires mais un seul réagit, l’autre se contentant de regarder la
scène d’un œil bovin.
Les cristaux grossirent soudain à vue d’œil et se solidariser
les uns avec les autres. Un air glacial souffla sur les chevaliers noirs qui
se protégèrent le visage avec leurs bras.
Quand la bourrasque gelée fut passée Dragon Noir découvrit
avec un certain effarement qu’à l’endroit où se tenait
les apprentis et les chevaliers s’élevait à présent
un gigantesque bloc de glace de plusieurs dizaines de mètres cube, haut
comme un petit immeuble. Il aperçut que le corps du chevalier noir un
peu trop lent à la réaction pour son propre bien était
prisonnier de la gangue de glace jusqu’à la taille et que l’homme
était aussi mort que possible.
-Pff… Toi, brise-moi ça ! , ordonna-t-il à celui qui
venait de faire montre d’une vivacité de réaction salvatrice.
D’abord inquiet, le chevalier noir s’approcha du bloc de glace haut
comme un petit immeuble en prenant soin d’être aussi loin que possible
de son infortuné compagnon. Il concentra son cosmos noir et frappa alors
de toutes ses forces la paroi. Le bruit des os de son poignet se brisant comme
du bois sec s’entendit à cinq cent mètres de là.
-J’ai horreur des contretemps… , fit Dragon Noir.
* * * * * * * * * * * * * *
Le Grand Pope, Mû et Aioros étaient en train d’assister
aux combats préliminaires du tournoi organisé pour l’attribution
de l’armure de bronze du triangle lorsqu’un coursier essoufflé
vint remettre un message au maître du Sanctuaire.
Le messager s’inclina en tendant le papier sur lequel avait été
griffonné à la hâte un court texte.
-Cela vient des cinq chevaliers actuellement en mission pour votre excellence,
dit simplement l’homme mais tout dans son attitude trahissait l’urgence
de la teneur du message.
Sion lu le texte avec attention et Aioros eut l’impression de le sentir
blêmir bien qu’il ne puisse voir son visage caché par son
casque.
-D’après eux, les chevaliers noirs seraient en train d’attaquer
l’île de Minos en ce moment même, finit par dire le Grand
Pope d’une voix grave. Et les chevaliers seraient allés s’interposer.
D’un seul mouvement, Aioros et le Pope se tournèrent dans la direction
de l’île de Minos. Mû les regarda sans comprendre, ils semblaient
extrêmement concentrés.
-Je sens des combats, dit Aioros.
-Je sens de la peur et… des morts, ajouta Sion d’une voix sinistre
avant de regarder Aioros avec un air surpris.
-Comment vous faites, c’est à plusieurs centaines de kilomètres ?
, interrogea Mû avec perplexité.
Sion semblait avoir envie de poser la même question à Aioros mais
le contexte ne s’y prêtait guère.
-Le temps de prendre mon armure, j’y serai en dix minutes... , dit Aioros.
-D’autres seront morts d’ici-là, dit Sion en serrant le poing
de rage et d’impuissance.
-Impossible de faire plus vite. A moins que… Saga ! Il pourrait ouvrir
un passage dimensionnel ! , dit-il triomphalement.
Aioros et Sion se tournèrent simultanément vers Rodorio, de nouveau
dans un mouvement tellement synchrone que Mû cru qu’ils s’étaient
peut-être entraînés. Mais le garçon préféra
garder cette pensée hors contexte pour lui…
-La barbe, je ne sens pas sa présence ! , s’exclama Aioros,
presque furieux de frustration.
Mû se souvint alors que l’un des chevaliers qui cherchaient les
chevaliers noirs était lié familialement au chevalier du Sagittaire.
-Moi, non plus, ajouta Sion. Je savais que je ne devais pas vous autoriser autant
de latitude de mouvement…
-Pourquoi vous n’y allez-vous pas en vous déplaçant à
la vitesse de lumière ? , demanda Mû. Ca vous prendrait même
pas une seconde !
-Pas possible sur une si grande distance, même en parlant de vitesses
largement inférieures à la lumière. Si la fatigue ne me
tuait pas avant même d’avoir atteint Athènes, la chaleur
le ferait, elle.
Le jeune apprenti du Pope leva un sourcil surpris.
-Nos armures absorbent les frottements… dans une certaine limite, compléta
Aioros, qui cachait mal son agacement de devoir expliquer ce genre de choses
en une telle situation.
Mû eut une moue déçue tandis qu’Aioros commençait
à concentrer son cosmos pour appeler son armure.
- Pourquoi pas la téléportation, alors ? , proposa néanmoins
l’apprenti dans la foulée.
-Trop loin aussi, dit le Grand Pope.
-Pas si on est deux à la faire et que je vais avec Aioros.
Le Grand pope eut un moment d’hésitation, trahissant qu’il
estimait cela effectivement possible mais il secoua néanmoins négativement
la tête.
-Hors de question, tu n’es pas encore assez formé pour être
ainsi exposé au danger.
-Ca peut sauver plein de gens ! Et c’est le moyen le plus rapide !
, dit Mû d’une voix à la fois excitée et suppliante.
Aioros et Sion échangèrent un bref regard.
-Une fois sur place, tu ferais exactement ce que je te dis ? , demanda
le chevalier du Sagittaire.
-Promis.
Le garçon paraissait soudain sérieux comme la mort.
-A vous de voir, dit Aioros en regardant Sion. Mais il faut se décider
maintenant, nous perdons du temps.
L’armure du Sagittaire se matérialisa alors au-dessus de l’arène.
L’assistance, qui ne comprenait guère ce qu’il se passait,
retint son souffle devant l’apparition de ce centaure ailé consumé
par un feu doré. La forme embrasée se décomposa en une
multitude de parties qui vinrent recouvrir le corps du gardien de la neuvième
maison du zodiaque.
-Alors ? , interrogea Aioros d’un ton pressé.
-Une seconde, dit le Pope.
-Et Shura ? , demanda pourtant Aioros dans la foulée.
-Au moins un chevalier d’or doit rester au Sanctuaire. Cela pourrait être
un piège…
Le Grand Pope hésita encore une seconde avant de prendre sa décision.
-Je dois… je dois d’abord lancer un appel télépathique,
dit le Grand Pope. Je n’aurai plus la force après. Mû, commence
à te concentrer pendant ce temps…
* * * * * * * * * * * * * *
-Vous voulez vraiment pas nous dire c’qu’y vous arrive ?
La voix de Deathmask était presque agacée, cela faisait maintenant
presque vingt secondes que son maître s’était soudain suspendu
en pleine conversation.
Ils étaient avec Sonya en train de visiter une petite église gothique
et Praesepe en train de faire un commentaire architectural, par ailleurs inintéressant
de l’avis du jeune italien, sur le fait que l’église était
bâtie sur les fondations d’un ancien temple dorique, quand l’ancien
chevalier s’était soudainement interrompu.
-Chéri ? , interrogea Sonya qui commençait à s’inquiéter.
Puis soudain l’ancien chevalier sembla reprendre ses esprits, son regard
vitreux un instant plus tôt se fixant sur Deathmask.
-C’était Sion. Les chevaliers noirs sont en train d’attaquer
l’île de Minos. Nous devons nous y rendre aussi vite que possible.
-J’crois que j’connais un raccourci, dit le jeune chevalier en se
frottant le bas du nez avec l’index, l’air fier de lui.
L’aura dorée du garçon se matérialisa alors et s’intensifia
jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une silhouette dorée,
comme de l’or en fusion.
Praesepe comprit que son successeur s’apprêtait à utiliser
son pouvoir suprême, le Seki shi ki Meikai Ha, qui sert d’ordinaire
à envoyer les âmes des adversaires dans le royaume des morts pour
se rendre physiquement sur les pentes du puit de morts.
-Yomotsu-hirasaka ? Mais que veux-tu aller faire là-bas ? ,
demanda Praesepe.
-Pas obligé de faire un vrai aller-retour… , dit Deathmask d’un
ton mystérieux en commençant à se volatiliser.
-Fichu gamin ! , maugréa Praesepe en activant à son tour
son pouvoir pour le suivre.
-Surtout ne vous en faites pour moi… , soupira Sonya à présent seule dans la petite église.
* * * * * * * * * * * * * *
Tous les belligérants s’arrêtèrent simultanément
car un événement inattendu venait de survenir. Un chevalier d’or
et un gamin à l’allure étrange venaient de surgir du néant
au beau milieu des combats.
-Mon dieu, mais que sont-ils ? , s’exclama Aioros.
Il venait de regarder les chevaliers noirs avec son septième sens, ce
qui lui permettait d’ordinaire de percevoir les cosmos. Et ce qu’il
observait… n’avait aucun sens pour lui.
-Quoi ? , demanda Mû.
-Rien… Plus tard… , répondit Aioros.
Le jeune chevalier d’or allait ajouter quelque chose lorsqu’il fit
volte-face.
-Qu’est-ce que… , commença-t-il.
Deux formes humanoïdes dorées venaient d’apparaître
et en quelques secondes elles se changèrent en Deathmask, revêtu
de son armure sacrée, et Praesepe.
-Vous ? Déjà ? , fut tout ce qu’Aioros put dire.
-Deathmask express, terminus ! Et notez la précision, on se retrouve
direct en bonne compagnie, dit l’italien d’une voix ironique en
regardant Aioros.
-Joli tour, mon apprenti, reconnut Praesepe.
-Quand j’vous disais que j’avais pas que passer mon temps à
bronzer ! , ricana Deathmask. Bon qui je dois éclater ?
-Tout ce qui porte une armure noire, dit Aioros en regardant alentour leurs
adversaires qui commençaient à se remettre de leur surprise.
-Et ce n’est pas ça qui manque… , constata Mû.
Sur ce l’air se troubla et s’ouvrit pour laisser passer Akiera et
un garçon que, même si seul Praesepe l’avait déjà
rencontré en chair et en os, tout le monde identifia comme son fils,
Aphrodite des Poissons.
-Il m’a semblé que nous pouvions donner un coup de main, dit Akiera.
-Les grands esprits se rencontrent, dit Praesepe.
Le chevalier du Sagittaire se tourna alors vers la petite troupe soudainement
rassemblée.
-Praesepe, essayez de secourir les blessés. Mû, reste avec Praesepe
quoi qu’il arrive et n’intervient qu’en cas d’absolue
nécessité. Akiera et son fils, essayez de libérer les prisonniers.
Deathmask, avec moi… fais ce que tu sais faire.
Tous hochèrent la tête et Praesepe mit une seconde à réaliser
qu’il venait de se faire donner des ordres par son ancien élève,
tellement cela s’était passé naturellement.
-Un chef né, songea Praesepe en faisant signe à Mû de le
suivre.
-Repli immédiat, emmenez les prisonniers dans les passages dès
qu’ils seront apparus. Retenez-les en attendant, dit Dragon Noir aux chevaliers
noirs l’entourant.
-Pourquoi on ne se les fait pas ? , interrogea l’un des hommes.
-Ce sont des chevaliers d’or, crétin. Six d’entre eux. Je
ne peux pas m’en occuper sans les autres seigneurs noirs…
Sur ces directives, plusieurs chevaliers noirs allèrent vers les nouveaux
arrivants, mais seuls Aioros et Deathmask vinrent à leur rencontre, les
autres allant de leur côté accomplir leurs rôles.
Tandis que Deathmask commença à étriper méthodiquement
ses adversaires, Dragon Noir et Aioros, les deux donneurs d’ordres qui
s’étaient repéré l’un l’autre, se foncèrent
dessus sans trop se soucier de ce qui les entourait.
-Je supprime le chef d’entrée, cela les désorganisera, pensait
Aioros.
-L’un des aînés de leur nouvelle génération
de chevaliers d’or… Si je n’ai le temps que d’en supprimer
un, autant que ce soit celui-là, pensait de son côté le
seigneur noir.
Aioros avait lu les lettres de son oncle, et il savait que Diomède estimait
que ces chevaliers renégats disposaient de pouvoirs redoutables. Il avait
aussi pu constater en quelques secondes l’étendue de dégâts
dont ils étaient responsables. Le jeune chevalier était prévenu,
et se méfiait de son adversaire en conséquence. Mais même
ainsi, il demeurait un chevalier d’or pensant affronter un adversaire
largement inférieur et sa méfiance ne fut pas tout à fait
à la hauteur de l’adversaire.
Aioros frappa pourtant vite et fort, mais le fait qu’il pensait déjà
à ce qu’il ferait après avoir expédié cet
adversaire fit que son attaque manqua de la conviction nécessaire.
Dragon Noir esquiva le coup de poing du chevalier d’or à une vitesse
proche de la lumière et dans le même mouvement lui colla un puissant
coup de genou dans le bas du ventre. Tandis qu’Aioros était propulsé
en arrière par l’impact, le seigneur noir concentrait son cosmos
noir dans ses mains puis libéra sa puissance à l’état
brut, à bout portant.
Un bruit de tonnerre retentit sur l’île et un énorme nuage
de poussière s’éleva là où se tenait le jeune
chevalier d’or. Même Deathmask, qui était en train de labourer
de coups de poings une bouillie sanguinolente qui devait avoir été
un visage encore une seconde plus tôt, leva un œil de sa besogne
pour regarder ce qu’il se passait.
Le nuage de poussière fut alors dissipé par un vent violent déchaîné
par le cosmos du chevalier du Sagittaire. Ce dernier n’avait pas la moindre
blessure apparente, et avançait vers son adversaire, nimbé de
son aura dorée.
-Etonnant, fit Dragon Noir. Je dois en conclure que les armures d’or sont
aussi solides que leur réputation le prétend.
-Rien à voir, c’est le coup qui était bien trop faible.
-Ha, jeune chevalier arrogant… Il est temps pour toi de réaliser
certaines choses…
* * * * * * * * * * * * * *
Les quatre chevaliers noirs, bien que blessés, avaient tenté
d’achever Milo et ses compagnons d’infortune, mais le jeune grec
s’était battu avec une énergie renouvelée par l’arrivée
des secours.
Sa hargne avait inspiré les jeunes apprentis jusqu’alors terrorisé
si bien qu’aucun des chevaliers noirs, qui pestaient à cause de
cette résistance inattendue, n’avait pu approcher de Diomède
et Taliradis qui gisaient toujours au sol, le premier hurlant des encouragements
aux jeunes combattants.
Les quatre guerriers maudits reculèrent alors de quelques pas.
-Ha vous comprenez enfin que ça ne sert à rien ! , hurla
Milo d’un ton triomphant.
Il sentit alors quelqu’un lui poser une main sur un épaule et en
levant la tête il vit le grand homme noir qui était apparu avec
le deuxième chevalier noir.
-Bon travail mais permet-moi de prendre le relais.
-Non, je continue !
-Tu es très courageux mais tu as rempli plus que ton rôle. Je te
charge d’une tâche très importante, protéger tes amis
pendant que je règle leur compte à ses vauriens.
-Très bien, concéda finalement Milo en s’écartant
du chemin.
-A nous, messieurs, fit Praesepe en s’avançant vers les quatre
guerriers noirs.
L’un d’entre eux s’avança d’un ton décidé.
-Nous n’avons pas peur de toi ! Nous allons te…
Sa tirade fut interrompue lorsqu’il reçut en plein visage une pierre
grosse comme un ballon de football qui l’étendit pour le compte.
-Oh, et j’avais oublié de vous présenter Mû, ajouta
Praesepe tandis que l’intéressé, un sourire moqueur aux
lèvres, s’avançait à ses côtés.
* * * * * * * * * * * * * *
Pendant ce temps, les chevaliers noirs qui avaient voulu attaquer Deathmask
commençaient à reculer et semblaient même sur le point de
déguerpir en prenant leurs jambes à leur cou. Ils venaient de
voir deux des leurs se faire tout simplement massacrer en quelques secondes
et ils auraient tout donné pour se retrouver le plus loin possible de
ce maniaque sanguinaire qui avait éclaté de rire en décapitant
ses victimes.
Le chevalier du Cancer, couvert de sang et tenant ses trophées par les
cheveux, le cosmos flamboyant et les yeux brillants d’une rougeur malsaine
du fait de l’afflux de pouvoir, marchait tranquillement, l’index
de la main droite tendu vers les renégats apeurés.
-Toi, dit-il en désignant un chevalier qui devait être Pégase
Noir.
Le chevalier désigné recula encore de plusieurs pas tandis que
ses compagnons s’écartaient en toute hâte de lui. Le cosmos
de l’italien se concentra alors dans l’index de sa main droite,
sous la forme d’une lueur malsaine et morbide.
-SEKI SHI KI MEIKAI HA ! , dit le chevalier d’or.
Les autres chevaliers noirs virent l’âme de leur compagnon être
arrachée de son corps puis tenter dérisoirement de se retenir
aux épaules de son enveloppe de chair et de sang avec ses doigts spectraux.
-Deux âmes, remarqua Deathmask qui éprouvait de la difficulté
à réussir son attaque. Les deux essences spirituelles, profondément
entremêlées au point qu’elles étaient presque indiscernables,
s’accrochaient désespérément. Mais le chevalier d’or
ne manquait pas de ressource, il intensifia son cosmos et, dans un dernier hurlement
sourd, l’âme de sa victime fut expédiée dans la dimension
du Puit des Morts, le Yomotsu-hirasaka.
Devant ce spectacle, les autres chevaliers sombres craquèrent et prirent
la fuite. Deathmask regarda la débandade en souriant de toutes ses dents,
il s’amusait vraiment comme un fou. Il prit le temps de récupérer
un troisième trophée avant de s’abattre sur les fuyards
tel la grande faucheuse.
* * * * * * * * * * * * * *
Le jeune apprenti ne pouvait s’empêcher de crier alors qu’il
était emmené, ligoté comme deux autres de ses compagnons,
par un groupe de quatre chevaliers noirs. Il n’avait que sept ans et cette
attaque soudaine, avoir vu leur maître respecté mordre la poussière
si rapidement… C’était plus que ce qu’il ne pouvait
supporter.
Pour ne rien arranger, il commença à se demander si en plus il
ne perdait pas la raison. Voilà qu’il se mettait à pleuvoir…
des roses rouges ?
Mais à la réaction surprise de leurs kidnappeurs, il comprit vite
que s’il s’agissait de visions, il n’était pas le seul
à les avoir.
Le parfum des fleurs lui parvint aux narines. Un parfum incroyablement agréable,
apaisant…
Il sentit qu’il était arraché des mains du guerrier noir
qui le portait sur son épaule et entraperçut un visage d’une
beauté parfaite qui ne pouvait appartenir qu’à une nymphe
de la mythologie.
-Mieux vaut ne pas rester ici, dit l’apparition d’une voix douce
mais indiscutablement masculine.
-Il a l’air d’avoir mon âge… Cupidon, peut-être ?
, songea-t-il en commençant à s’endormir.
Il avait les paupières si lourdes, tout à coup...
L’apprenti se rendit compte néanmoins qu’il était
à présent à plusieurs dizaines de mètres des quatre
chevaliers noirs, avec ses deux compagnons d’entraînement qui semblaient
tout comme lui sur le point de sombrer dans l’inconscience, mais auxquels
deux autres apprentis étaient en train de parler en leur présentant
des roses jaunes. Il se rendit compte que celui qu’il considérait
comme Cupidon tenait aussi une rose jaune dans sa main et lui disait quelque
chose… Mais ses yeux ne pouvaient se détacher des quatre chevaliers
noirs. Ils marchaient comme des pantins désarticulés au milieu
d’un véritable nuage de roses rouges qui tourbillonnaient dans
les airs. Il entendit un grand cri, quelque chose qui finissait par « explosion ».
Et il y eu effectivement une grande explosion là où se tenaient
les quatre démons.
Il sentit qu’il commençait à sortir de sa torpeur et à
reprendre ses esprits. Il tenta de comprendre enfin ce que lui disait le demi
dieu à la beauté irréelle.
-Reste avec moi ! Tu dois respirer ça ! , disait-il d’une
voix pressante en lui enfonçant presque la rose jaune dans le nez.
-Quoi ?
-Tu as senti toi aussi le parfum de mes Royal Demon Roses, dit l’incarnation
de Cupidon.
-Démon ? Non, c’était eux les démons. Vous,
vous êtes un ange !
Aphrodite laissa échapper un sourire en lui présentant à
nouveau la rose jaune.
-Peut-être mais il faut quand même que tu respires ça…
* * * * * * * * * * * * * *
Praesepe et toute la petite troupe qu’il avait secourue était
en train d’attendre avec anxiété juste à côté
du grand bloc de glace.
-Qu’est-ce qui lui prend tant de temps ? , s’inquiéta
alors le guerrier à la peau d’ébène.
Comme s’il l’avait entendu, Mû se matérialisa alors,
le visage exténué, et posa une main sur la paroi glacée
pour reprendre son souffle.
-C’est bon, ils sont tous indemnes. Mais se téléporter à
travers cette masse chargée d’énergie cosmique est épuisant,
expliqua le jeune apprenti du Grand Pope.
-Sans compter que tu as aidé Sion à téléporter Aioros
jusqu’ici et que tu n’as pas été avare de ta télékinésie
pour m’aider, pensa Praesepe.
-L’espace est assez grand pour qu’ils ne manquent pas d’air ?
, demanda-t-il à haute voix.
Mû hocha la tête.
-Si on ne les laisse pas là jusqu’à demain cela devrait
aller.
-Très bien…
Praesepe mourrait d’envie d’aller aider les autres mais il sentait
bien que si jamais des chevaliers noirs revenaient, Mû et le jeune apprenti
aux cheveux violets seraient trop fatigués pour faire quoi que ce soit.
-Très bien, on attend.
* * * * * * * * * * * * * *
Aioros et Dragon Noir échangèrent encore une série de
coups improductifs. Le chevalier d’or esquivait sans réel problème
les assauts du seigneur noir qui de son côté parait avec la même
facilité les coups avec son bouclier.
-Il va falloir prendre plus de risques si tu veux me toucher, se moqua le chevalier
noir.
-La réciproque est vraie, fit remarquer Aioros.
-Certes, mais contrairement à toi j’ai renoncé à
achever ce combat aujourd’hui. Je suis juste en train d’attendre.
-Attendre quoi ?
-Ca, répondit le seigneur noir.
L’air autour de lui se mit à onduler puis s’ouvrit littéralement
en deux.
-A bientôt, dit le seigneur noir quand la plaie de la réalité
le happa et se referma sur lui, sans laisser le temps à Aioros de réagir.
Le chevalier d’or regarda autour de lui et vit que des passages dimensionnels
s’ouvraient partout en même temps.
* * * * * * * * * * * * * *
Saga et Kanon avaient choisi une dimension aux propriétés quasiment
identiques à la Terre pour s’entraîner.
Le plus jeune des deux frères avait rapidement progressé sous
la direction de son aîné. Saga lui transmettait consciencieusement
tout le savoir que lui-même avait reçu d’Akiera. Mais l’entraînement
prodigué par Saga était peut-être encore plus efficace que
ne l’avait été celui de son prédécesseur au
poste de gardien de la troisième maison du zodiaque. Tout simplement
car Saga se retrouvait à être le maître de son alter ego
presque parfait, c’était comme s’il s’enseignait à
lui-même. Il connaissait ses forces et ses faiblesses et savait donc sur
quel point approfondir les choses, quel détail méritait d’être
étudié, quel autre aspect serait au contraire rapidement assimilé.
Si le pouvoir de Kanon était à présent digne d’un
chevalier d’or, Saga estimait qu’il demeurait néanmoins légèrement
plus puissant que son frère. L’avantage de l’expérience
et du nombre d’années à s’entraîner dans de
bonnes conditions permettaient à Saga de conserver une avance.
Pour l’instant ils étaient occupés à livrer un combat
soit disant factice mais dont chaque coup était pourtant porté
avec énergie. Kanon avait eu beau réduire son retard, il ne pourrait
sans doute jamais totalement le combler. Etre conscient de cet état de
fait était une chose, l’accepter en était assurément
une toute autre.
Kanon faisait reculer pas après pas Saga en le maintenant sous la pression
constante d’une pluie de coups parfaitement enchaînés. Mais
le jeune chevalier d’or décida soudain que cela avait assez duré.
Son aura se matérialisa et il fit exploser son cosmos, le souffle énergétique
suffisant à repousser Kanon deux mètres en arrière. Le
cadet des gémeaux fit un geste de la main comme s’il voulait demander
à son frère de s’arrêter mais il reçut un direct
en pleine figure qui l’étala pour le compte.
Saga, tout sourire, regarda son jumeau se relever en frottant sa joue douloureuse.
-Saga, j’ai encore senti quelque-chose !
-Pff… Moi pas, ne te cherche pas d’excuses ! , dit Saga d’un
ton moqueur. Reste concentré, ce coup-ci je ne plaisanterai pas !
Saga se mettait en position pour déclencher la galaxian explosion mais
il retint son geste au dernier moment. Il regarda son frère avec un air
étonné.
-D’accord, je l’ai senti aussi !
-Ha, tu vois bien !
-Une énergie énorme… Il faut que j’aille voir ce que
c’était. Rentre m’attendre à Rodorio.
* * * * * * * * * * * * * *
Aioros et Deathmask assistaient impuissants à la fuite des chevaliers
noirs à travers des portes dimensionnelles, emportant avec eux de nombreux
jeunes apprentis captifs. Même les blessés et les morts ennemis
disparaissaient dans des replis de la réalité.
Aioros utilisa alors son septième sens pour observer la scène.
Il adapta sa perception à plusieurs niveaux énergétiques
différents et perçut finalement un réseau énergétique
qui reliait les portes en train de s’activer comme celle qui s’était
déjà refermée ou pas encore ouverte. Chacune des brèches
dimensionnelles étaient reliées les unes aux autres par des fils
d’énergie et ces fils convergeaient tous vers le même endroit :
l’origine du cosmos qui était à l’origine de ces phénomènes.
-Montre-toi ! , hurla Aioros en libérant une vague d’énergie
dorée.
Le coup fila dans l’air jusqu’à ce qu’il semble heurter
un obstacle. L’air se troubla et une grande silhouette encapée,
sur la main de laquelle le coup s’était arrêté, apparut
alors. L’apparition semblait presque irréelle, on pouvait même
se demander s’il y avait quelque chose à l’intérieur
de cette cape sombre et l’on ne pouvait discerner aucun traits sous la
capuche.
-Aioros du Sagittaire… , fit l’apparition d’une voix inhumaine
et cristalline. Nous nous rencontrons à nouveau…
-Quoi ? , fut tout ce que put répondre le jeune chevalier.
Mais sans un autre mot, l’apparition disparut aussi vite qu’elle
était venu et toutes les portes dimensionnelles se refermèrent
dans la foulée.
Tous restèrent là, l’air hagard devant la fulgurance des
événements. Mais les six membres, actuels, anciens et futurs,
de l’ordre des chevaliers d’or sentirent un nouveau passage dimensionnel
en train de s’ouvrir.
Enflammant leurs cosmos, ils se ruèrent tous les six à l’endroit
où il sentait que la porte allait apparaître.
Saga fut quelque peu surpris de tomber sur six compagnons qui, vu leur visage
peu commodes, étaient apparemment bien décidés à
l’étriper sur place.
Le chevalier des Gémeaux leva les bras au ciel tandis qu’au moins
cinq techniques secrètes étaient stoppées au dernier stade
de leur préparation.
-Heu… j’ai raté quelque chose ? , fit-il.
Terres de Blue Graad, le même jour
La bataille était terminée et le champ de bataille était à présent jonché des cadavres des adversaires désormais unis dans la mort. Les corps sans vie étaient déjà bleuis par le froid et la neige qui commençait à tomber promettait de dissimuler bientôt ce funeste spectacle sous un linceul immaculé.
Un guerrier avançait seul, l’air hagard, au milieu de ce passage
de désolation. Le cheveu grisonnant et la barbe finement taillé,
il avait les traits et le port altier de la noblesse même en ce moment
de malheur. Il portait une massive armure intégrale qui semblait faite
de glace bleue et était âgé d’une cinquantaine d’année.
La protection aux reflets bleus était endommagée en de nombreux
endroits, autant de preuves que l’homme avait pris une part active dans
le carnage.
Il s’arrêtait souvent pour se pencher sur les morts et laissait
échapper des râles de douleur devant les visages familiers. Et,
semblait-il, il avait des amis dans les deux camps.
Mardouk, le seigneur de Babylone revêtu de son armure sacrée et
qui semblait lui aussi avoir lutté, s’approcha alors du guerrier
qui errait sans but.
-Est-ce donc cela, le retour au calme que vous m’aviez promis ? ,
dit l’homme.
Mardouk le regarda avec un air réellement attristé.
-Bolthorn… Je suis vraiment désolé, se contenta-t-il de
dire finalement. Je… Je ne pensais pas qu’ils apporteraient un tel
soutien à vos dissidents.
L’homme nommé Bolthorn écarta l’excuse bien dérisoire
d’un revers de main. Il ria d’un rire sans humour un long moment
puis reprit sa contenance.
-Vous n’y êtes pour rien, dit-il finalement. Ces démons sont
cause de tout. Ils ont semé la zizanie dans mon royaume, sous mon nez,
et je n’ai rien vu avant qu’il ne soit trop tard. Si vous n’étiez
pas intervenu ce conflit se serait éternisé, nos villes auraient
été mises à feu et à sang et cela en aurait été
fini de mon peuple. Vous nous avez au moins offert l’occasion de survivre.
-Vos villes ont néanmoins déjà subi de gros dégâts.
Je suis prêt à accueillir une partie de votre peuple sur mes terres.
-Vos « terres ». J’ai cru comprendre que vous n’en
aviez plus vraiment… , fit remarquer le guerrier d’une voix ironique.
-J’en ai de nouvelles…
-Non. Merci, dit Bolthorn d’un ton définitif.
Il fit un geste aux alentours et sembla reprendre du moral.
-Mon peuple a toujours vécu sur ces terres gelées, depuis la nuit
des temps. Il restera là. Il se relèvera. Il se relève
toujours.
-Très bien, répondit le babylonien en baissant la tête.
Si jamais vous avez besoin de notre aide, moi et mes alliés seront là.
Mardouk commença à partir mais avant qu’il n’ait fait
trois pas l’homme le rappela.
-Je viens avec vous, dit-il.
-Quoi ?
Ils se regardèrent un moment dans les yeux et Mardouk put lire la détermination
dans les yeux de son interlocuteur.
-Il n’y a rien de pire que la guerre civile… , dit l’homme.
Toutes sont impitoyables et sans merci. Mon peuple vivait dans la précarité,
nous avions des querelles, des divergences de vues… Mais nous étions
susceptibles de sombrer dans cette guerre. Nous ne serions pas tombés
dans ce gouffre sans fond sans ces chevaliers noirs.
L’homme fit quelque pas et se baissa vers un cadavre qui était
déjà à moitié recouvert par la neige.
-Cet homme était le frère de ma femme. Je l’ai tué
de mes propres mains cette après-midi. Les pères ont tué
les fils, les frères ont égorgé les frères…
A cause de ces démons. Je veux me venger.
-La vengeance ne vous mènera nulle part. Je vais m’occuper d’eux,
restez ici avec votre peuple. Vous êtes leur suzerain, vos gens ont besoin
de vous, plus que jamais.
-Je suis un homme du passé, démodé. Aujourd’hui l’ordre
des Blue Warriors s’est éteint, ou plutôt s’est auto-détruit,
par ma faute. Je suis le dernier. Je n’ai pas eu d’autres réponses
à la montée des troubles que la violence et la répression.
J’ai failli autant qu’il était possible de faillir et j’ai
décidé d’abdiquer et d’abandonner mon titre de Blue
Warrior.
-Vous ne pouvez pas laisser votre peuple sans guide…
-Mon frère, Piotr, prendra ma place. C’est un homme de paix, tout
ce que je ne suis pas et tout ce dont a besoin ce pays, maintenant. De plus
ma lignée s’est interrompue, j’ai enterré mes deux
fils lors de ce conflit fratricide. Piotr vient d’avoir un héritier.
Cet enfant représente l’avenir, le renouveau. Peut-être même
la renaissance des Blue Warriors.
Bolthorn vint devant Mardouk et posa un genou à terre.
-Relevez-vous…
-Non, écoutez-moi. Je sais pourquoi vous luttez. Je sais que détruire
ces chevaliers noirs n’est en rien la finalité de votre combat.
Je veux que le fils de Piotr ait la chance de vivre dans un monde meilleur.
Et je sais que la meilleure chance que j’ai d’influencer les choses
c’est de combattre à votre côté.
Mardouk hocha simplement la tête.
-Très bien. Laissez-moi à présent. Il me reste encore des
larmes à verser…
Mardouk s’éloigna en marchant lentement et bientôt il vit
l’homme que l’on appelait Ogier venir vers lui en courant malgré
sa lourde armure de plate moyenâgeuse.
-Mardouk… , fit-il en arrivant à hauteur de son chef. Les chevaliers
noirs ont attaqué un camp d’entraînement des chevaliers d’Athéna,
à l’instant même où nous combattions ici.
-Quoi ?
Sanctuaire, Salle du Grand Pope, le lendemain
-Hier a été le pire jour de mon règne.
La voix ferme du maître du Sanctuaire résonnait dans la grande
salle.
L’ensemble des chevaliers d’or était là, ainsi qu’Akiera
et Praesepe. Le jeune Aphrodite était également présent
et avait d’ailleurs du mal à cacher qu’il était impressionné.
On aurait pu en effet rêver quelque chose de plus calme pour un premier
jour au Sanctuaire… Enfin, le chevalier d’argent Jason de la Carène
complétait l’assemblée.
-Il y avait plus de cent apprentis sur l’île de Minos, ainsi que
huit maîtres ou assistants. Le deuxième plus important centre d’entraînement
après le Sanctuaire. Seuls trente apprentis n’ont pas été
enlevés ou tués. Six maîtres ont péri, dont trois
chevaliers en titre. A cela s’ajoute la mort de deux autres chevaliers
et la paralysie d’un autre. Et enfin nous ne saurons pas avant plusieurs
mois si le chevalier Diomède pourra combattre de nouveau un jour. C’est
une catastrophe et il nous faut en tirer les leçons immédiatement.
Jason leva timidement la main, impressionné de parler devant tous ces
chevaliers d’or ou assimilés.
-Je peux déjà dire une chose : ils ne s’arrêteront
pas là. Au moment où nous parlons je suis persuadé qu’ils
préparent déjà leur prochaine action.
-Dans ce cas, nous devons les trouver avant qu’ils agissent, dit Praesepe.
-Ce n’est pas si facile croyez-moi, dit Jason.
-Les moyens ne seront plus les mêmes, dit Praesepe.
-Ils auraient déjà dû être plus importants dès
le départ, intervint Aioros.
Jason baissa la tête et un silence embarrassé tomba sur la salle.
-J’ai effectivement sous-estimé la situation, dit le Grand Pope.
Mais la force de ces chevaliers noirs était… inattendue.
-Le moindre d’entre eux a une force au moins comparable à un chevalier
de bronze, dit Jason. Certains sont beaucoup, beaucoup, plus forts.
-Ce Dragon Noir avait quasiment la force d’un chevalier d’or, confirma
Aioros.
-Comment est-ce possible ? , s’étonna Shura. J’ai grandi
sur cette île, aucun d’entre eux n’avait ce genre de pouvoir
alors.
-Y’ sont pas que ce qu’ils semblent, intervint Deathmask. Quand
j’ai utilisé mon pouvoir sur l’un d’entre eux, j’ai
senti que son essence était mélangée à quelque chose…
d’étranger. Je pense que c’était pareil pour les autres.
Tous regardèrent l’italien qui haussa les épaules.
-M’en demandez pas plus… Je ne peux que vous dire ce que j’ai
vu.
-Oui, il y avait définitivement quelque chose de bizarre dans leurs cosmos,
confirma néanmoins Aioros.
-De quoi pouvait-il s’agir ? Un parasite ? Une entité
intelligente ? , se demanda Saga à haute voix.
-En tout cas nous pouvons assumer que c’est cette sorte de… symbiose…
qui est l’origine de leur pouvoir, dit le Grand Pope.
-Je suis un imbécile, tout est de ma faute, dit alors Akiera.
Tous se tournèrent vers l’ancien chevalier des Gémeaux
et attendirent qu’il s’explique.
-J’ai été confronté à des créatures
vivant dans les dimensions singulières, voilà plus de dix ans.
Je les avais pourchassées car elles étaient venues sur Terre commettre
des massacres apparemment sans motifs. Individuellement elles étaient
relativement faibles, presque sans substance. Mais elles avaient la capacité
de se fondre entre elles, de se rassembler pour former une entité plus…
puissante. Lorsque les chevaliers noirs se sont échappés, j’avais
eu un sentiment de… familiarité. Je sentais que quelque chose m’échappait
mais je n’ai pas approfondi, je me suis contenté d’un avertissement
bien dérisoire. J’aurais dû enquêté mais Aph’
est tombé malade juste après et…
Il se tourna alors vers Jason, les yeux remplis de honte.
-Je suis inexcusable. Pardonne-moi.
Le chevalier d’argent posa une main apaisante sur l’épaule
d’Akiera, sans dire un mot.
-Si la responsabilité de cette affaire tombe sur les épaules d’un
seul ce n’est surtout pas de toi, intervint le Grand Pope. Tu m’avais
prévenu que tu pressentais un danger, je n’en ai pas tenu suffisamment
compte. Je prends les décisions, j’en assume donc toutes les conséquences.
Sion et Akiera se fixèrent un instant, l’androgyne ayant l’impression
de presque discerner le regard du premier serviteur d’Athéna dans
l’ombre de son casque. A cet instant, il sut que ses différents
avec le Pope étaient oubliés.
-Papa, pourquoi ont-ils enlevé tous ces garçons sur l’île ?
, dit alors Aphrodite.
-Pas très futé le beau gosse, commenta Deathmask en faisant un
clin d’œil au jeune suédois.
-Pourquoi ? , demanda-t-il avec un air vexé.
-Ils avaient besoin de nouveaux corps, voilà tout, expliqua l’italien.
On a eu la preuve que ces choses pouvaient mourir, en plus.
-Mais alors pourquoi n’avoir capturé que les apprentis ? Pourquoi
pas les chevaliers ? , demanda Praesepe.
-Sans doute cela ne marche-t-il pas avec des individus ayant déjà
un cosmos mature, proposa Aioros. Ces créatures doivent écraser
la personnalité des êtres qu’elles parasitent.
-Non, les deux essences spirituelles que j’ai envoyées au diable
étaient sur un pied d’égalité, dit Deathmask. Je
pense.
-Oui, mais les chevaliers noirs étaient sans doute volontaires pour recevoir
ces choses… , avança Akiera.
-Je pense aussi qu’ils n’auraient reculé devant rien pour
accroître leurs pouvoirs et quitter leur exil, confirma Shura.
-Et présent quitte à prendre de nouveaux corps, autant en prendre
qui soient susceptibles à terme de développer un cosmos, termina
le Grand Pope avec un froid pragmatisme.
Tous hochèrent gravement la tête, persuadés d’être
très près de la vérité.
-Mais alors avec le nombre qu’on en a tué et vu qu’ils n’ont
pas récupéré autant de corps qu’ils l’espéraient…
, commença Jason.
-Ils vont encore avoir besoin d’autre corps, termina Saga.
-Il faut protéger les centres d’entraînements, dit Aioros.
-Il faut surtout les retrouver et leur régler leur compte, dit Shura.
-Nous les avons déjà chercher sur la Terre entière…
, rappela Jason.
-C’était peut-être là le problème, intervint
Saga.
Le chevalier des Gémeaux adressa un sourire désolé au chevalier
de la Carène.
-Je ne suis sûr de rien mais comme vous le savez je suis arrivé
précisément quand eux partaient. J’étais entre les
dimensions à ce moment-là et j’ai pu vaguement sentir où
ils allaient. Et je suis sûr que ce n’était pas sur Terre.
Bien sûr cela ne pourrait être qu’une étape intermédiaire
pour retourner dans notre continuum dans un deuxième temps… Mais
mon intuition me dit qu’ils se terrent quelque part dans les dimensions
étranges. Et cela correspondrait au soupçon de mon maître.
-C’est à grâce à cette entité qu’a attaqué
Aioros qu’ils se déplacent entre les dimensions, dit Akiera. C’était
la même qui leur avait permis de fuir Death Queen Island. Il faut la débusquer
et la détruire, en priorité. Le reste viendra plus facilement
après ça.
-Je suis d’accord, dit le Grand Pope. Cela devient notre objectif numéro un avec la sécurisation de tous les centres d’entraînement dispersés dans le monde. Mes amis, ils nous ont attaqué et ont exploité notre manque de vigilance. Il est temps de changer les choses et de reprendre la main. Ils doivent payer. Le prix fort.
Kilimandjaro, le même jour
Mardouk attendait patiemment qu’Elle daigne se rendre compte de sa présence,
plongée qu’elle était dans une de ses interminables méditations.
En attendant, son regard était plongé dans le brasero qui éclairait
la pièce creusée à la même roche. Il lui revenait
les souvenirs de sa première visite voilà presque quinze ans.
A l’époque il avait dû attendre des mois avant de La rencontrer,
occupant la plupart de ce temps à discuter avec Rudy ou avec le mystérieux
homme lion.
L’homme lion… L’un des rares mystères dont le babylonien
doutait d’avoir la réponse un jour, malgré tous ceux qu’il
avait déjà percé au cours de sa vie.
Aujourd’hui il n’avait eu à attendre que quelques secondes
pour être mené devant Elle, le temps d’échanger quelques
paroles avec l’être à tête d’animal.
Quand il pensait que l’une des personnes qui était déjà
là à attendre de La rencontrer quinze plus tôt se trouvait
toujours là…
Si le temple bâti dans les cavernes et Elle-même n’avaient
pas changé (Elle paraissait toujours âgée d’une vingtaine
d’année, comme figée dans le temps), lui avait évolué
ainsi que leur rapport au fil de ses nombreuses visites. Il avait perdu le compte
des ses visites en ce lieu, c’était devenu son étape systématique
entre chacune de ses quêtes pour construire son… armée.
Il n’était plus cet enfant hanté qui venait chercher des
réponses mais le chef respecté de la plus ambitieuse des croisades.
Elle lui parlait à présent presque comme s’il était
Son égal, même si le babylonien savait bien que cela n’était
pas le cas et que cela ne le serait jamais.
En patientant, il examina une nouvelle fois les symboles gravés dans
la roche autour des deux cercles de pierre où ils se trouvaient assis
tous les deux. Au fil des ans et de ses voyages, il avait fini par apprendre
la signification de certains de ces signes magiques et à saisir l’ampleur
des protections qui L’entouraient. Si jamais il lui avait pris l’envie
saugrenue de l’attaquer, il aurait déjà eu besoin de toute
l’intensité de sa cosmos-énergie pour simplement franchir
les deux mètres qui le séparaient d’Elle.
-Tu t’es toujours sous-estimé, dit-Elle alors en se tournant vers
lui.
-Je sais, mais je me soigne, répondit-il avec un sourire.
-Qu’est-ce qui t’amène en ma retraite, mon jeune ami ?
-Les chevaliers noirs deviennent réellement une nuisance que nous ne
pouvons plus sous-estimer. Hier, ils ont contribué à la mise à
feu et à sang de Blue Graad, et leurs actions exacerbent la haine et
les conflits aux quatre coins du monde. Il est temps de les stopper. Lors des
derniers mois Ogier, Rudy et moi avons réussi à tuer deux des
quatre seigneurs noirs originaux, mais nous pensons qu’ils ont été
remplacés depuis. En revanche, nous n’avons jamais pu approcher
à moins de cinq dimensions de leur maître.
-Cela ne m’étonne pas. Le laquais est devenu très méfiant
depuis une certaine occasion où il fit preuve d’un optimisme déplacé.
-Alors que nous luttions à Blue Graad, ils ont même attaqué
un centre d’entraînement des guerriers d’Athéna pour
obtenir de nouveaux corps.
-Hum… Le Sanctuaire va devoir réagir à cela.
-Oui, c’est ce que je pense. Si eux déploient enfin des ressources
importantes pour régler le problème et que nous faisons de même
de notre côté, je pense que ces démons ne pourront se cacher
longtemps.
-Le Sanctuaire ne manquera pas de le remarquer, alors. Tu suggères donc
que nous sortions de la clandestinité ?
-Oui. Je pense que nous avons accompli tout ce que nous pouvions en restant
cachés aux yeux du Sanctuaire. Il est temps de vraiment agir à
la lumière et de changer d’échelle. J’ai fini de rassembler
ceux que nous avions choisi, notre armée du changement est prête…
Il est temps d’agir, toute cette mise en place n’a que trop duré.
Elle hocha la tête.
-Oui, j’étais arrivée à la même conclusion.
Mais à présent nous avancerons dans l’inconnu, mes prédictions
vont devenir de moins en moins fiables à mesure que notre ennemi essaiera
de nous contrer.
-Vous n’avez toujours pas réussi à déterminer ce
qu’il avait changé, ce jour-là ?
-Non, tout reste trop vague. Je pense juste que cela ne nous concernait pas
directement. En tout cas, il n’a plus bougé depuis ce jour où
il a envoyé son laquais sur cette île maudite. Il a utilisé
tant de pouvoirs à cette occasion qu’il ne doit penser qu’à
récupérer, caché dans sa tanière. Et il sait que
je guette la moindre erreur de sa part.
-Espérons qu’il sera obligé de bouger, dit Mardouk.
Ils réfléchirent tous les deux en silence un moment avant qu’Elle
ne reprenne finalement la parole.
-Dès que tu auras bougé tes troupes, il ne sera plus possible
de revenir en arrière.
-La réussite ou la mort et l’oubli. J’ai toujours connu les
termes du contrat et je ne les ai jamais cachées à personne.
-Très bien, mon jeune ami. Va changer le monde, alors.
Une dimension étrange, le lendemain
L’endroit aurait pu faire penser à la terre mais vue par les yeux
d’un peintre adepte de l’art moderne. L’endroit paraissait
être une grande prairie, mais il n’y avait pas besoin d’un
long examen pour découvrir des différences aussi subtiles que
nombreuses.
La mystérieuse créature capée regardait les chevaliers
noirs s’affairer autour des prisonniers. La plupart avaient déjà
été convertis et il ne restait plus qu’à prendre
soin d’une poignée.
L’entité avait ressenti un grand plaisir chaque fois que l’un
de ses protégés s’était emparé d’un
des corps et avait consciencieusement écrasé la misérable
volonté humaine qu’il l’habitait jusqu’à lors.
Au moins, ces nouveaux serviteurs ne seraient plus aussi désagréablement
indépendants que les anciens. Ces maudits chevaliers noirs, leur médiocrité
et leur ridicule arrogance, tout cela commençait à entamer les
limites de sa patience. L’entité avait déjà décidé
de ne plus traiter avec ces rebus de l’humanité, qui était
de toute façon déjà méprisable dans son ensemble
à ses yeux, que par l’intermédiaire de ce Dragon Noir.
S’il ne valait guère mieux que les autres, au moins s’élevait-il
au-dessus de la stupidité crasse de ses congénères.
-Leur utilité touche de toute façon à sa fin, pensa la
créature.
C’est alors qu’elle sentit un léger contact cosmique, tellement
ténu que bien peu d’êtres auraient pu le percevoir. Une communication
qui avait pris tous les détours possibles entre les dimensions…
-Maître.
-Mon serviteur… Cela commence, ils sont en train de bouger. Les deux côtés.
-Tout se passe comme vous l’aviez prévu, Maître.
-Evidemment. Comment pourrait-il en être autrement ?
-Les choses dont vous m’aviez parlé ont été réglées
ainsi que vous l’aviez demandé.
-Bien, mon serviteur. Il est temps de commencer à bouger certains pions.
Voilà ce que vous allez faire.
Ile de la Reine morte, septembre 1970
-Vous avez l’humour le plus bizarre que j’aie jamais connu, dit
le Cygne Noir.
-Franchement, est-ce que j’aurais parcouru tout ce chemin pour faire de
l’humour ? , répondit Akiera.
-Cette perspective me semblerait moins absurde que ce que vous venez de dire.
L’ancien chevalier des Gémeaux se contenta de hausser les épaules.
-Bon sang ! Vous êtes vraiment sérieux n’est-ce pas !
Quel est le fou furieux qui a pu avoir une telle idée ?
-Et bien… Cette idée est de moi, en fait. J’admets que les
autres ont eu la même réaction que toi quand je leur ai présentée.
Mais ils n’en avaient pas de meilleures et en y réfléchissant…
ils ont vu que ça se tenait.
-C’est ridicule, je suis un chevalier noir. Et je crois savoir que vous
venez d’avoir un épisode particulièrement douloureux avec
les autres membres de mon ordre.
-Je ne crois pas que tu ais jamais été vraiment un des leurs.
Ce qui compte c’est que tu as été un authentique chevalier
d’Athéna… et le seul chevalier des glaces en cent ans ce
qui fait de toi le plus qualifié pour cette tâche. Bien que tu
te sois rendu coupable d’un crime effroyable qui t’a déshonoré,
tu t’es infligé toi-même une sanction exemplaire. Tu t’es
fort bien comporté avec le jeune Shura et enfin tu nous as épargné
la corvée de te pourchasser en ne profitant pas de la mort de l’ancien
gardien de l’Ile pour t’échapper…
-Evidemment, je suis venu ici de mon propre chef ! Je n’allais
donc pas m’enfuir. Ce nouveau Guilty est une bête malfaisante, soit
dit en passant.
-Je le sais, mais ne nous éloignons pas du sujet. Le Grand Pope est prêt
à te pardonner tes fautes passées si tu prends en charge la formation
de ce jeune garçon. Tu ne récupéreras évidemment
pas ton armure mais tu seras libre de partir refaire ta vie ou te faire pendre
où bon te semblera.
-Encore une fois, je n’ai aucun intérêt à quitter
cette île sans compter que je ne suis pas digne de former un chevalier!
Cette proposition ne m’intéresse tout simplement pas et…
-Tu commences à sérieusement m’agacer ! , coupa Akiera.
Ton auto-apitoiement et ton auto-flagellation sont en train de me donner de
l’urticaire ! Crois-tu avoir commis un crime tellement horrible que
tout pardon t’est interdit ? Tel n’est pas l’avis du
Grand Pope et il t’offre l’occasion de redonner un sens à
ton existence pitoyable. A toi de choisir : soit tu accomplis cette tâche
au combien respectable, soit tu préfères rester sur cette île
maudite à méditer éternellement sur la façon dont
tu as gâché ta vie !
Akiera attrapa alors le chevalier noir et le souleva de terre comme s’il
s’agissait d’un enfant.
-Et si vraiment tu tiens tant que ça à vivre dans ce cercle de
l’enfer qui te sert de patrie pour respecter ton sens de l’honneur
pervers et bien qu’à cela ne tienne ! Forme ce gamin et reviens
ici ensuite, je m’en moque ! Mais quelque part en toi, je sens qu’il
reste un serviteur d’Athéna. Et ce serviteur sait qu’il a
une dernière tâche à accomplir ! Et vu la façon
dont il avait accompli les précédentes il n’est nullement
en position de discuter…
Akiera lâcha alors le chevalier noir qui faillit tomber mais se rattrapa
néanmoins. Les deux hommes se regardèrent un long moment, bouillonnant
de rage.
-Lors de notre première rencontre… , murmura finalement le Cygne
Noir mais il laissa sa phrase en suspens.
Akiera leva un sourcil perplexe ne sachant où son interlocuteur voulait
en venir.
-Ce jour-là tu m’avais dit que j’étais trop méprisable
pour que tu t’abaisses à me tuer, dit-il finalement.
-C’est vrai, j’avais dit cela et je m’étais trompé,
comme je l’ai réalisé depuis. J’aurais sans doute
dû te tuer, tu en valais la peine… Mais je me félicite de
ne pas l’avoir fait.
-Tu avais aussi dit que si jamais tu réalisais t’être trompé…
tu me tuerais.
-Je crois voir où tu veux en venir… Chaque chose en son temps.
Acceptes-tu de former ce Camus, oui ou non ?
Les deux hommes se fixèrent encore un moment, leurs colères respectives
s’apaisant progressivement.
-Oui, dit finalement le chevalier noir en détournant le regard.
-Très bien, tu redeviens donc Gienah et n’est plus sujet au sceau
de l’île. As-tu une idée d’où tu vas l’emmener ?
-En Sibérie. Cela ne peut se passer que là-bas.
* * * * * * * * * * * * * *
-On ne les emmène pas ? , demanda Saga à Akiera.
-Non. Gienah veut faire le voyage seul avec le garçon. Pour faire connaissance…
-Je lui souhaite du plaisir. Ce garçon est une tombe.
Saga dit cela avec un petit sourire mais le cœur n’était pas
là. Il avait les yeux dans le vague et était visiblement perturbé.
Akiera posa alors une main sur l’épaule de son ancien élève.
-Tu veux en parler ?
-Non, ce n’est rien. C’est juste d’être si près
de lui… C’est idiot, mais je ne pensais pas que cela me ferait un
tel effet.
-Tu ne veux pas le voir ?
-Surtout pas !
-Bien…
Quelques secondes passèrent encore puis Saga regarda l’homme qui
lui avait tout appris avec un air décidé.
-Partons. Kanon va nous attendre.
Akiera ouvrit alors un passage dimensionnel dans lequel ils s’engouffrèrent.
Le cadet des Gémeaux les attendait de l’autre côté,
flottant dans le vide sidéral d’une dimension déserte et
morte.
-Très bien, jeune gens, la traque commence ! , dit l’adulte.