CHAPITRE DIX-SEPT : Longue Journée.
4ière Partie : La Guerre des Héros.

 

Précédemment dans l’Emergence des Géants…

Malgré les efforts de Mardouk et Aioros pour l’éviter, la bataille entre le Sanctuaire et les alliés du Babylonien a commencé.
En effet, tandis que les deux héros tentent de négocier la paix et vont affronter des monstres issus d’un autre âge, pour se prouver leur bonne foi, un enchaînement d’incidents tragiques rend inéluctable la guerre.
Les chevaliers d’or se présentent d’abord devant les alliés de Mardouk qui s’apprêtent à éliminer la menace d’adorateurs de Némésis. Bien que les serviteurs d’Athéna ne sont venus que pour s’interposer, les manipulations insidieuses d’une troisième partie mettent le feu aux poudres et plusieurs hommes sont tués. La bataille fait rage quand Rudy intervient pour mettre ses alliés à l’abri, mais il est lui-même capturé.
Un groupe se rend par la suite au Sanctuaire pour libérer le vieil Allemand. Ils perdent toutefois le contrôle des événements et le garde du corps du jeune prophète Mani tue la femme de Praesepe, Sonya,et le père d’Aioros, Patrocle. Plusieurs autres chevaliers ayant perdu la vie à la suite de ces combats, le Grand Pope Sion déclare la guerre et ordonne à Saga de diriger une mission visant à disperser l’armée de Mardouk.
Pendant ce temps, l’ancien chevalier de bronze et chevalier noir Gienah choisit de rejoindre le camp de Mardouk et de suivre le Mésopotamien Shamash. L’élève du renégat, Camus, décide de partir à sa poursuite pour le remettre dans le droit chemin, et appelle Akiera à l’aide. Le jeune Français ignore qu’ils sont également épaulés dans l’ombre par Kanon.
Ils suivent Shamash et Gienah jusqu’en Allemagne, à proximité du manoir dont seuls les plus proches alliés de Mardouk connaissent l’existence, sans pouvoir suivre la piste plus loin à cause des protections de l’endroit.
Gienah rencontre là Sophia, qu’il avait libérée d’un cercueil de glace quelque temps plus tôt, et crée un coffret de glace pour mettre à l’abri un mystérieux et puissant objet.
Renseigné par Horus, Saga, Deathmask et Aphrodite se rendent au campement de l’armée du Babylonien. Saga affronte et terrasse Seth qui avait la garde des lieux à l’issue d’un combat acharné. Aphrodite vainc la Japonaise Tokoyo, la compagne de Mardouk, avant d’être lui-même vaincu par Râ. De son côté, Deathmask élimine Anhur, massacre soldats, femmes et enfants, puis achève en un coup un Râ diminué par son précédent combat.
Furieux devant le spectacle du massacre perpétré par l’Italien, Saga l’enferme au Cap Sounion.
Pendant ce temps, Kanon suit Shamash jusqu’au Kilimandjaro et le frappe avec le Genrô Maô-Ken, apprenant l’emplacement du sanctuaire du guide spirituel de Mardouk, information qu’il communique à Saga. Shamash se libère esnuite du Genrô Maô-Ken mal maîtrisé par Kanon et l’entraîne avec lui dans une autre dimension. Sous les ordres de Sion, le chevalier des Gémeaux libère à contre-cœur Deathmask, et l’emmène avec lui en mission.
Aioros et Shura reviennent alors de leur mission et apprennent que tous leurs efforts ont été vains, puisque la guerre a déjà commencé. Sion les renvoie rapidement en mission, l’objectif étant cette fois d’éliminer le Babylonien. Le Grand Pope se retrouvent seul avec l’envoyé de l’Olympe, l’ange Akhilleús. Ce dernier, mécontent de la façon dont Sion méprise les directives venant du domaine divin, décide d’assassiner le Grand Pope et révèle qu’il l’avait déjà fait une fois avec le prédécesseur de Sion.
De son côté, Mardouk apprend lui aussi les événements tragiques de la journée, et ne peut rien faire pour éviter que son groupe ne se délite.
Une faction menée par le Toltèque Quetzalcóatl et comptant le descendant de ce dernier, Calli, Bolthorn de Blue Grad, le Müvien Aac, l’héritière de Kali Khamakhya, le shaman amérindien Moki, l’héritier de Mithra Paul, le jeune prophète Mani et le garde du corps de ce dernier décide de se rendre au Sanctuaire pour prendre la tête du Grand Pope. Ils arrivent à la première maison, gardé par le jeune Mû, auquel Aac annonce qu’il est son frère.
Mardouk se dirige quant à lui en Allemagne puis, accompagné d’Ogier et Sophia, à la tour contenant les âmes des spectres depuis la dernière Guerre Sainte d’Athéna contre Hadès.
Hanpa, Gienah et l’homme de bronze Talos bloquent Akiera et Camus en Allemagne pour les empêcher de suivre Mardouk.
Saga et Deathmask parviennent au Kilimandjaro en même temps qu’Inanna et Nabu, le frère de Mardouk atteint par la lèpre. Ce dernier leur barre la route et entame le combat contre Saga.
Pendant ce temps, les chevaliers Jason de la Carène, Diomède de Pégase et Stellio du Lézard remonte la piste de l’être qui avait libéré les chevaliers noirs de l’île de la Reine Morte, jusqu’à un temple du Caire. Ils se rendent alors compte que quelqu’un les a précédés…
Aioros et Shura interceptent néanmoins finalement Mardouk à la tour des spectres et sont bientôt rejoints par le gardien des lieux : Dohko de la Balance. Ils apprennent alors que Sophia était l’hôte de l’âme d’Athéna deux cent cinquante ans plus tôt.

A divers endroits de la planète…

Saga s'avançait vers Nabu d'un air décidé, entouré de son aura dorée flamboyante. Lors des premiers échanges de l'affrontement, le cosmos de son adversaire lui avait donné l'impression d'être redoutable. Néanmoins, ce dernier était frappé par une maladie qui ne pouvait que diminuer de beaucoup sa dangerosité. En outre, il ne portait pas la moindre protection, seule sa robe de ladre et ses bandages couvraient son corps.
Le chevalier des Gémeaux était plutôt confiant bien que prudent. Plus tôt dans la journée, le fait qu'il ait sous-estimé dans un premier temps Seth avait failli lui coûter cher. Saga était donc décidé à faire vite, mais bien.
De son coté, le frère de Mardouk s'était mis en garde depuis le début et semblait pour le moment parfaitement disposé à laisser l'initiative au chevalier. Il avait ainsi contenu sans grand problème les premiers assauts au corps à corps de Saga qui ne s'était certes pas encore réellement livré. Pour le moment, les deux adversaires s'étaient surtout jaugés mutuellement.
Le chevalier décida de mettre un terme à ce long round d'observation en lançant une vraie offensive. Son cosmos explosa tandis qu'il chargeait à la vitesse de la lumière. Il commença par un enchaînement de coups de pied que Nabu esquiva avec élégance.
Saga devait reconnaître que la technique et les déplacements de son opposant frisaient la perfection. Ses pieds paraissaient glisser sur le sol, les mouvements étant à la fois économes et précis. Le détachement que Nabu affichait dans ses gestes aurait presque pu passer pour de la désinvolture s'ils n'étaient pas aussi efficaces.
Le chevalier poursuivit par des coups de poing rapides visant d'abord le visage puis, devant l'aisance des esquives de Nabu, le torse. Le lépreux cessa alors d'éviter les contacts en optant pour des blocages ou des déviations des assauts adverses avec ses paumes, tout en reculant progressivement devant l'avancée du Grec. Celui-ci tenta de varier ses assauts et ses enchaînements, sans succès.
Finalement, au moment même où Saga réalisait qu'il commençait à tourner en rond dans ses initiatives et que ce n'étaient plus ses attaques qui imprimaient le rythme au combat, mais les parades adverses, Nabu contre-attaqua. Il dévia tout d'abord le poing droit de Saga puis bloqua le gauche dans sa paume opposée tout en exerçant une forte poussée en avant. Le chevalier, qui avançait sans interruption jusque-là, dut reprendre un appui vers l'arrière et fut déséquilibré pendant un laps de temps infime et pourtant suffisant pour que le poing gauche du Babylonien vienne s'écraser en pleine face du serviteur d'Athéna, lui faisant sauter son casque.
Nabu voulut porter un autre assaut, toutefois Saga, de nouveau sur ses appuis, le para et contre-attaqua à son tour dans la foulée. Les deux adversaires échangèrent alors une série de coups à la vitesse de la foudre.
Constatant qu’il avait le dessous, le chevalier voulut reprendre ses distances et utiliser ses techniques cosmiques. Il rompit donc le corps à corps en bondissant en arrière tout en projetant des millions de rayons de lumière dorée avec son poing droit pour empêcher Nabu de le suivre.
Le Babylonien répondit instantanément avec une technique similaire, des rayons rouges surgissant du bout de son index pointé vers le Grec. Néanmoins, là où le serviteur d'Athéna avait envoyé des millions d'attaques, son adversaire n'en expédia que quelques centaines tout au plus.
Saga n'eut cependant pas le temps de sourire devant l'apparente faiblesse de la technique du lépreux. Sous ses yeux stupéfaits, les rayons du Babylonien interceptèrent en effet certains de ses propres coups en les déviant, rebondissant ensuite pour bloquer encore d'autres attaques. Les rayons du chevalier qui étaient redirigés partaient soit loin de Nabu soit interceptaient encore d'autres coups en les rendant à leur tour inoffensifs.
Lorsque Saga était encore l'apprenti d'Akiera, ce dernier l'avait une fois emmené dans un bar d'Athènes pour l'initier à un jeu qui selon l'androgyne pouvait être très instructif pour un chevalier : le billard. Le garçon avait mis un moment à comprendre l'intérêt de la chose. En fait, ce fut au bout d'une dizaine de sévères raclées infligées par son maître qu'il avait commencé à comprendre les subtilités du jeu et la façon dont l’androgyne jouait avec la géométrie de la table, les trajectoires, les rebonds et les chocs, pour créer des réactions en chaîne totalement préméditées et non dues à la seule chance.
Nabu venait de faire à la volée quelque chose de similaire, mais à une échelle incomparable, comme si d'un seul coup de canne il avait empoché des milliers de boules. Lorsque la totalité des rayons rouges fondirent sur lui avec une précision diabolique, tandis qu'aucun de ses propres coups n'avait atteint leur but, Saga dut admettre qu'après son combat contre Seth c'était la deuxième fois de la journée qu'il avait fait preuve d'un optimisme prématuré.
L'assaut de Nabu le projeta en arrière, sans toutefois le blesser gravement grâce à son armure. Le chevalier atterrit sur ses pieds en enflammant à nouveau son cosmos.
- ANOTHER DIMENSION !
L'énergie du chevalier d'or se concentra de façon habituelle sur un point situé au-dessus de son adversaire pour déchirer la réalité et ouvrir un passage entre les mondes, mais la suite fut très différente de ce qu’était ordinairement son attaque.
Saga sentit que le Babylonien faisait quelque chose avec son cosmos, puis vit la structure énergétique de sa technique se désagréger et le passage dimensionnel s'effondrer sur lui-même sans avoir jamais inquiété son adversaire.
- Qu’est-ce que... Comment as-tu fait ?
- Tu l'as pourtant vu, non ? J'ai simplement détruit à la base ta technique, touchant le point faible qui fait s'écrouler tout l'édifice.
- Mais comment pouvais-tu savoir quoi faire sans jamais avoir vu mon attaque avant ?
- C'est pourtant simple, et tu devrais le comprendre d'autant plus facilement que vous autres chevaliers d'Athéna vous vous enorgueillissez qu'une même attaque ne marche jamais deux fois contre vous.
- Tu veux dire...
- Oui, ma vitesse d'analyse est tout simplement plus rapide que la tienne. Je peux comprendre et contrer ton arcane dès que tu concentres ton énergie pour la mettre en oeuvre. "Une même attaque ne marche jamais une fois contre moi", s'il te faut une formule toute faite pour résumer la chose.
- Je ne te crois pas !
Le cosmos du chevalier augmenta à nouveau afin de lancer le coup le plus destructeur de son arsenal. La puissance cosmique pure s'amalgama en une sphère entre ses mains qu'il avait placées devant lui.
- GALAXIAN... commença-t-il tout en voyant que Nabu pointait son index droit dans sa direction.
Un mince faisceau de lumière rouge partit du doigt et vint frapper à la vitesse de la lumière l'énergie concentrée entre les mains de Saga.
- ...EXPLOSION ! finit-il en réalisant qu'il venait de perdre le contrôle de son coup. Au lieu d'exploser en déversant son potentiel destructeur vers son adversaire, la boule de puissance se mit à osciller dangereusement. Saga essaya de rétablir la situation, cependant la limite d'instabilité était déjà atteinte.
Il eut juste le temps de se cacher derrière ses bras lorsque son attaque lui explosa au visage, le soufflant comme un fétu de paille. Heureusement pour le chevalier, le choc fut bien moins violent que s'il avait été frappé par la véritable Galaxian Explosion et son armure parvint une nouvelle fois à contenir la majeure partie des dégâts.
Il se releva ainsi presque instantanément, mais avait toutefois les bras engourdis, son corps le faisant souffrir en de nombreux endroits.
- Je suis impressionné, dit-il, sincère. Jamais encore je n'avais affronté d'adversaire doté d'un tel sens du contre-pied.
Nabu inclina la tête devant le compliment.
- Néanmoins, si votre art défensif est presque parfait, je ne pense pas que vous puissiez me vaincre.
Les yeux du lépreux se fixèrent sur ceux de Saga qui lut de l'intérêt poli chez son adversaire.
- Je ne crois pas en effet que votre cosmos soit assez puissant pour que vous puissiez me porter un coup décisif à travers mon armure, expliqua le Grec. Jusqu'ici les blessures les plus graves que j'ai subies ont été faites par ma propre main. Pour remporter la victoire, il faudrait que vous passiez à l'offensive en vous découvrant. A ce moment-là, étant donné votre condition et le fait que vous n'avez pas la moindre protection, le premier coup que je réussirai m'assurera la victoire.
Saga avait l'impression que son adversaire souriait sous ses bandages. Néanmoins, étant donné qu'il avait deviné qu'il avait affaire à un lépreux et qu'il connaissait les ravages de cette affliction sur les chairs, il était malgré tout bien content de ne pas voir le visage de ce dernier pour s'en assurer.
- Mon compagnon a peut-être déjà atteint votre déesse. Tout ce que j'ai à faire c'est de vous retenir ici en attendant qu'une ouverture se présente pour vous vaincre lorsque vous voudrez tenter de remporter la victoire. Le temps joue en ma faveur.
- Pas exactement. Si vous avez raison sur le fait que j'aimerais en finir vite avec vous, vous avez une interprétation erronée de certains points importants.
Nabu se mit en position de combat tout en concentrant son cosmos.
- Tout d'abord, même si je suis bloqué ici, votre compagnon sera loin de trouver une route libre devant lui. Ensuite, je ne pense pas que mon cosmos soit trop faible pour me permettre de vous vaincre. Comme vous l'avez remarqué, je suis atteint d'une "condition" très handicapante. Une maladie qui me ronge depuis des années... Et qui m'aurait déjà complètement dévoré depuis bien longtemps si je ne consacrais pas en permanence la plus grande part de ma force à la ralentir.
Le cosmos du Babylonien augmenta brutalement à un niveau inimaginable devant les yeux ébahis de Saga.
- Cependant, une fois de temps en temps, je peux utiliser cette puissance à autre chose.
Le chevalier eut à peine le temps de parer la première attaque, un violent coup de pied qui faillit lui briser le bras utilisé pour bloquer malgré l'armure d'or. Saga sentit ensuite plusieurs côtes se fendre lorsqu'un coup de genou le frappa cette fois au flanc droit. Il esquiva de justesse quelques assauts, mais reçut un uppercut au menton qui l'aurait assommé s'il n'avait pas accompagné le coup.
Il avait des étoiles devant les yeux et perdit de vue un instant son adversaire qui n'en profita cependant pas.
Il sentait pourtant que le cosmos du lépreux continuait à augmenter d'intensité.
- Je crains que, comparé à mon cosmos à son meilleur niveau, le tien ne soit guère plus qu'une bougie face à une éruption solaire. Une bougie que je vais à présent souffler !
Saga retrouva totalement ses esprits au moment où la puissance de son ennemi explosait. Le chevalier s'attendait à une attaque destructrice, mais réalisa que ce n'était pas un coup affectant le physique ou même la psyché. Non, la menace du lépreux était littérale : c'était le cosmos même de Saga qui était la cible de l'offensive.
Tel un incendie éteint par une explosion, l'énergie du chevalier fut emportée par celle de son adversaire. Saga était toujours debout, parfaitement indemne, toutefois c'était comme si ses sixième et septième sens avaient été supprimés.
Il fut ainsi bien incapable de voir Nabu lorsque celui-ci le frappa et l'assomma d'une pichenette portée à peine à la vitesse du son.
Tandis que le corps inconscient du chevalier d'or s'effondrait, Nabu tomba à genoux. Il fut pris d'une terrible quinte de toux qui lui fit cracher du sang et eut juste le temps d'arracher les bandages couvrant le bas de son visage pour éviter de les souiller en vomissant.
Son cosmos était à présent revenu à son niveau habituel, cependant il était conscient que le bref instant pendant lequel il avait eu recours à sa véritable puissance avait sans doute réduit son espérance de vie de plusieurs mois, sinon d'années. Il passa sa main sur son visage, sentant les nouveaux ravages qu'avait causés la maladie. Cela relevait cependant du détail, puisque cela faisait bien longtemps que ses traits défigurés n'avaient plus rien d'humains.
Il réalisa qu'il n'avait même pas pris le temps de dire son nom à l'adolescent qu'il venait de vaincre.
- Je suis Nabu, dit-il. Cela faisait longtemps que je n'avais pas été contraint de m'employer autant...
Son adversaire était trop dangereux et il allait devoir tuer le garçon avant qu'il ne reprenne conscience, puis partir à la poursuite de l'autre. Cependant, pour le moment, il n'était capable ni de l'un ni de l'autre, et se contenta de chercher à reprendre son souffle.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Tout en descendant l'escalier liant la maison du Cancer à celle du Taureau, Aldébaran se concentrait sur ses perceptions cosmiques pour suivre ce qui se passait. Il savait qu'il allait contre la volonté de son père adoptif, et était conscient que la dernière fois qu'il avait désobéi à un adulte cela avait eu des conséquences fâcheuses.
Lorsque les feux de l'horloge s'étaient allumés, renforçant les effets des restrictions imposées aux déplacements par le cosmos d'Athéna, Sérapis lui avait ordonné de monter au sommet des douze temples, la seule direction possible où il serait à l'abri.
Néanmoins, plus il s'était rapproché de la demeure du Cancer et plus il lui avait été difficile d'avancer. Une sensation de malaise le prit à la gorge et il fut tout bonnement incapable de franchir les derniers mètres le séparant du temple de pierre. Il avait alors quitté les escaliers et tenté d'escalader les reliefs environnants, mais les limitations de déplacement rendaient la chose impossible.
Il s'était donc résolu à se dissimuler du mieux possible derrière les colonnes longeant l'escalier et s'était concentré sur ses perceptions cosmiques pour suivre les événements plus bas.
Il avait senti le groupe de neuf envahisseurs entamer la longue montée. Celui-ci avait perdu un de ses membres au temple du Bélier, resté en arrière pour affronter Mû, probablement. Trois autres envahisseurs s'étaient arrêtés dans la maison suivante si bien que les cinq derniers étaient ensuite arrivés au niveau du garçon. Celui-ci avait craint d'être découvert malgré ses efforts pour dissimuler sa présence, toutefois la proximité de la demeure du chevalier du Cancer l'avait probablement sauvé.
Aldébaran avait été quelque part rassuré en entendant les voix des envahisseurs: il n'était pas le seul à percevoir une atmosphère dérangeante autour du temple.
Ils avaient néanmoins poursuivi leur route et le garçon avait pu sortir de sa cachette. Bien qu'étant probablement à l'abri pour quelques temps, il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour son père adoptif, contraint d'affronter seul trois adversaires probablement redoutables.
C'est ainsi que bien que conscient de sa désobéissance et alors que les bruits de la bataille lui parvenaient depuis déjà plusieurs centaines de mètres, Aldébaran pénétra de nouveau dans la maison gardée par Sérapis. Il courut rapidement dans une des contre-allées du temple, se cachant autant que possible derrière les larges colonnes de pierre. Il vit alors son père adoptif en plein combat face à ses trois adversaires. Il reconnut instantanément deux des trois envahisseurs pour les avoir déjà rencontrés quelques heures plus tôt.
Il y avait d'abord le jeune homme vêtu d'une armure aux teintes orangées et manipulant des sortes de lances de lumière qu'Aldébaran avait été à deux doigts de vaincre. L'autre était le massif Amérindien dont le garçon gardait en revanche un souvenir cuisant.
Enfin, le dernier guerrier était totalement inconnu d'Aldébaran. Plus âgé que ses deux compagnons, il arborait une barbe blanche finement taillée et était protégé par une armure semblant constituée de glace bleue.
Ils encerclaient Sérapis et tentaient visiblement de le faire céder en le soumettant à une pluie incessante d'attaques. Ils coordonnaient leurs assauts et s'encourageaient fréquemment à haute voix, ce qui permit d'ailleurs au garçon d'apprendre assez rapidement leurs noms : Paul, Moki et Bolthorn.
Malgré son infériorité numérique, le chevalier d'or faisait honneur à la réputation de son ordre en faisant plus que leur tenir la dragée haute, au point qu'Aldébaran fut vite rassuré par ce qu'il arrivait à suivre des coups échangés à la vitesse de la lumière. Sérapis avait jusque-là réussi à conserver sa position de garde les bras croisés, ce qui voulait dire qu'il avait la main haute sur les échanges. Le garçon réalisait aussi que ce n'était pas seulement la chance et l'effet de surprise qui lui avaient permis d'avoir le dessus sur Paul : le niveau de ce dernier était relativement faible, bien en deçà de celui d'un chevalier d'or en tout cas.
- Bolthorn, Paul, avec moi ! hurla Moki en s'élançant de façon décidée.
- Sans lui, papa en aurait déjà fini, songea Aldébaran en voyant l'Amérindien s'entourer d'une espèce d'aura rougeoyante qui rappelait le cosmos des chevaliers tout en paraissant fondamentalement différente.
Les émanations énergétiques rouges semblèrent prendre la forme d'un massif bison et Moki fonça vers son adversaire comme s'il voulait le renverser.
Le cosmos doré de Sérapis explosa en prenant la forme d'un puissant taureau puis il chargea à son tour. Les deux adversaires se percutèrent dans un bruit de tonnerre, le choc faisant même trembler les épais murs de la deuxième maison du Zodiaque.
Ils étaient à présent engagés dans une épreuve de force, aucun des deux ne paraissant décidé à concéder un seul pouce de terrain, Sérapis ayant pour la première fois abandonné sa posture de garde à bras croisés afin de pouvoir saisir Moki. Le garçon n'aurait pas imaginé voir un jour quelqu'un capable de résister à son mentor sur le plan de la force brute, pourtant l’Amérindien y parvenait.
Les muscles des deux colosses se contractaient tandis qu'ils émettaient des rugissements presque animaux, les grandes dalles de pierre du temple se fissuraient autour des points d'appui de leurs pieds, l'air semblait se charger d'électricité...
Ce fut alors que les deux autres envahisseurs passèrent à l'assaut afin de profiter de la situation, Paul matérialisant une grande lance d'énergie, Bolthorn entourant ses poings de cristaux de glace bleue. Aldébaran voulut crier un avertissement à l'intention de Sérapis, mais ce dernier n'en avait pas réellement besoin. Sans interrompre son épreuve de force, Sérapis déploya son cosmos avec une violence inouïe. Le garçon arrivait presque à voir les lignes de force télékinésiques se déployer dans tout l'espace de combat.
Bolthorn et Paul furent stoppés en plein vol par un mur de force invisible, puis le cosmos du Taureau furieux explosa véritablement. Les dalles se soulevèrent du sol alors que les blocs constituant les murs et les colonnes se désolidarisèrent, obligeant Aldébaran à se chercher une nouvelle cachette.
Les centaines de projectiles de pierre filèrent alors sur Paul et Bolthorn pendant que Moki essayait de profiter de la dépense d'énergie de son adversaire pour prendre le dessus et le renverser. Sérapis ne l'entendait toutefois pas de cette oreille : la dalle sur laquelle s'appuyaient les pieds de l'Amérindien se souleva à son tour au moment où une onde de choc télékinésique le força à lâcher son adversaire.
Le bloc de pierre s'envola à la verticale en emportant Moki pour aller s'encastrer violemment dans le plafond.
Pendant ce temps, les deux autres adversaires du Taureau peinaient à éviter les projectiles qui menaçaient de les écraser à la moindre seconde d'inattention. Bolthorn créait des murs de glace pour intercepter les blocs, pendant que Paul les découpait avec sa lance solaire.
Ce dernier eut à peine le temps de réagir lorsqu'il vit Sérapis le charger. L'héritier de Mithra tenta d'empaler son adversaire avec son arme d'énergie, mais celle-ci rebondit sur l'armure d'or en n'y laissant qu'une mince rayure. Le chevalier propulsa Paul d'un puissant coup d'épaule sur un bloc de pierre qui venait de la direction opposée. La roche explosa sous l'impact, le corps continuant ensuite sa trajectoire pour aller percuter d'autres projectiles.
- Paul ! cria Bolthorn en se précipitant au secours de son compagnon.
Sérapis se tourna vers son nouvel adversaire qui avait gelé ce qui restait du sol pour se déplacer plus rapidement en glissant tel un patineur. Le chevalier redirigea la quasi-totalité des projectiles vers le guerrier des glaces, qui dévia les premiers avec des murs de glace mais dut bondir pour échapper à une dernière série de blocs. Le Taureau sauta à la rencontre de Bolthorn, l'attrapa en plein vol comme un enfant, puis le projeta avec violence après une rotation sur lui-même en direction d'un mur.
Aldébaran doutait que le guerrier des glaces ait pu survivre à l'impact qui suivit, malgré tout Sérapis s'élançait déjà vers le nouveau tas de gravats, sans doute pour en finir. Le chevalier s'arrêta cependant en cours de route et leva la tête vers l'endroit du plafond où était allé s'encastrer le bloc sur lequel se trouvait Moki.
La pierre explosa, le toit s'écroulant sur une dizaine de mètres, tandis que l'Amérindien fondait sur le chevalier à la limite des capacités de perception d'Aldébaran. L'aura du colosse avait pris la forme d'un aigle majestueux, si bien que ses poings frappèrent Sérapis telles des serres au niveau des bras, les doigts s’enfonçant dans le métal doré.
Le Taureau s'enfonça dans le sol à l'impact, tout en restant debout. L’aura de Moki sembla alors redevenir un bison, et d'une ruade terrible, l’Amérindien projeta son adversaire comme un missile à travers les murs du temple qui s'écroulèrent sur lui. La deuxième maison du Zodiaque avait été transformée en un véritable champ de ruines.
- Paul ? Bolthorn ? appela leur compagnon.
Aucune réponse ne venant le rassurer, il se dirigea vers l'endroit où Bolthorn avait été enseveli. Des bruits de pas le firent pourtant s'arrêter : Sérapis marchait dans sa direction. L'armure d'or portait les stigmates des terribles coups de Moki, le plastron étant à présent enfoncé, et du sang s'écoulait de plusieurs blessures. Toutefois, Aldébaran était confiant, son père adoptif semblant parfaitement capable de continuer l'affrontement.
- Je n'ai pas porté de coup fatal, ils sont encore en vie, dit le chevalier. Néanmoins, je ne pense pas que vous pourrez beaucoup compter sur eux...
- Soit. A nous deux alors, répondit l'Amérindien.
Sérapis sourit et reprit sa position de combat favorite les bras croisés sur son large torse.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Dès l'approche de la quatrième maison, celle du Cancer, les membres du groupe mené par Quetzalcóatl avaient senti les ondes négatives qui irradiaient du temple.
L'odeur de la mort, abjecte et pesante, baignait les lieux.
La montée des dernières marches s'était faite dans un climat surréaliste, comme s'ils apprêtaient à entrer dans la gueule d'un dragon ou à franchir le seuil des Enfers. Malgré leur statut d'humains aux capacités extraordinaires qui en faisaient des demi-dieux, les cinq compagnons étaient saisis d'une crainte primale. Le temple était plongé dans les ténèbres, si bien que Quetzalcóatl et Mani firent apparaître des boules de lumière dans leurs paumes pour éclairer l'intérieur.
Ils s'attendaient à tout, malgré cela la découverte de la source de leur malaise fut un choc.
Bien qu'il fût un jeune prophète adoré comme un dieu depuis sa naissance, Mani restait avant tout un garçon de neuf ans. Il ne put contenir un hurlement d'effroi en découvrant les milliers de visages qui recouvraient les murs, le plafond et même le sol. Le plus insoutenable était qu'il connaissait chacun de ces visages. Il s'agissait des soldats de leur armée ainsi que de leurs familles, tous massacrés en Egypte par les chevaliers du Sanctuaire.
Quetzalcóatl et son descendant, Calli, blêmirent devant cette vision d'horreur, le second tentant de rassurer Mani. Khamakhya ne se laissa en revanche impressionner que quelques instants, reprenant en un battement de cils le contrôle de ses émotions. Elle se baissa afin de toucher du bout de ses doigts un des visages incrustés dans le sol.
- Je ne comprends pas comment cela est possible. Ce ne sont pas les véritables têtes, mais c'est bien plus qu'une simple illusion. Comme si ce que nous voyons était un fragment de leur âme...
Quetzalcóatl répondit à l'Indienne, mais le débat qui s'engageait sur la nature de ces visages n'intéressait pas le garde du corps de Mani. Des cinq, il avait été le seul à ne même pas cligner des yeux devant ce spectacle.
Le comment de cette mise en scène macabre était à ses yeux insignifiant devant le pourquoi qui lui semblait très clair : instiller une terreur irraisonnée en eux, les déstabiliser et profiter de cette déconcentration pour les frapper. La main sur la poignée de son sabre, il s'était rapproché de son jeune maître auprès duquel Calli se tenait toujours.
- Ce sont des monstres, murmurait Mani en se remettant du choc. Ils sont le Mal, nous devons tous les détruire.
- Oui, nous avons enfin vu ce qui se cachait derrière leur masque de vertu, répondit l'Olmèque. A présent il n'est plus question de reculer ! Leur folie meurtrière ne fera qu’accroître notre motivation !
Toujours sur ses gardes, l'assassin n'écoutait que d'une oreille lointaine l'échange entre le garçon et l'adulte. Il se tourna brusquement vers l'aile droite du temple. Il était certain d'avoir perçu un mouvement à la périphérie de son champ de vision. Une ombre passant entre les colonnes de pierre...
- Nous ne devons pas rester ici, dit-il à ses compagnons. Il faut avancer.
Ils le regardèrent un instant, certains s'apprêtant à protester.
- Nous chercherons un moyen de libérer leurs âmes après avoir pris la tête du Pope. Nous ne devons pas mélanger les priorités.
Ils semblèrent se ranger à son pragmatisme, si bien qu'ils reprirent la traversée du temple. Si ses compagnons ne pouvaient s'empêcher de dévisager les têtes, reconnaissant parfois un ami ou un compagnon, le garde du corps fermait la marche en scrutant l'obscurité qui régnait dans les ailes lugubres de la demeure du Cancer. Trois autres fois, il fut certain d'apercevoir une silhouette furtive les suivant, une ombre noire comme la nuit mais aux yeux brillants. Il n'en prévint cependant pas ses compagnons. Il acquit petit à petit la certitude que cette présence n'était pas le fruit de son imagination et qu'elle ne se laissait entrapercevoir que par lui à dessein. Il ne pourrait pas la surprendre ou la capturer avec ses compagnons dans les parages. Pour cela, il aurait besoin lui aussi de disparaître dans les ombres.
Il se laissa petit à petit distancer par ses compagnons, s'enfonçant dans les ténèbres tandis que ces derniers se rapprochaient de la sortie et de la lumière. Une fois ce lieu de cauchemar derrière eux, ils se rendraient probablement compte immédiatement de son absence, toutefois il ne doutait pas du fait qu'ils prendraient la décision logique et pragmatique en poursuivant leur route.
Son sabre à présent à la main, il se fondit dans les ténèbres et se mit en chasse.
Il se déplaçait de façon totalement silencieuse, sans laisser le moindre rayon de lumière l'atteindre. Son entraînement lui permettait de contrôler et de supprimer les émissions parasitaires de son cosmos et même de supprimer son odeur. Il était l'assassin parfait, issu d'une longue lignée vouée à protéger les incarnations de Mani.
Le premier de cette lignée, dont le nom s'était perdu si bien que ses successeurs décidèrent eux aussi de rester anonymes afin de ne pas se détourner de leur tâche, faisait partie de la secte des assassins. Formé pour éliminer les rivaux politiques de son maître, Hassan Ibn Sabbah, que l’histoire retiendrait sous le nom de Vieil Homme de la Montagne, il avait tué sur ordre sans hésitation, persuadé que le paradis l'attendait en récompense. Il pensait même avoir vu ce paradis.
Le maître avait en effet pour habitude de droguer ses hommes puis de les mener dans un lieu secret où femmes et délices leur étaient offerts. Les assassins croyaient alors avoir eu une vision de leur futur, un avant-goût de leur récompense dans l'après-vie. Si l'assassin n'avait pas un jour feint de consommer la drogue et n'avait pas découvert la supercherie, sans doute aurait-il comme les autres offert avec joie sa vie à son maître.
Au lieu de quoi, il avait fui dans le désert, où il serait mort de soif et de faim si les derniers disciples de Mani ne l'avaient pas découvert et sauvé. Ils vivaient là depuis l'assassinat du prophète originel et la déclaration comme hors-la-loi de leur culte par le roi. L'assassin resta auprès d'eux un temps, mais était sur le point de se lasser et de repartir quand les prêtres découvrirent que Mani s'était incarné à nouveau dans un jeune garçon aux pouvoirs extraordinaires. Homme à la foi trahie par le passé, il fut convaincu qu'il avait là l'opportunité de combattre pour un saint homme véritable et décida de protéger le prophète. Déserteur parmi les renégats, servir une religion clandestine lui paraissait en outre presque logique.
Ses descendants avaient suivi sa voie, les pères formant les fils qui ne pouvaient prouver leur valeur qu'en terrassant leur géniteur. De génération en génération, ils acquirent des pouvoirs sans cesse plus fabuleux au contact des incarnations successives de Mani.
L'assassin avait l'impression que ses ancêtres marchaient à ses cotés tandis qu'il traquait son ennemi. Celui-là n'avait aucune chance, ce jeu de cache-cache ne pouvait finir que d'une seule façon.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

- Nous sommes à deux contre trois. Notre premier objectif est de compenser ce désavantage. Nous allons concentrer nos  efforts sur le moins dangereux, expliqua Akiera à Camus grâce à une communication directe de cosmos à cosmos.
- D'accord, répondit le garçon par le même moyen.
- A priori, c'est ton maître, poursuivit l'ancien chevalier des Gémeaux. Ce n'était qu'un chevalier de bronze.
- On le neutralise sans le blesser gravement.
Les deux serviteurs d'Athéna étaient encerclés par leurs adversaires. Gienah leur faisait face, le Mésopotamien à l'allure de démon nommé Hanpa se trouvait sur la droite et l'étrange et massif homme de bronze, que Gienah avait appelé Talos, sur leur autre flanc.
Akiera transmit alors une série d'instructions par voie télépathique à son compagnon, le genre de manœuvre qu'il avait souvent répétée avec son élève, Saga.
- Attention, ils sont en train de préparer quelque chose ! cria soudain celui qui fut successivement chevalier de bronze et noir du Cygne.
- Il a détecté notre échange ?  s'étonna l'androgyne.
Ils exécutèrent néanmoins la manœuvre convenue. Les deux cosmos dorés explosèrent simultanément avec violence, Akiera frappant le sol d'une rafale d'énergie juste devant eux. L'impact provoqua une explosion, projetant débris et poussière à la ronde. Une fois l'air obscurci, Camus dressa deux grands murs de glace de façon à séparer leurs adversaires. Une fois sa tâche accomplie, il partit à la suite d'Akiera qui s'était déjà lancé au corps à corps. Les murs et la poussière ne leur donneraient que quelques instants de marge de manœuvre pour neutraliser Gienah.
Celui-ci esquiva de justesse un premier coup d'Akiera qui ne lui laissa pas le temps de s'organiser en enchaînant. Le Verseau fut à peine étonné de constater que son professeur parvenait à éviter, même avec difficulté, les assauts de l'ancien chevalier des Gémeaux.
Cela ne changeait cependant rien à leur plan : profitant de ce que son maître était obligé de porter toute son attention sur Akiera, le garçon prit trois pas d'élan, puis se laissa glisser entre les jambes de l'androgyne pour se retrouver aux pieds de leur adversaire au moment précis où celui-ci reprenait ses appuis.
Il saisit à pleines mains les chevilles de son maître, les recouvrant instantanément d'une épaisse couche de givre.
- Petit futé, je... commença Gienah.
Il n'eut pas le temps de finir, incapable d'esquiver le poing d'Akiera avec ses jambes immobilisées.
Il commença à chuter, visiblement inconscient. Camus aurait bien aimé le rattraper avant qu'il ne touche le sol, mais il y avait plus pressant. Les ailes de son armure déployées, Hanpa fondait sur Akiera et lui comme un oiseau de proie sur des lapins. Ils esquivèrent en bondissant de coté alors que le colosse de bronze transperçait le mur de glace comme du papier.
Les serviteurs d'Athéna se répartirent les tâches naturellement, sans même se consulter. L'androgyne s'élança vers le colosse tandis que Camus faisait face à l'homme-démon.
Akiera avait une connaissance mythologique relativement étendue, entre autre grâce à la période qu'il avait passé aux Cinq Pics, auprès du vieux maître. Il savait que les légendes mentionnaient un homme de bronze nommé Talos, construit par Héphaïstos, le dieu forgeron. Celles-ci racontaient néanmoins qu'il avait été détruit par le héros antique Jason. Quoi qu'il en soit, il ne s'agissait pas d'un véritable être vivant à proprement parler et Akiera n'avait donc aucune raison de ne pas en finir le plus rapidement possible et sans prendre de gants.
Le colosse s'approcha d'un pas lourd et d'une démarche hachée. Il tenta de saisir l'ancien chevalier d'or qui se dégagea facilement d'un bond en arrière. Le cosmos des Gémeaux explosa avec violence au moment où il retoucha le sol.
- GALAXIAN EXPLOSION !
Le coup frappa sa cible de plein fouet pulvérisant le sol et les arbres alentour.
Akiera s'apprêtait à se détourner pour aller aider Camus quand il entendit les bruits caractéristiques de la démarche mécanique du colosse.
- J'ai été forgé par Héphaïstos lui-même dans les mines olympiennes, dit Talos de sa voix de rouages. Ma robustesse surpasse celles de vos armures sacrées.
Akiera laissa échapper un juron imagé.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Jamais encore Camus n'avait été confronté à un adversaire d'un niveau comparable à celui d'un chevalier d'or, si bien que découvrir qu'il soutenait le rythme du Babylonien fut, non pas une surprise, mais en tout cas une agréable confirmation.
Malgré leur rapidité, aucunes des attaques d'Hanpa ne parvenaient à franchir sa garde, le garçon compensant sa moindre allonge par une mobilité supérieure. Ayant pris la mesure au corps à corps de son opposant, le jeune chevalier décida de prendre l'initiative. Son cosmos doré se concentra, des cristaux de poussière de diamant se matérialisant sur ses mains, puis il libéra son pouvoir en frappant l'air de ses poings.
- DIAMOND DUST !
Une vague d'air froid et de cristaux glacés déferla sur le démon du désert qui esquiva en s'envolant. Ce dernier s'éleva jusqu'à une dizaine de mètres, et dirigea alors ses deux mains, doigts tendus, vers le Verseau. Les ongles d'Hanpa s'allongèrent soudainement, devenant semblables à des lames de métal et couvrant instantanément la distance entre les adversaires.
Camus esquiva les premières attaques, mais se rendit compte en même temps que les ongles étaient capables de se courber et de se déformer pour le poursuivre.
- La fuite est inutile, tu ne pourras pas te dérober à mon attaque ! lui cria Hanpa. Renonce pendant qu'il est encore temps.
Le chevalier évita encore les lames grâce à quelques acrobaties et sauts de main, réalisant cependant que cela ne pourrait effectivement pas durer indéfiniment. L'assaut cessa soudain, lui laissant le temps de se réceptionner sur ses pieds. Il fit face aux ongles démesurés qui menaçaient de s'abattre sur lui au moment où Hanpa le déciderait.
- Abandonnes-tu ?
- Je crains que non.
- Tu l'auras voulu. Par respect pour ton maître, je vais cependant essayer de ne pas toucher de points vitaux ! Prépare-toi !
Les lames reprirent leur course, filant sur le jeune chevalier qui ne fit pas un seul mouvement pour se mettre à l'abri, fermant même les yeux.
- Comment ? s'étonna Hanpa en voyant son attaque atteindre son adversaire aussi facilement.
Son étonnement se changea en stupeur lorsqu'il constata que, si ces ongles avaient bel et bien atteint le chevalier, sa technique était totalement inefficace. Les lames rebondissaient sur l'armure d'or et, fait totalement incompréhensible, sur la peau du garçon.
Le Babylonien renonça à son vœu de ne pas blesser gravement le Verseau en mettant toute sa puissance dans l'assaut, sans plus de résultats. Il sentit soudainement le bout de ses doigts s'engourdir. Réalisant qu'il avait sans doute commis une erreur tactique, il voulut ramener ses ongles à lui, mais il n'avait plus aucun contrôle sur eux.
Les lames mortelles restaient suspendues en l'air, inertes. Gelées.
Il vit alors la couche de givre qui les recouvrait et qui continuait à progresser vers lui, menaçant d'atteindre ses mains. Ne voyant pas d'autres solutions pour se libérer, l'homme à l'allure de démon abattit violemment ses mains vers le sol, la partie gelée des ongles explosant à son contact. Cela ne stoppa néanmoins pas le progression du givre, si bien que le Babylonien n'eut d'autre choix que de saisir à pleines mains ses lames pour les arracher de ses doigts.
Il s'envola pour se mettre à l'abri du froid surnaturel, le sang coulant abondamment de ses paumes lacérées et du bout de ses doigts. Tandis que son cosmos enveloppait ses mains afin de calmer la douleur, il ne perdit pas des yeux le Verseau. Ce dernier, qui n'avait pas bougé d'un pouce depuis le début de l'attaque du Babylonien, se mit à marcher dans sa direction.
L'héritier de Pazuzu se remit en garde quand le garçon ne fut plus qu'à quelques mètres de lui. A présent qu'il le voyait de plus près, Hanpa remarqua de fines lignes de sang sur le visage et les bras du chevalier d'or. Si ces ongles l'avaient donc bel et bien atteint, ils ne laisseraient que d'éphémères cicatrices comme souvenirs ainsi que quelques rayures sur la protection dorée.
- Je savais que mon assaut n'endommagerait guère ton armure, mais comment as-tu pu survivre à mes lames ? Elles ont frappé ta chair nue !
- J'avais gelé mon épiderme, presque à la température la plus basse que je suis capable de produire. Ma peau était ainsi quasiment aussi solide qu'un cercueil de glace ou que mon armure, si bien qu'elle a protégé mes organes internes, non seulement de vos assauts mais aussi du froid que j'ai créé autour de moi afin de détruire vos ongles.
Hanpa sourit, ce qui paraissait presque contre-nature avec son visage de démon.
- Tu es le troisième chevalier d'or que je suis amené à affronter, et le moins que je puisse dire est que tu es à la hauteur des deux premiers. C'est un honneur pour moi de me mesurer à de tels adversaires.
- Vous avez proposé de m'épargner si je me rendais, l'honneur me demande d'en faire de même.
- Tu me vois obligé de décliner. Sache que j'ai encore quelques cartes à ma disposition...

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Tandis qu'il frappait sans succès son adversaire mécanique, Akiera tentait de se remémorer les détails exacts de la légende - légende bien vivace cela dit - associée à Talos. Il avait tenté une nouvelle Galaxian Explosion, encore pus violente que la précédente, qui n'avait cependant pas eu davantage de succès. De même, les millions de rayons de lumière qu'il avait projetés sur l'homme de bronze n'avaient pas eu l'air d'avoir plus d'effet que des piqûres de moustiques.
Talos continuait à avancer inexorablement vers lui, imperturbable. Si sa vitesse supérieure permettait à l'androgyne de rester hors de portée, le moment viendrait où la fatigue ou la distraction lui ferait commettre une erreur. En fin stratège, l'ancien chevalier des Gémeaux ne pouvait pas non plus exclure que Talos diminuait volontairement sa vitesse pour pouvoir le surprendre le moment venu.
Cette situation inconfortable lui faisait d'autant plus regretter de ne pas avoir été davantage attentif aux contes du vieux maître, car s'il se souvenait d'une partie de l'histoire de son ennemi et du fait qu'il avait été détruit par le héros Jason, il ne souvenait pas du comment qui aurait pourtant pu lui être utile.
- Bah... Quand tu ne peux pas casser, il existe d'autres solutions... pensa-t-il.
Son cosmos se déploya, ouvrant la porte entre les mondes.
- ANOTHER DIMENSION !
Le ciel s'ouvrit, révélant une vue cosmique surréaliste sur des planètes étranges. La marche de Talos ne fut pas le moins du monde ralentie, le colosse mécanique semblant ignorer superbement l'aspiration causée par la rupture dans le réel.
- C'est pas vrai ! s'emporta Akiera en constatant l'échec de sa technique.
Il intensifia son cosmos pour accroître la puissance du vortex. Non seulement Talos ne freina pas, mais au contraire il accéléra soudainement.
Trop concentré sur son attaque et ayant trop laissé son adversaire s'approcher de lui, l'androgyne n'eut pas le temps de se mettre parfaitement hors de portée. S'il parvint à empêcher Talos de l'attraper - il n'avait d'ailleurs guère envie d'imaginer ce qui lui arriverait si les mains métalliques se refermaient sur son corps non protégé -, il ne put éviter une charge de l'épaule qui le propulsa dans les airs. Il percuta plusieurs arbres, les transperçant ou les déracinant, puis roula encore sur le sol avant de s'arrêter finalement contre un tronc.
Il se releva en gémissant, certain d’avoir plusieurs côtes cassées. Une grande nostalgie de l'époque où son corps était protégé par l'armure d'or des Gémeaux le saisit un bref moment...
Encore sonné, il aperçut du coin de l'oeil un grand mouvement. Il reprit ses esprits juste à temps pour voir que Talos s'était saisi d'un des troncs d'arbres qu'il avait déracinés pendant son vol plané et était en train de l'abattre violemment sur lui.
Agissant par réflexe, il leva le bras en projetant des millions de jets de lumière avec son poing, pulvérisant le bois en d'innombrables échardes.
- C'est officiel : tu me tapes vraiment sur les nerfs ! dit-il à l'invincible homme métallique qui continuait à avancer sur lui.
L'androgyne sentit alors un cosmos exploser plus loin dans la forêt d'une façon inhabituelle, or il avait déjà ressenti quelque chose de similaire quelques années plus tôt...

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Camus n'aurait pas pensé que son adversaire puisse déployer une telle puissance. L'homme à l'allure de démon s'était envolé, puis, enveloppé par son cosmos intensifié à son paroxysme, avait déclenché autour de lui des mouvements d'air de plus en plus rapides. Il flottait à présent au centre d'une véritable tornade.
- Prépare-toi à affronter les vents du nord ! hurla le Babylonien au sommet de son effort.
Le chevalier s'entoura à son tour de son aura dorée.
- Attention ! lui cria soudain Akiera par la voie cosmique. Je l'ai déjà vu utiliser cette technique contre Aioros qui a failli en mourir ! Son cosmos est toxique !
- Je sais, répondit Camus.
Le jeune chevalier d'or n'avait effectivement rien raté de l'agitation atomique inhabituelle entourant son adversaire, alors que celui-ci réarrangeait les liaisons moléculaires de l'air pour créer des gaz toxiques. Il avait également remarqué que Hanpa ne synthétisait des molécules de poison qu'à la périphérie du volume occupé par son cosmos, et non à proximité de son propre corps. Une conclusion logique s'imposait...
Hanpa se lança à l'assaut, prêt à mettre en oeuvre sa tactique habituelle : focaliser l'attention de son opposant au corps à corps pendant que le vent empoisonné par son cosmos ferait son effet.
Il sentit toutefois que quelque chose n'allait pas à mi-distance. Le chevalier d’or usait de son pouvoir pour modifier la température des vents et changer le mouvement de la tornade, refroidissant l’air périphérique jusqu’à ce que celui-ci soit plus froid que celui de l’intérieur du vortex. Les différences de pression créant la colonne d’air s’inversèrent finalement brusquement, le vortex s’écroulant sur son créateur.
Les gouttes de poison commencèrent à frapper le corps et l'armure d'Hanpa, provoquant de petits nuages de fumée à chaque impact, comme s'il s'agissait d'un acide particulièrement concentré.
Il ne put réprimer un cri de douleur avant de déployer ses ailes pour tenter d'échapper au vent qui s'était retourné contre lui. Il s'éleva comme une flèche à la verticale, mais Camus réagit en refroidissant la température de l'air en altitude afin de faire remonter les vents.
- Abandonne et j'épargnerai ta vie ! hurla le jeune chevalier dans la tourmente.
- Jamais ! répliqua le Mésopotamien.
Conscient qu'il ne pourrait pas échapper à son adversaire, Hanpa décida de jouer le tout pour le tout et tomba en piqué tel un aigle sur un lapin.
- Folie ! s'exclama Camus.
Il intensifia son cosmos, concentrant les vents sur son ennemi et gelant les gouttes de poison qui flottaient dans l'air à la température la plus basse dont il était capable, les transformant ainsi en projectiles acérés. Les éclats de glace pénétrèrent sans difficulté l'armure et la chair d'Hanpa, transperçant en outre de part en part ses ailes. Le poison gelé fondait instantanément au moment où il se trouvait dans le corps du Babylonien, se déversant ainsi directement dans le sang. Comme foudroyé en plein vol, l'homme au visage de démon chuta vers le sol tel un ange déchu tombant en enfer.
Camus sentit soudain la température ambiante se modifier, et les mouvements d'air fluctuer jusqu'à finalement cesser. Les derniers projectiles glacés explosèrent en vol avant d'atteindre leur cible à présent inerte, puis Hanpa fut saisi en plein vol par une forme indistincte juste avant qu'il ne s'écrase.
- Maître ? s'exclama le garçon en découvrant Gienah lorsqu'il se réceptionna au sol, le guerrier vaincu dans ses bras.
L'ancien chevalier noir prit le pouls d'Hanpa  sur sa gorge, mais n'en trouva pas.
- Désolé, je n'ai pas été assez rapide, dit-il en fermant les yeux du mort.
Il posa délicatement le corps au sol avant de se tourner vers celui qu'il avait formé.
- Tu n'étais pas obligé de le tuer, dit-il avec colère et en pointant un doigt accusateur.
- Je lui ai proposé deux fois d'abandonner. Il a préféré mourir pour sa cause. Comment avez-vous fait pour être si vite sur pieds ?
- Il faudra plus qu'un coup de poing pour avoir raison de moi... Mais ne change pas de sujet. Ton avantage était suffisant pour te permettre de le vaincre sans prendre sa vie.
- Il a fait son choix. Je n'ai fait que mon devoir.
- Vas-tu m'offrir le même choix ? Et si je refuse d'obtempérer vas-tu également me tuer froidement ?
- Vous seriez ridicule de me combattre. Cette cause n'est pas la vôtre. Il est encore temps de redevenir raisonnable.
Gienah se mit en position de combat.
- J'ai bien peur de ne pas être quelqu'un de raisonnable.
- Là, vous frôlez l’absurde. Je sais à présent que vos pouvoirs ont largement dépassé ceux d'un chevalier de bronze, mais je suis un chevalier d'or.
- Depuis quelques heures à peine. Je t'avais en outre dit que, même si j'estimais ne plus rien pouvoir t'apporter, ta formation n'était pas encore achevée. Je vais te donner une idée du chemin qu'il te reste encore à parcourir...

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Kanon tombait entre les mondes dans une chute qui paraissait sans fin. Le fait qu'il ait été victime de sa propre Another Dimension avait eu des répercussions imprévisibles sur la stabilité de la rupture dans la réalité dans laquelle l'avait projeté Shamash.
Les deux adversaires n'avaient pas débouché dans la dimension vers laquelle menait originellement le passage, mais dans une sorte de No Man's Land dimensionnel. Ils dérivaient depuis plusieurs minutes dans ce qui ressemblait à un tunnel d'énergie bleue entre les univers, large de plusieurs kilomètres, apercevant par moment  des vues fantastiques de mondes inconnus lorsque la membrane énergétique du conduit devenait brièvement transparente.
Le cadet de Saga n'avait cependant guère de temps à accorder à la contemplation du paysage ou à chercher un moyen de rejoindre la Terre. Shamash lui menait la vie dure, se révélant un opposant à la technique peu raffinée, directe et brutale, et néanmoins dangereuse. Il semblait ainsi largement préférer les attaques à base de simples projections cosmiques brutes, peu coûteuses en énergie et rapides à déclencher, aux techniques plus élaborées. Face à une telle épure, les exceptionnelles capacités d'analyse du Grec se retrouvaient au chômage technique.
Surtout, le Babylonien semblait bien plus à son aise dans cet environnement inhabituel, utilisant de petites projections d'énergie pour orienter sa chute. Kanon, quant à lui, souffrait du fait de ne pas avoir d'appui et avait du mal à reproduire la méthode adverse.
Les émanations cosmiques de Shamash zébraient ainsi le conduit inter-dimensionnel, manquant souvent de peu leur cible. En réponse, Kanon projetait des rayons dorés avec ses poings, toutefois ses tentatives peu assurées demeuraient vaines. La situation était dangereuse pour le Grec qui, contrairement à son adversaire, n'avait pas la moindre protection. Le plus anodin mouvement d'esquive mal contrôlé pouvait avoir des conséquences fâcheuses.
Sa première priorité était de quitter cet environnement défavorable.
Il projeta autant de rayons de lumière qu'il en était capable dans sa position, créant un véritable barrage d'énergie entre lui et son adversaire. Pendant que Shamash déviait ou parait les attaques les plus dangereuses, autorisant les autres à venir s'écraser sans dommage sur sa protection, Kanon enflamma son cosmos.
- GALAXIAN EXPLOSION ! hurla-t-il en déclenchant son arcane la plus destructrice.
Le Babylonien ignora les derniers rayons de lumière et se concentra sur ce nouveau danger bien plus pressant. S'il ne disposait pas des mêmes capacités d'analyse des techniques adverses que les chevaliers d'or ou certains de ses alliés, il avait déjà eu l'occasion d'observer la Galaxian Explosion plusieurs fois dans le passé. Ainsi déclenchée par un adversaire en déséquilibre, elle ne constituait pas un danger pour lui.
Il l'esquiva en totalité sans la moindre difficulté et s'apprêtait à railler son adversaire pour son inefficacité quand il s'aperçut que celui-ci avait disparu. Il ne lui fallut pas longtemps néanmoins pour le localiser : Kanon était en train de filer comme une balle vers la paroi du tunnel, s'étant servi de la déflagration de son attaque pour se propulser.
- Petit malin, murmura le Mésopotamien en se propulsant à son tour vers le tunnel.
Il ne partit pourtant pas directement à la poursuite de son adversaire, jugeant qu'il deviendrait une cible trop vulnérable si Kanon parvenait à s'appuyer sur le conduit.
Lorsque ce dernier parvint au tunnel et constata que ce dernier était solide et semblait exercer une simili gravité dans sa proximité proche qui lui permettait de poser le pied dessus, ce fut donc avec déception qu'il constata que son ennemi n'avait pas commis l'erreur de le suivre et allait atteindre la paroi près de cinq cents mètres plus loin.
- Le tir au pigeon sera pour une autre fois...
Le cadet avait un répit pour faire le point sur ses options. Il savait que son adversaire maîtrisait également les dimensions et avait constaté l'inefficacité de la Galaxian Explosion, même si elle avait été déclenchée dans de mauvaises conditions. Le Genrô Maô-Ken ne lui serait également guère de secours. Ses options techniques se révélaient donc limitées. Mieux valait donc faire preuve de stratégie, s'en tenir à sa résolution de quitter ce lieu puis choisir un terrain plus propice. L'ennui était que cet endroit hors norme paraissait affecter ses capacités dimensionnelles.
Shamash avait à son tour posé le pied sur le tunnel et venait dans sa direction. Kanon allait devoir prendre une décision, sans savoir laquelle. Il se rendit alors compte que le tunnel était en train de devenir translucide sous ses pieds, dévoilant une dimension vaguement familière au Grec.
Enflammant son cosmos sans réfléchir ni prendre le temps de se demander si cela était bien raisonnable, il déclencha la Galaxian Explosion en visant le sol à mi-chemin entre Shamash et lui. La barrière entre les mondes explosa, aspirant violemment les deux ennemis comme dans un vortex.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Deathmask avait rapidement progressé dans les galeries situées dans les entrailles du Kilimandjaro. Il avait croisé plusieurs individus lors de son exploration, probablement des sortes de pèlerins venus de partout dans le monde pour voir ou adorer celle que lui était venu tuer.
Plusieurs d'entre eux avaient essayé de lui parler, souvent dans des langues qu'il ne maîtrisait pas, certains tenté de ralentir son avancée.
Aucun d'entre eux ne représentait de véritable menace pour un chevalier d'or, néanmoins il avait décidé de les abattre à vue. Cela était de son point de vue à la fois plus rapide que d'attendre de déterminer leurs intentions à son égard et plus efficace, réduisant à néant tout risque de nuisance. En outre, cela compléterait la décoration de sa demeure.
Il suivait à distance le combat de Saga, se rendant compte qu'il y avait peut-être une chance que l'arrogant donneur de leçon des Gémeaux y perde des plumes. Il cessa toutefois de se laisser distraire par cet affrontement, dont l'issue ne le concernait pour le moment pas, lorsque la galerie qu'il suivait déboucha dans une grande cavité. Plusieurs nouveaux tunnels s'enfonçaient dans la roche à l'autre extrémité de la salle, mais les atteindre devrait attendre de régler un problème plus urgent.
Un homme massif et musculeux et vêtu seulement d'un pagne semblait vouloir bloquer le passage.
Ce n'était cependant pas cette musculature impressionnante qui faisait que l'Italien accordait à ce nouveau contretemps plus d'attention qu'au précédent. Non, le fait vraiment singulier était que cette créature possédait une tête de lion. Le Cancer ne put s'empêcher de dévisager longuement l'apparition, et il conclut finalement que si la crinière, la gueule remplie de crocs et les yeux félins faisaient partie d'un masque, ce dernier était frappant de réalisme.
Le chevalier distinguait quelques silhouettes dans l'ombre de la cavité ou des galeries, mais il les ignora.
- Je suis Son gardien, dit le monstre d'une voix profonde. Je ne vous laisserai pas L'approcher.
Deathmask sourit en entendant ces paroles. Il n'était pas réellement le genre à se faire impressionner par ce genre de déclarations d'intention.
Il passa à l'attaque sans plus attendre, chargeant à la vitesse de la lumière. L'homme-lion para les premiers enchaînements de coups de poing, néanmoins lorsque le chevalier augmenta la cadence, il parvint à transpercer plusieurs fois la garde de son adversaire.
Ses coups n'avaient pourtant qu'un impact léger sur la créature. Les muscles puissants et bandés de cette dernière semblaient en effet absorber les chocs aussi efficacement qu'une armure.
Le gardien commença à essayer de frapper l'Italien à son tour. Se faisant, il permettait à son adversaire de le toucher encore plus fréquemment alors que ses propres assauts étaient facilement contenus. Les encouragements venant des grottes à l'intention de la créature ne changeaient rien à la donne.
L'Italien estimait que son mystérieux opposant, certes puissant et d'un niveau voisin de celui d'un chevalier d'or, lui était a priori assez nettement inférieur.
Il enflamma son cosmos, son corps et plus particulièrement ses poings se nimbant d'une aura dorée, et frappa avec une vigueur renouvelée. Le gardien sembla cette fois-ci sentir très nettement les coups. Deathmask parvint à placer une série de frappes rapides au bas-ventre qu'il termina par un uppercut qui envoya son adversaire s'encastrer dans la voûte de la salle souterraine.
Il bondit pour saisir les pieds de la créature, puis la projeter violemment sur le sol. L'homme-lion voulut se relever, mais l'Italien l'attaqua alors avec une rafale de rayons d'énergie dorés qui le projetèrent contre la paroi de la grotte où il s'enfonça de plusieurs dizaines de centimètres.
Les témoins du combat laissèrent échapper des exclamations de déception et de peur, Deathmask s'abstenant toutefois de les narguer.
Le gardien s'extrayait en effet facilement de la roche et marcha sans hésitation vers l'Italien.
- Tu sais encaisser, je t'accorde ça, dit ce dernier tout en enflammant son cosmos à son paroxysme.
L'énergie du gardien de la quatrième maison se concentra autour de son index droit.
- SEIKI SHI KI MEIKAI HA ! hurla-t-il en ouvrant un passage vers le monde de la Fontaine Jaune.
Le chevalier d'or se rendit rapidement compte que quelque chose n'allait pas. Sa technique n'avait pas la moindre prise sur son adversaire. Ce n'était même pas que l'attaque ne parvenait pas à briser le lien entre le corps et l'âme de son adversaire. Non, en tout état de cause, Deathmask n'arrivait même pas à visualiser ce lien.
Comme si la créature n'avait pas d'âme à proprement parler, ou alors comme si cette dernière et sa chair étaient totalement indissociables.
- Bon sang, qu'est-ce que tu es ?
Le chevalier d'or stoppa son assaut et se remit en garde. L'homme-lion attaqua de nouveau, mais cette fois-ci ses coups étaient plus rapides et puissants. Deathmask conservait malgré tout une marge de manœuvre confortable et parvint à contenir le monstre. Cette marge diminuait malgré tout à vue d'oeil. Sa supériorité depuis le début de l'affrontement ne lui avait pourtant pas permis de prendre d'avantage réel. Si son adversaire était encore capable d'augmenter son niveau, cela pourrait finir par devenir dangereux.
Comme pour illustrer cette crainte, la créature l'assaillit avec une force encore renouvelée. L'Italien, qui se consacrait pour le moment à la défense et l'esquive, essayait déjà de comprendre comment son adversaire pouvait augmenter ainsi à l'envie sa puissance. Il se concentra sur ses perceptions extrasensorielles, s'attardant sur tous les spectres de perception auxquels il avait accès.
Ce fut finalement sur le plan spirituel qu'il trouva ce qu'il cherchait, ce monde fréquenté par les occultistes. Il s'agissait du monde caché proche voisin du plan physique, où un être avec les compétences du chevalier du Cancer pouvait observer esprits désincarnés, âmes en peine ou égarées et autres fantômes.
Il vit des lignes spirituelles, tels de minces filaments de pensées laiteux, venir s'enrouler autour de l'homme-lion de toutes les directions. La créature semblait ainsi se mouvoir au milieu d'une sorte de toile d'araignée la reliant à un nombre indéterminé d'âmes. L'Italien se rendit compte que le nombre de ces liaisons spirituelles semblait augmenter régulièrement, formant un réseau de plus en plus dense.
La créature puisait donc sa puissance dans ces sources extérieures, selon un procédé que l'Italien avait du mal à conceptualiser.
Quelles âmes soutenaient son adversaire et pourquoi ? Le chevalier n'en avait aucune idée et n'avait pas l'intention de remonter un à un tous ces fils de pensée pour en avoir le cœur net. Tout au plus pouvait-il estimer que les filaments venaient à part à peu près égal de la Terre, du domaine d'Hadès et d'autres plans d’existence inconnus.
Il avait néanmoins l'intuition que ces filaments faisaient plus que soutenir son adversaire et qu'ils le constituaient. Que malgré sa consistance sur le plan physique, cette créature n'était qu'un conglomérat de pensées et de fragments d'âmes d'origines diverses et que ce qu'il pensait être un corps de chair et de sang n'était qu'une sorte d'écho de sa véritable nature. Une chose était en tout cas certaine.
Jamais le Cancer ne pourrait faire le moindre dommage à son mystérieux adversaire en l'affrontant sur le plan physique.
Les coups de l'homme-lion augmentèrent encore de vitesse, transperçant pour la première fois la garde du chevalier d'or sous les cris de joie des quelques spectateurs du combat. Les impacts au torse et au visage furent d'une violence phénoménale. Bondissant en arrière pour se mettre à l'abri, l'Italien était convaincu d'avoir plusieurs côtes cassées malgré son armure et il s'en était fallu de peu que sa mâchoire ne se brise comme du verre.
Deathmask sentit monter l'exaltation en lui. Il existait une réelle possibilité qu'il ne survive pas aux prochaines secondes, cependant il venait de mettre au point un plan d'action qui lui permettrait peut-être de l'emporter. L'incertitude, loin de le paralyser, le galvanisait si bien que son cosmos explosa avec une violence qu'il n'avait encore jamais connue et il sourit au gardien qui marchait vers lui.
Sans faire un seul mouvement, il brisa simultanément les nuques de tous les témoins de l'affrontement par télékinésie. L'homme-lion s’en rendit compte et ses traits animaux se déformèrent de colère.
- Espèce de monstre !
- C'est l'hôpital qui se moque de la charité, lâcha l'Italien d'un ton bravache.
Le chevalier d'or propulsa alors son âme à l'extérieur de son corps. Son essence spirituelle avait l'apparence d'une silhouette spectrale laiteuse. Laissant son enveloppe de chair chuter au sol derrière lui, il se lança à l'assaut.
Si le gardien était capable de voir l'âme du chevalier le charger, l'audace de la manœuvre sembla le faire hésiter un instant. Deathmask n'en demandait pas tant et plaça plusieurs assauts précis et puissants. Aucun d'entre eux n'atteignirent néanmoins la créature puisque l'Italien avait exclusivement visé les filaments spectraux.
Comprenant que son adversaire cherchait à le couper de la source de son pouvoir, le gardien contre-attaqua avec violence, touchant plusieurs fois le Cancer. Ce dernier encaissa sans flancher, cependant s'il avait encore été dans son corps sans doute aurait-il serré les dents. Il ne savait pas en mettant en place son plan quels effets auraient sur son corps spirituel les coups adverses. A présent, il était fixé sur le fait qu'il était tout autant en danger de mort que précédemment.
Constatant que les liens spirituels se reconstituaient assez rapidement, il négligea pourtant la défense pour se consacrer exclusivement à la destruction de ces derniers.
Tandis qu'il tranchait de plus en plus de filaments à un rythme supérieur à leur réparation et recevait des coups menaçant de faire exploser la structure de son âme, il remarqua que la vitesse et la puissance des attaques de l'homme-lion revenaient petit à petit à ce qu'elles étaient au début de leur affrontement.
La première étape de son plan, ramener la créature à un niveau de puissance facilement gérable, atteinte, l'Italien passa à la seconde.
Malgré la douleur qu'engendraient les blessures faites à son esprit, il concentra son cosmos autour de son doigt et attira à lui les âmes des hommes et femmes qu'il avait tués au début de son assaut, et qui n'avaient pas encore eu le temps de prendre le chemin de la dimension de la Fontaine Jaune.
Les saisissant à pleine main, il les plongea une par une et à la vitesse de la lumière dans le corps de l'homme-lion qui n'avait plus assez de vitesse pour esquiver.
Affolées et tentant de se raccrocher à ce qu'elles pouvaient pour échapper à l'appel de l'oubli, les âmes se fondirent avec le corps du gardien, ressemblant à de grotesques et hideuses excroissances. Lorsque les connexions spirituelles alimentant la créature en énergie commencèrent à se reformer, loin de repousser les corps étrangers, elles les lièrent de façon encore plus solide.
Le gardien attaqua avec rage, mais les âmes entravaient ses mouvements et l'empêchait d'exploiter sa puissance retrouvée. Satisfait, l'Italien repoussa sans difficulté son adversaire, puis réintégra son enveloppe de chair et de sang.
Il constata en se relevant que les excroissances étaient visibles même sur le plan physique. Comme il le pensait, son ennemi était donc bel et bien constitué d'énergie spirituelle.
- J'arriverai bientôt à libérer ses malheureux, dit le gardien d’une voix souffreteuse. Et vous n'avez toujours aucun moyen de me détruire.
- Nous allons voir, répondit le chevalier en passant à la dernière phase de son plan, celle qui allait lui réclamer le plus d'énergie.
Son cosmos explosa tandis qu'il déclenchait à nouveau sa technique suprême.
- SEIKI SHI KI MEIKAI HA !
Mais il ne s'arrêta pas là et déclencha à nouveau son attaque, puis une nouvelle fois, et encore, et encore...
Finalement, le Cancer ouvrit dix passages entre le monde réel et le monde du Puits des Morts, encerclant entièrement son adversaire.
- Non ! cria ce dernier en comprenant l'objectif de la manoeuvre.
- A la revoyure ! articula difficilement le chevalier d'or tellement l'effort était intense.
Si les ouvertures n'affectaient pas directement l'homme-lion, elles attirèrent chacune une âme différente, écartelant et étirant le corps de la créature.
Le gardien ne hurla cependant pas, même quand il se déchiqueta en plusieurs morceaux et fut emporté vers le monde des morts.
Deathmask tomba à genoux en posant ses mains au sol pour reprendre son souffle. Il ne savait toujours pas quelle était exactement la nature du monstre, mais peut-être aurait-il l'occasion d'en avoir le cœur net une autre fois. Il pensait en effet que son adversaire pourrait probablement survivre au sort qu'il venait de lui faire subir, si l'on considérait qu'il était bien "vivant" à la base.
Néanmoins, l'Italien était convaincu qu'il aurait la paix jusqu'à la fin de sa mission.
Il s'accorda une minute avant de se relever et de repartir en chasse.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Jason avançait en premier tandis que les trois compagnons s'enfonçaient dans le sous-sol du temple de la secte et son réseau de galeries faiblement éclairées. Diomède fermait quant à lui la marche, gardant un œil attentif sur Stellio, juste devant lui.
Le maître-chevalier semblait être en proie à une excitation grandissante au fur et à mesure de leur progression qui les rapprochait probablement de l'être responsable de la mort de ses élèves.
Le chevalier de bronze se demandait comment cela allait tourner au moment inévitable de la confrontation avec le maître des lieux. Ils étaient a priori totalement surclassés, lui particulièrement. Leur chance, s'ils en avaient une, résidait en une action parfaitement coordonnée et en la force de Stellio que beaucoup considérait comme le plus puissant des chevaliers d'argent.
Mais ce dernier serait-il d'une quelconque utilité dans son état psychologique présent ? Ne serait-il même pas dangereux pour ses compagnons ?
Il était néanmoins trop tard pour reculer et partir avertir le Sanctuaire pour qu'il envoie des personnes compétentes pour ce type de situation. Si Jason et lui décidaient de partir, ils devraient soumettre Stellio par la force, ce qu'ils n'étaient pas certains d'arriver à faire.
Le chevalier Pégase était convaincu que Jason devait se faire les mêmes réflexions. Cependant il n'en laissait rien paraître et Diomède n'avait plus qu'à espérer que son compagnon voyait un moyen d'éviter que tout cela ne tourne à la catastrophe.
L'identité des autres intrus se déplaçant dans le réseau de galeries demeurait un mystère. Les trois compagnons avaient croisé d'autres corps d'adeptes de la secte des Suivants du Fils du Chaos.
Qui qu'ils soient, les individus qui les précédaient faisaient preuve d'une violence impressionnante, presque bestiale, mais qui avait pourtant été parfaitement silencieuse jusqu'ici. Certains cadavres semblaient en effet avoir été déchiquetés quelques minutes plus tôt à peine, sans qu'ils n'aient jamais rien entendu. L'un des seuls éléments rassurant de la situation était le vieil adage voulant que les ennemis de son ennemi soient des amis.
L'autre élément était le fait que la piste sanglante qu'ils suivaient les menait a priori à leur objectif.
Diomède perdit toute notion du temps au fur et à mesure de leur parcours dans les couloirs et escaliers monotones du temple, les pièces dans lesquelles ils s'aventurèrent étant la plupart du temps à peine meublées, quand elles n'étaient pas tout simplement vides. Cette secte dont ils n'avaient toujours pas croisé le moindre adepte vivant semblait apparemment placer l'austérité très haut dans ses valeurs.
Le chevalier de bronze n'avait donc aucune notion de la durée de leurs pérégrinations lorsqu'ils débouchèrent dans une grande salle circulaire. Une dizaine de corps jonchaient le sol, comme si on avait rassemblé toutes les forces disponibles en un endroit pour stopper les intrus. Ce n'était pas le seul élément par lequel la salle se distinguait de toutes les autres qu'ils avaient traversées jusque-là.
Son centre était effectivement occupé par une grande statue dont le style paraissait grec ou romain. L'individu représenté était nu, l'élément le plus marquant étant la tête. Celle-ci possédait en effet deux visages, barbus, l'un regardant vers l'avant et l'autre l'arrière. Les trois chevaliers avaient déjà eu l'occasion de rencontrer un chevalier des Gémeaux, que cela soit Akiera ou Saga, et la tête de la statue leur rappelait immanquablement le casque de l'armure d'or.
- Il me semble que c'est... commença Diomède.
- Janus, le dieu romain des Portes, finit Jason.
- Tu penses que c'est lui que vénère cette secte ? Tu penses que c'est lui que nous cherchons ? Un dieu ?
Jason resta silencieux un moment.
- Si c'est le cas, c'est encore pire que ce que nous pensions, dit-il finalement. Nous sommes dépassés et devrions rentrer au Sanctuaire.
- Non.
Le ton de Stellio, définitif, n'appelait pas à la discussion.
- Si nous sommes amenés à combattre un dieu, notre mort inutile ne ramènera pas tes élèves, tenta Diomède.
- Qui a dit que ce combat était perdu d'avance ? répliqua Stellio. L'union fait la force.
L'ancien chevalier s'éloigna de ses compagnons et se dirigea vers l'autre extrémité de la pièce qui était faiblement éclairée.
- Montrez-vous, je sais que vous êtes là, dit-il en regardant le vide.
Deux silhouettes semblèrent alors s'extraire littéralement des ombres, comme si elles s'y étaient cachées jusque-là. Elles étaient d'apparence générale humanoïde, mais acéphales. Leur chair blanchâtre semblait en partie constituée de roche et de cristal.
- Qu'est-ce que... ? murmura Diomède.
- Les créatures qui habitaient les chevaliers noirs, répondit Jason en chuchotant. Ceci est leur vraie apparence. Akiera en avait combattu un et nous l'avait montré par le biais d'une illusion à l'issue de la bataille de l'île de Milos.

Les deux chevaliers restèrent figés en retrait, regardant, sans faire un mouvement, Stellio s'approcher des créatures.
- Vous êtes ici pour la même raison que nous n'est-ce pas ? demanda Stellio.
Sa voix et sa démarche étaient à nouveau habituelles, comme s'il avait soudainement retrouvé toute sa lucidité.
Les deux monstres semblèrent se consulter avant que l'un des deux ne réponde d'une voix chevrotante.
- Il nous a trahi. Nous voulons nous venger.
- Qu'est-ce qui vous fait croire que vous y arriverez à deux ?
- Nous concentrons toute la force de nos semblables.
- Akiera en avait parlé, intervint Stellio. La créature qu'il avait combattue absorbait ses congénères vaincus afin d'être capable de rivaliser avec lui.
- Dans ce cas, pourquoi êtes-vous deux et pas un seul ?
- Trop d'énergie. Dégénérescence.
Stellio hocha la tête.
- Nous devons nous allier, dit-il.
- Stellio... intervint Diomède. Je te rappelle que ce sont leurs semblables qui possédaient les chevaliers noirs et tes élèves.
- Je sais. Peu de choses me feraient plus plaisir que de les écraser ici et maintenant.
Les deux créatures se mirent en position de combat, grognant comme des animaux.
- Cependant, les créatures directement impliquées dans la mort de mes élèves ont déjà été éliminées. Je veux à présent que celui à l'origine de tout cela paye à son tour. Peu m'importe avec qui je dois m'allier.
- Vous êtes faibles, nous n'avons pas besoin de vous, dit la créature qui n'avait pas encore parlé.
- Je ne pense pas. Nous savons que vous êtes capables de fusionner votre essence avec celle d'un être humain et que plus ce dernier a d'affinité avec le cosmos, plus le résultat de la symbiose sera puissant. J'étais le plus fort de tous les chevaliers d'argent. Seuls les chevaliers d'or me surpassent. Imaginez le pouvoir qui serait le nôtre si je m'associais avec l'un de vous deux.
La mâchoire de Diomède manqua de se détacher.
- Tu as perdu l'esprit ! La symbiose est permanente, le Pope et les chevaliers d'or n'ont trouvé aucun moyen pour l'inverser !
- Nous savons que les chevaliers noirs les plus puissants avaient conservé leurs personnalités, contrairement à mes élèves, répliqua Stellio d'une voix calme en se tournant vers son compagnon. Je serais toujours au moins à moitié au contrôle.
- Et si tu te trompes ? demanda Jason d'une voix beaucoup moins affolée que Diomède.
- Alors les chevaliers d'or auront une occasion de se rendre utiles, pour une fois.
Le maître-chevalier fit face de nouveau aux deux créatures.
- Sommes-nous d'accord ?
- Nous le sommes, répondit la première en s'avançant.
- Je vous empêcherai de le faire ! hurla Diomède en s'élançant.
Il ne fit cependant pas plus de deux pas. C'est avec surprise qu'il regarda en chutant Jason qui venait de le frapper à la nuque.
- Pourquoi ? eut le temps d'articuler le chevalier de bronze avant de perdre connaissance.
Le chevalier de la Carène ne lui répondit pas, mais marcha jusqu'aux cotés de Stellio.
- Je pense que c'est très certainement une mauvaise idée, mais je ne peux me résoudre à te laisser agir seul, expliqua-t-il en regardant l'ancien Lézard les yeux dans les yeux.
Il se tourna alors vers les deux créatures.
- J'imagine que vous n'avez rien contre le fait de m'inclure dans votre accord ?

*          *          *          *          *          *          *          *          *

La réincarnation d'Athéna se tenait sur le parvis situé derrière le palais du Grand Pope, au sommet des douze maisons, le saint des saints du Sanctuaire.
Les pièces de l'armure divine qui la recouvraient se détachèrent de son corps et volèrent jusqu'à un socle de pierre. Là, elles se rassemblèrent pour former la forme totémique de la protection. Néanmoins, l'armure ne conserva cette apparence que le temps d'un battement de cil. Un bref éclair de lumière irradia du métal sacré, puis là où se tenait la protection de la déesse aux yeux pers se dressait à présent une statue de cette dernière sous son apparence mythologique. Le contraste avec le corps qu’elle habitait à cette époque était d’ailleurs saisissant.
Le sceptre de la déesse se transforma alors en une représentation de la déesse de la victoire, Niké, placée sur la paume droite de la statue tandis que le bouclier divin se plaçait sur le flanc gauche de cette dernière.
- Mon Ichor ranimera l'armure, dit la déesse réincarnée en se tournant vers Sion du Bélier. Ne l'oublie pas.
- Ma maîtresse... Vous allez nous quitter ?
Le regard du Pope fraîchement nommé était inquiet.
- Rejoignons Dohko, dit-elle en souriant.
En redescendant vers ce qui serait le palais de Sion pour les siècles à venir, ils ne purent que voir les nuages de fumée noire s'élever du Sanctuaire.
Les incendies s'étaient arrêtés au temple du Sagittaire, là où l'offensive des spectres avait finalement été contenue. Tout le reste du domaine sacré avait été la proie des flammes et n'était que destruction.
Dohko de la Balance attendait patiemment sa déesse et son compagnon à côté du trône du Pope.
- Mes chers compagnons, vous avez vos instructions. Vos missions seront ardues, particulièrement la tienne, Sion. Nos ennemis ont tué tous les chevaliers, vous deux exceptés, presque tous les gardes et apprentis. Même les chevaliers encore vivants des générations précédentes ont été traqués. Sion, mon Grand Pope, tu dois rebâtir le Sanctuaire sur des cendres en vue de nos futurs combats, afin que nous ayons la possibilité de réaliser un jour nos rêves pour l'humanité.
Le chevalier du Bélier s'inclina très bas devant sa déesse, comme si la lourdeur de sa tâche lui pesait déjà sur les épaules.
- Dohko, tu devras faire preuve d'une vigilance de tous les instants. Mon sceau doit être préservé à tout prix. Tant que Sion n'aura pas reconstitué la puissance du Sanctuaire, tu seras le seul rempart de l'humanité face à un retour d'Hadès, mais aussi face à toute autre menace. Pour l'instant mon sceau regorge d’énergie et est indestructible.
Elle posa sa main sur l'épaule du guerrier.
- Néanmoins, il ne lui faudra que quelques années pour devenir vulnérable. Dès ce moment-là, tu ne devras plus quitter ton poste et les nouveaux chevaliers de Sion devront prendre ta relève pour la défense du monde.
Le Chinois s'inclina à son tour.
- Je serais digne de votre confiance.
- Très bien. Pour ma part, je vais devoir quitter ce corps très rapidement.
- Mais, ma déesse... Nous avons besoin de vous... J'ai besoin de vous ! fit Sion.
- Nous savons qu'Hadès a bénéficié de soutiens, probablement de la part d'Olympiens. Les projets que nous avions échafaudés pour l'humanité avec ton prédécesseur, Akbar, nous ont attiré beaucoup d'inimités. Tant que je resterai sur Terre, ils ne seront pas tranquilles et continueront à nous mettre des bâtons dans les roues. Si je disparais, dans leur arrogance et voyant la portion congrue à laquelle a été réduit le Sanctuaire, ils croiront avoir réussi. Ils penseront la chevalerie détruite, et ne prendront même pas la peine de porter l'estocade. Mais le Sanctuaire renaîtra, et lorsque je me réincarnerai, plus forte que jamais après un aussi long sommeil, nous volerons vers la victoire.
Les deux chevaliers sentirent le formidable cosmos de leur déesse commencer à se déliter.
- A bientôt, mes amis.
La conscience divine s'échappa du corps sous la forme d'une boule blanche qui s'envola droit vers le plafond qu'elle traversa.
Sion resta immobile à fixer l'endroit où l'âme de sa déesse avait disparu, tandis que Dohko se levait en hâte pour attraper le corps avant qu'il ne s'effondre.
De longues secondes s'écoulèrent dans un silence absolu.
- Elle est partie, dit finalement le Chinois à son ami qui ne semblait pas se remettre des adieux si soudains de celle qu'il avait juré de servir toute sa vie.
Un service qui, réalisait-il maintenant, allait être beaucoup plus long et difficile que ce qu'il avait toujours imaginé.
- Qu'allons-nous faire d'elle ? continua Dohko.
- Elle ? répondit Sion sans comprendre en baissant le regard vers son compagnon.
- Elle, fit simplement le Chinois en désignant le corps qu'il tenait dans ses bras.
- Ce n'est qu'une coquille vide, à présent, répliqua le Bélier.
- C'est un être humain. Elle s'appelle Sophia.
- Non. Sophia n'a jamais existé. Athéna s'est incarnée en elle dès sa naissance, contrairement à Hadès qui a choisi un hôte déjà adulte. L'âme de l'humaine qui aurait dû habiter ce corps ne s'est jamais développée ou épanouie.
- Mais maintenant que l'esprit de notre déesse s'est désincarné, peut-être que cette âme pourra grandir à son tour ?
- Il n'y a aucun précédent à cela. Et, franchement mon ami, nous avons tout simplement pas le temps de nous en préoccuper. Ce n'est qu'une humaine parmi les milliards qui sont à présent à notre charge. Consacrer du temps à une créature qui pourrait peut-être, et j'insiste sur le peut-être, devenir pleinement humaine serait du gaspillage de nos maigres ressources.
- Que veux-tu en faire alors ? La laisser dépérir et mourir ?
- Certainement pas ! Ceci était le corps d'Athéna, il aura une sépulture adaptée à la situation.
- Que veux-tu dire ?
- Tu vas aller en Antarctique trouver Albali, le maître de notre compagnon tombé au combat, Boréalis du Verseau. Tu ne l'as jamais rencontré, mais j'en ai eu l'occasion pendant ma formation. Je sais qu'il a survécu à la purge menée par les spectres sur les maîtres chevaliers. Ces idiots ont sous-estimé la force que conservait le vieux fou.
- Tu veux dire...
- Oui. Tu vas lui demander de créer un cercueil de glace pour ce corps qui préservera à jamais sa beauté. Et tu demanderas au passage à Albali de rejoindre le Sanctuaire. L'âge l'a rendu irascible, mais je n'ai pas les moyens de faire la fine bouche et ai besoin de tout le monde.
- Mais...
- C'est un ordre de ton Grand Pope, mon ami. Nous n'avons déjà consacré que trop de temps à cette histoire.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Les regards d’Aioros et Shura allaient du vieux maître à la jeune femme, choqués qu’ils avaient été par la révélation de l’identité de cette dernière. Mardouk, qui portait un objet enveloppé dans du tissu sous son bras, restait pour sa part stoïque tandis qu’Ogier demeurait quelque mètres en arrière.
- Mais… Comment ? demanda Dohko à Sophia.
- J’imagine que vous pensiez que personne ne s’intéresserait à vos petits secrets… répliqua-t-elle d’un ton mordant. Heureusement pour moi, Mardouk a découvert le sort que vous m’aviez réservé. Il m’a libérée de votre piège de glace et m’a donné une chance de mener la vie que vous m’aviez refusée.
Le vieux chevalier se tourna vers le Babylonien avec colère.
- Je ne pense pas que vous ayez agi par pure bienveillance. Quel intérêt y trouvez-vous ?
Mardouk allait répondre, mais Sophia le prit de court en attaquant le vieux chevalier à la vitesse de la lumière. Dohko esquiva de justesse et atterrit sur ses pieds quelques mètres plus loin en portant un regard incrédule sur la jeune femme.
- Quelle question ! fit celle-ci. Il voulait bien évidemment trouver un allié puissant dans l’opération ! Dès que j’ai été en état de comprendre, il m’a expliqué ses intentions et il ne m’a pas fallu longtemps pour me ranger à ses côtés. Après tout quelle alternative avais-je ? Le Sanctuaire ? Ne me faites pas rire !
Le vétéran semblait totalement stupéfait par la brève démonstration de force qu’elle venait de faire.
- Tu ne devrais être qu’une femme ordinaire, dit-il finalement. Comment ?
- Une femme ordinaire qui a été habitée par l’âme d’une déesse pendant une dizaine d’années. Même après qu’Athéna se soit retirée de mon corps, toutes les traces de son pouvoir ne se sont pas volatilisées pour autant. Mon sang n’est pas redevenu ordinaire, mais est resté de l’Ichor. Chacune de mes cellules a gardé le souvenir de son cosmos. Or, même le souvenir d’un pouvoir divin demeure considérable, comme vous allez pouvoir le constater.
- Je ne veux pas me battre contre toi ! implora presque Dohko.
- En l’occurrence, votre avis m’est totalement indifférent ! En garde !
- Attendez ! fit Aioros en s’interposant devant la jeune femme.
Elle faillit l’attaquer pour atteindre Dohko, toutefois Mardouk la retint en lui posant une main sur l’épaule. Shura et Ogier, qui avaient failli commencer à en découdre dans la foulée de Sophia, se remirent eux aussi à distance.
- Avant… murmura Aioros. Avant que nous n’en arrivions à l’issue inéluctable et que cela finisse dans un bain de sang… Pourquoi êtes-vous venu ici ? Que voulez-vous accomplir avec le sceau d’Athéna ?
Le Babylonien hésita un instant puis haussa les épaules.
- Bah, après tout je peux aussi bien vous le dire. Vous allez vous interposer de toute façon. Je veux simplement réaliser ce que je recherche depuis le début : une coalition de toutes les forces humaines afin d’améliorer le destin de l’humanité en bâtissant un monde meilleur.
- Vous voulez toujours vous allier au Sanctuaire ? Il est trop tard pour cela !
- Pas nécessairement. Nous sommes actuellement ennemis toutefois un bon moyen de rapprocher des adversaires est de les confronter à une menace si terrible que leurs différences deviennent négligeables.
- Libérer Hadès ne modifierait pas la position du Sanctuaire à votre égard, intervint Dohko. Nous avons déjà vaincu le seigneur des Enfers par le passé et cette menace ne suffirait pas pour contraindre le Grand Pope à s’allier à vous. D’ailleurs, même avec ses spectres libérés de leur prison, Hadès attendrait probablement de s’être incarné pour passer à l’offensive, bien trop tard pour que cela ait une influence sur notre conflit actuel. Il attendrait même probablement bien tranquillement que nous nous soyons affaiblis mutuellement !
- J’en suis conscient, dit Mardouk d’une voix calme. Néanmoins vous vous méprenez totalement sur les motifs qui me conduisent à m’emparer du sceau d’Athéna. La libération des spectres ne serait qu’un effet collatéral, ennuyeux mais pas réellement dramatique puisque, comme vous l’avez dit, Hadès ne serait pas là pour les mener à la guerre.
- Alors pourquoi ? demanda Shura.
Dohko paraissait partager la perplexité du Capricorne.
- C’est pour elle, n’est-ce pas ? dit alors Aioros en indiquant Sophia. Vous nous dites qu’elle a conservé une partie des pouvoirs d’Athéna. Néanmoins, ils doivent rester très limités. En récupérant le sceau, j’imagine que vous voulez que Sophia s’approprie ce qu’il reste de l’énergie divine rémanente dans le sceau.
- J’ai toujours pensé que tu étais quelqu’un de brillant, Aioros, répondit Mardouk. Tu as raison, nous avons besoin de ce reste d’énergie de ta déesse pour que le cosmos de Sophia puisse se rapprocher pendant une fraction de seconde ce qu’était celui d’Athéna. Afin qu’elle puisse ouvrir la route pour nous.
- Les portes de l’Olympe ! s’exclama soudain Dohko. Seul un Olympien ou un être marqué par l’empreinte de l’un d’entre eux peut atteindre le domaine céleste ! Vous voulez que Sophia vous ouvre le passage afin de déclarer la guerre entre les hommes et les dieux !
- Je vous l’ai dit hier : de notre point de vue, les dieux olympiens sont responsables de la stagnation de l’humanité. Ils doivent être éliminés, c’est notre objectif ultime. Il ne peut cependant être atteint que par l’union de toutes les forces de l’humanité. En déclarant le conflit, le Sanctuaire et mes alliés seront obligés de cesser leur bataille et de présenter un front uni.
- Vous êtes fou ! Vous allez causer la fin du monde ! Face à l’Olympe aucune victoire n’est envisageable, alliance de toutes les forces des mortels ou pas !
- Pas si notre premier coup est suffisamment fort, contra le Babylonien. J’ai les moyens de les blesser comme ils ne l’ont plus été depuis la venue de Typhon !
Mardouk prit à deux mains l’objet qu’il avait jusqu’alors tenu sous son bras et arracha le tissu qui le dissimulait. Les trois serviteurs d’Athéna découvrirent une petite urne aux lignes épurées prisonnière d’une gangue de glace.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Aioros.
- La boîte de Pandore, répondit Dohko dans un souffle.
- Impressionnant, fit le Babylonien en acquiesçant. Les rangements de vos armures portent le même nom, mais ceci est l’artefact authentique, à l’intérieur duquel étaient enfermés les maux de l’humanité. Zeus l’avait confiée à Pandore afin que celle-ci libère les fléaux sur le monde. Nous allons en quelque sorte leur retourner la faveur.
- Que… Qu’il y a-t-il dans la boite ? demanda Shura.
- Tu ne veux pas le savoir mon garçon, crois-moi.
Le Babylonien utilisa alors les restes de tissu pour attacher la boite dans son dos.
- Aioros, Shura, dit Dohko. Quelles que soient les raisons qui les poussent à vouloir commettre cette folie… Nous devons à tout prix les arrêter !
Les deux jeunes chevaliers d’or hochèrent la tête.
Sophia chargea le vieux maître tandis que Shura s’élançait vers Ogier.
- J’aurais voulu que cela finisse autrement… Mais je vais devoir vous tuer, dit Aioros en se lançant à son tour à l’assaut.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

- Je ne te crois toujours pas, dit Mû.
Le jeune chevalier se téléporta derrière Aac qu'il tenta de frapper d'un coup de pied.
- Vraiment ? répliqua Aac d'un ton faussement déçu en bloquant facilement le coup et en repoussant le garçon grâce à son avantage de corpulence. Notre ressemblance physique n'est-elle pourtant pas frappante ?
Mû se dégagea du dangereux corps à corps en se téléportant. Il réapparut une dizaine de mètres plus loin, se mordant les lèvres, l'air incertain, avant de finalement répondre tout en envoyant une rafale d'énergie cosmique sur son adversaire.
- Cela peut très bien être une illusion destinée à me faire baisser ma garde !
- J'avais huit compagnons avec moi, répliqua l'adulte en déviant l'offensive par la force de son esprit. Si j'avais voulu simplement te vaincre, il aurait été plus simple de le faire avec leur aide plutôt que d'avoir recours à un tel stratagème.
Aac se téléporta alors juste devant le nez de Mû qui recula en sursautant. Aac tenta plusieurs coups de poing rapides que le chevalier parvint à bloquer avec ses avant-bras.
- Je suis capable de me déplacer de la même façon que toi et ton maître, continua l'adulte en tentant de percer la défense adverse. Notre ressemblance est frappante. La solution la plus logique n'est-elle pas que je te dis la vérité ? Que nous sommes frères ?
Mû chercha quelque chose à dire, mais se contenta de se téléporter à nouveau à distance.
- Tu as évoqué notre peuple tout à l'heure... fit-il lorsqu'il réapparut, l'air soudain moins combatif tout en restant en position de garde.
- Les Arois, répondit Aac sans poursuivre le garçon tout en restant lui aussi attentif aux mouvements de Mû. Nous descendons en droite lignée des habitants du continent de Mû dont tu portes le nom. Tu as toujours su que tu n'étais pas un humain ordinaire, n'est-ce pas ? Même parmi les autres chevaliers d'or tu as toujours été différent, doté de capacités innées non liées à la maîtrise du cosmos. Ta télékinésie et ta capacité de téléportation sont l'héritage de notre race, ton droit du sang.
Mû sembla hésiter un instant, cherchant ses mots. Il repoussa finalement mille questions qu'il aurait aimé poser pour formuler une simple interrogation.
- Pourquoi ne le savais-je pas ? Pourquoi Sion ne me l'aurait-il jamais dit ?
- Ton maître n'a appris l'existence d'autres descendants de Mû que le jour où je suis venu lui rapporter ta naissance et le fait que le Sanctuaire aurait donc bientôt un nouveau chevalier d'or du Bélier. Athéna a toujours tenu à ce que les chevaliers mûviens ignorent leurs origines pour s'assurer leur fidélité.
Le garçon sembla marquer le coup un instant.
- Quels que soient nos liens... Nous ne combattons pas aujourd'hui pour la même cause. Tu as laissé tes compagnons poursuivre pour que nous soyons seul à seul. Qu'attends-tu de moi ?
- N'est-ce pas évident ? Rejoins-moi !
- Je crois en ce Sanctuaire et en sa mission.
- Le Sanctuaire est près de sa chute, que celle-ci soit causée par mes compagnons aujourd'hui ou bien plus tard.
- Qu'en sais-tu ?
- Nous l'avons vu dans les étoiles. Mon peuple maîtrise les arcanes de l'astrologie et de la divination. De même que nos mystiques avaient pu prédire la destruction du continent de Mû il y a des millénaires, ils ont vu de terribles dangers menacer la Terre. Des dangers que le Sanctuaire sera probablement incapable de contrer car affaibli par des luttes intestines.
- Penses-tu que je te suivrai sur la foi de visions et d'interprétations peut-être fausses de l'avenir ?
Le jeune chevalier enflamma soudain son cosmos et se lança à l'attaque.
- Mon maître Sion m'a parlé de l'art permettant de lire le futur dans les étoiles, dit-il en déclenchant la Stardust Revolution. Il m'a dit que l'on ne pouvait jamais en retirer de certitudes, tout au plus des indications. Les événements ne sont en aucun cas inévitables, les humains peuvent toujours modifier leur avenir !
L'attaque pulvérisa le sol du temple à l'endroit où se tenait Aac, cependant, en dépit de la fulgurance de la technique, ce dernier avait simplement évité l'assaut en se téléportant.
- Tu soulèves un point intéressant, fit l'adulte en réapparaissant derrière Mû.
Ce dernier avait toutefois anticipé le déplacement probable de son adversaire et dirigea toute son énergie télékinésique vers celui qui se prétendait son frère dans le but de l'immobiliser.
Néanmoins, Aac avait opté pour le même type d'offensive si bien que les deux opposants se paralysèrent mutuellement. Un combat de volonté s'engagea, chacun tentant de maintenir l'autre prisonnier tout en parvenant à se libérer.
- Je pense que Sion a vu les mêmes choses que nos mystiques dans l'avenir, dit Aac qui transpirait sous l'effort. Toutefois, il refuse de voir la vérité en face, car il est trop vieux et a préparé trop longtemps votre prochaine Guerre Sainte pour accepter de reconsidérer la situation et chercher une alternative. Il préfère s'accrocher à une illusion.
- Illusion ? murmura difficilement Mû qui avait du mal à parler tout en maintenant sa concentration.
- Tu l'as dit : on ne peut en effet pas voir l'avenir avec certitude. On ne discerne que des futurs possibles. Or la guerre civile du Sanctuaire a lieu dans tous ces futurs. Elle est inévitable.
Sentant que le duel de volonté tournait lentement à l'avantage de son frère, Mû cessa son effort. S'il fut instantanément paralysé, il put en revanche déplacer par la pensée les débris du temple qu'avait créés son attaque, les projetant sur Aac. Les pouvoirs télékinésiques de ce dernier étant entièrement focalisés sur son cadet, il dut se téléporter pour éviter l'attaque, libérant ainsi Mû.
- De quelle illusion parlais-tu ? interrogea le garçon en se préparant à une nouvelle attaque.
- Nos mystiques n'ont entraperçu qu'un seul futur où le Sanctuaire prévalait sur ses adversaires malgré sa division. Un futur dont le chemin est néanmoins jonché de miracles et d'improbabilités, si fragile qu'un courant d'air pourrait l'emporter à jamais. Je pense que Sion a vu cet avenir et qu'il mise contre toute logique dessus, se raccrochant à un mirage là où Mardouk offrait un avenir fort. Ton maître n'est plus assez lucide pour que l'on se fie à lui ! Rejoins-moi !
Mû sentait instinctivement que Aac avait été sincère et lui avait exposé ses véritables convictions. Toutefois, il ne lui fallut guère de temps pour répondre à l'offre de son aîné.
- Je pense que tu me dis la vérité. Mais j'ai confiance en mon maître malgré tout. Même si tu es mon frère, il est ma seule véritable famille. Alors s'il croit en un avenir fait de miracles... J'y croirais aussi !
Le cosmos du garçon s'enflamma, redoublant d'intensité.
- J'espère que lorsque tout ceci sera fini, nous pourrons aller ensemble retrouver notre peuple. Cependant, en attendant... Je dois te neutraliser ! STARDUST REVOLUTION !

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Aldébaran regardait le combat de titans se déroulant devant lui avec un mélange de crainte et d'exaltation.
Jamais encore il n'avait assisté à un duel entre un chevalier d'or en pleine possession de ses moyens et un adversaire du même calibre, si bien que la violence de l'affrontement et l'excellence des combattants ne manquaient pas de l'impressionner grandement. Il mesurait tout le chemin qui lui restait à parcourir avant d'atteindre la gloire d'un tel niveau.
Néanmoins, il ne perdait pas de vue que si ce combat était aussi passionnant à suivre, c'était parce qu'il était indécis, et qu'il était donc possible que l'Amérindien l'emporte sur son père adoptif.
Moki semblait en effet avoir largement pris la mesure des attaques télékinésiques de Sérapis et se portait à l'assaut sans relâche. Aldébaran contemplait avec une part d'émerveillement l'aura de l'ennemi qui était extrêmement fluctuante et changeante.
Lorsque l'Amérindien avait besoin de vitesse, son aura prenait la forme d'un cheval ou d'un aigle. Lorsqu'il chargeait au corps à corps, c'était un bison d'énergie qui semblait l'entourer. Et lors des épreuves de force, c'était tel un ours puissant qu'il défiait le Taureau.
C'est au milieu de l'une de ces confrontations brutales, le chevalier d'or ayant dû momentanément abandonner sa garde les bras croisés pour engager une épreuve de lutte corps contre corps où chacun des deux adversaires cherchait la meilleure prise pour soumettre l'adversaire, que Sérapis s'enquit de cet état de fait.
- Nous autres serviteurs d'Athéna sommes placés sous la protection d'une seule constellation pour toute notre existence, dit le Taureau tout en essayant de tordre le bras de Moki. Celle-ci pose sa marque sur notre être et notre cosmos à tout jamais. Comment le vôtre peut-il changer d'apparence de la sorte ?
- Mon cosmos n'est pas alimenté par la même source, répondit l'Amérindien en essayant pour sa part de faire plier le genou du chevalier en modifiant ses appuis. Je suis l'héritier de mille nations et tribus et reçois ma puissance des totems des ancêtres qui me viennent en aide en cas de besoin.
- Je vois néanmoins un gros désavantage à la nature de votre cosmos... commença Sérapis en bandant brusquement ses muscles jusqu'à la rupture pour soulever brièvement son opposant de terre.
Le cosmos de l'Amérindien changea presque instantanément de l'ours vers le bison, afin de regagner de la masse et de la puissance brute.
- ... vous ne pouvez pas être à la fois rapide et puissant ! cria Sérapis en lâchant son adversaire. GREAT HORN !
Aldébaran vit la puissante attaque du Taureau arracher le sol et une aile de la deuxième maison. Ainsi déclenchée à bout portant, elle aurait dû anéantir l'ennemi dont le garçon ne vit d'abord plus rien. Il aperçut cependant une ombre furtive sur le sol filer vers son maître.
- Papa, attention ! hurla-t-il en sortant de sa cachette.
S'il fut surpris par la présence de son élève, Sérapis n'en laissa rien paraître. Il avait réagi par réflexe à l'avertissement en se mettant en garde et en cherchant le danger. Il vit à son tour l'ombre sur le sol, et leva les yeux vers son origine : Moki dont le cosmos cumulait à la fois les apparences d'un bison et d'un aigle.
Il s'abattit sur son adversaire avec la fulgurance de l'oiseau de proie et la puissance du colosse des plaines, visant de son genou la nuque du chevalier d'or.
Sérapis eut le temps de se cacher derrière ses deux bras une fraction de seconde avant l'impact. S'il sembla d'abord pouvoir contenir le choc, ses bras engourdis commencèrent à se desserrer jusqu'à ce que le genou de Moki franchisse finalement sa parade et vienne le frapper en pleine tête. Ce qu'il restait de sol à la maison du Taureau vola en éclats, emporté par l'onde de choc, Aldébaran devant quant à lui faire appel à ses réflexes pour éviter de se faire écraser par les colonnes et les murs s'écroulant tout autour de lui.
Lorsque le garçon eut un peu de répit, c'était presque tout le temple qui avait été réduit à un tas de gravats.
Il aperçut alors son père adoptif qui était en train de se relever au milieu des décombres. Celui-ci avait été particulièrement marqué par le coup qui l'avait frappé. Son casque avait volé, son épaulière droite était défoncée, et le sang coulait abondamment de son crâne.
Aldébaran voulut aller auprès de lui pour l'aider, mais une silhouette apparut soudain devant lui. Il s'agissait de Bolthorn qui saisit les mains du garçon et les plaqua l'une contre l'autre. Tout occupé à suivre le combat, Aldébaran avait oublié jusqu'à l'existence des deux autres envahisseurs.
- Désolé mon garçon...
Une gangue de glace se forma autour des avant-bras du jeune Brésilien, lui paralysant les membres.
- ... mais tu ne vas nulle part, dit le Blue Warrior.
Aldébaran tenta de frapper d'un coup de pied, mais Bolthorn para facilement et l'envoya au tapis d'un fauchage.
- Méfies-toi de lui, il est redoutable, dit Paul en apparaissant au coté de son compagnon. J'ai encore mal au crâne des coups qu'il a été capable de me porter.
Pendant ce temps, Sérapis était parvenu à se remettre droit sur ses jambes, dans sa position de combat les bras croisés.
- Je crois avoir sous-estimé la force et les capacités de vos animaux totem, dit-il à l'Amérindien qui s'approchait de lui.
- Je le pense en effet. J'ai en outre été capable d'esquiver votre Great Horn. Si vous n'avez rien de mieux à proposer, ce combat a peut-être déjà révélé sa vérité.
- Ce n'est pas au véritable Great Horn que vous avez échappé. Avant de m'avouer vaincu, il me faudra vous voir survivre à mon coup déclenché à son paroxysme. Néanmoins, avant que nous ne poursuivions, promettez-moi que vous ne ferez rien à mon fils.
- Nous sommes des hommes d'honneur. Nous ne tuons pas les enfants, nous. De plus, je sais que vous aviez tenté d'éviter l'affrontement en Libye, contrairement à vos frères d'armes.
L'Amérindien se mit en position de combat tout en élevant la voix pour ses compagnons.
- Il est trop fort pour vous. Quoi qu'il advienne, n'intervenez pas.
Le cosmos de Moki prit la forme d'un ours et d'un cheval, tandis que celui du chevalier d'or redoublait d'intensité.
- Vous me dites que vous voulez me montrer votre vraie puissance... Et pourtant vous me faites face les bras croisés ?
- Nous autres chevaliers du Taureau n'avons jamais été renommés pour notre intelligence, répliqua Sérapis en souriant.
Bien que peu convaincu par la réponse de son adversaire, Moki lui rendit son sourire. Il chargea ensuite, escorté par les totems de ses ancêtres.
Sérapis attendit, faisant face au danger avec stoïcisme. Il attendit même que son adversaire soit sur lui, esquivant de justesse des coups capables de perforer une armure d'or, puis déclencha son coup avec la fulgurance du samouraï, passant en un éclair de la défense à l'attaque.
L'énergie du Great Horn sembla prendre un instant l'apparence d'un taureau furieux avant de déferler sur l'Amérindien.
Tout alla bien trop vite pour qu'Aldébaran, Paul et Bolthorn ne voient précisément l'enchaînement des événements, cependant tous trois virent Moki englouti par la lumière dorée.
C'est ainsi que grande fut leur surprise lorsque la lumière émise par l'assaut se dissipa. Ils virent que Sérapis gisait au sol, perdant du sang de multiples nouvelles blessures et le plastron de son armure gravement endommagé.
Moki, quant à lui, était debout et apparemment indemne.
- Vous avez commis une grave erreur en n'utilisant pas votre attaque ainsi la première fois. Je suis guidé par la sagesse de mes ancêtres. Avoir vu une fois votre technique, même non optimale, me suffisait pour l'esquiver et vous frapper au moment où vous avez totalement abandonné votre défense pour m'attaquer.
Le Taureau cracha du sang avant de commencer à se relever.
- Ce n'est pas encore terminé, dit le Taureau en reprenant sa pose de garde.
- Vraiment ? Pourtant, si vous disposiez d'une autre technique capable de m'inquiéter je pense que vous l'auriez déjà utilisée... Je doute donc que vous ayez les armes pour me terrasser. Je dois reconnaître néanmoins que la solidité de votre armure combinée à votre impressionnante résistance physique pourraient conduire ce combat à s'éterniser.
Le cosmos de l'Amérindien se mit à augmenter d'intensité, tous les totems semblant tourbillonner pour se fondre dans son aura.
- Je ne vais donc pas viser votre corps, mais votre âme en l'envoyant se perdre dans le monde des esprits. AYAHUASCA PATH !
L’Amérindien frappa alors Sérapis au visage d’un coup de poing d’une vitesse foudroyante. Néanmoins, le coup paraissait sans impact et le Taureau ne broncha même pas.
Pourtant, Aldébaran s’inquiéta de voir son père demeurer totalement immobile.
- Papa ! hurla le garçon, mais le chevalier d'or ne bougea pas d'un pouce.
Le cosmos doré entourait pourtant toujours son corps, si bien que le garçon appela encore une fois.
- C'est inutile, intervint Moki dont le cosmos n'avait toujours pas diminué. Sous l'influence de mon attaque, son âme est en train de plonger dans un état de transe chamanique qui sera permanent. Il ne perçoit déjà plus le monde qui l'entoure et bientôt il s'égarera dans le domaine des esprits.
- Papa ! hurla encore l'apprenti, persuadé que tant que le cosmos du Taureau ne serait pas éteint il restait de l'espoir.
Cependant pour concrétiser cet espoir, il lui fallait à tout prix empêcher Moki de guider l'âme de Sérapis. Il tenta de se relever pour attaquer l'Amérindien tant qu'il en était encore temps, toutefois Paul l'en empêcha fermement en le repoussant au sol avec violence.
Ecumant de colère et de frustration, le Brésilien voulut faire appel à son cosmos pour se libérer, mais il réalisa que celui de Sérapis était en train de s'éteindre.
- Non ! cria-t-il alors que les larmes lui venaient aux yeux.
- Je te promets qu'il n'a pas souffert, dit l'Amérindien en avançant vers le corps inerte du vaincu.
Il s'arrêta finalement à un mètre de sa victime qu'il regardait avec un respect apparent.
- Il aura été un adversaire honorable et valeureux mais tout est ter...
Soudain, à la vitesse de l'éclair, les deux bras du Taureau se décroisèrent et saisirent les poignets de l'Amérindien. Le cosmos doré qui était sur le point de disparaître explosa violemment, déchaînant la puissance de la Great Horn à bout portant sur Moki qui, les bras immobilisés, ne put esquisser le moindre geste de protection. L'attaque pulvérisa le corps de l'Amérindien, réduisant les atomes à l'état de particules élémentaires. Seuls les deux avant-bras, toujours captifs de la poigne de fer du chevalier, subsistèrent.
L'action dans sa totalité n'avait duré qu'un battement de cil, aussi fulgurante que la botte mortelle d'un samouraï.
- Moki ! hurla inutilement Paul.
- Enfoiré ! lança Bolthorn à l'intention de Sérapis.
Le Taureau ne réagit cependant pas. Il n'avait en fait pas bougé d'un pouce depuis que ses bras avaient saisi l'Amérindien. Il demeurait là, les yeux dans le vide et immobile telle une statue dorée.
- Attends... Il est toujours sous l'influence du coup de Moki ! s'exclama Bolthorn.
Aldébaran sut que le Blue Warrior avait raison et que l'âme de son père était toujours égarée dans le monde des esprits.
- Alors, il faut l'achever maintenant, fit Paul sur les joues duquel coulaient des larmes.
- Non !
Le cosmos du garçon explosa et, d'un effort violent, il fit exploser la gangue de glace qui paralysait ses bras. D'un bond, il se retrouva face aux deux guerriers.
- Je ne vous laisserai pas faire !
- Gamin, nous avions promis de ne pas te faire de mal... Mais cela peut changer très vite, prévint Bolthorn d'une voix menaçante.
- Je ne vous laisserai pas l'approcher ! Si vous voulez me tuer, il vous faudra me passer sur le corps !
- Ton choix, répliqua le Blue Warrior en avançant avec Paul.
- Je te remercie, Aldy... Mais je vais reprendre les choses en main.
Les regards des trois protagonistes se dirigèrent vers Sérapis. La vie était revenue dans les yeux de ce dernier qui fixait les deux bras de Moki qu'il tenait toujours.
Le cosmos doré s'enflamma un court instant, consumant les deux membres du vaincu.
- J'aurais référé que cela se termine différemment... murmura-t-il.
- Comment ? demanda Paul d'une voix brisée.
Sérapis se tourna vers l'héritier de Mithra avec une expression peinée.
- Comment avez-vous survécu à son Ayahuasca Path ?
- Il en a trop dit avant de m'attaquer. Comme j'ai su qu'il allait viser mon esprit et non mon corps, je me suis préparé en conséquence. Notre corps est une machine dont une grande partie du fonctionnement est inconscient. Lors de certaines blessures au cerveau, des hommes peuvent perdre la vue alors que leurs yeux sont toujours fonctionnels et que leur cerveau reptilien est toujours capable de réagir au stimulus visuel par réflexe. En outre, nous autres chevaliers d'or développons également nos réflexes à l'extrême pour que notre corps agisse presque de lui-même, comme lors des confrontations à la vitesse de la lumière où le temps de réaction est quasiment nul. Même privé de son âme, mon enveloppe charnelle restait donc potentiellement une arme redoutable. Ainsi, lorsqu'il a dit qu'il allait s'attaquer à mon esprit, et ne sachant pas si je serais capable d'y résister, j'ai chargé mon corps de l'énergie cosmique nécessaire à une attaque puis je l'ai préparé, programmé, à réagir à certains stimuli pour libérer cette puissance. Une fois qu'il a été terrassé et que son cosmos ne m'affectait plus, il était facile pour un chevalier d'or éveillé au septième sens de s'échapper du monde spirituel où il m'avait envoyé.
Bolthorn et Paul avaient écouté le long monologue sans l'interrompre, néanmoins leur colère n'était pas apaisée.
- Poursuivre ce combat est inutile, dit Sérapis. Votre compagnon vous l'a dit tout à l'heure, vous n'êtes pas de taille face à moi. Abandonnez maintenant et je vous promets sur mon honneur de chevalier que vous aurez la vie sauve.
- Jamais ! hurla Paul en se lançant à l'assaut.
- Attends, nous devons nous coordonner ! tenta de le rappeler Bolthorn, néanmoins son jeune compagnon n'écoutait plus.
L'héritier de Mithra chargea, tout en matérialisant des lances d'énergie au bout de ses bras. Il attaqua en visant la tête de Sérapis, cependant celui-ci dévia facilement les coups avec ses bras, les lances ne faisant que de légères rayures sur le métal doré.
- Great Horn, dit sur le ton de la conversation le Taureau en contre-attaquant.
Paul tenta d'esquiver l'attaque qu'il avait à présent eu l'occasion d'observer plusieurs fois et qui était là portée avec une puissance moindre, mais ne fut cependant pas assez rapide. Son armure explosa presque entièrement à l'impact, et il fut projeté avec violence sur l'un des rares murs non encore totalement écroulé du temple.
- Paul ! fit le Blue Warrior en enflammant son cosmos.
- Vous l'aurez voulu... murmura Sérapis avec une pointe de regret dans la voix en reprenant sa pose bras croisés.
- BLUE IMPULSE !
L'air commença instantanément à se refroidir tandis que l'attaque du vieux guerrier prenait la forme d'un flocon de neige géant.
- Great Horn.
Le flocon de glace explosa quand il rencontra l'attaque du Taureau, pourtant la technique ne fut pas balayée. L'air se solidifia en effet au contact des éclats de glace qui volaient en tous sens, emprisonnant le chevalier d'or dans un véritable mur et freinant progressivement le Great Horn jusqu'à finalement le bloquer avant qu'il n'ait atteint Bolthorn. Ce dernier intensifia son cosmos au maximum, gelant totalement l'air entre lui et son adversaire qui se retrouva au centre d'un bloc de glace de vingt mètres d'épaisseur.
Le Blue Warrior sourit, persuadé d'avoir remporté la victoire. Cela ne dura pas. Il vit en effet le cosmos du chevalier d'or briller avec une intensité impressionnante, puis ce dernier commença à avancer lentement dans sa direction, son aura faisant probablement fondre au fur et à mesure de sa progression la gangue de glace. Bolthorn redoubla d'effort pour refroidir au maximum la glace et la rendre la plus solide possible cependant Sérapis poursuivait sa marche inéluctable, s'approchant centimètre par centimètre de son ennemi.
Aldébaran hésita à intervenir, conscient que s'il déconcentrait ne serait-ce qu'un instant Bolthorn, cela causerait la fin du combat, mais, persuadé que son père n'avait pas besoin de lui, n'en fit rien. Il demeura ainsi à regarder le spectacle étrange de la charge au ralenti de Sérapis et des efforts du Blue Warrior pour la stopper. Le Taureau parvint finalement à la limite du bloc de glace, à moins d'un mètre de Bolthorn, ses bras émergeant même à l'air libre. Voyant les mains de son adversaire à seulement quelques centimètres de lui, Bolthorn trouva des ressources insoupçonnées pour intensifier une dernière fois son effort, stoppant finalement l'avancée du gardien des lieux.
Sérapis augmenta lui aussi son cosmos, toutefois sans parvenir à faire fondre la glace qui emprisonnait ses jambes sur lesquelles le Blue Warrior avait concentré ses efforts. La morsure du froid sur ses membres commençait même à devenir insupportable.
- J'ai réussi, te voilà immobilisé ! cria Bolthorn.
Le Taureau cessa de tenter de dégager ses membres inférieurs pour libérer autour de son torse une énergie presque équivalente à la Great Horn, ce qui fit exploser la gangue au-dessus de sa taille, contraignant son adversaire à se cacher des éclats derrière ses bras.
- Pas exactement, répliqua Sérapis d'un ton presque résigné.
Le haut du corps enfin libre, le chevalier d'or saisit à deux mains le crâne de Bolthorn et appliqua une brève torsion au cou de son adversaire. Un craquement sinistre se fit entendre puis le corps sans vie du Blue Warrior s'écroula.
- Papa, tu as réussi ! cria Aldbaran en s'élançant vers lui.
- Oui, mais quel gâchis... répondit l'adulte.
Le Taureau intensifia de nouveau son énergie, ce qui suffit à faire fondre la glace qui l'emprisonnait encore, à présent qu'elle n'était plus renforcée par le cosmos de Bolthorn.
- Je t'avais dit de rejoindre le palais du Grand Pope, dit le chevalier d'un ton sévère.
- Je sais... Mais...
- Ne m'oubliez pas ! hurla soudain Paul en se relevant.
Sa protection n'était plus qu'un lointain souvenir et il perdait du sang en abondance, pourtant sa rage semblait lui permettre de tenir debout.
- Ne sois pas ridicule, dit Sérapis en écartant Aldébaran pour faire face au dernier envahisseur. Tu n'as pas du tout le niveau d'un chevalier d'or et tes attaques ne peuvent rien contre moi. Abandonne.
- Jamais, répliqua Paul en enflammant à nouveau son cosmos pour matérialiser des lances solaires avant de charger.
Sérapis vit tout de suite que quelque chose avait changé, l'énergie déployée par cet adversaire qui n'avait connu que des revers de toute la journée venait d'augmenter de façon phénoménale. Il voulut esquiver les deux lances filant vers son torse, toutefois ses jambes encore alourdies par le froid ne réagirent pas. Il tenta en dernier recours de dévier les coups avec ses bras comme précédemment, mais les lances solaires transpercèrent comme du papier ses bras et leurs protections avant de s'enfoncer dans son torse et de l'empaler.
- Papa ! hurla le garçon en voyant son maître et père adoptif transpercé, cracher du sang.
- Sais-tu que, dans son iconographie, mon ancêtre divinisé Mithra était presque toujours représenté empalant un taureau de sa lance ? lança Paul avec de la colère et de la haine dans la voix.
Le chevalier d'or n'écoutait déjà plus son adversaire et avait tourné son regard vers le garçon.
- Aldébaran, tu...
Il n'eut pas le temps de finir. Les lances solaires se changèrent en longues lames de lumière et, d'un seul mouvement, Paul trancha les deux bras déjà transpercés tout en découpant le torse de Sérapis en v.
Le Taureau s'écroula en plusieurs morceaux, mort avant de toucher le sol. Paul cracha sur le corps démembré, puis tourna les talons sans un regard pour Aldébaran qui s'effondra en pleurant et saisit la tête de Sérapis entre ses bras. L'héritier de Mithra boitait et se tenait les côtes à cause de ses blessures, toutefois avec la force qu'avait libérée sa colère, il se savait capable d'apporter encore une aide considérable à ses compagnons dans les maisons suivantes.
- Attends ! cria Aldébaran alors que Paul avait presque atteint la limite du champ de gravats qu'était devenue la deuxième maison.
L'interpellé s'arrêta, sans se retourner toutefois.
- N'y pense même pas, gamin.
- Je ne vous laisserai pas partir. Vous avez tué mon père, mon maître.
- Qui avait tué mes amis juste avant. Je te propose que nous fassions nos deuils chacun de notre côté et que nous en restions là. Tu m'as certes presque vaincu plus tôt, mais je ne suis plus le même homme.
- Non. Je ne vous laisserai pas partir.
- Soit. J'espère arriver à te neutraliser sans avoir à te tuer, mais je ne te promets rien.
Les lances de lumière apparurent de nouveau au bout des bras du guerrier qui se retourna pour faire face à l'apprenti qui était déjà en position de combat.
- En garde.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

S'il avait été un observateur détaché des événements, Shura se serait sans doute émerveillé de la technique parfaite d'Ogier. La façon dont le guerrier en armure de plates déviait chacune des tentatives d'Excalibur et amenait le Capricorne à la limite de la rupture sur chaque offensive était parfaitement admirable. Néanmoins, comme l'excellence de son adversaire signifiait avant tout qu'il risquait d'y laisser sa peau, Shura était obligé de remettre à plus tard cet émerveillement.
Le seul avantage dont disposait l'Espagnol était le fait qu'Excalibur résidait dans ses deux bras alors qu'Ogier ne combattait qu'avec une seule arme. Idéalement, il pouvait parer avec un bras et contre-attaquer simultanément avec l'autre. Cependant, Ogier mettait en oeuvre tout son art du combat pour limiter la liberté de mouvement du chevalier d'or qui n'avait que de rares et éphémères ouvertures à exploiter.
C'est pourquoi il décida de jouer le coup à fond lorsque qu'une occasion de prendre l'avantage se présenta. Ogier était en train d'enchaîner une série de coups de taille rapides que Shura parvenait à dévier avec chacun de ses bras alternativement tout en reculant. Le Capricorne se repliant plus rapidement qu'Ogier ne le suivait, ce dernier portait ses attaques d'une distance de plus en plus grande, l'amplitude de ces mouvements augmentant et leur efficacité diminuant. Shura profita d'une attaque peu dangereuse pour écarter violemment l'épée de son adversaire du bras droit. Ogier manqua de lâcher son arme, la poignée flottant et tournant dans sa main, tandis que Shura s'élançait pour frapper avec son bras gauche.
- Non, recule ! , hurla une voix directement dans son esprit.
Le chevalier obéit par réflexe à l'injonction en stoppant net son mouvement. Bien lui en avait prix : Ogier n'avait pas perdu prise sur son arme, mais l'avait fait entièrement tourner dans sa main en s'appuyant sur le bras de son adversaire, de façon à la tenir pointe vers le bas. Il frappa alors comme avec un poignard et la lame aurait pénétré le flanc du chevalier s'il n'avait fait qu'un seul pas de plus.
Le chevalier d'or se replia rapidement, Ogier, visiblement déçu d’avoir raté sa cible, ne le suivant pas.
- Félicitations, personne n'avait encore évité cette botte. Comment l'as-tu vue venir ?
- L'instinct, mentit Shura.
Son adversaire sembla pourtant se satisfaire de cette réponse et se remit en position de combat.
- Maître ? appela le jeune guerrier qui avait reconnu la voix cosmique d'Amalthée tout en ne perdant pas de vue les mouvements adverses. Ou êtes-vous ?
- Très loin de toi, répondit-elle. N'oublie pas que nos esprits sont connectés grâce à nos liens respectifs à l'essence d'Excalibur. Je m'inquiète pour toi depuis que tu m'as dit que tu avais rencontré Ogier, si bien que j'ai senti le début de votre combat.
- Merci pour votre aide, il a failli m'avoir.
- Evidemment. Un jour tu pourras peut-être faire face à un tel adversaire, mais pour le moment tu ne lui arrives pas à la cheville. A présent, il va être intrigué et plus prudent, car cela doit faire longtemps qu'il n'a pas eu un adversaire capable d'être encore debout, après qu'il n'ait tenté d'en finir. En outre, il ne connaît pas notre lien. Si tu suis mes instructions à la lettre, tu as peut-être une chance de ne pas te faire tuer.
- C'est encourageant...
Shura se concentra rapidement sur le combat comme Ogier avançait de nouveau vers lui. Il entama une nouvelle passe d'armes par quelques rapides coups d'estoc. Shura les para et parvint à glisser quelques contre-attaques qui n'inquiétèrent pas la défense adverse.
- Pour le moment, il ne fait que jauger ta garde. Très bientôt, il va vouloir vérifier si tu as juste été chanceux. Je pense qu'il penche d'ailleurs pour cette explication, il ne masque presque pas ses attaques. Regarde le placement de ses pieds, ils te diront quand il va appuyer son assaut. Tu pourras alors frapper au moment précis où il abandonnera sa défense.
Shura résista à son premier réflexe de fixer les pieds de son adversaire, il ne pouvait pas se permettre d'être trop transparent, et attendit patiemment que l'occasion annoncée par son maître se présente.
Au milieu d'un enchaînement d'attaques sans vraie consistance, il vit soudain son adversaire modifier ses appuis pour se mettre en position de fente.
- Il va essayer de t'embrocher le bas-ventre !
- Je sais !
Shura s'écarta légèrement et lança son assaut au moment précis où Ogier prenait son impulsion vers l'avant. L'épée frôla le ventre du chevalier, le tranchant de la lame creusant une entaille dans le métal doré, tandis qu'Excalibur touchait le flanc de l'armure de plates. L'attaque du Capricorne pénétra la protection comme du beurre, infligeant une profonde blessure à Ogier. Si ce dernier n'avait pas réagi promptement pour ne pas prendre le coup de plein fouet, peut-être aurait-il été coupé en deux. Shura libéra la foudre d'Excalibur avec son autre bras, mais son adversaire avait ramené son épée en défense et dévia le coup.
Ogier se remit en position de combat, alors que le sang coulait abondamment de sa blessure.
- C'est terminé, dit Shura. Avec une telle blessure vous ne serez bientôt plus capable de me faire face.
- Je reconnais que je te sous-estimais assez largement. Tu as été capable de saisir l'ouverture que je t'avais laissée et je t'en félicite.
- Comment ?
- Lorsque je me bats réellement, je ne laisse pas ce genre de brèche à exploiter à mes opposants... Quoi qu'il en soit, tu m'as prouvé que tu étais à la hauteur !
- Vous vous êtes laissé blesser simplement pour me tester ? Mais maintenant, avec votre blessure, la cause est entendue !
- Détrompe-toi, contra Ogier en montrant son flanc blessé.
S'il restait du sang sur l'armure de plate, il était déjà en train de sécher et la plaie semblait refermée.
- Comment ?
- Mon épée, Joyeuse, a été consacrée et contient un morceau de la Sainte Lance qui blessa le Christ dans sa structure même. Elle m'immunise à toutes formes de poison ou de maladie et régénère mes blessures.
Ogier fut légèrement surpris de voir Shura sourire.
- Très bien, après tout je n'aurais pas voulu d'une victoire au rabais. Mon premier objectif sera donc de détruire cette lame.
- Cela ne sera pas facile, je te préviens.
Shura désigna alors du doigt l'épée courte et la dague que son adversaire portait à la ceinture ainsi que l'arme enroulée dans du tissu qui était fixée sur son dos.
- Ces armes me réserveront-elles le même genre de surprise ?
- Tu ne le sauras que si tu le mérites. Prépare-toi, car à présent tes erreurs se paieront chères !

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Camus fut le premier à prendre l'initiative. Cherchant à estimer le mieux possible le niveau de pouvoir dont disposait son maître, niveau qu'il soupçonnait considérable, il concentra son cosmos pour frapper fort d'entrée de jeu.
- DIAMOND DUST ! cria le garçon en libérant son air glacé.
L'ancien chevalier du Cygne ne bougea pas, se contentant de s'entourer de son cosmos laiteux. La poussière de diamant ricocha sur son aura sans l'atteindre, le laissant parfaitement indemne.
- Allons, Camus, je n'ai pas à te faire la leçon sur le fait qu'une attaque ne marche pas deux fois sur un chevalier. Alors en ce qui concerne une attaque que je t'ai aidé à maîtriser…
- Ce n'est pas aussi simple, répliqua le garçon en cessant son assaut. Pour que cette règle s'applique, un chevalier doit avoir un niveau suffisant pour avoir le temps d’observer l'assaut adverse afin de l'analyser et assez de force pour le contrer. Ce cas de figure ne s'applique vraiment qu'entre des chevaliers de force équivalente, ou alors en faveur du plus fort des deux. Un chevalier de bronze ne devrait en aucun cas être capable de contrer l'attaque d'un chevalier d'or, peu importe combien de fois il l'observe. D'aucun dirait même qu'un chevalier de bronze ne devrait en aucun cas survivre à la première attaque d'un chevalier d'or de toute façon...
Gienah sourit, voyant où son élève voulait en venir.
- Alors comment est-il possible que vous puissiez parer ma technique ? Depuis ce matin, je vous ai vu accomplir des exploits qui sont en théorie totalement hors de portée d'un simple chevalier de bronze, ce qui était pourtant votre grade.
- Tu sais, ceci est toute l'histoire de ma vie. Personne n'a jamais cru en moi, j'ai été par exemple un apprenti chevalier médiocre, faisant le désespoir de mon maître. S'il n'avait pas été ordonné à l'époque par le Grand Pope lui-même de tout faire pour former un chevalier des glaces, le premier depuis la dernière Guerre Sainte, sans doute mon professeur m'aurait-il même réorienté vers un poste dans la garde du Domaine Sacré. Nul n'a jamais imaginé une seule seconde que je puisse obtenir l'armure du Cygne jusqu'à ce que je terrasse mon ultime concurrent, en qui tout le monde voyait ce chevalier tant espéré. Beaucoup ont pensé que j'avais dépossédé mon adversaire de sa destinée de chevalier du Cygne, ce qui est probablement vrai, mais pas pour les raisons auxquelles qu’ils croyaient... Moi-même, je n’avais jamais cru en mes capacités. On m'avait toujours répété que les chevaliers devaient incarner la justice, être les gardiens du bien... Or je savais que je n'avais pas cette valeur morale en moi. Evidemment, si à l'époque j'avais connu le Sanctuaire et ses agissements aussi bien que je les connais maintenant, peut-être aurais-je eu une autre opinion de moi-même. Cependant j'estimais ne pas avoir de place dans cette vision fantasmée et parfaite que j'avais de la chevalerie.
- C'est pour cela que vous avez mal tourné, que vous êtes devenu un chevalier noir...
- En simplifiant beaucoup, peut-être. Je crois que lorsque j'ai reçu cet honneur inespéré de devenir chevalier, ce dont je ne m'imaginais pas digne, au lieu de me mettre au diapason de ma nouvelle fonction, tout s'est enchaîné comme si j'avais voulu démontrer que cela était une méprise. J'ai commis l'erreur de considérer que mes failles et imperfections, très humaines, m'empêchaient de devenir un serviteur d'Athéna digne de ce nom. Je me suis enfoncé dans les recoins les plus sombres de mon être, j'ai été submergé par des émotions et des sentiments que je ne pouvais pas maîtriser dans mon état, les événements se sont mal enchaînés... jusqu'à l'irréparable.
- Qu'avez-vous fait ?
-Cela n'a plus d'importance aujourd'hui. A un moment j'avais fini par devenir bel et bien le monstre que je pensais toujours avoir été. Je me suis rendu sur l'Ile de la Reine Morte, car j’estimais que telle était ma place. C'est à ce moment-là, au plus bas, que j'ai commencé à remonter, à réaliser que c'étaient mes failles, mes défauts, qui faisaient de moi un être humain. Et que la vraie gloire du chevalier était de vivre son rôle de façon respectable et noble malgré les faiblesses inhérentes à sa nature d'être humain.
Le cosmos de Gienah s'enflamma soudainement. Camus se mit en garde, mais il sentait que son maître se contentait de refroidir l'air autour de lui, et ne s'apprêtait pas à attaquer. De la glace commença à se former et à se répandre sur le corps de l'ancien chevalier noir. Le jeune chevalier sentait que celle-ci devait être au moins aussi solide que celle constituant un cercueil de glace. Toutefois, Gienah n'était pas en train de s'enfermer lui-même dans une prison indestructible. Non, le maître du garçon était en train de se constituer une authentique armure, aussi recouvrante qu'une de celles de l'élite de la chevalerie. Le plastron ainsi que la couronne représentaient un cygne stylisé, puis une grande paire d'ailes recouvertes de plumes de glace complétait le sentiment de Camus que son maître venait de recréer une version idéalisée de ses anciennes armures de bronze et noire.
Le jeune chevalier d'or ne pouvait qu'admirer le travail de finition de Gienah, particulièrement le fait que la protection de glace semblait aussi confortable et pratique qu'une authentique.
- Allez, Camus, montre-moi de quoi tu es capable.
Le garçon ne répondit pas à l’invitation, restant en position défensive.
- Très bien, me voilà alors.
Le cosmos de Gienah augmenta brutalement d’intensité, l’adulte couvrant en une infime fraction de seconde la distance les séparant.
- La vitesse de la lumière ! réalisa avec stupéfaction le jeune chevalier qui eut à peine le temps de croiser les bras devant son visage pour bloquer un coup de genou.
L’impact le décolla du sol, le projetant sur plusieurs mètres. Toujours en l’air, il vit que son maître s’était élancé à sa suite, l’avait rattrapé, flottant juste à côté de lui sur sa gauche, et s’apprêtait à le frapper d’un coup de poing. Camus voulut bouger son bras gauche pour parer le coup, mais réalisa soudainement que ses deux bras avaient été gelés et collés l’un à l’autre lors du premier impact. Il n’eut que le temps de tourner la tête pour que le coup de Gienah le frappe sur sa protection et pas en pleine face, ce qui fit voler la couronne de l’armure d’or.
Légèrement sonné, le Verseau ne put éviter un nouveau coup qui le frappa au bas-ventre et l’envoya s’écraser au sol. L’ancien Cygne Noir se réceptionna avec agilité, et rebondit aussitôt pour s’abattre genoux en avant sur son élève. Celui-ci réagit néanmoins prestement, se dégageant d’une roulade une fraction de seconde avant que les genoux de son maître ne s’écrasent sur son visage.
Le jeune chevalier fit exploser la gangue qui emprisonnait ses avant-bras et sauta sur son maître pieds en avant. Le coup n’atteignit cependant pas sa cible, un disque de glace se matérialisant devant Gienah pour faire office de bouclier. Camus transperça pourtant la protection, toutefois cela avait laissé le temps à son maître de se déplacer pour esquiver.
Le garçon retomba sur ses pieds en effectuant une petite acrobatie, avant de repartir à l’assaut. Il enchaîna une série de coups de poing, cependant chacun d’entre eux était bloqué ou freiné par un disque de glace, ce qui laissait à son professeur beaucoup de marge pour éviter tous les impacts. Après être resté quelques secondes en position d’attente, ce dernier repassa à l’attaque. Sa taille, et l’allonge supérieure qui en découlait, couplée à une expérience du combat bien plus longue lui donnaient un avantage très important.
Très rapidement, le jeune chevalier fut débordé. Un coup de genou le frappa violemment au bas-ventre, puis un crochet l’atteignit en pleine mâchoire, lui faisant cracher du sang et des dents.
- Ne t’inquiète pas, elles ne sont après tout que de lait, lui dit son maître en lui plaçant un uppercut qui le souleva de terre en lui brisant de nouvelles dents.
Le garçon chancela et faillit perdre connaissance, et recula sous un nouvel impact.
- Tu te rends compte que tu n'as qu'une seule solution si tu veux me vaincre, n'est-ce pas ? interrogea Gienah tout en maintenant la pression sur son élève.
- Comment ?
- Réfléchis, quelle est ta seule chance de triompher ?
Celui qui fut prisonnier volontaire de l'île de la Reine Morte accompagna cette nouvelle question d'un coup de poing dans l'abdomen de son élève. Les poings de l'adulte se recouvrirent alors d'une gangue de glace et il frappa de plus belle le garçon, la morsure du froid et la solidité de la glace se rajoutant encore à la violence des assauts.
Saoulé de coups et perdant de plus en plus sa lucidité, Camus encaissait un nombre croissant de blessures. Si son sang n'était pas gelé dès qu'il commençait à couler, sans doute serait-il d'ores et déjà recouvert par son fluide vital.
Gienah cessa finalement ses attaques, laissant Camus tomber à genoux devant lui.
- Quelle est ta seule chance ? insista Gienah. Tu sais que les attaques que tu as apprises auprès de moi seront inutiles, c'est d'ailleurs pour ça que tu ne les utilises pas. En outre, tu dois être conscient que de mon côté je n'ai pas non plus utilisé d'arcane, mais que si jamais je le faisais cela serait peut-être la fin de toi. En théorie la victoire ne peut pas m'échapper, pourtant tu as une chance. Quelle est-elle ?
- Je ne sais pas, bredouilla Camus en grimaçant tellement le simple fait de parler le faisait souffrir.
Son maître le regarda d'un air sévère avant de poursuivre sur le ton d'un instituteur faisant des remontrances à un écolier dissipé.
- L'Aurora Execution, dit finalement Gienah.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Akiera commençait à prendre tranquillement la mesure de son adversaire. Ses idées étaient à présent à peu près claires sur le niveau de vitesse que Talos était capable d'atteindre, si bien qu'il parvenait à attaquer sans s'exposer aux contre-attaques de l'homme de bronze. L'ennui pour l'androgyne était évidemment que ses attaques s'étaient pour le moment révélées incapables de faire le moindre dommage à son adversaire.
- Réfléchis Akiera ! Il a forcément un talon d'Achille ! pensa l'ancien Gémeaux.
Et tout à coup, les pièces se mirent en place dans son cerveau. Il se rappela la légende de Talos que lui avait un jour raconté le vieux maître des Cinq Pics. D’après celle-ci, Talos avait bel et bien un talon d'Achille et ce point faible était justement lui aussi situé... au talon.
L'androgyne enflamma son cosmos et se lança dans un assaut frontal.
Talos joignit ses deux mains et tenta de balayer Akiera, cependant celui-ci bondit, prit appui sur les bras du géant, puis se propulsa par dessus la tête de ce dernier. Réalisant une acrobatie spectaculaire, Akiera se retrouva dans le dos de son adversaire. N'apercevant aucune différence visible entre les deux talons de Talos, il décida de frapper les deux équitablement.
- GALAXIAN EXPLOSION !
Les membres inférieurs de Talos furent engloutis par la déferlante d'énergie cosmique. Le géant de bronze chancela, mais ne chuta même pas, son déséquilibre étant apparemment plus causé par le fait que le sol sous ses pieds avait été pulvérisé, que par la violence du coup du serviteur d'Athéna.
Bien loin de s'écrouler donc, il fit au contraire volte-face avec la fulgurance dont il était ponctuellement capable. Quelque peu déçu par le manque d'effet de son attaque et le souffle court à cause de l'effort, Akiera n'évita pas et fut projeté quelques mètres en arrière.
- Vos informations sont datées, dit l'homme de bronze. Lorsque je fus créé par Héphaïstos, ce dernier fit don d'une partie de son Ichor pour m'animer, une seule et unique artère, permettant au sang divin de parcourir mon corps. L'homme nommé Jason trancha jadis cette artère au seul endroit où elle était vulnérable, mon talon. Tandis que mon vainqueur m'abandonnait, l'Ichor s'est écoulé sur mon corps, le métal s'en imprégnant. Bien plus tard, Mardouk retrouva mon corps et parvint finalement à me ranimer en versant à son tour son sang. Aujourd'hui, je suis animé par le sang de mes deux créateurs qui coule à l'intérieur même du bronze qui me constitue. Pour me vaincre, il vous faudra une stratégie plus efficace.
- Franchement, mon gars... commença Akiera en essuyant le sang qui coulait de sa bouche.
Il se releva, l’air agacé. Ton histoire ne me passionne pas plus que ça. Tout ce que je vois, c'est que tu as réussi à vraiment m'énerver.
Le cosmos de l'androgyne s'enflamma avec une violence telle que l'homme de bronze en fut impressionné.
- Tu veux de la « stratégie efficace » ? Je vais t'en donner.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

- L'Aurora Execution, dit Gienah.
- Mais... Vous savez très bien que je ne maîtrise pas cette technique et ne suis jamais parvenu à la déclencher !
Piqué au vif, le Français parvint à se remettre debout, en position de combat.
- Pourquoi me dites-vous cela ? Est-ce là votre façon tordue d'assumer votre tâche de formateur ? Me battre presque à mort, puis me demander l'impossible ?
- Je tente en effet de t'inculquer une ultime leçon. Depuis que je te connais, tu fais preuve d'un manque d'émotions presque total, tu t'enfermes derrière un véritable mur qui t'isole du monde extérieur aussi sûrement qu'un cercueil de glace. Regarde-toi, il faut que je te roue de coups pour provoquer une réaction chez toi ! Tu considères les choses avec pragmatisme et distance, sans jamais t'impliquer véritablement dans quoi que ce soit. Tu penses que cela fait de toi un combattant plus efficace car tu ne laisses rien t'affecter, pourtant tu ne pourrais pas plus te tromper. Les chevaliers ont besoin de passion pour accomplir leurs missions. Ils doivent ressentir de l'amour pour le monde et les autres afin de pouvoir se dépasser, pouvoir éprouver de la colère et de la rage pour se relever quand tout est perdu. Et surtout, ils ne doivent pas laisser une vision terne et limitée des choses les empêcher d'avoir la folie de tenter et de réussir des miracles.
- Vous avez tort, je...
- Non, j'ai parfaitement raison. Tu sais que ta seule possibilité est d'utiliser l'Aurora Execution, la seule technique que je ne connais pas parfaitement puisque jamais encore tu n’as réussi à reproduire cette arcane telle qu’elle est décrite dans les mémoires de tes prédécesseurs. Mais tu ne la tentes pas car tu es trop raisonnable, trop timoré. Tu renonces avant même d'avoir essayé et je pense que tu incarnes de façon caricaturale les maux qui rongent le Sanctuaire.
- Que voulez-vous dire ?
- Les chevaliers ont oublié qu'ils étaient avant tout des hommes, fragiles et imparfaits, pour se considérer comme des demi-dieux. En oubliant nos origines, en nous considérant comme spéciaux, nous avons perdu contact avec l'humanité et ce qui devrait être notre objectif, rendre ce monde meilleur, pour ne nous consacrer qu'à ces guerres cycliques qui sont devenues notre seul horizon. Le Sanctuaire se satisfait de la gloire et du lustre de ses victoires, quand il devrait agir de façon concrète. Le Grand Pope a eu l'occasion de repartir de zéro, mais il a emprunté les mêmes voies datées.
- Vous vous trompez...
- Prouve-le-moi. Accomplis un miracle, fais-moi croire en ta génération.
Le cosmos du garçon s'embrasa tandis qu'il prenait une pose de combat les deux mains jointes au-dessus de son crâne qui, si elle rappelait celle de l'Aurora Execution, ne manqua toutefois pas de décevoir Gienah.
- AURORA THUNDER ATTACK ! cria le garçon en frappant l'air de ses mains jointes devant lui, provoquant à chaque fois un bruit de tonnerre, ce qui envoya une violente vague de froid et de cristaux vers son adversaire.
- Inutile !
L'adulte ne sembla même pas se soucier de l'assaut de son élève, et répliqua en déclenchant également une de ses techniques secrètes.
- ICE SPEARS !
L'air autour du jeune chevalier se refroidit soudainement jusqu'à une température dangereuse, même pour un chevalier d'or des glaces, puis se solidifia en de multiples projectiles qui filèrent sur Camus. Ce dernier tenta de briser les lances de glace en abaissant encore leur température, cependant cela semblait hors de sa portée. Jusqu’à présent, Camus estimait qu’il était descendu au plus bas à moins deux cent trente ou quarante degrés Celsius. Son maître devait être capable de battre cette performance d’au moins dix degrés.
Alors que la foudre de l'assaut du Verseau s'évaporait avant même d'avoir atteint sa cible, le jeune chevalier fut percuté de plein fouet par les projectiles, chaque impact se révélant terrible.
Le garçon se protégea le visage avec ses bras, malgré cela son corps fut martelé de coups et ses bras et jambes se couvrirent de plaies aux endroits non protégés.
Tandis que l'assaut de Gienah baissait d'intensité, Camus sentit sa jambe droite être prise dans la glace et son maître se rapprocher.
Il décroisa ses bras et vit que Gienah le chargeait, puis tenta de dégager son membre, sans succès. L'ancien Cygne Noir étant à présent à portée de coup, Camus voulut le frapper de son poing droit.
Gienah bloqua le coup dans sa paume gauche, pendant que son poing droit se recouvrait d'une gangue de glace. Il frappa le bras droit de son élève au dessus de la protection, avec une force telle que la gangue explosa et que l’humérus de Camus se brisa comme une brindille.
Le garçon hurla de douleur, mais son maître n'en avait pas fini et d'un coup de pied sec frappa le genou de la jambe bloquée du jeune chevalier, ce qui le brisa net. La glace qui emprisonnait le membre fondit alors et le Verseau s'écroula.
- Comme tu n'as pas voulu te résoudre à tenter l'exploit je t'oblige à présent à en réaliser un encore plus grand, lança le professeur à son élève qui essayait de se redresser tant bien que mal tout en gémissant de douleur.
C'est à ce moment-là qu'il se produisit un événement extraordinaire. Tout d'abord, il y eut une explosion cosmique d'une violence impressionnante, que les deux adversaires attribuèrent à Akiera, puis le ciel commença à s'ouvrir en deux endroits espacés d'environ deux cents mètres. Les ouvertures s'agrandirent, jusqu'à ce qu'elles deviennent deux véritables plaies béantes dans la structure de la réalité, hautes de plus de cent mètres et larges de près de cinquante.
Les combattants des glaces réalisèrent soudain que les deux passages dimensionnels débouchaient dans le vide intersidéral, si bien qu'ils durent se cramponner comme il le pouvait à la végétation la plus robuste possible lorsque l'air et la forêt alentour commencèrent à être emportés dans le vide à cause de la dépression. Handicapé par ses membres brisés, Camus passa son bras valide autour du tronc de l'arbre qui lui paraissait le plus solidement enraciné parmi ceux qui l'entouraient et créa une gangue de glace autour de lui et du tronc afin de s'en solidariser.
Ils virent alors deux formes gigantesques se dessiner dans le lointain à travers les deux ouvertures.
- Je ne le crois pas, fit l'ancien chevalier noir en comprenant ce qu'il voyait. Camus, tu t'es allié à un grand malade.
Les extrémités de deux astéroïdes gigantesques franchirent les seuils dimensionnels, puis commencèrent à avancer dans le ciel.
Les deux véritables murs de roche extraterrestre déracinèrent les arbres et labourèrent le sol tout en fonçant l'un vers l'autre.
Gienah crut brièvement apercevoir les reflets du soleil sur la carapace de bronze de Talos, une fraction de seconde avant que les deux objets célestes ne se percutent dans un bruit assourdissant.
Camus faillit se faire écraser par un bloc de roche d'une tonne projeté par l'impact qui rebondit à moins de dix mètres de lui.
Les deux astéroïdes, dont probablement seulement une petite partie du volume avait pénétré sur Terre, continuèrent d'avancer encore quelques secondes, s'encastrant l'un dans l'autre. Puis, lorsque les deux mouvements furent stoppés, les passages dimensionnels commencèrent à se rapprocher l'un de l'autre, effaçant progressivement l'incroyable spectacle du paysage. Finalement, les deux ouvertures se rejoignirent et disparurent, les seules traces restantes de l'événement étant la longue et large tranchée creusée par les astéroïdes et les blocs de roche qui avaient été projetés alentour.
Gienah regarda encore le désastre quelques instants avant de se tourner vers Camus.
- Cette... distraction étant à présent terminée, il est temps de retourner à nos affaires, dit-il en marchant vers son élève. Je crains que nous n'ayons plus beaucoup de temps devant nous...
- Ton temps arrive effectivement à sa fin, dit soudain une voix.
Gienah n'eut même pas besoin de se tourner pour sentir Akiera.
- Il est temps que vous combattiez quelqu'un de votre taille, fit l'ancien chevalier des Gémeaux.
- Tu as écrasé Talos entre deux astéroïdes, n'est-ce pas ?
- Entre les côtés droit et gauche d'un seul et unique objet, en fait. Je ne pense pas que cela l'ait tué, mais cela m'a permis de l'envoyer très loin et pour très longtemps.
Gienah commença à se tourner vers son nouvel adversaire, mais la voix de Camus l'arrêta.

- Non, je veux terminer ce combat.
- Allons, mon garçon, tu as deux membres brisés ! répliqua l'androgyne.
Le Verseau sembla ne pas accorder la moindre importance à ce commentaire. Il passa sa main valide sur sa jambe blessée, créant une couche de glace semblable à un plâtre. Il se remit ensuite sur ses pieds, chancela un instant à cause de la rigidité de son membre gelé, puis finit par se stabiliser. Il procéda ensuite de même avec son bras brisé, et tendit ses deux bras, mains jointes, au-dessus de sa tête.
- Ne vous mêlez pas de ça, lança-t-il à Akiera tout en fixant son adversaire et en enflammant son cosmos.
Le maître de Saga faillit ouvrir la bouche pour protester, mais un bref regard assassin de Camus l'en dissuada.
- Intéressant, voilà que tu te décides enfin, constata Gienah en déployant à son tour son aura.
L'androgyne, ayant peu envie de se retrouver coincé entre les deux, recula prudemment. Il lui semblait voir la silhouette du Verseau se dessiner dans le cosmos doré de Camus et à la vue des cosmos dégagés il n'avait guère de doute sur l'issue du combat.
- Vas-y, tente l'impossible ! encouragea Gienah de façon surprenante pour le spectateur.
Camus abaissa ses bras, une unique fois, libérant d'un coup toute sa puissance.
- AURORA EXECUTION !
- ICE SPEARS !
La confrontation des techniques bascula instantanément dans le sens opposé de la fois précédente. L'arcane de l'élève balaya celle du maître, les lances de glace explosant au contact de l'air gelé généré par Camus. La vague d'air froid atteint alors l'ancien chevalier noir, faisant d'abord voler en éclats son armure confrontée à une température inférieure à celle de sa création, puis le recouvrant d'une épaisse couche de glace.
- Bien joué, Cam... commença Akiera, mais il ne finit pas sa phrase.
Le cosmos de Gienah venait de se métamorphoser, se démultipliant en intensité. Les lances de glace pulvérisées se reformèrent et poursuivirent leurs trajectoires vers le jeune chevalier. Ce dernier, surpris et incapable du moindre mouvement rapide, fut frappé de plein fouet et propulsé comme un fétu de paille plusieurs mètres en arrière, finissant finalement par percuter un des rares arbres survivants, puis par s'écrouler au sol. Tandis que la couche de glace recouvrant l'ancien Cygne Noir explosait, Akiera se précipita vers son jeune compagnon tombé sans se préoccuper de Gienah. Se penchant sur le blessé, l'adulte constata rapidement que le Verseau avait perdu conscience, que ses jours n'étant toutefois a priori pas en danger. L'assaut qui l'avait balayé avait été extrêmement puissant mais bref, si bien que les capacités défensives de l'armure d'or n'avaient pas eu le temps d'être dépassées.
L'androgyne allongea le garçon sur le dos en faisant attention à ses membres blessés, puis se redressa et se tourna vers Gienah. Le spectacle qui s'offrit alors aux yeux d'Akiera ne manqua pas de le stupéfier. Un cosmos fabuleux rayonnait autour de l'ancien chevalier de bronze, pourtant, au-delà de son intensité, le plus étonnant était l'apparence de cette aura : elle avait les reflets dorés propre à l'élite de la chevalerie d'Athéna. Gienah lui-même semblait quelque peu étonné par le phénomène.
- Quelle est donc cette folie ?! s'exclama Akiera. Comment peux-tu déployer un cosmos de chevalier d'or ?
Gienah sembla réfléchir un moment à la question avant de répondre.
- Cela semble confirmer ce que je soupçonnais depuis quelques temps. Si les choses s'étaient passées différemment, si j'avais été capable d'assumer mon statut de chevalier, je ne serais jamais devenu chevalier du Cygne et n'aurait pas volé son destin à mon adversaire qui, j'en suis sûr maintenant, était destiné à devenir le véritable chevalier de cette constellation. Non, mon véritable destin était de devenir le quatrième chevalier d'or de l'avant-dernière génération, celle de Sérapis, Praesepe et toi. En faisant face à la mort, l'attaque ultime de mon élève, j'ai enfin réveillé ce potentiel qui sommeillait en moi depuis si longtemps.
- Tu prétends donc que tu aurais dû être le chevalier du Verseau ?
- Oui, c'est bel et bien ce que je pense. Néanmoins, cela n'a plus aucune importance à présent. Camus est le seul et unique chevalier d'or du Verseau, je ne compte pas lui disputer ce titre, dont je ne saurais de toute façon que faire. Malgré sa défaite, j'estime que sa formation est à présent définitivement achevée, même si je pense que son manque d'émotions et d'humanité l'empêchera probablement à tout jamais d'atteindre les vraies limites de son potentiel. Il se bride lui-même.
Akiera ne trouva rien à redire à cette analyse. Même s'il n'avait que peu fréquenté Camus jusqu'à présent, la conclusion du maître de ce dernier semblait très pertinente.
- Même si tu refuses ton titre, tu dois néanmoins être considéré comme un chevalier d'or renégat. La pire infamie pour un serviteur d'Athéna. Je n'hésiterai pas une seule seconde à te mettre à mort.
Un grand sourire se dessina sur le visage de Gienah.
- Je me souviens que, lors de notre première rencontre sur l'Ile de la Reine Morte, tu avais refusé de prendre ma vie alors que je t'en conjurais. Aujourd'hui, je vendrai chèrement ma vie. Peut-être vas-tu regretter de ne pas m'avoir tué quand tu en avais eu l'occasion.
- Je ne regrette rien. A l'époque je ne te voyais que comme un misérable qui était à sa place parmi les chevaliers noirs. Aujourd'hui, je sais que tu mérites le temps que je vais prendre à te tuer.
- Je crois que j'ai su dès notre première rencontre qu'il ne pourrait pas y avoir d'autre issue entre nous. En garde donc, Akiera des Gémeaux !
- En garde, Gienah du Verseau.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Mardouk et Aioros se tournaient autour lentement, chacun restant sur ses gardes et aucun ne prenant l'initiative de l'attaque.
Tous deux ayant une idée précise des conséquences néfastes que pourrait avoir une prise de risques inconsidérés, ils avaient tous les deux opté pour une position attentiste qui commençait à tourner à l'immobilisme. Ils avaient combattu côte à côte à peine quelques heures auparavant et avaient ainsi eu l'occasion d'évaluer leurs valeurs respectives si bien que la frontière entre respect et crainte était ténue.
- J'admets que je ne sais pas par quel bout te prendre, dit soudain Mardouk avec un sourire en coin. J'ai l'habitude de prendre l'initiative et d'imposer mon rythme lors de mes duels, mais face à toi l'idée d'entrouvrir ma défense m'est fort peu confortable.
Le chevalier d'Or rendit son sourire à son adversaire.
- Vous êtes l'aîné, je m'en voudrais de ne pas faire preuve de politesse à votre égard en vous refusant la priorité.
Le Babylonien rit de bon cœur tout en rengainant son épée. Aioros raffermit sa garde, sentant le cosmos adverse enfler soudainement à une vitesse folle.
Alors que des éclairs apparaissaient sur son armure et qu'une aura flamboyante se formait autour de lui, Mardouk plaça ses mains ouvertes devant lui, formant un triangle en faisant se toucher le bout de ses pouces et de ses index.
Le niveau d'énergie qu'était en train d'atteindre le Babylonien rendait limpide ses intentions : il allait prendre l'initiative et se découvrir le premier certes, mais il allait le faire avec une attaque capable d'achever l'affrontement instantanément.
Aioros enflamma à son tour son cosmos à son paroxysme, s'apprêtant à contre-attaquer dès que l'occasion se présenterait.
- CHRONAL SCHOCK  ! Hurla Mardouk en projetant des millions de vagues d'énergie verte de ses mains.
Tout en esquivant les premières projections, Aioros fut d'abord presque déçu par l'apparente simplicité de la technique employée par son opposant. Cette opinion changea néanmoins très rapidement lorsque les premiers coups l'atteignirent sans qu'il ne les aient vus.
Les impacts étaient particulièrement violents et firent reculer le Sagittaire de plusieurs mètres. S'il parvenait toujours à éviter la plupart des rafales d'énergie, le nombre de fois où il se faisait toucher sans n'avoir rien vu augmentait rapidement. Très bientôt son armure d'or ne le protégerait plus suffisamment et il commencerait à encaisser même les coups normaux...
La seule explication possible à la situation était que certains des coups de Mardouk dépassaient la vitesse de la lumière.
Un authentique prodige.
Cependant l'ancien maître de Babylone n'était pas le seul capable d'accomplir ce qui ressemblait à un exploit impossible. Le cosmos du gardien de la neuvième maison explosa à son tour.
- LE PAS AGILE D'ACHILLE !
Cette technique avait été inspirée à Aioros par son combat contre Dragon Noir. Incapable d'atteindre la vitesse de la lumière par la voie habituelle, ce dernier arrivait à obtenir une capacité de déplacement quasi-équivalente en pliant l'espace-temps autour de lui en jouant sur sa masse. Le chevalier d'or avait travaillé longtemps pour copier cet effet, et cela n'avait pas été en vain. La quantité d'énergie dépensée était absolument effroyable, néanmoins il lui devenait possible de jouer avec les règles de la relativité.
Ses pieds se nimbèrent d'un halo doré et il se mit à courir dans les airs, se faufilant avec agilité entre les secondes, et il perçut enfin les attaques de Mardouk qu'il avait été incapable d'esquiver jusque-là. Les vagues d'énergie verte filaient bel et bien à une célérité supérieure à celle de la lumière et équivalente à celle qu'atteignait à présent Aioros. Le chevalier d'or aurait aimé savoir comment son adversaire procédait de son côté, mais cette curiosité risquait de rester inassouvie. Evitant à présent sans guère de difficulté les assauts supraluminiques, il se rapprocha de Mardouk.
- Comment ? s'exclama le Babylonien lorsqu'il réalisa qu'il ne parvenait plus à suivre les déplacements de son opposant.
Il réagit promptement en stoppant son attaque et en se remettant en catastrophe en position défensive.
- Intéressant, sa technique a des limitations inverses à la mienne : ses rafales d'énergie dépassent la vitesse maximale, mais pas lui, analysa Aioros.
Comme le Sagittaire ne pouvait pas utiliser d'autre attaque simultanément au Pas Agile d'Achille et qu'il estimait que des coups au corps à corps même à une vitesse supérieure à celle de la lumière ne seraient pas décisifs, il attendit d'être parvenu à bout portant pour stopper sa technique et passer à l'assaut.
Du point de vue de Mardouk, tout se passa comme si le chevalier d'or s'était presque téléporté sous son nez pour frapper.
- INFINITY BREAK !
Bien que le Babylonien avait déjà eu l'occasion d'observer cet arcane, il fut pris de court et encaissa l'assaut presque de plein fouet. Il fut projeté comme un fétu de paille sur une trentaine de mètres, les écailles de Tiamat constituant le plastron de sa protection volant en partie en éclats.
Il parvint néanmoins à se rétablir dans les airs et à retomber sur ses pieds. Des étoiles devant les yeux, il chercha avec affolement son adversaire du regard, persuadé que celui-ci allait à son tour tout mettre en œuvre pour porter directement le coup de grâce.
Il le localisa finalement volant à une dizaine de mètres au-dessus du sol et ayant encoché la Flèche de la Justice dans l'arc de l'armure du Sagittaire.
Ne laissant pas le temps à son adversaire de reprendre ses esprits, Aioros tira. Le trait fendit l'air à la vitesse de la lumière et Mardouk comprit en un instant de parfaite lucidité qu'il serait vain de tenter d'éviter le projectile : la Flèche de la Justice ne manquerait pas sa cible.
Agissant par réflexe, le Babylonien dégaina son épée avec une rapidité et une précision digne du plus grand des samouraïs afin d'intercepter le jet mortel.
La pointe dorée percuta la lame noire dans un fracas de tonnerre. La pointe n'avait pas pénétré l’épée mais, bien que bloqué, le projectile ne chuta pas au sol et exerçait une pression terrible sur celle-ci, comme s'il était animé par la farouche volonté d'atteindre sa cible malgré tout. Pendant un instant qui parut durer une éternité au Babylonien qui avait du mal à ne pas lâcher son épée, les deux armes, dont la puissance pouvait inquiéter même les dieux, semblèrent être dans une position d'égalité parfaite, l'épée empêchant la flèche d'atteindre Mardouk sans pour autant être capable de la dévier.
Finalement, l'équilibre se rompit et il y eut un éclair de lumière dont l'intensité força les deux opposants à détourner les yeux.
La flèche fila derrière Mardouk et alla se ficher plusieurs kilomètres plus loin dans la tour enfermant les spectres, tandis que l'épée du Babylonien avait échappé aux mains de son propriétaire et avait disparu en tournoyant dans la mer de nuages entourant l'édifice.
- INFINITY BREAK ! hurla Aioros, voulant attaquer avant que son adversaire n'ait le temps de reprendre son souffle.
Cependant, cette fois-ci, Mardouk eut le temps de voir arriver le coup et put facilement éviter l'assaut qui manquait de puissance. Il voulut contre-attaquer, mais constata que le Sagittaire était resté prudemment en retrait.
- Tu aurais dû attaquer pendant que j'étais en train de repousser ta flèche, observa Mardouk. Je n'aurais rien pu faire.
- J'aurais bien voulu, mais enchaîner le Pas Agile d'Achille et mon Infinity Break m'a vidé. J'étais déjà bien content que vous ne soyez pas en mesure d'exploiter mon état de faiblesse.
- Nous voilà donc tous les deux bien chanceux.
Les deux combattants étaient à nouveau entrés dans une phase d'observation, se tournant l'un autour de l'autre, chacun réfléchissant à la meilleure stratégie pour reprendre l'initiative.
- Comment tes coups arrivent-ils à dépasser la vitesse de la lumière ? demanda finalement le plus jeune des deux.
- Bah, après tout cette technique sera inutile contre toi à présent... Je fusionne mes rafales d'énergie avec des tachyons, des particules temporelles ne respectant pas la plupart des lois de la physique.
Un large sourire se dessina sur le visage de l'adulte qui prit le temps de s’assurer que la Boite de Pandore était toujours bien fixée sur son dos malgré les dégâts qu’avait reçus sa protection.
- Pour l'énergie que j'ai dépensée, j'avoue que je m'estime mal payé de te voir encore debout. De ton côté, tu as repris à ton compte la technique des chevaliers noirs, n'est-ce pas ?
Aioros hocha la tête.
- Tu as vraiment essayé de me tuer avec ta flèche.
- De même que vous avez essayé de m'écarter d'entrée de jeu. En outre, je vous ai dit que je ferai tout mon possible pour vous arrêter.
- Tout comme je t'ai dit que je changerai ce monde ou mourrai en essayant.
Les deux opposant cessèrent simultanément de se tourner l'un autour de l'autre.
- Je ne sais pas pour toi, mais cet attentisme commence à me peser, dit Mardouk.
Un petit mouvement de tête signifia que le chevalier partageait ce sentiment.
- Nous sommes probablement deux des cinq mortels les plus puissants au monde. Notre affrontement devrait être un moment de gloire éternelle, or voilà que nous combattons sans audace.
- Quelles que soient les précautions que nous prendrons, l'issue de ce duel se décidera par chance ou sur un détail, compléta Aioros.
- Exactement. Je ne sais pas si les dieux nous regardent en ce moment... Mais si c'est le cas essayons de leur offrir un spectacle dont ils se souviendront !
Les deux guerriers se lancèrent simultanément à l'assaut dans ce qui ressemblait à un rugissement de plaisir.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Nabu sentit la présence de l'homme-lion disparaître brusquement. En outre, à en juger par la vigueur de son cosmos, le second serviteur d'Athéna semblait encore en pleine possession de ses moyens à la sortie de son combat. Il ne restait donc plus qu'Inanna pour La protéger.
Le lépreux aurait préféré avoir davantage de temps pour récupérer, pourtant il allait devoir se lancer sans attendre à la poursuite du chevalier. Il lui restait une dernière besogne à accomplir avant cela, néanmoins. Après s'être péniblement remis sur ses pieds, il se dirigea vers le corps allongé et inconscient de Saga.
- Désolé, mon garçon, fit-il en levant la main, puis en l'abattant sur le cou sans défense du chevalier d'or dans le but de le trancher net.
Le coup eut cependant une issue inattendue, la main de Nabu s'enfonçant dans le sol là où aurait dû se trouver sa cible. Le chevalier d'or n'avait pas esquivé, mais s'était tout simplement volatilisé.
- Illusion, conclut instantanément le Babylonien.
Il réagit rapidement, bondissant de côté tout en se mettant en garde. Il ne put cependant rien faire face à la première attaque qui le frappa sur le flanc droit, à part se réjouir du fait qu'elle l'aurait atteint dans le dos sans sa réaction.
Il sentit un poing pénétrer sa chair, sans y porter plus d'attention, se contentant de se remettre en garde. Il reçut un nouveau coup, dans l'abdomen, de son agresseur qui était invisible. Cependant, maintenant qu'il savait ce à quoi il faisait face, il ne fallut qu'une fraction de seconde à ses sens pour transpercer l'illusion.
C'était le chevalier d'or, apparemment remis des conséquences de la destruction de son cosmos, qui l'attaquait.
- Est-ce bien lui ? s'interrogea cependant Nabu en constatant que les cheveux et les yeux bleus de son adversaire avaient changé de couleur pour devenir respectivement blancs et rouges, le faisant ressembler à un albinos au regard fiévreux, empli de haine et de folie.
- Comment peux-tu être debout, j'ai soufflé la flamme de ton cosmos ? demanda-t-il à haute voix tout en parant difficilement une série de coups de poing.
- Erreur, tu as soufflé un cosmos, mais ce corps en abrite deux, répondit le chevalier d'une voix légèrement changée elle aussi, plus agressive et méprisante.
- Tu n'es plus le même.
- Plus tout à fait, répliqua le Grec en riant et lançant de nouvelles attaques à un rythme effréné. Je suis lui... en mieux.
Pris de vitesse par la furie de son adversaire, Nabu fut touché une nouvelle fois au niveau de sa blessure au flanc. Bien que sa maladie faisait qu'il ne ressentait plus pleinement la souffrance de ses blessures physiques, il lâcha tout de même un râle étouffé.
- Le boy-scout n'a pas peut-être pas réussi à te régler ton compte, mais face à moi tu n'as aucune chance, lépreux. Nous nous appelons Saga, au passage.
- Double personnalité. Presque logique en considérant son signe. En soufflant le cosmos de la personnalité dominante, j'ai libéré la furie d'une dormante, conclut le Babylonien.
Ce nouvel adversaire semblait en tout cas avoir retenu les leçons de la défaite du premier. Ayant constaté les capacités d'analyse et de contre du frère de Mardouk, il n'utilisait aucune technique cosmique afin d'offrir moins d'ouvertures et de possibilités de riposte. En outre, ses assauts au corps à corps étaient à la fois plus rapides et violents que précédemment, mais aussi beaucoup plus difficilement lisibles.
Le schéma d'attaque du Gémeaux paraissait en effet totalement chaotique et imprévisible, à tel point que Nabu se demandait si cela ne venait pas de la nature profonde de son adversaire plutôt que d'une tactique ponctuelle.
Les enchaînements étaient totalement anarchiques et la technique même du chevalier semblait protéiforme, mouvante. Nabu devait se faire violence et se battre contre-nature, se forçant à ignorer sa capacité de quasi-prescience du combat, qui d'ordinaire lui donnait toujours une longueur d'avance, et qui aujourd'hui l'induisait en erreur quasiment systématiquement. Pour lui, cela revenait presque à se battre les yeux bandés, et cela se traduisait par un nombre de coups encaissés conséquents. Sa robe de lépreux se déchirait de plus en plus, ses chairs malades et décrépies se couvrant de nouvelles blessures.
Plus l'échange de coups se prolongeait, plus Nabu se demandait si la première personnalité qu'il avait affrontée était réellement la dominante. La seconde, outre qu'elle paraissait plus violente de nature, semblait en effet disposer d'un cosmos nettement supérieur et constituait de fait bel et bien un adversaire plus redoutable. Il en venait même à se demander si la première personnalité connaissait seulement l'existence de la seconde, l'inverse étant certain. Peut-être ne s'était-elle dévoilée que contrainte et forcée pour éviter la mort, et se contentait précédemment de demeurer tapie dans l'ombre en attendant son heure et en laissant à l'autre l'illusion d'être seule en charge.
Le Babylonien savait qu'il ne connaîtrait probablement jamais le fin mot de l'histoire, ce qui ne changeait de toute façon rien pour lui. Surtout, Nabu sentait qu'il n'avait jamais été en aussi mauvaise posture de toute sa vie de guerrier.
Il était parfaitement conscient de ne plus être le même combattant qu'avant sa maladie. Peu de personnes dans le monde seraient d'ailleurs capables de s'en rendre compte, pourtant Nabu avait vu dans les yeux de l'une d'entre elles, son frère, les dommages qu'avait causés le mal sur ses capacités guerrières.
Evidemment, par respect, jamais son cadet ne l'avait exprimé en mots, mais il restait que sa technique et sa maîtrise, jadis presque parfaites, s'étaient ternies. Le niveau qu'il conservait restait cependant largement suffisant pour dominer la première personnalité de son adversaire. Cependant, contre la seconde, la fatigue de son premier combat et les blessures qu'il venait et continuait de recevoir s'étaient rajoutées, pour amoindrir encore une marge déjà fort mince. Son adversaire ne s'était pas arrêté une seule seconde de le saouler de coups, et comptait apparemment continuer ainsi jusqu'à sa victoire.
Oui, ce combat pouvait fort bien être son dernier et la seule échappatoire était de contre-attaquer et de remporter la victoire tant que son corps le permettait. Il repassa ainsi brusquement à l'offensive, parvenant à toucher plusieurs fois son adversaire au visage et au corps.
Le chevalier explosa d'un rire rempli de mépris, comme si la réaction d'orgueil de Nabu était négligeable, puis repartit de plus bel à l'assaut.
Les deux adversaires avaient quasiment totalement abandonné leurs défenses, s'infligeant mutuellement de terribles coups. Ils pliaient à chaque impact mais ne rompaient pas, comme si aucun des deux ne voulait céder le moindre pouce de terrain.
Le Babylonien comprit cependant qu'il était perdu, s'il poursuivait dans cette voie. Son ennemi pouvait compter sur une armure d'or à la robustesse incomparable, qui protégeait ses points vitaux tandis que chaque coup reçu arrachait des morceaux de chair putride à Nabu.
- Je ne suis pas en état de le vaincre à la régulière. Je n'ai pas d'autres alternatives.
Pour la seconde fois de la journée, il enflamma son cosmos à son paroxysme dans le but de souffler celui de son adversaire. Ce dernier comprit néanmoins la manoeuvre et réagit prestement en intensifiant à son tour au maximum son aura.
- Ca ne marchera pas avec moi, dit le chevalier de sa voix au ton supérieur. Je t'ai vu faire tout à l'heure !
Nabu entendit, sans toutefois en tenir compte, le commentaire de son adversaire. Il savait parfaitement que les chevaliers étaient capables d'analyser et de contrer une attaque après l'avoir observée, mais cela ne pouvait s'appliquer dans le cas présent. La simplicité même de la technique la rendait en effet impossible à contrer, à partir du moment où la cible possédait un cosmos d'intensité inférieure à l'attaquant.
Après avoir bondi en arrière pour rompre le corps à corps, Nabu fit exploser son cosmos afin de souffler celui du chevalier, cependant cela ne se passa pas aussi bien que la première fois. Le Grec avait en effet intensifié son propre cosmos à un tel niveau qu'il résistait telle flamme d’une bougie refusant d'être balayée par une bourrasque de vent.
- Je te l'ai dit, tu n'y arriveras pas ! le nargua Saga.
- Non, je ne peux pas mourir maintenant, pas comme ça ! Je peux vaincre cet homme, pensa le Babylonien.
Il alla puiser les dernières forces qu'il avait en lui, remobilisant totalement l'énergie qu'il utilisait habituellement pour contrôler la progression de sa maladie. Son cosmos explosa une nouvelle fois, faisant encore plus vaciller le cosmos du chevalier qui refusait pourtant toujours de s'éteindre.
- Tu n'y arriveras... commença Saga, mais il s'interrompit.
Le cosmos de Nabu explosa une troisième fois, balayant cette fois-ci celui de son adversaire.
Les deux ennemis restèrent debout l'un en face de l'autre une dizaine de secondes en silence.
- Félicitations, je ne pensais que vous étiez aussi puissant, dit le chevalier d'or d'un ton légèrement moins moqueur qu'avant. Mais j'ai retourné votre technique contre vous.
Nabu était en effet dans un état déplorable, sa robe déchirée laissant voir l'étendue des dégâts. Totalement libérée de l'effet régulateur du cosmos Babylonien, la lèpre semblait avoir rattrapé en quelques secondes les années de sursis qu'avait réussi à obtenir Nabu, lui donnant l'apparence d'un cadavre purulent, incapable de faire le moindre geste.
- Votre tactique n'est efficace que si vous êtes encore en état d'achever l'adversaire une fois que celui-ci est privé de son cosmos, ce qui n'est plus le cas. Si cela peut vous rassurer, je n'ai aucune intention de tuer votre pseudo-déesse. Je vais me rallonger tranquillement, puis perdre connaissance et attendre que nos cosmos se restaurent naturellement. Ainsi, quand ce corps se réveillera, mon alter ego croira que vous vous êtes tué tout seul en le vainquant.
Nabu tenta d'articuler quelque chose, mais en fut incapable. Il s'écroula, et mourut quelques secondes plus tard. Honteux de sa défaite et du fait qu’il était heureux d'être enfin libéré de la douleur qui l'avait accompagné pendant tant d'années.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Sitôt qu'il était sorti de l'étrange conduit dimensionnel avec Shamash à ses trousses, Kanon s'était lancé dans un véritable jeu de piste à travers les mondes. Il avait au cours des années précédentes consacré du temps à explorer les dimensions et en avait repéré un certain nombre possédant des caractéristiques susceptibles de conférer un avantage tactique.
Il passa successivement dans un monde où la gravité était inversée, un autre où la vitesse de la lumière était bien plus élevée, un autre où la moindre pensée modifiait l'environnement, un autre où l'air était acide et corrosif, un autre où les planètes et étoiles étaient si petites qu'elles pouvaient être saisies à pleines mains et utilisées comme projectiles, et ainsi de suite. Systématiquement, Shamash le suivait et Kanon tentait d'exploiter les particularités locales pour prendre l'avantage, néanmoins le Mésopotamien semblait rodé à ce genre d'expériences et ne se laissait pas surprendre.
Finalement, Kanon déboucha sur un monde qu'il avait visité voici longtemps, mais auquel il n'avait trouvé une utilité que très récemment. La caractéristique déterminante et sans équivalent nulle part ailleurs de cette dimension, et de la version légèrement déformée et vierge d'humanité de la Terre que l'on y trouvait, était que la totalité de la biosphère était reliée à une conscience unique.
Chaque plante, chaque animal était commandé par une intelligence, qui d'après ce que pouvait en juger le cadet de Saga, était la planète elle-même. Comme si toutes vies sur cette Terre étaient les organes sensoriels et les membres de cette dernière.
- Pourquoi m'as-tu amené ici ? cria Shamash à son adversaire en franchissant à son tour un seuil dimensionnel. Cette planète est vivante, nous la blesserons en nous battons ici.
Les deux adversaires se trouvaient dans une clairière au milieu d'une forêt de pins. Plusieurs animaux, principalement des cerfs, s'étaient déjà réunis en cercle à la lisière des arbres et observaient les intrus en silence.
- Je sais où je suis, répliqua Kanon en préparant un Genrô Maô-Ken.
- Je vous l'ai dit, cette attaque ne marchera plus contre... commença Shamash avant de comprendre les intentions de son adversaire.
L'attaque psychique frappa le plus grand des cerfs qui s'étaient regroupés pour observer les deux humains. Cela constitua la porte d'entrée par laquelle Kanon remonta jusqu'à la conscience centrale pour lui imposer sa volonté.
- Tue l'intrus, ordonna le Grec tout en se rendant lui-même invisible pour la conscience planétaire.
Les animaux chargèrent instantanément Shamash qui n'eut d’autre solution que de se défendre. Cela ne s'arrêta pas là : l'herbe se mit à pousser et à s'enrouler autour de ses chevilles et les branches des arbres se déformèrent pour essayer de le balayer. Des vents violents se levèrent ensuite, amoncelant en quelques secondes des nuages noirs dans le ciel. A peine quelques secondes plus tard, des éclairs s'abattirent, sur l'allié de Mardouk, qu’il dut éviter à la vitesse de la lumière pour ne pas être foudroyé.
Prises séparément, ces menaces n'auraient pas constitué de véritable risque, toutefois, face à leur caractère global, Shamash était conscient que cela pourrait devenir rapidement dangereux.
Il décida donc d'ouvrir un passage dimensionnel pour s'échapper de ce monde transformé en enfer, mais il sentit la structure de son passage s'effondrer sur elle-même quasiment instantanément.
- Pourquoi crois-tu que je t'ai autant emmené en ballade avant de venir ici ? se moqua Kanon qui s'était contenté jusque là de rester à distance prudente. Je connais parfaitement ta façon de procéder à présent et tu ne partiras pas d'ici !
- Maudit sois-tu !
Les assaillants devenaient de plus en plus nombreux, comme si la planète tentait d'envoyer l'intégralité de sa population à la bataille. Kanon riait des difficultés croissantes de son adversaire, tandis que ce dernier cherchait un moyen de s'en sortir sans trop endommager l'environnement de ce monde hors norme. Il lui vint finalement une idée : s'il n'avait pas de moyen d'annuler l'envoûtement de Kanon, peut-être pouvait-il le surpasser.
Shamash concentra son cosmos et projeta du bout de ses doigts des flammes tout autour de lui, ne pouvant éviter de carboniser les animaux et les végétaux qui l'attaquaient à ce moment-là, mais formant un cercle ardent l'isolant complètement. Les animaux et les arbres cessèrent leurs attaques, demeurant à distance respectable du brasier. Quelques oiseaux de proie tentèrent de fondre sur Shamash par la voie des airs qui restait accessible, toutefois il était facile pour lui de les repousser.
- On dirait que l'injonction de ton illusion ne surpasse pas l'instinct de conservation de sa victime, commenta le Mésopotamien.
- Non, c'est juste que je ne la maîtrise pas encore suffisamment bien pour contraindre ma victime au suicide, répliqua Kanon d'un ton agacé.
Le cadet de Saga pouvait évidemment tenter d'éteindre le mur de flammes de son adversaire, néanmoins ce dernier pourrait très facilement en créer un nouveau. Kanon n'étant pas vraiment d'un tempérament enclin à entrer dans une guerre d'usure, il lui fallait reconnaître que s'il voulait une victoire rapide, mieux valait aller la chercher ailleurs.
Il ouvrit une nouvelle faille entre les mondes et s'apprêtait à la franchir, quand son adversaire l'interpella.
- Libère ce monde de ton illusion.
- Pourquoi ?
- Sinon, lorsque je serai parti, le fait de ne pas pouvoir accomplir ton injonction la fera sombrer dans la folie et dépérir.
- Et elle ne me servirait plus jamais à rien...
Il frappa à nouveau un cerf avec son illusion pour libérer la planète de son influence, puis disparut dans le passage dimensionnel.
Shamash hésita un instant, se demandant quelle nouvelle mauvaise surprise pouvait l'attendre de l'autre coté de cette porte. Il ne s'en était tiré que de justesse cette fois-ci, car Kanon n'avait pas eu conscience de l'effort qu'avait constitué pour lui le fait de générer ces flammes. Shamash se rendait compte que son adversaire manquait d'expérience et surtout de patience à cause d'un complexe de supériorité, abandonnant ses idées et stratagèmes dès que ceux-ci ne donnaient pas rapidement satisfaction, alors que sur le long cours ils le mèneraient à la victoire.
- Le jour où il sera capable d'attendre le temps qu'il faut pour que sa stratégie porte ses fruits, il sera absolument redoutable. Il est potentiellement brillant.
Le Mésopotamien suivit finalement Kanon dans le monde suivant. Le panorama qui s'offrit à lui était, une fois de plus absolument fantastique.
C'était un monde entièrement constitué de différentes variétés de cristaux. Si les deux ennemis se trouvaient à première vue à nouveau au milieu d'une forêt, les arbres étaient ainsi entièrement cristallins.
Sans attendre, Kanon passa à l'attaque libérant avec son poing une rafale de rayons dorés. Ses coups n'étaient cependant volontairement pas très précis, et plusieurs frappèrent les arbres et rebondirent sur ceux-ci sans leur faire le moindre dégât ou perdre la moindre énergie. Si Shamash aurait probablement contenu l'assaut direct, les rebonds anarchiques des rayons le prirent de cours et il encaissa des milliers d'impacts qui mirent à mal sa protection bien qu'il parvint à rester debout.
- Cela marche dans les deux sens ! cria-t-il en contre-attaquant.
Ses projections d'énergies rebondirent à leur tour sur les arbres contraignant Kanon à cesser son assaut pour esquiver.
Le Grec se sortit finalement sans dommage de ce premier échange, alors que Shamash avait subit quelques blessures.
- Prépare-toi, c'est bientôt la fin ! s'exclama le Kanon en se mettant en position de déclencher le Genrô Maô-Ken.
- Ce coup est inutile !
- Nous allons voir !
Un étrange sourire passa sur le visage du cadet de Saga.
- Tue ! hurla-t-il en envoyant son illusion.
L'allié de Mardouk évita facilement le rayon d'énergie psychique qui alla rebondir sur un arbre derrière lui. Shamash s'y attendait et évita à nouveau le ricochet qui fila vers son expéditeur. Le Mésopotamien comprit soudain qu'il n'avait jamais été la cible du coup de son adversaire.
Le rayon d'énergie frappa Kanon en plein front, son corps et ses muscles se crispant tandis que l'illusion imprimait dans le cerveau l'unique injonction qu'avait formulé le Grec: "Tue".
Sentant qu'il devait agir vite et profiter du court laps de temps pendant lequel son adversaire ne serait pas totalement maître de ses mouvements, Shamash se lança à l'assaut.
Kanon commençait à peine à retrouver le contrôle de ses muscles contractés, si bien qu'il encaissa une série de coups de poings puissants qui l'envoyèrent au tapis. Le Mésopotamien se précipita pour porter une attaque décisive, mais Kanon se releva en un éclair et bloqua dans sa paume le poing qui visait son coeur. Shamash se demanda s'il avait bien fait d'attaquer.
Les yeux de son adversaire étaient devenus rouge sang, emplis de folie, et il avait l'écume au lèvre tel un animal enragé. Kanon frappa alors, un seul coup de poing d'une violence inouïe qui propulsa Shamash sur un arbre de cristal à plus de vingt mètres et faillit briser net les deux bras avec lesquels ce dernier avait voulu se protéger.
- Maintenant au moins c'est clair : c'est lui ou moi. Et cela risque d'être lui, pensa Shamash en regardant son adversaire déchaîné se lancer à l'assaut.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Jason avait comprit presque instantanément qu'il avait commis une erreur lourde de conséquences en suivant Stellio dans son acte fou. A la seconde où l'étrange créature s'était dématérialisée afin de pouvoir fondre son essence spirituelle avec celle du chevalier, s'était engagée une lutte féroce pour la domination de ce qui était à présent une enveloppe charnelle partagée. L'esprit étranger avait tenté de faire plier celui de Jason d'entrée de jeu, mais il avait tenu bon, bien décidé à préserver son identité coûte que coûte.
Il s'était rapidement rendu compte que Stellio, pour sa part, semblait avoir très facilement et rapidement pris le dessus sur l'autre créature et paraissait donc seul aux commandes. L'ancien chevalier du Lézard semblait avoir même retrouvé totalement ses esprits, comme si la proximité de son ennemi, puis ce combat mental, avaient servi d'électrochocs.
- Au moins l'un de nous deux sera en mesure de faire bonne figure. Et si par hasard nous survivons, il pourra m'éliminer si ma volonté finit par céder.
Jason s'appropriait à présent certains des souvenirs des créatures, entrapercevant des pans de leur histoire qui s'avérait très longue.
Ces êtres étaient semblait-il bien plus vieilles que l'humanité, et n'étaient pas originaires de cette Terre, mais d'une des innombrables autres dimensions qui constituaient le multivers. De ce que le chevalier comprenait, leur monde d'origine était une sorte de brouillon de la Terre, tel un premier jet issu du Chaos originel. Ils se considéraient, à tort ou à raison, comme les précurseurs de tous les êtres vivants et se nommaient eux-mêmes les Premiers. Des êtres néanmoins imparfaits car encore trop proches de l'origine chaotique de toute chose. Instables, constamment changeants, incapables de connaître le calme d'une identité clairement et définitivement définie, et non mouvante au fil du temps.
C'est pourquoi ils avaient regardé pendant longtemps avec envie les habitants de la Terre, cette réalité aux lois stables et éternelles où ce qui était vrai à un instant, ne risquait pas de devenir faux celui d'après.
Ils estimaient qu'ils avaient servi de galop d'essai sur le chemin qui avait mené à cette réalité si parfaite à leurs yeux ; toutes leurs religions et leurs mysticismes tournaient autour de cette idée fondatrice. On leur avait fait miroiter la possibilité de jouir à leur tour de cette existence en échange de leur servitude... et on les avait trahis.
La Carène avait le plus grand mal à ne pas être submergé par le désir de vengeance qui découlait de cette frustration.
Une fois les fusions opérées et le traumatisme en découlant en partie digéré, ils s'étaient remis en route vers les profondeurs du temple. Lors de cette longue descente qui les mena probablement près de deux cent mètres en dessous du niveau de la capitale égyptienne, ils ne croisèrent aucun disciple. Soit ces derniers avaient été tués jusqu'au dernier, soit ils avaient compris qu'il était inutile de s'interposer.
Ils percevaient avec de plus en plus de clarté la présence de leur ennemi. Ce dernier était probablement conscient de leur présence également. Dans ce cas, le fait qu'il les attende tranquillement donnait d'ailleurs une indication de la menace qu'ils représentaient à ses yeux.
Le couloir qu'ils suivaient se transforma petit à petit en grotte et ils parvinrent finalement dans une grande caverne naturelle faiblement éclairée par quelques torches éparses et où s'étendait un petit lac souterrain.
Ils entendirent des bruits de pas dans l'eau et distinguèrent une grande silhouette qui venait vers eux. La lutte mentale que devait mener Jason depuis la fusion s'interrompit subitement, un armistice temporaire ayant été conclu pour faire face à la menace.
- Mes chers invités, dit une voix aux résonances minérales. Vous avez été des nuisances plus qu'agaçantes. Je me félicite que vous ayez décidé de vous regrouper. Cela sera à la fois moins ennuyeux et plus rapide.
Tandis que la silhouette sortait progressivement de l'ombre pour pénétrer dans la zone éclairée, Jason perçut d'abord quelques reflets métalliques caractéristiques d'une armure.
Plus la lumière révélait les détails de la protection, et plus celle-ci rappelait à Jason celle des chevaliers des Gémeaux, comme si elle avait servi de modèle pour les armuriers de la déesse Athéna. La principale différence était néanmoins sa teinte, argentée au lieu de dorée.
Cette armure était également dépourvue de casque ou alors leur ennemi ne le portait pas. Lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques mètres d'eux, d'autres détails devinrent apparents.
Tout d'abord, en voyant la tête du maître des lieux, Jason sut qu'ils faisaient bel et bien face au dieu Janus. Comme la statue à son effigie qu'ils avaient observée plus tôt, et qui se révélait donc globalement fidèle, il possédait en effet deux visages. Toutefois, à la différence de sa représentation de pierre, seul un de ces visages était vivant. L'autre semblait dans un état de décomposition avancée, le squelette étant même apparent par endroits. En outre, le dieu était couvert de profondes plaies sur la quasi-totalité de sa peau visible. Elles étaient purulentes et vives, bien que le chevalier de la Carène devinait qu'elles étaient en fait anciennes.
Janus sembla remarquer le regard de Jason fixé sur ses plaies et sur son visage mort, et tourna ses yeux vers lui.
- Les traces d'un ancien combat contre une très vieille ennemie, dit le dieu. Je crois d'ailleurs qu'en ce moment même, certains de vos confrères chevaliers tentent de La tuer. Enfin, si on peut considérer que vous êtes toujours des chevaliers, bien entendu... Mais ne vous méprenez pas, je me suis adapté à ma nouvelle condition depuis très longtemps, et il serait surprenant que vous parveniez à m'infliger de telles blessures.
- Ce n'est pas notre objectif, répliqua Stellio d'un ton sûr de lui. Une seule blessure mortelle nous ira très bien.
L'ancien Lézard se lança à l'assaut, immédiatement suivi par Jason.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

- Vous ne pourrez pas refuser le combat toute la journée ! cria Sophia en tentant de frapper le vieux maître d'un coup à la tête.
Ce dernier esquiva d'un bond en arrière d'une surprenante agilité pour son âge.
- Je ne veux pas te faire de mal, répondit-il en se réceptionnant. Je réalise que je t'ai déjà causé un grand tort voici deux siècles et je ne saurais en rajouter.
- L'heure n'est plus aux regrets. Elle est à faire face à vos responsabilités.
- Je n'ai pas l'intention de me défiler. Sion a certes pris seul la décision de t'enfermer dans ce cercueil, mais je ne m'y suis pas opposé. Et jamais au cours de ces deux siècles je n'ai songé à te libérer, alors que cela aurait été en mon pouvoir. Je doutais sincèrement du fait qu'il soit possible pour toi d'évoluer réellement au-delà de ta condition de vaisseau pour l'âme d'Athéna. Sans doute, aurais-je dû prendre le temps de m'en assurer au cours de ces longues années où je suis resté seul à veiller sur la prison des spectres. J'aurais pu éviter que nous nous retrouvions opposé aujourd'hui.
- Il est trop tard.
L'adolescente enflamma son cosmos et plaça ses mains paume contre paume devant elle, comme si elle priait. Reconnaissant la pose, Dohko se mit en garde. Il se souvenait du moment de la guerre sainte contre Hadès où, jeune chevalier, il combattait au côté de sa déesse et où celle-ci avait eu recours à cette technique.
- NIKE BLESSING !
Le cosmos de Sophia sembla augmenter brutalement d'intensité, comme lorsque deux cents ans plus tôt le celui des chevaliers se magnifiaient grâce à la bénédiction de la déesse de la victoire.
- Cette technique assure la victoire des justes, vous êtes perdu ! cria-t-elle en chargeant.
Ses poings rayonnaient d'énergie et chacun de ses mouvements laissait dans l'air des traces similaires à des traînées d'étoiles filantes.
Le chevalier de la Balance bloqua pourtant la série de coups de poing de son adversaire sans faire le moindre mouvement, les attaques étant comme stoppées nettes à une dizaine de centimètres du visage du vieux maître.
- Comment est-ce possible ? J'ai l'impression de frapper un mur !
Elle redoubla la violence de ses assauts, sans plus de résultats. Elle comprit néanmoins comment Dohko procédait pour parer ses tentatives sans bouger. Il avait recours à de petites ondes de chocs télékinésiques qui non seulement interceptaient les coups, mais aussi la frappaient sur des points soigneusement choisis, perturbant son équilibre et donc l'efficacité de ses attaques. Frustrée, elle cessa son assaut.
- Comment pouvez-vous me résister alors que j'ai invoqué le Niké Blessing ?
- Vous l'avez dit vous-même, cette technique aide les justes dans leur combat. Dans un duel, à puissance égale, le combattant dont la cause est juste triomphera facilement de son adversaire. Le Niké Blessing accentue cette vérité. Or, dans cette bataille qui nous oppose, tant le camp de Mardouk que le Sanctuaire combattent pour des causes objectivement justes, et chacun des belligérants est persuadé de livrer le bon combat.
- Tu veux dire que...
- Oui, le Niké Blessing m'a également renforcé. Et ceci est la preuve que notre affrontement n'a pas lieu d'être. Si vous renoncez, Mardouk ne pourra plus poursuivre son plan et sera obligé de cesser les hostilités pour rester fidèle à sa logique de protection de l'humanité. Vous avez le pouvoir de mettre un terme à tout cela.
- N'espérez pas vous jouer de moi ! Vous ne me ferez pas croire que votre Sanctuaire anachronique incarne encore la justice ! Si le Niké Blessing n'a pas fonctionné normalement, c'est sans doute parce que je ne suis pas la véritable Athéna et que je ne le maîtrise donc pas aussi bien que je le pensais !
Sophia ne mit pourtant pas fin à la Bénédiction, mais au contraire intensifia encore plus son énergie et celle du vieux maître.
- Je vous rappelle que j'ai certains souvenirs d'Athéna. Je sais que vous ne combattez pas en utilisant toutes vos ressources.
Dohko hocha simplement la tête. Il était effectivement logique que Sophia soit au courant du don fabuleux que la déesse aux yeux pers lui avait fait à l'issue de la dernière guerre sainte.
- Me méprisez-vous donc, pour me combattre ainsi diminué ? reprit l'adolescente.
- Non. Si tes pouvoirs sont loin d'égaler ou même d'approcher ceux de la déesse, tu es effectivement aussi puissante que la plupart des chevaliers d'or. Néanmoins... Je ne suis pas la plupart.
- Quelle arrogance !
Le vétéran se mit en position de combat.
- Non, simple réalisme. Outre le fait que je préfère réserver la force qui réside en moi pour la future bataille contre les spectres, je n'en ai tout simplement pas besoin face à toi.
- Très bien, vous n'êtes pas arrogant. Vous êtes juste stupide et vous vous trompez sur toute la ligne. Ma prochaine attaque va vous réduire en cendres.
- Nous allons voir. Toutefois, avant que ce combat ne prenne un tour définitif, puis-je m'enquérir de la raison pour laquelle tu n'as pas stoppé le Niké Blessing ? Mon cosmos augmente autant que le tien.
- Tout simplement parce ce détail n'a aucune importance. Je connais certains secrets d'Athéna dont vous ignorez tout.
Elle leva son bras droit, paume face au ciel.
- Je sais que vous êtes un érudit. Je ne vous apprendrai donc rien en vous disant que si Zeus a pu asseoir sa domination sur le monde et les dieux, c'est parce qu'il dispose de l'Egide, une arme au potentiel de destruction quasi illimité. Dans les temps mythologiques, il donna à Athéna l'accès à cette puissance, afin que celle-ci puisse l'assister à la guerre. Plus tard, lorsqu'il confia la Terre à sa fille, il lui retira cette possibilité. Néanmoins la déesse de la sagesse avait anticipé cette décision, et prit les dispositions pour conserver un accès même partiel à ce pouvoir.
Des éclairs s'abattirent depuis le ciel sur la paume de Sophia. Ses cheveux se dressèrent alors que son corps était parcouru par des arcs électriques.
Le vieux maître recula. Jamais encore il n'avait été confronté à une telle énergie brute.
- Une portion d'une puissance infinie reste redoutable... Le Niké Blessing n'avait pour but que de me donner assez d'énergie pour invoquer l'Egide. Et maintenant...
Les éclairs formèrent une boule de foudre dans la main de l'adolescente, puis elle baissa le bras.
- ... vous allez ...
Dohko réfléchissait à toute allure à un moyen d'esquiver l'assaut. Il était parfaitement conscient que l'attaque pouvait bel et bien l'anéantir.
- ... disparaître !
Une nuée d'éclairs partirent de Sophia et allèrent engloutir le vieux maître.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Ce qui impressionnait finalement le plus Shura chez son adversaire était l'incroyable souplesse de ce dernier, particulièrement au niveau des poignets. Le Capricorne aurait dû être avantagé par le fait qu'Excalibur était directement incarnée dans ses bras au niveau de la maniabilité, mais l'épée Joyeuse d'Ogier virevoltait et vivait comme si elle était une extension naturelle du guerrier.
L'homme en plate avait en tout cas sérieusement augmenté la cadence, les occasions de contre-attaquer devenant fort rares pour l'Espagnol et ce malgré les conseils avisés d'Amalthée.
- Fais attention, il va se fendre... Non, c'est  une fausse ouverture... Mets-toi en garde de sixte et laisse venir... Attention il va attaquer, tente un dégagement ! Raté, mets-toi en octave… Attention à sa pose, passe en septime… Tente une ballestra suivie d’une flèche… Attention à la riposte, dégage-toi ! Bien, passe en prime à présent et méfie-toi, je pense qu’il va tenter un coupé…
Les instructions se suivaient à un rythme quasiment continu et, si certaines auraient été facultatives puisque le chevalier d'or aurait choisi la même option seul, la plupart du temps elles se révélaient précieuses. Le seul avantage de Shura demeurait toujours le fait qu'il était doublement armé d'Excalibur là où son adversaire escrimait d'une seule arme.
Il avait ainsi eu une poignée de créneaux pour attaquer, certains ayant même débouché sur une touche. Cependant les facultés de régénération que conférait son épée à Ogier avaient tôt fait d'effacer toute trace de ses rares assauts fructueux.
- Je dois détruire cette arme, je n'arriverai à rien sinon ! pensa le chevalier à l'intention de son maître.
- Pense d'abord à éviter cette botte ! répliqua cette dernière.
- Pfff... Ce n'est pas passé loin.
- Attention, il revient !
Une nouvelle attaque composée laissa une rayure profonde sur l'armure d'or juste au-dessous du cœur, une autre ajouta une plaie au bras droit et une dernière traça du bout de la pointe une ligne rouge sur la joue droite de Shura. Arc-bouté sur sa garde et sentant qu'il était sur le point de céder, l'Espagnol envoya une série rapide de coups avec Excalibur afin de créer un véritable mur le temps de reprendre ses distances.
Néanmoins, Ogier se glissa entre les coups comme un poisson et continua à imposer sa pression, forçant de nouveau son jeune adversaire à reculer.
- Je suis trop sur la défensive, et comme je suis suspendu à vos ordres j'ai un léger temps de retard, et je n'ai même pas le temps de réfléchir à mettre en place une stratégie pour briser sa lame !
- Tu n'as pas d'autre choix que de rester prudent ! Il faut que tu tiennes encore un peu !
- Tenir ? Je ne pourrais pas tenir éternellement et je ne guéris pas instantanément comme lui !
- Non, attends...
Le chevalier d'or repoussa les pensées de son maître à la périphérie des siennes pour avoir les idées totalement claires avant de reprendre l'initiative. Il n'était certain que d'une chose : s'il devait gagner ce combat, il le gagnerait vite et en prenant un risque probablement déraisonnable.
Il continua tout d'abord à parer les assauts adverses, guettant l'attaque qui lui entrouvrirait la porte.
Il ne chercha cette opportunité que quelques secondes, puis contre-attaqua non pas sur une botte adverse qu'il était capable de parer, mais sur une botte qui ne le tuerait pas sur le coup en le touchant.
Le coup d'Ogier sur lequel le chevalier d'or reprit l'initiative était une manœuvre déjà utilisée par le guerrier en plates précédemment : une fente d'ordinaire effectuée avec une rapière, où Ogier imprimait un mouvement de poignet similaire à celui d'un pécheur avec sa canne et si violent que la lame se déformait légèrement pour contourner la garde adverse.
Le Capricorne se projeta brusquement vers l'avant au milieu de la fente. Il n'effleura qu'à peine Joyeuse avec son bras doit, la déviant juste suffisamment pour qu'elle le touche au flanc droit et non au poumon. Il frappa alors avec chacun de ses bras tandis que la pointe de l'épée transperçait l'armure d'or et sa chair, allant finalement buter contre la protection du dos.
Ogier eut le mérite de réagir vite et esquiva l'Excalibur portée avec le bras droit, mais pas l'autre qui l'atteint à l'épaule, et transperça les plates pour infliger une vilaine blessure. Shura enchaîna rapidement avec deux autres assauts, dont un toucha la jambe droite de son ennemi.
Comprenant que s'il prenait le temps de faire tourner sa lame dans le ventre de Shura pour élargir la blessure, sa tête allait probablement rouler dans la poussière, Ogier retira la pointe des chairs adverses pour parer les coups suivants.
De son côté, l'Espagnol était bien décidé à valoriser au maximum cet avantage chèrement acquis : sa blessure était profonde et il ne faudrait pas longtemps pour que la perte de sang ne fasse décroître sa lucidité.
Sachant le temps compté, il attaqua avec rage et une violence décuplée. Ogier recula sous ces coups de boutoir, ses blessures l'empêchant en outre de se mouvoir avec son aisance ordinaire, si bien que Shura le toucha encore à de multiples reprises. Néanmoins, passé le déséquilibre initial, le bretteur reprit petit à petit pied, tout en se limitant à une stricte défense.
Les blessures que lui infligeaient Shura se firent de moins en moins nettes, le Capricorne tranchant souvent les plates, et plus la chair.
Pire, au fur et à mesure que l'armure de son adversaire tombait en morceaux sur le sol, l'Espagnol pouvait constater de visu la vitesse avec laquelle les plaies d'Ogier se refermaient.
- Bientôt il aura assez récupéré pour repasser à l'assaut alors que ma vue commence à se troubler ! s'alarma le Capricorne, sans toutefois paniquer.
- Remets-toi en position défensive, il est encore temps !
Shura fut presque surpris par l'intervention de son maître qu'il avait quasiment oublié dans le feu de l'action.
- Non. Peut-être aurais-je dû suivre vos conseils tout à l'heure, cependant il est trop tard à présent pour reculer. Ca passe ou ça casse !
- Tu ne comprends pas, je...
Shura ferma cette fois-ci définitivement son esprit à Amalthée.
Ce qu'il craignait se produisit alors, Ogier tentant une contre-attaque que le Capricorne para néanmoins facilement.
- Votre tentative était hardie mais par trop inconsidérée, dit le bretteur en préparant une nouvelle botte.
Ce n'était que le début, il fallait donc à Shura aller chercher la victoire maintenant. Il chargea ses bras de toute la puissance d'Excalibur, se préparant pour le dernier assaut. C'était le moment de vérité, celui où il prouverait définitivement qu'il était digne de son statut de chevalier d'or : la force et l'honneur ou la défaite et l'oubli.
Tout son cosmos, tout son être étaient concentré dans ses mains et, abandonnant délibérément toute défense, il se jeta sur son adversaire avec ses bras croisés devant lui. Ogier comprit le danger et ne tenta pas de contre-attaque, malgré l'ouverture béante dans la garde de Shura. Ce dernier commença à lancer une attaque croisée que l'homme en plates para promptement en pleine amorce avec son épée.
Le choc fut violent, Joyeuse bloquant les deux bras encore en croix de l'Espagnol, sans qu'aucun des deux adversaires ne bronchât malgré tout.
- Contemple la puissance d'Excalibur ! hurla le chevalier d'or.
Son cosmos explosa tandis qu'il libérait tout ce qu'il avait en lui et forçait son adversaire à reculer. Ses bras coulissèrent sur la lame, lui permettant de finir son mouvement d'attaque et lâchant le foudre de sa technique. Une faille commença à se former sur la lame au niveau du point où les deux bras avaient été bloqués nets, qui se creusa petit à petit. Finalement, lorsque Shura eut terminé son mouvement et que ses bras se retrouvèrent dirigés vers le sol, Joyeuse se brisa en deux morceaux à peu près à la moitié de sa longueur.
L'épée avait absorbé la plus grande part de la puissance d'Excalibur, si bien que même si l'attaque croisée toucha Ogier, elle ne fit guère plus que finir de détruire les plates.
Emporté par son élan et commençant à perdre sa lucidité à cause de la perte de sang, le Capricorne faillit percuter son adversaire qui se dégagea néanmoins au dernier moment et ils se croisèrent sans se toucher, se retrouvant de dos l'un par rapport à l'autre à quelques mètres de distance.
- J'ai réussi ! lâcha Shura. Sans votre épée, vous ne pourrez plus vous régénérer !
- Tu as effectivement brisé mon arme, un exploit admirable et une démonstration de force dont je ne t'aurais pas cru capable... Mais tu as perdu, répliqua Ogier.
Le chevalier d'or se rendit soudain compte qu'il avait mal... Partout.
Il voulut se retourner et se remettre en garde, mais se faisant il ouvrit grand les plaies de blessures qu'il n'avait pas réalisé avoir reçues.
Les tendons de ses chevilles ainsi que ceux de ses genoux, de ses coudes et de ses épaules avaient été tranchés net. Il s'affala à terre comme un pantin désarticulé, incapable du moindre mouvement avec ses membres.
- Comment ? Quand ? parvint-il à articuler malgré la douleur.
- Tu n'as plus pensé à ta défense à partir du moment où tu as lancé ton attaqué, répondit Ogier en se retournant pour regarder son adversaire allongé. Tu as certes brisé mon épée, cependant une lame même cassée reste tranchante et dangereuse. Quand tu as terminé ton mouvement, et puis lorsque nous nous sommes croisés, je n'avais peut-être plus qu'une moitié d'épée en main, mais j'étais derrière ta garde et ai pu frapper à loisir.
Les yeux de Shura se posèrent sur l'arme pourtant brisée nette, et malgré tout à présent recouverte de son sang.
- Pourquoi avoir frappé mes membres et ne pas m'avoir tranché la gorge ?
- Car je te respecte et ne voulais pas que tu ailles dans l'autre monde sans comprendre l'erreur que tu avais commise.
Le Capricorne réfléchit à une solution, pour n'en trouver finalement aucune.
- Je reconnais votre force, cela a été un honneur d'être votre adversaire, dit-il finalement. Finissons-en, maintenant.
- A ta guise, je me souviendrai de ton nom, Shura du Capricorne.
Ogier fit tourner ce qu'il restait de Joyeuse dans ses mains de façon à orienter le tranchant vers le sol, et se prépara à porter le coup de grâce. Les yeux de Shura ne se détournèrent pas, même quand la lame commença à s'abattre sur lui, visant le cœur. Le Capricorne réalisa alors qu'à part son maître, il n'avait aucun être cher vers qui tourner ses pensées en cet ultime instant, et c'est donc à Amalthée qu'il consacra son dernier remerciement.
- Ne t'inquiète pas, tu auras d'autres occasions de me remercier ! dit soudain l'ancien chevalier d'or.
L'épée brisée fut bloquée moins de dix centimètres avant de prendre la vie de l'Espagnol, puis Ogier dut bondir sur le côté pour éviter la foudre d'Excalibur.
- Amalthée ?! cria le bretteur après s'être réceptionné.
- Maître ? ajouta Shura.
Amalthée, ancien chevalier du Capricorne, se tenait bel et bien entre son élève et son adversaire. L'âge avait encore rajouté quelques fines rides sur son visage, sa musculature surdéveloppée au temps de son service au Sanctuaire était à présent revenue à la normale d'une femme de son âge, mais elle paraissait en pleine forme, enveloppée par un cosmos d'une vigueur impressionnante. Ses cheveux, plus longs que Shura ne les avait jamais connus, étaient noués en une longue tresse qui descendait en dessous de ses fesses.
- Co... Comment ? fit le garçon.
- J'ai décidé de te rejoindre au moment où j'ai ressenti que tu combattais Ogier, toutefois je ne te l'ai pas dit pour que tu restes concentré. J'ai fait aussi vite que j'ai pu, me déplaçant sur presque la moitié du monde en fendant l'air devant moi avec Excalibur pour ne pas être brûlée vive par les frottements.
Ogier la regardait avec un sourire.
- C'est toujours un plaisir de te voir, Amalthée. Néanmoins, j'aurais préféré que mes retrouvailles avec mon élève favorite se passent en d'autres circonstances. Tu comptes réellement m'affronter ?
- J'avoue que je comptais que nous réglions ton cas à deux. Malheureusement, comme mon apprenti a préféré ne pas m'écouter, je vais devoir m'en charger seule. Au moins ne pourras-tu pas compter sur Joyeuse.
- Effectivement, constata le guerrier en jetant sa lame brisée.
Il commença à porter la main à l'épée enveloppée dans du tissu qui était toujours attachée sur son dos, puis hésita avant de se raviser et de finalement dégainer l'épée courte et le poignard qu'il portait à la ceinture.
- Professeur, comment peut-il avoir été votre maître d'armes ? demanda Shura. Il n'a même pas la moitié de votre âge.
- Passé un temps, j'ai dû veiller sur une certaine coupe, répondit Ogier. En boire de l'eau a... considérablement augmenté ma longévité. Amalthée, tu sais que je ne ferai preuve d'aucune pitié. Me combattre ainsi, sans armure, relève du suicide.
- Cela peut s'arranger ! répliqua Shura.
L'armure d'or commença à briller puis, dans une explosion de lumière, quitta le jeune chevalier. Les pièces volèrent autour du corps de leur ancienne propriétaire en produisant une musique, comme si elles exprimaient leur contentement de ses retrouvailles, avant de la recouvrir.
Bien que globalement similaire à ce qu'elle était sur Shura, la protection dorée avait toutefois subi quelques changements. Outre l'adaptation morphologique à la taille et à la silhouette élancée d'Amalthée, le plastron s'était déformé de façon à épouser la forme de sa poitrine. Le plus gros changement concernait toutefois le casque. Tout le métal protégeant l'arrière du crâne de la guerrière semblait en effet avoir transité vers son visage, formant un masque doré finement ciselé et riche de détails.
- Voici donc que, pour une dernière fois, Amalthée chevalier d'or du Capricorne reprend le chemin de la guerre, dit-elle. Quand j'ai quitté le Sanctuaire, voilà presque trente ans, je ne pensais pas que ce jour viendrait. Ogier, tu sais qu'il ne pourra pas y avoir de match nul entre nous.
- Qu'il en soit ainsi, répondit  son adversaire.
D’un seul mouvement de bras, Amalthée trancha sa longue chevelure pour que celle-ci ne la gêne pas, puis se mit en garde.

*          *          *          *          *          *          *          *          *

Inanna regarda une dernière fois derrière elle, son instinct lui disant que c'était la dernière fois qu'elle La verrait.
Elle était assise en tailleur au milieu de son temple rudimentaire faiblement éclairé par deux braseros, les uniques ornementations étant des peintures rupestres probablement préhistoriques et des cercles et pictogrammes dessinés sur le sol, à même la roche.
Comme toujours, Elle irradiait d’une présence extraordinaire.
Les signes cabalistiques blancs peints sur sa peau sombre semblaient presque vivants et sa longue chevelure tressée qui constituait son seul vêtement, à part son pagne, était resplendissante de beauté.
Inanna n'arrivait pas à se résoudre à partir maintenant, à L'abandonner.
- Je sens que l'un d'entre eux est tout près d'ici... essaya-t-elle une dernière fois.
- Je sais. Mais cela ne te concerne pas. La tâche que je t'ai confiée est infiniment plus importante.
- Mais... Je ne suis même pas sûre de bien la comprendre.
- La compréhension viendra plus vite que tu ne le penses. Pars, maintenant.
L'héritière Ereshkigal s'exécuta, s'élançant dans une galerie qui la ramènerait rapidement à la surface.
- Oui, tu comprendras très vite, ajouta-t-Elle une fois seule.
Après avoir ajusté une tresse qui lui tombait devant les yeux, Elle dilata son champ de conscience pour localiser un de ses plus anciens fidèles vivants. Elle le trouva rapidement en Allemagne.
- Rudy ?
- Oui, Mère ?
- Es-tu bien remis de tes blessures ?
- Cela va mieux, oui.
- J'en suis heureuse.
- Mais j'ai mis trop longtemps à me remettre sur pied. Hanpa et Talos sont tombés alors que j'aurais pu les aider. Je vais aller prêter main forte au chevalier déchu. Peut-être puis-je encore sauver Talos également.
- Non, il y a plus urgent. Je pense que des chevaliers du Sanctuaire ont retrouvé notre vieil ami. Tu dois aller en Egypte. Le temps me manque, j'inscris les détails dans ton cerveau. Mais n'oublie pas : c'est sans doute l'occasion que nous attendions.
- Le temps vous manque ? Pourquoi, que se passe...
Elle interrompit la communication brutalement. Le chevalier était tout près, à peine à quelques dizaines de mètres. Elle entendait ses bruits de pas résonner, tandis qu'il avançait dans la galerie opposée à celle qu'Inanna avait emprunté un peu plus tôt. Quelques secondes à peine s'écoulèrent avant qu'il ne pénètre dans le temple en écartant la fine tenture qui en marquait l'entrée.
Le sang couvrait tellement son armure qu'il était difficile de se rendre compte qu'elle était dorée, comme si le métal voulait cacher sa honte sous la souillure. Combien avait-il donc tué de pèlerins avant d'arriver jusqu'ici ?
Il s’arrêta finalement à moins de dix mètres d’Elle.
- Tu sais, j’ai croisé beaucoup d’hommes emplis de rage et de haine au cours de mon existence, et je te prie de croire qu’elle a été plutôt longue, mais tu demeures exceptionnel. Je n’ai que rarement vu la folie suinter de cette manière de quelqu’un.
Deathmask se contenta d’abord de sourire et d’observer les peintures et les signes gravés dans la pierre. S’il était impressionné par Sa présence, il n’en laissait pas paraître grand-chose.
- J’imagine que c’est vous que je dois tuer, répondit finalement le Cancer en tournant son regard vers Elle.
- « Que je dois »… N’as-tu donc aucun choix en la matière ?
- Pas vraiment. Vous êtes en quelques sorte ma porte de sortie pour me faire pardonner quelques… écarts de conduite. Du genre sanglant.
- Je crois en avoir entendu parler, malheureusement. Me tuer serait donc le moyen de faire oublier d’autres meurtres ? Mon sang aurait-il la vertu de nettoyer celui des autres ?
- Disons plutôt que quelqu’un pense que si je tue trop souvent, quand il ne me le demande pas, et que je ne suis pas assez efficace, quand il me le demande, je perds un peu trop mon intérêt. On veut s’assurer que la laisse n’est pas trop lâche.
- Réalises-tu à quel point l’existence que tu mènes est misérable ?
- Ouais… Pourtant, misérable ou pas, elle vaudra bientôt plus que la vôtre.
Le temps de ce qui pouvait passer pour de la discussion polie de la part de l’Italien était révolu.
Il se mit à marcher vers elle, décidé à remplir sa tâche sans plus attendre. Elle ne bougea pas, se contentant de déployer dans le temple un cosmos comme il n’en avait jamais connu, d’une puissance presque infinie et d’une sérénité absolue. Deathmask s’arrêta, visiblement surpris et décontenancé par les émotions et sensations que faisait naître en lui l’aura bienveillante de Celle qu’il devait tuer.
- Qu’est-ce que… ? Qu’êtes-vous en train d’essayer de me faire ?
- Comme je te l’ai dit, j’ai rencontré beaucoup d’hommes maléfiques au cours de ma longue existence. Certains avant toi étaient déjà venus me trouver avec l’intention de me tuer. Pourtant, une fois face à moi, aucun n’a jamais pu passer à l’acte.
- Quel est ce sentiment qui m’envahit… Est-ce… la paix ?
- Cela change en fonction des gens qui me rencontrent. Chacun perçoit en moi la solution à ces problèmes, ou bien ce que pourrait devenir sa vie s’il décidait d’en changer le cours. Et, effectivement, il est fréquent que les êtres aux âmes tourmentées tels que toi éprouvent une sensation de félicité.
Le chevalier d’or tomba à genoux, les bras ballants. Il avait soudainement et inexplicablement envie de pleurer. L’idée même de lever la main sur Elle lui semblait insupportable. Il avait l’impression que cela reviendrait à se frapper lui-même, ou à frapper sa propre mère qu’il n’avait pourtant jamais connue. Pire, La tuer serait comme tuer Sonya une deuxième fois. Ce dernier sentiment se faisait d’ailleurs de plus en plus fort, il lui semblait même que Ses traits commençaient à ressembler de plus en plus à ceux de la femme de Praesepe.
- Comment… Comment me faites-Vous ça ? Vous me volez mes souvenirs pour les retourner contre moi ?
- A vrai dire, je ne fais pas grand-chose, répondit-Elle en se levant. Chacun me perçoit de façon différente et essaye de rationaliser les émotions causées par ma présence. Si je fais naître en toi un grand bonheur, un bonheur tellement immense que ton esprit n’arrive pas à le concevoir ou à l’interpréter correctement, ce dernier essaiera de s’accrocher à un souvenir plus ancien et familier. J’imagine donc que tu me vois comme un être cher à ton cœur ?
- Personne n’est cher à mon cœur.
- Ne sois pas ridicule. Nous voyons bien tous les deux que c’est faux.
Elle marcha jusqu’à lui et posa ses mains sur ses épaules.
- Tu découvres pour la première fois des émotions que tu pensais inaccessibles. Tu comprends qu’une autre vie serait possible.
- Une autre vie ? Alors, Vous voulez dire que vous pourriez m’offrir cela… tout le temps ?
- Non, je ne peux rien offrir. Rien de plus qu’un paradis artificiel en tout cas. Ce que tu ressens maintenant… toi seul peux te l’offrir. C’est ton choix.
- Ce choix, je l’ai déjà fait. Je suis peut-être plus humain que je ne le pensais… mais je le suis moins que Vous ne le pensez.
Le poing du chevalier d’or fila à la vitesse de la lumière, transperçant le sein gauche et le cœur de sa victime. Des larmes se mirent à couler à flots sur le visage de l’Italien, mais il se leva tout de même et frappa une deuxième fois au même endroit, réduisant le cœur en bouillie.
- Surprise, espèce de sorcière ? parvint-il à articuler entre deux sanglots. Tes illusions n’ont pas prise sur moi !
- Non, je ne suis pas surprise. Il n’existait sans doute aucun moyen de te faire dévier du chemin qui t’a mené à cet instant. Il ne s’agissait pas d’illusions, répondit-Elle d’une voix toujours aussi sereine. Un jour tu le comprendras. Mais d’ici-là j’ai bien peur qu’il ne te faille tomber encore plus bas que tu ne l’es déjà.
- Quoi ?
- Je pleure sincèrement sur ton sort, dit-Elle avant de s’écrouler.
Son cosmos à la puissance incommensurable s’évanouit presque totalement, seule une énergie rémanente, résiduelle, persistant.
Il la regarda un instant, hébété. A l’état de plénitude,dans lequel il avait été plongé, succédait un sentiment de vide. Il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre totalement le contrôle de ses émotions. Même dans la mort, Elle n’avait pas perdu sa prestance surnaturelle. Il se demandait qui Elle était et s’il s’agissait véritablement d’une déesse. Son cosmos incommensurable pouvait le laisser penser, cependant Elle avait semblé aussi vulnérable qu’une mortelle. A moins qu’Elle ne se soit laissée tuer, comme ses dernières paroles le suggéraient. Deathmask savait qu’il n’aurait probablement jamais les réponses à ses questions. Non pas qu’elles l’intéressaient fondamentalement, mais il aurait aimé savoir à quel point l’acte qu’il venait de commettre pouvait être considéré comme sacrilège.
- Pff… Vieille folle.
Il l’abandonna là et partit sans se retourner, toujours en proie à cette sensation de vide, même si elle commençait à se diluer. Ce qu’il ignorait et ne pouvait soupçonner c’était que ce sentiment avait frappé simultanément l’intégralité de l’humanité à des degrés divers.
Certains n’avaient ressenti qu’une gêne passagère, d’autres avaient été pris de vertiges, d’autres encore avaient eu une brève sueur froide.
Certains enfin, les moins nombreux mais aussi les plus sensibles, éprouvaient un sentiment de perte irrémédiable, comme si un être cher leur avait été brutalement arraché. Ceux-là mirent longtemps à se remettre de ce malaise, certains allant même jusqu’à s’assurer un par un qu’aucun de leurs proches n’avait eu d’incident.
Presque un demi hémisphère plus loin, Mardouk et Aioros cessèrent soudainement leur combat. Ils se regardèrent et comprirent que l’un comme l’autre percevaient la même chose.
- Qu’est-ce que… ? fit Aioros.
- C’est Elle… Vous L’avez tuée !
Jamais encore le Sagittaire n’avait vu le Babylonien perdre son sang froid de cette façon. Le respect mutuel qu’ils se portaient semblait en cet instant bien loin, remplacé par quelque chose qui ressemblait à de la haine.
- Espèce d’animaux ! cracha Mardouk.