CHAPITRE DIX-NEUF : La dernière pièce.

 

Précédemment dans l’Emergence des Géants…

La bataille opposant le Sanctuaire au groupe mené par Mardouk est terminée.
Au Kilimandjaro, Deathmask parvient jusqu’à Elle. Il est d’abord totalement décontenancé par l’extraordinaire présence de Celle-ci, mais arrive finalement à La tuer d’un seul coup de poing en plein cœur.
En Allemagne, Akiera prend la succession de Camus et affronte Gienah qui se révèle posséder le plein potentiel d’un chevalier d’or. Gienah prend l'avantage, laissant pour seule alternative à Akiera d'envoyer son adversaire dans une dimension où le temps s'écoule plus lentement, afin de l'empêcher de prendre part à la suite de la bataille. L'androgyne parvient à accomplir son plan, mais, alors qu'il tente de se mettre à l'abri du End of Entropy de Gienah en se réfugiant dans une autre réalité, il est frappé par l'attaque qui l'anéantit.
Au Sanctuaire, les envahisseurs parviennent à progresser jusqu'à la maison du Scorpion où se déroule une terrible bataille rangée. Le combat s'achève lorsque Saga vient se joindre à la bataille et convainc finalement Quetzalcoatl de renoncer à un combat perdu.
Pendant ce temps, les chevaliers Jason de la Carène et Stellio du Lézard, qui ont joint leurs forces aux Premiers, affrontent le dieu Janus. Stellio tue finalement lui-même Jason afin de s'approprier sa force et être de taille face au dieu. Il est néanmoins vaincu par Janus, qui sort gravement blessé de l'affrontement et part se régénérer auprès de son mystérieux maître. Rudy, qui a assisté à l'affrontement, le suit.
A la tour des spectres, Dohko arrive à vaincre Sophia pendant qu'Aioros affronte Mardouk. Le Sagittaire parvient à expédier dans une autre dimension la mystérieuse Boîte de Pandore que le Babylonien comptait utiliser pour attaquer l'Olympe. Mardouk ne renonce cependant pas au combat, et Aioros est contraint à regret de l'éliminer. Ogier décide alors d'arrêter le combat, ne souhaitant pas tuer Amalthée ou Shura pour une cause perdue.
Inanna surgit ensuite et commence à utiliser une technique semblant arracher l'âme d'Aioros à son corps. Deathmask fait alors lui aussi son entrée, pendant que le Sagittaire est transporté en un lieu inconnu où Elle l'attend.

Quelque part…

Aioros n'avait qu'une expérience très limitée des voyages dans d'autres dimensions. Il avait certes déjà eu l'occasion d'effectuer quelques escapades hors de sa réalité de naissance avec Saga, mais elles avaient été peu nombreuses et brèves, même si cela ne l'avait pas empêché de les apprécier.
L'aspect souvent étrange et défiant le sens commun de ces mondes l'avait intrigué et marqué.
C'est pourquoi, alors qu'il venait d'être transporté avec Inanna dans une nouvelle dimension, son premier réflexe avait été d'observer les lieux en quête de bizarreries. Il ne fut pas déçu.
Ils se trouvaient tous les deux sur une plateforme triangulaire bleue argentée, qui devait faire une vingtaine de mètres carrés et qui flottait dans les airs, perdue au milieu de centaines voire de milliers d'objets similaires. La scène était éclairée par une étoile comme le chevalier du Sagittaire n'en avait jamais vu : rouge et de forme triangulaire, qui de plus tournait très rapidement sur elle-même.
Une plate-forme rectangulaire bien plus vaste que les autres se trouvait environ mille mètres en dessous d'eux. De leur position surplombante, il pouvait la voir presque en globalité.
Sa surface était quasiment entièrement vierge de toute aspérité, mais, contrairement aux autres plates-formes plus petites, des reliefs plus ou moins accentués venaient rompre la monotonie. Plus particulièrement, ce qui ressemblait à un temple occupait le centre du gigantesque rectangle.
Aioros se détourna avec peine du paysage pour regarder Inanna. Il n'était pas encore totalement habitué à la nouvelle apparence de cette dernière.
A vrai dire, il n'était pas encore tout à fait habitué à la nouvelle forme de sa propre armure. L'armure du Sagittaire avait perdu sa teinte dorée pour un blanc pur comme la neige. Les ornementations et les finitions de la protection avaient également légèrement évolué vers un style extrêmement sobre, lui donnant plus une allure de seconde peau épousant parfaitement son corps que de cuirasse métallique. Les ailes de la protection, qui semblaient presque organiques et dont les plumes avaient l’apparence de véritables plumes d’oiseau, présentaient également une envergure supérieure à auparavant.
Inanna, quant à elle, paraissait plus grande, plus puissante, les ailes de son armure étaient à présent de véritables ailes de chauve-souris et ses pieds dotés de serres. Même les traits de son visage avaient changé, à la fois plus beaux et plus durs. Surtout, quand elle se tourna vers lui, il eut du mal à soutenir son regard désormais vert turquoise sur fond noir.
- Je suppose, que notre objectif est ce temple, dit Aioros.
- Effectivement, répondit une voix qui n'était pas celle de l'héritière d'Ereshkigal, mais celle de Rudy qui venait d'apparaître à leurs côtés.
Aioros n'esquissa pas le moindre geste, comme s'il avait senti son arrivée quelques fractions de seconde avant qu'elle ne se produise.
- Contente de te revoir, dit Inanna à son compagnon.
- Même si ton apparence et sa présence ici signifient certainement que nous avons perdu cette guerre stupide, répondit le vieil Allemand.
Elle hocha la tête pour toute réponse. Rudy braqua alors son regard sur le Sagittaire.
- Et vous, je suppose que vous L'avez rencontrée.
- Oui.

Plus tôt...

- Assieds-toi, je t'en prie. Notre discussion risque de durer un peu.
Aioros La regarda un instant et considéra l'homme à tête de lion et l’homme tatoué, avant d'accepter Sa proposition et de s'asseoir en tailleur juste en face d'Elle. Après tout, il avait toujours l'impression d'être en train de rêver, quel risque prenait-il si cela était bel et bien le cas ?
Le chevalier d'or était en tout cas stupéfait par le cosmos et l'aura qui se dégageaient de Son interlocutrice. Il ne faisait guère de doute qu'il était en présence d'une authentique divinité.
- Qui êtes-Vous ? demanda-t-il lorsqu'il fut bien installé.
- En as-tu une idée ?
- Pas vraiment. Le chevalier de la Balance m'a fait part de certaines de ses hypothèses, mais lui-même était très indécis. Je ne sais rien de Vous qui me permettrait de trancher. La seule chose qui semble clair est que Vous veillez sur l'humanité depuis très longtemps, probablement les temps préhistoriques.
- Depuis un peu plus longtemps que cela en fait. Mon essence profonde transcende le temps. Je suis immatérielle et n'ai pour ainsi dire pas de début et n'aurai jamais de fin. J'ai en revanche habité pendant plusieurs dizaines de milliers d'années le corps de la première femme à avoir atteint par ses propres moyens un niveau de conscience supérieur et avoir perçu mon existence. C'est avec son apparence que j'ai été connue et ai traversé la plus grande partie de l'histoire humaine. C'est cette apparence que j'ai encore devant toi en ce moment même, bien que cette enveloppe de chair soit à présent retournée à la poussière.
- Pourquoi m'apparaissez-Vous ainsi alors ? Voulez-Vous me cacher Votre véritable apparence ?
- Je veux t'en préserver, à vrai dire. Ma vision sous ma forme véritable n'est pas une expérience aisée.
- Ecoutez, je ne sais pas encore pourquoi Vous m'avez amené jusqu'ici, mais comme ce n'est apparemment pas pour me tuer, j'imagine qu'à la fin de cette discussion Vous espérez que je Vous aiderai d'une manière ou d'une autre. Peut-être pourriez-Vous commencer par ne rien me cacher ?
- A ta guise.
L'apparence de la femme sembla alors s'estomper pour se transformer en une simple silhouette blanche faite de pure énergie. Bien qu'Elle fut dès lors dépourvue de traits humains, Aioros eut soudain l'impression de La reconnaître. Il vit un nouveau visage émerger de la lumière et distingua avec stupéfaction celui de son père.
- Papa ? demanda-t-il alors que les larmes lui venaient aux yeux.
Cela ne dura cependant qu'une fraction de seconde, et le chevalier sembla ensuite percevoir sa mère puis son frère. Le phénomène accéléra alors, les visages s'estompant et se renouvelant de plus en plus vite. Amis et êtres chers à Aioros, vivants ou disparus, se succédaient à un rythme toujours plus rapide, mélangés à des visages totalement inconnus. Il lui sembla même discerner ses propres traits.
Les larmes du chevalier coulaient abondamment, totalement incontrôlées. Il tremblait et n'arrivait à conserver ni la moindre contenance, ni le contrôle de ses émotions.
- Je Vous en prie, arrêtez... finit-il par murmurer en se cachant les yeux.
Et cela s'arrêta instantanément. Il lui fallut un moment pour oser la regarder à nouveau et constater qu'elle avait repris son apparence initiale.
- C'est comme... comme s'ils étaient... Non, comme si nous étions tous... en Vous...
- C'est le cas en un sens. Tu peux me considérer comme étant la conscience de l'agglomérat formé par toutes les pensées et âmes humaines. Je suis la somme de tout ce qu'est et a été l'humanité ainsi que de tout ce qu'elle pourrait devenir. J'existais déjà à la naissance de la première des créatures qui allaient évoluer en quelques milliards d'années en être humain. Et j'existerai encore bien après que le dernier humain n'ait rendu son dernier souffle. Pour le dire simplement, je suis l'esprit de notre espèce.

*          *          *          *          *

Aioros, Inanna et Rudy avaient commencé à descendre vers le temple, passant de plate-forme en plate-forme. Les deux premiers utilisaient leurs ailes pour planer tandis que le vieil allemand semblait flotter dans les airs par la seule force de sa volonté.
- Au-dessus de nous, hurla soudain Inanna.
Ses compagnons regardèrent dans la direction qu'elle indiquait et découvrirent une douzaine de créatures volantes qui venaient dans leur direction. Il s’agissait de chimères entre des hommes et des corbeaux, aux allures plus ou moins grotesques.
- Des Tangus, dit Rudy. Mythologie japonaise, si je ne me trompe pas.
- De telles créatures existent réellement ? interrogea Aioros.
- Il peut les rendre réelles en échange de leur servitude, dit Inanna. Il peut puiser dans notre imaginaire commun à loisir. Mais après ta rencontre avec Elle, tu devrais déjà savoir ça !
- Je suis encore en train de tout assimiler... Cela me prendra encore un peu de temps.
- Nous n'en avons guère, cela signifie qu'il sait que nous sommes là, fit Rudy en projetant une boule de feu qui carbonisa deux créatures en plein vol alors qu'elles n'étaient plus qu'à une vingtaine de mètres d'eux.
- NAMTAR AWFUL FATE ! hurla ensuite Inanna en faisant exploser son cosmos, créant à partir de celui-ci une horde de démons.
Les monstres volants furent instantanément pulvérisés par l'attaque, littéralement réduits en morceaux.
- Eh, vous auriez pu m'en laisser ! lança Aioros qui n'avait pas eu le temps d'esquisser la moindre attaque.
- Nous te laissons la prochaine vague, si tu y tiens, répliqua Inanna d'un ton cassant.
- Quelle prochaine va... commença Aioros avant de voir de quoi parlait sa compagne.
Les cieux furent soudain envahis par des centaines de créatures volantes, dont seule une petite minorité était à nouveau des Tangus. Le Sagittaire n'eut besoin de personne pour identifier la plupart des membres de ce véritable bestiaire volant.
Il reconnut plusieurs harpies, des griffons, des sirènes et ce qui ressemblait à un gigantesque dragon. Ce dernier, qui venait droit des mythes européens et non asiatiques, devait faire plus de quinze mètres de long et presque trente d'envergure.
- Vous savez quoi ? Je vous laisse les autres et je m'occupe de celui-ci, fit-il en volant droit à la rencontre du monstre titanesque.
Ce dernier vit le ridicule humain qui venait à sa rencontre et prit une grande inspiration. Le chevalier d'or ne fut pas vraiment surpris lorsque la créature cracha un déluge de flammes dans sa direction.
- INFINITY BREAK ! hurla-t-il en projetant des flèches cosmiques tourbillonnantes pour intercepter le brasier.
Néanmoins, le souffle du dragon engloutit l'Infinity Break, contraignant Aioros à esquiver au dernier moment en s'élevant droit dans les airs.
- Très bien, tu veux jouer à ça... dit Aioros lorsqu'il arrêta son ascension près de deux cent mètres au-dessus du monstre.
Un arc se matérialisa alors dans ses mains, pendant que le dragon virait pour monter dans sa direction. L'arc était plus grand que celui de la véritable armure du Sagittaire et disposait en outre d’un système de poulie augmentant la puissance de tir et donnant l’illusion qu’il avait trois cordes parallèles au lieu d'une. Trois flèches surgirent également du néant, que le Sagittaire encocha avec habileté dans l’arc qui était conçu pour cette possibilité. Enfin, les pointes des flèches étaient presque aussi longues que des épées courtes.
Aioros banda ses muscles pour armer le tir, puis, alors que le dragon lâchait un nouveau souffle enflammé dans sa direction, libéra les jets.
Les projectiles passèrent à travers les flammes sans être freinés ou déviés, avant de transpercer la gueule du monstre avant de le traverser de part en part.
Alors que le monstre s'effondrait vers le sol, une flèche se matérialisa de nouveau dans la main d'Aioros qui tira une nouvelle fois. Son jet transperça une dizaine de monstres volants, sa trajectoire se modifiant après chaque cible.
Quelques créatures tentèrent de venir dans sa direction, mais en quelques tirs et avec l'aide de ses deux compagnons, le problème fut réglé et les cieux furent à nouveau libres. Ils descendirent ensuite rapidement jusqu'à se poser à la surface de la plus grande plate-forme.
Ils se trouvaient encore à plusieurs kilomètres du temple.
- Et maintenant ? fit Aioros. S'il sait déjà que nous sommes là, ne va-t-il pas fuir ?
- Si telle est son intention, il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire pour l'en empêcher, répondit Rudy. A vrai dire, il l'aurait même sans doute déjà fait.
- Nous pouvons compter sur son arrogance, dit Inanna. Il ne nous voit certainement pas comme des menaces et nous attendra probablement bien sagement dans ce temple.
- Si nous y parvenons, fit Rudy. Ces créatures n'étaient que l'amuse-gueule... Il peut potentiellement nous envoyer des dieux.
- Je sais. Néanmoins, nous autres chevaliers d'Athéna sommes habitués à gérer ce genre de choses...

Plus tôt...

- Vous ne plaisantez pas, Vous pensez réellement ce que vous venez de me dire, dit Aioros lorsqu'il eut fini d'assimiler ce qu'Elle venait de lui révéler.
- Oui.
- Vous seriez liée à tous les esprits de tous les humains vivants, morts et même ceux non encore nés ?
- Oui. Sais-tu où nous sommes ?
La question et le brusque changement de sujet désarçonnèrent Aioros une seconde. Il n'avait a priori aucune idée de l'endroit où il se trouvait, mais le fait qu'Elle lui demande malgré tout supposait qu'il pouvait répondre.
- J'ai l'impression d'être en train de rêver, finit-il par dire.
- Et ce pour une bonne raison, nous sommes dans une des dimensions oniriques, là où les esprits des hommes viennent lorsqu'ils rêvent, là où ils peuvent potentiellement interagir. Là où je suis née.
- Vous êtes un rêve ?
- Non, mais la contrée des rêves a été mon berceau. Cet endroit est intemporel, toutes les âmes humaines y ont simultanément accès et y sont suffisamment proches les unes des autres pour permettre mon existence.
Elle désigna alors d'un geste l'homme qui se tenait derrière elle.
- Voici Alinda. Il est Aborigène. De toutes les cultures du monde, la sienne est celle qui est parvenue à la meilleure compréhension de cet endroit qu'ils ont appelé le Temps du Rêve. Dans leurs croyances, le Temps du rêve précède l’apparition de la Terre que Baiame, le premier être, a créée en la rêvant.
- Sauf que Baiame n'existe pas, ou tout du moins c'est Vous qui êtes la divinité régnant sur ce plan d'existence.
- Non, je ne me considère pas comme une déesse, et encore moins comme celle du Temps du Rêve. L'humanité toute entière l'est. Certains humains parviennent à découvrir les lois de cette contrée, à la parcourir à leur guise et y sont à peine moins puissants que moi. Alinda est l'un de ceux-là. C'est ainsi qu'il a pu préparer la Boîte de Pandore pour Mardouk.
- La Boîte a été remplie ici ? Avec quoi ?
- Tu le sauras bientôt. Mais comprends qu'en ce lieu, tous les rêves de chaque être humain sont réels. Tous les secrets cachés au plus profond des inconscients prennent corps et les croyances superstitieuses ont autant, sinon plus, de tangibilité que les faits rationnels.
Elle marqua une nouvelle pause, laissant à Aioros le temps de comprendre ce qu'elle venait de dire.
- Mais alors... commença-t-il avant de s'interrompre.
Il hésita quelques secondes avant de poursuivre.
- Vous dites que Vous êtes née ici à cause de la proximité de toutes les pensées humaines. Cela Vous a permis d'acquérir une existence dans le monde réel. Alors... Si une croyance est partagée par un grand nombre d'êtres humains et que leurs pensées convergent dans le Temps du Rêve , cette croyance ne risque-t-elle pas elle aussi de passer la barrière séparant le monde onirique du monde réel ?
Elle sourit, puis se tourna vers l'homme à tête de lion et Alinda.
- Mardouk n'avait pas menti à son propos.
Ils hochèrent la tête, conservant comme depuis le début le silence.
 Tu as tout fait raison, reprit-Elle. J'imagine que ce qui te trouble est que tu as un groupe très particulier de ces croyances en tête, non ?
- Les dieux...
- Oui, les dieux sont nés ici. Et le tout premier d'entre eux est d'ailleurs avec nous, ajouta-t-elle en désignant l'homme à tête de lion.

*          *          *          *          *

Ils progressaient rapidement vers le temple, leur avancée n'étant que ponctuellement freinée par des monstres extraits de divers contes.
Inanna faisait le plus gros, sa puissance nouvelle ne manquant pas d'impressionner Aioros qui ne faisait généralement que finir le travail. Rudy, qui n'avait pas la même endurance que ses compagnons, laissait ces derniers se charger des basses besognes pour économiser ses forces.
Le prochain obstacle les contraint malgré tout à ralentir avant même qu'il ne l'ait atteint. Une ligne de silhouettes innombrables se dressait entre eux et le temple. Plus ils s'en rapprochaient, plus ils distinguaient clairement ce qui les attendait.
Des démons Asura et Râkshasa, issus des mythes hindous, des monstres et créatures grotesques surgis du Livre des Morts égyptien, des incubes et succubes provenant de la démonologie chrétienne… Toutes les créatures incarnant les craintes des mortels semblaient se dresser face à eux.
- Dommage que Khamakhya ne soit pas avec nous, lança Inanna. Face à autant de démons, elle s'en serait donnée à cœur joie.
La ligne commença à avancer vers eux si bien qu'ils s'arrêtèrent pour l'attendre. Les démons se déployèrent alors en un grand cercle autour d'eux, prêt à se lancer à l'assaut.
- Restons près les uns des autres et couvrons nos arrières, cela ne va pas être facile, dit Rudy. Certains de ces monstres ont donné du fil à retordre à des dieux...
Ses compagnons acquiescèrent, puis ils se placèrent en triangle au moment où les créatures les chargèrent.
Aioros utilisa l'Infinity Break et Inanna le Namtar Awful Fate tandis que leur aîné projetait des éclairs d'énergie du bout de ses doigts. Ces trois assauts combinés couvraient presque trois cent soixante degrés et parvinrent à creuser de franches taillées dans les rangs des assaillants. Néanmoins, plusieurs démons purent esquiver les attaques et parvenir au contact.
Les trois compagnons tentèrent de rester en position, mais les démons arrivèrent à coordonner suffisamment leurs offensives pour les contraindre à s'éloigner les uns des autres.
Le Sagittaire lâchait tous ses coups, tentant d'abattre un adversaire à chaque fois pour ne pas prendre le risque de plier sous le nombre. C'est alors qu'un démon plus impressionnant que les autres vint à sa rencontre.
Doté de dix têtes et vingt bras, il était d’une corpulence presque impossible.
Le monstre leva un sabre démesuré, qu’il maniait avec quatre bras et qui n’était que l’une de ses nombreuses armes, et l'abattit sur Aioros qui le bloqua entre ses paumes quelques centimètres au-dessus de sa tête. Il enflamma son cosmos, brisa net la lame d'une simple torsion, puis se lança sur le démon en libérant son énergie à bout portant.
- INFINITY BREAK ! lâcha le chevalier dont le coup souleva du sol son adversaire en faisant voler son armure en morceaux.
Pourtant, le démon se rétablit en l'air avec une agilité surprenante pour sa stature, et atterrit sur ses pieds, comme si l'attaque ne lui avait presque rien fait. Il fit alors un vilain sourire à un Aioros plutôt circonspect.
- Je suis Râvanna, dit-il d'une voix grave tandis que le sabre brisé se reconstituait et s'enflammait. Il a fallu que Shiva lui-même s'incarne en Râma pour me terrasser.
Trois autres démons se jetèrent à ce moment-là sur Aioros, mais Râvanna les trancha en deux d'un seul coup de son arme.
- Tu es à moi, mortel !
Pour appuyer ses paroles, il pointa son sabre sur le chevalier, puis un jet d'énergie surgit de la lame. Aioros intercepta la projection dans la paume de sa main droite, où l'énergie commença à se concentrer sous la forme d'une sphère bleutée.
- INFINITY BREAK ! hurla le Grec en déclenchant à nouveau son coup renforcé par la puissance adverse.
L'attaque frappa Râvanna en plein torse, pourtant ce dernier éclata de rire et se mit à avancer malgré les flèches cosmiques qui le percutaient.
Aioros grimaça devant l'inefficacité de sa technique, puis intensifia son cosmos à un niveau supérieur.
- LE PAS AGILE D'ACHILLE ! cria-t-il alors que le sabre de Râvanna filait vers son coup.
Ses jambes se mirent à briller tandis qu'il esquivait la lame à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Il concentra ses forces dans son poing droit et décida d'avoir recours à la technique de son oncle, Diomède.
- PAR LA CHARGE AILEE !
La vague de puissance concentrée lâchée à une vitesse impossible visait le cou du démon afin de le briser net. Néanmoins celui-ci évita le coup d'un simple mouvement de tête, et saisit le poignet d'Aioros au vol. Râvanna porta un violent coup de front à Aioros avec l’un de ses nombreux crânes, mais l'armure de celui-ci réagit instantanément en s'adaptant à l'assaut : une partie de la protection du torse coula comme du métal liquide vers le visage du chevalier pour former un casque intégral.
Le coup de tête rebondit avec un bruit métallique sur la nouvelle protection et le démon laissa échapper un râle de rage.
Il souleva le chevalier dans les airs avec cinq bras avant de l'écraser violemment au sol, l'enfonçant de plusieurs centimètres.
Le sabre s'abattit pour empaler le Sagittaire, cependant celui-ci esquiva d'une roulade sur le côté.
Ils échangèrent une série de coups globalement dominée par Râvanna, qui ne parvint cependant pas à transpercer la défense du chevalier, puis reprirent leurs positions de garde respectives.
- Il est capable de me suivre quand j'utilise le Pas Agile d'Achille ! Il est vraiment très fort.
Le Grec jeta un coup d'oeil rapide à ses compagnons et constata que ceux-ci avaient fort à faire contre des adversaires semblait-t-il équivalents en dangerosité au sien.
- Je vais être obligé d'utiliser beaucoup plus de ressources, beaucoup plus rapidement, que prévu.
Aioros commença à enflammer son cosmos, tandis que Râvanna saisissait son sabre à deux mains et se mettait en position de combat avec la lame au-dessus de sa tête.
Le démon chargea le chevalier qui le laissa venir. Une forme rendue indistincte par la vitesse passa alors entre les deux adversaires, et Aioros eut juste le temps d'apercevoir deux reflets métalliques.
Les mains tranchées de Râvanna, qui tenaient toujours le sabre, volèrent dans les airs, tandis que le démon s'écroulait en avant, ses jambes ayant été tranchées au niveau des genoux. Emporté par son élan, il glissa sur le ventre sur quelques mètres, mais fut stoppé net quand une lourde épée le trancha en deux sur presque toute la longueur du torse.
Aioros découvrit finalement Mardouk juste devant lui. Le Babylonien était plus massif que quelques heures auparavant, et, si ses traits étaient à présent ceux d'un homme mûr, ils avaient encore gagné en beauté et en prestance. Son armure avait elle aussi évolué, pour devenir plus couvrante et brillante.
- Eh bien mon ami, j'ai l'impression que l'on avait besoin d'un petit coup de main, dit-il en souriant et en retirant sa lame noire du corps du démon.

Plus tôt...

Aioros regarda l'homme-lion en silence quelques instants.
- Il est né voici près de trente-cinq mille ans, dit-Elle. Né de la convergence de pensées et de croyances des membres de quelques tribus suffisamment proches géographiquement les unes des autres pour développer un imaginaire commun. C'est à peu près à la même époque que je me suis incarnée dans le corps de cette femme qui avait maîtrisé ses sens supérieurs et découvert mon existence. Ce sont nous deux que les humains préhistoriques ont commencé à adorer, moi qui étais perçue comme une déesse génitrice, une vénus, et lui comme un esprit animal incarné. Nous étions en quelque sorte la réponse aux craintes et aux interrogations des humains face à ce monde naturel si mystérieux et angoissant. Une fois le mouvement amorcé, il s'est rapidement accéléré et de nombreux autres dieux ont suivi et sont apparus dans le Temps du Rêve, avant de se propager de par le monde. La plupart ne survivaient que quelques générations humaines, retombant dans la non-existence dès que les groupes les ayant créés les avaient oubliés ou remplacés par de nouvelles divinités.
- Comment se fait-il qu'il existe encore, alors ? coupa Aioros en désignant l'homme-lion.
- Car je lui ai permis de garder un contact avec les âmes qui l'avaient adoré à un moment donné même après que celles-ci l'aient oublié. Ne perds pas de vue que je suis intemporelle, et j'incarne également l'humanité telle qu'elle était. N'ayant plus d'objet, car n'étant plus adoré, il est devenu mon gardien depuis lors. C'est ensemble que nous avons vu les civilisations apparaître et prospérer. Les groupes humains sédentarisés sont devenus de plus en plus importants, créant ainsi des dieux plus puissants, car plus d'humains croyaient en eux. La naissance de l'écriture a été un autre élément fondamental, car dès lors les dieux ne pouvaient plus être oubliés. Même si les humains ne croyaient plus réellement en eux, les dieux restaient dans l'imaginaire collectif, vivants bien que moins puissants qu'ils ne l'avaient été au faîte de leur gloire. De même, chaque œuvre d'art représentant un dieu devenait un moyen pour la divinité concernée de s'accrocher à l'existence en restant dans les souvenirs de l'espèce. Enfin certains dieux évoluaient et se métamorphosaient si les croyances les concernant évoluaient ou si les mythes se modifiaient.
- Si je Vous suis bien, tous les dieux sont nés de cette façon, y compris Athéna, Zeus, Poséidon, Hadès et tous les autres membres du panthéon grec, remarqua Aioros.
- Tout à fait.
- Dans ce cas, maintenant est le moment où je vais décrocher de Votre histoire. Les dieux grecs sont bien réels. Ils ont créé le monde et l'humanité. Pas l'inverse.
- Vraiment, tu penses que la Terre telle que nous la connaissons est vraiment née de Gaia et Ouranos ? Je sais que, même si vous vivez reclus dans votre Sanctuaire coupés du temps, vous autres chevaliers êtes à la pointe de la science et précédez même la plupart des grandes découvertes du monde. Je pense que tu admets que le monde est né d'un Big Bang initial survenu il y a plus de quinze milliards d'années, et que le Système solaire et la Terre se sont formés par agglomération d'un nuage de matière. Comment peux-tu concilier ces deux visions contradictoires ? La gravité a créé notre planète, pas un dieu grec.
- J'admets que la création du monde ne peut pas avoir été à la lettre telle que décrite dans les mythes grecs. Néanmoins, je sais que les dieux grecs sont bien réels, que leurs pouvoirs sont bien réels. Ils ne disparaîtraient pas simplement parce que nous les oublierions. D'ailleurs en dehors des combattants sacrés, presque plus personne ne les considèrent comme réels, ce qui aurait dû les affaiblir terriblement selon Votre théorie. Or ils sont toujours aussi redoutables.
- Leur cas a... commença-t-Elle.
- Il y a une autre incohérence dans votre théorie, coupa Aioros. Mardouk, Inanna et la majeure partie de ceux qui Vous suivaient et que le Sanctuaire a affronté. Même s'ils portent le nom des dieux de mythes venant des quatre coins du monde, ils étaient bel et bien humains. Dois-je croire qu'il existe en plus des dieux répondant aux mêmes noms ?
- Non, mais comme je m'apprêtais à te le dire avant que tu ne m'interrompes, je viens juste de t'apprendre comment sont nés les dieux. Cela ne suffit pas à les définir tels qu'ils sont aujourd'hui, car ils ont évolué, entre autre à cause d'influences extérieures. Mais, nous allons y venir...
- Donc, Vous me demandez simplement d'admettre le postulat de leur naissance pour le moment, que toutes les divinités et êtres immortels qui peuplent nos légendes ont en fait bien existés, créés par l'homme dans ce Temps du Rêve .
- A une exception près. Une créature considérée comme un dieu dans certains mythes n'a pas été créée par l'humanité.
- Qui ?
- Tu l'as déjà rencontrée au moins une fois, même si tu ignorais son identité. Il s'agit du dieu romain Janus, l'être qui commandait les chevaliers noirs possédés et celui qui a attisé les braises du conflit qui vient d'opposer ton Sanctuaire à Mardouk. Tout porte à croire qu'il est né du chaos originel résultant du Big Bang, puis qu'il a sommeillé pendant des milliards d'années en attendant l'avènement de l'humanité. S'il a été pendant longtemps une entité bénéfique pour le peuple qu'il s'était choisi, il n'est aujourd'hui plus qu'un pantin dont les ficelles sont tirées par notre Ennemi.
- « Notre Ennemi » ?

*          *          *          *          *

- Qu'est-ce qui t'a pris tant de temps ? demanda Aioros à Mardouk.
- J'ai du fait des détours pour ramener quelques amis avec moi, répondit le Babylonien.
Pour illustrer son propos, il fit un geste en direction de l'endroit où Inanna et Rudy combattaient. Les renforts étaient effectivement arrivés et six êtres divins et un mortel aidaient ses compagnons.
Le combat fut très déséquilibré, les démons étant instantanément totalement surclassés et balayés par les assauts des dieux. En moins de deux secondes, toute résistance fut annihilée et les nouveaux arrivants se rassemblèrent autour de Mardouk et Aioros.
- Voici Râ, Seth, Anhur, Gienah et Tokoyo. Tu connais déjà Hanpa et Shamash, il me semble.
- Gienah, le maître de Camus, n'est-ce pas ? demanda Aioros à l'homme à l'armure glacée.
En regardant l'ancien prisonnier de l'Ile de la Reine Morte, sa capacité de voir apparaître le potentiel de chacun sous une forme cosmique montrait Gienah sous la forme de vastes galaxies à Aioros.
- Malgré ton ancien statut de chevalier de bronze, tu as le cosmos caractéristique d'un chevalier d'or, dit-il. Ce n'est pas une évolution récente, si nous nous étions rencontrés plus tôt, j'aurais pu le voir...
- Peut-être les choses auraient-elles évolué différemment... Mais ma vie avait déjà basculé bien avant que tu ne naisses...
- Il est trop tard, pour les regrets, coupa Mardouk. En outre, j'ai hâte d'être enfin face à face avec notre Ennemi.
Aioros et Gienah hochèrent la tête.
- Ce sont toutes les troupes sur lesquelles nous pourrons compter ? observa Aioros. Il me semble que tu avais plus d'alliés et que le Sanctuaire... les a presque tous tués.
Il fit un geste de la main, comme pour s'excuser de cette brutale réalité, avant de poursuivre.
- Ne devrions-nous pas être plus nombreux ?
- Tous ceux qui ont passé le cap sont ici, conclut Mardouk. Il faudra faire avec.
- Tu me parais encore plus puissant que ce à quoi je m'attendais, remarqua Aioros.
- Je suis très différent de celui que tu connaissais, plus que mes compagnons sont différents de leurs anciens avatars humains. Notre Ennemi savait que j'étais amené à jouer un rôle prépondérant dans cette lutte, il a donc essayé de m'affaiblir en divisant mon essence spirituelle en deux. Une partie s'était incarnée dans le Mardouk que tu connaissais et l'autre dans son frère, Nabu. Il a même tenté de tuer Nabu, qui était le plus puissant, en lui infligeant un maléfice. Mais, c’était un mauvais calcul, car la réunion de ces deux moitiés à leurs morts a sans doute produit plus que ce dont elles étaient originaires.
Il leva alors le ton pour que tout le monde l'entende bien.
- Notre objectif est qu'Aioros parvienne jusqu'à notre Ennemi. Cela seul est important. J'ai l'impression que tes capacités n'ont pas été augmentées par ta rencontre avec Elle ?
- Non. Il me faut encore du temps.
- Très bien. Nous allons donc former un cercle autour de toi et détruire tout ce qui tentera de venir nous empêcher d'avancer. Rudy, Gienah, vous n'êtes que des humains et risquez de manquer de pouvoirs face à ce qui nous attend. Restez donc auprès d'Aioros, en seconde ligne. N’oubliez pas que nous sommes dans le Temps du Rêve. Il peut nous envoyer potentiellement n’importe quoi.
Personne ne trouva rien à redire aux instructions du Babylonien et ils repartirent sans plus attendre vers le temple. Les Mésopotamiens ouvraient la marche et constituaient l'avant du cercle, Mardouk occupant la position la plus avancée. Les Egyptiens s'occupaient de l'arrière, Râ fermant la marche.
Ils progressèrent sans être ralentis jusqu'au temple.
Celui-ci était d'une grande austérité et ressemblait à un cube gigantesque, tel un dé oublié par un titan cosmique, avec de rares ouvertures. Cette simplicité d'apparence était néanmoins en parfaite harmonie avec les formes géométriques élémentaires qui constituaient le paysage. Un large escalier dont les marches semblaient avoir été taillées pour des géants permettait de monter jusqu'à une monumentale entrée triangulaire.
Bondissant de marche en marche, le groupe gravit l'escalier en quelques instants.
L'intérieur de l'édifice, qu baignait dans une brume légère, était tout aussi dépouillé que son extérieur, et se limitait apparemment à une large allée centrale bordée de colonnes qui montaient vers un plafond invraisemblablement haut. Les murs latéraux et du fond étaient quant à eux tout simplement hors de vue. Aioros trouvait quelque chose d'étrange et de dérangeant dans ce spectacle, et il lui fallut un moment pour mettre le doigt sur la cause de son malaise.
- Cela parait encore beaucoup plus grand vu de l'intérieur que de l'extérieur, dit-il finalement alors que le groupe avait déjà progressé d'une centaine de mètres. Même avec cette brume, nous devrions deviner les murs.
- Je crois que tu as raison, répondit Rudy. Les lois de l'espace de cet endroit doivent être légèrement altérées pour dilater l'intérieur. Ou alors nous avons changé de dimension sans nous en rendre compte et ne sommes pas dans le même temple.
- Cela change-t-il quelque chose ? demanda Gienah. L'intérieur est plus grand que l'extérieur, la belle affaire !
- Disons que le niveau de pouvoir utilisé pour un effet aussi futile en apparence est révélateur, fit Rudy. S'il peut se permettre d'utiliser son pouvoir à ça, que pourra-t-il faire quand il décidera vraiment de nous nuire ?
- Ce genre de choses, répondit Gienah dans la foulée en pointant du doigt un point au delà de Mardouk.
Des silhouettes commençaient en effet à apparaître dans la fine brume, venant de toutes les directions à la fois. Certaines étaient de taille et de forme humaines, d'autres étaient gigantesques, d'autres monstrueuses.

Mardouk leva la main pour stopper l'avancée du groupe. Chacun se prépara au combat apparemment inévitable, tandis que les ennemis sortaient de la brume et adoptaient la même stratégie d'encerclement que les démons un peu plus tôt, formant une grande ronde englobant celle qui se dressait autour d'Aioros.
Ce dernier reconnut un certain nombre de leurs assaillants. Lorsqu'il avait compris que Mardouk rassemblait autour de lui des représentants de panthéons issus de diverses mythologies, le Sagittaire avait décidé de se préparer à une éventuelle confrontation en se documentant autant que possible sur les mythes du monde entier, espérant trouver dans ces récits légendaires des détails potentiellement utiles au combat. Il n'avait finalement découvert que bien peu d'informations pertinentes, mais, si ses lectures ne lui avaient que peu appris sur les alliés de Mardouk, elles lui permettaient à présent de reconnaître la plupart des ennemis de ces derniers, alors qu'ils s'approchaient de façon menaçante.
L'avant-garde du groupe d'assaillants était effectivement un véritable rassemblement de tout ce que les mythes comptaient de divinités maléfiques.
Deux gigantesques serpents du Chaos, l’ancien ennemi de Mardouk Tiamat, et l’égyptien Apopis que combattaient Seth et Râ chaque soir, ouvraient la marche.
- Très bien, nettoyons tout ça, dit Mardouk.

Plus tôt...

- Avant d'aborder plus précisément la question cet "Ennemi", j'aimerais revenir un instant sur quelque chose, dit Aioros.
Elle hocha la tête, ne voyant apparemment pas d'inconvénient à ce que le Sagittaire veuille orienter le sens de la discussion..
- Ce Janus dont Vous venez de me parler, s'il est né en même temps que l'univers, au moment du Big Bang, ne serait-il pas possible de penser qu'il l'a en fait créé ?
- Non, son pouvoir n'a rien d'omniscient. Il possède assez de force pour provoquer l'étincelle initiale qui déclenche un Big Bang, et l'a d'ailleurs fait à plusieurs reprises, mais en l’exploitant comme une attaque et avec des réalités bien moins étendues que la nôtre. Mais même dans ce cas, il ne fait que précipiter la survenue d'un événement qui aurait lieu de toute façon. Et surtout, passée cette étincelle initiale, il n'a aucune influence sur l'équilibre des deux forces antagonistes qui vont réellement décider du devenir d'une réalité naissante.
- Quelles forces antagonistes ?
- Le Chaos et l'Ordre, les deux concepts primaires qui règlent l'existence des différents plans du multivers. Tu as déjà eu l'occasion de voyager dans les autres dimensions, tu as pu constater que les lois physiques y ayant cours étaient parfois plus relâchées ou parfois plus strictes que dans notre univers. Cela dépend de l'équilibre établi dans les instants suivants le Big Bang originel entre le Chaos et l'Ordre dans la dimension en question. Dans les univers où le Chaos domine, rien n'est immuable et tout est perpétuellement changeant. Ce qui est vrai à un instant donné peut ne plus l'être à l'instant d'après, et ces dimensions abritent souvent une infinie variété de formes de vies exotiques. Les Premiers, les êtres qui habitaient les chevaliers noirs et qui sont les premières créatures pensantes à être apparues dans le multivers, sont originaires d'un tel monde et avec le temps elles ne pouvaient plus supporter ces incessants changements. A l'inverse, les mondes sous l'influence de l'Ordre sont souvent arides, car la vie ne peut prospérer sans le désordre et la capacité d'évolution offerte par le Chaos. Notre univers est le seul à être à l'équilibre parfait, c'est sa spécificité et ce qui en fait l'objet de beaucoup de convoitises. Le fait que cet univers bascule d’un côté ou de l’autre pourrait potentiellement prouver la supériorité de l’une des deux forces par rapport à l’autre.
- Je croyais que Vous m'aviez dit qu'aucune divinité n'avait créé notre univers ?
- A l'origine et dans leur essence profonde, Ordre et Chaos ne peuvent pas être considérés comme des divinités. Ce sont des concepts élémentaires, des forces naturelles antagonistes puissantes, mais dépourvues de personnalité ou de dessein autre que de dominer leur opposé.
- D'accord. Néanmoins, Vous venez de dire que cela était le cas à l'origine, ce qui suppose que cela a pu évoluer.
- En effet. Comme je te l'ai expliqué, les croyances de l'humanité deviennent réelles dans le Temps du Rêve. Il se trouve que l'idée d'un chaos originel dont serait descendu le monde est apparue dans un grand nombre de cultures, par exemple dans les mythes grecs, où le Chaos est l'entité originelle. Ces "Chaos" ont commencé à proliférer dans le Temps du Rêve et contrairement aux autres dieux qui n'étaient que chimères de notre imagination, ces créations-là avaient une résonance cosmique dans le monde matériel.
- Vous voulez dire qu'elles sont devenues réelles ?
- Entendons-nous bien, ce que la conscience collective des humains est capable de créer dans le Temps du Rêve est réel et peut avoir un impact parfaitement tangible sur le monde matériel. En revanche, dans ce cas précis, une connexion s'est établie entre les Chaos qu'avaient imaginés les humains et le Chaos, concept élémentaire pré-existant. Ce qui n'était qu'une force naturelle invisible et immatérielle s'est alors incarnée et a acquis une personnalité propre. Et même si ses liens avec le Temps du Rêve restaient forts, ce nouveau Chaos pouvait continuer à exister même si les humains cessaient de croire en lui. Comme Janus, il s'agissait désormais d'une entité immortelle, cependant encore bien plus puissante. Néanmoins elle n'a pas créé l'humanité, mais l'inverse.
- Il est donc bel et bien possible, pour des êtres nés dans le Temps du Rêve, de franchir cette frontière et de devenir indépendants des humains qui les ont créés. Vous l'avez déjà suggéré en ce qui concerne les dieux olympiens.
- En effet. Mais ces derniers n'ont pas atteint cet état par eux-mêmes.

*          *          *          *          *

La bataille faisait rage avec une violence inouïe, les coups échangés par les dieux chargeant l'air d'électricité et faisant trembler le sol du temple. Les matériaux constituant l'édifice semblaient néanmoins totalement indestructibles, aucune dalle n'étant simplement fendue, malgré la dureté des combats.
Le groupe mené par Mardouk parvenait à avancer dans le temple, en dépit de la farouche opposition rencontrée, et le cercle défensif autour d'Aioros avait été parfaitement imperméable jusque-là.
Ce dernier soutenait ses alliés en décochant flèche après flèche sur leurs adversaires. Ces derniers jets avaient été en direction de Tiamat, afin d’aider Mardouk dans son combat contre le monstre gigantesque.
Cette revanche du duel mythologique, dont l'issue avait assuré la domination du Babylonien sur son panthéon, tournait à l'avantage de ce dernier. Il était d'ailleurs prodigieux de voir le gigantesque serpent du Chaos reculer devant Mardouk, dont la stature était à peine plus qu’humaine.
Tiamat tentait principalement de déchiqueter son frêle adversaire entre ses dents, qui avaient la taille d'un petit homme, ou de le balayer d'un violent coup de queue. Mardouk se défendait en brisant les crocs du serpent avec son épée, qu'il maniait d'une main comme s'il s'agissait d'un jouet, ou en bloquant les coups avec sa main libre malgré la différence de taille.
Aioros tendit une nouvelle fois les trois cordes de son arc, puis lâcha un trait qui alla se ficher dans l'un des yeux du monstre qui laissa échapper un terrible hurlement de douleur. Confiant en Mardouk pour la suite de son combat, le Sagittaire décida de voir si quelqu'un d'autre avait besoin de son aide.
Shamash et Hanpa étaient opposés à un groupe de démons et au sombre dieu à tête de jaguar Tezcatlipoca, l’ennemi juré de Quetzalcóatl dont il avait causé l’exil.
Gienah les aidant déjà en créant des murs de glace opportuns bloquant certains coups, Aioros s'en détourna rapidement.
Tokoyo était quant à elle opposée au dieu nordique Loki. La fourbe divinité nordique maniait une lourde épée à deux mains avec une expertise certaine. Néanmoins, il paraissait largement surpassé par la vitesse de la dernière des Kamis japonais. Les deux katanas le touchaient régulièrement, tandis que Tokoyo se dérobait avec grâce à tous les assauts, provoquant des hurlements frustrés de la part de l'Asgardien.
Anhur, Seth et Ra faisaient quant à eux face à Apopis et au grotesque roi démon hindouiste Kali, avec le support de Rudy. Les trois Egyptiens avaient fort à faire pour contrôler l'arrière du front, néanmoins leur coordination parfaite, et particulièrement celle des deux derniers, ne pouvait que forcer l'admiration. L'éternel combat mythologique de Seth et Ra contre Apopis, le premier aidant nuit après nuit le second à mener à bien la course de sa barque solaire pour qu'un jour nouveau se lève sur le monde, leur avait apparemment permis d'atteindre une osmose parfaite au combat.
Ra projetait de terrifiantes vagues de plasma qui brûlait sur place tout ce qu'elles touchaient. Toute son énergie et son attention étaient focalisées exclusivement sur l'attaque, car il savait pouvoir faire confiance aveuglément à Seth pour le protéger et intercepter toutes les attaques.
De son côté, Anhur terrassait méthodiquement et avec rigueur tous ses adversaires, chacun de ses gestes étant d'une efficacité optimale.
Enfin, Inanna était opposée à Baal Hammon, le violent dieu tutélaire de Carthage auquel ses adorateurs fanatiques sacrifiaient leurs enfants. Sa sauvagerie au combat n'avait rien à envier à celle de l'Olympien Arès. Le Carthaginois était grand, massif, portait une armure de fer intégrale aux formes agressives et rugissait à chaque coup.
Si Inanna avait l'avantage de la vivacité et le contrôle des airs grâce à ses ailes, son opposant la dominait en force pure ainsi qu'en expérience des champs de bataille. Baal combattait avec deux armes, des haches à double tranchant si massives que bien peu d'hommes auraient été capables de les manier efficacement à deux mains, les moulinets mortels des lames passaient souvent très près de la déesse des enfers mésopotamiens.
Sans hésiter, Aioros encocha deux flèches et tira en direction de Baal. Celui-ci vit venir les traits au dernier moment et les dévia par réflexe avec l'une de ses deux haches.
Inanna profita de l'ouverture pour frapper à la tête, ce qui sonna le dieu barbare, puis s'envola en saisissant avec ses serres son adversaire aux épaules.
Elle tourna sur elle-même, projetant Baal en hauteur, avant de se poser au sol pour intercepter un groupe de démons qui tentaient de profiter de l'ouverture momentanée du cercle défensif.
Aioros tira plusieurs flèches sur le dieu en plein vol, faisant mouche presque à chaque fois, mais ne parvenant toutefois pas à atteindre la tête.
Il aida ensuite Inanna face aux démons d'une nouvelle volée de traits mortels, l'adversité étant réduite à néant en quelques instants.
Inanna et Aioros eurent le temps d'échanger un sourire pendant la brève accalmie, puis Baal retomba au sol quelques mètres plus loin. Le dieu carthaginois se releva malgré les flèches qui le transperçaient, l'air encore plus furieux qu'avant.
Le Sagittaire allait encocher une nouvelle flèche, quand Inanna lui hurla un avertissement en désignant quelque chose derrière lui.
Le chevalier laissa ses réflexes agir et effectua un roulé-boulé vers l'avant, ce qui lui permit d'éviter un coup venant de derrière lui, qui avait cherché à lui prendre sa tête.
Il se releva tout en faisant volte-face pour se retrouver presque nez à nez avec son agresseur.
Ce dernier le dépassait en taille de deux bonnes têtes et était littéralement couvert de blessures, certaines anciennes et d'autres très récentes. Le nouvel arrivant tenta un enchaînement de coups de poing qu’Aioros écarta négligemment avec son arc.
- Janus, dit Aioros en rangeant son arme avant de se mettre en garde. Vous commenciez à vous faire désirer.

Plus tôt...

Aioros ne prit qu'une seconde de réflexion avant d'avancer ce qui lui paraissait une hypothèse évidente.
- Si les dieux Olympiens ne se sont pas extraits seuls du Temps du Rêve, j'imagine que c'est celui que Vous appelez Votre Ennemi qui en est à l'origine.
- Effectivement. Il te faut bien comprendre que grâce à la connexion qui s'établit entre ses membres dans le Temps du Rêve, l'humanité est collectivement l'entité la plus puissante du multivers, elle peut influencer le monde réel et même le modifier.
- Tout cela ne serait donc qu'une histoire de rapport de force entre l'humanité et Votre Ennemi ? Mais quel est le rôle des dieux dans tout cela ?
- Ils sont un mécanisme de contrôle, un moyen d'empêcher les hommes d'atteindre leur plein potentiel. Certains, comme mon ami Alinda ici présent, sont capables d'arpenter le Temps du Rêve. D'autres, comme toi, sont capables de maîtriser les sens supérieurs et de plier à leur volonté les lois physiques. Ces capacités sont en fait très similaires dans leur nature profonde, et sans interférence extérieure elles seraient maîtrisées à des niveaux divers par la majorité des humains et non une minorité insignifiante.
- Mardouk m'avait dit quelque chose de similaire, qu'il voulait que l'ensemble de l'humanité maîtrise le septième sens.
- Le jour où cela arriverait, l'humanité pourrait balayer les dieux de l'existence d'un claquement de doigt.
- Très bien, mais cela ne me dit pas comment les dieux sont devenus ce qu'ils sont.
- Ils se sont incarnés dans des humains. Ou, plus exactement, ils ont été incarnés dans des humains par notre Ennemi. Comme tu le sais, ta déesse, Athéna, se réincarne dans un nouveau corps environ tous les deux cent cinquante ans. Poséidon, Hadès et quelques autres procèdent également ainsi, même s'ils conservent également à l'abri leurs corps originaux. Ce qu'ils ignorent, ou ont oublié, est que ces corps originaux censés être divins sont en fait des enveloppes mortelles qui ont muté au contact de leurs pouvoirs et de leur Ichor et du fait d'une intervention extérieure.
- Quel était l'intérêt de Votre Ennemi dans cela ?
- Les hommes ont créé les dieux pour comprendre le monde qui les entourait. Normalement, ces superstitions auraient dû être oubliées au fur et à mesure de l'évolution de l'espèce. Leur persistance est un frein à l'essor du genre humain.
- Est-ce que Vous englobez Mardouk et les autres dans ce constat ?
- En partie oui. Cependant, lorsqu'il a agi, notre Ennemi a veillé à choisir les dieux les plus égoïstes et les plus imbus d'eux-mêmes, ceux pour qui les humains n'étaient qu'un objet de mépris, et les a rendus suffisamment puissants pour qu'ils puissent juguler l'évolution de l'humanité. Il les a alors placés dans les corps des plus fervents de leurs adorateurs : rois grecs, grandes prêtresses ou encore guerriers réputés. Les Olympiens ont oublié leur origine, mais ils gardent le souvenir enfoui que, si jamais les humains s'élevaient au-delà de leur condition actuelle, leur existence même serait menacée. Ils consacrent ainsi leurs efforts à maintenir le statut quo qui fait directement le jeu de notre Ennemi.
- Vous ne pouvez pas englober Athéna dans cette description.
- L'Athéna des origines, sûrement. Néanmoins, elle a effectivement évolué au cours de ses nombreuses réincarnations. Sa part humaine est devenue de plus en plus importante, comme pour Mardouk et les autres.
- Mardouk, Inanna et leurs compagnons étaient donc bien des dieux à l'origine.
- Oui. Ils ont eux aussi été incarnés dans des humains par notre Ennemi, mais d'une façon différente. Leurs identités se sont totalement mélangées avec leurs hôtes. Ils ont oublié leur nature de véritables dieux, ont été convaincus d'être des humains dont les ancêtres avaient été divinisés par les légendes et leur lien avec le Temps du Rêve s’est affaibli.
- Mardouk le savait-il ?
- Il est venu me voir voici de nombreuses années et je lui ai révélé tout ce que je suis en train de te raconter. Mais, d'un commun accord, je lui ai ensuite fait oublier ce point précis.
- Vraiment ? Pourquoi ?
- Nous y reviendrons dans peu de temps.
- Comme Vous voudrez. En attendant j'ai une autre question. Je veux bien admettre Votre histoire sur la façon dont les Olympiens ont acquis leur force actuelle. Mais je ne comprends pas quelle est leur influence, après tout, l'immense majorité des hommes ne croit pas en l'existence des dieux Olympiens. Quel contrôle peuvent-ils bien exercer sur nous ?
- Les humains ne croient pas en eux à un niveau conscient, mais tu oublies qu'en ce moment même une portion très importante de l'humanité est placée sous l'influence directe de l'un de ces dieux.
Aioros ne mit pas longtemps à faire le rapprochement avec l'une des choses que Mardouk lui avait dit.
- Les Enfers. Les âmes qui s'y trouvent sont sous l'influence du cosmos d'Hadès.
- Exact. Les Enfers sont un frein à l'évolution humaine. Premièrement parce qu'Ils détournent les âmes humaines de ce qui devrait être leur véritable chemin et les empêchent de se réincarner normalement. Secondement parce que pendant tout le temps qu'ils y passent, les humains n'ont d'autre choix que de croire en l'existence des dieux Olympiens, et renforcent leur puissance par l'intermédiaire du Temps du Rêve . Même lorsque les esprits finissent par se libérer du cosmos d'Hadès et se réincarnent dans de nouveaux corps, ils gardent à un niveau inconscient le souvenir de cette expérience.
- Mardouk disait que toute victoire définitive contre Hadès serait toujours interdite au Sanctuaire...
- En effet. C'est pour cela que les Olympiens ont été systématiquement du côté d'Hadès lors des Guerres Saintes où l'avantage d'Athéna paraissait trop important. Non seulement notre Ennemi influence leurs décisions, mais ils savaient aussi de façon instinctive que si jamais les Enfers cessaient d'exister, tout ce qu'il faudrait serait qu'un seul homme ose se dresser contre eux pour causer leur perte. Mais cela ne pourra pas se produire tant que le Sanctuaire d'Athéna, qui rassemble les humains qui auraient le plus les capacités de changer réellement les choses, sera engagé dans un cycle sans fin de guerres saintes stériles.
- C'est ce cycle que Mardouk voulait briser, il disait que nous gâchions notre potentiel au lieu de le consacrer à changer le monde.
- Oui. Lorsque Mardouk est venu me voir, nous avons vu deux façons de procéder. Notre préférée était celle que Mardouk a tenté de mener jusqu'à sa défaite contre toi aujourd'hui : provoquer un conflit contre l'Olympe, éliminer les dieux de l'équation, puis prendre en main la destinée de l'humanité pour que celle-ci devienne capable d'éradiquer son Ennemi par elle-même. Nous savions que cela serait extrêmement ardu et que notre adversaire ferait tout son possible pour nous stopper. Mais ce faisant, il existait la possibilité qu'il se découvre. Cela fait deux millénaires qu'il se cache et se dérobe à toutes mes tentatives de le localiser.
- Il n'intervient jamais dans les événements des guerres saintes ?
- Pas directement. Même si les dieux Olympiens sont ses pantins, il les laisse agir à leur guise. Il a également placé un certain nombre d'humains sous son influence, mais celle-ci est très ténue. Les personnes ou les dieux qu'ils manipulent ne peuvent jamais en être conscients, car il se contente d'agir lorsque l'un d'entre eux est placé devant un choix à un moment décisif.
- Il s'arrange pour que la décision soit systématiquement en sa faveur ?
- Exactement. Souvent, son influence n'a d'ailleurs aucun effet réel, car le manipulé aurait pris la même direction seul. Il a été beaucoup à l'oeuvre ces derniers temps, car il avait réussi à étendre son emprise sur plusieurs des protagonistes du conflit qui vient de s'achever. Mardouk et toi étiez parvenus à un accord mais, avec l'aide de Janus qui est son bras armé et agit directement sur le terrain, il a réussi à embraser les tensions jusqu'au point de non-retour. Je suis arrivée à détecter certaines de ses interventions et Janus nous a donné involontairement le dernier coup de pouce pour savoir où il se trouve.
- Et à présent, Vous projetez donc d'agir directement contre lui. Avec mon aide.
- Oui, l’un de mes plus vieux compagnon a suivi Janus jusque dans le Temps du Rêve. Il l’a alors perdu, néanmoins cela m’a suffit pour trouver mon Ennemi à partir de cette indication. Notre option prioritaire à Mardouk et moi est à présent inaccessible, mais nous avions prévu cette éventualité depuis le départ. Avec ton soutien, nous pourrions à présent accomplir notre plan de rechange.
- Pourquoi moi ? Et pourquoi Vous aiderais-je ?
- Parce que nous allons t'offrir une possibilité unique.

*          *          *          *          *

Janus tenta de frapper Aioros au visage, mais celui-ci bloqua le poing adverse dans la paume de sa main. Les yeux du visage vivant de Janus fixèrent Aioros avec frustration.
- Il semblerait que vous n'ayez pas encore récupéré de votre récent combat, commenta négligemment le Sagittaire.
- Suffisamment pour t'écraser, mortel !
Le dieu disparut brusquement pour réapparaître derrière la position d'Aioros et viser le bas du dos de ce dernier.
Lorsque son coup ne frappa que le vide, le chevalier semblant lui aussi avoir disparu, Janus ne put s’empêcher de laisser échapper un juron.
- Par ici ! lâcha la voix du Sagittaire qui venait du dessus.
Les yeux de Janus s'élevèrent juste à temps pour voir le pied d'Aioros venir s'écraser sur son visage.
Ce dernier se réceptionna de son saut d'esquive, puis enchaîna rapidement une série d'attaques au corps à corps avant de faire exploser son cosmos.
- INFINITY BREAK !
Les flèches cosmiques frappèrent de plein fouet le dieu, l'envoyant rouler sur les dalles du temple sur plusieurs mètres.
Janus se releva d'un bond et se rua de nouveau sur son adversaire, ivre de rage.
Il utilisa alors ses capacités dimensionnelles pour attaquer de toute part le chevalier d'or, chaque coup de poing du dieu semblant venir de plusieurs directions à la fois.
Aioros parait toutes les attaques et parvenait même à contre-attaquer presque systématiquement. Janus augmenta sa vitesse jusqu'à sa limite divine, toutefois sans ce que cela ne se traduise dans l'équilibre du combat.
- Comment est-ce possible ? Comment peux-tu anticiper ainsi mes attaques ?
Le chevalier ne répondit pas par des mots, mais par des actes, en prenant totalement l'avantage dans l'échange, sa vitesse d'exécution surpassant celle du dieu.
- LES LAMES D'ENEE ! hurla-t-il en déclenchant la plus récente de ses arcanes.
Le coup inspiré des techniques de Shura et Saga lacéra la chair du dieu, en le faisant reculer de plusieurs mètres. Celui-ci lâcha un hurlement de frustration. Le visage mort du dieu semblait en cet instant à peine moins horrible que le vivant.
- Comment peux-tu être plus rapide que moi, mortel ? rugit-il d'un ton incrédule. Je t'observais lorsque tu combattais Râvanna, tu n'étais même pas au dixième de ton niveau actuel ! C'est impossible !
Le dieu sembla tout à coup retrouver en partie son contrôle, comme s'il venait soudainement d'avoir un déclic.
- Oui, c'est impossible, répéta-t-il d'un ton beaucoup plus calme.
Il regarda autour de lui, n'accorda qu'une brève attention aux dieux qui luttaient toujours pour maintenir l'intégrité du cercle défensif, puis s'arrêta sur Gienah et Rudy qui se tenaient à distance sans intervenir. Ce n'était tout simplement pas logique qu'ils restent inactifs alors que leur rôle était de protéger le Sagittaire à tout prix.
Dès que Janus eut des doutes sur la façon dont il voyait les choses, l'illusion de Rudy qui avait jusque-là été impénétrable commença à se fissurer devant l'expert en la matière qu'était le dieu. Gienah et le vieil Allemand n'étaient pas inactifs mais étaient au contraire en plein effort, le premier faisant brûler un cosmos doré intense et le second plongé dans des incantations.
L'illusion continua à se déchirer, révélant à Janus que son corps était recouvert d'une couche de givre au même moment où il percevait enfin la sensation de froid. Il remarqua également que les pieds du chevalier de Sagittaire étaient entourés d'un halo doré, ce qui signifiait qu'il avait recours à cette technique qu'il avait utilisé plus tôt contre Râvanna, et qui lui permettait d'aller plus vite que la lumière.
La glace avait diminué la célérité de la divinité des Portes, tandis que celle de son adversaire était démultipliée, l'illusion ayant caché cette vérité jusqu'à cet instant.
- Je sais comment tu fais pour être plus rapide que moi, dit finalement le dieu. Néanmoins je vois que la technique que tu utilises consomme une quantité très élevée d'énergie, trop élevée pour qu'un mortel puisse la maintenir aussi longtemps. Et je ne sais toujours pas comment tu fais pour anticiper mes actions.
Aioros ne fit aucun commentaire mais se lança à l'assaut, afin de profiter aussi longtemps que possible de son avantage. Janus se contenta de défendre et de parer les coups, même si son déficit de vitesse fit que certains passèrent.
- Tu L'as rencontrée, et Elle t'a fait quelque chose. Vous vous saviez observés dès que vous avez pénétré dans cette dimension, si bien que tu as simulé de n'être toujours qu'un simple mortel.
La couche de glace commençait à disparaître malgré les efforts de Gienah pour la maintenir, si bien que les échanges commençaient à se rééquilibrer légèrement.
- Il me suffit de tuer tes deux amis, dit Janus. Lorsque nous nous combattrons sur nos valeurs respectives, ma vitesse sera tellement supérieure à la tienne que même en devinant à l'avance mes coups tu ne pourras plus les éviter ! Et comme tu as déjà utilisé toutes tes cartes, je verrai venir tous tes coups à l'avance ! Nous verrons alors qu'un mortel ne peut en aucun cas vaincre un dieu !
- Ce qui n'a jamais été mon intention, répliqua Aioros d'un ton parfaitement calme et en augmentant la cadence.
La simplicité de cette réponse ébranla Janus, qui encaissa en outre plusieurs coups de la part d'un chevalier qui en avait visiblement encore sous le pied. Le dieu des Portes réalisa soudain qu'il avait sauté droit dans un traquenard et qu'il n'était absolument pas maître des événements. Ce cercle dressé par les dieux n’était qu’un piège pour l’inciter à aller au contact avec Aioros grâce à ses pouvoirs dimensionnels. Son adversaire avait déroulé tranquillement son plan jusqu'à présent, sapant petit à petit les forces de Janus.
Le dieu n'ayant aucune idée de ce qu'avait encore prévu le mortel pour la suite, le plus sage et ce qui faisait le plus de sens stratégiquement était de prendre du recul avant de revenir dans un environnement et des conditions dont il aurait le contrôle.
Janus ouvrit donc un passage dimensionnel derrière lui afin de rompre le combat. Il plongea dans le tunnel entre les mondes, encaissant au passage plusieurs nouveaux coups, mais sentit instantanément que quelque chose n'allait pas.
Un second passage dont il n'était pas à l'origine s'ouvrit en effet à l'intérieur même de son tunnel, et deux silhouettes en jaillirent à sa rencontre. Il reconnut les deux : l'homme à tête de Lion, le gardien de Celle qui l'avait défiguré, et Alinda, l'Aborigène dont il ne savait pas grand chose.
L'homme-fauve le saisit au vol et le ramena de force dans le temple. Janus tenta de se débattre pour se libérer de l'étreinte, en vain.
- Tu ne vas nulle part, dit Aioros en s'approchant. Ailleurs tu es peut-être le roi des passages et portes dimensionnels, mais à l'intérieur du Temps du Rêve, Alinda n’a pas grand chose à t’envier. Quant au fait que tu pensais pouvoir voir venir chacun de mes coups...
Le cosmos du Sagittaire s'enflamma tandis qu'il concentrait sa force dans son index droit.
- GENRO MAO KEN !
Un mince rayon de lumière partit du doigt d'Aioros et frappa Janus en plein front.
- Je suis sûr que celui-là, tu ne l'as pas vu venir.

Plus tôt...

- Lorsqu'il est venu me voir pour la première fois, j'ai révélé à Mardouk sa nature oubliée de dieu. Je lui ai aussi dit qu'il pouvait retrouver cette condition, les pouvoirs qui vont avec et même beaucoup plus. En les transformant en humain, notre Ennemi a fait au dieu non Olympien un cadeau dont il n'a pas réellement mesuré la conséquence : la possibilité d'évoluer. Certaines lignées se sont perdues, mais celles qui ont survécu jusqu'à aujourd'hui, comme celles de Mardouk, Inanna ou Ra, par exemple, sont devenues plus fortes à chaque génération. Il ne manquait plus qu'un déclic pour qu'elles reprennent conscience de leur nature profonde.
- La bataille d'aujourd'hui a été ce déclic, déduisit Aioros.
- Oui. Aujourd'hui tous ces dieux transformés en humains ont lutté pour une cause juste, pour le bien de l'humanité en se désintéressant totalement de leurs avenirs personnels. Si bien que, au moment de leur mort de la main du Sanctuaire, leurs parties humaines ont atteint ce que vous autres serviteurs d'Athéna appelez le huitième sens, l'Arayashiki. Elles ont également atteint ce que les bouddhistes nomment l'Eveil et sont sorties de leur cycle de réincarnation. En outre, leurs parts divines ont rétabli leurs liens avec le Temps du Rêve et, grâce à mon aide, avec toutes les âmes de ceux qui les ont vénérées à un moment.
Ces paroles semblèrent constituer un choc pour Aioros qui se prit la tête entre ses mains.
- Comment n'ai-je pas pu comprendre plus tôt ? Mardouk n'a pourtant pas cessé de me le répéter : "Changer le monde ou mourir en essayant". Votre objectif principal a toujours été de modifier les choses telles que Mardouk me l'avait présenté, mais si jamais Vous deviez échouer cela Vous offrait la possibilité de devenir suffisamment puissants pour attaquer directement Votre ennemi.
- Exactement. J'avais néanmoins dû faire oublier cet aspect précis de notre plan à Mardouk. Son combat devait être totalement désintéressé et sa mort sincère pour lui ouvrir les portes de l'Eveil. Si à la fin il avait renoncé et cherché à mourir, cela n'aurait pas marché. Avec son accord, j'ai donc effacé ce souvenir précis et légèrement modifié sa personnalité pour le rendre plus jusqu'au-boutiste. Motivation qu'il a ensuite essayé de transmettre aux membres de sa coalition. Certains n'ont pas pu suivre la voie que Mardouk traçait jusqu'au bout, d'autres y sont arrivés. Ceux-là sont à présent à ton service.
- A mon service ? Pourquoi ? Pourquoi avez-Vous besoin de moi s'ils sont redevenus de véritables dieux avec les pouvoirs qui vont avec ?
- Parce qu'un mortel doit nous guider, sinon nous ne ferions que remplacer le règne de certains dieux par le règne d'autres dieux. Les humains doivent se libérer eux-mêmes, par le biais de héros. Comme je te l'ai dit, je ne fais qu'un avec l'humanité qui a été, qui est et qui sera. J'ai vu les événements actuels dans les futurs possibles depuis très longtemps. J'ai guetté leurs signes annonciateurs, j'ai recherché les indices qui confirmaient ta venue. Lors de l’épreuve que Mardouk vous a fait subir à Babylone, tu as été capable d’accomplir des exploits que j’avais prédis. L'humanité peut être vue comme un organisme vivant. Si, par exemple, le corps humain produit des globules blancs pour se défendre, le genre humain produit des héros en temps de besoin. Plusieurs vont bientôt apparaître, tu n'es que le premier d'entre eux. Il te revient de mettre fin à l'ère actuelle, tes successeurs devront quant à eux commencer la nouvelle.
- Vous parlez de l'ère des dieux, n'est-ce pas ?
- Oui. L'humanité a créé les dieux, a imaginé le récit de leur naissance, mais elle a aussi souvent également imaginé l'histoire de leur fin. Les récits de crépuscules des dieux, de Ragnarok ou de fin du monde sont communs dans le folklore. Les légendes d'adversaires fabuleux, démons ou géants, montant à l'assaut des domaines divins hantent notre imaginaire. Il est grand temps qu'elles deviennent réalité et que l'humanité joue le rôle des monstres.
- Mais pour cela, il faut d'abord vaincre Votre "Ennemi".
- Oui. Tant qu'il existera, détruire simplement les dieux Olympiens ne servirait à rien, car il pourrait les remplacer par d'autres.
- Et Vous me demandez donc de mener un groupe de dieux pour régler le problème ? Ne vais-je pas déjà manquer de puissance pour cette tâche ?
- Je vais t'offrir un accès à mes capacités.
- C'est à dire ?
- Les effets exacts peuvent varier d'un individu à l'autre. Ce qui est sûr, c'est que ce tu ne ferais plus qu'un avec ce que tu as été et ce que tu pourrais devenir. Chacun des instants de ta vie seraient présents à ton esprit te donnant une lucidité et une compréhension totale par recoupement des informations. De même, tu pourrais avoir accès à certaines connaissances et compétences que tu n'as pas encore acquises, et que tu pourrais même ne finalement jamais acquérir réellement. Tu pourrais également puiser dans tes réserves d'énergie à n'importe quel moment de ta vie où tu ne les utilisais pas, ce qui en pratique te donnerait accès à une réserve quasi-infinie de cosmos. Enfin, tu aurais accès au Temps du Rêve et partant de là à l'ensemble de l'humanité, ce qui peut s'assimiler à une forme de télépathie, te permettant à la fois de communiquer, de chercher des informations ou connaissances dans les souvenirs de n'importe quel mortel, de voir au plus profond de leur cœur ou de lire leurs pensées actuelles. En outre, un certain nombre de ceux qui sont morts lors des combats d’aujourd’hui ont été témoins d’événements qui pourraient t’intéresser. Ce qu’ils ont vu, je l’ai vu aussi, et je peux te le montrer. De même, tous les souvenirs pertinents de mes serviteurs te seront accessibles. Enfin, tes pensées seront totalement protégées de mon Ennemi.
Aioros resta silencieux un moment, visiblement impressionné par ce qu'elle venait de lui dire.
- Néanmoins, ces capacités fantastiques ne sont qu'un échantillon des Vôtres. Pourquoi ne pas Vous incarner directement dans un corps, le mien ou un autre, et aller Vous-même régler le problème ?
- Cela doit être toi, tu es un véritable humain, nous avons besoin de ton intuition, de ton instinct, ainsi que de tes capacités de commandement. En outre, mon Ennemi ne me laisserait jamais approcher de lui. Nous nous sommes déjà affrontés et j'avais failli l'éliminer à ce moment-là.
- Quand cela ?
- Il y a environ deux mille ans. Bien qu'il possède des pouvoirs considérables, il n'a pas de prescience ou de moyens de voir l'avenir, contrairement à moi qui suis liée au futur de l'humanité. Pour palier cela, il a d'abord placé Janus sous emprise, puis l'a tout simplement possédé. Le dieu des Portes a en effet deux visages et l'un d'entre eux regarde vers l'avenir. Cela l'a rendu plus confiant au point qu'il a tenté de m'éliminer. Mais j'ai dominé le combat et j'ai arraché le visage prescient de Janus. Celui-ci porte toujours aujourd'hui les traces de cet affrontement dans sa chair. Il a alors fui et se cache depuis. La seule chose qui a été sure pendant très longtemps est qu'il n'habitait plus le corps de Janus qui est redevenu simplement son homme de main sur le terrain. Cela a changé aujourd'hui : je sais où il se trouve et nous pouvons monter une expédition pour l'attaquer, une opportunité qui ne durera probablement pas longtemps. Mais la première chose qu'il fera sera de sonder les âmes de chacun des membres du groupe envoyé pour l'affronter pour vérifier que je ne suis pas là. Si je venais, il fuirait de nouveau alors que dans le cas contraire, dans son arrogance, il penserait que le danger auquel il s'exposerait en répondant à votre défi serait largement compensé par le gain qu'il aurait à tous vous éliminer d'un seul coup.
- Très bien, il reste cependant une question importante : qui est Votre "Ennemi" ?
- Ne peux-tu pas répondre toi-même à cette question ?
- Peut-être bien que si, en effet. Vous m'avez déjà donné beaucoup d'éléments. Il est forcément terriblement puissant, sans que cette puissance ne soit exclusivement liée au Temps du Rêve sinon il n'aurait pas pu avoir autant d'influence sur les dieux. Ce qui suppose qu'il est lié à une force élémentaire de l'univers. Je sais qu'il génère et entretient des conflits entre les dieux ou entre les humains, plongeant le monde dans l'anarchie pour que ceux qui pourraient changer les choses soient trop occupés à autre chose. Je sais aussi qu'il a utilisé des créatures issues d'un monde où l'équilibre cosmique était en faveur de Chaos et que le premier de ses serviteurs est censé être la première créature née du Chaos originel.
Aioros marqua une pause avant d'apporter sa conclusion.
- La réponse à la question parait donc évidente : Chaos.

*          *          *          *          *

Janus était comme paralysé par l'attaque mentale qui l'avait touché. Aioros couvrit les quelques pas qui les séparaient encore, jusqu'à être presque front contre front, ou plutôt front contre torse du fait de l'importante différence de taille. Rudy et Gienah ainsi qu’Alinda et l'homme à tête de Lion virent Aioros se dresser sur la pointe des pieds pour dire quelque chose à l'oreille de Janus. Le message secret fut fort court, un mot, voire deux tout au plus.
 Le mortel et le dieu restèrent face à face en silence quelques secondes, comme si une connexion, à laquelle nul autre n'était convié, s'était établie entre eux.
Aioros prononça de nouveau quelque chose à l’oreille du dieu des Portes qui sembla alors libéré de sa paralysie. Il fixa le chevalier d'or - qui n'avait plus d'or que le titre à présent qu'il était revêtu de son armure onirique -, puis hurla une réponse que cette fois-ci tous entendirent.
- Non !
Un passage dimensionnel s'ouvrit dans lequel le dieu s'engouffra et disparut.
- Pourquoi l'avoir laissé partir ? Il était à notre merci ! demanda Rudy en contactant Aioros d’esprit à esprit, comme il l’avait fait depuis le début pour que leurs échanges restent secrets.
- Que lui as-tu dit ? voulut quant à lui savoir Gienah en utilisant le même moyen de communication.
- Plus tard, répondit Aioros d'un ton qui voulait dire que la l'explication pourrait en fait très bien ne jamais venir. Nous avons un combat à terminer. Dispersez-vous et aidez nos compagnons.

La formation des dieux, qui jusque-là avait été défensive et visait à protéger Aioros, devint brusquement totalement offensive, comme s'il n'était soudain plus utile de défendre le Sagittaire qui chargea avec les autres.
Mené par l'exemple par Mardouk, l'escouade divine parut se découvrir de nouvelles ressources comme si tout ce qui avait précédé n'avait été qu'un aimable échauffement.
La lame noire de Mardouk se mit à luire, se nimbant d'une aura sombre comme la nuit. L'épée, qui servait d'ordinaire au dieu à ouvrir des seuils dimensionnels, devint alors elle-même un passage entre les mondes.
Si la pointe et le tranchant restaient de métal, le plat de la lame débouchait sur un trou noir semblable à celui qui avait failli engloutir Aioros quelques heures plus tôt.
Le Babylonien bondit sur Tiamat, évitant un coup de la queue gigantesque, avant de planter son arme dans le corps du monstre, transperçant sans peine les écailles de celui-ci. Les chairs du serpent du Chaos furent englouties par le trou noir, le monstre semblant se vider de sa substance, se dégonfler tel un ballon que l'on aurait percé.
Tiamat hurla de douleur et de rage pendant que Mardouk se mettait à courir sur le corps de son adversaire mythologique, ouvrant une profonde plaie dans son sillage.
Aioros décochait flèche sur flèche tout en fonçant au corps à corps, touchant Loki et Baal.
Inanna profita du fait que son adversaire ôtait un trait de son épaule pour ouvrir les six portes des enfers mésopotamiens autour de celui-ci. Des bras décharnés se finissant par des ongles crochus et noirs émergèrent des ouvertures pour saisir le dieu carthaginois. Les hordes de démons et damnés babyloniens venant des six portes attrapèrent chacune une partie différente de Baal, les membres, la tête et le torse, puis tirèrent chacune dans une direction différente.
- Maudits, comment osez-vous poser vos mains sur moi ! hurla le dieu outragé.
Il allait de nouveau hurler quelque chose, mais une flèche d'Aioros l'atteignit en pleine gorge, si bien que seul un vomissement rouge sortit de sa bouche.
Les démons et damnés tirèrent encore plus fort, démembrant littéralement l'ancien maître de Carthage.
- Plutôt sanglant, observa Aioros en arrivant à côté d'Inanna.
- J'ai emprunté l'idée à l'un de tes compagnons chevalier d'or.
- J'ai vraiment de mauvaises fréquentations...
Au même moment, Loki repartit à l'assaut de Tokoyo, qui évita sans peine la charge désordonnée sans même prendre la peine de dégainer son arme. Le dieu asgardien de la duplicité souleva sa hache à deux mains pour l’abattre sur sa frêle adversaire, qui dégaina et frappa dans le même mouvement. Loki sentit une douleur au niveau de ses avant-bras et réalisa avec stupéfaction après avoir fini son mouvement que ceux-ci avaient été sectionnés et projetés derrière lui avec son arme. La Kami frappa son adversaire d'un rapide enchaînement de coups de pied, le faisant chuter sur sa propre hache sur laquelle il s'empala.
Pendant ce temps, Hanpa et Shamash commençaient à prendre un ascendant flagrant sur Tezcatlipoca. Libérant à présent toute sa puissance, Hanpa arborait une apparence presque totalement démoniaque, ne conservant plus que de rares traits humains. Sa musculature était disproportionnée, son squelette apparaissait par endroit sous la forme d'excroissances tranchantes comme des rasoirs, il avait une deuxième paire d'ailes et sa bouche cachait trois rangées de crocs. Le démon du désert mésopotamien luttait seul au corps à corps pendant que Shamash concentrait ses forces. Celui-ci ouvrit alors une porte dimensionnelle menant au cœur d'une étoile, déployant des ressources considérables pour que le passage soit à sens unique et ne laisse passer ni la chaleur ni le plasma de l'astre et filtre l'invraisemblable luminosité à des niveaux supportables.
Hanpa saisit Tezcatlipoca en riant comme un dément, et le projeta dans la fournaise qui l'engloutit en un instant.
L'homme à tête de Lion et Alinda s'occupaient pour leur part des démons toltèques qui accompagnaient Tezcatlipoca. Le dieu animal démembrait ses adversaires en déployant une force brute terrifiante pendant que l'Aborigène, qui avait grandi jusqu'à mesurer près de trente mètres ce qui lui faisait surpasser même la stature de Tiamat, les écrasait sous ses pieds ou entre ses mains.
Pendant que Rudy et Gienah aidaient Anhur à maîtriser les démons tout droit surgis du Livre des Morts égyptien, Seth et Râ entamaient la dernière partie de leur combat face à Apopis.
Le cosmos de Seth explosa, créant une pyramide d'énergie enfermant l'incarnation du Chaos. Le monstre tenta de briser le piège, mais ses coups rebondirent sur les murs d'énergie. Ra bondit de façon à se placer sur la pointe de la pyramide et enflamma son cosmos semblable à de la lave en fusion et qui l'entoura complètement, le faisant ressembler à une petite étoile.
Le cosmos du dieu du Soleil se déversa alors dans la pyramide, consumant les chairs d'Apopis. La structure d'énergie fut totalement remplie par l'aura incandescente en quelques secondes, puis le cosmos de Ra reflua et la pyramide s'estompa, révélant le squelette fumant du monstre.
Après cela, il fallut moins d'une minute au groupe pour achever les derniers démons et divinités secondaires qui voulurent continuer le combat, la plupart préférant néanmoins la fuite.
Aioros rejoignit Mardouk et tous deux regardèrent rapidement l'état de la petite troupe : presque aucune blessure n'était à déplorer, la victoire avait été totale.
- Penses-tu que nous allons avoir d'autres comités d'accueil ? interrogea le Sagittaire.
- Non, répondit le Babylonien d'un ton assuré.
Cette réponse n'était pas qu'une supposition : le temple se mit soudainement à trembler autour d'eux en même temps qu'un rire se faisait entendre.
- Vous m'avez fort diverti, dit une voix profonde venant de toutes les directions autour d'eux. Vos pouvoirs ont bel et bien énormément augmenté, à une époque les pions que je vous ai envoyés vous auraient stoppés.
La structure de la dimension abritant le temple commença à s'écrouler autour d'eux, menaçant de les précipiter dans le néant. Le sol se déformait, s'effritait ou disparaissait en révélant des paysages de vide cosmique. La troupe se rassembla instantanément, formant un carré dont les sommets étaient Mardouk, Rudy, Shamash et Alinda. Les pouvoirs des quatre experts en voyages dimensionnels que comptait le groupe se combinèrent pour les isoler du chaos ambiant.
- Néanmoins, même si vous vous êtes élevés au-dessus de vos conditions de mortels, vous avez fait preuve de folie en venant ici en suivant un vulgaire mortel au lieu d'Elle. Adieu.
Le temple vola alors complètement en éclats autour d'eux, la seule portion demeurant intacte étant les dalles se trouvant à l'intérieur du carré. Ils dérivaient à présent dans le vide séparant les dimensions, le néant absolu. Tous se sentirent mal à l'aise et commencèrent à saigner des oreilles et du nez.
- Rapprochez-vous les uns des autres, il est trop difficile de maintenir une aussi grande protection, ordonna Rudy d'un ton autoritaire.
Les rangs se serrèrent, permettant à l'aire du carré protecteur de diminuer. Les dalles qui sortirent de la protection furent instantanément pulvérisées et réduites à néant, comme absorbées par les ténèbres absolues qui les entouraient.
- Je n'arrive à ouvrir aucun passage dimensionnel, dit Mardouk.
- Moi non plus, dit Shamash.
- Nous sommes dans des dimensions du Temps du Rêve, observa Rudy. Alinda, nous sommes sur ton terrain de jeu, peux-tu nous ramener dans un monde plus hospitalier.
Le silence de l'Aborigène fut des plus éloquents.
- Je pense que tout ce temple était une réalité complète repliée sur elle-même, dit Shamash. Il nous a laissés entrer dedans puis l'a projetée toute entière dans le néant. Je ne sais pas comment il a fait, mais cela a détruit tous les ponts dimensionnels avec les autres réalités, toutes les routes nous sont coupées. C'est comme si nous étions bloqués aux confins des mondes sans route de retour.
- Gienah, interpella Aioros. Lors de ton combat contre Akiera tu as acquis une capacité de voyage dimensionnel totalement différente de celles dont j'ai été le témoin.
- Comment sais-tu... commença l'ancien chevalier noir avant de réaliser que la réponse serait hors de propos.
Il marqua une pause et déploya son cosmos.
- Oui, tu as raison, reprit-il. Je peux modifier la fréquence vibratoire de mes atomes pour l'adapter à celle de n'importe quelle dimension.
Il se concentra sur ses perceptions cosmiques avant de poursuivre.
- Le néant qui nous entoure a une fréquence infinie, c'est pour cela qu'aucune matière ne peut y subsister : les atomes explosent à cause du stress qui leur est infligé. La fréquence de nos atomes est déjà bien au delà de tout ce qui doit exister naturellement dans le multivers et est encore en train d'accélérer, la protection ne fait que ralentir le processus.
- Peux-tu nous ramener ? demanda Aioros.
- Peut-être le pourrais-je pour moi, mais nous sommes trop nombreux. La seule solution serait de...
- Tu dois le faire. Ils ne tiendront pas longtemps et quand ils craqueront le néant nous dévorera tous jusqu'au dernier. Tu es notre seul espoir.
Le Sagittaire posa sa main sur l'épaule de Gienah en signe d'encouragement. Celui-ci regarda ses compagnons qui semblaient de plus en plus affectés, puis eut un petit sourire.
- Bah, je n'ai jamais espéré finir centenaire de toute façon.
- Que veux-tu dire ? demanda Tokoyo.
- Ca va aller, fit simplement Gienah.
Une couche de givre commença à se former sur son corps, puis il disparut brutalement. Il y eut un moment de flottement, avant que tout le monde ou presque ne parle en même temps.
- Où est-il passé ? fit Ra.
- Il est toujours là en un sens, je perçois toujours ses pensées, répondit Aioros d'une voix neutre. Mais sa fréquence vibratoire n'est plus la même que la nôtre.
- Comment cela, il nous a laissés et retourne seul vers la sécurité ? interrogea Anhur d'une voix incrédule devant cette trahison.
- Non, il n’est simplement pas capable d’abaisser nos fréquences à tous en même temps, il ne peut pas les dissiper comme cela sans contrepartie.
- Tu veux dire qu'il est train de les absorber ? intervint Inanna. Nos fréquences sont en train de diminuer pendant que la sienne augmente en compensation ?
- Mais alors la sienne va tendre vers l'infini, il est train de se précipiter vers le néant ! fit Hanpa.
- Il doit déjà être à l'extérieur de notre protection, observa Rudy. Le néant l'a peut-être déjà dévoré.
- Non, il s'est recouvert d'une couche de glace protectrice. Il espère qu'elle tiendra le temps qu'il nous ramène.
- Mais lui restera-t-il assez de forces pour revenir ensuite ? demanda Hanpa.
- Probablement pas. Il sera allé trop loin pour revenir, même seul.
- Tu le savais ? interrogea Anhur.
- Oui.
La plupart le regardèrent avec une expression étrange pendant quelques instants.
- Son âme survivra et connaîtra une autre vie. Peut-être même ce sacrifice lui permettra-t-il de sortir du cycle des réincarnations. Que ce soit clair, je ferai tout ce qu'il est nécessaire pour remplir la tâche qu'Elle m'a confiée. L'enjeu est simplement trop important. Gienah l'a compris et accepté.
- Mais... commença Anhur avant de se faire couper d'un geste autoritaire par Aioros.
- Gienah me transmet ses pensées. Il dit qu'il a vécu beaucoup plus longtemps qu'il ne l'aurait pensé à l'époque où il appelait la mort de ses voeux. Il dit aussi qu'il a accompli beaucoup plus que ce qu'il était en droit d'accomplir avec son passé.
La voix d'Aioros s'altéra légèrement, comme si Gienah parlait directement à travers lui.
- Le néant m'appelle, je n'ai pas peur. J'ai l'impression de tomber et d'être entouré par des flocons de neige. Malgré tout ce que j'ai vu et fait, le poids de mes crimes m'a toujours pesé, mais je vais enfin pouvoir... Oublier.
Le groupe se retrouva brusquement sur la grande plaine aride, à l'emplacement précis du temple qui avait disparu sans laisser la plus petite trace, pas même la moindre fondation.
- Peut-être pouvons-nous encore récupérer Gienah, le ramener... commença Hanpa.
- Il est trop tard pour cela, vous l'avez entendu, trancha Mardouk. Et nous avons d'autres choses à nous soucier, ajouta-t-il en désignant un point en face d'eux.
Un bloc de cristal de trois mètres de haut se dressait au centre de l'espace qui avait été occupé par le temple.
- Félicitations, je ne m'attendais pas à votre survie, dit la voix.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Hanpa en désignant le centre du bloc.
Un visage était en effet pris dans le cristal. Humain d'apparence, il faisait peine à voir et était couvert de cicatrices, la transparence du bloc montrant qu'il ne reposait sur aucun corps.
- Néanmoins, votre pitoyable équipée va s'arrêter ici, poursuivit la voix, qui venait, c’était clair à présent, du visage décharné.
Les lèvres de la monstruosité bougeaient en effet au rythme des paroles chargées de menace et ses yeux, aux iris et pupilles d'un bleu uni sur fond rouge, les fixaient.
- Je suis une force primordiale de l'univers. Un groupe de fausses idoles tirées des rêves des mortels et deux de ceux-ci ne peuvent rien contre moi.
Il apparut bientôt clairement aux membres du groupe que le visage qui leur parlait n'était même pas un crâne, mais uniquement un grotesque masque de chair collé directement sur la surface du cristal. Lorsqu'elles bougeaient, ses lèvres ne révélaient en effet ni rangées de dents, ni cavité buccale, simplement la paroi nue du bloc.
- Qu'est-ce donc ? interrogea Anhur.
- Il y a bien longtemps, Elle l'a affronté alors qu’il habitait le corps de Janus. Il avait choisi le corps du dieu des Portes, car l'un des visages de celui-ci avait le regard tourné vers l'avenir, lui offrant un don de prescience. Lors du combat, Elle arracha ce visage et il abandonna après l'affrontement le corps de Janus, qui devint son larbin. Néanmoins, par la suite, il a continué à démontrer qu'il avait toujours la possibilité de lire le futur. Je soupçonnais donc que, même arraché de son crâne, le visage perdu de Janus était toujours vivant, ses yeux toujours braqués vers demain et qu'il ne l'avait en fait jamais quitté.
- Tu es amusant, mortel, dit le masque putride. Amusant comme un animal savant. Je commence à comprendre pourquoi Elle t'a choisi. Apprends toutefois que je viens de sceller ce plan, n'espérez donc pas qu'Elle puisse vous venir en aide.
Le bloc de cristal commença alors à se contracter et à rapetisser. Avec ses capacités poussées à leur optimum par l'intervention d'Elle, Aioros pouvait presque voir les atomes se rapprocher les uns des autres, créant un nouveau composant extrêmement dense et virtuellement indestructible.
Au fur et à mesure que son volume diminuait, le bloc changea aussi de forme, ressemblant progressivement à une statue.
Finalement, il devint un humanoïde de cristal d'une stature proche de celle de Janus, le visage décharné se retrouvant sur le devant du crâne, mais protégé sous une coque cristalline transparente. Plusieurs excroissances au niveau des membres, du torse et des épaules rappelaient les formes d'une armure, néanmoins le corps était bien d'un seul bloc.
Une fois la transformation achevée, il se mit à marcher vers eux.
- A nous maintenant, je serais surpris que cela dure longtemps.
- Nous sommes prêts, Ordre, répliqua Aioros.

Plus tôt…

Une légère déception se dessinait sur Son visage après qu'Aioros ait énoncé la conclusion de son raisonnement. Ce fut alors que celui-ci sourit et reprit.
- Néanmoins si Chaos est la réponse la plus évidente, celle qui me vient le plus rapidement à l'esprit, je ne pense pas que ce soit la bonne. En répondant cela, je confondrais les moyens et l'objectif. Votre Ennemi crée des conflits, mais les conséquences de ceux-ci sont invisibles pour la quasi-totalité de l'humanité qui ignore totalement l'existence des guerriers sacrés et des dieux. Ces conflits n'engendrent pas du désordre, au contraire, par leur aspect cyclique et sans cesse renouvelé, ils contribuent à maintenir inchangé l'ordre des choses. Nous autres chevaliers d’Athéna sommes capables de briser les lois naturelles, de les plier à notre volonté, grâce au cosmos et au septième sens. Si nos connaissances se généralisaient à l’ensemble de l’humanité, l’univers commencerait à pencher vers le Chaos. Si l’humanité évoluait comme Vous et Mardouk le souhaitiez, cela signifierait la fin de la stagnation et donc une défaite pour Ordre. Enfin, les Premiers sont issus d'un monde déséquilibré vers le Chaos, et c'est justement pour cela que ce dernier ne pourrait rien pour eux. Chaos ne pourrait donc que les amener encore plus loin de ce qu’ils recherchent. Seul Ordre avait quelque chose à leur offrir : l'équilibre que les Premiers enviaient à notre réalité. Vous m'avez dit que les humains, par le biais du Temps du Rêve, avaient doté Chaos d'une personnalité. Ces deux forces étant parfaitement équilibrées dans notre univers, Ordre a donc acquis une conscience au même moment, par effet de balancement. C'est lui, Votre grand Ennemi.
- Bien raisonné. Décides-tu donc de m'aider à l'abattre ?
- C'est une grande décision, très difficile. Même si le statut quo bride le développement de l’humanité et son empêche épanouissement, il a aussi permis sa survie jusqu’à aujourd’hui. Rompre cet équilibre, provoquer le changement, pourrait entraîner une réaction et amener le genre humain à sa perte. J'ai donc besoin de plus d'éléments pour prendre cette décision, mais il y a un moyen très simple pour moi de les obtenir.
- Lequel ?
- Donnez-moi dès à présent les capacités dont Vous m'avez parlé tout à l'heure.
- Pourquoi te les donnerais-je avant de savoir si tu accepteras de m'aider ? demanda-t-elle d'un ton curieux.
- Nous savons tous les deux que Vous allez accepter.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? insista-t-elle d'un air amusé.
- Ces pouvoirs que Vous allez me confier me permettront de ne faire qu'un avec ce que j'ai été et ce que je serai. Les limites habituelles de l'écoulement du temps n'auront donc plus la même signification pour moi, puisque ma conscience s'étendra sur toute l'étendue de ma vie en même temps. Je partagerai les pensées de celui que j'étais il y a des années... et celui que j'étais il y a des années ressentira aussi obligatoirement cette connexion. Dès que j'ai découvert mon cosmos, j'ai eu la capacité de pouvoir évaluer instantanément et parfaitement la nature et la puissance du cosmos de tout ceux que je rencontrais. Suite à mon combat contre Inanna et Hanpa à Babylone, au cours duquel j'ai dû repousser mes limites et atteindre un niveau supérieur de conscience, j'ai été sujet à des rêves qui me révélaient des événements du futur... ou de futurs possibles. Je peux aussi comprendre le fonctionnement des techniques de combat les plus sophistiquées, et éventuellement m'en inspirer, simplement en regardant la façon dont le cosmos d'un guerrier s'altère au moment de déclencher son arcane. Personne n'a jamais pu m'expliquer la nature de ces capacités hors du commun, mais aujourd'hui elle me parait très claire : mon moi d'alors avait accès à une version atténuée des pouvoirs dont vous allez me doter. Une sorte de prescience rendue possible par la nature intemporelle de ces capacités auxquelles j'avais inconsciemment accès avant même de les avoir acquises. Nous savons donc que Vous allez accepter car j'ai déjà été affecté par Votre décision à venir.
- Tu es effectivement semblable à ce que j'attendais.
Elle se leva et marcha vers Aioros avant de s'arrêter juste devant lui. Elle posa la paume de sa main droite sur le front de celui-ci.
Quelques instants passèrent, puis Aioros sembla soudainement frappé par la foudre. Il s'écroula en hurlant, avant de se rouler en boule en se prenant la tête à deux mains. Alinda voulut s'approcher pour l'aider, mais Elle le stoppa d'un geste.
La forme de l'armure du Sagittaire évolua alors, tous ses dommages se réparant et sa teinte passant du doré au blanc.
Il s'écoula près d'une minute avant qu'Aioros ne cesse de gémir de douleur et que les muscles de son corps commencent à se détendre légèrement, et Elle en attendit encore une autre avant de lui parler.
- Comment vas-tu, mon garçon ? demanda-t-Elle finalement d'un ton presque maternel.
- Bien, dit-il finalement. Je... Je n'avais pas idée.
Il sembla seulement remarquer à ce moment-là que son armure avait changé.
- C'est toi qui as fait cela, ton armure a pris la forme parfaite sous laquelle tu l'imagines. Il s'agit de sa version onirique, que tu porteras lorsque tu arpenteras les chemins du Temps du Rêve.
- Je m'imagine comme un chevalier blanc ? Ou comme un ange ?
- Révélateur, n'est-ce pas ? Peux-tu maintenant me dire ce que tu as vu et quelle est ta décision ?
- J'ai eu un aperçu des futurs possibles... Si nous ne battons pas Ordre, j'ai vu que le cycle des Guerres Saintes se poursuivra, l'humanité stagnera, régressera et finira même par disparaître très lentement après une longue agonie dans de nombreux futurs. En revanche, si nous le détruisons, la Guerre Sainte à venir sera la dernière. Le danger sera terrible, et l'humanité sera infiniment plus affectée par le conflit qu'elle ne l'a été par les anciens et passera près de l'annihilation. Elle cessera même là aussi d'exister dans de nombreux avenirs. Néanmoins il existerait un espoir, la possibilité pour Athéna de triompher et d'offrir aux hommes un monde meilleur. Pas parfait... mais meilleur. Au final, l’humanité aurait tout simplement plus de chances de survie si Ordre ne pouvait plus manipuler les choses. Et surtout, elle serait enfin totalement maîtresse de son destin et de ses choix. Sans changement, la vie des hommes pourrait demeurer inchangée pendant encore quelques milliers d’années, mais ils resteraient soumis à Hadès dans la mort, esclaves de dieux qu’ils ont pourtant créés.
Le chevalier se redressa péniblement et La regarda droit dans les yeux.
- Bien sûr, je ne peux pas exclure totalement que toutes ces visions ne soient qu'une illusion élaborée par Vous. Cependant, j'ai la conviction profonde que tout est vrai et qu'en Vous aidant j'agis dans l'intérêt d'Athéna. En outre j'ai vu que dans plusieurs futurs je devenais le Grand Pope du Sanctuaire, je sens même que grâce à Votre don j’en ai dès à présent certaines des capacités et attributs réservés. Je suis donc apte à juger les éléments mis à ma disposition et à prendre la bonne décision en fonction des intérêts de ma déesse. Il y a juste une chose...
- Quoi donc ?
- Si j'ai vu ce qu'il pourrait découler de Notre affrontement avec Ordre, je n'ai rien vu du combat lui-même.
- Cette capacité de prescience que te donne ta connexion avec les avenirs possibles n'est pas illimitée. Tu as accès aux grandes tendances, aux moments de basculement, pas aux détails. Or les détails peuvent se révéler vitaux. Ne surestimes jamais les possibilités qui te sont offertes, ce que tu vois ne peut que te donner des indications, pas un plan de marche capable de te dicter tous tes actes. Nous construisons l'avenir, il ne s'impose pas à nous. En outre, Ordre et moi sommes capables de brouiller l'avenir en ce qui nous concerne directement. Cela nous empêche de prévoir les plans de l'autre. Sinon, nous pourrions consulter tous les avenirs possibles et choisir la stratégie d'attaque ayant le plus de chances de succès. Nous jouons à ce petit jeu d'échec en quasi aveugle depuis très longtemps... Il te faudra donc aller au combat sans la moindre idée de ce qui t'attend.
- Ce n'est pas grave. J'ai compris ce que Vous disiez tout à l'heure en m'expliquant que Votre pouvoir me donnerait une lucidité totale. Toute ma vie est présente devant mes yeux et des détails, dont la signification était mystérieuse ou peu importante de prime abord, prennent tout leur sens une fois plongés dans le contexte global. J'arrive à présent à faire le lien entre des choses dont j'ai été témoin à des années d'intervalle. C'est comme si je regardais une tapisserie dans son ensemble au lieu de m'attarder sur ses mailles.
- Et qu'as-tu compris ?
- Beaucoup de choses, sur Janus et même sur Ordre. J'ai un plan, je sais exactement comment les vaincre tous les deux.
Elle le regarda attentivement et vit la détermination et l'assurance du chevalier.
- Très bien. Inanna t'attend. Avec elle tu rejoindras Rudy jusqu'à l'endroit où il a suivi Janus. Mardouk te rejoindra dès qu'il aura rassemblé les autres.
- Inanna... Elle est morte n'est-ce pas ?
- Oui. Elle a accompli la dernière tâche que j'attendais d'elle, avant d’être tuée par le même homme qui a détruit mon ancienne enveloppe charnelle.
- Deathmask... murmura Aioros en serrant le poing.
- Elle a néanmoins retrouvé son statut divin, comme les autres.
Cela ne sembla pas beaucoup réconforter Aioros.
- J'aurais aussi besoin de vous deux, ajouta-t-il au bout de longues secondes à l'intention de l'homme à tête de lion et d’Alinda.
Ils se tournèrent vers Elle, qui leur signifia d'un geste de faire ce qu'Aioros leur demanderait, puis hochèrent la tête en direction du chevalier.
- Il faut aussi que je vous confie une idée qui m'est venue...

*          *          *          *          *

- Vous savez quoi faire, dit Aioros.
Tous les dieux, à l'exception notable de Mardouk, se dispersèrent alors simultanément. Ordre les ignora superbement se contentant de marcher droit sur Aioros et le Babylonien.
L'être de cristal s'arrêta finalement à moins de dix mètres de ses ennemis, pendant que les autres dieux avaient formé un grand cercle similaire à celui qu'ils avaient constitué lors de la traversée du temple, englobant à la fois leurs compagnons et Ordre.
Rudy, qui était avec Alinda le seul à aller se placer à l'extérieur du cercle, s'assit en tailleur et commença à psalmodier.
- Amusant, commenta Ordre en regardant les dieux qui l'encerclaient. Pensez-vous que je souhaite m'enfuir ou alors que m'attaquer de toute part changera quoi que ce soit ?
- Mardouk, je te prie, fit Aioros.
- Avec plaisir, répondit le Babylonien en s'avançant vers Ordre.
Ce qui ressemblait à de l'étonnement se dessina sur le visage terriblement mutilé qui avait appartenu à Janus des millénaires plus tôt.
- Vous plaisantez.
Mardouk ne répondit pas, mais frappa avec son épée, visant le bas-ventre de son adversaire. Le coup, porté avec une force invraisemblable et qui aurait sans doute empalé un Olympien, fit reculer Ordre de deux bons mètres. Celui-ci porta sa main à son ventre, et constata avec un léger étonnement que l'épée noire y avait laissé une jolie entaille.
- Bah, qu'espères-tu ? lança-t-il à Mardouk qui repartit à l'assaut.
Le Babylonien porta cette fois-ci une série d'assauts à une vitesse vertigineuse, Ordre les parant ou les déviant avec ses bras.
Aioros, qui assistait au combat sans intervenir, avait du mal à suivre les échanges malgré ses capacités augmentées. Les coups portés par Mardouk dépassaient de loin la célérité de la lumière ou même la vitesse du Chronal Schock qu'il utilisait avant d'être redevenu un dieu de plein droit. Le Babylonien déployait à présent sa pleine vitesse divine, supérieure encore à celle que Janus avait montrée contre le Sagittaire un peu plus tôt. Chacun de ses mouvements entraînaient des bourrasques de vent et faisait trembler le sol.
Néanmoins, cela semblait insuffisant, car, si les bras d'Ordre se couvraient de nouvelles égratignures à chaque impact, Mardouk n'arrivait jamais à toucher son visage.
Soudain, sur un ample coup latéral de Mardouk, Ordre saisit l'épée de son adversaire à pleines mains, juste au-dessus de la garde et au niveau de la pointe. Il exerça une forte torsion, brisant l'épée en deux à sa moitié, puis lâcha les débris de l'arme pour frapper Mardouk au visage d'une gifle violente.
Le Babylonien vacilla sous l'attaque alors qu'Ordre enchaînait d'un puissant coup de poing au corps qui projeta Mardouk plusieurs mètres en arrière.
Ordre aurait voulu suivre son adversaire pour ne lui laisser aucun répit, pourtant il fut obligé de s'arrêter : les deux morceaux de l'épée brisée étaient plantés dans son corps. Si la moitié avec la poignée était fichée en plein torse, la pointe avait quant à elle visé son front, transperçant la mince paroi de cristal protégeant l'ancien visage de Janus, mais s'arrêtant un millimètre avant d'atteindre sa cible. Mardouk avait-il volontairement encaissé les derniers coups pour se donner l'opportunité de toucher ?
La réponse ne semblait pas concerner Ordre qui éclata de rire.
- Tu es stupide. Même si tu détruisais ce corps, même ce visage, crois-tu vraiment que cela suffirait à me tuer ?
Pendant qu'il parlait, toutes les traces laissées par l'arme de Mardouk sur le corps d’Ordre disparurent. Le visage de Janus pénétra quant à lui plus profondément à l’intérieur du cristal, descendant même dans le torse pour être le mieux protégé possible.
- Je suis Ordre, j'existais avant la création de cet univers ! Je suis éternel.
- Nous allons voir, répliqua Mardouk en essuyant du sang qui coulait de ses lèvres et en enflammant son cosmos. Il plaça ses mains devant lui, formant un triangle avec ses doigts.
Ordre fut soudain frappé de plein fouet par une série d'impacts, comme si des rafales d'énergie avaient surgi du néant.
- CHRONAL SCHOCK ! lança Mardouk en faisant exploser son énergie avant d'expédier des projectiles cosmiques sur son adversaire.
Les coups martelaient le corps cristallin d'Ordre sans relâche, ce dernier paraissant incapable de les esquiver. Il fallut plusieurs secondes à Aioros pour comprendre le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Lorsqu'il avait affronté la version mortelle de Mardouk, le Chronal Schock avait permis à celui-ci de dépasser la vitesse de la lumière en mélangeant ses projections d'énergie avec des tachyons. Le Sagittaire assistait à présent avec stupéfaction à la démonstration de la version divine de cette technique. Les attaques ne se contentaient plus de dépasser la vitesse de la lumière : elles allaient à rebours dans le temps, frappant leur cible avant même d'avoir quitté les mains de Mardouk. Cela les rendait tout simplement imparables, leurs trajectoires étant totalement imprévisibles.
- Mais si j'ai compris cela, il ne faudra pas très longtemps à Ordre pour faire de même, pensa le Sagittaire.
L'être de cristal se mit à avancer vers son adversaire malgré le véritable déluge de coups qui le frappaient sans interruption, d'abord lentement puis de plus en plus rapidement tandis que ce qui ressemblait à un cosmos blanc se formait autour de son corps, amortissant les coups du Chronal Schock.
Les rafales d'énergie cessèrent finalement de frapper Ordre, une fraction de seconde avant que Mardouk ne cesse de les projeter. Le décalage temporel se retourna ainsi contre le Babylonien : ne subissant plus les impacts du Chronal Schock, Ordre se retrouva soudain totalement libre de ses mouvements alors que Mardouk était de son côté toujours en pose d'attaque. Il se jeta donc sur son ennemi, ne lui laissant pas le temps de basculer en défense. La réalité elle-même sembla se distordre sous la violence des coups de poing d’Ordre qui frappèrent Mardouk au torse et au visage. L’entité primordiale saisit alors son adversaire aux épaules et sembla projeter avec son corps une onde de choc à bout portant. L’armure de Mardouk, pourtant forgée dans les écailles de Tiamat, explosa en miettes tandis que les os du dieu se brisaient. Le corps désarticulé fut projeté en hauteur avant de percuter le sol et de rebondir plusieurs fois.
Il s’arrêta finalement juste devant Aioros, qui ne fit pas le moindre geste dans sa direction.
- Regardez-le bien, lança Ordre à tous les dieux en désignant Mardouk. Ce n’était que le premier. Aucun de vous ne repartira jamais d’ici, je vous écraserai, puis je vous garderai en vie des millénaires avant de vous achever.
Même si certains membres de l’escouade divine semblaient éructer de rage et n’auraient visiblement rien souhaité plus qu’aller au secours de leur compagnon et défier leur ennemi, aucun ne bougea. Aioros, quant à lui, demeurait parfaitement stoïque.
- Eh bien mortel, tu ne sembles pas faire grand cas de la défaite de ton plus puissant allié, lança Ordre d’une voix moqueuse.
- Il a rempli son rôle.
- Vraiment ? Laisse-moi deviner, il était censé m’occuper le temps que ce vieillard finisse ses incantations.
Ordre avait prononcé ces dernières paroles en désignant Rudy qui était toujours en train de psalmodier.
- Oui, je crois d’ailleurs que c’est le cas, répliqua le Sagittaire.
Un triangle de lumière apparut autour du vieil Allemand, alors que simultanément de grandes lignes de flamme se formèrent sur le sol, dessinant un gigantesque octogone englobant une étoile à huit branches aux pointes de laquelle se trouvaient Inanna, Shamash, Hanpa, Râ, Seth, Anhur, Tokoyo et l’homme à tête de lion.
- Rudy m’a assuré qu’un dispositif similaire avait retenu Janus. Néanmoins, la puissance de celui-ci repose sur huit divinités, plus les pouvoirs d’Alinda sur le Temps des Rêves. Vous ne pourrez plus sortir d’ici.
Ordre éclata d’un rire méprisant.
- Vous êtes stupides. Crois-tu vraiment que je n’avais pas vu ce que vous étiez en train de préparer ? Penses-tu réellement que cela pourra me retenir au moment où je tenterai d’en sortir ? Vous inversez la situation, c’est moi qui vous ai isolés dans cette dimension pour qu’Elle ne puisse plus vous venir en aide. Que vous m’empêchiez également de partir est une plaisanterie, car votre seule et unique chance de survie est que le fait que je me lasse de ce combat et parte sans vous tuer. Vous pensez m’avoir enfermé ? Mais c’est vous qui êtes piégés, et toi, stupide mortel, tu t’es même volontairement enfermé seul avec moi à l’intérieur de ce grotesque octogone.
- En l’occurrence, il est impossible de sortir de cet octogone, mais n’importe qui peut y entrer. Evidemment, si certains de mes compagnons me rejoignaient cela affaiblirait d’autant l’enchantement. Cependant, il reste malgré tout une option que vous ne semblez pas vouloir prendre en compte.
- Laquelle ?
- Le fait que je ne sois pas stupide.
- Bah, tu commences à me lasser. De toute façon, qu’espères-tu accomplir même si tu parvenais à me détruire ? Je suis éternel.
- Ce n’est pas tout à fait exact. Les concepts d’Ordre et de Chaos sont effectivement éternels. Mais ce sont juste des concepts, sans personnalité ni intelligence. C’est l’humanité qui vous en a involontairement dotées. Et ce sont elles que je veux détruire, afin que vous redeveniez ce que vous étiez à l’origine et cessiez d’influencer le développement des humains.
- Tu n’as pas idée des conséquences que cela aurait. Même s’ils n’en sont pas conscients, je manipule les Olympiens depuis que j’ai orchestré leur avènement en tant que panthéon majeur. Sans moi, la crainte que vous les renversiez ferait qu’ils auraient tôt fait de vous exterminer jusqu’au dernier.
- Sans hommes, plus de Temps des Rêves et donc plus de dieux.
- Les hommes n’ont pas besoin d’être vivants pour être connectés à la conscience collective. Si toute l’humanité mourrait, ou au moins une écrasante majorité, si les dieux décidaient de conserver quelques élus avec eux, le Temps des Rêves persisterait mais péricliterait petit à petit à cause de la fin du cycle de réincarnation. Il stagnerait, deviendrait moins riche puis déclinerait de plus en plus vite. Les dieux deviendraient eux-mêmes de moins en moins puissants au fur et à mesure que les esprits qui les ont créés s’affaibliraient. Néanmoins, même terriblement amoindris et loin de leur gloire passée, les Olympiens survivraient. Leur lâcheté et leur peur de disparaître les conduiraient à préférer cette sous-existence à la mort.
- Si cela est vrai, pourquoi n’avez-vous pas détruit l’humanité depuis longtemps ?
Néanmoins, Aioros avait déjà trouvé la réponse avant même d’avoir fini de formuler sa question.
- Chaos.
- Oui. Sans lui, cela ferait longtemps que j’aurais éliminé cette hérésie que l’on appelle la vie intelligente. L’univers est une construction magnifique, un équilibre parfait de forces, de matière et d’énergie. Un système évoluant selon des lois immuables et élégantes. Même l’écosystème de la Terre serait une mécanique admirable sans l’homme. L’intelligence n’est qu’un détail, une scorie qui gâche la perfection du reste. Néanmoins, c’est l’enfant de Chaos. Et même s’il s’est désintéressé depuis une éternité du devenir de la Terre et est parti explorer les profondeurs du cosmos, il ne tolérerait pas que je la détruise. Cependant, ne pense pas qu’il vous restaurerait, vous n’êtes qu’un animal curieux pour lui. Si vous disparaissiez, il recréerait simplement une nouvelle engeance à partir de zéro. Je pense même qu’il serait capable de revenir un jour sur ses pas, de voir ce que la Terre est devenue et de vous anéantir pour faire de la place à une nouvelle création, simplement parce qu’il vous jugerait ennuyeux. Alors crois-moi, ce n’est pas l’intérêt de l’humanité que tu me détruises.
- Pourtant c’est ce que nous allons faire. Nous gérerons le problème des Olympiens ensuite. Et nous terrasserons même Chaos s’il revenait un jour.
- Ah, et comment penses-tu me tuer ?
- Tu es seul, et même si Elle t’a donné une partie de ses pouvoirs, tu n’es pas aussi puissant que la loque qui se trouve à tes pieds.
- Pourtant, vous n’êtes pas invincible. Elle vous a presque détruit par le passé.
- Mais Elle n’est pas ici. Je me suis assuré qu’Elle ne se cachait en aucun d’entre vous, j’ai sondé vos âmes les unes après les autres. Tu n’es qu’un faible mortel seul face à moi.
- Je suis peut-être faible, mais je ne pense pas que ma force soit la première raison pour laquelle Elle m’ait choisie. Ensuite les enjeux de ce combat sont bien trop grands pour que je vous accorde un combat loyal.
- Quoi ?
- Vous avez effectivement fouillé nos âmes. Néanmoins, je pense que vous en avez oublié une. Vous savez sans doute que les armures d’Athéna ont été forgées par les Arois, sur le continent de Mû. Notamment, douze princes et princesses ont offert leurs vies pour donner naissance aux armures d’or. Alors, je vais vous poser une question : avez-vous pensé à sonder l’âme de Naacal, prince héritier de la cent douzième dynastie royale aroine ?
- Comment ?
La voix d’Ordre avait changé et était à présent chargée de crainte.
- Je ne suis pas enfermé avec vous. Vous êtes enfermé avec Elle.
L’armure onirique du Sagittaire se mit à vibrer, avant de couler comme du liquide sur le corps du Grec de façon à le recouvrir entièrement, puis le plastron se transforma, dessinant le visage d’Elle sur le torse d’Aioros.
- Nous nous retrouvons enfin, dit le visage d’Elle.
- Non ! hurla Ordre en chargeant son adversaire.
- LE PAS AGILE D’ACHILLE ! répliqua le chevalier derrière son casque intégral tandis que son cosmos et celui d’Elle explosaient de concert.
Même les huit dieux qui assistaient au combat furent absolument incapables de suivre les mouvements du Sagittaire. Il ne se contentait en effet pas de dépasser la vitesse de la lumière ou d’évoluer à une vitesse divine. Il était tout simplement partout à la fois, se déplaçant à la vitesse de la pensée.

Il esquiva donc l’assaut d’Ordre en souhaitant simplement se retrouver hors de sa portée, puis frappa un milliard de fois d’une seule pensée. Le cristal qu’habitait Ordre se creusa de profondes entailles sous la violence des impacts, mais celui-ci réagit en enflammant à son tour un cosmos blanc.
- Ne me sous-estimez pas ! lâcha-t-il en déclenchant un mælström destructeur autour de lui, les atomes de l’air se mettant à exploser au contact de son aura. Aioros et Elle furent atteints, toutefois l’armure onirique, rendue incroyablement robuste par la présence d’Elle, résista, se couvrant simplement de quelques fissures. Ils sortirent néanmoins de l’aire du cosmos adverse et prirent la pose de combat du Pegasus Explosion de Patrocle.
- LE VOILE D’ETERNITE ! lâcha Aioros.
L’arcane qu’il déclencha n’était cependant pas simplement celle de son père, mais la combinaison de toutes ses attaques, ainsi qu’également de toutes les techniques dont il avait été le témoin au cours de sa vie et de tous les coups qui avait été échangés lors de l’affrontement entre le Sanctuaire et le groupe de Mardouk.
Ordre répliqua à la déferlante de techniques par à une simple vague d’énergie blanche, dont la sobriété d’apparence cachait néanmoins une puissance terrifiante.
Les deux coups mortels se percutèrent avec une violence inouïe, faisant voler en éclats le sol. Néanmoins, aucune des deux attaques ne semblait vouloir prendre le dessus sur l’autre.
- Vous ne me vaincrez pas ! hurla Ordre.
- Vous avez déjà perdu répliqua Aioros. Je vous ai vaincu tout à l’heure dans le temple.
- Que dis-tu ?
- Lorsqu’Elle m’a accordé ses pouvoirs, j’ai eu accès à tous les événements dont j’ai été témoin au cours de mon existence, ainsi qu’à tout ce qui s’est passé aujourd’hui. Tous ces instants étaient comme les pièces d’un gigantesque puzzle qui s’est assemblé devant moi. Néanmoins, même à ce moment-là, j’ai eu l’intuition qu’il me manquait encore un élément pour tout comprendre, une ultime pièce pour compléter le puzzle. Vous avez perdu car je l’ai trouvée, car je sais quelque chose que vous ne savez pas.
- Quoi ?
Aioros ne répondit pas, et la confrontation de forces se poursuivit encore quelques secondes, jusqu’à ce qu’un nouvel arrivant fasse soudain son apparition.
- Janus ! lança Ordre en voyant son serviteur.
Le dieu des Portes venait en effet d’apparaître juste à l’extérieur de l’octogone, sorti d’un passage dimensionnel toujours ouvert. Il portait toujours les marques de ses précédents combats et transportait quelque chose sur son dos.
- Tu as donc trouvé un moyen de pénétrer dans cette dimension même après que je l’ai arrachée au reste du Temps des Rêves, éructa triomphalement Ordre. Tu n’es pas le dieu des Portes pour rien !
Le dieu hocha la tête pendant que les membres de l’expédition d’Aioros ne savaient visiblement pas comment gérer la situation. Devaient-ils abandonner leurs positions pour intercepter le revenant.
- J’imagine que tu n’avais pas prévu ça ! ajouta Ordre en regardant Aioros
Janus agit avant de laisser le temps à Aioros de répondre, s’il en avait l’intention. Il pénétra dans l’octogone et enflamma son cosmos en se dirigeant sur son maître.
- Janus que fais-tu ? hurla Ordre avant d’être frappé de plein fouet par une rafale d’énergie de son serviteur.
Seule, l’attaque n’aurait probablement pas eu d’effet remarquable. Néanmoins, combinée à la stupéfaction d’Ordre devant la trahison de son esclave, elle suffit à déconcentrer ce dernier pendant une infime fraction de seconde.
Le Voile d’Eternité déferla sur le corps cristallin, le faisant voler en éclats instantanément. Seul le visage perdu par Janus deux mille ans plus tôt, protégé qu’il était au centre du cristal, subsista.
Janus l’attrapa au vol et le remit à sa place sur la face morte de son crâne. Les chairs se reconstituèrent instantanément, les plaies purulentes qui parcouraient le corps de Janus depuis le combat face à Elle se refermant également.
- Traître ! hurla le visage possédé par Ordre.
- Le passage que j’ai emprunté est encore ouvert, dit Janus à l’intention d’Aioros.
La voix du dieu avait totalement perdu sa résonance inhumaine habituelle et semblait parfaitement ordinaire.
- Je vous conseille fortement de l’utiliser sans plus attendre. Il est piégé en moi, mais il est déjà en train d’essayer de prendre le contrôle de tout mon corps. Je ne pourrais pas le retenir longtemps.
Le dieu attrapa alors l’objet qu’il transportait sur son dos, révélant la Boîte de Pandore qu’Aioros avait envoyée à travers les dimensions lors de son duel contre Mardouk. La boîte était en outre libérée de sa couche de glace indestructible.
Aioros courut vers Mardouk et le hissa rapidement sur son épaule.
- Vous l’avez entendu ! Nous partons, maintenant !
Tous abandonnèrent leurs positions et se précipitèrent vers le passage dimensionnel, le franchissant sans plus attendre. Lorsque Aioros parvint au seuil, tous les dieux et Alinda l’avaient déjà passé, mais il s’arrêta néanmoins avant de les imiter.
- Rudy ! lança-t-il au vieil Allemand qui n’avait pas bougé de sa position, même s’il avait cessé de psalmodier et de maintenir l’octogone de feu.
- C’est inutile, dit le visage d’Elle sur le torse du chevalier. Il ne viendra pas.
Aioros jeta un dernier regard en direction de l’Allemand et de Janus qui s’apprêtait à ouvrir la Boîte, puis franchit la porte dimensionnelle qui disparut derrière lui.
- Tu es resté pour me tenir compagnie, lança Janus à Rudy.
- J’ai tellement utilisé mes pouvoirs aujourd’hui que j’ai vidé mes réserves vitales. Je n’en ai plus que pour quelques jours, voire quelques heures. Or Alinda a passé les derniers mois à arpenter le Temps des Rêves pour enfermer dans la Boîte tout ce qui rapporte à la fin du monde et à la mort des dieux dans l’imaginaire humain. Je m’en voudrais de rater le spectacle.
Janus sourit, pendant que le visage contrôlé par Ordre hurlait.
Il ouvrit la Boîte de Pandore.
Rien ne sortit de celle-ci pendant une seconde, puis une lumière intense recouvra les lieux tandis que des formes titanesques émergeaient de la petite urne. L’intensité de la lumière décrut et Rudy put admirer la scène. Il vit les Géants.

*          *          *          *          *

Plus tôt…

Le Genro MaoKen venait de frapper Janus, le paralysant. Aioros s’approcha et lui glissa deux mots à l’oreille.
- Souviens-toi…
Une connexion s’établit entre le mortel et le dieu, liant leurs pensées et leurs souvenirs, si bien que leurs esprits ne firent presque plus qu’un. En outre, l’attaque mentale et l’ordre d’Aioros débloquèrent des zones de la personnalité du dieu dont ce dernier ignorait totalement l’existence. Ou, plus exactement, qu’il avait oubliées.
Les événements et les souvenirs se mirent en place, révélant leur signification une fois pris dans leur ensemble.
- Non, pensa le dieu tandis que leurs deux esprits devenaient spectateurs d’une scène s’étant déroulée quelques heures plus tôt.

*          *          *          *          *

Le combat entre Akiera et Gienah touchait à sa fin. L’ancien chevalier noir venait d’être emporté par l’Another Dimension, mais l’androgyne était toujours sous la menace du End of Entropy qui s’apprêtait à engloutir les singularités qui le protégeaient encore avant de le dévorer. Le temps pressait lorsque l’ancien Gémeaux ouvrit au hasard un passage dimensionnel.
Il franchissait le seuil entre les mondes lorsque l’attaque de son adversaire détruisit ses protections et le frappa de plein fouet, brisant ses atomes instantanément.
Le passage dimensionnel se referma sur les débris glacés de ce qui avait été Akiera des Gémeaux.
Toutefois, la réalité qui reçut ses restes misérables était plus étrange que toute celles qu’Akiera avait eu l’occasion de visiter au cours de sa vie. Lorsqu’il avait ouvert la porte entre les dimensions en catastrophe et en laissant le hasard choisir pour lui, il avait été animé par une seule angoisse : le temps lui manquait. Il avait ainsi effectué inconsciemment un choix et la dimension que son pouvoir avait trouvée possédait une caractéristique unique : le temps n’y existait pas. En outre, l’espace n’y existait pas non plus ou alors sous une forme totalement incompréhensible par l’esprit des mortels.
Frappé au moment précis où il pénétrait dans cet univers impossible, Akiera était déjà sous l’influence des lois de l’endroit lorsque le End of Entropy l’avait pulvérisé. Il se retrouva coincé entre deux conditions : indemne tel qu’il était à l’instant de son arrivée dans cet univers et pulvérisé tel qu’il l’avait été un instant plus tard. Instants qui étaient à présent parfaitement indissociables, ses atomes pulvérisés coexistant désormais avec une version indemne de ceux-ci.
Flottant entre ces deux états quantiques, il dériva dans cet étrange continuum pendant ce qui aurait aussi bien pu être une seconde que des milliards d’années, puisque la notion de temps n’avait plus de sens. Sa personnalité et son intelligence, inadaptées à appréhender cet univers s’estompèrent petit à petit. Seule subsista sa volonté. Sa volonté de vivre. Son cosmos.
Mû par cette détermination primaire, il chercha un moyen de sortir de cette prison impossible où il s’était lui-même précipité. Au bout de plusieurs tentatives infructueuses, il trouva un chemin de retour vers sa dimension natale. Ce chemin n’était cependant pas celui qu’il avait emprunté pour venir. Ce qu’il lui restait de conscience savait que s’il retournait exactement à son point de départ il mourrait presque certainement sur le moment, déchiré par le paradoxe créé par ses deux états superposés.
Il lui fallait retourner chez lui, mais la transition devait être aussi douce que possible entre la dimension où il se trouvait et celle où il voulait revenir. Il comprit alors que, ne connaissant plus les notions de temps et d’espace à l’endroit où il se trouvait, il pouvait retourner chez lui à l’instant et à l’endroit qu’il souhaitait. Or il n’y avait qu’un seul moment où l’univers avait connu des conditions semblables à celle qui régnaient dans ce continuum : à l’instant zéro, que les scientifiques modernes appelaient le Big Bang.
Le moment où tous les valeurs des modèles physiques tendaient vers l’infini, où toute la matière de ce qui allait devenir l’univers était concentrée en un seul. Le moment où le temps lui-même était né.
Son cosmos s’enflamma de lui-même, ouvrant un passage vers la naissance du monde, l’explosion cosmique originelle. Il flotta quelques instants juste derrière la frontière entre la dimension qu’il quittait et celle où il revenait et où le chaos se déchaînait.
Des particules, venant d’être créées étaient projetées dans toutes les directions par le Big Bang, pénétrèrent par l’ouverture. Agissant toujours d’instinct et sans pensée réellement organisée, il les attira à lui, se servant de ces composants élémentaires pour reconstituer ses atomes détruits. Là où il se trouvait encore, la notion d’espace était abstraite. Il lui suffisait de vouloir que ces particules fassent partie de son corps pour que cela devienne réalité. Il reconstitua donc son corps détruit, qui coexistait désormais avec son autre corps qui avait été indemne depuis le début.
Toujours mû par l’impérative envie de vivre, il lui devint évident que pour survivre dans l’enfer du Big Bang une fois qu’il aurait franchi le passage dimensionnel, il ne fallait qu’un seul corps, mais plus robuste, éternel et libéré des besoins des mortels. Il commença à réarranger la structure atomique de son enveloppe charnelle. C’était une tâche difficile, cependant il avait tout le temps qu’il fallait pour bouger les électrons, les protons et les neutrons un par un, grâce à la seule force de sa volonté.
Un souvenir de l’être évolué qui avait été Akiera s’imposa alors à la conscience primitive qu’il était devenu. Un souvenir d’une statue du dieu romain Janus qu’il avait vue lors d’un voyage en Italie. Il avait été marqué par les similarités entre cette divinité et son propre signe des Gémeaux ainsi que par l’air de famille entre son étrange tête et le casque de son armure d’or.
Il créa donc à partir de ses deux corps une nouvelle enveloppe unique à deux visages, semblable à la statue, l’un des deux conservant un lien avec le continuum dont il avait été le prisonnier, ce qui lui permettrait de voir les événements à venir. Enfin, il se fabriqua une armure inspirée de ce qu’avait été son armure sacrée.
Tout cela ne lui avait pas pris plus d’un milliardième de seconde, le temps étant arrêté pour lui. Il pénétra donc dans l’univers naissant, au moment précis où Ordre et Chaos luttaient pour imposer leur vision de ce qu’il devait devenir et arrivaient finalement à un match nul.
Malgré ses préparatifs, il fut presque anéanti par les conditions extrêmes de son environnement où aucun atome structuré ne pouvait encore exister naturellement. Mais il n’avait pas fait tout ça pour mourir maintenant. Toute trace de son ancienne personnalité disparut, écrasée par l’impératif de la survie. Il s’accrocha à la vie pendant que son corps était soumis au stress infernal de l’expansion phénoménale de l’univers, formant une coquille de cosmos autour de lui pour se protéger, puis s’endormit, se laissant emporter par le flot de particules.
Il dériva pendant un temps indéterminé, jusqu’à ce que les conditions extérieures soient moins drastiques, et sortit alors de sa longue hibernation, toutes ses blessures guéries. Les premiers corps complexes commençaient à se former, bientôt les premières étoiles s’allumeraient. Cependant, l’univers demeurait désespérément vide pour l’heure, aussi s’endormit-il à nouveau. Il se réveilla plusieurs fois à intervalles plus ou moins réguliers pendant les milliards d’années qui suivirent, ne restant jamais conscient plus de quelques minutes avant de se rendormir, ouvrant simplement à chaque fois un passage dimensionnel vers un endroit qui l’appelait. Il ne savait pas réellement où il allait, mais il s’y rendait sans se presser, sachant inconsciemment que ce qu’il cherchait n’était pas encore là.
Finalement, le soleil naquit, puis les poussières cosmiques qui allaient devenir la Terre commencèrent à s’agglutiner. Lorsqu’il arriva finalement au terme de son long voyage, la planète venait à peine d’être le berceau de la vie. Néanmoins, il s’agissait encore d’une vie primitive, quelques molécules survivant péniblement dans les fonds marins, à l’abri des rayons cosmiques qui rendaient la surface inhabitable.
Il s’endormit une dernière fois, et pour la première fois ailleurs que dans le vide cosmique.

Quand l’entité qui se nommait à présent Janus se réveilla, les hommes commençaient à entrer dans l’histoire et il se trouvait dans la péninsule qui allait devenir l’Italie. Les mortels qu’il rencontra le prirent naturellement pour un dieu et son culte se développa. Il découvrit l’existence d’autres divinités, mais se sentit d’emblée supérieure à elles. Il savait que les histoires de création du monde liées à certaines de ces dieux étaient fausses car il avait conscience d’être né en même temps que le monde et était persuadé d’être la première créature vivante et donc le premier immortel.
Tandis que son influence augmentait, il apprit que l’entité répondant au nom de Chaos existait bel et bien. Pensant qu’il s’agissait peut-être là de la seule entité plus ancienne que lui, le véritable démiurge de la création qu’il pouvait considéré comme son père, il abandonna ses fidèles pour partir à sa recherche.
Il trouva Ordre à la place, ce dernier comprenant instantanément que Janus était bel et bien une divinité à part de celles issues du Temps des Rêves. Cherchant à s’approprier les capacités de prescience de Janus, Ordre posséda son corps pendant plusieurs siècles, participant entre autre à la destruction du continent de Mû dont les habitants étaient devenus trop avancés sur le plan spirituel, jusqu’à un combat cataclysmique contre l’entité résultant de la somme des âmes humaines.
Celle-ci arracha de son crâne le visage prescient de Janus. Cela ne fut cependant pas suffisant pour le tuer et le visage continua à abriter la conscience d’Ordre pendant que l’autre partie de Janus devenait son serviteur.
Les siècles s’écoulèrent, jusqu’au jour où Ordre perçut dans l’avenir qu’Elle allait tenter de renverser le règne des Olympiens qu’il avait instauré pour contrôler l’essor de l’humanité. Il vit que deux individus joueraient un rôle particulier dans les plans de son adversaire : le dieu Mardouk enfermé dans un corps mortel, et un chevalier d’or d’Athéna. Il comprit que l’alliance des deux au service d’Elle pourrait éventuellement le mettre en danger. Néanmoins il estima qu’en les faisant se retourner l’un contre l’autre, il anéantirait les plans d’Elle pour plusieurs siècles et assurerait la pérennité du statu quo qu’il avait créé.
Ordre décida donc de revenir du long exil qui avait suivi sa défaite, et ordonna à Janus de recruter les entités connues sous le nom de Premiers et de commencer à préparer le terrain dans l’ombre pour rendre inévitable la confrontation entre le Sanctuaire et les membres de l’alliance que commençait à rassembler Mardouk.
Janus observa sans intervenir le combat entre le chevalier d’or Akiera des Gémeaux et un groupe de Premiers, s’amusant de l’arrogance du mortel qui faillit commettre un pécher d’orgueil fatal en laissant ses adversaires fusionner leur essence spirituelle. S’il trouva le mortel divertissant et familier et aurait aimé l’affronter, il décida de respecter la consigne de discrétion de son maître. Par aveuglement, refus de voir la vérité ou simple incapacité à la discerner, il ne put comprendre l’étrange sensation qui l’avait frappé en suivant les agissements du chevalier. L’importance de l’incident resta longtemps sous-estimée par le Sanctuaire, jusqu’à ce qu’Akiera en prenne finalement la mesure et en fasse le récit détaillé au Pope et à plusieurs chevaliers d’or.
Il assista plus tard en cachette à l’épreuve opposant deux jeunes chevaliers d’or à des fidèles de Mardouk à Babylone. A sa grande surprise, l’un des deux serviteurs d’Athéna, Aioros du Sagittaire, parvint à percevoir sa présence malgré ses précautions. Le chevalier lui évoqua de nouveau un vieux souvenir, sans qu’il ne parvienne à déterminer le contexte.
Sur l’île de Canon, le jour de l’attaque des chevaliers noirs habités par les Premiers, il croisa de nouveau le chevalier du Sagittaire, même si ce dernier n’avait visiblement aucun souvenir de leur brève rencontre antérieure. Sur le moment, Janus ne pouvait avoir aucune idée que ces deux instants feraient partie des indices permettant à un Aioros aux capacités augmentées par Elle de déduire son origine bien plus tard. Capable de revivre chaque instant de sa vie à loisir et doté d’une vision cosmique lui permettant de voir la nature du cosmos de chacun avec une acuité encore plus grande que précédemment, ces brefs moments conjugués avec toutes les fois où Aioros avait rencontré Akiera se révéleraient vitaux.
Il affronta peu de temps après le nouveau chevalier d’or des Gémeaux, préférant ne pas utiliser son armure lors du combat pour ne pas prendre le risque d’être reconnu. S’il savait en effet que les alchimistes de Mû ayant créer la protection des Gémeaux s’étaient inspirés de sa propre armure, il était en revanche totalement inconscient du paradoxe de causalité que constituait l’apparence de cette protection. Il nota de nouveau la similarité entre ses pouvoirs et ceux du chevalier, concluant que le signe des Gémeaux l’évoquait tout autant que la légende des Dioscures ou celle de Remus et Romulus.
Les Premiers et les chevaliers noirs ayant joué leur rôle, il se retira dans l’ombre, n’en sortant que pour réveiller les Kaos, afin d’écarter Mardouk et Aioros, puis pour mettre le feu aux poudres entre le Sanctuaire et les alliés du Babylonien. Il se retira ensuite dans l’un de ses temples, où deux chevaliers d’argent alliés aux survivants des Premiers l’attaquèrent.
Le chevalier Jason de la Carène nota la ressemblance entre le dieu et chevalier des Gémeaux, sans aller plus loin dans sa réflexion qui ferait néanmoins partie des souvenirs récoltés par Elle et transmis au chevalier du Sagittaire. Arrogant et sûr de sa victoire grâce à son Universal Birth qui recréait les circonstances de sa naissance, Janus commit le pécher d’orgueil de permettre à ses adversaires de fusionner leurs forces, répétant une erreur presque fatale d’une autre vie.
Il partit alors guérir ses blessures auprès de son maître, ne se sachant pas suivi par un Rudy témoin de son affrontement face aux chevaliers d’argent. Puis il affronta le chevalier du Sagittaire et le Genrô Maoken le frappa…

* * * * *

Les souvenirs qui affluèrent ensuite dans les esprits d’Aioros et Janus furent ceux du premier, les ramenant à une autre scène s’étant déroulée quelques heures plus tôt.

* * * * *

Aioros venait de détruire le trou noir créé par Mardouk, puis, utilisant le Pas Agile d’Achille, s’était emparé de la Boîte de Pandore. Alors que le Babylonien se ruait sur son adversaire pour récupérer le précieux objet, le Sagittaire déchira le tissu dimensionnel autour de celui-ci, créant aléatoirement douze cercles d’énergie faisant office de passages dimensionnels.
La scène se répéta plusieurs fois, de plus en plus lentement, chacune des plus infimes variations aléatoires du cosmos d’Aioros en train de créer les passages étant perceptibles.

* * * * *

Le dieu et le mortel se faisaient de nouveau face. Aioros s’approcha de son adversaire et glissa à son oreille un simple mot.
- Akiera.
Janus fut soudain de nouveau libre de ses mouvements.
- Non ! hurla-t-il tandis que tous ses souvenirs lui revenaient d’un seul coup et qu’il réalisait.
Il ouvrit un passage dimensionnel vers la Terre et disparut.
Il déboucha au Caire dans les ruines encore fumantes de son temple dévasté lors de son affrontement avec Stellio du Lézard. Il se prit la tête à deux mains, tomba à genoux et eut des soubresauts nerveux. Si son corps avait été doté de glandes lacrymales, sans doute aurait-il pleuré. Il prit alors conscience d’être observé par des habitants terrifiés. Il enflamma son cosmos, puis créa un nouveau passage dimensionnel.
Il réapparut en Suède, dans un champ recouvert d’une épaisse couche de neige. Une petite maison se dressait à une cinquantaine de mètres. Il créa une illusion pour se rendre invisible et s’approcha lentement d’une grande fenêtre. Elle donnait sur le salon de la demeure où une famille, les deux parents et leurs deux filles, était en train de préparer un sapin de noël.
Lyn avait vieilli, mais elle était toujours aussi belle aux yeux d’Akiera.
Il ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de jalousie envers l’homme qui aidait Lyn à installer une longue guirlande et il lui fallut un réel effort de volonté pour contrôler la pulsion de violence qui monta à lui.
- Je ne suis plus Janus, je suis Akiera, un chevalier d’Athéna, murmura-t-il.
Une des deux filles parut l’entendre et tourna son regard vers la fenêtre. Lyn regarda alors également dans sa direction et pendant un bref instant, il crut quelle le voyait malgré son invisibilité. Mais la mère et l’enfant semblèrent décider simultanément qu’elles n’avaient entendu que le vent et retournèrent à leur occupation.
Il se détourna, s’éloigna sans se retourner, puis ouvrit un nouveau passage dimensionnel.
Il réapparut cette fois-ci à proximité de la tour où étaient enfermés les spectres d’Hadès depuis la dernière Guerre Sainte. Il se rendit à l’endroit exact où s’était tenu Aioros au moment d’envoyer la Boîte de Pandore à travers les dimensions.
Le souvenir de la scène était gravé dans son esprit avec une précision absolue.
Aioros avait copié de façon très approximative l’Another Dimension pour réaliser son petit tour, et la seule chose qui rendait normalement impossible de suivre la trace de la Boîte était le nombre de fois qu’Aioros avait effectué cette Another Dimension rudimentaire.
Reproduire la technique du Sagittaire était donc un jeu d’enfant pour Akiera, et si sur le moment l’exécution avait été aléatoire, il pouvait néanmoins la répéter à la plus petite inclinaison cosmique près.
Douze cercles dorés se formèrent entre les mains du chevalier devenu dieu, puis s’activèrent les uns après les autres. Arrivés à destination douze dimensions plus loin, douze nouveaux cercles apparurent et inversèrent le mouvement.
La Boîte de Pandore apparut finalement comme par magie entre les mains d’Akiera.
Il considéra un instant la couche de glace enfermant la jarre. Aioros avait écrit d’autres informations dans le cerveau d’Akiera à ce sujet, mentionnant une clé. Malheureusement, celle-ci avait certainement été détruite quand Aioros avait pulvérisé Mardouk avec son Piège de l’Anti-Monde.
- Autant demander directement au constructeur…
Il se concentra pour essayer de contacter Gienah dans la dimension où Aioros et les autres étaient en train de se battre, mais ne trouva trace de personne. Cela était au demeurant très inquiétant, toutefois il s’en soucierait plus tard. Pour le moment, il avait une autre option.
Akiera créa une illusion autour de lui, cachant son apparence de Janus sous ses anciens traits de mortel, puis ouvrit une nouvelle porte le menant à la dimension où il envoyait le jeune Camus inconscient pour le mettre à l’abri juste avant la fin de son combat contre Gienah.
A sa grande surprise, le chevalier du Verseau n’était déjà plus là, ayant certainement trouvé un moyen de rentrer par ses propres moyens.
- Il a plus de ressources que je ne le croyais.
Il décida de retourner dans la forêt où avait eu lieu leur combat contre Gienah et fut satisfait d’y retrouver le Français qui errait au milieu des arbres déracinés. Celui-ci avait très mauvaise mine et tenait visiblement difficilement debout.
- Akiera ? fit celui-ci. Où est mon maître ?
- Mort, mentit-il. J’ai un besoin urgent de tes capacités, il faut que tu ouvres cette gangue de glace. Elle a été créée par Gienah.
Akiera se félicita de la froideur de Camus. Celui-ci ne mit en effet qu’une poignée de secondes à digérer la nouvelle de la mort de son maître avant de se pencher sur le problème, écoutant attentivement les détails qu’Akiera lisait dans son propre cerveau.
Il ne fallut finalement qu’une minute et deux essais au garçon pour générer une clé fonctionnelle. La première avait déjà été de la bonne forme mais pas assez froide, ce qui lui demanda d’enflammer tout ce qu’il lui restait de cosmos.
La deuxième clé, légèrement plus froide que la gangue de glace, entraîna une réaction dès qu’elle fut tournée dans la serrure, faisant fondre la glace en quelques secondes.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Camus en s’intéressant à la Boîte de Pandore, mais Akiera ne le laissa pas examiner de plus près l’objet. Il passa sa main devant les yeux du garçon qui sombra instantanément dans l’inconscience et s’écroula, puis il ouvrit un nouveau passage dimensionnel pour retourner auprès d’Aioros.
Néanmoins son passage déboucha dans le néant et il dut créer une autre porte en catastrophe pour se sortir de ce mauvais pas. Il lui fallut un moment pour comprendre et apprécier pleinement la complexité de ce qu’Ordre avait accompli. Son maître avait apparemment réussi à couper toutes les routes menant à la dimension où se déroulait le combat en le faisant déboucher sur le néant, comme s’il avait retiré la dimension onirique du reste du Temps des Rêves.
- Probablement pour La tenir à l’écart, résonna Akiera.
Néanmoins, il était le dieu des Portes, et il n’allait pas se laisser fermer l’accès de cette façon.
Il retourna au Caire à l’endroit où il avait débouché une quinzaine de minutes plus tôt et retrouva les restes énergétiques du passage qu’il avait emprunté à ce moment-là, provoquant de nouveau la fuite des malheureux habitants.
Il intensifia alors son cosmos au maximum afin de reconnecter le chemin qu’il avait suivi et de restaurer le tunnel entre les mondes. Il y parvint finalement après une bonne minute d’effort.
Lorsqu’il parvint de l’autre côté de la porte, il vit Aioros, qui était à présent totalement recouvert par son armure, plongé dans une confrontation de puissance pure avec Ordre qui animait un corps de cristal.
- Janus ! lança Ordre en voyant son serviteur.

* * * * *

Aioros avait sentit qu’ils avaient obliqué à la moitié du tunnel dimensionnel d’Akiera, si bien qu’il déboucha avec Mardouk et le reste du groupe à l’endroit où le Sagittaire avait eu sa conversation avec Elle.
Celle-ci avait d’ailleurs instantanément repris l’apparence sous laquelle elle avait rencontré le chevalier, l’armure de ce dernier ayant repris son apparence ordinaire.
- C’est fini ? demanda Shamash. C’est vraiment fini ?
- Oui, dit Inanna.
- Tout a été… si vite, fit Hanpa.
- Et maintenant ? demanda Aioros en La regardant. Qu’allez-Vous faire ?
Tous les dieux fixèrent le jeune Grec. Il pouvait voir le respect dans leur regard.
- Maintenant… commença-t-Elle. Aioros, tu ne peux pas savoir la gratitude que j’ai à ton égard. Mais le fait est que tu as encore bien des choses à accomplir dans ta vie… Et que tu en sais déjà trop. Essaye de ne pas trop m’en vouloir à ton réveil.
- Comment ça ? fit-il.
Alinda se mit alors devant lui et le regarda droit dans les yeux. Aioros fut soudain prit d’une torpeur irrésistible. Il s’écroula comme une masse.

- Aioros ?
La voix semblait incroyablement lointaine et il fallut au Sagittaire un effort presque surhumain pour soulever ses paupières. Il avait l’impression d’avoir dormi des semaines et de se réveiller difficilement, comme s’il avait été tiré de son sommeil au milieu d’un rêve. Les souvenirs de ses combats contre les dieux esclaves d’Ordre, contre Janus et contre Ordre lui-même commencèrent instantanément à se dissiper. Les visions de l’avenir qu’il avait eues quand Elle lui avait donné ses pouvoirs, les détails de se discussion avec Elle…
Tout s’effaçait comme les détails d’un songe devenant flous, puis sombrant dans l’oubli quelques secondes à peine après le réveil.
- Aioros ? insista la voix, et il vit que c’était Dohko qui lui parlait.
Le vieux chevalier était penché au-dessus de lui et le regardait d’un air légèrement inquiet.
- Oui, fit-il péniblement.
- Tu me rassures mon garçon, j’ai cru un instant que Deathmask était intervenu trop tard et qu’elle était parvenue à arracher ton âme.
A ses paroles, les souvenirs lui revinrent annihilant ses efforts de conserver les bribes restantes de son séjour dans le Temps des Rêves. Elle avait surgi juste après la fin de son combat contre Mardouk, avait semble-t-il commencé à attirer son âme puis… Deathmask était arrivé.
- Inanna ! fit-il en se levant d’un bond.
Elle gisait au sol, baignant dans son sang. L’Italien se tenait juste au-dessus d’elle.
- Espèce de… commença-t-il en se dirigeant vers le chevalier du Cancer, mais Dohko s’interposa devant lui.
- Aioros, que fais-tu ? Deathmask est arrivé juste à temps pour stopper son attaque, elle s’apprêtait à arracher ton âme, sans doute pour la projeter dans quelque enfer. Il t’a sauvé la vie.
- Non ! hurla Aioros. Elle ne voulait pas me tuer ! Elle a envoyé mon esprit dans le Temps du Rêve, où j’ai pu La rencontrer !
- « La » rencontrer ? répéta Dohko.
- Oui, ensuite Elle m’a expliqué les raisons derrière les agissements de Mardouk et nous sommes allés combattre leur grand ennemi. Celui qui a provoqué la guerre entre nous et qui tirait toutes les ficelles !
- Je crois que ça y ait, il a définitivement pété les plombs, persifla Deathmask.
- Je vais te… commença Aioros en voulant charger, toutefois il fut repoussé par une vague télékinésique projeté par Dohko d’un revers.
- Mon garçon, ce que tu dis n’a pas de sens, dit le vieux maître.
- Vous ne comprenez pas ! Mardouk n’était pas mort, pas vraiment ! Nous nous sommes retrouvés et nous avons… nous avons…
Les souvenirs s’effaçaient de plus en plus vite, il peinait à se souvenir simplement de qui était là et quel avait été l’enchaînement des événements.
- Mon garçon, tu es délirant à cause des effets du coup que tu as subi. Deathmask t’a sauvé la vie.
- Non ! Je L’ai vue, vous ne comprenez pas !
- Je crois qu’il parle de la vieille sorcière que j’ai tuée juste avant de venir ici, dit Deathmask avec un air rigolard.
- Tu ne peux pas La tuer, Elle est nous, Elle est…
- Morte.
Aioros voulut de nouveau charger l’Italien pour le faire taire, mais il vit Dohko qui se préparait à le repousser de nouveau.
- Mon garçon, dit Dohko de la voix la plus calme possible. Elle a tenté d’arracher ton âme, tu as dû avoir une expérience de mort imminente, imaginer des choses…
- Je n’ai rien imaginé du tout.
- Franchement, qu’est-ce qui est le plus probable ? demanda Deathmask. Qu’une ennemie t’emmène retrouver tous nos ennemis morts pour que vous alliez tous ensemble faire sa fête à un mystérieux grand méchant dont personne n’a jamais entendu parlé, ou alors… que tu as halluciné grave ?
- Je…
- Mon garçon, si tu le veux, raconte-nous tout dans l’ordre et depuis le début.
- Je… Je suis en train d’oublier… comme un rêve…
- Ah ben voilà, on y arrive !
- Deathmask, tais-toi ! lança Dohko.
Il s’approcha du Sagittaire et prit ses mains en déployant un cosmos apaisant.
- Aioros, tu n’as été inconscient que quelques secondes. A vrai dire, je ne suis même pas sûr que tu aies réellement perdu connaissance et que tu n’aies pas simplement été engourdi.
- Quoi ?
- Quand Deathmask l’a frappée, son attaque s’est instantanément arrêtée et tu es tombé au sol. Je suis tout de suite venu à toi et j’ai cru que son attaque avait marché, qu’elle avait arraché ton âme, parce que tu ne m’as pas répondu la première fois que je t’ai appelé. Mais tu as répondu dès la deuxième fois.
- Non, ce n’est pas possible… Là où j’étais, le temps ne passe pas à la même…
- Mon garçon.
- Je… Je ne sais plus.